Patrick Chamoiseau
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Re: Patrick Chamoiseau
Tu peux m'expliquer ?Tristram a écrit:C'est une hantise qui parcourt toujours l'univers créole, ne serait-ce que dans la nostalgie d'un continent d'origine inconnu.
Je pense en effet que Patrick Chamoiseau est un auteur à lire, pour de multiples raisons. La mémoire de l'esclavage, bien sûr, qui constitue encore intrinsèquement ces populations antillaises.
Et puis la langue, qu'on ne connaît pas en métropole, et qui est pourtant quotidiennement utilisée dans ces petits bouts de France. Une langue riche, imagée, porteuse de sens et d'histoire. S'immerger ne serait-ce qu'un peu dans cette culture peut être déroutant de prime abord, mais cette lecture fut enrichissante.
Dernière édition par Armor le Dim 3 Déc - 16:23, édité 1 fois
Armor- Messages : 4589
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Re: Patrick Chamoiseau
@Armor : en attendant la réponse de Tristram, je pense qu'il parle du déracinement de l'Afrique, continent que les Antillais n'ont pas connu.
J'aime aussi la littérature antillaise avec, entre autres, cette langue de mots-valises...
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anagramme- Messages : 1367
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Re: Patrick Chamoiseau
Bien vu Anagramme.
Je vais essayer d'être plus clair : le traumatisme dû à l'esclavage se retrouve par exemple dans la haine de la mer (qui a amené les esclaves ; Chamoiseau évoque souvent les esclaves noyés enchaînés), mais aussi dans le regret, plus que nostalgie, d'un avant qu'ils n'ont pas connu (au moins directement), en Afrique, avec les langues, les croyances, les cultures, etc. perdues (les parents aussi), que les Créoles essaient de retrouver/ perpétuer de façon plus ou moins mythique, ambiguë, ambivalente. Même chose dans les rapports avec la langue française (celle de l'ancien colon), la métropole (terme négrier), le rêve d'indépendance, etc. C'est en tout cas ce que je comprends ; c'est encore vif, sensible dans les mémoires, même si cela s'estompe depuis au moins trente ans (que je connais un peu cette société).
Je vais essayer d'être plus clair : le traumatisme dû à l'esclavage se retrouve par exemple dans la haine de la mer (qui a amené les esclaves ; Chamoiseau évoque souvent les esclaves noyés enchaînés), mais aussi dans le regret, plus que nostalgie, d'un avant qu'ils n'ont pas connu (au moins directement), en Afrique, avec les langues, les croyances, les cultures, etc. perdues (les parents aussi), que les Créoles essaient de retrouver/ perpétuer de façon plus ou moins mythique, ambiguë, ambivalente. Même chose dans les rapports avec la langue française (celle de l'ancien colon), la métropole (terme négrier), le rêve d'indépendance, etc. C'est en tout cas ce que je comprends ; c'est encore vif, sensible dans les mémoires, même si cela s'estompe depuis au moins trente ans (que je connais un peu cette société).
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 14946
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Re: Patrick Chamoiseau
C'est super intéressant, merci Tristram.
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"Et au plus eslevé trone du monde, si ne sommes assis, que sus notre cul." (Michel de Montaigne)
Armor- Messages : 4589
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Re: Patrick Chamoiseau
Un dernier extrait, pour le plaisir :
L’innommable était là, dans l’ombre, lové sur une fougère à hauteur de mon cou. Déjà raidi, prêt à frapper dans un wacha d’écailles. Sifflant. Crocs exposés. Je restai froid, je veux dire bleu-saisi-pétrifié. (…)
Il fallait demeurer ainsi. Pas bouger, mon nègre. Pas foubin, mon bougre. Pas laisser ton coeur désaccorder sa peur. Pas laisser le monstre arrivant m’arracher une tremblade. Rester là, avec cet Inommable plus puissante et plus rapide que toi. S’il m’injecte son venin, et même si elle l’envoie sur ma peau abîmée, je serai terrassé. Pas bouger. Derrière, le monstre se rapprochant, me transmettait une roide envie de fuir. Courir. Pas bouger. Courir. Pas bouger. Je ne savais quoi faire. Je croyais voir ma mort au plus clair. La voir même au plein de ce déchirage.
