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Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Mar 19 Mar - 5:14

83 résultats trouvés pour amitié

Saul Bellow

Ravelstein

Tag amitié sur Des Choses à lire Ravels10

Chick, le narrateur, parle d’Abe Ravelstein à la requête de ce dernier. Son proche ami, qui devint riche en suivant son conseil de consigner dans un livre grand public sa philosophie politique (entre Moïse et Socrate en passant par Thucydide, Machiavel et Rousseau), est depuis détesté par les autres professeurs d’université. Ravelstein, élégant, intelligent, lucide, franc, polémique et passionné par autrui, est adulé par son cercle d’étudiants favoris ; ses anciens élèves sont parvenus à des postes importants, le consultent toujours et le tiennent averti des décisions politiques en temps réel (il est aussi amateur de commérages). Pour lui, « chaque âme était en quête de son autre singulier, désireuse de son complément », et il vit avec son compagnon Nikki, puis s’avère atteint du sida.
Après son divorce d’avec Vera, une physicienne d’origine slave, Chick vit avec Rosamund, une des jeunes étudiantes en « Grande Politique » de Ravelstein (qui est aussi une sorte d’entremetteur, mais fut là mis devant le fait accompli) ; ce dernier lui a demandé de dresser son portrait.
Entre Paris, Chicago et le Midwest, les deux hommes discutent et philosophent avec humour sur la judaïté, la marche du monde, et Chick relate leur relation non sans redites et allers-retours dans le temps, comme dans un premier jet ou une conversation.
« Mais, heureusement — ou peut-être pas trop heureusement —, nous sommes à l’ère de l’abondance, du trop-plein parmi toutes les nations civilisées. Jamais, du côté matériel, d’immenses populations n’ont mieux été protégées de la faim et la maladie. Et cette délivrance partielle de la lutte pour la survie rend les gens ingénus. Par là, je veux dire que leurs fantasmes s’expriment sans retenue. On se met, selon un accord implicite, à accepter les termes, invariablement falsifiés, sous lesquels les autres se présentent. On anéantit sa puissance critique. On étouffe son astuce. Avant même de s’en rendre compte, on paie une pension alimentaire colossale à une femme qui a plus d’une fois déclaré qu’elle était une innocente qui n’entendait rien aux questions d’argent. »

« Nous étions parfaitement francs l’un avec l’autre. Nous pouvions nous parler ouvertement sans nous offenser. D’un autre côté, rien n’était trop personnel, trop honteux pour être dit, rien n’était trop méchant ou trop criminel. Il me semblait parfois qu’il m’épargnait ses jugements les plus sévères si je n’étais pas encore prêt à les assumer. Je le ménageais, moi aussi. Mais c’était pour moi un immense soulagement d’être aussi net et carré avec lui que je l’aurais été avec moi-même devant les faiblesses ou les vices. Il me dépassait de très loin dans la compréhension de soi-même. Mais toute discussion personnelle virait finalement à la bonne vieille rigolade nihiliste. »

« Il exposait les défaillances du système dans lequel ils avaient été formés, la superficialité de leur historicisme, leur susceptibilité au nihilisme européen. Un résumé de sa thèse était que, si on pouvait acquérir une excellente formation technique aux USA, la formation générale s’était réduite au point de disparaître. Nous étions les esclaves de la technologie, qui avait métamorphosé le monde moderne. »

« Tout cela vous remettait en mémoire les manifestations de masse organisées et mises en scène par l’imprésario de Hitler, Albert Speer : rencontres sportives et grands rassemblements fascistes empruntaient les uns aux autres. »

« Ses élèves étaient devenus historiens, professeurs, journalistes, experts, hauts fonctionnaires, membres de cellules de réflexion. Ravelstein avait produit (endoctriné) trois ou quatre générations de diplômés. Qui plus est, ses jeunes gens devenaient fous de lui. Ils ne se limitaient pas à ses doctrines, ses interprétations, mais imitaient ses manières et essayaient de marcher et de parler comme lui — librement, furieusement, acerbement, avec un brio aussi proche du sien qu’il leur était possible. »

« J’avais découvert que, si l’on plaçait les gens sous un éclairage comique, ils devenaient plus sympathiques — si vous parliez de quelqu’un comme d’un brochet humain frustre, pétomane et strabique, vous vous entendiez d’autant mieux avec lui par la suite, en partie parce que vous aviez conscience d’être le sadique qui l’avait dépouillé de ses attributs humains. En outre, lui ayant infligé quelques violences métaphoriques, vous lui deviez une considération particulière. »

« Mais les Juifs pensent que le monde a été créé pour chacun d’entre nous, autant que nous sommes, et que détruire une vie humaine, c’est détruire un univers entier — l’univers tel qu’il existait pour cette personne. »

« — Bien sûr que c’est autour de ça que tourne la conversation — ce que cela signifie pour les Juifs que tant d’autres, des millions d’autres, aient voulu leur mort. Le reste de l’humanité les expulsait. Hitler aurait dit qu’une fois au pouvoir il ferait dresser des échafauds, des rangées entières, sur la Marienplatz à Munich et que tous les Juifs, jusqu’au dernier, y seraient pendus. Ce sont les Juifs qui ont été le marchepied de Hitler vers le pouvoir. Il n’avait pas d’autre programme, et n’en avait aucun besoin. Il est devenu chancelier en rassemblant l’Allemagne et une bonne part du reste de l’Europe contre les Juifs. »

« Il fallait penser ces centaines de milliers de millions détruits pour des motifs idéologiques — c’est-à-dire sous quelque prétexte habillé de rationalité. Un raisonnement présente une valeur considérable comme manifestation d’ordre ou de fermeté de propos. Mais les formes de nihilisme les plus folles sont les plus strictement allemandes et militarisées. »

Ravelstein décédé, c’est le narrateur (plus âgé que ce dernier) qui manque succomber à une ciguatera contractée à Saint-Martin.
« Je disais souvent à Rosamund que l’un des problèmes du vieillissement était l’accélération du temps. Les jours passaient « comme des stations de métro traversées par un express ». Je me référais souvent à La Mort d’Ivan Ilitch afin d’illustrer cela pour Rosamund. Les jours des enfants sont très longs, mais, dans le vieil âge, ils filent « plus vite que la navette du tisserand », comme dit Job. Et Ivan Ilitch mentionne aussi la lente ascension d’une pierre jetée en l’air. « Quand elle retourne à la terre, elle est accélérée de dix mètres par seconde. » Nous sommes régis par le magnétisme gravitationnel et l’univers tout entier est impliqué dans cette accélération de votre fin. Si seulement nous pouvions retrouver les journées pleines que nous connaissions étant enfants. Mais nous sommes devenus trop familiers avec les données de l’expérience, me semble-t-il. Notre manière d’organiser les données qui affluent sous forme de Gestalt — c’est-à-dire de manière de plus en plus abstraite — accélère les expériences en une dangereuse dégringolade de comédie. Notre précipitation élimine les détails qui enchantent, retiennent ou retardent les enfants. L’art est un moyen d’échapper à cette accélération chaotique. Le mètre en poésie, le tempo en musique, la forme et la couleur en peinture. Mais nous sentons bien que nous filons vers la terre, vers l’enfouissement de la tombe. "Si ce n’étaient que des mots, dis-je à Rosamund. Mais je le ressens tous les jours. Une méditation impuissante dévore elle-même ce qui reste de la vie..." »

« — Il me citait à moi-même. » Il avait déterré une déclaration que j’avais faite sur le désenchantement moderne. Sous les débris des idées modernes, le monde était toujours là, prêt à être redécouvert. Et sa manière de le présenter était que le filet gris de l’abstraction jeté sur le monde dans le but de le simplifier et de l’expliquer d’une manière adéquate à nos objectifs culturels était devenu le monde à nos yeux. Nous avions besoin de visions alternatives, d’une diversité de regards — et il parlait de regards qui ne soient pas régentés par des idées. Il y voyait une question de mots : « valeurs », « modes de vie », « relativisme ». J’étais d’accord, dans une certaine mesure. Nous avions besoin de savoir — mais notre besoin humain profond ne peut être comblé par ces termes. Nous ne pouvons nous échapper du fossé de la « culture » et des « idées » qui sont censées l’exprimer. Les mots justes seraient d’un grand secours. Mais, plus encore, un don pour lire la réalité — l’élan de tourner son visage aimant vers elle et de presser ses mains contre elle. »

Il s’agit d’un roman à clef (Ravelstein est le philosophe Allan Bloom, ami de l’auteur), en partie autobiographique (on y trouve des portraits de femmes de Saul Bellow), mais cette face cachée de l’œuvre m’échappe largement dans cette publication en français sans appareil critique (il semble y avoir de nombreuses allusions, comme avec le Bloomsbury Group). Sinon, c’est un roman du cercle universitaire (comme L'hiver du doyen), et de celui du passé plombé des juifs (qui augure de Philip Roth notamment), mais qui ne vaut pas Herzog à mes yeux.

\Mots-clés : #amitié #antisémitisme #autobiographie #biographie #communautejuive #mort #pathologie #portrait #vieillesse #xxesiecle
par Tristram
le Dim 3 Mar - 11:21
 
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Sujet: Saul Bellow
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Nickolas Butler

Nickolas Butler

Né en 1979



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Nickolas Butler, né le 2 octobre 1979 à Allentown en Pennsylvanie, est un écrivain américain. Il vit aujourd'hui à Eau Claire dans le Wisconsin et  étudie à l'Université du Wisconsin à Madison.

Il participe à un atelier d'écriture de l'Université de l'Iowa. Il fait des petits travaux : employé chez Burger King, tuteur, télévendeur, vendeur de hot-dogs, aubergiste, cueilleur de pommes, vendangeurs, Il écrit. Il vit avec son épouse et leurs deux enfants à la campagne, dans le Wisconsin.

Ses nouvelles sont publiées dans les magazines comme Ploughshares (en), The Kenyon Review Online, The Lumberyard, The Christian Science Monitor, Narrative et Sixth Finch, et dans d'autres publications.

En 2014, son premier roman est publié.

Butler a reçu diverses bourses et récompenses de la part de fondations régionales de prix littéraires. Il a remporté le prestigieux prix PAGE America en France, le prix Great Great Great Reads 2014, le prix Midwest Independent Booksellers 2014, le prix littéraire 2015 de la Wisconsin Library Association, le prix littéraire régional 2015 du chancelier UW-Whitewater, et est finaliste pour le prix Flaherty Dunnan 2014 du premier roman et de la sélection pour le prix FNAC en France, selon son site personnel.

