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Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Mar 19 Mar - 2:59

169 résultats trouvés pour essai

Umberto Eco

Chroniques d'une société liquide

Tag essai sur Des Choses à lire Chroni10

Recueil de certaines des chroniques d’Umberto Eco dans L’Espresso (de 2000 à 2015, d’autres ayant déjà été insérées dans Comment voyager avec un saumon et À reculons comme une écrevisse).
À propos du titre :
« La société liquide commence à se dessiner avec ce courant dit postmoderne (terme « parapluie » sous lequel se regroupent, pas toujours de manière cohérente, nombre de phénomènes, de l’architecture à la philosophie en passant par la littérature). Le postmodernisme marquait la crise des « grandes narrations » qui pensaient pouvoir superposer au monde un modèle d’ordre ; il s’est consacré à une revisitation ludique ou ironique du passé, et à bien des égards il s’est entrecroisé avec les pulsions nihilistes. »

Phase de transition, « ce présent en gestation » est caractérisé par la « crise du concept de communauté [qui] engendre un individualisme effréné » :
« Ce « subjectivisme » a miné les bases de la modernité, il l’a fragilisée, d’où une situation dans laquelle, à défaut de grille de référence, tout se dissout dans une sorte de liquidité. »

« …] les seules solutions pour l’individu sans critère de référence sont le paraître à tout crin, le paraître comme valeur […] et le consumérisme. »

« Ce ne sont pas seulement les individus, c’est la société elle-même qui vit dans un continuel processus de précarisation. »

« [Zygmunt] Bauman observe que (la foi ayant abouti à un salut provenant du haut, de l’État ou de la révolution), c’est le mouvement d’indignation qui est typique de cet interrègne. Ces mouvements savent ce qu’ils ne veulent pas mais pas ce qu’ils veulent. »

Tout ça dès les quelques premières pages… Ensuite, pioché en vrac, ici sur la nostalgie des souvenirs de guerre en vieillissant, comparés à l’actualité (2008) :
« D’abord, il y a des fascistes au gouvernement. Il n’y a pas qu’eux, ils ne sont plus exactement fascistes, mais qu’importe, on sait que l’histoire se produit une première fois sous forme de tragédie et une seconde fois sous forme de farce. En revanche, à cette époque, sur les murs s’étalaient des affiches montrant un Noir américain répugnant (et ivre) qui tendait sa main crochue vers une blanche Vénus de Milo. Aujourd’hui, je vois à la télévision des visages menaçants de Noirs décharnés qui viennent par milliers sur nos terres et franchement les gens semblent encore plus effrayés qu’alors. »

Sur la « visibilité » dans notre société :
« Mais ce que les maîtres d’école ni quiconque à leur place ne réussiront peut-être pas à rappeler, c’est que, à cette époque antique, une distinction très nette régnait entre être célèbre et être objet de ragots. »

Dieu l’omniscient ayant disparu, « il faut se montrer pour ne pas plonger dans le trou noir de l’anonymat » :
« L’ennui, c’est qu’en ce cas on se méprend sur le double sens de « reconnaissance ». Nous aspirons tous à ce que soient « reconnus » nos mérites, ou nos sacrifices, ou n’importe quelle autre de nos belles qualités ; mais quand, après être apparu à l’écran, quelqu’un nous rencontre au bar et nous dit « je vous ai vu hier à la télé », il dit tout bonnement « je te reconnais », c’est-à-dire je reconnais ton visage, ce qui est une chose extrêmement différente. »

« Or, depuis longtemps, le concept de réputation a cédé le pas à celui de notoriété. »

Votation démocratique :
« Si les Soviets avaient proposé aux électeurs non pas un mais deux candidats, l’Union Soviétique aurait été semblable à la démocratie américaine. »

Les hackers :
« En devenant les seuls experts accomplis d’une innovation à rythme insoutenable, ils ont le temps de comprendre tout ce que peuvent faire la machine et la Toile, mais pas d’en tirer une nouvelle philosophie ni d’en étudier les applications positives, si bien qu’ils se consacrent à la seule action immédiate que leur compétence inhumaine leur permette : le détournement, le dérangement, la déstabilisation du système global. »

Le polar :
« L’essence du polar est éminemment métaphysique, et ce n’est pas un hasard si l’anglais désigne ce genre par le terme whodunit, qui a fait ça, quelle est la cause de tout ça ? C’était la question que se posaient déjà les présocratiques et que nous n’avons cessé de nous poser. Même les cinq voies pour démontrer l’existence de Dieu, que nous avons étudiées chez saint Thomas, étaient un chef-d’œuvre d’enquête policière : à partir des traces que nous trouvons dans le monde de notre expérience, on remonte, nez au sol comme un chien truffier, vers le premier maillon de cette chaîne de causes et d’effets, ou au moteur premier de tous les mouvements… »

« Chaque texte demande à être lu idéalement deux fois, une pour savoir ce qu’il raconte, l’autre pour apprécier comment il le raconte (d’où la plénitude de la jouissance esthétique). Le roman policier est un modèle (réduit mais exigeant) de texte qui, une fois l’assassin découvert, vous invite implicitement ou explicitement à regarder en arrière, soit pour comprendre comment l’auteur vous a conduit à élaborer des hypothèses fausses, soit pour décider qu’au fond il ne vous avait rien caché mais que vous n’avez pas su bien regarder comme le détective. »

Culture :
« Certes, les Romains quittaient une représentation de Térence pour aller voir les ours, mais au fond, aujourd’hui aussi des intellectuels raffinés renoncent à un concert pour un match de foot. Le fait est que la distinction entre deux (ou trois) cultures ne devient nette que lorsque les avant-gardes historiques se fixent pour but de provoquer le bourgeois, et qu’elles élisent au grade de valeur la non-lisibilité, ou le refus de la représentation. »

Intéressante synthèse historique, Où est l’antisémitisme ?, qu’il faudrait citer entièrement, et où il apparaît que l’antisémitisme arabe a été inspiré par l’Occident.
Liberté d’expression en matière religieuse (2006) :
« Je crois que mon ami Daniel [Barenboïm] serait d’accord pour déplorer que, il y a des années, on ait critiqué (ou interdit) la mise en scène du Marchand de Venise de Shakespeare car nourrie certes par un antisémitisme courant à l’époque (et avant encore, depuis Chaucer), mais qui nous montre en Shylock un cas humain et pathétique. En réalité, voici ce que nous devons affronter : la peur de parler. Rappelons que ces tabous ne sont pas tous imputables aux fondamentalistes musulmans (qui, en matière de susceptibilité, ne plaisantent pas), mais qu’ils sont nés avec l’idéologie du politically correct, en soi inspirée de l’idée de respect envers tous, qui empêche désormais, du moins en Amérique, de raconter des blagues je ne dis pas sur les juifs, les musulmans ou les handicapés, mais sur les Écossais, les Génois, les Belges, les carabiniers, les pompiers, les éboueurs et les Esquimaux (on ne devrait pas les appeler ainsi, mais si je les appelais comme ils le voudraient personne ne comprendrait de qui je parle). »

Kant et Nietzche :
« Toutefois, nous pouvons faire trois affirmations très différentes entre elles : 1° il n’y a pas de faits mais seulement des interprétations ; 2° tous les faits, nous les connaissons à travers notre interprétation ; 3° la présence des faits est démontrée parce que certaines interprétations ne fonctionnent pas du tout, et donc il doit y avoir quelque chose qui nous oblige à les rejeter. »

Autre article intéressant, sur la montée du fondamentalisme en politique aux États-Unis (2008, de la Bible belt à Bush).
L’islam et la chrétienté :
« Tout cela conduit à penser que les grandes menaces transcontinentales viennent toujours de religions monothéistes. Les Grecs et les Romains ne voulaient pas conquérir la Perse ou Carthage pour imposer leurs propres dieux. Ils avaient des préoccupations territoriales et économiques mais, du point de vue religieux, dès qu’ils rencontraient les nouveaux dieux de peuples exotiques, ils les accueillaient dans leur panthéon. Tu es Hermès ? Parfait, moi je t’appelle Mercure et tu deviens l’un des nôtres. Les Phéniciens vénéraient Astarté ? Bien, les Égyptiens la traduisaient comme Isis, pour les Grecs elle devenait Aphrodite, et Vénus pour les Romains. Personne n’a envahi un territoire pour éradiquer le culte d’Astarté. »

« On pourrait dire que seul un credo monothéiste permet la formation de grandes entités territoriales qui tendent ensuite à l’expansion. […]
L’équivalent des monothéismes classiques, on le trouve sans doute dans les grandes idéologies, comme le nazisme (d’inspiration païenne) et le marxisme athée soviétique. »

Prose et poésie :
« Dans la prose, rem tene, verba sequentur, possédez bien ce dont vous voulez parler, puis vous trouverez les mots adaptés. […] En poésie, c’est tout le contraire, d’abord vous tombez amoureux des mots, et le reste viendra tout seul, verba tene, res sequentur. »

Politique, d’après les Brigades Rouges :
« Parler d’État Impérialiste des Multinationales, c’était considérer qu’une grande partie de la politique du globe n’était plus déterminée par les gouvernements mais par un réseau de pouvoirs économiques transnationaux qui pouvaient aller jusqu’à décider des guerres et des paix. »

Les médias :
« Les journaux sont souvent sous l’emprise du Web, car ils y puisent des infos et parfois des légendes, et donnent donc la parole à leur plus grand concurrent – mais ce faisant, ils sont toujours en retard sur Internet. Ils devraient au contraire consacrer au moins deux pages chaque jour à l’analyse de sites Web (tout comme on fait la critique de livres ou de films) en indiquant les sites vertueux et en signalant ceux qui véhiculent des mystifications ou des imprécisions. Ce serait un immense service rendu au public et peut-être aussi un motif pour que les navigateurs en ligne, qui dédaignent les journaux, recommencent à les feuilleter chaque jour.
Bien entendu, pour affronter une telle entreprise, un journal aurait besoin d’une équipe d’analystes, dont beaucoup seraient à trouver hors de la rédaction. C’est une entreprise certes coûteuse mais elle serait culturellement précieuse, et marquerait le début d’une nouvelle fonction de la presse. »

Réflexions regroupées thématiquement, portant sur l’actualité, la société, la politique (curieux comme l’Italie est comparable aux États-Unis), les religions, la philosophie, les mythes, la littérature, et bien d’autres choses, souvent italiennes, mais aussi états-uniennes, et même françaises. C’est érudit, stimulant, et plein d’esprit.
« Mais ce n’est pas mal de voir, de temps en temps, passer sur tout ce qui arrive aujourd’hui la lueur de l’Histoire. »


\Mots-clés : #essai
par Tristram
le Dim 25 Fév - 11:11
 
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Sujet: Umberto Eco
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W.G. Sebald

Campo Santo

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D’abord quatre « petites proses » sur la Corse.
Intéressante réflexion, dans le texte éponyme du recueil, sur l’idée que la multitude de l’humanité actuelle n’a plus de place pour les défunts, le passé.
Les Alpes dans la mer évoque les hautes futaies qui couvraient encore la Corse au XIXe ; la faune aussi a disparu en grande partie, mais pas les chasseurs, apparemment revêches.
Suivent de brefs essais.
Dans L’étranger, intégration et crise, à propos de Gaspard Hauser, de Peter Handke :
« Car les choses n’ont-elles pas seulement un nom pour qu’on puisse mieux s’en emparer, un peu comme si les espaces laissés en blanc sur notre atlas du monde réel devaient disparaître à seule fin que l’esprit étende son empire colonial ? »