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"Et au plus eslevé trone du monde, si ne sommes assis, que sus notre cul." (Michel de Montaigne)
Armor- Messages : 4589
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Re: Patrick Chamoiseau
Écrire en pays dominé

Quatrième de couverture :
Essai (1997) très structuré (égard de plus en plus rare, l’ouvrage bénéficie d’une utile table des matières).
Il se compose de trois « cadences », entrelardées de paroles du vieux guerrier sur la colonisation (« Inventaire d’une mélancolie ») et de brefs commentaires sur des lectures-phares (« Sentimenthèque »).
D’abord I, « Anagogie par les livres endormis » : les réflexions de Chamoiseau sur le comment écrire dominé par une autre culture, puis la révélation de la découverte des livres-objet (reprise des souvenirs de son autobiographie À bout d’enfance), puis lecture « agoulique », puis, à l’adolescence, découverte de Césaire, de la poésie lyrico-épique, du militantisme, du racisme ordinaire et de l’identité dans la négritude opposée à l’impérialo-capitalisme (qui tente d’imposer ses valeurs « universelles »), domination silencieuse du Centre avec passage pour ce dernier de la contrainte à la subjugation, l’ « autodécomposition » dans le « développement », le mimétisme, la consommation, l’assistanat et la folklorisation, enfin rôles de Glissant et Frankétienne dans son évolution du lire-écrire (Chamoiseau est alors éducateur dans les prisons métropolitaines).
II, « Anabase en digenèses selon Glissant » : après dix ans passés en métropole à rêver du pays, en anabase (expédition vers l’intérieur, voyage intérieur, cf. Saint-John Perse), en admiration libératrice du déprécié, il s’identifie successivement au premier colon (« carrelage » de l’ordre et de la mesure, de la rationalité sur leurs contraires), aux Caraïbes (Amérindiens), aux Africains puis à tous les autres apports ethniques. Marronnage et mer geôlière, danse, tambour, quimboiseurs, mentôs puis conteurs et autres « résistances et mutations ». « Ultimes résistances et défaites urbaines » : après le conteur des habitations-plantations dont l’oralité créatrice se réfugie dans les chansons et proverbes, le driveur errant en déveine et déroute folle se concentre dans l’En-ville, devenant djobeurs et majors, jusqu’au « Moi-créole », le Divers dans la mosaïque créole, sans origine ni unité : le « chaos identitaire » ; Lieu versus territoire.
III, « Anabiose sur la Pierre-Monde » : identité d’assimilation, départementalisation stérilisante, assistanat, modernisation aveugle, développement factice, consommation irresponsable, fatalité touristique (toujours au profit des békés). Domination furtive d’un Centre diffus, du rhizome-des-réseaux, « Empire technotronique où l’empereur serait le brouillard de valeurs dominantes, à coloration occidentale, tendant à une concentration appauvrissante qui les rend plus hostiles à l’autonomie créatrice de nos imaginaires [color=#2181b5]ains et artistes neutralisés « dans la dilution d'une ouverture au monde". Insularité vécue comme isolement versus la (notion de la) mer ouverte. Choix entre les deux langues, la reptilienne et résistante, et le français, par celui qui devient le Guerrier dans le Monde-Relié. Davantage épanouissement que développement de l’Unité se faisant en Divers : la Diversalité.
C’est donc l’historique du ressenti douloureux des (ex-)colonisés du « magma anthropologique », simultanément avec l’éveil par les livres (lus, relus, écrits) du Marqueur de paroles, pour relever le défi du Web.
mots-clés : #creationartistique #essai #identite #independance #insularite #mondialisation

Quatrième de couverture :
Écrire en pays dominé c'est l'histoire d'une vie, la trajectoire d'une conscience, l'intime saga d'une écriture qui doit trouver sa voix entre langues dominantes et langues dominées, entre les paysages soumis d'une terre natale et les horizons ouverts du monde, entre toutes les ombres et toutes les lumières. Écrivain, Marqueur de Paroles, et finalement Guerrier, Patrick Chamoiseau interroge les exigences contemporaines des littératures désormais confrontées aux nouvelles formes de domination et à la présence du Total-monde dans nos imaginaires.
Essai (1997) très structuré (égard de plus en plus rare, l’ouvrage bénéficie d’une utile table des matières).
Il se compose de trois « cadences », entrelardées de paroles du vieux guerrier sur la colonisation (« Inventaire d’une mélancolie ») et de brefs commentaires sur des lectures-phares (« Sentimenthèque »).