Sources wikipedia

Bibliographie

Romans
Retour à Little Wing, Autrement, 2014 ((en) Shotgun Lovesongs, 2014)
Des hommes de peu de foi, Autrement, 2016 ((en) The Hearts of Men, 2017)
Le Petit-Fils, Stock, 2020 ((en) Little Faith, 2019)
La Maison dans les nuages, Stock, 2023
Recueil de nouvelles
Rendez-vous à Crawfish Creek, Autrement, 2015
Tronçonneuse party (The Chainsaw Soirée)
Un goût de nuage (Rainwater)
Sven & Lily
Rendez-vous à Crawfish Creek (In Western countries)
Sous le feu de joie (Benneath the bonfire)
Brut aromatique (Sweet Light Crude)
Les restes (Leftovers)
Morilles (Morels)
Lenteur ferroviaire (Train people move slow)
Pommes (Apples)


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Tag amitié sur Des Choses à lire La-mai10

"Cette maison allait changer leur fortune. Ils le sentaient. »

Cole, Bart et Teddy sont associés d’une petite entreprise de construction à Jackson, dans le Wyoming. Lorsque Gretchen Connors, une richissime avocate californienne, leur propose de terminer de bâtir une sublime maison au cœur des montagnes voisines, le trio aperçoit une porte de sortie, loin de leur quotidien banal. Cette maison serait un bijou architectural, la plus belle de toute la région, leur chef-d’œuvre.
Un seul problème : ils doivent terminer le chantier en quatre mois, ce qui signifie travailler jour et nuit. Et pourquoi le précédent entrepreneur a-t-il jeté l’éponge ?Mais l’appât du gain est trop fort. Ils acceptent.Alors qu’un hiver glacial s’installe, que le chantier se met en difficilement en branle, Cole doit aussi gérer son divorce malheureux, Teddy ses quatre filles et Bart son addiction à la méthadone. Cette maison qui semblait être un petit coin de paradis, ne deviendrait-elle pas leur pire cauchemar ?
Portrait d’une Amérique orpheline de ses rêves, coincée entre le mirage du bien-être et un capitalisme implacable, La Maison dans les nuages est un roman noir à couper le souffle. Traduit de l’anglais (États-Unis) par Mireille Vignol

                     

Ce livre est inspiré de faits réels.
Butler a trouvé le sujet assez intéressant pour en faire un roman, tu m'étonnes Nicko !
Il y a temps à dire sur l'individualisme du nanti richissime, tant à écrire sur la société américaine décomplexée, indécente et concupiscente.
Et j'y suis rentrée dans le Wyoming
accrochée dans le pickup avec Cole, Bart et Teddy, j'ai longé les ravins et les canyons délaissés peu de temps auparavant alors embarquée avec les Cowboys lors de la ruée vers l'or, accompagnée de Dorothy Marie Johnson, sous la colline des potences et m'y revoilà près de 70 ans plus tard, dans une Amérique toujours plus libéraliste, toujours plus capitaliste.
On troque le scalp des indiens contre celui  bien plus sournois des nababs qui n'hésitent pas à dépouiller son prochain  et ce à tous les étages d' une société consumériste.
L' Amérique de tous les possibles, de tous les rêves, chacun veut son lot, à commencer par l'opportunité de vivre décemment, se fixer ou s'orienter, puis surtout, à terme, se faire un tas de pognon, le leitmotiv majeur, vecteur autorisant toutes les manières d'y arriver.
Alors pourquoi pas accepter la construction de cette maison dans les nuages, dans les hauteurs des canyons, à 80 bornes de la ville, projet aussi incroyable que dément, sans doute parce que terminée à temps, le bonus est colossal pour nos trois amis.
Le présent c'est maintenant, action !
Prenons le challenge, nous, Cole, Bart et Teddy, les prolos, potes d'enfance et chefs d'une petite d'entreprise de construction de quartier, à peine connus, à peine certains de terminer ce chantier extravagant destiné en général à des entreprises calibrées avec pignon sur rue, à des hommes d'affaires aux dents longues rayant le parquet à peine posé.
4 mois de délai en plein hiver, à peine entendable (voire réalisable) et pourtant, ils s'y collent, prenant avec les exigences d'une propriétaire à laquelle on ne dit pas non et peu importe finalement les questionnements legitimes sur le pourquoi de leur embauche...
Et on les comprend, il faut dire qu'on s'y attache à ces trois là, Nickolas Butler, avec ce talent que je découvre, nous les rend proches, dresse des portraits intimistes qui font que la proximité s'installe.
Elle s'établit tellement qu'on se marre, stresse, souffre avec eux, on attend l'accident de chantier en sachant que la populace aux states n'a majoritairement pas les moyens de se payer une assurance , mais youpi, peut-être l'Obamacare sera bénéfique...
on suit la construction, un chantier soumis à un climat capricieux et déplorable à cette période de l'année et peu importe les conditions pour le ou la millionnaire, un délai et un délai, d'ailleurs, que vaut la vie d'un ouvrier ?

" c'est la nature des choses avec t'il raisonné, ça se passe peut-être ainsi depuis des temps immémoriaux. À cette heure même, des hommes s'affairaient pour ériger ce palais contemporain, ce projet "phare" destiné à une personne d'une richesse inconcevable.
Des milliers d'années auparavant l'histoire était la même, sauf qu'une main d'oeuvre multipliée par plusieurs centaines avait bâti une pyramide pour un type quelconque qui se prenait pour un dieu.
Il y avait ceux qui faisaient construire et ceux qui construisaient. Tout comme il y avait ceux qui se retroussaient les manches et les autres. "

Et je les ai presque retroussées mes manches, même si mes connaissances en matière de travaux sont presqu'aussi désastreuses que ma defense criarde pour faire fuir un grizzli.
Je les ai vus se tuer à la tâche, avaler les heures jour après jour comme des forcenés,  j'ai observé l'arrivée de la meth comme palliatif et carburant, assisté aux pertes de repères et à tout bon sens, perçu l'inévitable... au nom de l'argent, de l'appât du gain qui s'ancre au plus profond des exploités ne rêvant que d'évasion , de se libérer d'une vie contrariée, d'offrir une vie meilleure à une famille d'invisibles.
Ils sont si proches de cette entreprise, nos associés.
Si loin, pourtant, du monde qui leur donne la becquée, quelques miettes à l'orée d'une frontière dorée hors d'atteinte...

Un roman noir qui ne manque pas de panache. Doté d'un style acéré et d'un  regard critique, Nickolas Butler met en lumière les dérives d'une partie de l'Amérique désespérée et désemparée.
Derrière le suspense qui monte en puissance, c'est un cri silencieux que l'on entend, celui de tous les imperceptibles, des oubliés , cahotés, chahutés, maltraités, dominés et opprimés.
C'est le monde du bas, celui que l'on monnaie, puisque tout s' achète, même la mort.
 
Un roman percutant et éloquent.


\Mots-clés : #addiction #amitié #lieu #nature #reve
par Ouliposuccion
le Jeu 15 Fév - 7:51
 
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Sujet: Nickolas Butler
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Fabio Andina

Jours à Leontica

Tag amitié sur Des Choses à lire 51mjqi10

« Nous avions parlé un moment puis je lui avais demandé s’il serait d’accord que je le suive dans ses journées. Histoire de vivre un peu comme lui. »

Le narrateur accompagne donc le Felice, ancien maçon de « nonante ans », à la « gouille » (point d’eau) où il se baigne chaque petit matin (on est fin novembre, à mille quatre cents mètres d’altitude).
« Le plus souvent, Felice ne marche pas pour se déplacer mais pour passer le temps. »

« Le Felice n’a pas la télévision, ni la radio, ou le téléphone. Il n’a même pas de boîte aux lettres. Le peu de courrier qu’il reçoit, la factrice Alfonsa le lui remet en mains propres, ou alors elle le laisse sur le banc avec une pierre par-dessus, et s’il pleut elle le pose sur la table de la cuisine, de toute façon la porte est toujours ouverte. »

« C’était nous, les enfants, qui allions dans les bois les ramasser avec nos paniers, parce qu’à l’époque c’était ou patates ou châtaignes, ou châtaignes ou patates, si tu veux savoir. Ou grillées ou cuites. Ou cuites ou grillées, les châtaignes. C’était soit l’un soit l’autre. C’était pas comme les patates, qu’elle savait préparer de mille et une façons, alors on pouvait pas dire qu’on mangeait tout le temps la même chose. Non, on mangeait des gnocchis, de la purée, des patates cuites au four avec du romarin ou dans les braises. On mangeait la soupe de patates, les patates avec des oignons, ou juste cuites à l’eau avec un peu de sel, et j’en passe. »

À Leontica, village des Alpes tessinoises avec ses baite (chalets) couvertes de piole (lauzes, pierres plates), il y a aussi le Floro dit le Ramoneur, le Sosto et le Brenno, la Vittorina, la Sabina, la Candida, la Muette, le Pep, l’Emilio…
« À ses bestioles il donne un fourrage fait d’herbes triées sur le volet qu’il ramasse en se promenant à travers champs. Un jour je lui avais apporté un plein sac d’herbe de mon jardin, mais il m’avait dit que ses lapins n’y toucheraient pas, parce que je l’avais coupée à la débroussailleuse et qu’ils le sentent quand ça pue les gaz d’échappement. »

Et les chiens, les chats, et la nature.
« Des lames de lumière froide percent la pinède. Les rayons obliques illuminent les plumes bleues des ailes de deux geais qui se pourchassent en jasant entre les sapins. Hors de la pinède, au bord de l’étroit chemin de terre, sur le tronçon qui relie les deux ponts, un écureuil fourrage dans les taillis. Il nous aperçoit, bondit sur un grand tronc et disparaît dans une cavité, une châtaigne entre les dents. Ses dernières provisions avant l’hiver. »

« L’Adula, avec son glacier en lutte contre le réchauffement climatique, contraint jour après jour de laisser dévaler des pans entiers de notre histoire. Ses souvenirs toujours plus étriqués, comme un vieillard devenant sénile. »

Il y a aussi quelques points mystérieux : le Felice semble lire les pensées, à été en Russie, prépare l’arrivée de quelqu’un.
« Puis j’entends encore ses mots, ses histoires, celle de sa mère qui cuisinait des gnocchis le dimanche, celle de la gouille en Russie et de la vache tuée pendant son service militaire et que le monde est rempli de crétins qui se font plumer comme des pigeons, que le monde est aux mains des plus grands margoulins de cette terre. Et au fait qu’il ne croyait qu’au respect réciproque et rien d’autre. »

Sorte de chronique testimoniale, à valeur quasiment historique voire ethnologique (avec notamment le recours judicieux au vocabulaire local), sur un terroir, et une personne sensible à son environnement. La paisible routine du hameau, élevage de la volaille à la vache, potager, troc, entraide (et pourtant indépendance respectée), une certaine sobriété (mais pas toujours en ce qui concerne l’alcool et le tabac), une qualité de silence, de lenteur (pas toujours non plus), et beaucoup de routine, parties de scopa au bar et l’essentielle Sarina (fourneau à bois). Une communauté avec aussi ses drames, dans un passé prégnant.
Merci @Topocl, j'ai aimé !

\Mots-clés : #amitié #lieu #nature #nostalgie #ruralité #solidarite #vieillesse #viequotidienne
par Tristram
le Jeu 1 Fév - 11:30
 
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Sujet: Fabio Andina
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Sylvain Prudhomme

Par les routes

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Sacha, le narrateur, dans la quarantaine, a quitté Paris pour s’installer à V. afin de commencer une nouvelle existence, d’écriture solitaire. Mais très vite il retrouve « l’autostoppeur », ami perdu de vue depuis près de vingt ans.
« J’ai pensé à l’autostoppeur. À cette fable qui m’était un jour revenue, juste avant que je lui demande de sortir de ma vie : le pot de fer qui ne veut pas de mal au pot de terre, qui lui veut même sincèrement du bien, et qui pourtant, d’un faux mouvement, le réduit en miettes. Le pot de terre qui un jour, d’avoir trop frayé avec le pot de fer, se brise.
Il y a deux options face au destin : s’épuiser à lutter contre. Ou lui céder. L’accepter joyeusement, gravement, comme on plonge d’une falaise. Pour le meilleur et pour le pire. »

Cet autostoppeur compulsif part souvent à l’aventure, quoique marié à Marie avec un fils, Agustin ; il se limite à la France, recherche surtout la rencontre de hasard, fait des polaroids de ses « autostoppés ».
« Moi j’ai besoin de partir. C’est nécessaire à mon équilibre. Si je reste trop longtemps sans partir j’étouffe. »

« C’était comme s’il avait toujours besoin que sa trajectoire en frôle d’autres. Comme si son appétit, sa curiosité, sa faim lui rendaient viscéralement impossible de renoncer à la multitude des rencontres possibles. Peut-être avait-il, plus qu’un autre, conscience de la foule de vivants lancés en même temps que lui dans la folie de l’existence. Peut-être percevait-il avec plus d’acuité leur présence autour de lui, pareillement occupés à vivre, à aimer, à mourir. »

C’est un ancien colocataire à la fac, avec qui il partait « sur les routes deux mois par an l’été ». Marie, traductrice, s’habitue à ses absences ; bien sûr, elle s’éprend de Sacha et réciproquement (c’est inévitablement comme ça dans toutes les histoires, rapprochements qui se rencontrent aussi dans l’existence, au gré des circonstances).
Puis l’autostoppeur, s’écarte des autoroutes, et visite des hameaux, dont il envoie des cartes postales. Marie le retrouve par hasard dans le Nord, mais le laisse seul. Sacha, elle et Agustin vivent ensemble, recevant des nouvelles de leur « envoyé spécial », qui ne rompt l’attachement que progressivement. L’autostoppeur revient, le temps d’emmener Sasha pour un voyage (en stop) au petit village d’Orion, puis disparaît. Enfin, ils reçoivent une invitation à un week-end de camping à la campagne près d’un hameau appelé Camarade, où sont conviés tous les « automobilistes » de l’autostoppeur, et où ce dernier n’apparaîtra pas.
Histoire qui m’a paru un peu longue, mélancolique, et qui évoque originalement le voyage et les départs, et les rencontres de hasard.
(@Topocl : encore touché (pour les souvenirs de stop), mais pas encore coulé !)

