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Message par Tristram Lun 27 Fév - 16:55

L'inceste entre frère et soeur est aussi une des thématiques de L'Homme sans qualités, sans qu'il soit possible de réduire l'ouvrage à cette histoire d'amour...

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Message par bix_229 Lun 27 Fév - 17:51

Une phrase extraite de Littératures et que je partage, meme si je suis loin du compte en fait de
relectures.

« Assez curieusement, on ne peut pas lire un livre : on ne peut que le relire. Un bon lecteur, un lecteur actif et créateur est un re-lecteur. Et je vais vous dire pourquoi. Lorsqu’on lit un livre pour la première fois, le simple fait de devoir faire laborieusement aller les yeux de gauche à droite, d’une ligne à l’autre, d’une page à l’autre, ce travail physique compliqué qu’impose le livre, le simple fait de devoir découvrir en termes d’espaces et de temps de quoi il est question dans ce livre, tout cela s’interpose entre le lecteur et le jugement artistique. […] Mais à la deuxième, à la troisième ou à la quatrième lecture, nous pouvons, en un sens, nous comporter à l’égard d’un livre de la même manière qu’à l’égard d’un tableau. »

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Message par Chamaco Lun 27 Fév - 18:15

je me souviens avoir lu Lolita étant jeune adolescent, quel bouleversement à une époque où les moeurs étaient plus cintrées que maintenant...
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Message par Tristram Lun 27 Fév - 19:02

@bix_229 : je n'ai pas lu Littératures : tu en recommandes la lecture (en attendant la re-lecture...) ?

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Message par bix_229 Lun 27 Fév - 19:55

Tristram a écrit:@bix_229 : je n'ai pas lu Littératures : tu en recommandes la lecture (en attendant la re-lecture...) ?

Pas lu non plus. Simplement des articles de presse ou des extraits.
Je crois que ça regroupe des cours à  ses étudiants. En gros.
Et qu' il a parfois la dent dure. Notamment envers Dostoievski.
Il préfère manifestement Tolstoi ou Gogol.
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Message par Tristram Lun 27 Fév - 20:18

Je vais peut-être me laisser tenter (j'ai aussi lu quelques extraits, sur Cervantes notamment, et Nabokov semble avoir pour le moins une approche non orthodoxe, peu laudatrice...)
Je ne suis pas inquiet pour Dostoïevski, encore que ne l'ayant bien sûr pas lu dans le texte...

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Message par shanidar Mar 28 Fév - 11:17

J'ai trouvé très mauvaise l'étude de Nabokov qui suivait le texte de La Métamorphose de Kafka. Une longue paraphrase à peu près sans saveur et qui ne m'a pas apporté grand-chose.

En revanche, je ne résiste pas au plaisir de recopier ici un extrait d'une nouvelle intitulée Bruits

Ton amour était assourdi, comme ta voix. Tu aimais à la dérobée en quelque sorte, et jamais tu ne parlais d'amour. Tu étais une de ces femmes qui sont habituellement silencieuses et au silence desquelles on s'habitue aussitôt. Mais parfois quelque chose s'échappait de toi. Alors, ton énorme Bechstein grondait : sinon, regardant vaguement devant toi, tu me racontais de petites histoires très drôles que tu tenais de ton mari ou de ses camarades de régiment. Je me souviens de tes mains, longues, blanches, aux veines bleuâtres.
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Message par Tristram Mer 10 Avr - 0:04