Entre histoire et histoire naturelle – Sur la description littéraire de la destruction totale préfigure De la destruction comme élément de l'histoire naturelle (thème de la destruction des villes allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale, aussi abordé dans Les Anneaux de Saturne).
Dans Constructions du deuil – Günter Grass et Wolfgang Hildesheimer, Sebald prolonge cette réflexion sur les « carences de la littérature d’après-guerre » en Allemagne, le « deuil impossible ».
Le cœur mortifié – Souvenir et cruauté dans l’œuvre de Peter Weiss évoque une œuvre apparemment terrifiante.
Avec les yeux de l’oiseau de nuit – Sur Jean Améry semble prolonger ce qu’en disait Sebald dans Amère patrie (et m’incite davantage à découvrir cet auteur).
« Dans la pratique de la persécution, de la torture et de l’extermination d’un ennemi désigné arbitrairement, il ne voit pas un accident regrettable du pouvoir totalitaire mais, sans la moindre restriction, l’expression de son essence. Il rappelle “leurs visages (…) recueillis et concentrés sur une autoréalisation meurtrière” et précise : “C’est de toute leur âme qu’ils menaient leur affaire et celle-ci s’appelait puissance, domination sur l’esprit et la chair, auto-expansion démesurée que rien ne venait brider.” Le monde imaginé et réalisé par le fascisme allemand était pour Améry “l’univers de la torture où l’homme n’existe que du fait même qu’il brise l’autre”. Dans sa démarche Améry se réfère à Georges Bataille. La position radicale qu’il adopte ainsi exclut tout compromis avec l’histoire. C’est ce qui fait la spécificité de son travail, notamment en ce qui concerne la confrontation littéraire avec le passé allemand, laquelle, d’une manière ou d’une autre, présentait toujours une certaine tendance au compromis. […]
Et Améry est ainsi resté le seul à avoir dénoncé l’obscénité d’une société psychiquement et socialement dénaturée, ainsi que le fait, scandaleux, que l’histoire ait pu ensuite reprendre son cours pratiquement sans heurts, comme si tout cela n’avait pas existé. »

Textures de rêve – Note sur Nabokov.
« C’est à la fin d’Autres rivages, et c’est le récit d’une scène qui se produit assez souvent à Vyra : vers midi en général, quand les Nabokov étaient assis à table dans leur salle à manger du rez-de-chaussée, les paysans venaient devant la maison de maître pour présenter une requête quelconque. Si l’affaire pouvait se régler à la satisfaction de la délégation, la coutume voulait que de toutes ses forces réunies on lançât trois fois en l’air M. Vladimir Dimitrievitch, qui s’était levé de table et était sorti auprès des solliciteurs afin d’écouter leur requête, pour le rattraper quand il redescendait. “De ma place à table, je voyais soudain à travers l’une des fenêtres à l’ouest un merveilleux cas de lévitation. Là, durant un instant apparaissait la silhouette de mon père, dans son costume d’été blanc que le vent faisait onduler glorieusement étendu de tout son long, les membres dans une posture curieusement nonchalante, son beau visage imperturbable tourné vers le ciel. Trois fois, au puissant «oh hisse !» de ses invisibles lanceurs, il s’élevait de cette façon, et la deuxième fois il allait plus haut que la première, pour enfin, dans son dernier et plus haut envol, reposer, comme pour de bon, sur le fond cobalt d’un midi d’été, tel un de ces personnages paradisiaques que l’on voit planer confortablement, avec un tel luxe de plis à leurs vêtements, sur le plafond en voûte d’une église, tandis qu’au-dessous, un par un, les cierges de cire tenus par des mains mortelles s’allument et forment un essaim de flammes menues au milieu de l’encens, et que le prêtre psalmodie les chants du repos éternel, et que les lis funéraires cachent le visage de celui qui gît là, parmi les lumières flottantes, dans cette bière ouverte.” »

Inégales miscellanées, où on peut trouver de quoi approfondir les pensées de Sebald en histoire et en littérature.

\Mots-clés : #ecriture #essai
par Tristram
le Lun 19 Fév - 11:20
 
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Sujet: W.G. Sebald
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Nathan Wachtel

Paradis du Nouveau Monde

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Essais répartis entre Fables d’Occident (deux chapitres) et Messianismes indiens (trois chapitres).
I : Le Paradis terrestre est situé en Amérique méridionale par l’érudit vieux-chrétien espagnol Antonio de León Pinelo dans son encyclopédique El Paraíso en el Nuevo Mundo, rédigé entre 1640 et 1650, et le jésuite portugais Simão de Vasconcelos dans ses Noticias Curiosas e Necessarias das Cousas do Brasil, parues en 1663.

II : La « théorie de l’Indien juif », soit celle des Dix Tribus perdues d’Israël exilées en Amérique, est développée dans les synthèses de deux Espagnols, le dominicain Gregorio García dans L’origine des Indiens du Nouveau Monde, publié en 1607, et Diego Andrés Rocha dans Tratado Unico y Singular del Origen de los Indios, publié en 1681, et réfutée par le Hollandais d’origine portugaise Menasseh ben Israël dans Espérance d’Israël, publié en 1650.
« N’oublions pas cependant que des auteurs tels que Gregorio García, Diego Andrés Rocha ou Menasseh ben Israël développaient une argumentation extrêmement rigoureuse, que leurs démonstrations s’enchaînaient de manière très rationnelle ; et si elles ne peuvent plus convaincre, c’est parce qu’elles sont faussées au départ par leurs prémisses bibliques. »

III : La « Terre sans Mal » des Tupi-Guarani est le premier aspect du point de vue des Amérindiens. L’ethnologue autodidacte Curt Unkel Nimuendajú estime au début du XXe que « le moteur des migrations tupis-guaranis n’a pas été leur force d’expansion guerrière, et que leur motivation était d’un autre ordre, probablement religieux », outre la pression des colons, les guerres entre tribus indiennes, les conflits internes à certains villages, les épidémies et la politique gouvernementale de sédentarisation et de « réduction » des Indiens. Ces derniers vont vers l’est, en direction du soleil et de la mer à la recherche d’une sorte de paradis, dans un mouvement messianique dirigé par les « hommes-dieux » (Alfred Métraux) qui inclut bientôt la révolte contre la domination coloniale tout en intégrant des éléments de la catéchèse chrétienne.
IV : Le retour de l’Inca, « "messianisme" ou "millénarisme" » « obstinément réinventé » dans les Andes.

« …] la représentation indigène de la fin d’un monde est régie tant par les catégories de l’organisation dualiste que par la conception cyclique du temps. »

« L’on estime que, pendant le premier demi-siècle de la domination coloniale, la chute démographique dans le monde andin atteint en moyenne quelque 80 % de la population : d’où l’ampleur de la désintégration sociale, et du traumatisme. »

Les huacas (divinités) reviennent, possèdent des fidèles dans la « maladie de la danse », reprennent et retournent des éléments de l’institution coloniale contre elle dans un « mouvement de revitalisation religieuse ».
« Soit le renversement cataclysmique de l’ordre du monde, dès lors remis à l’endroit. »

« Ce n’est donc pas nécessairement par rejet du christianisme que les Indiens rebelles exterminent les Espagnols et pourchassent les prêtres. Bien au contraire ! On peut soutenir en effet, sans paradoxe, que si les rebelles massacrent les oppresseurs espagnols, c’est parce que ces derniers, cupides et corrompus, sont de mauvais chrétiens, instruments du diable, et qu’eux-mêmes, Indiens, incarnent les véritables et authentiques chrétiens. »

V : La Danse des Esprits dans le prophétisme nord-amérindien, issu des « catastrophe démographique » due aux épidémies (disparition de plus de 80% de la population la aussi), guerres, spoliations notamment territoriales et déportations forcées de la colonisation anglo-américaine (ainsi que de la disparition du gibier).
« Pendant quelque trois cents ans, les Indiens d’Amérique du Nord ont ainsi éprouvé des traumatismes de tous ordres, indéfiniment répétés, accumulés, toujours recommencés : ils ont vécu de multiples et tragiques fins du monde, en abyme. »

La région des Grands Lacs est le siège d’une « revitalisation religieuse et guerrière » chez les rescapés regroupés dans une pan-indianité intertribale, d’abord « nativiste » et tournée contre les influences européennes.
Lorsque les Indiens ont tous été « transformés en clients, puis en assistés » dans des « réserves », les visions du Paiute Wodziwob annoncent « le retour des morts » au cours de Ghost Dances (d’origine ancestrale). Puis Wovoka, un autre Paiute, donne une inflexion pacifiste à son message de « Messie » : la transe traditionnelle doit dorénavant coexister avec les usages importés (travail salarié, école, église, etc.).
« Il s’agit en fait de combiner et concilier la fidèle perpétuation des rituels anciens (danses, prières, chants, transes) avec l’inévitable intégration dans le monde moderne : soit un processus double, où se consolide et s’affirme une identité de plus en plus manifeste, par-delà les particularités tribales : l’identité indienne. »

Les Sioux font ensuite face à l’extermination des bisons et à une très importante réduction de leurs réserves ; les traités avec cette « nation » sont régulièrement violés. Puis vient le massacre de Wounded Knee, basé sur un malentendu à propos de la Ghost Dance (qui perdurera). Wachtel relate le meurtre de Sitting Bull, le rôle ambivalent de Buffalo Bill et de son Wild West Show – le contexte de la fin d’un monde.

\Mots-clés : #amérindiens #colonisation #contemythe #essai #historique #identite #minoriteethnique #religion #segregation #spiritualité #traditions
par Tristram
le Dim 11 Fév - 11:29
 
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Sujet: Nathan Wachtel
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Rachel Carson

Printemps silencieux

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Un essai historique, ou comment un problème écologique grave et méconnu a été révélé et (partiellement) résolu grâce à un livre ; il reste d’une actualité intense et dramatique de nos jours (paru en 1962).
« Je prétends encore que nous avons laissé employer ces produits chimiques sans s’interroger outre mesure sur leurs effets sur le sol, sur l’eau, les animaux et plantes sauvages, sur l’homme lui-même. Les générations à venir nous reprocheront probablement de ne pas nous être souciés davantage du sort futur du monde naturel, duquel dépend toute vie. »

Ces produits chimiques détruisent la vie, l’équilibre naturel : pesticides, mais aussi herbicides.
« L’eau, le sol et le manteau végétal forment le monde qui soutient la vie animale de la Terre. Qu’il s’en souvienne ou pas, l’homme moderne ne pourrait exister sans les plantes qui captent l’énergie solaire et produisent les aliments de base nécessaires à sa subsistance. »

Carson explique comme un toxique se concentre dans la chaîne alimentaire. Tout est lié dans l’environnement. Elle souligne aussi les effets cumulatifs dans le temps des agents de pollution, et les risques induits par leurs interactions.
Des campagnes de pulvérisation illogiques (notamment pour tenter de sauver les ormes ; Carson parle essentiellement de l’Amérique du Nord) détruisent les insectes, et donc les oiseaux qui s’en nourrissent, ainsi que des mammifères. De plus, les facultés génésiques de cette faune sont détériorées par les insecticides. C’est valable également pour les poissons, les crustacés, etc. ; ces poisons se retrouvent jusque dans le lait des vaches.
« Lorsque les insectes réapparaissent – ce qui arrive presque toujours – les oiseaux ne sont plus là pour enrayer l’invasion. »

« Autrefois, ces substances étaient conservées dans des boîtes couvertes de têtes de morts et de tibias croisés, et lorsqu’on les employait – chose évidemment rare – on prenait grand soin de les appliquer où il convenait, et nulle part ailleurs. Mais l’apparition des insecticides organiques, jointe à l’abondance des avions en surplus de la Seconde Guerre mondiale, ont changé tout cela. Les poisons modernes ont beau être beaucoup plus dangereux que leurs prédécesseurs, on trouve normal de les jeter indistinctement du ciel. Les insectes ou les plantes visés, mais également tous les êtres du secteur – humains ou non humains – pourront entrer en contact avec le poison. On arrose les forêts et les champs, mais aussi bien les villes et les bourgs. »

« Nous sommes à l’âge du poison ; le premier venu peut acheter sans explications à tous les coins de rue des substances beaucoup plus dangereuses que les produits pour lesquels le pharmacien exige une ordonnance médicale. »

« En bref, admettre une tolérance, c’est autoriser la contamination des denrées alimentaires destinées au public dans le but d’accorder aux producteurs et aux industries de transformation le bénéfice d’un moindre prix de revient ; c’est aussi pénaliser le consommateur, en lui faisant payer l’entretien d’une police économique chargée de veiller à ce qu’on ne lui administre pas de doses mortelles de poison. Mais étant donné le volume et la toxicité des ingrédients agricoles actuels, ce travail de contrôle demanderait, pour être bien fait, des crédits que nulle assemblée n’osera jamais voter. En conséquence la police est médiocre, et le consommateur est à la fois pénalisé et empoisonné. »

« Notre grand sujet d’inquiétude est l’effet différé produit sur l’ensemble de la population par les absorptions répétées de petites quantités de ces pesticides invisibles qui contaminent notre globe. »

Les produits dénoncés sont surtout les hydrocarbures chlorurés et les phosphates organiques. Ils sont souvent carcinogènes. Et ils induisent une résistance chez les insectes ciblés qui s’y adaptent rapidement, d’autant plus que leurs prédateurs naturels sont également atteints par les pulvérisations. Les dégâts sont aussi économiques.
« Les pulvérisations d’insecticide dérangent les lois qui régissent la dynamique des populations chez les insectes. C’est pour cela qu’à chaque traitement les agriculteurs voient un mauvais insecte remplacé par un pire. »

« Nous voici maintenant à la croisée des chemins. Deux routes s’offrent à nous, mais elles ne sont pas également belles, comme dans le poème classique de Robert Frost. Celle qui prolonge la voie que nous avons déjà trop longtemps suivie est facile, trompeusement aisée ; c’est une autoroute, où toutes les vitesses sont permises, mais qui mène droit au désastre. L’autre, « le chemin moins battu », nous offre notre dernière, notre unique chance d’atteindre une destination qui garantit la préservation de notre terre. »

L’alternative est biologique, et non chimique : outre l’introduction de leurs prédateurs naturels lorsqu’ils manquent, sont proposés le lâchage d’insectes stérilisés, les leurres sélectifs (olfactifs ou acoustiques), insecticides bactériens et viraux.
La situation a certainement beaucoup évolué depuis, mais les principes demeurent.