\Mots-clés : #amitié #amour #aventure #voyage
par Tristram
le Ven 29 Déc - 15:43
 
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Sujet: Sylvain Prudhomme
Réponses: 13
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Mathias Enard

L'Alcool et la Nostalgie

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Dans cette novella, « Mathias » retourne à Moscou retrouver Jeanne (de France, peut-être celle du transsibérien de Cendrars) à l’annonce de la mort de Vladimir (de qui son amante Jeanne s’est éprise : les « trois matriochki » ont vécu là ensemble pendant un an, de littérature russe, d’alcool et de drogue). Il accompagne la dépouille de ce dernier en Sibérie, tous les deux seuls dans un compartiment de train avec la vodka, la nostalgie et des souvenirs historiques et littéraires de la Russie.
« …] les livres qui sont bien plus dangereux pour un adolescent que les armes, puisqu’ils avaient creusé en moi des désirs impossibles à combler. Kerouac, Cendrars ou Conrad me donnaient envie d’un infini départ, d’amitiés à la vie à la mort au fil de la route et de substances interdites pour nous y amener, pour partager ces instants extraordinaires sur le chemin, pour brûler dans le monde, nous n’avions plus de révolution, il nous restait l’illusion du voyage, de l’écriture et de la drogue. »


\Mots-clés : #addiction #amitié #amour #ecriture #jeunesse #nostalgie
par Tristram
le Mer 20 Déc - 16:12
 
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Jean Giono

Le Chant du monde

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Antonio, du fleuve (c’est un pêcheur qui vit sur l’île des geais), dit « bouche d’or », et Matelot, de la forêt (un ancien marin devenu bûcheron), partent à la recherche du besson, le dernier fils de ce dernier, parti dans le nord former un radeau de bois. Parvenus en pays Rebeillard, ils secourent une jeune aveugle, Clara « aux yeux de menthe », qui met au monde son fils seule dans la nuit, et la confient à « la mère de la route ». C’est le pays de Maudru, et ses bouviers traquent le besson.
Giono est toujours attentif à la nature.
« L’odeur des mousses se leva de son nid et élargit ses belles ailes d’anis. Une pie craqua en dormant comme une pomme de pin qu’on écrase. Une chouette de coton passa en silence, elle se posa dans le pin, elle alluma ses yeux. »

Ils cheminent vers Villevieille et ses tanneries, avec les malades d’une mystérieuse maladie (on pense à Le hussard sur le toit), et Médéric, le fils de la sœur de Maudru, que le « cheveu-rouge » (le besson) a blessé à mort. Ils retrouvent ce dernier chez monsieur Toussaint, le marchand d’almanachs (le guérisseur), qui est Jérôme, frère bossu de Junie, la femme de Matelot. Le dernier de deux jumeaux s'y est réfugié avec Gina, la fille de Maudru, qu’il a enlevée (et qui est déçue).
Médéric, donc Gina était la promise, meurt ; les Maudru les surveillent. Antonio rêve de Clara, Matelot de la mort qu’il voit comme un grand voilier blanc sur la montagne. Ce dernier meurt poignardé par les bouviers. Le besson et Antonio incendient Puberclaire, résidence de Maudru avec ses étables à taureaux.
Clara retrouvée par Antonio, les deux couples redescendent vers le sud pour y construire une nouvelle vie.
Le personnage du fleuve est sensible lorsqu’Antonio s’y baigne, et aussi lors de la débâcle printanière du renouveau de l’amour.
Ce roman est baigné d’une atmosphère légendaire, accentuée par certains vocables des lieux, et une faune fantastique, comme le congre d’eau douce et les houldres, mais aussi par des obscurités dans les dialogues et les péripéties.
« Il y avait une espèce d’oiseau qu’au pays Rebeillard on appelait les houldres. Ils étaient en jaquette couleur de fer avec une cravate d’or. »

C’est un univers apparemment symbolique, où j’ai reconnu des allusions mythologiques, mais sans qu’il semblât décryptable à la façon d’une parabole : c’est un fusionnement syncrétiste des humains avec les éléments et animaux et vice-versa, de l’homme-fleuve aux oiseaux qui parlent, tous participant d’une source de vie commune.

\Mots-clés : #amitié #amour #famille #jeunesse #merlacriviere #mort #nature #relationenfantparent #ruralité #violence
par Tristram
le Dim 19 Nov - 13:02
 
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Sujet: Jean Giono
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Jean Giono

Solitude de la pitié

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Vingt nouvelles souvent assez brèves :

Solitude de la pitié
Prélude de Pan
Champs
Ivan Ivanovitch Kossiakoff
La main
Annette ou une affaire de famille
Au bord des routes
Jofroi de la Maussan
Philemon
Joselet
Sylvie
Babeau
Le mouton
Au pays des coupeurs d'arbres
La grande barrière
Destruction de Paris
Magnétisme
Peur de la terre
Radeaux perdus
Le chant du monde


La première et l’éponyme me choque toujours malgré les relectures : un curé de village et sa servante profitent de manière particulièrement sordide du dénuement de nécessiteux, sans songer dans leurs calculs à en soulager la misère.
La seconde, Prélude de Pan, déjà présentée par Aventin ICI, demeure extraordinaire : après de menaçants signes météorologiques de la nature, l’homme avec « sa face de chèvre avec ses deux grands yeux tristes allumés », révolté par un assassin d’arbres (un bûcheron) qui a brisé l’aile d’une colombe des bois pour l’assujettir…
« De quel droit toi, tu l'as prise, et tu l'as tordue ? De quel droit, toi, le fort, le solide, tu as écrasé la bête grise ? Dis-moi ! Ça a du sang, ça, comme toi ; ça a le sang de la même couleur et ça a le droit au soleil et au vent, comme toi. Tu n'as pas plus de droit que la bête. On t'a donné la même chose à elle et à toi. T'en prends assez avec ton nez, t'en prends assez avec tes yeux. T'as dû en écraser des choses pour être si gros que ça... au milieu de la vie. T'as pas compris que, jusqu'à présent, c'était miracle que tu aies pu tuer et meurtrir et puis vivre, toi, quand même, avec la bouche pleine de sang, avec ce ventre plein de sang ? T'as pas compris que c'était miracle que tu aies pu digérer tout ce sang et toute cette douleur que tu as bus ? Et alors, pourquoi ? »

…Pan déchaîne une bacchanale orgiaque en manière de leçon aux hommes.
« Et ça entrait dans la pâte que l'homme pétrissait par la seule puissance de ses yeux, et ça entrait dans la pâte du grand pain de malheur qu'il était en train de pétrir. »

Ivan Ivanovitch Kossiakoff est une histoire apparemment autobiographique : agent de liaison avec les Russes dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, il lie une amitié sans parole avec un colosse.
L’auteur est d’ailleurs mis en scène dans la plupart des textes, où « Monsieur Jean » converse avec paysans, vieillards et bergères ; il collecte ainsi les paroles, l’enseignement du monde.
Il s’intéresse notamment aux arbres :
« On voit que vous ne le connaissez pas. Si on n'y était pas, ça ferait tout à sa fantaisie. L'arbre, c'est tout en fantaisie. C'est intelligent, je dis pas ; ça comprend des choses... mais c'est comme des bêtes, ça passe son temps à l'amusement. »

(Le mouton)
« Donc, pour nous remplacer la fontaine on plantait un cyprès au bord de la ferme, et comme ça, à la place de la fontaine de l'eau, on avait la fontaine de l'air avec autant de compagnie, autant de plaisir. Le cyprès, c'était comme cette canette qu'on enfonce dans le talus humide pour avoir un fil d'eau. On enfonçait le cyprès dans l'air et on avait un fil d'air. »

Le dernier extrait provient d’Au pays des coupeurs d'arbres où Giono, déjà écologiste, déplore les coupes rases :
« On a passé toute notre terre à la tondeuse double zéro : le pays vient d'être condamné aux travaux forcés à perpétuité. »

Ce recueil est une pépinière d’images, mais aussi de romans, comme avec le thème de la réaction cataclysmale de la nature ; c’est notamment le cas du dernier texte, Le chant du monde, qui annonce le roman du même nom et revendique l’égalité de traitement (sensoriel, littéraire, voire juridique) des éléments de la nature comme de l’homme, jusque dans leur violence.
« Il faut, je crois, voir, aimer, comprendre, haïr l'entourage des hommes, le monde d'autour, comme on est obligé de regarder, d'aimer, de détester profondément les hommes pour les peindre. Il ne faut plus isoler le personnage-homme, l'ensemencer de simples graines habituelles, mais le montrer tel qu'il est, c'est-à-dire traversé, imbibé, lourd et lumineux des effluves, des influences, du chant du monde. »

Ce qui m’a cette fois encore marqué dans ce recueil, c’est la « lutte entre l'homme et la garrigue » (Champs), combat désespéré qui trouve souvent son issue dans le suicide « Des hommes perdus sur des radeaux, en pleine terre » (Radeaux perdus), faibles dans le dur monde : pas la moindre notion de liberté évoquée à propos de l’humanité.

\Mots-clés : #amitié #contemythe #ecologie #nature #nouvelle #ruralité #spiritualité
par Tristram
le Ven 17 Nov - 11:09
 
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Sujet: Jean Giono
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Luis Sepulveda

Le neveu d'Amérique

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Recueil de quelques notes de Luis Sepúlveda, avec en entrée la formation par le grand-père à Santiago :
« Le gag consistant à me remplir de limonade pour ensuite me faire pisser à la porte des églises, nous l’avions maintes fois répété depuis que j’avais commencé à marcher et le vieux avait fait de moi son compagnon d’aventures, le petit complice de ses mauvais coups d’anarchiste à la retraite. »

Voilà qui suggère quelques activités récréatives pour égayer les proches retrouvailles avec mes petits-fils.
Suit une évocation de son « voyage à nulle part », de l’activisme communiste à la prison avec tortures, évocation sinistre rendue bouffonne par un humour détaché, quasiment gracieux.
« Un voyage d’aller », c’est d’abord l’errance dans la peur, c'est-à-dire l’Amérique du Sud des années soixante-dix, et deux péripéties romanesques en Équateur, soient autant de récits qui valent par l’art du conteur que par les personnages rencontrés.
« Un voyage de retour », c’est Chiloé, « l’antichambre de la Patagonie », où Luis rentre au pays, enfin autorisé à le faire par les autorités chiliennes. Il devait voyager avec Bruce Chatwin (mort entretemps, voir son fil), sur les traces de Butch Cassidy et Sundance Kid. Vin et agneau toujours au menu, mais surtout des histoires incroyables, comme les concours de mensonges et son ami Carlos l’aviateur.
L’adelantado Arias Pardo Maldonado aurait exploré la Patagonie :
« “Les habitants de Trapananda sont grands, monstrueux et velus. Leurs pieds sont aussi longs et démesurés que leur démarche est lente et maladroite, ce qui fait d’eux une cible facile pour les arquebusiers.
“Les gens de Trapananda ont les oreilles si grandes qu’ils n’ont pas besoin pour dormir de couvertures ou de vêtements protecteurs, car ils se couvrent le corps avec leurs oreilles.
“Les gens de Trapananda dégagent une telle puanteur et pestilence qu’ils ne se supportent pas entre eux, de sorte qu’ils ne s’approchent, ne s’accouplent ni n’ont de descendance.” »

« Avec lui naît la littérature fantastique du continent américain, notre imagination débridée, et cela suffit pour lui accorder une légitimité historique. »

« L’arrivée », c’est Martos en Andalousie, pays d’origine de son grand-père, où il retrouve le frère cadet de ce dernier.
« on est d’où on se sent le mieux »

Ces notes sont vraisemblablement extraites d’un carnet offert par Chatwin :
« Je me rappelle cela tandis que j’attends, assis sur une barrique de vin, face à la mer, au bout du monde, et je prends des notes sur un carnet aux pages quadrillées que Bruce m’a offert précisément pour ce voyage. Il ne s’agit pas d’un carnet ordinaire. C’est une pièce de musée, un de ces authentiques carnets de moleskine si appréciés par des écrivains comme Céline ou Hemingway, et à présent introuvables dans les papeteries. »

Luis Sepúlveda a le don de ne faire qu’effleurer, notamment la terreur dictatoriale, et à cet aspect élusif, elliptique, tient beaucoup de son pouvoir de faire rêver.