Littératures 1 : Austen, Dickens, Flaubert, Stevenson, Proust, Kafka, Joyce

fantastique - Vladimir Nabokov - Page 2 Littzo10


Ce sont les (notes de) cours donnés par Vladimir Nabokov, où l’on retrouve ses points de vue personnels sans faux-fuyant, avec un peu de son vif esprit (notamment lorsqu’il rejette les thèses freudiennes avec humour).
« Style et structure sont l’essence d’un livre, les grandes idées ne sont que foutaise. »
Pour lui, la littérature fait frissonner les moelles épinières réceptives :
« Beauté plus pitié, c’est le plus près que nous puissions approcher d’une définition de l’art. Où il y a beauté, il y a pitié, pour la simple raison que la beauté doit mourir ; la beauté meurt toujours, la manière meurt avec la matière, le monde meurt avec l’individu. »
Comme c’est un des écrivains dont l’œuvre retient le plus mon attention, que je partage beaucoup de ses opinions et qu’il me fait rire, cette lecture m’a exaucé. Nabokov fut sans conteste un bon lecteur, à rapprocher d’Umberto Eco.
J’ai longtemps nourri des doutes sur la valeur ou l’intérêt de la « critique littéraire », mais pense maintenant, grâce à certains auteurs dont ceux-ci, que l’étude des œuvres ne les déprécie pas, qu’au contraire le travail d’un écrivain valable gagne à l’examen sous différents points de vue de sa structure et de son style, comme sans doute aussi de sa genèse et de ses variantes.
Je ne peux jamais m’empêcher de penser que, quoique géniaux, ces auteurs et œuvres classiques sont choisis comme terrains de jeux, de joutes littéraires, surtout par une sorte de consensus qui a le mérite de sélectionner et s’entendre sur les sujets d’étude communs des critiques. L’intérêt n’en est pas moindre d’apprendre à (mieux) lire, qui me semble le propos de l’exercice ‒ qui semble consister à comprendre comment on écrit.
Pour profiter au mieux de ces cours où est étudiée une œuvre de chacun des auteurs concernés, je pense qu’il serait souhaitable pour le lecteur de disposer simultanément des livres étudiés, à l’instar des élèves de Nabokov ; cependant, les avoir lus est suffisant, compte tenu des nombreuses citations. (Maintenant, pour quelqu’un qui ne se sent pas de se lancer dans A la recherche du temps perdu et/ou Ulysse, il y a là moyen de se faire une bonne idée sans grand effort…)
« En fait, toute fiction est fiction. Tout art est mensonge. Le monde de Flaubert, comme celui de tous les grands écrivains, est un monde imaginaire, qui a sa propre logique, ses propres conventions, ses propres coïncidences. […] Toute réalité n’est qu’une réalité comparative [… »
Cette tonique lecture m’a ramentu (ou appris) que l’argent (les dettes) est pour moitié dans la mort d’Emma Bovary (avec le romanesque mâtiné de rouerie) ; que ce livre constitue un sottisier des poncifs de la bêtise philistine, dite bourgeoise, qui fait plus qu’annoncer Bouvard et Pécuchet ; que Flaubert est un transmutateur du vulgaire et du médiocre en art (projet typique de son contemporain Baudelaire), ce que Nabokov appelle un enchanteur ; que, poème en prose, son roman est structuré comme une symphonie.
« Il y a une chose dont vos esprits doivent bien se pénétrer : l’œuvre n’est pas autobiographique, le narrateur n’est pas Proust en tant qu’individu, et les personnages n’ont jamais existé ailleurs que dans l’esprit de l’auteur. Inutile, par conséquent, de nous attarder sur la vie de l’auteur. Cela est sans importance dans le cas présent et ne ferait qu’embrouiller la question, d’autant que le narrateur et l’auteur ont plus d’un point en commun et évoluent dans des milieux très semblables.
Proust est un prisme. Son seul objet est de réfracter, et, par réfraction, de recréer rétrospectivement un monde. Ce monde lui-même, les habitants de ce monde, n’ont aucune espèce d’importance historique ou sociale. Il se trouve qu’ils sont ce que les échotiers appellent des représentants du Tout-Paris, des messieurs et des dames qui ne font rien, de riches oisifs. Les seules professions que l’on nous montre en action, ou à travers leurs résultats, relèvent de l’art ou de l’érudition. Les créatures prismatiques de Proust n’ont pas d’emploi, leur emploi est d’amuser l’auteur. »
Il m’avait échappé (ou j’ai oublié) que les personnages de Proust sont systématiquement présentés sous des facettes différentes :
« La diversité des aspects sous lesquels apparaissent les personnages selon la diversité des regards qui les observent […]
Proust, pour sa part, soutient qu’un personnage, une personnalité, n’est jamais connu de façon absolue, mais seulement comparative. Au lieu de le hacher menu [comme Joyce], il nous montre tel personnage à travers l’idée que d’autres personnages se font de ce personnage. Et il espère, après avoir donné une série de ces prismes et de ces reflets, les combiner pour en faire une réalité artistique. »

J’ai lu ces cours dans l’édition de poche… Le livre de poche (Fayard), qui m’a parfaitement convenu, surtout comparativement à un Christian Bourgois de sinistre mémoire. Il s’agit d’un exemplaire d’occasion, marqué S. P. ‒ si ce sigle signifie « Service de Presse », cela expliquerait peut-être qu’il paraisse n’avoir jamais été lu avant de me parvenir.


Mots-clés : #essai #universdulivre

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Message par Tristram Ven 12 Avr - 2:17

Où l'on expose différemment ces cours d'un enchanteur "solipsiste" "élitiste" : https://www.franceculture.fr/emissions/la-compagnie-des-auteurs/vladimir-nabokov-44-le-professeur-nabokov

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Message par Tristram Mer 29 Mai - 17:43

Invitation au Supplice

fantastique - Vladimir Nabokov - Page 2 Invita10


Cincinnatus attend d’être décapité dans une geôle où il est traité avec égards, même si l’ignorance de la date de son exécution le torture de faux espoirs. Le ton est assez loufoque, ne serait-ce que parce qu’il a été condamné pour ne pas être… transparent !
« Accusé du plus épouvantable des forfaits, de turpitude gnoséologique, si peu convenable à exprimer qu’il fallait recourir à des euphémismes tels que : impénétrabilité, opacité, obstacle à la lumière [… »