D’abord I, « Anagogie par les livres endormis » : les réflexions de Chamoiseau sur le comment écrire dominé par une autre culture, puis la révélation de la découverte des livres-objet (reprise des souvenirs de son autobiographie À bout d’enfance), puis lecture « agoulique », puis, à l’adolescence, découverte de Césaire, de la poésie lyrico-épique, du militantisme, du racisme ordinaire et de l’identité dans la négritude opposée à l’impérialo-capitalisme (qui tente d’imposer ses valeurs « universelles »), domination silencieuse du Centre avec passage pour ce dernier de la contrainte à la subjugation, l’ « autodécomposition » dans le « développement », le mimétisme, la consommation, l’assistanat et la folklorisation, enfin rôles de Glissant et Frankétienne dans son évolution du lire-écrire (Chamoiseau est alors éducateur dans les prisons métropolitaines).
II, « Anabase en digenèses selon Glissant » : après dix ans passés en métropole à rêver du pays, en anabase (expédition vers l’intérieur, voyage intérieur, cf. Saint-John Perse), en admiration libératrice du déprécié, il s’identifie successivement au premier colon (« carrelage » de l’ordre et de la mesure, de la rationalité sur leurs contraires), aux Caraïbes (Amérindiens), aux Africains puis à tous les autres apports ethniques. Marronnage et mer geôlière, danse, tambour, quimboiseurs, mentôs puis conteurs et autres « résistances et mutations ». « Ultimes résistances et défaites urbaines » : après le conteur des habitations-plantations dont l’oralité créatrice se réfugie dans les chansons et proverbes, le driveur errant en déveine et déroute folle se concentre dans l’En-ville, devenant djobeurs et majors, jusqu’au « Moi-créole », le Divers dans la mosaïque créole, sans origine ni unité : le « chaos identitaire » ; Lieu versus territoire.
III, « Anabiose sur la Pierre-Monde » : identité d’assimilation, départementalisation stérilisante, assistanat, modernisation aveugle, développement factice, consommation irresponsable, fatalité touristique (toujours au profit des békés). Domination furtive d’un Centre diffus, du rhizome-des-réseaux, « Empire technotronique où l’empereur serait le brouillard de valeurs dominantes, à coloration occidentale, tendant à une concentration appauvrissante qui les rend plus hostiles à l’autonomie créatrice de nos imaginaires [color=#2181b5]ains et artistes neutralisés « dans la dilution d'une ouverture au monde". Insularité vécue comme isolement versus la (notion de la) mer ouverte. Choix entre les deux langues, la reptilienne et résistante, et le français, par celui qui devient le Guerrier dans le Monde-Relié. Davantage épanouissement que développement de l’Unité se faisant en Divers : la Diversalité.
C’est donc l’historique du ressenti douloureux des (ex-)colonisés du « magma anthropologique », simultanément avec l’éveil par les livres (lus, relus, écrits) du Marqueur de paroles, pour relever le défi du Web.
mots-clés : #creationartistique #essai #identite #independance #insularite #mondialisation
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Tristram- Messages : 14946
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Localisation : Guyane
Re: Patrick Chamoiseau
Merci ! 

églantine- Messages : 4431
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Localisation : Savoie
Re: Patrick Chamoiseau
je ne pense pas que ce livre, qui me parait intéressant, me soit d'accès facile ; philosophique ou psychologique ?
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"Prendre des notes, c'est faire des gammes de littérature Le journal de Jules Renard
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 20023
Date d'inscription : 02/12/2016
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Localisation : En Provence
Re: Patrick Chamoiseau
C'est un peu difficile d'accès à cause des créolismes... et de l'inventivité de l'auteur ! J'ai hésité à poster ce commentaire, fait il y a un moment, mais après tout le livre mérite d'être "remonté", et il trouvera peut-être des lecteurs intéressés !
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Tristram- Messages : 14946
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 66
Localisation : Guyane
Re: Patrick Chamoiseau
ça aurait été dommage de ne pas le poster, c'est probablement l'idée que ce genre de livre se situe en dehors des sentiers habituels mais ça a l'air très intéressant et un commentaire sur ce genre de livre est une fenêtre ouverte sur une autre pensée.

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Keep on keeping on...
Re: Patrick Chamoiseau
Tout à fait d'accord, animal ! (j'en suis friand, de ces fenêtres)
Merci Tristram ! On peut découvrir Chamoiseau avec ça ?
Merci Tristram ! On peut découvrir Chamoiseau avec ça ?