\Mots-clés : #amitié #autobiographie #exil #humour #regimeautoritaire #voyage
par Tristram
le Sam 20 Mai - 13:02
 
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Sujet: Luis Sepulveda
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Javier Marías

Comme les amours

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La narratrice apprécie ses petits déjeuners dans une cafétéria à cause de la présence d’un couple heureux et jovial qui la met de bonne humeur pour sa journée de travail à Madrid, dans une maison d’édition. Il s’agit de Miguel Desvern ou Deverne et Luisa Alday ; lui est poignardé à mort le jour de ses cinquante ans, par erreur, pratiquement par hasard, pour tout dire stupidement, par un indigent.
Habituel décri cocasse des auteurs, si prétentieux, exigeants, exaspérants :
« Il voulait passer pour anticonventionnel et transcontemporain, mais dans le fond il était comme Zola et quelques autres : il faisait l'impossible pour vivre ce qu'il imaginait, voilà pourquoi tout paraissait artificiel et travaillé dans ses livres. »

Le drame est inattendu, presque improbable.
« Toutes ces informations étaient réparties sur deux jours, les deux qui suivaient l'assassinat. Ensuite la nouvelle avait complètement disparu des journaux, comme c'est le cas pour toutes actuellement : les gens ne veulent pas savoir pourquoi les choses se passent, seulement ce qui se passe, et que le monde est plein d'imprudences, de dangers, de menaces et d'infortunes qui nous frôlent, mais en revanche atteignent et tuent nos semblables négligents, ou peut-être non choisis par le sort. Nous vivons ensemble sans problème avec mille mystères irrésolus qui nous occupent dix minutes le matin et que nous oublions ensuite sans qu'ils nous laissent d'irritation ni de trace. Nous avons besoin de ne rien approfondir, de ne pas nous attarder sur un fait ou sur une histoire quelle qu'elle soit, que notre attention passe d'une chose à l'autre et que les malheurs des autres se renouvellent, comme si après chacun d'eux nous pensions : "Eh bien, quelle horreur. Et qu'est-ce qu'il y a d'autre. À quelles autres horreurs avons-nous échappé. Chaque jour, par contraste, nous avons besoin de nous sentir survivants et immortels, alors racontez-nous d'autres atrocités, parce que celles d'hier nous les avons déjà épuisées." »

María Dolz, la narratrice, rencontre Luisa, puis Javier Díaz-Varela, ami du défunt qui lui a demandé de s’occuper de sa femme s’il décédait, et ce sont de longues considérations sur la mort et le deuil. Javier couche avec María, temporairement, en succédané de Luisa, tandis qu’elle garde son autre amant, Leopoldo, au cas où.
« Oui, nous sommes tous des succédanés de gens que nous n'avons presque jamais connus, des gens qui ne s'approchèrent pas ou qui passèrent sans s'arrêter dans la vie de ceux que nous aimons à présent, ou qui s'y arrêtèrent mais se lassèrent finalement et qui disparurent sans laisser de trace ou seulement la poussière que soulèvent leurs pieds dans la fuite, ou qui moururent causant à ceux que nous aimons une mortelle blessure qui presque toujours finit par se refermer. Nous ne pouvons prétendre être les premiers, ou les préférés, nous sommes tout simplement ce qui est disponible, les laissés-pour-compte, les survivants, ce qui désormais reste, les soldes, et c'est sur des bases si peu nobles que s'érigent les amours les plus grandes et que se fondent les meilleures familles, nous provenons tous de là, de ce produit du hasard et du conformisme, des rejets, des timidités et des échecs d'autrui, et même dans ces conditions nous donnerions parfois n'importe quoi pour continuer auprès de celui que nous avons un jour récupéré dans un grenier ou une brocante, que par chance nous avons gagné aux cartes ou qui nous ramassa parmi les déchets ; contre toute vraisemblance nous parvenons à nous convaincre de nos engouements hasardeux, et nombreux sont ceux qui croient voir la main du destin dans ce qui n'est autre qu'une tombola de village quand l'été agonise... »

« Bien entendu on pleure l'ami, comme j'ai moi-même pleuré Miguel, mais il y a là aussi une agréable sensation de survie et de meilleure perspective, d'être celui qui assiste à la mort de l'autre et non l'inverse, de pouvoir contempler le tableau achevé et de raconter son histoire à la fin, de prendre en charge les personnes qu'il laisse désemparées et de les consoler. À mesure que les amis meurent on se sent rapetissé et plus seul, et parallèlement on commence le compte à rebours. "Un de moins, un de moins, je sais ce qu'il en fut d'eux jusqu'au dernier instant, et je suis celui qui reste pour le relater. Moi, en revanche, personne parmi ceux pour qui je compte vraiment ne me verra mourir ni ne sera capable de me raconter totalement, ainsi dans un certain sens je serai toujours inachevé parce qu'ils n'auront pas la certitude que je ne continue pas à être éternellement vivant, s'ils ne m'ont pas vu tomber." »

Javier analyse Le Colonel Chabert de Balzac (Shakespeare est aussi beaucoup cité).
« --- Ce qui lui arrive est secondaire. C'est un roman, et ce qui se passe dans les romans n'a pas d'importance et on l'oublie, une fois qu'ils sont finis. Ce sont les possibilités et les idées qu'ils nous inoculent et nous apportent à travers leurs cas imaginaires qui sont intéressantes, on s'en souvient plus nettement que des événements réels et on en tient compte. »

Précises observations psychologiques et sociales.
« Admettons, peut-être son interlocuteur était-il l'un de ces hommes, ils sont légion, à qui l'on ne peut s'adresser qu'avec un vocabulaire déterminé, le leur, pas celui que l'on emploie normalement, à qui il vaut mieux toujours s'adapter pour qu'ils ne se défient pas de vous, ne se sentent pas mal à l'aise ou diminués. Je n'en fus pas du tout vexée, pour la plupart des types de la planète je ne serais qu'"une gonzesse". »

María surprend une conversation de Javier avec un certain Ruibérriz, d’où il ressort qu’ils sont complices dans l’assassinat de Miguel.
Elle évoque Athos et Milady dans Les Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas.
« Nous ne sommes plus dans ces temps reculés où tout devait être jugé ou du moins être su ; aujourd'hui les crimes jamais élucidés ni punis sont incalculables parce qu'on ignore qui peut les commettre --- il y en a tant qu'il n'y a pas assez d'yeux pour regarder à l'entour --- et l'on trouve rarement quelqu'un à mettre sur la sellette avec un peu de vraisemblance : attentats terroristes, assassinats de femmes au Guatemala ou à Ciudad Juárez, règlements de comptes entre trafiquants, massacres sans discrimination en Afrique, bombardements de civils par ces avions sans pilote et par conséquent sans visage... Encore plus nombreux sont ceux dont personne ne s'occupe et qui ne donnent même pas lieu à enquête, c'est considéré comme peine perdue et on les classe sitôt qu'ils ont eu lieu ; et plus encore ceux qui ne laissent pas de trace, qui ne sont pas enregistrés, qui ne sont jamais découverts, ceux qui sont inconnus. »

Javier explique à María comme, bien que commanditaire, il laissa une grande part d’incertitude dans l’enchaînement meurtrier, dégageant ainsi sa responsabilité personnelle.
« --- Oui, Luisa sortira de l'abîme, n'aie aucun doute là-dessus. En fait elle en sort déjà, un peu plus chaque jour qui passe, je le vois bien et il n'est pas de retour en arrière possible une fois commencé le processus d'adieu, le second et définitif, celui qui n'est que mental et qui nous donne mauvaise conscience parce qu'il nous semble que nous nous déchargeons du mort --- c'est ce qu'il nous semble et c'est bien le cas. Un recul ponctuel peut se produire, selon le cours de la vie de chacun ou en fonction d'un hasard quelconque, mais rien de plus. Les morts n'ont que la force que leur accordent les vivants, et si on la leur retire... Luisa se libérera de Miguel, dans une bien plus large mesure qu'elle ne pourrait se l'imaginer à cet instant, et cela il le savait parfaitement. Qui plus est, il décida de lui faciliter la tâche selon ses possibilités, ce fut en partie pour cette raison qu'il me fit sa demande. En partie seulement. Bien entendu il y avait une raison qui pesait davantage. »

Miguel aurait été condamné à court terme par un cancer généralisé, avec des étapes atroces à brève échéance.
« Les gens croient qu'ils ont droit à la vie. De plus, cela figure presque partout dans les religions et les lois, quand ce n'est pas dans les Constitutions, et cependant lui ne le voyait pas ainsi. Comment avoir droit à ce que l'on n'a ni construit ni mérité ? disait-il. Personne ne peut se plaindre de ne pas être né, ou de ne pas avoir été avant dans le monde, ou de ne pas y avoir toujours été, alors pourquoi faudrait-il se plaindre de mourir, ou de ne pas être après dans le monde, ou de ne pas toujours y rester ? L'une comme l'autre de ces assertions lui semblaient absurdes. Personne ne fait d'objection sur sa date de naissance, donc on ne devrait pas non plus en faire sur celle de sa mort, également due à un hasard. Même les morts violentes, même les suicides, sont dus à un hasard. Et si on a déjà été dans le néant, ou dans la non-existence, il n'est pas si étonnant ou si grave d'y retourner bien que nous ayons maintenant un point de comparaison et que nous connaissions la faculté de regretter. »

María est draguée par Ruibérriz, l’ami voyou de Javier, et obtient ainsi d’autres informations sur leur « homicide compassionnel ».
Le récit s’autocite et ratiocine, et vaut essentiellement pour les réflexions sur la place des morts, l’amour, ou encore l’impunité, qu’il explore dans un style précis.