« Voilà trente ans que je vis parmi des ombres perceptibles au toucher, leur cachant que j’étais doué de vie et de réalité. »
« Impénétrable aux rayons d’autrui », Cincinnatus paraît même un peu christique :
« Non, il faut quand même que je note quelques impressions, en legs à la postérité. Je ne suis pas n’importe qui, je suis celui qui vit au milieu de vous… »
Cincinnatus se dédouble parfois étrangement, l’histoire est teintée d’onirisme dans un univers de reflets où quelquefois quelque chose cloche, traversée de poussées hallucinatoires qui m’ont fait rapprocher ce roman de ceux de Boulgakov et Gogol (ainsi qu’aux contes d’Hoffmann), comparaison aussi légitime que celle de Kafka quant à l’aspect absurde et totalitaire de la captivité.
« Très longtemps ils gravirent des escaliers – la forteresse avait sans doute souffert d’une légère attaque, car les degrés destinés à la descente servaient à présent à la montée, et vice versa. De nouveau, il fallut enfiler des corridors – mais qui paraissaient plus habités, en ce sens qu’ils indiquaient nettement, soit par du linoléum, soit par du papier de tenture, soit par un bahut à la muraille qu’ils étaient contigus à des appartements occupés. A un détour, on sentait même une odeur de choux. Plus loin, on dépassa une porte vitrée sur laquelle était écrit …ureau et après un nouveau périple dans l’obscurité, on déboucha subitement dans une cour toute vibrante du grand soleil de midi. »
Dans cette mascarade parodique et farcesque, riche en illusions d’optique et précises descriptions de menues choses du décor, on trouve aussi la petite Emma (précurseur de Lolita ?), des papillons, un bourreau grotesque mais jovial, ayant à cœur de sympathiser avec sa victime… et une armoire gestante :
« Une large armoire à glace rutilait, apparue [dans la cellule de Cincinnatus lors de la visite de sa femme avec famille et bagages] avec ce qu’elle réfléchissait personnellement (à savoir : un petit coin de la chambre à coucher conjugale – une raie de soleil sur le plancher, un gant tombé à terre et une porte ouverte sur le fond). »

« Dans ce remue-ménage, la large armoire avec son propre reflet se dressait, pareille à une femme enceinte, tenant précautionneusement et le garant à mesure son ventre bardé de glace, de peur qu’on ne le heurtât. »

« Dans un ravin pouvait se voir une grande armoire à glace, adossée dans les douleurs de l’enfantement à un rocher. »
Métaphores typiques de l’Enchanteur :
« Mais Cincinnatus ne se sentait pas d’humeur à causer. Mieux valait la solitude – solitude percée, il est vrai, dans ce réduit à judas, rappelant une nacelle qui fait eau. »

« Sur la table, une feuille de papier étalait sa virginité et, ressortant sur cette blancheur, gisait avec un reflet d’ébène sur chacun de ses six pans, un crayon admirablement taillé, long comme la vie de n’importe quel homme, à l’exception de Cincinnatus ; crayon, descendant civilisé de notre index. »

« Avec ce lourd volume en guise de lest [un livre], j’ai plongé, savez-vous, jusqu’au fond des temps. »

Remarque : livre paru en 1938...  
Nota bene : rien à voir non plus, à ma connaissance, avec Cincinnatus Lucius Quinctius (VE s. av. J.-C.), le bouclé, parangon de vertu du citoyen romain…


Mots-clés : #fantastique #humour #reve

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Message par ArenSor Mer 29 Mai - 19:17

Des "fake novels" maintenant affraid.  Que ne ferait-on pas pour se "faire mousser" Rolling Eyes

Sans plaisanter, je n'avais jamais entendu parler de ce livre de Nabo Very Happy
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Message par Bédoulène Mer 29 Mai - 20:00

bizarre ! mais l'enfantement de l'armoire c'est quelque chose tout de même !

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Message par Tristram Mer 29 Mai - 23:27

Cette armoire n'apparaît que trois fois, c'est une des facéties de Nabokov, et il y a en sûrement d'autres que j'ai loupées...

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Message par Tristram Ven 6 Sep - 0:27

La vraie vie de Sebastian Knight

fantastique - Vladimir Nabokov - Page 2 La_vra10
(Couverture de Lucian Freud)

