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Jean-Marie Blas de Roblès

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contemythe - Jean-Marie Blas de Roblès Empty Jean-Marie Blas de Roblès

Message par Armor Lun 2 Jan - 15:31

Jean-Marie Blas de Roblès
(Né en 1954)


contemythe - Jean-Marie Blas de Roblès Portra11

Jean-Marie Blas de Roblès, né en 1954 à Sidi-Bel-Abbès dans les départements français d'Algérie, est un philosophe et écrivain français, lauréat du prix Médicis en 2008.

Jean-Marie Blas de Roblès naît en Algérie, avant que sa famille ne rentre en France et ne finisse par s'installer dans le Var. Après des études de philosophie à la Sorbonne et d'histoire au Collège de France, il part au Brésil enseigner et prend la direction de la Maison de la Culture française à Fortaleza. Il reçoit en 1982 le prix de la nouvelle de l'Académie française pour La Mémoire de riz. La Chine populaire sera sa destination suivante et il aura le privilège de donner les premiers cours sur Jean-Paul Sartre et Roland Barthes à l'université de Tianjin. En 1987 paraît son premier roman L'Impudeur des choses, suivi du Rituel des dunes en 1989. Pendant ce temps, il enseigne à Palerme, en Italie, ou encore à Taïwan.

Au début des années 1990, Jean-Marie Blas de Roblès va abandonner l'enseignement pour se consacrer à l'écriture et entamer son troisième roman qu'il mettra de nombreuses années à achever, Là où les tigres sont chez eux. Durant cette période, il publiera essentiellement des essais ou des textes poétiques en revue.

À partir de 1986, il participe aux fouilles sous-marines de la Mission archéologique française en Libye. Il dirige actuellement la collection Archéologies qu'il a créée chez Edisud et qui vise à vulgariser l'archéologie. Il est également responsable de rédaction de la revue Aouras consacrée à la recherche archéologique sur l'Aurès antique.

Bibliographie

Romans et nouvelles
1982 : La Mémoire de riz et autres contes (nouvelles)
1987 : L'Impudeur des choses
1989 : Le Rituel des dunes
2008 : Méduse en son miroir (et autres textes)
2008 : Là où les tigres sont chez eux
2010 : La Montagne de minuit
2011 : La Mémoire de riz
2012 : Les Greniers de Babel
2014 : L'Île du Point Némo

Poésie
1983 : D'un Almageste les fragments : Périhélie, L'Alphée, no 10
1986 : D'un Almageste les fragments : Sur des ruines Le Chat bleu, cahier no 3
1990 : D'un Almageste les fragments : Pancrace, Bruno Grégoire, Poésies aujourd'hui, Seghers
2006 : Alerte, catacombes, Le Mâche-Laurier, no 24
2015 : Hautes Lassitudes

Essais
1991 : Une certaine façon de se taire..., Quai Voltaire, no 3
1999 : Libye grecque, romaine et byzantine
2003 : Sites et Monuments antiques de l'Algérie, avec Claude Sintes
2004 : Vestiges archéologiques du Liban, avec Dominique Piéri et Jean-Baptiste Yon
2011 : Sicile antique, avec Bernard Birrer et Hervé Danesi


Dernière édition par Armor le Lun 2 Jan - 15:39, édité 1 fois
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Message par Armor Lun 2 Jan - 15:35

contemythe - Jean-Marie Blas de Roblès Liledu10

L'île du point Némo

Quel curieux objet littéraire que ce livre ! Comment dire… L'imagination est poussée à un degré tel que s'en est complètement barré. Je pense qu'il y a quelques années j'aurais pu détester : trop étrange, parfois outrancier, parfois grivois, vraiment trop, trop dans tous les domaines ! Et pourtant, j'ai apprécié cette lecture.

Alors pourquoi ?

Tout simplement, je pense, parce que ce livre est vraiment, nul ne pourrait le nier, l'œuvre d'un érudit. Mais là où l'érudition pouvait être quelque peu ostentatoire dans le génial Là où les tigres sont chez eux, elle n'est ici qu'au service de la fantaisie la plus totale.  
Le propos de départ, la quête éperdue d'un diamant volé, n'est que le prétexte à une course échevelée, à la fois pastiche et hommage des œuvres de Jules Verne et de Conan Doyle _ entre autres_ que l'auteur connaît visiblement sur le bout des doigts. Il les connaît si bien, ces grands écrivains du XIXème, que le lecteur se laisse entraîner dans un jeu de piste littéraire, se prenant à chercher les multiples clins d'œil, à rire des anachronismes savamment distillés pour mieux le perdre, et si souvent, à rester ébaubi devant l'imagination toujours plus débridée d'un auteur qui ne s'interdit décidément rien.
Si le récit principal reste de facture somme toute assez proche des auteurs dont il se fait l'élève malicieux, les intermèdes qui parsèment le livre, quand à eux, poussent l'imagination toujours plus loin, et m'ont parfois laissée tout estourbie… oui, réellement bouche bée devant les trouvailles toujours plus ahurissantes de ce diable d'auteur. Et qu'importe si le lien entre la trame principale et les récits secondaires n'a aucun caractère d'évidence...

Avec cet ouvrage plus que curieux, Jean-Marie Blas de Roblès réussit le tour de force de produire un roman qui respecte tous les codes des auteurs qu'il pastiche tout en étant résolument moderne. Son érudition, toujours aussi plaisante, ne perd jamais le lecteur mais au contraire l'incite à plus de curiosité, et le comble d'anecdotes savoureuses.
Et puis, dissimulées derrière la farce, pointent une gravité et une mélancolie qui poussent à la réflexion, notamment sur la place des livres et des auteurs dans un monde qui a tendance à oublier à quel point ils lui sont indispensables...