\Mots-clés : #amitié #amour #contemporain #criminalite #mort #psychologique #relationdecouple #xxesiecle
par Tristram
le Dim 19 Fév - 11:42
 
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Jacques Perret

Bande à part

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Jacques Perret se souvenait de sa captivité dans Le Caporal épinglé, ici c’est du maquis.
« Enfin, nous appartenions à l’O. R. A. ; d’autres se disaient affiliés à l’A. S., aux F. T. P., à ru. B. N. G. F., à la B. N. C. I., et un petit nombre se flattait bizarrement d’appartenir à l’I. S., ou Intelligence Service. Tout cela faisait un certain nombre de sociétés plus ou moins batailleuses, farfelues ou cafardes, spécialisées dans l’invention des traîtres, le châtiment martial, la lutte contre les Allemands, la foire d’empoigne, le sabotage, le scalp des ribaudes, l’arrachement des effigies du Maréchal. Un mélange traditionnel d’idéal et de rapine, sans oublier les délicats plaisirs du hors-la-loi avec les merveilleuses latitudes du bandit d’honneur. Peu importe, je n’ai pas du tout l’intention de faire la balance des mérites et méfaits du maquis. Je ne suis qu’un témoin minuscule et anecdotique, exclusivement solidaire de la petite troupe où je comptais, et parfaitement indifférent aux intérêts cafouilleux des autres bandes. Et là même où j’eus emploi, je travaillais clandestinement pour la gloire d’un petit nombre de fantômes. Après avoir cherché vainement pour quel vivant Bayard j’aurais pu honnêtement servir, mon secret plaisir fut de prêter mon bras à quelques ombres choisies comme Pharamond, Charette, Louis le Gros ou Gaston de Foix. Avec les copains, bien entendu, les copains affiliés à l’immémorial copinage de la piétaille. Le meilleur, le franc butin de ce genre d’aventure, c’est le souvenir des copains. »

Portrait des zigotos, dont l’adjudant :
« Tabaraud était souvent allumé, mais presque toujours il s’agissait d’une excitation naturelle, indépendante des tournées de vin blanc et due à la fermentation des petites idées anaérobies qui conspiraient sans relâche dans les replis de son âme. La vie intérieure de Tabaraud n’était jamais en repos. Il faisait justement une causerie éducative sur la trahison, d’où il semblait ressortir que sans trahison la terre serait une morne planète. Son éloquence était faite de galimatias gendarmique rehaussé d’une diction jacobine, mais il n’était pas prolixe et ne parlait jamais pour l’innocent plaisir de parler. En trois mots convenablement timbrés, il installait une présomption de drame au milieu d’une candide belote. Non seulement il ne pouvait supporter l’insouciance, mais il avait peine à y croire et tout ce qui était limpide était suspect ou provocant. Son approche faisait baisser la pression atmosphérique et soulevait la lie dans les tonneaux : un gonfleur d’angoisse, une levure à cailler les foules indécises, un bâtard ombrageux du désordre et de la peur. Pourtant naïf lui-même, presque innocent et comme irresponsable du terrible pouvoir qui lui était échu. Pour héler les gens sur la route, il disait volontiers : hé, l’ami ! ce qui avait un petit cachet vieillot et fraternel, mais l’ami en avait le dos glacé. Je dis tout de suite qu’à l’épreuve du feu l’âme de Tabaraud semblait se décanter progressivement. Brouillon, inquiet et même nocif à l’approche du péril, il se révélait assez ferme et lucide quand la bagarre lui tombait dessus. »

Mais le vrai portrait, c’est celui de Ramos, personnage haut en couleur et difficile à résumer, notamment insomniaque, sensible aux signes, bavard sibyllin, grand buveur et individualiste – Ramos et sa mort.
« – La terre, il faut veiller dessus et dormir dessous. »

« Maintenant je peux y aller, je me dis que le mort explique le vif, je rassemble mes croquis et je fais le portrait de Ramos, non seulement comme je l’ai vu mais comme je le revois. »

Le maquis est quelque chose d’assez brouillon, qui vit sur le pays (et comprend des « nordafes » ou « sarrasins » : des Kabyles) :
« Si notre formation avait été provisoirement hors du jeu, elle avait quand même démontré son existence et d’autres, mieux servies par la chance ou mieux conduites, avaient réussi quelques jolis coups si bien que l’ennemi en se retirant pouvait avoir la consolation de ne s’être pas dérangé pour rien ; et nous la satisfaction d’avoir retenu loin de l’Atlantique une division bien portante au prix d’une centaine de tués et d’une vingtaine de villages incendiés. Pour savoir si c’est un prix fort ou avantageux il faudrait avoir des barèmes que je n’ai jamais eus sous les yeux. »

« Tout le jour il avait fait beau, chaud, et le loriot avait longtemps chanté pendant que nous somnolions. Le chant du loriot a joué de bonne heure un rôle important dans ma vie car nous l’avions adopté entre gamins de la famille pour signal de reconnaissance. En vérité cette modulation limpide et flûtée, ces trois notes liquides et graves dans les cimes chaudes de la forêt, m’impressionne toujours comme un signal personnel de l’oiseau mystique m’invitant à la paresse ineffable. Où que je sois, en quelque équipage et compagnie, si le merle d’or vient à siffler j’entends bien que sa vocalise est une mise en garde contre la vanité des entreprises humaines et je m’en laisse conter par une rengaine qui dure probablement depuis le quatrième jour de la création. Angélique ou malin, je ne sais encore, l’exquis chanteur d’à-quoi-bon choisit avec astuce les heures méridiennes de l’été pour me convier à l’indolence métaphysique, au mépris des œuvres, au quiétisme le plus sommaire et je n’ai pas toujours sous la main les tambours qu’il faudrait pour couvrir son ramage. Enfin, nous étions étendus sur la mousse et, faisant suite au loriot, Ramos avait pris la parole pour nous conter à voix douce et chantante une histoire d’amour compliquée de querelles syndicales où se greffait un épisode technique de wagonnet de chantier avec de longues parenthèses sur la fidélité conjugale et des aperçus généreux sur la condition du mineur boiseur par rapport à la vertu des ancêtres et à la bonne foi des gouvernements, soit une de ces rhapsodies ramosiques où l’utilitaire et le contingent ne sont plus que hochets dérisoires pour la récréation de l’homme libre et dégoiseur à crédit. Tout cela pour vous montrer que l’annonce de coup de main jeta un froid. »

« Notre tâche était maintenant de houspiller les derniers convois de la retraite en attendant l’arrivée des troupes alliées. Déjà nous allions dans les campagnes avec plus d’assurance et, de jour en jour, il se confirmait que nous passions de la condition inquiète et précaire de l’insurgé à l’état plus reposant d’auxiliaire d’une armée victorieuse. Entre autres signes, on remarquait une affluence de candidats au maquis, l’établissement de contrats d’engagements et l’arrivée dans les compagnies d’un certain nombre d’officiers en quête d’emploi. Leur faire grief d’avoir attendu serait stupide. On attend par veulerie certes, mais aussi par flemme ou par devoir et, personnellement, j’ai passé une assez jolie part de ma vie à attendre pour connaître toutes les justifications de l’attente. Il va de soi que l’honneur autant que l’humeur puisse commander aux uns le choix rapide, aux autres l’expectative et nous savons que la fortune d’un pays est aussi bien dans les hommes qui savent attendre.
Évidemment, je ne parle pas des tard-venus de basse politique, des grands faquins et petits crasseux qui commençaient à s’ébrouer sur nos derrières et ménageaient leur fortune en lançant des pierres aux captifs, ni des durdedurs à mirlitraillette qui depuis peu se propageaient en lieux sûrs sur les ailes des automobiles pour annoncer le règne de la justice et de l’honneur. »

Le style est extrêmement travaillé, denséifié : les extraits sont représentatifs, le récit est toujours du même ton.
Le témoignage sur la Résistance est surtout marqué d'une modestie du dérisoire, sans aucune déférence ; l'essentiel dans ce livre me paraît surtout être le témoignage sur la piétaille, les copains disparus.

\Mots-clés : #amitié #autobiographie #deuxiemeguerre #terrorisme #xxesiecle
par Tristram
le Mar 7 Fév - 11:53
 
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Cormac McCarthy

Des villes dans la plaine

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Dans ce troisième tome de la Trilogie des confins nous retrouvons John Grady Cole (De si jolis chevaux) et Billy Parham (Le grand passage), qui travaillent ensemble comme cow-boys dans un ranch au Nouveau-Mexique, à la frontière du Texas et du Mexique (région économiquement défavorisée et que l’armée va réquisitionner). On retrouve aussi les dialogues laconiques de rudes taiseux dans un récit où l’action est lente, et qui détaille les gestes du savoir-faire passionné des chevaux.
John Grady tombe amoureux d’une très jeune prostituée dans un bordel de Juárez (Mexique) : c’est la belle Magdalena, par ailleurs épileptique, aux mains de son proxénète, Eduardo, et de l’alcahuete (entremetteur) de ce dernier, Tiburcio. John Grady va jusqu’à vendre son cheval pour la racheter par l’entremise de Billy, qui rencontre Eduardo ; il rafistole une petite maison d’adobe en ruine dans la montagne.
Les temps changent ; le vieux M. Johnson :
« Au bout d’un moment le vieil homme dit : Le lendemain de mes cinquante ans en mars 1917 je suis allé à cheval jusqu’au puits de Wilde, là où était la maison du ranch dans le temps, et il y avait six loups morts suspendus à la clôture. J’ai longé la clôture en passant la main dans leur fourrure. Je regardais leurs yeux. Un trappeur de l’administration les avait apportés là la veille au soir. On les avait tués avec des appâts empoisonnés. De la strychnine. Ou autre chose. Là-haut dans les Sacramentos. Une semaine plus tard il en a encore apporté quatre. Je n’ai pas entendu de loups dans le pays depuis. Sans doute que c’est une bonne chose. Ils peuvent être terribles pour le bétail. Mais je crois que j’ai toujours été comme qui dirait superstitieux. Je n’étais pas quelqu’un de religieux, certainement pas. Et j’ai toujours pensé qu’une créature peut vivre et mourir mais que la sorte de créature qu’elle était serait toujours là. Je ne savais pas qu’on pouvait tuer ça avec du poison. Voilà plus de trente ans que je n’ai pas entendu le hurlement d’un loup. Je me demande où il faudrait aller pour en entendre un. Il n’existe peut-être plus d’endroit comme ça. »

Impressionnante chasse au lasso des chiens sauvages qui tuent les veaux dans le chaparral.
Considérations sur le Mexique où les gens sont extrêmement accueillants, où on est vite tué.
Un vieux maestro mexicain aveugle (celui de Le grand passage ?) sympathise avec John Grady, lui apprend qu’Eduardo est amoureux de Magdalena, et lui raconte l’histoire d’un mourant qui demanda à son ennemi de devenir le padrino (parrain) de son enfant.
Le plan de John Grady pour l’évasion de Magdalena échoue : elle est égorgée par Tiburcio. John Grady tue Eduardo qu’il a provoqué dans un duel au couteau, et meurt de ses blessures. Billy rapporte son corps aux États-Unis, comme autrefois celui de son frère.
Billy, soixante-dix-huit ans, est devenu un vagabond. Il rencontre un autre vagabond (métaphysicien) qui lui raconte son rêve d’un vagabond se réveillant de son propre rêve dans une sorte de cérémonie sacrificielle antique (et peut-être mésoaméricaine).
« Le narrateur eut un sourire mélancolique comme un homme qui se souvient de son enfance. Ces songes-là nous révèlent aussi le monde, dit-il. Nous nous souvenons à notre réveil des événements dont ils se composent alors que le récit est souvent fugace et difficile à retenir. C’est pourtant le récit qui donne vie au rêve alors que les événements eux-mêmes sont souvent interchangeables. D’un autre côté les événements qui se produisent quand nous sommes éveillés nous sont imposés et le récit est l’axe insoupçonné autour duquel leur trame doit être tissée. Il nous appartient de peser et de trier et d’ordonner ces événements. C’est nous qui les assemblons pour en faire l’histoire que nous sommes nous. Tout homme est le poète de sa propre existence. C’est ainsi qu’il se rattache au monde. Car s’il s’évade du monde qu’il a rêvé cette évasion est à la fois sa punition et sa récompense. […]
Aux heures de veille le désir qui nous pousse à façonner le monde à notre convenance conduit à toutes sortes de paradoxes et de difficultés. Les choses en notre pouvoir sont agitées de profondes turbulences. Mais dans les rêves nous nous trouvons dans cette vaste démocratie du possible et c’est là que nous devenons d’authentiques pèlerins. Que nous allons au-devant de ce que nous devons rencontrer. »


\Mots-clés : #amitié #amour #aventure #mort #nature #violence
par Tristram
le Sam 17 Sep - 14:09
 
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Angela Huth

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Et bien, voilà une belle découverte !

Si vous voulez lire un roman sympa, avec des analyses psychologiques assez bien vues, et le refermer en vous sentant heureux.....ce livre est fait pour vous.

Résumé de l'éditeur :

" Myrtle est aussi réservée, sage et modeste qu'Annie est pétulante, séductrice et vaniteuse. Élevées dans un petit port perdu au fin fond de l'Écosse, elles ont appris ensemble à devenir des femmes. Des femmes de marins pêcheurs, dont le lot quotidien est lié à chaque caprice de l'océan, au retour de leur homme, aux rumeurs qui enflamment tout le village dès qu'un étranger en frôle le pavé... Patiemment, Myrtle s'emploie à calmer les tocades passagères de son amie et à pallier sa négligence à l'égard de Janice, l'unique fille d'Annie. Jusqu'au jour où survient le pire, et où le drame emporte avec lui tous les remparts contre les déchaînements des passions. Contre ces non-dits qui éclatent avec d'autant plus de force qu'ils ont été si savamment et si longtemps protégés"


Bon, on pourrait penser à première vue que c'est un roman genre Arlequin....et bien pas du tout.