Peu après Roi, dame, valet, et surtout La Défense Loujine, notre féru d’échecs met en scène le cavalier ; le thème principal est au moins partiellement le même que dans son précédent roman, Le Don : biographie d’un écrivain, création littéraire.
Le narrateur, V., entreprend donc d'écrire la biographie de son demi-frère aîné, célèbre romancier brusquement décédé. Dans son amour (qui paraît n’avoir pas été payé de retour) pour ce proche qu’il a finalement peu connu, il semble victime de l’ascendant de ce dernier, auquel il s’identifie aussi plus ou moins. Et dans sa tentative d’exploration par l’écriture d’une vie méconnue, il butte répétitivement sur la difficulté à exprimer la personnalité d’un proche qui disparaît sans que l’on puisse vraiment le connaître.
« Ne perds pas de vue que tout ce qu’on te dit est en réalité triple : façonné par celui qui le dit, refaçonné par celui qui l’écoute, dissimulé à tous les deux par le mort de l’histoire. »
Avec une caricature d’enquête et l’exposé de rêves judicieusement ininterprétables, Nabokov fait usage des souvenirs d’enfance et de minutieux détails dont il a le goût, avec celui d’égarer son lecteur…
Un humour très subtil joue avec les allusions autobiographiques, comme la fine critique de l’Angleterre qui l’accueillit en exil, au travers notamment du premier biographe et ancien secrétaire de Knight, Goodman. De même, le narrateur a suivi un cours d’écriture pour se lancer dans cette rédaction, et c’est l’occasion de tourner en ridicule le métier des lettres en général.
On retrouve Mademoiselle O, la ronde gouvernante suisse de Vladimir enfant et sa fratrie, celle-là même de la nouvelle éponyme et de l’autobiographie Autres rivages :
« Elle s’appelait, elle s’appelle toujours Olga Olegovna Orlova : allitération oviforme qu’il eût été bien dommage de garder pour soi ! »
Ce portrait est aussi l’opportunité de celui, plein de perspicacité, de l’exilé ‒ émigré, expatrié :
« Ce fut pour découvrir là-bas l’existence d’un asile pour vieilles Suissesses ayant été institutrices en Russie avant la Révolution. Comme me l’expliqua le monsieur très aimable qui m’y guida, elles "vivaient dans leur passé", passant leurs dernières années – et la plupart de ces dames étaient décrépites et retombées en enfance – à comparer leurs impressions, à nourrir de l’une à l’autre de mesquines inimitiés, et à dénigrer le train dont allaient les choses dans cette Suisse qu’elles avaient redécouverte après avoir si longtemps vécu en Russie. Ce qu’il y avait de tragique dans leur cas c’était que, durant toutes ces années passées dans un pays étranger, elles étaient demeurées absolument imperméables à son influence (au point de ne même pas apprendre les mots russes les plus simples), et même un peu hostiles à leur entourage – combien de fois n’avais-je pas entendu Mademoiselle se lamenter sur son exil, se plaindre qu’on lui manquât d’égards ou qu’on ne la comprît pas, et soupirer après sa belle terre natale ! – mais quand ces pauvres âmes flottantes revenaient chez elles, elles se découvraient complètement étrangères dans une patrie transformée, – si bien que, par un étrange tour de passe-passe sentimental, la Russie (qui, dans la réalité, avait été pour elles un abîme inconnu qui grondait sourdement au-delà du coin éclairé par la lampe dans une chambre mal aérée donnant sur la cour, enjolivée de photographies de famille dans des cadres de nacre et d’une aquarelle du château de Chillon), la Russie inconnue revêtait à présent l’aspect d’un paradis perdu, d’un lieu vaste, vague mais rétrospectivement amical, peuplé de regrets illusoires. »
Mais l’essentiel n’est pas là : le thème de la biographie… est mis en abîme dans la biographie elle-même !
« Auteur écrivant biographie imaginaire recherche photos de messieurs, air compétent, sans beauté, posés, ne buvant pas, célibataires de préférence. Acheteur photos enfance, adolescence, âge viril, pour reproduction dans ledit ouvrage. »

« …] dans le premier livre de Sebastian, L’Iris du miroir (1925), l’un des personnages secondaires est une charge extrêmement comique et cruelle d’un certain auteur vivant que Sebastian trouvait nécessaire de fustiger. »

« Le sujet de son [dernier] livre est simple : un homme se meurt : vous le sentez, tout au long du livre, en train de sombrer [… »
Parodie dans la parodie :
« Ainsi qu’il le fait souvent, Sebastian se sert ici de la parodie comme d’une sorte de tremplin pour bondir dans la région la plus élevée du grave et de l’ému. »
Le, ou un des projets (?) de l’auteur :
« C’est comme si un peintre disait : "Attention ! je m’en vais vous montrer non la peinture d’un paysage, mais la peinture des différentes façons de peindre un certain paysage, et je suis sûr que de leur fusion harmonieuse naîtra à vos yeux le paysage tel que je veux que vous le voyiez." »
Ce roman est à la fois un plaisir de lecture spirituelle, une complexe exposition des conceptions littéraires de l’auteur et du problème de la « parfaite solution » d’un écrivain, une méditation sur le destin (avec prestidigitateur), une approche métaphysique de l’existence et de la mort. Sans comprendre complètement le propos de Nabokov, j’ai quand même saisi que celui-ci est parvenu à mettre du sens dans son livre !
Ainsi, il semble que l’histoire demeure perpétuellement bloquée à deux mois après le décès de Sebastian Knight…
Donc méandreux en diable :
« Le nœud le plus ardu n’est qu’une corde sinueuse ; résistant aux ongles, mais en réalité simple affaire de boucles indolentes et gracieuses. L’œil le défait, cependant que les doigts maladroits saignent. C’était lui (l’homme qui se mourait) ce nœud, et il allait être sur-le-champ dénoué, si seulement il trouvait le moyen de ne pas perdre le fil. Et pas seulement lui, mais tout serait débrouillé, – tout ce qu’il pourrait concevoir en fonction de nos puériles notions d’espace et de temps, l’une et l’autre, énigmes inventées par l’homme à titre d’énigmes, et par suite, revenant nous frapper : boomerangs de l’absurdité… Il avait à présent saisi quelque chose de réel, qui n’avait rien à voir avec aucun des sentiments ou pensées ou expériences par lesquels il pouvait avoir passé dans “le jardin d’enfants” de la vie… »
Sinon, l’astuce de la fausse biographie (d’un écrivain) n’est pas nouvelle, mais son traitement plein de malice par Nabokov me fait y soupçonner une source de l’inspiration de Philip Roth, David Lodge et/ou Enrique Vila-Matas (et je me demande si Nabokov a lu Henry James).