\Mots-clés : #contemporain #ecologie #economie #essai #nature #pathologie #ruralité #xxesiecle
par Tristram
le Lun 29 Jan - 11:09
 
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Sujet: Rachel Carson
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Ernst Zürcher

Les arbres, entre visible et invisible – s'étonner, comprendre, agir

Tag essai sur Des Choses à lire 511jqd11

Dans la préface, Francis Hallé soutient nombre des assertions de Ernst Zürcher. Dans son introduction, ce dernier montre comme la pensée (invisible) permet de saisir les fonctions à partir des structures (visibles), notamment chez les arbres.
Dans le premier chapitre, Arbres sacrés et peuples de l’arbre, est pris l’exemple de l’if.
Dans le second, c’est la structure arborescente qui est revisitée, la longévité et le gigantisme de certains arbres, mais aussi la physiologie du bois.
Dans le troisième, Zürcher évoque notamment la croissance et les flux de sève hélicoïdes selon la section dorée.
Dans le quatrième, Chronobiologie (« les manifestations rythmiques des processus vitaux »), il rapporte « des synchronicités avec les grands rythmes de nature astronomique », notamment des cycles lunaires à prendre en compte pour les semis et l’abattage.
Le cinquième traite du bois à cet égard.
Le sixième évoque les parfums, mais aussi l’ionisation négative ambiante des forêts, et autres « messages subtils ».
Le septième et dernier chapitre, Partenariats pour la fertilité met en valeur la gestion forestière et ses intérêts, et diverses techniques, comme les jardins-forêts.
« …] le maximum de diversité floristique fut également atteint vers la fin de l'ère préindustrielle, où l'on mettait en valeur divers types de prairies (avec des régimes de coupe et de pacage correspondants), allant des zones marécageuses aux coteaux maigres et secs extrêmement riches en espèces, peuplés d'innombrables insectes et papillons.
Il ressort de ces faits que certaines formes de gestion active de la nature par l'homme – à but de production – ont eu, dans certaines conditions, l'effet paradoxal non de l'appauvrir, mais d'en augmenter la biodiversité. En ce sens, le dualisme "écologie-économie" ou "nature-culture", ou encore "réserves naturelles intégrales (dont l'homme serait censé être banni)-zones agro-industrielles intensives" doit être remis en question et dépassé. De multiples exemples l'ont démontré : l'homme n'a pas fatalement un impact destructeur sur la nature – il est aussi capable de s'y insérer et d'y agir dans une sorte de "partenariat" constructif et dynamisant, à condition d'en avoir compris les principes de fonctionnement et d'en tenir compte. »

La postface "inspirée" de Bruno Sirven, en pendant de la préface de Francis Hallé et « où le savoir ne connaît pas la limite de la stricte rationalité ou d'un quelconque carcan matérialiste », synthétise bien mes réserves. D’apparence rigoureusement scientifique, cet essai me paraît considérer comme des faits établis et significatifs (au sens d’effets importants) des phénomènes tels que l’influence lunaire, l’eau « nouvelle » (apparentée à celle qui aurait une mémoire !) et l’électrosmog. Je ne suis pas certain qu’un tel mixte de faits scientifiques, d’ailleurs tout à fait étonnants, et de théories à la limite de la mystique ou de la superstition soit vraiment éclairant, mais voilà assurément une lecture qui intéressera ceux qui s’inquiètent des arbres et plus généralement de notre environnement.

\Mots-clés : #essai #nature
par Tristram
le Jeu 28 Déc - 11:15
 
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Sujet: Ernst Zürcher
Réponses: 9
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W.G. Sebald

Amère patrie − À propos de la littérature autrichienne

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Ces essais constituent une sorte de suite, ou plutôt un pendant, à La Description du malheur, d’ailleurs aussi sous-titré À propos de la littérature autrichienne. Cette fois, il s’agit dans cette « tradition d’écriture » de ce qui tourne autour du concept de Heimat, la « (petite) patrie », « qui s’était imposée dans l’Autriche des années 1930 ».
« Ce qu’on essayait d’accomplir à l’époque, c’était de gommer la moindre différence, d’ériger l’étroitesse de vue en programme et la délation en morale publique. »

Il s’agit des auteurs du XIXe (et début XXe), et sont notamment évoqués les Juifs, l’exil, les migrations, la disparition culturelle, la perte et le passé.
Intéressante découverte de Peter Altenberg, le poète bohème et flâneur viennois (rapproché de Baudelaire).
Comme pour le précédent essai, une connaissance approfondie de l’histoire et de la littérature autrichiennes serait fortement souhaitable. De même, je n’ai pas été en mesure d’apprécier vraiment la validité de la « dimension messianique » juive attribuée au Château de Kafka.
Concernant Joseph Roth, sa conscience de la destruction à venir d’un monde où les Juifs avaient leur place est significative de l’élaboration fasciste qu’il dénonce dès 1927.
« Dans le domaine de l’esthétique, il en va toujours en dernier ressort de problèmes éthiques. »

Suit un article (fort) critique sur Hermann Broch.
« Le kitsch est le pendant concret de la désensibilisation esthétique ; ce qui se manifeste en lui est le résultat d’une erreur de programmation de l’utopie, une erreur de programmation qui mène à une nouvelle ère où les substituts et les succédanés prennent la place de ce qui a été un jour le réel, y compris dans le domaine de la nature et de l’évolution naturelle. »

Je ne connaissais pas Jean Améry :
« …] le jour de l’Anschluss ne sonnait pas seulement le glas de sa patrie, de son enfance et de sa jeunesse, mais aussi, de jure, celui de sa personne [… »

« Améry endossa ce qu’on a un jour appelé le vice du peuple juif, l’être ailleurs [en français dans le texte], et devint un “apatride de métier”. »

L’essai s’achève en évoquant Peter Handle :
« Si l’idée de Heimat s’est développée au XIXe siècle à l’épreuve de plus en plus inévitable de l’étranger, l’idéologisation de la Heimat, inspirée de la même façon par l’angoisse de la perte, conduit au XXe siècle à vouloir l’expansion la plus grande possible de cette Heimat, si nécessaire par la violence et aux dépens des autres patries. »

Et si je suis loin d’avoir tout saisi, certains passages trouvent une résonance…
« À partir des mythes indiens, Lévi-Strauss a montré que leurs inventeurs ne craignaient rien tant que l’infection de la nature par l’homme. La compréhension du monde qui en résulte a pour précepte central que rien n’est plus important que d’effacer les traces de notre présence. C’est une leçon de modestie diamétralement opposée à celle que notre culture s’est proposé d’appliquer. »


\Mots-clés : #biographie #communautejuive #ecriture #essai #exil #historique #nostalgie
par Tristram
le Ven 22 Déc - 11:06
 
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Umberto Eco

Reconnaître le faux (Dire le faux, mentir, falsifier)

Tag essai sur Des Choses à lire Reconn10

« Comme la littérature dit ce qui est le cas dans un monde possible différent du nôtre, le mensonge est seulement l’une des manières de dire ce qui n’est pas le cas dans le monde réel. »

« Donc, alors que dire le faux est un problème aléthique – et cela a à voir avec une notion d’aletheia c’est-à-dire de vérité –, mentir est un problème éthique, ou moral. »

« D’où le phénomène de ces lecteurs qui pensent sérieusement que les romans parlent de choses réellement advenues et attribuent à l’auteur les opinions des personnages. Et je vous assure, en tant qu’auteur de romans, que, au-delà disons des dix mille exemplaires, on passe du public habitué aux romans au public néophyte pour qui le roman est lu comme une séquence d’affirmations vraies, tout comme dans l’ancien théâtre de marionnettes, les spectateurs à la fin essayaient de lyncher le traître Ganelon. »

Bref essai de grande clarté et remarquablement structuré.

\Mots-clés : #essai
par Tristram
le Dim 17 Déc - 11:04
 
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Gaston Bachelard

La Poétique de l'espace (édition 1961)

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Poursuite chez Bachelard de la phénoménologie (à côté des psychologie et psychanalyse) des « images premières », dans leur primitivité, donc de l’imagination, qui a ses racines dans l’inconscient.

Chapitre I. La maison. De la cave au grenier. Le sens de la hutte.
Chapitre II. Maison et Univers.
Chapitre III. Le tiroir. Les coffres et les armoires.
Chapitre IV. Le nid.
Chapitre V. La coquille.
Chapitre VI. Les coins.
Chapitre VII. La miniature.
Chapitre VIII. L’immensité intime.
Chapitre IX. La dialectique du dehors et du dedans.
Chapitre X. La phénoménologie du rond.

Pilloté selon l’appétence :
« Les résonances se dispersent sur les différents plans de notre vie dans le monde, le retentissement nous appelle à un approfondissement de notre propre existence. Dans la résonance, nous entendons le poème, dans le retentissement nous le parlons, il est nôtre. »

« Un grand vers peut avoir une grande influence sur l’âme d’une langue. Il réveille des images effacées. Et en même temps il sanctionne l’imprévisibilité de la parole. Rendre imprévisible la parole n’est-il pas un apprentissage de la liberté ? »

« Mais la phénoménologie de l’imagination ne peut se satisfaire d’une réduction qui fait des images des moyens subalternes d’expression : la phénoménologie de l’imagination demande qu’on vive directement les images, qu’on prenne les images comme des événements subits de la vie. Quand l’image est nouvelle, le monde est nouveau. »

« La métaphore vient donner un corps concret à une impression difficile à exprimer. La métaphore est relative à un être psychique différent d’elle. L’image, œuvre de l’Imagination absolue, tient au contraire tout son être de l’imagination. En poussant par la suite notre comparaison de la métaphore et de l’image, nous comprendrons que la métaphore ne peut guère recevoir une étude phénoménologique. Elle n’en vaut pas la peine. Elle n’a pas de valeur phénoménologique. Elle est, tout au plus, une image fabriquée, sans racines profondes, vraies, réelles. C’est une expression éphémère, ou qui devrait être éphémère, employée une fois en passant. Il faut prendre garde de ne pas trop la penser. Il faut craindre que ceux qui la lisent ne la pensent. […]
Au contraire de la métaphore, à une image, on peut donner son être de lecteur ; elle est donatrice d’être. L’image, œuvre pure de l’imagination absolue, est un phénomène d’être, un des phénomènes spécifiques de l’être parlant.
[…]
Ces remarques rapides ne tendent qu’à montrer qu’une métaphore ne devrait être qu’un accident de l’expression et qu’il y a danger à en faire une pensée. La métaphore est une fausse image puisqu’elle n’a pas la vertu directe d’une image productrice d’expression, formée dans la rêverie parlée. »