Les personnages sont très bien étudiés, c'est très agréable à lire, léger, certes, mais au fond très proche de la réalité....ah ces petits villages où tout le monde s'épie, médit.... leur seule distraction.....en attendant le retour des pêcheurs et du poisson.

L'histoire se déroule en Ecosse, un petit port perdu qui vit essentiellement de la pêche...deux amies à la personnalité diamétralement opposée : Myrtle, solide, grande, pragmatique, aucune confiance en son physique, trop grande, trop si, trop, trop...  et son amie d'enfance Annie, sure d'elle, très jolie, tous les hommes (ou presque)  à ses pieds...

" Durant toutes leurs années d'amitié, il y a eu beaucoup de disputes entre Myrtle et Annie, mais celles dont elles se souviennent sont rares. La première d'une telle violence que Dot avait dû les séparer, s'était produite quand elles avaient cinq ou six ans. Elles en rient aujourd'hui, mais ni l'une ni l'autre n'évoquent cette cristallisation des différences entre elles, apparue de manière si flagrante ce jour-là. Si elles étaient trop jeunes à l'époque pour déterminer l'origine du malaise qui les avait assaillies, elles avaient compris par la suite qu'il provenait de la jalousie, de la rancoeur et de la légère envie que leur inspirait le mode de vie de l'autre.

Et oui, très différentes et pourtant très amies....

Des scènes du quotidien, des tasses de thé, des parties de cartes, le retour des marins, et bien tout ceci fait un roman très agréable à lire.... Smile


\Mots-clés : #amitié #amour #xxesiecle
par simla
le Jeu 10 Mar - 6:21
 
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Sujet: Angela Huth
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Zyranna Zateli

Tag amitié sur Des Choses à lire Cvt_le10

LE  VENT  D'  ANATOLIE. - Quidam Ed.

Dans un pauvre village du nord de la Grèce, une vieille femme agonise depuis des années. Nul ne l' approche, car on la dit malade et contagieuse. Anatolie est son nom et le vent est le déguisement que la mort a choisi pour arracher sa misérable vie. Mais Anatolie résiste résiste...

Seule une petite fille brave les interdits. Elle ne se contente pas de lui apporte à manger, elle mange avec elle et surtout elle l' écoute. Parce qu' Anatole, meme agonisante, a toute sa tete, ou à peu près. Et donc, Anatolie raconte sa vie et entraine la fillette dans ses "visions".


"Si j' avais vu en elle, comme les autres, une grande malade et une folle, je n' aurais sans doute pas jugé bon de l' observer d' aussi bon coeur, mais elle m' entrainait dans ses visions. Son récit était si convaincant, malgré ses vides et ses faiblesses, si invinciblement séduisant, que je n' avais alors qu' un désir, me laisser envelopper dans ses filets."

La jeune narratrice est plutot futée et la vielle femme, finaude et un peu sorcière. Entre ces deux-là s' établit une complicité, une forme d' amitié. Jusqu' à ce que le vent emporte la vieille dame.

Je me levai enfin  pour partir. Le vent avait laissé la porte ouverte.

Zyranna Zateli est une magienne du verbe sous une apparente simplicité.


\Mots-clés : #amitié #mort #vieillesse
par bix_229
le Lun 10 Jan - 15:45
 
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Sujet: Zyranna Zateli
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Robert Erskine Childers

L'énigme des sables

Tag amitié sur Des Choses à lire Zonigm10

Un jeune anglais reçoit un courrier d’un ami d’université qui lui demande de le rejoindre pour l’aider à naviguer au nord de l’Allemagne. Il se retrouve « enrôlé » sur un petit voilier d’un confort très limité pour explorer les îles et canaux de la mer du Nord et de la Baltique que les Allemands pourraient utiliser dans une guerre navale.
Le récit vaut à la fois par les relations d’amitié entre les deux jeunes hommes qui vivent à la dure sur cette petite embarcation rafistolée et par les descriptions des côtes marécageuses et sableuses. L’histoire d’espionnage qui sous-tend le récit n’est pas  peut-être pas l’essentiel mais elle ajoute une note d’étrangeté  à l’atmosphère nocturne et brumeuse de l’ensemble.

Extraits
« Avec la meilleure volonté du monde, il était impossible de trouver la Dulcibella élégante. La coque paraissait trop basse, et le grand mât trop haut ; la voûte de la cabine avait l’air épaisse et les claires-voies attristaient l’effet général avec leur fer rouillé et leur bois blanc mal peint. Le peu de cuivre qui se trouvait à la barre ou autre part était recouvert de vert-de-gris. Le pont rugueux et gris était taché à l’avant, des exhalaisons de goudron s'échappaient de ses coutures. »


Il est temps que j’ajoute que jadis le yacht avait été un canot de sauvetage, et qu’il avait été maladroitement converti en un yacht par addition d’une voûte, d’un pont et des espars nécessaires. Il était construit comme tout canot de sauvetage, diagonalement avec deux coques de bois de teck, et ainsi possédait une force énorme, mais il avait l’air d’un rafistolage mal fait. »


« Je suis convaincu, me dit-il,  que c’est un Anglais au service de l’Allemagne. Il est sûrement au service de l’Allemagne, et il y a longtemps qu’il est dans ces parages. Il en connait les moindres recoins. C’est un endroit du monde très solitaire, et il a une maison dans l’île de Norderney. »


« Je rappellerai simplement au lecteur que la terre ferme dans ce district de la Prusse, s’appelle la Frise-Orientale. C’est une sorte de péninsule bordée à l’ouest par l’estuaire de l’Ems et en delà par la Hollande ; à l’est par la Jade. C’est une basse terre marécageuse sans aucune grande ville. Sept îles se trouvent à peu de distance de la côté nord. Toutes, excepté Borkum, qui est ronde, sont longues et plates, légèrement creusées en forme de croissant, ayant rarement plus d’un mille de large et s’amincissant aux deux bouts. »




\Mots-clés : #amitié #aventure #espionnage
par Pinky
le Dim 19 Déc - 15:00
 
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Sujet: Robert Erskine Childers
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William Melvin Kelley

Tag amitié sur Des Choses à lire Tambou10

[b]L’autre tambour[/b]

Un lieu l’ Etat, une ville Sutton deux familles : les Willson des blancs dont l’ancêtre le Général est né et mourut ; les Caliban une famille de Noirs dont l’ancêtre était l’Africain.

Un jour de juin 1957, voici que tous les Noirs partent, pour ne plus jamais revenir.

Tucker Caliban s’est libéré, tout seul, et il est parti avec femme et enfant, abandonnant sa ferme et sa terre achetée à Mr David Willson. Alors tous les Noirs se sont eux aussi libéré.

Les hommes qui se retrouvent tous les jours sous la véranda d’un marchand, n’en croient pas leurs yeux ; ils voient défiler à pieds ou en voiture les familles Noires.

Mais comment osent-ils, pensent ces Blancs ?

Monsieur Harper, militaire confédéré à la retraite discutait tous les jours avec quelques hommes de la ville, il les instruisait de ce qui se passait ici et par le monde. Aujourd’hui tous attendent qu’il donne une explication à ce qui se passe dans leur ville ; on ne peut pas les stopper dit-il !
Mr Harry ose même ajouter que les Noirs ont le Droit de partir !

La raison pense Mr Harper, c’est une question de sang, celui de l’Africain qui coule dans les veines de Tucker Caliban ; et de raconter encore une fois l’histoire de l’Africain.

L’Africain, un esclave arrivé par bateau à New Marsails à l’époque du Général Dewey Willson  lequel l’avait  acheté mais l’esclave s’est enfui portant sous son bras son bébé. L’Africain était très grand, une force qui avait terrifié tout l’équipage du bateau.

« Il était d’un noir d’ébène et luisait tout autant que la blessure huileuse du capitaine. Sa tête était aussi grosse et paraissait aussi lourde que ces chaudrons de cannibales qu’on voit au cinéma. Il était entouré de tellement  de  chaînes  qu’on  aurait  dit  un  arbre  de  Noël  richement décoré.  C’étaient  surtout  ses  yeux  qui  attiraient  tous  les  regards, enfoncés  si  profond  dans  leurs  orbites,  de  sorte  que  sa  tête ressemblait à un gigantesque crâne noir. Il  avait  quelque  chose  sous  le  bras.  À  première  vue,  les  gens pensèrent que c’était une grosseur ou une tumeur et n’y prêtèrent pas attention. Ce n’est que quand la chose se mit à remuer d’el e-même qu’ils  remarquèrent  qu’el e  avait  des  yeux  et  que  c’était  un  bébé. »

Le Gal était venu au port récupérer une commande, une énorme horloge. Il poursuivi l’esclave et du l’abattre alors que celui-ci s’apprêtait à tuer son enfant, certainement afin qu’il ne devienne pas esclave. Le général Dewey emporta le bébé.

« Dewitt trébucha sur le tas de pierres auquel l’Africain avait parlé. C’était une pile composée de pierres plates. Dewitt resta un  moment  à  la  regarder,  puis  il  se  baissa,  ramassa  une  pierre blanche, la plus petite de toutes, et la glissa dans sa poche. »

Au fil du temps, l’Africain et la pierre blanche devinrent presque légende.

Quand l’enfant eu 12 ans le général le prénomma Caliban. Tucker Caliban est son petit-fils. Tous les Caliban ont travaillé pour la famille Willson. Au rythme des générations, des amitiés se nouèrent entre les Caliban et les Willson.

Dans plusieurs chapitres la lectrice fait connaissance avec  chaque membre de la famille Willson. Cela concerne outre leur personnalité,  la politique et le racisme.

Tucker s’est marié et sa femme attend un enfant. Il décide de devenir fermier et donc d’acheter une terre. Celle qu’il désire c’est une parcelle de la plantation des Willson.

David Willson est étonné et veut savoir pourquoi celle-là précisément.

«  Je  veux  ce  terrain  sur  la plantation parce que c’est là que le premier des Caliban a travaillé, et il est temps, maintenant, que cette terre soit à nous.
Là maintenant,  tout  ce  que  je  peux  dire,  c’est  que  mon  bébé  travaillera pas  pour  vous.  Il  sera  son  propre  maître.  On  a  travaillé  pour  vous assez  longtemps,  monsieur  Willson.  Vous  avez  essayé  de  nous libérer autrefois, mais on est pas partis, et maintenant il faut qu’on se libère nous-mêmes. »


Retour à 1957, Tucker part.

David : « Le geste de renonciation qu’il a eu hier constitue le premier coup porté à mes vingt années gâchées, à ces vingt années que j’ai perdues à me lamenter  sur  mon  sort.  Qui  aurait  pu  penser  qu’une  action  aussi humble,  aussi  primitive,  pouvait  apprendre  quelque  chose  à  un homme prétendument cultivé comme moi ?
N’importe  qui,  oui,  n’importe  qui  peut  briser  ses  chaînes.  Ce courage,  aussi  profondément  enfoui  soit-il,  attend  toujours  d’être révélé.  Il  suffit  de  savoir  l’amadouer  et  d’employer  les  mots appropriés, et il surgira, rugissant comme un tigre. »


Tucker  à David Willson : « On a une seule chance dans la vie, c’est quand on peut faire quelque chose et qu’on a envie de la faire.
Mais quand  on les a et qu’on  en  profite  pas,  on  n’a  plus  qu’à  tirer  un  trait  sur  tout  ce  qu’on voulait faire ; on a laissé passer sa chance, pour toujours. »
J’ai acquiescé. Je sais tout ça »


Et à présent que la ville s’est vidée des Noirs ? Restent les hommes sous la véranda !

« Mais  aucun  d’eux  n’était  capable  d’aller au bout de sa pensée. C’était comme s’ils tentaient de se représenter le  Néant,  une  chose  à  laquelle  aucun  d’eux  n’avait  jamais  songé.
Aucun d’eux n’avait le moindre repère auquel il aurait pu rattacher la notion d’un monde dépourvu de Noirs. »


L’alcool aidant, ils se rabattirent sur le seul Noir qu’il virent, le Révérend qui repartait chez lui après avoir vu la ferme de Tucker.