Mots-clés : #biographie #ecriture #portrait

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Message par Bédoulène Ven 6 Sep - 15:07

merci Tristram, ressenti et extraits en regard.

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Message par Tristram Mer 20 Jan - 20:10

Nouvelles complètes

fantastique - Vladimir Nabokov - Page 2 Nouvel11

Présentée par ordre chronologique (avec assez souvent une brève introduction de l’auteur, remise en contexte, appréciation et/ou facétie), l’intégrale des nouvelles de Nabokov révèle que celles-ci sont plus fortement marquées par l’exil que je ne l’avais réalisé. Poignante nostalgie (il excelle à évoquer les souvenirs, notamment d’enfance), mais aussi burlesque, comme dans Ici on parle russe, qui raconte comment emprisonner à vie un tchékiste dans sa salle de bain…
Parfois le lecteur partage ce mal d’un pays, d’une époque qu’il n’a pas connu, peut-être Vienne, les passantes, les ombres bleuissantes des tableaux d’avant-guerre… et il sourit à cet humour bonhomme, comme dans L’orage, où le char emballé du prophète Elie perd une roue dans la cour du narrateur, ou Une affaire d’honneur, un duel à la fois grotesque et pathétique…
La fameuse synesthésie de Nabokov, ici dans Bruits, une histoire d’amour assez cynique :
« Et soudain il devint si clair pour moi que le monde avait durant des siècles fleuri, fané, tourné, changé, à seule fin maintenant, à cet instant, de lier et fondre en un accord la voix qui avait retenti en bas, le mouvement de tes omoplates soyeuses, l’odeur des planches de pin. »
Et là dans Printemps à Fialta :
« J’adore Fialta ; je l’adore parce que je perçois dans le creux de ces syllabes violacées l’humidité douce et obscure des petites fleurs les plus froissées, et parce que le nom d’une charmante ville de Crimée, aux sonorités d’alto, est repris en écho par sa viole ; et aussi parce qu’il y a quelque chose dans la somnolence même de son Carême humide qui vous bénit l’âme d’une onction particulière. »
Fialta est une ville imaginaire, et c’est un beau texte évoquant les rencontres du narrateur avec Nina, un flirt maintes fois croisé au hasard ici et là, et abordant plus généralement les incertitudes entre passé et présent (et futur), réel et illusoire (remémoration et sentiment de la perte, récurrences de détails curieux, considérations critiques sur la littérature à propos de Ferdinand, le mari) :
« Retour sur le passé, retour sur le passé comme chaque fois que je la rencontrais, passant en revue tous les rebondissements de l’intrigue depuis le début jusqu’au dernier ajout – de même, dans les contes de fées russes, ce qui a déjà été dit est repris à chaque tournant de l’histoire. »
Un ange, dont la fourrure a une odeur animale, survient dans une station de ski : Un coup d’aile : un conte superbe, qui pourrait plusieurs fois s’interrompre accompli, et qui se poursuit de plus en plus riche de sens.
Dans Jeu de hasard, un Loujine (déjà) occasionne un convaincant portrait de cocaïnomane, et surtout l’évocation de trajectoires destinales qui ne coïncident pas, se manquant de peu.
Ce que je considérerais volontiers comme la profession de foi de l’auteur, dans Bonté :
« Je compris que le monde n’était pas du tout une lutte, n’était pas des successions de hasards rapaces, mais une joie papillotante, une émotion de félicité, un cadeau que nous n’apprécions pas. »
La Vénitienne est une élégante variation sur le thème du portrait enchanté (cf. Dorian Gray, de Wilde), que je lis pour la troisième fois, avec un plaisir intact puisque je n’en garde aucun souvenir malgré ses grandes qualités.
Je me souviens par contre au moins du titre de L'Elfe-patate, bel exemple de la sensibilité de Nabokov aux déshérités, ici des artistes du cirque.
Hédonisme/ sensualité doucement païen, cosmopolitisme, attention aux petites gens et aux détails, goût de ce qui disparaît (Guide de Berlin, texte superbe qu’on pourrait citer in extenso) :
« Comme le tram à chevaux a disparu, le trolley disparaîtra, et quelque écrivain berlinois excentrique dans les années 2020, désirant dépeindre notre époque, ira dans un musée d’histoire de la technologie pour trouver un tramway vieux d’un siècle, jaune, lourdaud, aux sièges incurvés à l’ancienne, et dénichera, dans un musée de vieux costumes, un uniforme noir de receveur orné de boutons brillants. Puis il rentrera chez lui pour décrire les rues du Berlin d’autrefois. Chaque chose, chaque détail seront précieux et chargés de sens : la sacoche du receveur, la réclame au-dessus de la fenêtre, ce cahotement bien particulier qu’imagineront peut-être nos arrière-arrière-petits-enfants, tout sera ennobli, légitimé par les ans.
Je crois que tout le sens de la création littéraire réside là : dans l’art de décrire des objets ordinaires tels que les réfléchiront les miroirs bienveillants du futur, de trouver dans les objets qui nous entourent cette tendresse embaumée que seule la postérité saura discerner et apprécier en ces temps lointains où les petits riens de notre simple quotidien auront pris d’eux-mêmes un air exquis, un air de fête – en somme le jour où le veston le plus ordinaire aujourd’hui servira de déguisement pour un élégant bal masqué. »
Malin, malicieux, magicien, Nabokov excelle dans les descriptions, les métaphores, les fantasmagories.
L’Aurélien (de "aurelia", chrysalide) :
« De temps en temps, un stock d’insectes vivants faisait son apparition : chrysalides brunes et pleines au thorax parcouru d’un réseau symétrique de lignes et de stries délicates qui se rejoignaient, laissant voir comment les rudiments d’ailes, de pattes, d’antennes et de trompes étaient ramassés. Lorsqu’on touchait à l’une de ces chrysalides, posée sur son lit de mousse, le bout effilé de l’abdomen annelé se mettait à gigoter d’un côté et de l’autre comme les membres emmaillotés d’un bébé. »
L’irrésistible : encore un voyage en train, ici rendu par petites touches d’un passager salace, mêlant avec équanimité ignoble et pragmatique.
Un homme occupé : Graf Itski le Rêveur, qui fait partie des gens de lettres émigrés, craint de mourir à ses proches trente-trois ans. Incipit du texte :
« Celui qui se préoccupe par trop de la mécanique de son âme est fatalement amené à être le témoin d’un phénomène banal mais pourtant curieux et un peu attristant ; la mort subite d’un souvenir insignifiant, rappelé par une circonstance fortuite de l’humble hospice reculé où il achevait paisiblement son existence obscure. Il clignote, il palpite encore et reflète un peu de lumière, mais l’instant d’après, sous vos yeux, il pousse un dernier soupir et tombe raide mort, victime de cette transition trop brutale vers la lumière crue du présent. Tout ce qui reste entre vos mains désormais, c’est une ombre, une transposition abrégée de ce souvenir, dépourvue, hélas, de l’authenticité magique et convaincante de l’original. Graf Itski, homme au tempérament doux et qui craignait la mort, se rappelait un souvenir d’enfance qui avait contenu une prophétie laconique ; mais il y avait longtemps qu’il ne sentait plus aucun lien organique entre lui et ce souvenir, car, lors d’une des premières convocations, ce souvenir s’était présenté tout blême pour mourir aussitôt – et de ce rêve il n’avait plus désormais que le souvenir d’un souvenir. »
… et description du personnage :
« Le voici. Son visage est composé de lunettes foncées en écaille où luit un regard aveugle, et d’une verrue duveteuse sur la joue gauche. Son crâne commence à devenir chauve et, entre les mèches raides des cheveux jaunâtres peignées en arrière, on aperçoit la peau de chamois rose pâle de son crâne. »
Le « Léonard », écrit en 1933, dénonce déjà le nazisme et l’abrutissement populaire : deux frères en rustrerie harcèlent Romantovski, un maigre lecteur.
« Répéter : tu connaîtras le monde la sueur au front, tu seras grassement nourri. Les parasites, les oisifs et les musiciens ne sont pas admis. »
Le cercle est un bel exemple de bouclage de la boucle : la nouvelle commence par le « deuxièmement » qui suit le « premièrement » de la fin ‒ où, comme le dit plus heureusement l’auteur,
« Sur le plan technique, le cercle décrit ici est du même type "du serpent se mordant la queue (la dernière phrase existe implicitement avant la première)" que celui du quatrième chapitre du Don (ou encore, c’est Finnegans Wake, qui est postérieur). »
Conçue d’après Nabokov alors qu’il achevait le roman Le Don, on retrouve
« L’idée qu’eut Fédor de composer la biographie de Tchernychevsky en forme de cercle terminé par l’agraphe d’un sonnet apocryphe (de telle sorte que le résultat n’aurait pas la forme d’un livre, ce qui par son côté achevé est opposé à la nature circulaire de toute chose dans l’existence, mais d’une phrase suivant une courbe continuelle et qui serait ainsi infinie), lui sembla tout d’abord impossible à réaliser sur du papier rectangulaire et plat ‒ et elle en fut d’autant plus transportée de joie quand elle remarqua qu’un cercle se formait néanmoins. »
Vladimir Nabokov, « Le Don », chapitre III
Cela me ramentoit notamment Les Gommes (Robbe-Grillet), et le commentaire de Leiris sur La Modification (Butor) :
« …] ce livre qu’on peut dire parfait en ce sens qu’il se referme sur lui-même et qu’il n’est pas autre chose que le récit de sa propre genèse [… »