« …] il y aura toujours plus de choses dans un coffret fermé que dans un coffret ouvert. La vérification fait mourir les images. Toujours, imaginer sera plus grand que vivre. »

« L’immensité est le mouvement de l’homme immobile. L’immensité est un des caractères dynamiques de la rêverie tranquille. »

Un des charmes de la lecture de Bachelard tient à ses renvois avec citations à des œuvres littéraires connues (Bosco, Rilke, Supervielle, Baudelaire), mais parfois aussi oubliées.
Une facétieuse mise en exergue d’une savoureuse bévue psychanalytique (Juliette Favez-Boutonier eut Bachelard comme directeur de thèse) !?
« Nous aurions peur sans cela, en avouant notre goût pour la miniature, de renforcer le diagnostic que Mme Favez-Boutonier nous indiquait au seuil de notre bonne et vieille amitié il y a un quart de siècle : vos hallucinations lilliputiennes sont caractéristiques de l’alcoolisme. »


\Mots-clés : #essai
par Tristram
le Sam 4 Nov - 16:01
 
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Tzvetan Todorov

La conquête de l'Amérique - La question de l'autre

Tag essai sur Des Choses à lire La_con11

Exergue :
« Le capitaine Alonso Lopez de Avila s'était emparé pendant la guerre d'une jeune Indienne, une femme belle et gracieuse. Elle avait promis à son mari craignant qu'on ne le tuât à la guerre de n'appartenir à aucun autre que lui, et ainsi nulle persuasion ne put l'empêcher de quitter la vie plutôt que de se laisser flétrir par un autre homme ; c'est pourquoi on la livra aux chiens.
Diego de Landa, Relation des choses de Yucatan, 32
Je dédie ce livre à la mémoire
d'une femme maya
dévorée par les chiens
. »

I Découvrir :
« Je veux parler de la découverte que le je fait de l'autre. »

Et tout particulièrement de la (non-)rencontre de Colon et des Indiens. Le premier est essentiellement finaliste, et découvre surtout ce qu’il s’attendait à découvrir.
« Les arbres sont les vraies sirènes de Colon. Devant eux, il oublie ses interprétations et sa recherche du profit, pour réitérer inlassablement ce qui ne sert à rien, ne conduit à rien, et qui donc ne peut être que répété : la beauté. « Il s'arrêtait plus qu'il ne voulait par le désir qu'il avait de voir et la délectation qu'il goûtait à regarder la beauté et la fraîcheur de ces terres n'importe où il entrait » (27.11.1492). Peut-être retrouve-t-il par là un mobile qui a animé tous les grands voyageurs, que ce soit à leur insu ou non.
L'observation attentive de la nature conduit donc dans trois directions différentes : à l'interprétation purement pragmatique et efficace, lorsqu'il s'agit d'affaires de navigation ; à l'interprétation finaliste, où les signes confirment les croyances et espoirs qu'on a, pour toute autre matière ; enfin à ce refus de l'interprétation qu'est l'admiration intransitive, la soumission absolue à la beauté, où l'on aime un arbre parce qu'il est beau, parce qu'il est, non parce qu'on pourrait s'en servir comme mât d'un bateau ou parce que sa présence promet des richesses. »

« L'attitude de Colon à l'égard des Indiens repose sur la perception qu'il en a. On pourrait en distinguer deux composantes, qu'on retrouvera au siècle suivant et, pratiquement, jusqu'à nos jours chez tout colonisateur dans son rapport au colonisé ; ces deux attitudes, on les avait déjà observées en germe dans le rapport de Colon à la langue de l'autre. Ou bien il pense les Indiens (sans pour autant se servir de ces termes) comme des êtres humains à part entière, ayant les mêmes droits que lui ; mais alors il les voit non seulement égaux mais aussi identiques, et ce comportement aboutit à l'assimilationnisme, à la projection de ses propres valeurs sur les autres. Ou bien il part de la différence ; mais celle-ci est immédiatement traduite en termes de supériorité et d'infériorité (dans son cas, évidemment, ce sont les Indiens qui sont inférieurs) : on refuse l'existence d'une substance humaine réellement autre, qui puisse ne pas être un simple état imparfait de soi. Ces deux figures élémentaires de l'expérience de l'altérité reposent toutes deux sur l'égocentrisme, sur l'identification de ses valeurs propres avec les valeurs en général, de son je avec l'univers ; sur la conviction que le monde est un. »

« C'est ainsi que par des glissements progressifs, Colon passera de l'assimilationnisme, qui impliquait une égalité de principe, à l'idéologie esclavagiste, et donc à l'affirmation de l'infériorité des Indiens. »

(Et Colon organisa effectivement une traite des Indiens, d’abord vus comme « bons sauvages », avec l’Espagne.)
« L'année 1492 symbolise déjà, dans l'histoire d'Espagne, ce double mouvement : en cette même année le pays répudie son Autre intérieur en remportant la victoire sur les Maures dans l'ultime bataille de Grenade et en forçant les juifs à quitter son territoire ; et il découvre l'Autre extérieur, toute cette Amérique qui deviendra latine. »

II Conquérir :
C’est celle du Mexique par Cortés, malgré un rapport numérique très déséquilibré des troupes. Todorov rappelle que les Aztèques étaient eux-mêmes de cruels conquérants, installés depuis relativement peu de temps.
Les Aztèques interprétaient les signes (prophéties des prêtres-devins) d’un monde surdéterminé dans une société fortement hiérarchisée, régie par l’ordre, avec « prééminence du social sur l'individuel ».
« Pris ensemble, ces récits, issus de populations fort éloignées les unes des autres, frappent par leur uniformité : l'arrivée des Espagnols est toujours précédée de présages, leur victoire est toujours annoncée comme certaine. »

« La première réaction, spontanée, à l'égard de l'étranger est de l'imaginer inférieur, puisque différent de nous : ce n'est même pas un homme, ou s'il l'est, c'est un barbare inférieur ; s'il ne parle pas notre langue, c'est qu'il n'en parle aucune, il ne sait pas parler, comme le pensait encore Colon. »

« Le chef de l'État lui-même est appelé tlatoani, ce qui veut dire, littéralement, « celui qui possède la parole » (un peu à la manière de notre « dictateur »), et la périphrase qui désigne le sage est « le possesseur de l'encre rouge et de l'encre noire », c'est-à-dire celui qui sait peindre et interpréter les manuscrits pictographiques. »

Les tergiversations de Moctezuma reflètent son désarroi devant une situation inédite, inattendue dans une société régie par le passé au sein d’un « temps cyclique, répétitif ».
Cortès, en vrai Machiavel, sait s’adapter et improviser, et manipule les Aztèques selon leurs croyances (mythe de Quetzalcoalt, etc.)
« …] l'intransigeance a toujours vaincu la tolérance. »

III Aimer :
« Si le mot génocide s'est jamais appliqué avec précision à un cas, c'est bien à celui-là. C'est un record, me semble-t-il, non seulement en termes relatifs (une destruction de l'ordre de 90 % et plus), mais aussi absolus, puisqu'on parle d'une diminution de la population estimée à 70 millions d'êtres humains. »

Pour s’enrichir rapidement, les conquistadors se laissent aller à toutes les cruautés ; ils massacrent sans compter, là où les Aztèques sacrifiaient.
« Le massacre, en revanche, révèle la faiblesse de ce même tissu social, la désuétude des principes moraux qui assuraient la cohésion du groupe ; du coup, il est accompli de préférence au loin, là où la loi a du mal à se faire respecter : pour les Espagnols, en Amérique, ou à la rigueur en Italie. Le massacre est donc intimement lié aux guerres coloniales, menées loin de la métropole. Plus les massacrés sont lointains et étrangers, mieux cela vaut : on les extermine sans remords, en les assimilant plus ou moins aux bêtes. L'identité individuelle du massacré est, par définition, non pertinente (sinon ce serait un meurtre) : on n'a ni le temps ni la curiosité de savoir qui on tue à ce moment. »

Des justifications de la guerre et de l’esclavage sont progressivement élaborées, les premières confinant au ridicule (comme le Requerimiento), jusqu’à la conférence de Valladolid, qui oppose la conception hiérarchique de Sepulveda et la conception égalitariste de Las Casas (Aristote versus le Christ). Mais le principe d’égalité chez Las Casas nie la différence :
« Le postulat d'égalité entraîne l'affirmation d'identité, et la seconde grande figure de l'altérité, même si elle est incontestablement plus aimable, nous conduit vers une connaissance de l'autre encore moindre que la première. »

Et le but reste la conversion à la « vraie foi » – et la soumission à la couronne espagnole : attitude colonialiste.

IV Connaître :
Cabeza de Vaca (ses « relations » forment un témoignage extraordinaire) constitue un bel exemple d’identification (relative). Le dominicain Diego Duran, farouche adversaire du syncrétisme religieux, étudie la religion aztèque, et forme involontairement un métissage culturel. Le franciscain Bernardino de Sahagun, enseignant et écrivain, outre son travail de prosélyte, a « le désir de connaître et de préserver la culture nahuatl ».

Épilogue :
Pour Todorov, « la connaissance de soi passe par celle de l'autre » (ethnologie) ; égalité et respect des différences doivent s’équilibrer.
« Le langage n'existe que par l'autre, non pas seulement parce qu'on s'adresse toujours à quelqu'un, mais aussi dans la mesure où il permet d'évoquer le tiers absent ; à la différence des animaux, les hommes connaissent la citation. »


\Mots-clés : #amérindiens #colonisation #esclavage #essai #genocide #historique #religion #spiritualité #traditions #violence #voyage
par Tristram
le Ven 29 Sep - 11:25
 
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W.G. Sebald

De la destruction comme élément de l'histoire naturelle

Tag essai sur Des Choses à lire De_la_11

Sebald constate que la destruction des villes allemandes par les raids aériens à la fin de la Seconde Guerre mondiale n’a pas été mémorisée en Allemagne, leur reconstruction ayant occulté le souvenir du passé historique avec le présent miracle économique.
« L’aptitude des hommes à oublier ce qu’ils ne veulent pas savoir, à détourner le regard de ce qu’ils ont devant eux, a rarement été mise à l’épreuve comme dans l’Allemagne de cette époque. On se décide, dans un premier temps sous l’emprise de la panique à l’état pur, à continuer comme si rien ne s’était passé. […]
Par ailleurs, le moyen le plus naturel et le plus sûr de “raison garder”, comme l’on dit, était encore de passer outre aux catastrophes survenues et de renouer avec la routine quotidienne, que ce soit en confectionnant un gâteau au four ou en continuant d’observer les rituels. »

À preuve le peu de témoignages recueillis, et le silence presque complet de la littérature allemande d’après-guerre à ce propos, à part notamment L’effondrement d’Hans Erich Nossack et Le Silence de l’ange d’Heinrich Böll, publié quarante ans plus tard ; Sebald cite aussi Automne allemand de Stig Dagerman, voir https://deschosesalire.forumactif.com/t300-stig-dagerman).
Il évoque « les errances de millions de sans-abri », en « profonde léthargie » et comme insensibles dans les ruines, et considère que cet anéantissement a été aussi illégal et immoral qu’illogique et militairement vain.
Le rapprochement avec la réaction japonaise à une situation en partie similaire n’est qu’à peine esquissé.
L’essai comporte trois parties (la troisième répondant aux attaques suscitées par les premières), et est suivi de L’écrivain Alfred Andersch, article très critique sur cet auteur de l’après-guerre.
Ces questions sont taraudantes, tant de la destruction de cités de l'Axe que du rebond des vaincus de la Seconde Guerre mondiale, et cet ouvrage permet au moins de les exposer, voire de leur apporter des éléments de réponse.