Quasimodo- Messages : 5431
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 27
Re: Patrick Chamoiseau
Je recommanderais plutôt ses romans, comme le superbe Texaco : l'eau n'y est pas moins profonde, mais on s'y apprivoise plus aisément.
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Tristram- Messages : 14946
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 66
Localisation : Guyane
Re: Patrick Chamoiseau
Merci, c'est noté : j'irai fureter au marché aux livres. On m'a prêté un cours sur la littérature caribéenne francophone (?) (post-colonisation) que je n'ai jamais ouvert; je vais y faire un petit détour !
Quasimodo- Messages : 5431
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 27
Re: Patrick Chamoiseau
Dans le prolongement des récits autobiographiques sur son enfance, et d’un essai comme Écrire en pays dominé, Chamoiseau reprend une fois encore cet héritage du passé fatidique, « le manque fondateur, l’effacé structurant », la Traite impossible à oublier, avec des mots et une verve renouvelés en variations lyriques.
Roman ? participe plus de l’essai, dans un va-et-vient des souvenirs à l’approfondissement des réflexions.
Sous forme de dialogues avec la Baronne sa sœur à propos de Man Ninotte, leur mère décédée, évocation de la mort dans le monde créole, superstitions, rituels, vide/ en-dehors/ mystère/ disparition :
…théorie de la « grappe » comme groupe de Sapiens ; les Traces, concept venu de Glissant, ce à quoi se résume la culture perdue des esclaves déportés (en parallèle avec la narration de Man Ninotte proie d’Alzheimer après avoir vaillamment combattu la déveine ‒ stratégie de survie dans la misère) ; le jazz, notamment celui de Miles Davis ; un beau passage à propos des plantes, « mémoires végétales » connues des « marchandes-sorcières », les herboristes (pp 187-188) ; dissertation sur les origines de la beauté, de la poésie (et Césaire sera à son tour rappelé) :« Il ne se passait pas un jour sans qu’on ne les remplisse, leur amenant des personnes décrochées des dernières espérances, à croire qu’à la manière de pêcheurs clandestins les cimetières envoyaient vers la vie des lignes chargées d’hameçons, et en ramenaient des trâlées de victimes. »
« Sauf circonstances extraordinaires, et même si les sépultures seront en certains lieux réservées aux personnages marquants, nulle part sur cette planète (sauf durant la Traite des nègres, l’esclavage américain ou dans les camps nazis) un mort ne se verra abandonné sans un bout d’enchantement, et sans qu’il ne serve à étayer une quelconque autorité. »
(Impact, Légendaire du retour)
Il y a d’ailleurs une réelle poétique chez Chamoiseau, quoiqu’il en dise ; ici, à un lever de jour :« Parlons du sentiment de la beauté.
Imagine cette conscience humaine balbutiante qui s’ouvre sur trois immensités : sur la menace de l’inconscient humain chargé de toutes les animalités ; sur l’omnipuissance de la nature et du vivant ; sur l’infinie désolation de la mort…
Imagine ce qui lui arrive…
Elle commence à se détacher de l’inconscient et d’une indistinction avec le monde. […]
Il faut appeler "présence" le rayonnement indéfinissable de la chose vivante ou minérale à son plus bel éclat. […]
La conscience archaïque percevra tout présence comme vivante : les éléments, les grottes, les pierres, la nuit, le vent, le soleil… Elle y soupçonnera un être imprévisible, secret, obscur, invisible et puissant ‒ je veux dire : une beauté. L’éclat du beau est dans l’intensité de la chose existante lorsque celle-ci inspire la sensation d’une présence. […]
La sacralisation qui donne du sens à l’existant est l’énergie première de la beauté.
Le sentiment du beau ouvre à l'état poétique : cette partie de la vie qui échappe aux obligations des survies immédiates. »
(Éjectats, Légendaire du langage)
Expérience déterminante du gouffre, la cale du navire négrier, d’où l’on doit se refonder, individu séparé du collectif vers la Relation au Tout-monde (notions de Glissant) ; puis le cimetière.« La ville perdait ses immobilités dans une marée d’éveils. »
(Impact, Légendaire de l’annonce)
« Les nuits sont toujours enceintes, nous disent les Arabes, elles sont les seules qui, dans un même mouvement, peuvent dissiper les certitudes du jour et recharger le monde pour la splendeur d’une aube. C’est ce genre de nuits qui se vivait dans mes antans d’enfance. »
(Impact, Légendaire du retour)
mots-clés : #devoirdememoire #esclavage #fratrie #identite #insularite #lieu #mort
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Tristram- Messages : 14946
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Re: Patrick Chamoiseau
https://la1ere.francetvinfo.fr/patrick-chamoiseau-herite-ce-lundi-chaire-ecrivain-residence-sciences-po-paris-793721.html#xtor=EPR-1-[NL_1%C3%A8re
Peut-être se trouve-t-il sur le forum des candidats possibles à ses cours ?