« …] le dédale dont un modèle est proposé par ce roman où tout, certes, se passe doublement en un circuit fermé puisque le personnage y revient à son point de départ quant à sa vie privée et que, le livre s’achevant où il est pour l’écrire, la fin en rejoint le commencement, mais qui se place en apparence seulement sous le signe négatif de l’éternelle répétition puisque le personnage qui écrira ne sera plus celui qu’il était [… »
Michel Leiris, « Réalisme mythologique de Michel Butor », compte-rendu de La Modification, in « Brisées »
Léthargie :
« Énorme, vivant, un vers métrique prenait forme et, à la césure, une rime se manifestait, pleine de charme, chaudement éclairée ; comme elle brillait de plus en plus fort, apparut, telle une ombre sur le mur lorsque l’on monte un escalier, la silhouette mouvante d’un autre vers. »
Recrutement, petit texte plein d’esprit, ou comment un auteur rencontre et choisit un personnage secondaire…
Lac, nuage, château (où il est fait référence à Invitation au supplice) est l’histoire d’un doux rêveur confronté à la société vulgaire ; j’en ai retenu cette phrase, qui fait sens si on a voyagé en train (à vapeur) :
« La locomotive, jouant rapidement des coudes, courait à vive allure à travers une forêt de pins, puis, soulagée, au milieu des champs. »
Et cette fine observation sur notre perception des gens que l’on va rencontrer pour la première fois :
« Qui seraient-ils ces êtres endormis, endormis comme semble l’être toute créature que l’on ne connaît pas encore ? »
L’extermination des tyrans (1938) :
« Il a transformé mon pays de fleurs sauvages en un vaste jardin potager où l’on cajole avec un soin particulier les navets, les choux et les betteraves ; ainsi toutes les passions de la nation furent-elles réduites à l’amour des gros légumes dans une terre grasse. »