\Mots-clés : #deuxiemeguerre #essai #historique #xxesiecle
par Tristram
le Mer 27 Sep - 12:16
 
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Umberto Eco

Comment écrire sa thèse

Tag essai sur Des Choses à lire Commen11

« …] une thèse sert avant tout à apprendre à organiser ses idées, indépendamment de son sujet. »

Eco expose avec une extrême clarté la méthode rigoureuse, et d’une logique imparable, pour effectuer une recherche et la présenter de façon cohérente.
À noter que cet essai est paru pour la première fois en 1977, ce qui explique le recours aux fiches cartonnées, souvenir d’un usage aboli par la démocratisation de l’informatique.
« Tout dépend bien sûr aussi de la structure psychologique du chercheur. Il existe des personnes monochroniques et des personnes polychroniques. Les monochroniques ne travaillent bien que s'ils commencent et finissent une chose à la fois. Ils ne peuvent lire en écoutant de la musique ni interrompre un roman pour en commencer un autre, sous peine de perdre le fil – c'est à peine s'ils peuvent répondre à des questions pendant qu'ils se rasent ou se maquillent. Les polychroniques sont tout l'opposé. Ils ne travaillent bien que s'ils mènent de front plusieurs projets à la fois, et s'ils se consacrent à une seule chose, ils succombent à l'ennui. Les monochroniques sont plus méthodiques, mais ils ont souvent peu d'imagination. Les polychroniques sont plus créatifs, mais ils sont souvent brouillons et instables. Si vous parcourez les biographies des grands auteurs, vous verrez qu'il y eut des polychroniques et des monochroniques. »

« Une des premières choses à faire quand on commence à travailler à sa thèse est d'en écrire le titre et d'en rédiger l'introduction et la table des matières – c'est-à-dire de faire exactement ce que n'importe quel auteur fait en dernier. […]
Il est clair à présent que l'introduction et la table des matières seront constamment réécrites au fur et à mesure que progressera votre travail. C'est ainsi. La table des matières et l'introduction finales (celles qu'on lira dans votre tapuscrit) seront différentes de celles que vous aurez écrites au début. C'est normal. Si ce n'était pas le cas, cela voudrait dire que tout le travail de recherche que vous aurez effectué ne vous aura pas apporté une seule idée nouvelle. Sans doute avez-vous beaucoup de suite dans les idées, mais il était inutile de faire une thèse. »

Même si l’on n’a pas de velléités universitaires, il me semble que cette pédagogie de la démarche rationnelle peut être utile d’une façon plus générale, ne serait-ce que dans la manière de citer ses sources sans ambigüité.

\Mots-clés : #education #essai #universdulivre
par Tristram
le Lun 18 Sep - 12:26
 
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Alberto Manguel

Pinocchio & Robinson – Pour une éthique de la lecture

Tag essai sur Des Choses à lire Pinocc10

Trois brefs essais ayant rapport à la lecture, rééditions de Comment Pinocchio apprit à lire, La Bibliothèque de Robinson et Vers une définition du lecteur idéal, qui prolongent des livres comme Une histoire de la lecture et Journal d’un lecteur, toujours de Manguel.

Comment Pinocchio apprit à lire, ou ce qu’est vraiment lire, au-delà du déchiffrement des mots.
« Il s’agit de deux visions opposées du langage comme instrument de communication. Nous savons que le langage peut permettre au parleur de rester à la surface de la réflexion, en prononçant des slogans dogmatiques et des lieux communs en noir et blanc, en transmettant des messages plutôt que du sens, en plaçant le poids épistémologique sur l’auditeur (comme dans « tu vois ce que je veux dire ? »). Ou bien, il peut tenter de recréer une expérience, de donner une forme à une idée, d’explorer en profondeur et non pas seulement en surface l’intuition d’une révélation. »

« Il existe un ardent paradoxe au cœur de tout système scolaire. Une société doit impartir à ses citoyens la connaissance de ses codes afin qu’ils puissent y devenir actifs ; mais la connaissance de ces codes, outre la simple capacité de déchiffrer un slogan politique, une publicité ou un manuel d’instructions primaires, donne à ces mêmes citoyens celle de mettre la société en question, de découvrir ses défauts et de tenter de la changer. C’est dans le système qui permet à une société de fonctionner que gît le pouvoir de la subvertir, pour le meilleur ou pour le pire. »

La Bibliothèque de Robinson, ou ce qui se perd avec la lecture.
« Voici, d’après le très ironique Bioy Casares, certaines des « Choses à éviter en littérature » :
— Les curiosités psychologiques et les paradoxes : meurtres commis par délicatesse, suicides commis par plaisir.
— Les interprétations surprenantes de certains textes ou personnages : la misogynie de Don Juan, etc.
— Les couples de protagonistes manifestement trop différents : Don Quichotte et Sancho, Sherlock Holmes et Watson.
— Les couples de personnages identiques, comme Bouvard et Pécuchet. Si l’auteur invente un trait de caractère pour l’un, il est obligé d’en inventer un autre pour le second.
— Les personnages décrits par leurs bizarreries, comme chez Dickens.
— Tout ce qui est nouveau ou étonnant. Les lecteurs civilisés apprécient peu d’être surpris.
— Les jeux stériles avec le temps et l’espace : Faulkner, Borges, etc.
— La découverte que le véritable héros d’un roman est la prairie, la jungle, la mer, la pluie, la bourse.
— Les poèmes, les situations, les personnages auxquels le lecteur – Dieu l’en préserve – pourrait s’identifier.
— Les expressions qui pourraient passer en proverbes ou devenir des citations ; elles sont incompatibles avec l’ensemble du texte.
— Les personnages qui risquent de se transformer en mythes.
— Les énumérations baroques.
— Le vocabulaire riche. Les synonymes. Le mot juste. Tout ce qui vise à la précision.
— Les descriptions qui font image, les univers bourrés de détails physiques, comme chez Faulkner.
— Les arrière-plans, l’ambiance, l’atmosphère. La chaleur tropicale, l’ivrognerie, la voix à la radio, les expressions qui reviennent comme un refrain.
— Les livres qui commencent ou finissent par des détails météorologiques. Les sophismes pathétiques : « Le vent se lève ! Il faut tenter de vivre ! »
— Toutes les métaphores, surtout visuelles. Encore plus, les métaphores tirées de l’agriculture, de la navigation, de la finance. Comme chez Proust.
— L’anthropomorphisme.
— Les livres qui se modèlent sur d’autres livres. Ulysse et L’Odyssée.
— Les livres qui prétendent être des menus, des albums de photos, des itinéraires, des concerts.
— Tout ce qui pourrait inspirer des illustrations. Tout ce qui pourrait inspirer un film.
— Ce qui est hors sujet : les scènes domestiques dans un roman policier. Les scènes dramatiques dans un dialogue philosophique.
— Les choses attendues. Le pathos et les scènes érotiques dans les romans d’amour. Les énigmes et les crimes dans les romans policiers. Les fantômes dans les récits fantastiques.
— La vanité, la modestie, la pédérastie, la non-pédérastie, le suicide.
On aboutit bien sûr, à la fin de cette liste, à l’absence de toute littérature. »

« Lors des révoltes étudiantes qui secouèrent le monde à la fin des années soixante, un des slogans qui s’adressaient aux professeurs de l’université de Heidelberg proclamait : « Hier wird nicht zitiert ! », « Défense de citer ! » Les étudiants voulaient de la pensée originale ; ils oubliaient que citer, c’est poursuivre une conversation avec le passé afin de la resituer dans le contexte du présent ; que citer, c’est faire usage de la bibliothèque de Babel ; que citer, c’est réfléchir à ce qui a été dit avant nous et que, faute de le faire, nous parlons dans le vide, là où nulle voix humaine ne peut articuler un son. « Écrire l’histoire, dit Walter Benjamin, c’est la citer. » Écrire le passé, converser avec l’histoire, a constitué, comme on le sait, l’idéal humaniste, cet idéal que Nicolas de Cuse a été le premier à formuler en 1440. Dans le De docta ignorantia (De la docte ignorance), il a laissé entendre que la Terre n’était probablement pas le centre du monde et que l’espace extérieur, au lieu d’être limité par les décrets de Dieu, s’étendait peut-être à l’infini ; il a donc proposé la création d’une société semi-utopique qui, comme la bibliothèque universelle, comprendrait l’humanité tout entière et dans laquelle la politique et la religion cesseraient d’être des forces néfastes. Il est intéressant de remarquer qu’il existe chez les humanistes une corrélation entre la possibilité d’un espace infini qui n’appartient à personne et le savoir d’un passé riche qui appartient à tous. »

« Le Web se définit comme un espace qui appartient à tous, mais il exclut le sentiment du passé. […] Il est quasi instantané, il n’occupe aucun temps, sauf le cauchemar d’un présent perpétuel. Tout surface et sans volume, tout présent et sans passé, le Web aspire à être (il s’annonce lui-même comme tel) le foyer de chaque utilisateur, dans lequel la communication deviendrait possible avec tout autre utilisateur à la vitesse de la pensée. Telle est sa caractéristique essentielle : la vitesse. »

Ce texte a des allures de pamphlet contre le Web (mais il me semble que lire, même sur un écran, reste toujours lire…).

Vers une définition du lecteur idéal, une énumération de ses qualités supposées…
« Le lecteur idéal ne suit pas une histoire : il y participe. »

Si ce ne n’est pas La participation active du lecteur
On pense tantôt à N’espérez pas vous débarrasser des livres de Jean-Claude Carrière et Umberto Eco, tantôt à Comme un roman de Pennac, mais on y trouve aussi des renseignements et des aperçus originaux.

\Mots-clés : #essai #universdulivre
par Tristram
le Mar 22 Aoû - 12:50
 
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Sujet: Alberto Manguel
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Pascal Picq

Qui va prendre le pouvoir ? Les grands singes, les hommes politiques ou les robots

Tag essai sur Des Choses à lire Qui_va10

Dans son introduction à cet essai paru en 2017, Pascal Picq rappelle que les grands singes vont disparaître « d’ici 2050 », et annonce que les hommes pourraient faire de même.
« Si les grands singes se trouvent menacés par les hommes, et non pas l’inverse, en quoi intéressent-ils notre avenir immédiat ? Tout simplement parce que d’autres formes d’intelligence menacent, elles aussi, nos sociétés postindustrielles avec notamment l’arrivée massive des robots collaboratifs et l’intelligence artificielle forte. »

Prenant La Planète des singes de Pierre Boulle en référence, Picq avance que notre lignée de primates pourrait sombrer « dans la décadence d’une vie trop assistée » :
« …] les humains cessèrent d’être actifs, intellectuellement et physiquement. Devenus incapables de réagir, ils finirent par glisser d’un état d’esclavage volontaire à celui d’asservissement sous la férule des grands singes. »

« …] comment apprendre à vivre avec ces nouvelles intelligences artificielles pour assurer un futur meilleur à l’humanité ? Ma réponse d’éthologue et de paléoanthropologue est qu’il nous faut d’abord comprendre les intelligences naturelles qui accompagnent notre évolution, à savoir celles des singes et des grands singes. Si nous continuons à mépriser les intelligences les plus proches de nous dans la nature actuelle, comment imaginer une collaboration avec les nouvelles intelligences artificielles et les objets connectés ? Notre avenir avec les machines intelligentes ne pourra se construire qu’à cette condition. Sinon, nous serons les esclaves des robots. »

Puis l’auteur présente diverses espèces de singes, sans jamais vraiment perdre de vue l’Homo sapiens (ici en le comparant aux capucins dans les choix économiques) :
« Mais comment peut-on un seul instant attendre d’un individu, même humain, qu’il évalue le plus rationnellement possible ses choix et qu’il en mesure toutes les conséquences ? Comment croire, car il s’agit bien de croyance, que le marché, en admettant qu’il en existe une définition claire, se retrouve spontanément en situation d’équilibre ? À partir du moment où nous avons affaire à des individus différents les uns des autres, qui ont des intérêts plus ou moins conscients (plutôt moins que plus), des émotions et des intentions qui les traversent et les dépassent souvent, sans parler du fait qu’ils évoluent dans des groupes sociaux complexes et des environnements qui ne le sont pas moins, comment, donc, croire un seul instant en un idéal rationnel et équilibré ? Il en va de même pour la théorie des équilibres des marchés, c’est un non-sens évolutionniste. […] L’agent économique rationnel, égoïste et calculateur au mépris et au détriment d’autrui, n’est pas un produit de l’évolution, mais une invention des théories économiques. »

Ce texte est plein d’humour, ce qui ne va pas sans induire quelques équivoques ou confusions. Les rapprochements avec des hommes (et femmes) politiques, surtout français (mais pas que), directement nommés et contemporains (campagne présidentielle de 2017), est à la fois savoureux et désappointant (car peu explicité).
« Cela explique une énigme longtemps non résolue dans un groupe ancestral dans lequel les mâles se prévalaient d’un modèle de référence athlétique et blond qui faisait fureur alors que leur chef était petit, chétif et brun. »