Peut-être se trouve-t-il sur le forum des candidats possibles à ses cours ?
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Tristram- Messages : 14946
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Re: Patrick Chamoiseau
L’empreinte à Crusoé

Ce conte est une variation sur le célèbre thème de Defoe (après celle de Michel Tournier dans Vendredi ou les limbes du Pacifique, et aussi de Saint-John Perse dans Images à Crusoé) : un naufragé sur une île déserte a oublié son identité (Robinson Crusoé d’après le nom brodé sur le baudrier qu’il portait), et s’est organisé une civilisation cadrée par des rituels, un ensemble de constructions qu’il administre pour lui seul.
(Il n’y a pas de majuscule, notamment au début des phrases ; ces dernières se terminent par un point-virgule au lieu d’un point.)
Un terrible tremblement de terre ravage l’île, et le plonge dans l’angoisse.
Suit L’atelier de l’empreinte, Chutes et notes, où l’auteur commente son travail, et l’« aventure fixe, immobile » du naufragé :
Enfin, une annexe de ce dernier, L’artiste et l’impensable, précise la place de l’art, avec la pensée philosophique, devant cette source de vie.
Ce qui m’a le plus conquis, c’est le souffle, la démesure, le style baroque, les belles métaphores de Chamoiseau, comme celle du naufragé-perle enveloppée dans la chair de l’île. L’épisode où le naufragé batifole avec une multitude de tortues de mer m’a ramentu la sensualité de Grainville, et le panthéisme, Giono.
\Mots-clés : #insularite #philosophique #solitude

Ce conte est une variation sur le célèbre thème de Defoe (après celle de Michel Tournier dans Vendredi ou les limbes du Pacifique, et aussi de Saint-John Perse dans Images à Crusoé) : un naufragé sur une île déserte a oublié son identité (Robinson Crusoé d’après le nom brodé sur le baudrier qu’il portait), et s’est organisé une civilisation cadrée par des rituels, un ensemble de constructions qu’il administre pour lui seul.
(Il n’y a pas de majuscule, notamment au début des phrases ; ces dernières se terminent par un point-virgule au lieu d’un point.)
Liste jouissive des objets qu’il récupère dans l’épave de la frégate :« j’avais fini par me dissoudre dans cette image mentale ; et si je m’étais tenu si droit, affublé de ces peaux, parasolé, armé, soucieux de rituels intangibles, c’est que j’avais sans doute tenté d’instituer une forme à cette dénaturation croissante qui faisait de moi un élément parmi ceux de cette île ; »
Au bout de vingt ans, il découvre une empreinte de pas sur la plage, qui le commotionne. Il traque d’abord hostilement cet autre (qui deviendra l’Autre), puis veut s’en faire un ami.« …] cordages, bouts de voile, bisaiguës, marteaux, clous, rabots, bonnets, bouts de chaînes, sabres, harpons, barriques de poudre, maillets, mousquetons, pistolets, huilier, branles, tente de grosse toile, ficelles, aiguilles, barriques de biscuits secs, burins, tonneaux de rhum, couteaux du chirurgien, flacons de graines diverses, salières, fourchettes, sabots, chausses, cantines, coffres et coffrets cadenassés... une telle accumulation d’objets me rassurait infiniment, comme si cela dressait entre moi et cette île un rempart bienfaisant ; je n’en finissais pas d’en rapporter frénétiquement, d’en amasser avec gourmandise, puis de contempler leur étalement baroque sur des dizaines de mètres en les égrenant un à un dans ma tête... poinçons, théières, sucriers, éponges, trousseaux de clés, équerres, longue-vue, soupière, boîtes à bijoux, quincailleries et ferrailles, brosses, petits boulets, cisailles, limes plates, arquebuses, chassepots, caissettes, limes rondes, boîtes à plomb, assiettes et gamelles, crucifix... ; »
Il se rend compte qu’il a régressé, tant physiquement que dans son langage écrit et parlé, et se reprend, dorénavant attentif à la nature qui lui paraissait jusque-là menaçante – occasion d’un lyrisme enchanteur :« à force de poursuivre l’Autre-inatteignable fomenté par l’empreinte, et à force de le désirer, je lui avais conféré la densité d’une présence invisible − comme si j’avais créé une matière nouvelle, contagieuse, galopante, qui s’était mise à se répandre partout... ; »