«   Les  gars,  vous  savez  pas  que c’est  notre  dernier  nègre  ?  Réfléchissez  un  peu.  Notre  dernier, dernier  nègre.  Y  en  aura  plus  après  celui-là.  Finis  leurs  chansons, leurs  danses  et  leurs  rires.  À  moins  d’aller  dans  le  Mississippi  ou dans l’Alabama, les seuls nègres qu’on verra jamais ce sera ceux de la  télévision,  et  ceux-là  ils  chantent  plus  les  vieilles  chansons  et  ils dansent plus les danses d’autrefois. Ceux-là c’est des nègres de luxe, avec  des  femmes  blanches  et  des  grosses  bagnoles.  Alors  je  me suis  dit  que,  pendant  qu’on  en  avait  encore  un  sous  la  main,  on devrait lui faire chanter une de leurs vieil es chansons. »

Des bruits, des cris réveillèrent le jeune Leland ; y aurait-il une fête à la ferme de Tucker ? mais ce n’est pas possible, il n’y a plus de ferme et Tucker est parti !

                                                               
 ------------------------------------------------------------

Quel plaisir de lecture, quelle écriture !

Beaucoup de réflexions à tirer de cette histoire, de l’attitude des personnages, leurs actions ou leur silence. Comment vivre sa vie et les précieux rapports avec les autres.
Je pense que les extraits sont parlant et qu’ils vous inciteront à faire cette lecture (185 pages)






\Mots-clés : #amitié #amour #famille #racisme #xxesiecle
par Bédoulène
le Ven 26 Nov - 17:35
 
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Sujet: William Melvin Kelley
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Chigozie Obioma

Tag amitié sur Des Choses à lire Cvt_la14


La prière aux oiseaux

Chinonso jeune Igbo, est éleveur de volailles, il vit seul dans la ferme héritée de leur père dans une petite ville du Nigéria. Chinonso aime les volatiles depuis son enfance.

Il sauve une jeune fille en la dissuadant de se jeter du haut d'un pont. Il retrouve plus tard cette jeune fille dont la famille est aisée, les deux jeunes gens s'aiment, mais Nonso est rejeté par la famille de Ndali.
Il comprend qu'il doit s'élever au même niveau que la famille de la jeune fille afin d'être accepté.

Alors que Ndali s'absente pour études, Nonso retrouve un camarade de classe -Jamike - avec son ami d'enfance Elochuckwu. Jamike  lui dit qu'il faut qu'il s'inscrive en Chypre où il pourra acquérir facilement son diplôme. Il se propose de tout préparer la-bas, Nonso vend sa ferme, ses poulets et confie donc son argent à Jamike pour  l'inscription, et l'année de cours et l'hébergement.

Lorsque Chinonso arrive à Chypre, pas de Jamike pour l'accueillir, et après maintes démarches, aidé par un étudiant de son pays, il apprend par l'institution que Jamike est connu comme escroc ; il a perdu tout son avoir. Il n'ose téléphoner à Ndali pour l'en informer, il pense trouver du travail, mais c'est très difficile, il ne connait pas la langue, ni les us de ce pays.

Dans l'éthnie Igbo, chaque personne est protégée spirituellement par un "chi", lequel n'a que très peu de pouvoir d'ailleurs ; il ne peut "parler" "influer" sur les décisions ou le comportement de son "hôte" qu'en lui murmurant dans son esprit, il ne peut agir physiquement. Mais le Chi de Nonso se désole de ce qui arrive à son hôte, il tente de lui  donner des idées et du réconfort, espérant que ses conseils atteindront l'esprit de Nonso.

Témoin d'un accident Nonso donne son sang, une infirmière présente - Fiona - , le félicite et l'invite à prendre un Thé. Chinonso lui raconte sa situation, elle l'aidera à trouver un travail.

Mais un jour alors qu'il se trouve chez elle, son mari entre ivre et agresse l'infirmière, Nonso tape sur le crâne du mari avec une chaise et le blesse sérieusement. Nonso est arrêté et emprisonné car la femme et son mari disent que Nonso est entré chez eux pour violer Fiona. Ce n'est que 4 ans plus tard qu'il sera relâché car Fiona a retiré son accusation. Elle donne en compensation une somme d'argent à Chinonso, ce qui lui permet de rentrer dans son pays.

Après avoir été, arnaqué par Jamike, accusé injustement et fait 4 ans de prison, Nonso pense trouver dans sa ville l'apaisement et retrouver celle qu'il n'a jamais cessé d'aimer et qui n'a jamais reçu de nouvelle de lui.

Jamike est retourné lui aussi dans la ville, Nonso le rencontre prêt à se venger,  mais Jamike a changé, il porte la bonne parole à présent, pour lui c'est la rédemption, il avoue l'escroquerie, reconnait l'injustice faite à Nonso il l'aide du mieux possible. Il retrouve Ndali, et  le soutien quand Nonso se trouve face à Ndali, il se comporte en ami serviable.

Ndali est mariée et a un enfant de 4 ans, Nonso essaie de lui parler, ce qu'elle refuse, mais il comprend que cet enfant c'est le sien, malgré toutes ses tentatives et après un dernier et dur refus de Ndali, il part rejoindre son oncle dans une autre ville, mais met le feu à la pharmacie de Ndali, sans savoir qu'elle s'y trouve.

Tout, l'amour de Nonso et Ndali, sa mésaventure à Chypre, son retour malheureux est conté par le Chi au Dieu Igbo, aux anciens qui siègent dans le ciel de la spiritualité traditionnelle de l'ethnie Igbo. C'est par des incantations que le Chi expose ce qu'il sait, ce qu'il a vu, plaide en faveur de son "hôte".

*********************

Une écriture poétique, de belles et nombreuses métaphores.

Les incantations du Chi s'inscrivent dans la tradition et la religion Igbo. Les digressions du "Chi" qui se souvient de ses précédents "hôtes" permettent de connaître un peu des traditions, proverbes, légendes et de l'histoire de l'ethnie Igbo

Lors du séjour en prison de Chinonso, il y a une réflexion sur l'état de prisonnier, des effets de toutes les privations subies.

La colonisation est évoquée ainsi que la situation de l'Etat, celle difficile des habitants.

La société vue par le jeune couple, société qui pose des barrières entre les "classes" et ne permet pas à un fermier d''aimer au-dessus de sa classe.

Une très belle lecture, je vous engage à la faire. (nonobstant la faiblesse de mon commentaire, je suis certaine que vous trouverez à apprécier).

extraits

"À dater de cet instant, je n’ai cessé de veiller sur lui de mes yeux écarquillés comme ceux d’une vache, infatigables comme ceux d’un poisson. D’ailleurs, sans mon intervention, ou si j’étais un mauvais chi, il ne serait même pas venu au monde.

    À ces mots, un froid murmure se répandit dans les rangs de cette assemblée immortelle.

[...] L’attaque eut un effet immédiat. À voir son regard hébété, je compris que la morsure était terrible. Une perle de sang sombre apparut aussitôt. Elle hurla si fort que tout le monde accourut à son aide. J’étais conscient que le poison se diffusait et pouvait tuer mon hôte dans sa demeure utérine. Alors j’intervins. Je voyais le venin progresser vers ce pauvre fœtus endormi. Ce poison était dense, chaud et puissant, destructeur et fulgurant, et rongeait le sang de la mère. Je demandai à son chi de la faire crier assez fort pour alerter les voisins. Un homme s’empressa de lui attacher un garrot de tissu autour du bras, juste au-dessus du coude, pour empêcher le venin de remonter et le bras d’enfler. Les autres voisins s’attaquèrent au serpent et le réduisirent en bouillie à coups de pierres, sourds à ses supplications."

" Esprit protecteur, tu as parlé comme parlerait l’un d’entre nous. Tu as parlé d’une langue mûre et sage, et tes mots tiennent debout, et se tiennent parmi nous. Mais n’oublions pas que si l’on commence sa toilette par les genoux, on risque de manquer d’eau pour se laver la tête.

    Tous s’écrièrent :
    — Tu parles bien "

"Il comprenait aussi qu’il n’était pas le seul à nourrir de la haine, à porter une pleine jarre de ressentiment d’où s’écoulaient une ou deux gouttes à chaque pas de sa marche pénible sur le sentier usé de la vie. Bien des gens étaient dans ce cas, peut-être même tout le monde, tous les habitants de l’Alaigbo, voire tout son peuple, dans ce pays où il vivait bâillonné, aveuglé, terrorisé. Chacun peut-être nourrissait une rancœur. Certainement. Il y avait forcément un vieux grief, tel un fauve immortel, enfermé dans une cage inviolable du cœur. Certains étaient révoltés par la pénurie d’électricité, d’équipements publics, par la corruption. Ou encore les militants du MASSOB, les manifestants abattus à Owerri, blessés à Ariaria, en réclamant la renaissance d’une nation morte : eux aussi devaient être furieux que ce qui était mort ne puisse reprendre vie. Et tous ceux qui avaient perdu un être cher ou un ami ? Forcément, au plus profond de son cœur, chaque homme, chaque femme devait nourrir du ressentiment. Nul ne goûte une paix absolue. Personne au monde."

Les poules :
"Ensemble, ils les firent lentement sortir du poulailler et les déposèrent dans une des cages de raphia tressé. Dans le poulailler, l’angoisse était palpable. À chaque bête déposée dans la cage, les cris étaient si forts qu’il devait s’interrompre. Même Ndali sentit qu’il y avait quelque chose d’anormal.
    — Mais qu’est-ce qui leur arrive ? demanda-t-elle.
    — Elles comprennent, mama. Elles comprennent ce qui se passe.
    — Oh mon Dieu ! C’est vrai, Nonso ?
    Il hocha la tête.
    — Tu sais, elles en ont déjà vu beaucoup entrer dans cette cage. Donc elles comprennent.
    — Oh mon Dieu ! – elle rentra la tête dans ses épaules. Alors ça doit être comme ça qu’elles pleurent – elle ferma les yeux, et il vit des larmes enfler au bord des paupières. C’est déchirant, Nonso. Ça me fend le cœur"

— On les emprisonne et on les tue comme on veut parce qu’on a plus de pouvoir qu’elles – la colère dans sa voix était pour lui comme une brûlure. "

"Ô Egbunu, l’une des différences les plus criantes entre les usages des grands anciens et ceux de leurs enfants, c’est que ces derniers ont emprunté au Blanc sa conception du temps. De longue date le Blanc a estimé que le temps était une entité divine, et que l’homme devait se soumettre à sa volonté. Selon une heure fixée à l’avance, on arrive à tel endroit avec la certitude que les choses vont commencer à l’heure dite. Les Blancs semblent dire : « Frères, le bras de la divinité est parmi nous et a fixé son dessein à midi quarante ; nous devons donc nous soumettre à son injonction. » Si un événement se produit, le Blanc se sent tenu de l’imputer au temps : « En ce jour, le 20 juillet 1985, il s’est passé ci et ça. » Alors que pour les vénérables anciens le temps était chose à la fois spirituelle et humaine. Il échappait pour une part à leur contrôle et était ordonné par la même force qui avait créé le monde. Lorsqu’ils voulaient discerner le début d’une saison, évaluer l’âge d’un jour ou mesurer la longueur des années, ils se tournaient vers la nature"


\Mots-clés : #amitié #amour #traditions
par Bédoulène
le Sam 14 Aoû - 10:28
 
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Henry Miller

Un diable au paradis

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Henry Miller, dont on sait l’importance qu’avaient pour lui les amis (et les livres) dresse de Conrad Téricand (Moricand en réalité) un portrait approfondi, fouillé, où il témoigne aussi de grandes qualités chez cet astrologue, écrivain et illustrateur − même si son esprit diffère explicitement du sien, et lui inspire d’abord de la suspicion, puis un agacement grandissant.
Au début de leurs relations, Miller aide dans sa dèche parisienne ce riche Suisse ruiné par un escroc.
« Pauvre Téricand ! Combien, ô combien familier m’était cet aspect comique de ses tribulations ! Marcher l’estomac vide, marcher l’estomac plein, marcher pour digérer un repas, marcher parce que c’est la seule récréation que vous permette votre porte-monnaie, comme Balzac en fit l’expérience lorsqu’il vint à Paris. Marcher pour fuir sa hantise. Marcher pour ne pas pleurer. Marcher dans l’attente vaine et désespérée de rencontrer un visage amical. Marcher, marcher, marcher… Mais pourquoi aborder ce sujet ? Rangeons-le sous l’étiquette : "paranoïa ambulatoire". »