Ce roman foisonnant et si étrange est impossible à conseiller. Toujours puis-je vous dire que, sans avoir ressenti l'immense coup de coeur que fut pour moi la révélation Là où les tigres sont chez eux, j'ai passé un très bon moment. Souvent amusée, régulièrement ahurie, immanquablement admirative. Et parfois, aussi, allez je l'avoue, quelque peu agacée devant certaines facilités indignes de ce talent hors norme…
Je comprends qu'on adore, je comprendrais aisément qu'on déteste. Mais pour peu que l'on se laisse aller, cette lecture peut se révéler, oui, assez jouissive.

(Ancien commentaire remanié)


mots-clés : #aventure #creationartistique
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Message par Chamaco Lun 2 Jan - 16:17

Rapatriement et regroupement de bribe de commentaires sur le livre :"Là où les tigres sont chez eux "

c'est un livre que j'ai adoré, comme il a été dit un veritable kaléidoscope avec en grande partie le Bresil comme décor, à lire si ce n'est déjà fait...
Dialogue entre Roetgen (prof français au Brésil) et Joao (pêcheur brésilien analphabète) :
---Roetgen : "Nous avons des trains à grande vitesse, des Airbus et des fusées, Joao, des ordinateurs qui calculent plus rapidement que nos cerveaux et contiennent des encyclopédies complètes. Nous avons un grandiose passé littéraire et artistique, les plus grands parfumeurs, des stylistes géniaux qui fabriquent de magnifiques déshabillés dont trois de tes vies ne suffiraient pas à payer l'ourlet. Nous avons des centrales nucléaires dont les déchets resteront mortels pendant dix mille ans, peut être plus, on ne sait pas vraiment....
Tu imagines ça, Joao, dix mille ans! Comme si les premiers Homo sapiens nous avaient légué des poubelles assez infectes pour tout empoisonner autour d'elles jusqu'à nos jours! Nous avons aussi des bombes formidables, de petites merveilles capables d'éradiquer pour toujours tes manguiers, tes caïmans, tes jaguars et tes perroquets de la surface du Brésil. Capables d'en finir avec ta race, Joao, avec celle de tous les hommes! Mais, grâce à Dieu, nous avons une trés haute opinion de nous-mêmes."


finalement c'est vraiment une bribe contemythe - Jean-Marie Blas de Roblès 3866672782 alors que ce livre mérite beaucoup plus, un ensemble d'histoires qui vont en parallèle dans plusieurs directions, un foisonnement d'images avec notamment un voyage sur le fleuve du Bresil, une belle écriture qui fait voyager...
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Message par Tristram Lun 2 Jan - 16:34

Ce que tu dis, Armor, correspond bien à ce que revendique cet auteur dans le fameux Là où les tigres sont chez eux :

Blas a écrit:« Toute l’histoire de l’art, et même de la connaissance, est faite de cette assimilation plus ou moins poussée de ce que d’autres ont expérimenté avant nous. Personne n’y échappe depuis que le monde est monde. Il n’y a rien à en dire, sinon que l’imagination humaine est bornée, ce que nous savons depuis toujours, et que les livres ne se font qu’avec d’autres livres. Les tableaux avec d’autres tableaux. On tourne en rond depuis le début, autour du même pot, de la même gamelle ! »
« Pour nous permettre une seule phrase sans guillemets, il faudrait avoir en mémoire l’ensemble de ce qui a été écrit et prononcé depuis la nuit des temps ! Cette recherche en paternité serait infinie, elle conduirait au silence, tout simplement. […] Où s’arrêtent les guillemets ? […] ce qui importe, c’est la matière grise universelle, pas les individus qui s’en trouvent par hasard, ou s’en rendent sciemment, propriétaires. »
« Ce ne sont pas les mots qui importent, c’est ce qu’ils modifient autour d’eux, ce qu’ils font germer dans l’esprit qui les accueille. »
chapitre XXIII

Il cite aussi Voltaire (Lettres philosophiques) avec cette bien jolie formule :

Il en est des livres comme du feu dans notre foyer : on va prendre ce feu chez son voisin, on l’allume chez soi, on le communique à d’autres, et il appartient à tous."

C'est le grand hymne à l'intertextualité !

Et il y a bien d'autres choses (à lire) dans Là où les tigres :

« …] l’obstination poignante et maladive que nous mettions à romancer notre existence. Le message, s’il y en avait un, se résumait à cela : que le reflet l’emportait toujours sur l’objet reflété, que l’anamorphose surpassait en puissance de vérité ce qu’elle avait à première vue distordu et métamorphosé. Son ultime but n’était-il pas d’unir le réel et la fiction en une réalité nouvelle, en un relief stéréoscopique ? »
Jean-Marie Blas de Roblès, « Là où les tigres sont chez eux », « Triste épilogue »

_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Tristram Mer 27 Mai - 1:28

L’île du Point Némo

contemythe - Jean-Marie Blas de Roblès Liledu10

Armor a présenté mieux que je ne pourrais le faire ce roman difficile à décrire.
Il est écrit sur le mode de l’excentricité anglosaxonne, avec d’ailleurs le même esprit humoristique qui tombe invariablement dans le douteux, l’érotique voire la scatologie.
« ‒ Et, Dieu me pardonne, continua Holmes, un exemplaire du Tarot comme grammaire du monde relié en peau de seins ! »