Un esprit holiste l’habite :« le vent jouait de mille manières, à différents rythmes, les branches, les sables et l’à-plat des savanes ; il se heurtait aux troncs, remontait les écorces, déclenchait des crécelles en provoquant parfois des cascades de feuilles mortes qui paraissaient m’offrir d’élémentaires acclamations ; les oiseaux me permettaient de déceler ses lignes de force, ils suivaient ses voltes ascendantes, s’égaillaient quand il se mettait à sillonner juste au niveau du sol... ; les abeilles et autres choses volantes grouillaient dans les souffles qu’il épandait partout, comme des cercles en extension sur une eau invisible ; la moindre plante se nourrissait de papillons, transformait ses fleurs en oiseaux-mouches, transmutait ses feuillages en des peuplades d’insectes... une instabilité vivante que le vent accentuait en augmentant les frissonnements, les sauts et les brusques envolées ; »
Ensuite, ayant réalisé que c’était sa propre empreinte qu’il a découverte (bien qu’il ait rencontré l’étranger), il se crée un Autre, nommé Dimanche ; puis il perçoit des présences dans l’île, que dorénavant il aime pour elle-même, sans volonté d’en profiter ou de la fuir. Dans un mystérieux petit livre rescapé du naufrage, des fragments de Parménide et d’Héraclite, les deux voix alternent, « le vieux poète et son Autre ».« et les choses empirèrent, seigneur ; une fièvre animiste me fit accroire que les apparences ne comptaient plus, qu’elles étaient interchangeables ; que dans des contractions de temps, d’espaces, de perceptions, on passait de l’une à l’autre dans une continuité d’existences ; ainsi, chaque existence était le tout et en même temps n’importe quel élément de ce tout ; ainsi, chaque mort était le lieu exact d’une renaissance qui nourrissait le tout ; ainsi, le tout n’était que l’intensité la plus vive de l’infini des variétés et des diversités ; »
Un terrible tremblement de terre ravage l’île, et le plonge dans l’angoisse.
Lui qui fut « l’idiot puis la petite personne » (enfant, en créole), devient « artiste » exposé au « dehors » en retrouvant l’empreinte, pétrée, qui provoque ses multiples naissances.« une raréfaction d’existence ne leur [les animaux] autorisait qu’un fil d’expiration et des hoquets d’inspiration ; d’autant que la terre n’arrêtait pas de frissonner, ou d’éprouver des spasmes qui semaient à chaque fois une panique générale ; dans mon esprit secoué, les choses avaient du mal à retrouver leur place ; maintenant que j’avais vu les arbres se déplacer dans des charrois de terre, le sol se faire océanique, toute immobilité me paraissait suspecte ; l’herbe dissimulait des vertèbres de dragon prêtes à se torsader ; je soupçonnais les mornes d’être des crânes de gorgones enfouis sous une pelure de roche, attentifs au moment de surgir en sifflant ; j’avançais donc, comme sur un sable dont chaque grain serait une mâchoire potentielle, en assurant mes pas avec un grand souci, et prêt à me jeter au sol sitôt le moindre frisson ; les insectes se déplaçaient comme moi ; les oiseaux, sans doute par grande méfiance de l’air, sautillaient d’une ombre à l’autre comme pour anticiper un invisible bond de l’île tout entière... ; »
Le dénouement m’a surpris, même si un indice m’avait laissé deviner dès les premières pages que le navire était négrier, et que j’avais suspecté l’identité du naufragé ; je dirai simplement qu’elle implique Ogomtemmêli, le sage dogon dont Marcel Griaule rapporte les propos dans Dieu d’eau).« l’île n’avait existé que par moi et pour moi ; j’avais été ma propre et seule réalité ; lui, cet Autre inattendu, m’avait non seulement explosé avec sa seule empreinte, mais je le découvrais en train de faire exploser l’île tout entière en un vrac d’apparitions ahurissantes ; »
Suit L’atelier de l’empreinte, Chutes et notes, où l’auteur commente son travail, et l’« aventure fixe, immobile » du naufragé :
Dans sa postface, le philosophe Guillaume Pigeard de Gurbert (que Chamoiseau surnomme « l’Altesse ») invoque Deleuze et pose Chamoiseau en explorateur de « traces ».« La "situation Robinson" est un archétype de l’individuation, c’est en cela qu’elle est toujours fascinante pour nous, toujours inépuisable. »
« Le vivant nous apprend ceci : pas d’existence sans l’expérimentation permanente d’une infinité de possibles. »
« Renoncer à l’histoire et semer des possibles, infiniment. »
Enfin, une annexe de ce dernier, L’artiste et l’impensable, précise la place de l’art, avec la pensée philosophique, devant cette source de vie.