Par bouffées inspirées, le flux stylistique de Miller l’emporte (et avec lui le lecteur), lyrique et délirant, comme dans cette liste lautréamontesque évoquant la place de Rungis au petit matin, juste avant la Seconde Guerre mondiale (français en italique) :
« Chèvres de la banlieue, appontements, bocks à injections, ceintures de sûreté, mulets, passerelles et sauterelles flottaient devant mes yeux vitreux avec des volailles décapitées, des bois de cerf enrubannés, des machines à coudre rouillées, des icônes et autres phénomènes incroyables. Ce n’était ni une communauté, ni un quartier, mais un vecteur, un vecteur très spécial, créé entièrement pour mon bénéfice artistique, créé expressément pour me nouer émotionnellement. »

Évidemment la compagnie de « Moriturus », ce raté tatillon, ce raseur funèbre, ne peut qu’être une épreuve pour Miller, cette incarnation de la vie tumultueuse. Même si Miller est sincère quoique peut-être outrancier, la version de son hôte manque (qu’elle ait existé ou pas). Le dipôle est d’autant plus étonnant que tous deux ont oscillé entre pique-assiette et parasite… Tous deux baignent dans les croyances irrationnelles, d’un côté la divination et de l’autre le scientisme chrétien. On retrouve aussi l’opposition Américain « naïf, optimiste, jobard » et Européen cynique.
Sur fond de conflit avec sa troisième épouse, Janina Lepska, Miller adore sa fille Val, tandis que son hôte raconte une aventure pédophile à Paris...
Téricand est antipathique, mais je comprends l’homme affamé qui erre dans une scène de guerre, traînant les deux valises contenant son œuvre, tandis que Miller est profondément détaché de tout ce qui est matériel (mais une œuvre n’est-elle que matérielle ?).
Ce diable se révèle finalement être un personnage fort complexe, et forme un livre très curieux…

\Mots-clés : #amitié #autobiographie #portrait
par Tristram
le Lun 19 Juil - 13:00
 
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Sujet: Henry Miller
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Chloé Delaume

Tag amitié sur Des Choses à lire 41bjhb10

Le cœur synthétique

Adélaïde a 46 ans et elle a largué son conjoint. Elle  ne met pas longtemps à réaliser que la solitude c’est nul, qu’à son âge les mecs ne se retournent plus sur elle et que la vie de femme presque cinquantenaire est bien triste. Elle déprime, mais heureusement, elle a un chat, et 4 super copines avec lesquelles elle peut parler états d’âmes, hommes à prendre et à trouver, grands choix existentiels.

Plusieurs fois elle croit avoir trouvé la perle rare, mais en fait elle finit toujours par comprendre que les perles rares sont rares….

Pour finir, Chloe Delaume lui offre alors un double destin :
Spoiler:

Aussi, Adélaïde est attachée de presse dans l’édition et cela nous permet de voir un peu comment fonctionne ce petit monde fermé - et pas du tout intéressant sous la plume de Chloé Delaume, et de réaliser la dure vie de cette héroïne condamnée à vivre dans 35m2 dans le 20ème.

Le message est assez clair : mesdames, vivez par et pour vous même. Le résultat est bâclé, plat autant dans le récit que dans le style, il n’y a jamais de vraie surprise, je n’ai vraiment pas compris l’intérêt d’un tel livre


\Mots-clés : #amitié #amour #solitude
par topocl
le Sam 26 Juin - 9:21
 
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Sujet: Chloé Delaume
Réponses: 15
Vues: 1305

Herman Melville

Le Grand Escroc
Titre original: The Confidence-Man, his Masquerade

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Roman, 1857, 400 pages environ.


Un vapeur d'une taille certaine, empli de passagers, descend en cabotage le Mississippi. Une affiche placardée près de la cabine du capitaine prévient ces passagers d'être sur leurs gardes, en raison de la présence d'un escroc à bord.
Ce sera la seule allusion à ce capitaine (et si l'escroc c'était lui ?).
Ces passagers rencontrent, sous des dehors de hasard, un caractère principal assez ambigü, peut-être unique, peut-être multiple, en tous cas insaisissable (parce que ne se laissant pas démasquer).

Le roman est articulé en tableaux ou scènes parfois enchaînées, parfois non. Il est d'une très grande richesse et d'une indiscutable modernité.
Tout repose sur la confiance dans le rapport imposé par l'escroc, mais, d'une certaine manière (ce qui est particulièrement moderne), sur le degré de confiance que nous-mêmes mettons dans les situations narrées, c'est-à-dire que nous sommes aussi, nous lecteurs, confrontés.
Il y a de la satire allégorique mais aussi métaphysique dans l'ouvrage.


L'abord d'une foultitude de sujets variés intimes ou universels, prégnants, fait défilé ou farandole, étourdit le lecteur.
Sujets tels le bien, la charité -bien sûr la confiance - la morale -ce qu'on appelle aujourd'hui l'éthique - le cynisme, la philanthropie, la misanthropie, le matérialisme, le réalisme, la théologie, l'amitié, l'économie sont par ex. autant d'accroches dont se sert le -ou les- grand(s) escroc(s) à bord.

À noter qu'il n'escroque pas toujours pour de l'argent, comme s'il poursuivait des desseins plus mystérieux (le diable n'a pas tenté Adam et Ève pour de l'argent, est-il dit, en substance, quelque part dans le roman).


Alors, un ouvrage remarquable et méconnu ?
Oui, si l'on veut.
Pourtant, pourtant...
Ce fut un échec complet, tant auprès de la critique que du public, et l'auteur, cinglé de plein fouet -sans doute parce qu'il avait "mis" énormément de lui, de temps, de réflexion, de matière dans ce livre-là- se retirera plus ou moins de la vie littéraire pour épouser une autre carrière, nettement moins en vue.

C'est aussi un ouvrage roboratif, un peu trop riche comme l'on dit d'un mets ultra-calorifique.
Si, en effet, le lecteur est étourdi, grisé par le déroulé, le côté incessant, il solliciterait parfois volontiers un tempo un peu moins enlevé, une pause.
Enfin peut-être Melville eût-il gagné à davantage de concision, de dépouillement, quelque chose de plus ramassé (avis au potentiel lecteur: s'engager dans ces pages est une entreprise d'une certaine haleine, pas seulement en raison du nombre de pages).

Et puis:
Je n'ai pas trouvé ce si fort alliage, que je prise tant chez Melville, entre la force et la grâce dans l'écriture (mais il est vrai qu'avec Melville, qui m'a tant transporté et que je porte volontiers au pinacle, je suis si peu indulgent): alliage dont sont sertis Benito Cereno, Moi et ma cheminée, Moby Dick, Bartleby et tant d'autres...

Mais malgré tout ce Grand Escroc, pour mitigé que je puisse paraître, reste un livre tout à fait à recommander.



Mots-clés : #absurde #amitié #contemythe #social #voyage #xixesiecle
par Aventin
le Jeu 24 Juin - 17:03
 
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Sujet: Herman Melville
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François Sureau

Ma vie avec Apollinaire

Tag amitié sur Des Choses à lire Apolli10
Paru fin novembre 2020, en librairie en janvier 2021, 150 pages environ.


Il semble que cet ouvrage soit le premier d'une toute nouvelle collection intitulée "Ma vie avec", dont l'objet est:
éditions Gallimard a écrit:Un homme ou une femme ont consacré leur vie à la littérature, à la politique, à l'histoire ou à la science. Ils ont passé toutes ces années dans la compagnie d'un ami secret, écrivain, philosophe ou poète, sans laquelle leur existence aurait été différente. Cette collection propose des textes brefs. La révélation du compagnonnage d'une vie leur donne un tour intime, sans notes ni appareil critique, bien inutiles pour parler d'un ami.


Ouvrage bien délectable, j'avoue avoir éprouvé une jolie joie de lecture. Je ne sais si l'opus donnera le cap pour cette collection à venir.

L'exercice en lui-même est plutôt casse-figure, puisque ni une bio, bien que la veine soit biographique, ni une espèce d'évocation, qui risquerait de ne pas éviter les écueils de la vacuité.
Il faut parler de soi, puisque l'objet est cette sorte de "compagnonnage" (sic !) post-mortem, mais ne pas étouffer l'auteur principal, celui qui est en titre, avec sa propre personne.      

La plume de François Sureau est à la hauteur, refus des citations poétiques (un vers -archi-connu, en général- de çà, de là, guère plus), refus des portes ouvertes biographiques: le ban de l'exercice de la bio d'Apollinaire est fermé.
Ceci dit on apprend tout même (enfin, moi du moins) quelques petites choses sur Wilhelm de Kostrowitzky alias Guillaume Apollinaire.
On eût aimé d'ailleurs quelques petits détails, ce n'eusse pas été s'égarer, petits riens anecdotiques dont je suis si friand, sur son frère surtout, même si l'auteur nous passe quelques fines bouchées sur leur mère, déjà plus notoire (rien sur l'inconnu Francesco Fluigi d'Aspermont- le père).


Reste le plus délicat, le plus intime: se reconnaître dans, faire compagnonnage, sans osmose, appropriation éhontée ou delirium mystique.  
C'est fait.
Et bien fait.

La plume, le style ?
Je suis toujours aussi sensible, réceptif à l'écriture de François Sureau.
Ce côté massif mais alerte, brut mais raffiné, précis mais sans réduction, référencé mais élégant, ses pages au contenu ouvrant grand.

Comme celle-ci:
À l'armée, les rêves ne sont pas facilement communicables; et l'on est pris dans cette grande machine paradoxale qui, mélangeant dans son fourneau les symboles et les réalités ordinaires, se sert des émotions les plus intimes, des vertus les plus personnelles - la peur, le courage, le sens de l'honneur, le souci de ne pas décevoir - pour fabriquer le pur instrument de l'État, cet homme en lequel s'effacent les frontières entre la vie intérieure et l'engagement public.
Une frontière invisible sépare ceux qui ont fait cette expérience de ceux qui ne l'ont pas faite. Cela n'a pas à voir avec la valeurs ou les qualités de chacun. Si l'on en tire un bénéfice, c'est celui d'une épreuve, non d'un enrichissement - bien au contraire. C'est une sorte de dépucelage, aux effets d'autant plus imprévus qu'il n'était pas nécessaire - sauf pour ceux qui avaient cette vocation-là - et que, sitôt l'action venue, son caractère d'absurdité apparaît assez vite. On se donnera toutes les raisons du monde; le patriotisme, la politique en premier lieu.  
Ces raisons ne sont que du bois jeté dans la machine à marcher, à mourir. Elles ne pèsent jamais le même poids que la crainte, la fatigue, le drap de l'uniforme anonyme mouillé par les pluies, que cette tunique de la douleur que l'on ne peut enlever. Les merdailles, comme dit Lecointre, n'y font rien.
Si le souvenir de cette vie unit si fortement ceux qui l'ont connue, c'est parce que c'est le souvenir de l'arbitraire, du hasard, de l'inutilité, avec lesquels il a fallu composer sans perdre la face, pour rester fidèle à soi-même dans un monde où tout irritait au contraire, la guerre elle-même, et l'ennemi, mais aussi l'appareil au service duquel nous étions mis. Les volontaires sont à ce jeu terrible plus exposés que les requis, parce qu'ils y sont allés d'eux-mêmes, comme le dit une chanson obscène de l'infanterie de marine. J'ai connu par raccroc un peu de leur vie et leur souvenir ne m'a plus jamais quitté.

  C'est ainsi que Guillaume devint le 2e canonnier conducteur Kostrowitzky, 70e batterie, 8e régiment d'artillerie de campagne, 15e brigade d'artillerie, 15e corps.    


\Mots-clés : #amitié #biographie #premiereguerre #xxesiecle
par Aventin
le Sam 6 Mar - 18:48
 
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Sujet: François Sureau
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