« Si certains lecteurs ont eu à enflammer un manchot mort au cours de leur existence, il ne fait guère de doute qu’ils se comptent sur les doigts d’une main. C’est donc pour l’immense majorité des autres que nous détaillerons la manière de procéder. »
Donnant dans le loufoque, le ton peut devenir grinçant :
« Le lecteur se souvient peut-être de l’affreuse histoire qui endeuilla jadis la plantation de Falconhurst, en Alabama. Le vieux Warren Maxwell y avait un élevage de nègres dont la prospérité faisait des envieux jusqu’en Louisiane. »
Il s’agit d’une aimable reprise des poncifs de Conan Doyle, Jules Verne (voire Henri Vernes avec ses Bob Morane et Monsieur Ming, ici Monsieur Wang), mais aussi Raymond Roussel, Melville et même Lovecraft, à la fois pastiche et jeu intertextuel, du Périgord au Transsibérien.
Blas de Roblès juxtapose des faits réels et curieux, tels que les lectures littéraires dans les manufactures de cigares, le huitième continent, etc.
« À la lecture des faits divers, songe Arnaud, on jurerait que la réalité produit plus de fiction que ne saurait en absorber la littérature. »
Et même le titre est avéré.
« ‒ Le "Point Némo", disiez-vous ?
‒ Oui, c’est le joli nom donné par les scientifiques au "pôle maritime d’inaccessibilité", l’endroit de l’océan le plus éloigné de toute terre émergée. »
L’auteur s’adonne avec jouissance au goût baroque du grotesque, des cabinets de curiosités et des listes vertigineuses, ainsi que du cirque :
« …] Eko et Iko les "cannibales équatoriens à tête de mouton", deux Afro-Américains albinos qui commençaient ainsi leur carrière, mais la termineraient trente ans plus tard comme "ambassadeurs de la planète Mars découverts près des restes de leur vaisseau spatial dans le désert de Mojave" [… »
Il y a une part d’uchronie (terrifiante ici) :
« Parmi toutes ces exhibitions de scènes désuètes ou disparues, une vitrine provoquait immanquablement de petits rires teintés de mépris, celle d’une librairie reconstituée d’après les meilleures sources, à l’image de celles qui existaient avant la fracture numérique responsable de leur éradication définitive. On y voyait de faux lecteurs autour de faux libraires cachectiques classant des piles de faux livres. »
D’ailleurs l’affreux Monsieur Wang est le fondateur de B@bil Books, une entreprise de liseuses électroniques installée dans les locaux d’une fabrique de cigares périgourdine, et ruinée.
Au terme d’une mise en abyme experte des récits entrelacés, nous retrouvons des considérations générales sur la littérature telles que je les prise.
« Si l’on y réfléchit un peu, tout livre est l’anagramme d’un autre. Peut-être même de plusieurs. Il n’appartient qu’au lexique d’être celui de tous les autres. »

« ‒ Tout se passe, dit-elle en préambule, tout se passe comme s’il n’y avait qu’une seule histoire à raconter, un seul récit dont certains pans ressurgissent par bribes, se complètent ou se nient au fur et à mesure qu’ils affleurent à la mémoire. La longue approche en hélice d’un cœur sombre qui ne se laisse deviner que par la récurrence de motifs obstinés et mystérieux. »
Une telle lecture constitue un régal, même si je n’y ai pas trouvé la substance ou l’éclat de livres approchant des mêmes thèmes, tel que L'Île du jour d'avant d’Umberto Eco, ou Là où les tigres sont chez eux

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Message par Bédoulène Mer 27 Mai - 12:33

merci Tristram ! je note en cachette)

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Message par Tristram Sam 27 Nov - 11:34

La Mémoire de riz

contemythe - Jean-Marie Blas de Roblès La_mzo10

Vingt-deux nouvelles, généralement avec une part de fantastique (au moins d’après la perception du lecteur) et souvent situées en mer (Méditerranée et Bretagne), ou dans le passé (même si ce n’est parfois qu’une impression). Aussi une large part de recours à la mythologie, à la folie, aux associations et autres coïncidences, toujours avec une grande précision de vocabulaire, une imagination débordante et l’emploi de "faits divers" peu connus mais fort curieux.
Le scénario à la Borges de la nouvelle éponyme m’a paru irrecevable : qu’on puisse faire tenir une page de texte sur chacun des cinq mille grains de riz, soit ; qu’on puisse lire ces pages en désordre en leur trouvant toujours un sens est plausible (les 155 chapitres de Marelle, de Julio Cortázar, peuvent déjà être lus selon deux agencements), mais que les combinaisons de lecture restituent les œuvres perdues de maîtres anciens est inconcevable, même pour constituer une réponse aux « questions essentielles ». Dommage, ce conte a beaucoup de charme.
Loi Cioran est une intéressante anticipation de la profusion des livres : « elle stipulait que l’auteur d’un livre devrait payer de sa vie l’honneur d’une édition », ce qui calma le flux des parutions, tandis que la pléthore des livres existants est archivée en orbite − jusqu’à explosion de cette bibliothèque céleste, avec cette belle variation d’autodafé :
« Pour une minorité, dont je fais partie, la loi Cioran reste un souvenir empreint de nostalgie. Par nuit claire, nous sommes encore quelques rhapsodes à sortir dans les clairières. Nous allumons un feu de joie avec les nouvelles parutions de la semaine, et pendant que l’un d’entre nous récite, les autres regardent tomber les livres. Ils brûlent un à un au contact de l’atmosphère comme de minuscules étoiles filantes, plus ou moins lumineuses ou colorées. Le phénomène est rare, mais certains d’entre eux laissent dans le ciel d’éblouissantes traînées qui scintillent d’une façon singulière avant de disparaître. »
Le Quartette d’Alexandrie est un hommage à l’Alexandrie de Cavafy et Durrell.
L’Échiquier de Saint Louis, c’est celui sur lequel joue le roi, revenu de la septième croisade, contre un mystérieux Arabe ; le conte comme l’échiquier de cristal contiennent un vertigineux emboîtement d’ensorcelantes mises en abyme dans le genre des Mille et Une Nuits.
« Une accélération vertigineuse, et ce sont les sauriens, les lourdes hésitations diluviennes et leurs projets de mammifères avortés, les naissances tératologiques avec leurs cathédrales d’os enlisées dans la neige, et, tout à coup, l’homme, la bête nue, comme un paroxysme d’erreur à cet absurde foisonnement de monstres. »
Félix est l’histoire d’un homme heureux et sage, qui vieillit ; il apprécie les personnes selon leur nature, pas leurs opinions.
« En eux il appréciait les hommes et non les supporters d’une quelconque politique, persuadé qu’en la matière les choses se jouaient dans la façon d’être des gens plutôt que dans leurs velléitaires affirmations de force ou de générosité. »
J’eus d’emblée une impression de rapprochement tant stylistique que thématique avec Michel Rio ; d’un autre côté, je me suis aussi fréquemment ramentu Jules Barbey d’Aurevilly.
De beaux morceaux !