« Et, finalement, la loi qu’il édicta – le pouvoir implacable de la majorité, le sacrifice incessant à l’idole de la majorité – perdit tout sens sociologique car, à lui seul, il est la majorité. »
Lik : sobriquet d’un émigré russe mal intégré, acteur de profession jouant une pièce nommée L’abîme en tournée et sujet aux palpitations cardiaques, qui retrouve Koldounov, un haïssable cousin éloigné, tombé plus bas encore que lui.
« Il se disait qu’il avait été condamné à vivre à la périphérie de l’existence, qu’il en avait toujours été ainsi, qu’il en irait toujours de même, et que, par conséquent, si la mort ne lui avait pas ouvert une porte sur la réalité véritable, il ne serait jamais parvenu à connaître la vie. »
Mademoiselle O : évocation assez longue de son « institutrice », préceptrice française qui lui enseigna à partir de six ans le français, langue dans laquelle ce texte est écrit. Singulièrement, elle vit malheureuse en exil, alors que l’auteur le vivra par la suite, et en sera également fort marqué ; mais son vrai pays perdu, c’est l’enfance, dont il prête les souvenirs à ses personnages, comme les séances de lecture sur la véranda aux « petites fenêtres rhomboïdales et multicolores ».
« Non, maintenant que j’y pense bien – elle n’a jamais vécu. Mais désormais elle est réelle, puisque je l’ai créée, et cette existence que je lui donne serait une marque de gratitude très candide, si elle avait vraiment existé. »
Dans Ultima Thulé, chapitre d’un roman inachevé et son dernier texte en russe, Nabokov déploie une brillante sophistication de pensée, ainsi que la subtile variation solipsiste suivante :
« Et je veux bien admettre, par ailleurs – ne serait-ce qu’au nom de l’artifice – que si le monde et moi, nous vivons encore après ta disparition, c’est parce que tu te souviens et du monde et de moi… »
Solus Rex est le chapitre II de ce même roman abandonné. Histoire d’un roi apparemment réel (même s’il y a référence à celui des échecs) dans une Thulé qui paraît parfois magique.
« Une armoire en chêne, obèse, aveugle, droguée à la naphtaline, frôlait un panier à linge sale en osier, ovoïde, qu’un obscur Colomb avait posé là. »
Le producteur associé parle de populaire, populiste, bolchevique, nazi et autres espions sur fond de théâtre et de cinéma : les méprisables…
« Qui donc commande à ces infra-Rouges ? »
Un jour à Alep…
Brillantissime texte sur l’exil devant l’avancée nazie, mêlé d’humour, où le narrateur évoque dans sa correspondance à son ami écrivain les disparitions de sa femme « fantôme ».
« Imaginez un peu la scène : le minuscule jardin couvert de gravier avec sa potiche bleue style Nuits d’Arabie et son cyprès solitaire ; la terrasse craquelée où le père de la vieille dame avait sommeillé avec un plaid sur les genoux quand il se retira de son poste de gouverneur de Novgorod pour venir passer quelques dernières soirées à Nice ; le ciel vert pâle ; une bouffée de vanille dans la pénombre grandissante du soir ; les grillons qui poussaient leurs trilles métalliques deux octaves au-dessus du do du milieu ; et Anna Vladimirovna dont les bajoues se balançaient par saccades tandis qu’elle me jetait à la figure une insulte, maternelle peut-être, mais totalement imméritée. »
Un peu sur le même thème, avec cette fois un humour féroce, les soutiens révisionnistes et antisémites à l’Allemagne au sortir de la Seconde Guerre mondiale, du point de vue d’un homonyme en Amérique.
« Cela peut vous paraître un paradoxe, mais, vraiment, quand on pense à ces soldats massacrés en Europe, on se dit qu’au moins ils n’ont pas à affronter les terribles doutes que nous, civils, devons supporter en silence. »