Dans la seconde partie, Picq aborde le politique chez les chimpanzés.
« L’accès aux positions dominantes dans leurs systèmes hiérarchiques ne repose pas que sur la force, le sexe ou les liens de parenté : le pouvoir dépend des capacités des individus à constituer des coalitions et des alliances dans le but de monter dans la hiérarchie et de se maintenir par l’exercice du pouvoir, d’en avoir les privilèges et d’en assumer plus ou moins bien les obligations morales envers ses alliés et les autres. »

Picq renvoie au Prince de Machiavel, qui « peut se lire comme le premier traité d’éthologie politique humaine » et à Du rififi chez les chimpanzés, film de Pascal Picq et Nathalie Borgers, Doc en Stock/Arte, 1998, que je n’ai pas pu trouver (mais j’ai vu Les grands singes, qui passait sur ARTE jusqu’au 15 juin).
Il part des observations, notamment de Frans De Waal et lui-même (et d’autres comme Jane Goodall en Tanzanie, etc.), de la colonie de chimpanzés du zoo d’Arnhuem, en Hollande, et d’abord de la femelle dominante, Mama.
« Aucun mâle ne pouvait accéder au statut de dominant sans le soutien de Mama. Elle intervenait dans les conflits entre les mâles, bien plus puissants, en jouant des équilibres et surtout en œuvrant pour les réconciliations et les alliances. »

« Chaque soir, elle veillait à ce que toutes les familles et les clans aient rejoint leurs quartiers de nuit respectifs et, après un dernier tour pour vérifier que tout était en ordre, elle venait saluer l’animalier ou le chercheur responsable de la bonne exécution du mouvement avant de pénétrer dans sa loge. Traduction : « Je me suis chargée de la bonne marche des choses et, surtout, je suis la médiatrice du pouvoir des hommes envers les miens. » »

« Mama représentait le pouvoir des femelles et si ses intérêts passaient du mâle alpha à un prétendant, le pouvoir pouvait basculer. Évidemment, tout cela n’arriverait pas si les mâles se montraient stables et fidèles dans leurs alliances… »

Picq aborde aussi les bonobos, plus proches parents des chimpanzés avec nous-mêmes, au moins du point de vue des affinités sociales et comportementales (ressemblances éthologiques, dans la « classification phénotypique, car fondée sur des caractères adaptatifs sélectionnés arbitrairement », sinon sous l’angle des « relations phylogénétiques, ou de parenté, [qui] sont données par la systématique moléculaire et l’anatomie (ou classifications fondées sur les ressemblances à partir des caractères génétiques et anatomiques). »).
« Sans aucune exagération, les femelles bonobos apportent la démonstration que les archaïsmes machistes en politique sont relativement récents, même s’ils ont la peau dure. Car tout cela remonte à très loin. Chez les singes, les femelles restent généralement toute leur vie dans leur troupe natale et sur le même territoire. Par conséquent, étant donné qu’il n’y a pas d’inceste dans la nature, les mâles arrivés à maturité sexuelle quittent leur groupe pour se reproduire ailleurs (exogamie des mâles ; P. Picq et P. Brenot Le Sexe, l’Homme et l’Évolution, Odile Jacob, 2009). Mais, comme toujours, il y a des exceptions à la règle et on observe le cas de mâles dits « patrilocaux » et de femelles qui s’en vont à l’adolescence (femelles exogames). Ce sont justement les chimpanzés, les bonobos et les hommes. »

Les faits sont frappants, et leur exposition dénuée de tout anthropomorphisme (comme s’en défend Picq, en égratignant au passage les sciences humaines) : a même été observé le « meurtre politique », « meurtre prémédité »…
La prise du pouvoir et le maintien au pouvoir sont basés sur « un moyen de s’imposer aux autres avec ce que ne possèdent pas les autres (les bidons), auquel s’associe la perception des rivalités entre les clans. Tout l’imaginaire et la symbolique du pouvoir dans les sociétés humaines reposent sur de tels artifices, comme le pouvoir de droit divin, qui est bidon comme chacun sait, mais cela a pris des siècles et des siècles pour s’en apercevoir ». Cela explique les « fondamentalismes religieux qui, sous prétexte de contester les théories de l’évolution, œuvrent pour installer des théocraties, notamment aux États-Unis ».
« Tout candidat doit aller sur le terrain et prendre contact avec les électeurs. Chez les chimpanzés et tous les singes, dont l’homme, cela s’appelle l’épouillage.
Chez les chimpanzés, on connaît la chanson depuis fort longtemps. Un mâle voulant accéder au sommet de sa hiérarchie va s’évertuer dans un premier temps à s’assurer le soutien des femelles. Il usera parfois d’intimidation physique mais, le plus souvent, de relations aimables. Il les épouille, partage volontiers la nourriture et leur assure protection. Puis, il en fait de même avec les autres mâles, sans manquer de rassurer le mâle dominant. Une fois qu’il se croit assez sûr de la qualité de ses relations avec les femelles et les autres mâles, il commence à défier le mâle dominant.
L’épouillage entre singes est ainsi le principal moyen de se construire des alliances, avec le partage de la nourriture. Et c’est bien ce que font aussi nos candidats lorsqu’ils viennent dans des lieux publics, participent à des manifestations collectives ou se déplacent sur les places de marché. Le langage et le discours deviennent secondaires. Le plus important se trouve dans les attitudes, les mains serrées, les embrassades, les attouchements. Comme chez les chimpanzés. »

« Pour les primatologues, l’épouillage est l’ancêtre du langage par ses fonctions sociales et politiques. Mais ce n’est pas parce que le langage et les modes de communications ont évolué, de l’agora athénienne aux réseaux sociaux actuels, qu’il a perdu de son importance, bien au contraire. »

« Chez les chimpanzés, on trouve, comme chez les hommes, une acceptation sociale de la violence qui, si elle s’exacerbe, peut finir par se retourner contre les tyrans. Autre caractéristique de la politique et de la violence chez ces singes : leur propension à se faire la guerre. Les mâles apparentés d’une communauté peuvent former des coalitions dans le seul but de s’en prendre aux mâles de la communauté voisine, voire de les exterminer méthodiquement, sans oublier d’accaparer les femelles. »

« …] les chimpanzés nous offrent aussi un des facteurs les plus courants de la politique parmi les hommes, celui d’une menace extérieure qui incite les individus à accepter des formes plus ou moins coercitives de pouvoir contre une hypothétique protection. Les sociétés humaines, plus complexes, inventeront les castes de guerriers dont la justification repose sur la menace que font peser les guerriers d’à côté et qu’ils font eux-mêmes peser sur leurs voisins. Des chimpanzés aux lois liberticides du gouvernement Bush en passant par la guerre froide, l’existence d’une menace extérieure, concrète ou fictive, favorise l’acceptation d’une perte de liberté en échange d’une sécurité, réelle ou illusoire. On touche ici à la question fondamentale de la liberté et de la sécurité, du contrat social comme du Léviathan : concéder une part de liberté individuelle en échange de la sécurité. »

« Entre l’immoralisme pragmatique de Mandeville et le moralisme de la transparence absolue, comment faire de la politique ? Il devient impératif de rechercher de nouvelles formes de consentement au risque de ruiner nos démocraties, si ce n’est la démocratie. »

Dans la troisième partie, Picq expose ce qu’il appelle « le syndrome de la planète des singes » :
« des femmes et des hommes servis par des machines et des grands singes qui, sombrant dans le confort et la paresse physique et intellectuelle, passent du statut d’Homo sapiens à Homo consommatus. Actuellement, des dizaines de millions de personnes du monde occidentalisé ne lisent plus, ne marchent plus, ne réfléchissent plus. Elles se contentent de répondre aux flots des messages futiles des réseaux sociaux et aux stimuli des annonces commerciales. Les dernières études statistiques et épidémiologiques décrivent une baisse de l’espérance de vie comme du QI [… »

Il explique pourquoi la compréhension des (grands) singes nous serait utile aujourd’hui, surtout par rapport au travail (et au revenu universel) et aux droits.
« Notre espèce se distingue de toutes les autres par une capacité unique d’exploiter son prochain et les espèces proches. Le propre d’Homo sapiens semble bien être l’esclavagisme. Aussi loin que nous puissions remonter dans l’histoire de toutes les grandes civilisations, on rencontre des esclaves. Et il en est encore de même de nos jours, les consommateurs des pays riches feignant de ne pas comprendre que chaque centime d’euro gagné sur les produits qu’ils achètent, selon la logique délétère du prix le plus bas, et sous prétexte de sauver le pouvoir d’achat, se gagne sur le labeur et la misère de millions d’enfants, de femmes et d’hommes ailleurs dans le monde, tout en détruisant leurs propres emplois. »

Regard perspicace sur notre société, qui se transforme « à la vitesse du numérique » (cf. le changement d’environnement pour les singes).
« Nous voilà donc face à un immense paradoxe : nous n’avons jamais eu autant de revendications sur la réduction du temps de travail ou de son partage, alors que, chaque jour, nous effectuons de plus en plus de tâches qui, il n’y a pas si longtemps, étaient effectuées par des personnes ayant emplois et rémunérations. »

« Ce qui fait l’humain, c’est la distinction entre les causes immédiates et les causes ultimes. »

« Plus de deux siècles après les Lumières et après la fin des grandes idéologies du XXe siècle, nous savons que notre monde change à l’échelle mondiale. Se produit une révolution « invisible » ou « fluide » qui, pour l’heure, n’a pas de nom et ne répond à aucun projet énoncé, et encore moins annoncé. »

Picq souligne l’importance du ressenti d’iniquité suscité par les inégalités.
« Certes, la pauvreté a massivement reculé dans le monde, mais nos démocraties sont désormais malades de la bipolarisation entre des riches de plus en plus riches et une multitude grandissante de pauvres. Et nos systèmes politiques se montrent impuissants à résoudre ces problèmes socio-économiques. Alors les électeurs, fatigués, votent contre le consensus ou bien osent la différence. Il serait grand temps que nos partis politiques, y compris en France, comprennent le jeu de l’ultimatum : le peuple a désormais moins à perdre en osant la différence que tous les bénéficiaires de ces rentes partisanes de plus en plus fossilisées. Le jeu gagnant/gagnant à deux bosses de plus en plus inégales devient un jeu perdant/perdant quand celles et ceux qui gagnent peu par rapport à ceux qui gagnent beaucoup ressentent un profond sentiment d’iniquité. Dans cette optique, les débats et les décisions prises autour de la taxation ou non des heures supplémentaires et seulement pour quelques euros de plus sont tout simplement insultants. »

« Chez les singes les plus sociaux comme chez les hommes, la vie en société ne consiste pas à nier les différences, mais à faire en sorte qu’elles ne deviennent pas des inégalités, ce qui constitue une rupture du « consentement » cher à Claude Lévi-Strauss. Comme je l’ai dit plus haut, l’anthropologie culturelle a montré que les sociétés « consentent » aux privilèges de celles et ceux qui ont la responsabilité de diriger le groupe. Il s’agit d’un contrat social accepté en pleine conscience. Mais s’il y a rupture, cela conduit à une crise, souvent violente, avec le meurtre, réel ou symbolique, des leaders. On connaît de tels exemples chez les chimpanzés. Il n’y a que dans nos sociétés dites modernes, minées par les idéologies, que les dictateurs finissent dans leur lit (Staline, Mao, Castro) ou au terme d’un chaos dévastateur parce que les peuples n’ont pas osé ou pu s’en débarrasser assez tôt (Hitler, Mussolini, Ceausescu…). Cette question du consentement n’apparaît pas dans les débats actuels alors même que tout le monde a conscience que nous sommes au cœur d’une crise de gouvernance. »