\Mots-clés : #contemythe #nouvelle

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Message par Bédoulène Sam 27 Nov - 20:14

merci Tristram

" mais que les combinaisons de lecture restituent les œuvres perdues de maîtres anciens est inconcevable, même pour constituer une réponse aux « questions essentielles »." sauf si l'on accepte le fantastique, non ?

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Message par Tristram Sam 27 Nov - 20:41

C'est difficile à expliquer : il y a toujours un degré de crédulité consentie selon une convention tacite entre le lecteur et l'auteur. Si ce dernier me dit : "il chevauche un rayon de soleil" dans un poème ou un rêve, je n'ai pas de souci. Là, c'est une histoire présentée comme passée, mais réelle, et qui doit donc être plausible ; or elle faillit à ses propres règles. C'aurait pu être effectivement une immixtion de type fantastique ou onirique, mais ce n'est pas le cas ici : il me semble que l'auteur a dérogé à son propre protocole de départ. S'il avait écrit : "Je me demandais si les combinaisons possibles des pages pouvaient permettre de reconstituer toutes les œuvres perdues des maîtres anciens", ça passait pour moi...
Borges, justement, n'est jamais pris en défaut dans ce genre de situation ; c'est peut-être même un critère d'excellence, cette cohérence infaillible de l'œuvre avec elle-même.

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Message par Bédoulène Dim 28 Nov - 17:10

donc l'auteur fait comme si c'était une réalité mais pas une question de possible, si j'ai compris ton exemple.

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Message par Tristram Dim 28 Nov - 18:42

Oui, c'est la convention qu'il propose au départ.

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Message par Tristram Lun 2 Mai - 12:09

Le Rituel des dunes

contemythe - Jean-Marie Blas de Roblès Le_rit10

Incipit du prologue :
« Macao, et c’est presque le soir sur la terrasse du Boa Vista. Roetgen est assis derrière les balustres rongés par les embruns, entre deux des colonnes – vert amande et blanc alternés – qui rythment la façade victorienne de l’hôtel. Sur la Baía da Praia Grande, la mer, jaune sale et affligée de maladives taches roses, se confond maintenant avec le ciel. L’air, pourtant immobile, apporte par instants de vagues odeurs de seiche et de poulpes salés. Collée au mur, une tarente, si rapide à gober d’invisibles insectes, paraît concentrer au nœud de sa transparence les molécules même de l’attente. »
Roetgen, une sorte d’aventurier, Français qui a vécu sous de nombreux cieux, en provenance de Fortaleza s’est installé à Tientsin, puis à Macao. Alcoolique et hanté par l’idée de la mort, il médite sur sa vie, évocation haute en couleur du milieu des résidents, pas celui des businessmen du « Do you buy or sell? », mais « les "experts minables" de Pékin – qualification inventée par lui pour différencier les collaborateurs étrangers payés par la Chine de ceux, les "experts riches", rétribués par leur pays d’origine [… », dans le sillage de « la grande époque des concessions étrangères »…
Dans cette marge éclectique et interlope, Beverly, de Key West, se démarque par des expériences particulièrement poussées (misère profonde, richesse, sexe, etc.) dans une vision très particulière et personnelle de remise en question décomplexée de son existence et une grande « aptitude à la liberté » ; ils ont une liaison, et exceptionnellement se confient l’un à l’autre. Nombre d’autres personnages fort typés paraissent dans cet univers exotique, collègues comme Warren son cohabitant homosexuel, bavard et scabreux, son copain canadien, Lafitte, « ce con de Lafitte », qui passa une nuit dans un chaudron de la Cité Interdite sous haschisch, ou l’Allemand Hugo, personnage lui de Section découpage des porcs, polar lu par Roetgen à Beverly, et qu’il a écrit à quatre mains avec son ami Hermelin (si bien que seul un chapitre sur deux est raconté, ce qui diffracte davantage encore la mise en abyme).
La société chinoise est regardée en immersion, vue de l’intérieur avec un décalage.
« …] la xénophobie latente et le nationalisme puérils du régime communiste. »

« Chacun, il le savait, se fabriquait une Chine à sa mesure, et cette image nous était renvoyée telle quelle par un pays doté d’une formidable capacité de digestion et de mimétisme. »
Le regard sur la Chine est à la fois significatif et faussé.
« Cela débutait toujours de la même manière : le fait de se savoir surveillé en permanence, la certitude qu’on lisait votre courrier, induisaient le sentiment d’un déni de justice puis d’une trame hostile qui tournaient immanquablement au délire de persécution. »
Cette expérience cosmopolite que lui donne l’expatriation dans divers pays change les perceptions de Roetgen et façonne ses réflexions.
« L’heure n’était plus aux engagements, il fallait s’arrêter, se dépouiller de toute croyance religieuse ou idéologique. S’efforcer de penser, d’être lucide sur notre condition. »
Le Repos précieux des Monstres désirables est l’histoire (également enchâssée) de l’empereur Hsuan Tsang, qui avait deux visages et aima une femme à deux têtes.
« Après quelques années de ce perpétuel tourment, Tsang comprit enfin que, pour un être difforme, l’amour ou l’amitié ne pouvaient exister que dans une société de monstres, là même où la disgrâce, se dissolvant dans le nombre de ses miroirs, constituerait la règle unique : il ne mènerait une vie normale que parmi tout un peuple d’anormaux. »