Ce qui m’a le plus conquis, c’est le souffle, la démesure, le style baroque, les belles métaphores de Chamoiseau, comme celle du naufragé-perle enveloppée dans la chair de l’île. L’épisode où le naufragé batifole avec une multitude de tortues de mer m’a ramentu la sensualité de Grainville, et le panthéisme, Giono.
\Mots-clés : #insularite #philosophique #solitude
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Tristram- Messages : 14946
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Re: Patrick Chamoiseau
Le papillon et la lumière

Un jeune papillon fringant converse avec un vieux papillon mélancolique dans une ville la nuit, tandis que les lumières massacrent leurs semblables qui s’y précipitent.
Le vieux papillon ne s’est pas jeté dans la lumière, cette connaissance, ce qui lui a permis de survivre, mais sans avoir connu la vie ; son tour de pensée, plutôt circulaire, empêche le jeune de le suivre dans sa méditation philosophique virevoltant, papillonnant autour des possibles.
\Mots-clés : #contemythe #philosophique

Un jeune papillon fringant converse avec un vieux papillon mélancolique dans une ville la nuit, tandis que les lumières massacrent leurs semblables qui s’y précipitent.
Le vieux papillon ne s’est pas jeté dans la lumière, cette connaissance, ce qui lui a permis de survivre, mais sans avoir connu la vie ; son tour de pensée, plutôt circulaire, empêche le jeune de le suivre dans sa méditation philosophique virevoltant, papillonnant autour des possibles.
Là encore on est proche du conte oral créole.« – Donc, mourir n’est pas une affaire de vieillesse. »
« Et quand on pense avoir raison, on est très proche de la bêtise. »
« La moindre lumière vive est pour nous un haut degré d’impossible, d’impensable, d’inatteignable. »
« – Préciser, c’est toujours fatiguer ce que l’on a voulu dire. »
« …] l’observation est l’âme du silence. »
Se dégage progressivement une conception presqu’intransmissible du sens de l’existence :« Le silence est le cœur de l’écoute et l’énergie de l’attention. »
Ça m'a un peu rappelé Paulo Coelho − mais en moins creux et fumeux. La puérilité est peut-être le tropisme du conte philosophique... mais là on n'y tombe pas.« – Qu’y a-t-il d’essentiel alors ?
– Tout est essentiel.
– Alors, où se trouve l’important ?
– L’important, c’est ta vie. C’est ce que tu en fais, ce que tu en exiges, la tension avec laquelle tu l’inclines au bon moment vers des moments sublimes.
– L’action juste ?
– L’action juste.
– Comment reconnaître le bon moment pour tenter l’action juste ?
– On ne peut pas le reconnaître. Le bon moment surgit au bout de la haute attention.
– Et c’est quoi, la haute attention ?
– Le grand désir de la beauté. Désir sans sueur ni volonté de besogneux, mais grand désir. Désir terrible ! »
\Mots-clés : #contemythe #philosophique
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 14946
Date d'inscription : 09/12/2016
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Localisation : Guyane
Re: Patrick Chamoiseau
merci Tristram ! j'éteins la lumière !
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"Prendre des notes, c'est faire des gammes de littérature Le journal de Jules Renard
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 20023
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 78
Localisation : En Provence
Re: Patrick Chamoiseau
Laurea honoris causa à Patrick Chamoiseau à l'université de Parma.
https://www.rci.fm/martinique/infos/Culture/Patrick-Chamoiseau-mis-lhonneur-luniversite-de-Parme-en-Italie#
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anagramme- Messages : 1367
Date d'inscription : 12/12/2016
Re: Patrick Chamoiseau
Content qu'il soit reconnu en Italie. Il le mérite bien.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
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