« Aussi je sais que quand l’armée Rouge est entrée dans les villes allemandes, pas un seul cheveu n’est tombé des épaules allemandes.
‒ Tête, dit Mrs. Hall.
‒ Oui, dit le colonel. Pas une seule tête de leurs épaules. »
Signes et symboles : rendu de troubles psychiques.
« "Névrose référentielle", avait dit Herman Brink. Dans ces cas très rares, le malade s’imagine que tout ce qui se passe autour de lui est une référence voilée à sa personnalité et à son existence. […]
Des cailloux, des souillures ou encore des taches de soleil forment des motifs qui représentent, de manière assez terrible, des messages qu’il doit intercepter. Tout est chiffre, de tout il est le thème. »
Les sœurs Vane : fantaisie spiritiste.
« Je continuai ma promenade ; toute mon attention exacerbée semblait transformer mon être en un énorme globe oculaire roulant dans l’orbite du monde. »
Lance : variation cette fois science-fictionnesque (et scripturale).
« Les clichés sont, bien sûr, camouflés ; fondamentalement, ils restent les mêmes à travers toute la littérature à bon marché, qu’elle soit à l’échelle de l’Univers ou du salon. Ils sont comme ces biscuits "assortis" qui ne diffèrent que par leur forme et leur couleur, artifices par lesquels les fabricants rusés attirent sournoisement le consommateur qui salive déjà, dans un monde fou à la Pavlov où, pour le même prix, des variations de simples valeurs visuelles influencent et remplacent peu à peu le goût, lequel subit le même sort que le talent et la vérité. »

« Tout ce que je parviens à discerner, c’est un effet de lumière évanescente d’un côté de sa chevelure vaporeuse, et là, j’imagine, je suis influencé de manière insidieuse par les canons artistiques de la photographie moderne et je perçois combien il devait être plus facile d’écrire autrefois, à l’époque où l’imagination n’était pas assaillie par d’innombrables supports visuels et où un homme de la frontière, regardant son premier cactus géant ou ses premières neiges éternelles, n’était pas condamné à se rappeler telle affiche publicitaire d’une compagnie de pneus. »
Une fois n’est pas coutume, je recommande vivement la lecture de ces textes d’une grande finesse !

\Mots-clés : #nouvelle

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Message par Bédoulène Mer 20 Jan - 23:54

la recommandation est retenue Tristram, merci !

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Message par Tristram Jeu 28 Jan - 16:29

http://www.comptoirlitteraire.com/n.html, c'est le lien vers une recension des nouvelles de Nabokov, résumées et commentées (avec citations et mise en contexte bibliographique, biographique et historique) par André Durand, un prof de littérature ; j'aurais aimé l'avoir sous la main en guise de postfaces lors de ma lecture (pour amoindrir la quantité de subtilités que j'ai loupé).
Il y a aussi beaucoup d'autres choses sur Nabokov, auteur qui mérite qu'on s'y intéresse.

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Message par Tristram Ven 23 Juil - 13:22

L’Exploit

fantastique - Vladimir Nabokov - Page 2 L_expl11

Roman initiatique d’un émigré russe errant à travers l’Europe (Crimée, Grèce, etc.) suite à la révolution soviétique : descriptions de paysages, de sensations d’une enfance heureuse, voyages en train et rêves d’explorations, puis premières expériences amoureuses d’un jeune romantique. Éducation à Cambridge, amitié avec un condisciple, Darwin, et toujours « la petite étincelle qu’il recherchait partout », mais aussi une tendance certaine à fabuler.
« La pensée humaine, volant sur les trapèzes de l’univers étoilé, le filet des mathématiques tendu en dessous, était comme l’acrobate qui travaille avec un filet mais qui soudain prend conscience qu’en réalité il n’y a pas de filet, et Martin enviait ceux qui parvenaient à ce vertige et qui, grâce à de nouveaux calculs, réussissaient à vaincre leur peur. »
Oisif, il suit à Berlin Sonia (même prénom que sa mère, coïncidence où je vois volontiers un clin d’œil à la psychanalyse que Nabokov abhorrait), jeune fille dont il pense être épris, et avec qui il imagine la contrée imaginaire de Zoorland ; c’est une sorte de Russie inquiétante dont l’écrivain Boubnov (qui lui a aussi emprunté Sonia – après Darwin) lui volera le synopsis. Après de nouvelles pérégrinations (Suisse, Provence), Martin se rend en Lettonie pour traverser clandestinement la frontière russe – son expédition rêvée (mais inutile, et fatale).
Nabokov, dans un avant-propos écrit à l’occasion de la traduction de ce roman en anglais par son fils et lui-même, déclare avoir songé au titre de Glory pour rendre son intention, et précise (mais quand peut-on le croire ?) :
« …] mon dessein en écrivant ce roman − le seul de tous mes romans à répondre à un dessein − consistait à mettre en relief l’émoi et la fascination que mon jeune expatrié découvre dans les plaisirs les plus ordinaires ainsi que dans les aventures apparemment insignifiantes d’une vie solitaire. »
Selon lui,
« …] Martin. L’épanouissement personnel, tel est le thème fugué de son destin [… »
Dans ce roman tout en nuances et suggestions revient (tableau, songe, etc.) l’image d’un sentier dans la forêt (celui des premiers vers de L’Enfer de Dante ?)

\Mots-clés : #exil #reve

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Message par Bédoulène Ven 23 Juil - 14:48

merci Tristram, en réflexion !

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