« …] qui n’a goûté à la perversité suprême consistant à honorer la femme consentante, tout en forçant au même instant celle qui se refuse, ne saurait comprendre la singulière jouissance de l’empereur. »
Et Beverly révèle son autre face, la démence, ou peut-être la mystification d’une mythomane qui demande qu’on lui raconte des histoires.
En conclusion, leur promenade rituelle sur les dunes de Fortaleza suscita une étrange permutation de leurs personnes, son ami Andreas et lui, « l’inversion du sens, la mise en abyme, l’anamorphose de soi-même sous le soleil ».
« Un événement presque anodin, une tranquille inversion comme aucun miroir n’en rêva jamais. »

« Nul besoin d’un miroir pour comprendre la métamorphose qui venait de se produire. »
Ce jeu de miroir final ne m’a pas totalement convaincu, tenant peut-être mal les promesses du début de ce roman, qui annonce le remarquable Là où les tigres sont chez eux (où Roetgen réapparaîtra).
Baroque, bigarré, dense, ce texte rend excellemment le charme amer de la condition d’expatrié, ses péripéties, ses petites misères, ses avanies et ses découvertes, son optique tellement différente (l’atmosphère m’a aussi ramentu celle d’Un Américain bien tranquille, de Graham Greene).
« "Même si c’est vrai, c’est faux", disait Henri Michaux. Et réciproquement, songe Roetgen. Ainsi de cette histoire, de ce conte, plutôt, où réalité et fiction s’étaient enchevêtrées. »

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Message par Bédoulène Lun 2 Mai - 16:11

merci Tristram, cet auteur me tente beaucoup !

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Message par Nadine Mer 4 Mai - 20:57

Armor, tu en as lu depuis ton dernier post du coup, de ton côté ? Vous donnez un peu envie, hein.Very Happy
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Message par Tristram Mer 17 Aoû - 13:32

La Montagne de minuit

contemythe - Jean-Marie Blas de Roblès La_mon10

Bastien Lhermine, gardien dans un établissement jésuite lyonnais, est mis d’office à la retraite (c'est-à-dire envoyé à l’hospice). Passionné de lamaïsme et de tantrisme, il fait la connaissance de sa voisine, Rose Sévère, et de son jeune fils, Paul. C’est ce dernier qui raconte l’histoire, soumettant son manuscrit à sa mère, historienne, qui le commente et le complète, enquêtant de son côté.
« Si vous vous intéressez un peu au Tibet, vous savez que les coïncidences n’existent pas, il n’y a que des rencontres nécessaires. »

« …] je suis parti tout seul au musée Guimet. C’est là, au détour d’un couloir, que j’ai rencontré mon premier mandala. Aujourd’hui, je dirais que c’est lui, en quelque sorte, qui m’a trouvé… mais je m’y suis perdu corps et âme jusqu’à l’heure de la fermeture, et il m’a fallu toute une vie pour comprendre que le centre d’un labyrinthe avait moins de valeur que nos errements pour y parvenir. »
Rose emmène Bastien à Lhassa, sur les traces d’Alexandre David-Néel et de bien d’autres, dans un pays où il n’est encore jamais allé.
Exotisme garanti, dépaysement complet, étrangetés diverses, comme les « pigeons à sifflet »…
« Les étals regorgent d’outres de beurre, de barates effilées comme des carquois, de quartiers de viande posés à terre sur des cartons gorgés de sang ; peaux de mouton, cuirs de yack, briques de thé séché débordent des sacs en jute. Dans les odeurs de tourbe et de beurre rance, un arracheur de dents chinois exerce son métier sur un apache, torsade amarante dans les cheveux, qui repousse la fraise pour mieux tirer sur son mégot. La tête enfouie dans une toque de fourrure géante, à croire qu’il a trois renards vivants entortillés sur le crâne, un Tibétain parcheminé vend sa camelote de faux jade. Ici, des petites pommes enrobées de caramel rouge, là des colliers de fromage en rondelles, dures comme de la pierre. Les sourds mugissements d’un groupe de moines avec cloches et tambourins à boules fouettantes dominent cette cohue. »
Au Potala, Bastien (qui a rêvé qu’il chevauchait un tigre en montagne, signe de mort) connaît une expérience mystique et tombe dans le coma en regardant la « Montagne de fer », le Chakpori, où se dressait un vénérable sanctuaire que les Chinois ont détruit et remplacé par une antenne de télévision (Blas de Roblès souligne l’occupation par l’armée chinoise, la « sinisation inéluctable du Tibet. ») Bastien meurt en prononçant « Le Mont Analogue » (titre d’un livre de René Daumal que je veux lire depuis des décennies, et qui sera ma prochaine lecture).
Or Bastien aurait appartenu aux « Brigades tibétaines de la SS », chargées de rien de moins que « de reconstituer la mémoire perdue de la race aryenne » !
Cette aventure prenante s’achève sur la dénonciation de l’amalgame conspirationniste entre occultisme, quête mystique et histoire trafiquée.
« − Depuis que les hommes ne croient plus en Dieu, dit-il en soupirant, ce n’est pas qu’ils ne croient plus en rien, c’est qu’ils sont prêts à croire en tout… Une remarque de Chesterton, si j’ai bonne mémoire, mais qui résume assez bien ce que je viens de vous dire. »

« Un enfant attend tout d’un conte, sauf la réalité. Des histoires d’ogres, de sorcières, de petites filles dévorées par les loups, peu importe pourvu qu’on le détourne de ses propres angoisses. »
Ce bref roman aussi bien construit qu’écrit m’a un peu déçu dans son long épilogue – et m’a donné l’envie de retourner au musée Guimet, que je retrouverais sans doute fort changé, comme il en fut de celui de Cluny lors de mon récent passage à Paris.