« La tyrannie de l’immédiateté et de la réactivité fait qu’aujourd’hui la viralité des réseaux sociaux impose son désordre. Là aussi, quels changements en quelques années ! Il suffit de comparer l’usage des réseaux, et tout particulièrement de Twitter dans la campagne présidentielle de Barack Obama et dans celle de Donald Trump, sans oublier le récent Brexit. On se retrouve avec des pro-Brexit élus, mais sans programme, qui se défilent et un Président américain presque surpris de se retrouver à la Maison Blanche. Un nouveau terme sert désormais à décrire ce phénomène, celui de post-trust, ou « post-vérité ». Autrement dit, deux piliers fondamentaux de nos démocraties modernes, la politique et le journalisme, se retrouvent hors jeu. Big Brother est déjà dans nos poches et les paranoïas sécuritaires nous précipitent à la vitesse du numérique dans les rets d’une dictature digitale dont nous sommes les victimes actives et consentantes. Relisons vite La Servitude volontaire de La Boétie, car seule la culture sauvera l’humanité postmoderne. »

« Notre système politique et notre démocratie souffrent d’un profond problème de gouvernance entre l’usage de l’article 49-3, les sondages et les référendums. Nos sociétés ont sombré dans l’enfer des causes immédiates, sans plus aucun intérêt pour l’histoire et donc sans avenir. »

« Les mouvements religieux les plus fondamentalistes expriment de plus en plus leurs velléités réactionnaires, notamment aux États-Unis (évangélistes), en Turquie (islam fondamentaliste), en Russie (orthodoxie) et en Chine (confucianisme, mais qui n’est pas une religion au sens strict). De quoi s’inquiéter quand on sait que Vladimir Poutine, Recep Erdogan et Xi Jinping affirment des pouvoirs de plus en plus personnels et autoritaires. Attendons l’évolution de Donald Trump qui, pour l’heure, a inventé la plouto-gérontocratie, tandis que les autres consolident leurs « démocratures », ces régimes de moins en moins démocratiques mais dont la légitimité repose sur des élections démocratiques. »

Aucun programme politique en vue, et disparition déjà bien amorcée de la main-d’œuvre et du « cerveau-d’œuvre » : guère de perspective d’adaptation dans notre monde globalisé…
L’observation des singes est captivante, et le regard sur notre société est révélateur. Je comprends mieux les rapprochements que je fais depuis longtemps entre nos comportements et ceux d’autres animaux, et aussi pourquoi le "politique" me dégoûte !

\Mots-clés : #essai #politique
par Tristram
le Ven 21 Juil - 12:05
 
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Sujet: Pascal Picq
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Mario Vargas Llosa

Un demi-siècle avec Borges

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Collection d’entretiens et textes sur l’Argentin que le Péruvien admire depuis toujours, alors qu’il est aux antipodes de ses préoccupations :
« Peu d’écrivains sont plus éloignés que Borges de ce que mes démons personnels m’ont poussé à être par l’écriture : un romancier intoxiqué par la réalité, fasciné par l’histoire qui se fait autour de nous et ce passé qui pèse encore avec force sur l’actualité. »

Guère de politique chez Borges, mais de l’humour et du jeu en marge du style et de l’érudition. De l’homme-bibliothèque avec « la littérature comme réalité alternative du réel » :
« De toute façon, ma mémoire est si peuplée de vers que je crois ne pas avoir besoin de livres. Je suis moi-même une sorte d’anthologie de plusieurs littératures. Moi qui me rappelle si mal les circonstances de ma propre vie, je peux vous réciter à l’infini et jusqu’à l’ennui des vers en latin, en espagnol, en anglais, en vieil anglais, en français, en italien et en portugais. »

« Borges a fait de la pédanterie culturelle ce que, d’après lui, les romanciers nord-américains ont fait de la brutalité : il l’a transformée en technique littéraire. Les références livresques intriquées, les allusions à des commentaires de commentaires, les exotiques auteurs, textes ou philosophies mentionnés au passage, comme négligemment, en sous-entendant pour mieux nous accabler qu’ils devraient être monnaie courante pour le commun des mortels, excepté l’analphabète ou l’idiot, sont, dans les nouvelles de Borges, ce que sont les meubles et les objets dans les romans de Balzac, ou les châteaux dans ceux de Sade : le décor indispensable de l’action. »

« …] ce qui donne leur grandeur et leur originalité à ces contes ce ne sont pas les matériaux utilisés mais leur transformation : un petit univers fictif, peuplé de tigres et de lecteurs hautement cultivés, saturé de violence et d’étranges sectes, de lâchetés et d’héroïsmes laborieux, où le verbe et le rêve jouent le rôle de réalité objective et où le raisonnement intellectuel de l’imagination prévaut sur toutes les autres manifestations de la vie. »

Définition de la métaphore par Borges dans Autour de l’ultraïsme : « une identification volontaire de deux ou plusieurs concepts distincts dans le but de provoquer des émotions ».
L’homme (aveugle) :
« Il n’avait devant lui que des auditeurs, non des interlocuteurs, et peut-être même un seul auditeur – qui changeait de visage, de nom et de lieu –, devant qui il dévidait un curieux, un interminable monologue, derrière lequel il s’était reclus ou retranché pour fuir les autres, voire la réalité, comme un de ses personnages. »

« Le style de Borges est intelligent et limpide, d’une concision mathématique, avec des adjectifs audacieux et des idées insolites, où, comme il n’y a rien de trop ni rien de manquant, nous frôlons à chaque pas cet inquiétant mystère qu’est la perfection. »

Borges ne fut pas romancier…
« Car le roman est le territoire de l’expérience humaine totalisée, de la vie intégrale, de l’imperfection qui mêlent l’intellect et les passions, la connaissance et l’instinct, la sensation et l’intuition, matière inégale et polyédrique que les idées à elles seules ne suffisent pas à exprimer. Aussi, les grands romanciers ne sont-ils jamais des prosateurs parfaits. C’est la raison, sans doute, de l’antipathie tenace de Borges pour le genre romanesque, qu’il définit, dans une autre de ses célèbres phrases, comme un « égarement laborieux et appauvrissant ». »

Peu politique, Borges a quand même déclaré :
« Les dictatures entraînent l’oppression, les dictatures entraînent la servilité, les dictatures entraînent la cruauté et, ce qui est plus abominable encore, elles entraînent la bêtise. »


\Mots-clés : #essai
par Tristram
le Sam 3 Juin - 14:10
 
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Sujet: Mario Vargas Llosa
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W.G. Sebald

La Description du malheur − À propos de la littérature autrichienne

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Dix essais portant sur Stifter, Schnitzler, Hofmannsthal, Kafka, Canetti, Thomas Bernhard, Peter Handke, Ernst Herbeck et Gerhard Roth (et aussi Walter Benjamin, voire Baudelaire).
Je suis toujours étonné de trouver des idées apparemment si actuelles, comme ici concernant l’environnement (Les Cartons est paru en 1841, et le recueil d'essais de Sebald en 1985) :
« Si, inspirées par une philosophie de la nature qui déplore la déperdition dont la vie organique souffre dans sa substance et sa diversité, les grandes nouvelles de Stifter ont pris la forme de mémoires conservateurs et nostalgiques, cela relève moins d’une politique réactionnaire que d’un engagement paracelsien qui s’oppose à une démarche se bornant à mesurer, à quantifier et à exploiter la nature. Avec Les Cartons de mon arrière-grand-père, Stifter a établi un code qui définit une pratique visant à octroyer les mêmes droits à l’homme et à la nature, mais qui, il est vrai, arrive déjà trop tard à la grande époque du capitalisme. »

Sebald se place ouvertement sous l’autorité de Freud, et ses analyses basées sur la sexualité sont parfois outrancières, en tout cas discutables :
« Il est de notoriété qu’un talent prononcé pour la pédagogie va la plupart du temps de pair avec des désirs pédophiles non assouvis. »

« Les lignes de séparation – le chiffre d’or que le regard fétichiste applique au corps féminin – procurent plaisir et souffrance et mènent pour finir, conformément au principe voulant que seule la nature segmentée livre son secret, à la salle d’anatomie ou à la pornographie. »

« La culture bourgeoise, depuis qu’elle s’est propagée, a inscrit à son programme, concernant aussi bien ceux qui écrivent que ceux qui lisent, un strict refoulement de l’intérêt pour les sujets érotiques. Paradoxalement, il se trouve que de concert, l’exploration de l’interdit est devenue la principale source d’inspiration de l’imaginaire littéraire. La tabouisation de l’érotisme a entraîné ce besoin impératif d’explicite qui, dans la littérature française, sous la houlette du Divin Marquis, donne accès au vaste champ des diverses obsessions. De Chateaubriand à Huysmans en passant par Baudelaire et Flaubert se développe sur fond d’orthodoxie bourgeoise une science hérétique qui trouve son bonheur dans l’identification et la description de ce qui est réprouvé et met en œuvre la théorie de l’excès conçue par Sade. »

« Mais ce sont précisément ces innocents tâtonnements de l’enfance, ainsi que Freud le souligne toujours, qui portent en germe toutes les perversions. »

Hormis cette psychanalyse douteuse, m’a desservi dans ma lecture le peu de présence à l’esprit des œuvres de ces auteurs (lorsque j’en ai lu au moins une partie) ; à lire donc en postface de ces livres. Reste que cette « grille interprétative ou psychologique » m’a profondément rebuté.

\Mots-clés : #ecriture #essai
par Tristram
le Lun 8 Mai - 12:43
 
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Sujet: W.G. Sebald
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Christian Salmon

Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits

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Dès l’introduction, le livre est rattrapé par l’actualité, voire dépassé par le phénomène dont il constate la naissance dans les années 90 :
« La clé du leadership américain et le secret du succès présidentiel résident, dans une grande mesure, dans le storytelling », écrivait en 2004 Evan Cornog, professeur de journalisme à l'université de Columbia, dans The Power and the Story, un essai qui réexamine l'histoire des présidences américaines de George Washington à George W. Bush à travers le prisme du storytelling : « Depuis les origines de la république américaine jusqu'à nos jours, écrit-il, ceux qui ont cherché à conquérir la plus haute charge ont dû raconter à ceux qui avaient le pouvoir de les élire des histoires convaincantes, sur la nation, ses problèmes et, avant tout, sur eux-mêmes. Une fois élu, la capacité du nouveau président à raconter la bonne histoire et à en changer chaque fois que c'est nécessaire est une qualité déterminante pour le succès de son administration. Et quand il a quitté le pouvoir, après une défaite ou à la fin de son mandat, il occupe souvent les années suivantes à s'assurer que sa version de sa présidence est bien celle qui sera retenue par l'Histoire. Sans une bonne histoire, il n'y a ni pouvoir ni gloire. »
Notre perception de l'histoire des États-Unis n'a-t-elle d'ailleurs pas le plus grand mal à démêler le vrai du faux, le réel de la fiction ? Qu'on se souvienne du président Ronald Reagan, qui évoquait parfois un épisode d'un vieux film de guerre comme s'il appartenait à l'histoire réelle des États-Unis… N'est-elle pas encombrée de fictions et de légendes, comme en atteste la réplique souvent citée du film de John Ford, Qui a tué Liberty Valance ? : « Lorsque la légende devient un fait établi, on imprime la légende. »

Dans Des logos à la story, Salmon nous montre comme le « marketing viral » des entreprises prospères les fait passer de la production des marchandises à celle des marques, puis des histoires.
« La publicité telle que nous la connaissons est morte, déclarait enfin en 2002 Sergio Zyman, ex-directeur marketing de Coca-Cola, dans son livre Les Derniers Jours de la publicité : Cela ne marche plus. C'est un colossal gaspillage d'argent, et, si vous n'y prenez garde, cela finira par détruire votre société… et votre marque. »

« Le paradoxe du marketing moderne est en effet qu'il doit fidéliser des comportements d'achat devenus changeants, labiles, imprévisibles. Ramener le consommateur volage au bercail de la marque et l'inciter à s'engager dans une relation durable et émotionnelle. »

« La consommation comme seul rapport au monde. On attribue aux marques les pouvoirs qu'on cherchait jadis dans les mythes ou la drogue : passer la limite, faire l'expérience d'un soi sans pesanteur, voler, planer ; c'était hier Icare ou le LSD, c'est aujourd'hui Nike ou Adidas. […] Les marques sont les vecteurs d'un « univers » : elles ouvrent la voie à un récit fictif, un monde scénarisé et développé par les agences de « marketing expérientiel », dont l'ambition n'est plus de répondre à des besoins ni même de les créer, mais de faire converger des « visions du monde ». »