\Mots-clés : #complotisme #initiatique #lieu #spiritualité #voyage

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Message par Bédoulène Mer 17 Aoû - 17:21

ne pas lire l'épilogue ? mais..........

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Message par Tristram Ven 31 Mar - 12:56

Dans l'épaisseur de la chair

contemythe - Jean-Marie Blas de Roblès Dans_l16

Le roman commence par un passage qui développe heureusement la superstition des marins, ici des pêcheurs à la palangrotte sur un pointu méditerranéen, Manuel Cortès, plus de quatre-vingt-dix ans, et son fils, le narrateur. Ce dernier veut recueillir les souvenirs paternels pour en faire un livre. Et c’est accroché au plat-bord de l’embarcation dont il est tombé, seul en mer, qu’il commence le récit de la famille, des Espagnols ayant immigré au XIXe en Algérie pour fuir sécheresse et misère : des pieds-noirs :
« Le problème est d’autant plus complexe que pas un seul des Européens qui ont peuplé l’Algérie ne s’est jamais nommé ainsi. Il faut attendre les derniers mois de la guerre d’indépendance pour que le terme apparaisse, d’abord en France pour stigmatiser l’attitude des colons face aux indigènes, puis comme étendard de détresse pour les rapatriés. Il en va des pieds-noirs comme des Byzantins, ils n’ont existé en tant que tels qu’une fois leur monde disparu. »
À Bel-Abbès, ou « Biscuit-ville », Juan est le père de Manuel, antisémite comme en Espagne après la Reconquista, et « n’ayant que des amis juifs »… Ce sont bientôt les premiers pogroms, et la montée du fascisme à l’époque de Franco, Mussolini et Hitler.
« En Algérie, comme ailleurs, le fascisme avait réussi à scinder la population en deux camps farouchement opposés. »

« Le Petit Oranais, journal destiné "à tous les aryens de l’Europe et de l’univers", venait d’être condamné par les tribunaux à retirer sa manchette permanente depuis 1930, un appel au meurtre inspiré de Martin Luther : "Il faut mettre le soufre, la poix, et s’il se peut le feu de l’enfer aux synagogues et aux écoles juives, détruire les maisons des Juifs, s’emparer de leurs capitaux et les chasser en pleine campagne comme des chiens enragés." On remplaça sans problème cette diatribe par une simple croix gammée, et le journal augmenta ses ventes. »
Est évoquée toute l’Histoire depuis la conquête française, qui suit le modèle romain.
« Bugeaud l’a clamé sur tous les tons sans être entendu : "Il n’est pas dans la nature d’un peuple guerrier, fanatique et constitué comme le sont les Arabes, de se résigner en peu de temps à la domination chrétienne. Les indigènes chercheront souvent à secouer le joug, comme ils l’ont fait sous tous les conquérants qui nous ont précédés. Leur antipathie pour nous et notre religion durera des siècles." »

« Cela peut sembler incroyable aujourd’hui, et pourtant c’est ainsi que les choses sont advenues : les militaires français ont conquis l’Algérie dans une nébulosité romaine, oubliant que le songe où ils se coulaient finirait, comme toujours, et comme c’était écrit noir sur blanc dans les livres qui les guidaient, par se transformer en épouvante. D’emblée, et par admiration pour ceux-là mêmes qui avaient conquis la Gaule et gommé si âprement la singularité de ses innombrables tribus, les Français ont effacé celle de leurs adversaires : ils n’ont pas combattu des Ouled Brahim, des Ouled N’har, des Beni Ameur, des Beni Menasser, des Beni Raten, des Beni Snassen, des Bou’aïch, des Flissa, des Gharaba, des Hachem, des Hadjoutes, des El Ouffia, des Ouled Nail, des Ouled Riah, des Zaouaoua, des Ouled Kosseir, des Awrigh, mais des fantômes de Numides, de Gétules, de Maures et de Carthaginois. Des indigènes, des autochtones, des sauvages. »

« Impossible d’en sortir, tant que ne seront pas détruites les machines infernales qui entretiennent ces répétitions. »
Dans l’Histoire plus récente, le régime de Vichy « réserva les emplois de la fonction publique aux seuls Français "nés de père français" », et fit « réexaminer toutes les naturalisations d’étrangers, avec menace d’invalider celles qui ne seraient pas conformes aux intérêts de la France. Ces dispositions, qui visaient surtout les Juifs sans les nommer, impliquaient l’interdiction de poursuivre des études universitaires. »
« Exclu du lycée Lamoricière, André Bénichou, le professeur de philo de Manuel, en fut réduit à créer un cours privé dans son appartement. C’est à cette occasion qu’il recruta Albert Camus, lui-même écarté de l’enseignement public à cause de sa tuberculose. Et je comprends mieux, tout à coup, pourquoi l’enfant de Mondovi, coincé à Oran, s’y était mis à écrire La Peste. »
Manuel se tourne vers la pharmacie, puis la médecine, s’engage pendant la Seconde Guerre, et devient chirurgien dans un tabor de goumiers du corps expéditionnaire français en Campanie.
« Sur le moment, j’aurais préféré l’entendre dire qu’il avait choisi la guerre « pour délivrer la France » ou « combattre le nazisme ». Mais non. Il s’était presque fâché de mon insistance : Je n’ai jamais songé à délivrer qui que ce soit, ni ressenti d’animosité particulière contre les Allemands ou les Italiens. Pour moi, c’était l’aventure et la haine des pétainistes, point final. »

« Quand le tabor se déplaçait d’un lieu de bataille à un autre, les goumiers transportaient en convoi ce qu’ils avaient volé dans les fermes environnantes, moutons et chèvres surtout, et à dos de mulet la quincaillerie de chandeliers et de ciboires qu’ils pensaient pouvoir ramener chez eux. Ils n’avançaient que chargés de leurs trophées, dans un désordre brinquebalant et coloré d’armée antique. […]
Les autorités militaires offrant cinq cents francs par prisonnier capturé, les goumiers s’en firent une spécialité. Et comme certains GI ne rechignaient pas à les leur racheter au prix fort pour s’attribuer l’honneur d’un fait d’armes, il y eut même une bourse clandestine avec valeurs et cotations selon le grade des captifs : un capitaine ou un Oberstleutnant rapportait près de deux mille francs à son heureux tuteur ! »

« Officiellement, la circulaire d’avril 1943 du général Bradley était très explicite sur ce point : pour maintenir le moral de l’armée il ne fallait plus parler de troubles psychologiques, ni même de shell shock, la mystérieuse « obusite » des tranchées, mais d’« épuisement ». Dans l’armée française, c’était beaucoup plus simple : faute de service psychiatrique – le premier n’apparaîtrait que durant la bataille des Vosges – il n’y avait aucun cas recensé de traumatisme neurologique. Des suicidés, des mutilations volontaires, oui, bien sûr, des désertions, des simulateurs, des bons à rien de tirailleurs ou de goumiers paralysés par les djnouns, incapables de courage physique et moral, ça arrivait régulièrement, des couards qu’il fallait bien passer par les armes lorsqu’ils refusaient de retourner au combat, mais des cinglés, jamais. Pas chez nous. Pas chez des Français qui avaient à reconquérir l’honneur perdu lors de la débâcle.
Mon père m’a raconté l’histoire d’un sous-officier qu’il avait vu se mettre à courir vers l’arrière au début d’une attaque et ne s’était plus arrêté durant des kilomètres, jusqu’à se réfugier à Naples où on l’avait retrouvé deux semaines plus tard. Et de ceux-là, aussi, faisant les morts comme des cafards au premier coup d’obus. J’ai pour ces derniers une grande compassion, tant je retrouve l’attitude qui m’est la plus naturelle dans mes cauchemars de fin du monde. Faire le mort, quitte à se barbouiller le visage du sang d’un autre, et attendre, attendre que ça passe et ce moment où l’on se relèvera vivant, quels que soient les comptes à rendre par la suite.
Sommes-nous si peu à détester la guerre, au lieu de secrètement la désirer ? »
S’accrochant toujours à sa barque, le narrateur médite.
« Dès qu’on se mêle de raconter, le réel se plie aux exigences de la langue : il n’est qu’une pure fiction que l’écriture invente et recompose. »
Heidegger, le perroquet que le narrateur a laissé au Brésil et devenu « une sorte de conscience extérieure qui me dirait des choses tout en dedans », renvoie à Là où les tigres sont chez eux.
« Heidegger a beau dire qu’il s’agit d’une coïncidence dénuée d’intérêt, je ne peux m’empêcher d’en éprouver un vertige désagréable, celui d’un temps circulaire, itératif, où reviendraient à intervalles fixes les mêmes fulgurances, les mêmes conjonctures énigmatiques. »
Ayant suivi des cours de philosophie (tout comme Manuel qui « s’inscrivit en philosophie à la fac d’Alger »), Blas de Roblès cite Wole Soyinka (sans le nommer) :
« Le tigre ne proclame pas sa tigritude, soupire Heidegger, il fonce sur sa proie et la dévore. »
En contrepartie de leur courage de combattants, les troupes coloniales commettent de nombreuses exactions, du pillage aux violences sur les civils.
« Plus qu’une sordide décompensation de soldats épargnés par la mort, le viol a toujours été une véritable arme de guerre. »
Le roman est fort digressif (d’ailleurs la citation liminaire est de Sterne). Le narrateur qui marine et s’épuise évoque des jeux d’échecs, fait de curieux projets, met en cause Vasarely…
Après la bataille du monastère de Monte Cassino, la troupe suit le « bellâtre de Marigny » (Jean de Lattre de Tassigny) dans le débarquement en Provence, puis c’est la bataille des Vosges, et l’Ardenne.
À propos du film Indigènes, différent sur l’interprétation des faits.
À peine l’Allemagne a-t-elle capitulé, Manuel est envoyé avec la Légion et les spahis qui répriment une insurrection à Sétif, « un vrai massacre » qui tourne vite à l’expédition punitive (une centaine de morts chez les Européens, plusieurs milliers chez les indigènes). Blessé, il part suivre ses études de médecine à Paris, puis se marie par amour avec une Espagnole pauvre, mésalliance à l’encontre de l’entre-soi de mise dans les différentes communautés.
« Les « indigènes », au vrai, c’était comme les oiseaux dans le film d’Alfred Hitchcock, ils faisaient partie du paysage. »

« Après Sétif, la tragédie n’a plus qu’à débiter les strophes et antistrophes du malheur. Une mécanique fatale, avec ses assassinats, ses trahisons, ses dilemmes insensés, sa longue chaîne de souffrances et de ressentiment. »
Les attentats du FLN commencent comme naît Thomas, le narrateur, qui aborde ses souvenirs d’enfance.
« …] le portrait que je trace de mon père en me fiant au seul recours de ma mémoire est moins fidèle, je m’en aperçois, moins réel que les fictions inventées ou reconstruites pour rendre compte de sa vie avant ma naissance. »
OAS et fellaghas divisent irréconciliablement Arabes et colons. De Gaulle parvient au pouvoir, et tout le monde croit encore que la situation va s’arranger, jusqu’à l’évacuation, l’exode, l’exil. Mauvais accueil en métropole, et reconstruction d’une vie brisée, Manuel devant renoncer à la chirurgie pour être médecin généraliste.
Histoire étonnante des cartes d’Opicino de Canistris :
« À la question « qui suis-je ? », qui sum ego, il répond tu es egoceros, la bête à corne, le bouc libidineux, le rhinocéros de toi-même.
Il n’est pas fou, il me ressemble comme deux gouttes d’eau ; il nous ressemble à tous, encombrés que nous sommes de nos frayeurs intimes et du combat que nous menons contre l’absurdité de vivre. »
Regret d’une colonisation ratée…
« Ce qu’il veut dire, je crois, c’est qu’il y aurait eu là-bas une chance de réussir quelque chose comme la romanisation de la Gaule, ou l’européanisation de l’Amérique du Nord, et que les gouvernements français l’avaient ratée. Par manque d’humanisme, de démocratie, de vision égalitaire, par manque d’intelligence, surtout, et parce qu’ils étaient l’émanation constante des « vrais colons » – douze mille en 1957, parmi lesquels trois cents riches et une dizaine plus riches à eux dix que tous les autres ensemble – dont la rapacité n’avait d’égal que le mépris absolu des indigènes et des petits Blancs qu’ils utilisaient comme main-d’œuvre pour leurs profits. »
… mais :
« Si les indigènes musulmans ont été les Indiens de la France, ce sont des Indiens qui auraient finalement, heureusement, et contre toute attente, repoussé à la mer leurs agresseurs.
Un western inversé, en somme, bien difficile à regarder jusqu’à la fin pour des Européens habitués à contempler en Technicolor la mythologie de leur seule domination. »

« La France s’est dédouanée de l’Algérie française en fustigeant ceux-là mêmes qui ont essayé tant bien que mal de faire exister cette chimère. Les pieds-noirs sont les boucs émissaires du forfait colonialiste.
Manuel ne voit pas, si profonde est la blessure, que ce poison terrasse à la fois ceux qui l’absorbent et ceux qui l’administrent. La meule a tourné d’un cran, l’écrasant au passage, sans même s’apercevoir de sa présence.
Il y aura un dernier pied-noir, comme il y a eu un dernier des Mohicans. »
Clairement narré, et regroupé en petits chapitres, ce qui rend la lecture fort agréable. Par exemple, le 240ème in extenso :
« Rejoindre le front des Vosges dans un camion de bauxite, sauter sur une mine à Mulhouse, et se retrouver médecin des gueules rouges à Brignoles, en compagnie d’un confrère alsacien ! Qu’est-ce qui est à l’œuvre dans ce genre de conjonction ? Quels sont les dieux fourbes qui manipulent ainsi nos destinées ? Projet : S’occuper de ce que Charles Fort appelait des « coïncidences exagérées ». Montrer ce qu’elles révèlent de terreur archaïque devant l’inintelligibilité du monde, de poésie latente aussi, et quasi biologique, dans notre obstination à préférer n’importe quel déterminisme au sentiment d’avoir été jetés à l’existence comme on jette, dit-on, un prisonnier aux chiens. »
Les parties du roman sont titrées d’après les cartes italiennes de la crapette, « bâtons, épées, coupes et deniers ».
Il y a une grande part d’autobiographie dans ce roman dense, qui aborde nombre de sujets.
Beaucoup d’aspects sont abordés, comme le savoureux parler nord-africain en voie de disparition (ainsi que son humour), et pendant qu’on y est la cuisine, soubressade, longanisse, morcilla
Et le dénouement est inattendu !

\Mots-clés : #antisémitisme #biographie #colonisation #deuxiemeguerre #enfance #exil #guerredalgérie #historique #identite #immigration #insurrection #politique #racisme #relationenfantparent #segregation #social #terrorisme #traditions #xxesiecle

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Message par Chamaco Ven 31 Mar - 16:35

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Message par Chamaco Ven 31 Mar - 16:41

je reprend ce qu'a cité Tristam :
= « Si les indigènes musulmans ont été les Indiens de la France, ce sont des Indiens qui auraient finalement, heureusement, et contre toute attente, repoussé à la mer leurs agresseurs.
Un western inversé, en somme, bien difficile à regarder jusqu’à la fin pour des Européens habitués à contempler en Technicolor la mythologie de leur seule domination. »

« La France s’est dédouanée de l’Algérie française en fustigeant ceux-là mêmes qui ont essayé tant bien que mal de faire exister cette chimère. Les pieds-noirs sont les boucs émissaires du forfait colonialiste.
Manuel ne voit pas, si profonde est la blessure, que ce poison terrasse à la fois ceux qui l’absorbent et ceux qui l’administrent. La meule a tourné d’un cran, l’écrasant au passage, sans même s’apercevoir de sa présence.
Il y aura un dernier pied-noir, comme il y a eu un dernier des Mohicans. »

....c'est l'histoire de ma famille et la mienne: des colons ouvriers et non des riches. Je suis un des derniers Mohican qui ne sait plus d'où il est...
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Message par Tristram Ven 31 Mar - 17:05

Je savais bien que cette histoire réveillerait des échos, plus ou moins douloureux, dans notre forum ! Lis-le, si ce n'est déjà fait !

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