Dans L’invention du storytelling management, c’est l’histoire des gourous qui ont révolutionné l’entreprise. L’idée est de motiver par l’émotion, et la rhétorique.
« Les gourous sont des pourvoyeurs de modes managériales. La popularité de leurs idées va et vient selon des cycles d'invention (quand l'idée est créée), de dissémination (quand l'idée est portée à l'attention d'un public ciblé), d'adhésion (quand l'idée est acceptée), de désenchantement (quand les évaluations négatives et les frustrations liées à cette idée commencent à émerger), puis de déclin ou d'abandon de l'idée… »

« De nombreux auteurs décrivent les gourous du management comme des experts en persuasion, qui cherchent à formater leur public par le biais de discours efficaces, à tel point que certains ont comparé leur puissance oratoire à celle des prédicateurs évangéliques. »

« « Les gens ne veulent plus d'informations, écrit Annette Simmons, auteure d'un des best-sellers du storytelling. Ils veulent croire – en vous, en vos buts, en votre succès, dans l'histoire que vous racontez. C'est la foi qui fait bouger les montagnes et non les faits. Les faits ne donnent pas naissance à la foi. La foi a besoin d'une histoire pour la soutenir – une histoire signifiante qui soit crédible et qui donne foi en vous. » D'où l'importance des pratiques d'autolégitimation et d'autovalidation, puisque la source unique de la performance d'un gourou, c'est sa personne même : c'est lui la source des récits utiles et de leurs effets mystérieux, c'est en lui que se concentrent les compétences narratives. Il est l'agent et le médiateur, le passeur et le message. Il doit vous convaincre que tout est en ordre, conforme au bon sens, au droit naturel. Il ne vous enseigne pas un savoir technique, il transmet une sagesse proverbiale, qui cultive le bon sens populaire, fait appel aux lois de la nature et convoque un ordre mythique. »

Dans La nouvelle « économie fiction » sont évoqués les (nombreux) employés des call centers du « nouveau rêve indien », à Bombay, qui se font passer pour des États-Uniens et sont déshumanisés et acculturés dans le formatage identitaire de la globalisation au travers de cette délocalisation virtuelle.
« Depuis le début des années 1980, la figure du cadre a ainsi cédé la place à celle du manager, puis au leader et au coach, et finalement au storyteller, dont les récits parlent au cœur des hommes et non seulement à leur raison, en leur proposant des visions de l'entreprise et des fictions qui les aident à fonctionner [… »

Le néomanagement impose une fiction de processus de groupe ou équipe dans l’entreprise (ce qui m’a ramentu mes doutes lors d’un MOOC sur le digital).
« L'autorité d'un récit – celui du « changement » – a pris sa place [à l’autorité]. Un récit écrit par le marché sous ses nombreux pseudonymes, aussi nombreux que les hétéronymes de Pessoa : la mondialisation, la globalisation, le progrès technique, la concurrence… »

Renvois à la créativité, à l’authenticité…
« Les techniques du management s'apparentent de plus en plus à celles de la mise en scène, les partenaires doivent s'ajuster le mieux possible à leurs rôles, de façon à rendre le récit crédible aux yeux d'un public de consommateurs et d'investisseurs. »

Dans Joueurs de Don DeLillo, une entreprise préfigure les sociétés de services à la personne.
« L'ironie de DeLillo, qui prenait pour cible la tendance des sociétés capitalistes à transformer toute émotion en marchandise, y compris les sentiments les plus intimes, comme le deuil, le remords ou la dépression, pouvait paraître excessive en 1977. »

« La nouvelle idéologie du capitalisme privilégie le changement à la continuité, la mobilité à la stabilité, la tension à l'équilibre et propose un nouveau paradigme organisationnel : l'entreprise sans frontières, décentralisée et nomade, libérée des lois et des emplois, légère, agile, furtive, qui ne se reconnaît d'autre loi que le récit qu'elle se donne, d'autre réalité que les fictions qu'elle répand dans le monde. »

« « Légèreté, rapidité, exactitude, visibilité, multiplicité et consistance » : cela pourrait constituer un bon résumé des valeurs du nouveau management. Il n'en est rien. Ce sont les titres de six conférences que devait prononcer l'écrivain italien Italo Calvino en 1985-1986 aux États-Unis. Il avait choisi six valeurs essentielles à ses yeux, qui devaient constituer l'épistémè du XXIe siècle. Il rédigea les cinq premières, qui furent publiées à titre posthume sous le titre Leçons américaines. »

Les entreprises mutantes du nouvel âge du capitalisme : ou « créer un mythe collectif contraignant » et enfumer tout le monde, en interne comme à l’extérieur de l’entreprise.
« Les applications du storytelling en entreprise accompagnent le mouvement par lequel chacun est mis en demeure de raconter sa vie et son travail, de transmettre son savoir-faire, de mobiliser ses énergies et d'accepter un changement. »

« Le récit y [dans les storytelling organisations] est en effet considéré tout à la fois comme un facteur d'innovation et de changement, un vecteur d'apprentissage et un outil de communication. Il constitue une réponse à la crise du sens dans les organisations et une méthode pour construire une identité d'entreprise. Il structure et formate la communication, à l'intention des consommateurs comme des actionnaires. »

Cas d’école de dérégulation :
« Enron était devenu un véritable mirage financier, producteur d'illusions non seulement pour ses salariés intéressés à la croyance, mais aussi pour les plus grandes banques du monde, les analystes financiers, les experts comptables et les actionnaires de Wall Street. »

« Plus le monde de la finance s'éloignait des estimations rationnelles et des performances économiques, plus la cosmétique d'entreprise consistant à rendre une entreprise belle et désirable pour les investisseurs a pris de l'importance dans la gestion des nouvelles organisations. […] Dans un monde rationnel, ce fiasco exemplaire aurait signé la mort du storytelling et de ses vertus hypnotiques. Et pourtant, près de dix ans plus tard, il reste plus que jamais la bible des « gourous du management ». »

La « mise en histoires » de la politique :
L’exploitation émotionnelle de l’histoire « évangélique » d’une fille d'une victime du 11 septembre réconfortée par le président dans la campagne de George W. Bush en 2004 : le rôle du « conseiller en communication », ou spin doctor (depuis Reagan), le récit du héros contre des méchants (simple et reprenant la forme narrative des mythes anciens).
« Si l'exercice du pouvoir présidentiel tend à s'identifier à une sorte de campagne électorale ininterrompue, les critères d'une bonne communication politique obéissent de plus en plus à une rhétorique performative (les discours fabriquent des faits ou des situations) qui n'a plus pour objectif de transmettre des informations ni d'éclairer des décisions, mais d'agir sur les émotions et les états d'âme des électeurs, considérés de plus en plus comme le public d'un spectacle. Et pour cela de proposer non plus un argumentaire et des programmes, mais des personnages et des récits, la mise en scène de la démocratie plutôt que son exercice.
La capacité à structurer une vision politique non pas avec des arguments rationnels, mais en racontant des histoires, est devenue la clé de la conquête du pouvoir et de son exercice dans des sociétés hypermédiatisées, parcourues par des flux continuels de rumeurs, de fausses nouvelles, de manipulations. »

Storytelling de guerre
Les centres de simulation du Pentagone deviennent, avec l’aide d’Hollywood, des théâtres de réalité virtuelle privilégiant des situations expérientielles plutôt que cognitives. Le recrutement militaire se fait via la vidéo, comme le traitement psychologique des états de stress posttraumatique.
« L'invention d'un modèle de société dans lequel les agents fédéraux, réels ou fictifs, doivent disposer d'une autonomie d'action suffisante pour protéger efficacement la population n'est rien d'autre que l'instauration d'un état d'exception permanent qui, ne trouvant plus sa légitimité dans le droit et la Constitution, la cherche et la trouve dans la fiction. »

« …] la puissance de l'entreprise américaine de mise en fiction du réel permet le triomphe des préjugés sur la morale la plus élémentaire, la négation du réel par la toute-puissance des représentations qui prétendent le transformer. »

L'empire de la propagande
Le gouvernement George W. Bush, juste avant la guerre en Irak :
« Nous sommes un empire maintenant, poursuivit-il, et, lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité. »

« …] les dirigeants de la première puissance mondiale se détournent non seulement de la realpolitik, mais du simple réalisme, pour devenir créateurs de leur propre réalité, maîtres des apparences, revendiquant ce qu'on pourrait appeler une realpolitik de la fiction. »

Ron Susking, journaliste d’investigation (2004) :
« Il ne nous restera plus ainsi qu'une culture et un débat public fondés sur l'affirmation plutôt que sur la vérité, sur les opinions et non sur les faits. Parce que, lorsque vous en êtes là, vous êtes contraint de vous fier à la perception du pouvoir. »

Renouvellement de la propagande en infotainment type Fox News, aux contenus dictés par le gouvernement républicain, les fake news, dès 2004, manipulation de l'information marquée d’un obscurantisme émanant de la droite fondamentaliste chrétienne et opposé aux réalistes. C’est la droite chrétienne conservatrice contre la connaissance objective, la foi contre la raison.
Conclusion – Le nouvel ordre narratif : en France aussi, depuis le rôle de Henri Guaino dans la campagne de 2007.
« Don Quichotte lui aussi voulait changer le monde en racontant une histoire… Comme l'écrivait Michel Foucault : « À lui de refaire l'épopée, mais en sens inverse : celle-ci racontait […] des exploits réels, promis à la mémoire ; Don Quichotte, lui, doit combler de réalité les signes sans contenus du récit. » »

« Les « campagnes marketing » de Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal signent donc une profonde évolution — et peut-être une vraie rupture — dans la culture politique française. Formatés par leurs conseillers experts en storytelling, réduits à leurs talents respectifs pour appliquer les consignes de « mise en scène » - et Sarkozy l'a nettement emporté sur ce terrain -, les deux candidats ont de concert contribué à délégitimer la politique : s'adressant aux individus comme à une « audience », évitant l'adversaire, contournant les partis, ils ont substitué au débat public la captation des émotions et des désirs. Ce faisant, ils ont inauguré une ère nouvelle de la démocratie, que l'on pourrait qualifier de « postpolitique ». »

Postface à l'édition de 2008 : en prolongement de l’analyse précédente du storytelling sarkozien, Salmon évoque la réaction au contrôle gouvernemental de l'agenda médiatique du décryptage par la presse. Puis pointe le « nouvel ordre narratif » :
« Ce qui est en jeu aujourd'hui, à tous ces niveaux à la fois, c'est l'apparition d'une même raison régulatrice qui consiste à réduire et à contrôler, par le storytelling et les machines de fiction, les conduites individuelles. »

Cet essai est proprement époustouflant lorsqu’on le lit en ayant connu l’ère Trump ; même autrement, il explique nombre de curieuses constatations qu’on a pu faire en observant notre société.

\Mots-clés : #actualité #contemporain #essai #guerre #historique #medias #politique #psychologique #social #xxesiecle
par Tristram
le Sam 15 Avr - 17:09
 
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Sujet: Christian Salmon
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Jacques Le Goff

L’Imaginaire médiéval

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Butiné dans la préface, où Le Goff précise son regard d’historien sur l’imaginaire, et surtout les images :
« Les images qui intéressent l'historien sont des images collectives brassées par les vicissitudes de l'histoire, elles se forment, changent, se transforment. Elles s'expriment par des mots, des thèmes. Elles sont léguées par les traditions, s'empruntent d'une civilisation à une autre, circulent dans le monde diachronique des classes et des sociétés humaines. »

« J'ai toujours été fasciné par les naissances et les genèses, accordant en revanche peu d'intérêt aux origines qui ne sont souvent que des illusions et sont menées par le préjugé d'un déterminisme sous-jacent (dis-moi d'où tu viens, et je te dirai qui tu seras) et aux déclins et décadences, fortement imbibés d'une idéologie pessimiste et moralisante que je ne partage pas, persuadé que la mort est rare en histoire, car l'histoire est transformation et mémoire, mémoire d'un passé qui ne cesse de vivre et de changer sous le regard des sociétés successives. Ce qui m'émeut, c'est l'accouchement d'une société et d'une civilisation, selon une logique traversée et même faite de hasards. Rien de moins « événementiel » que les événements. »

« Pas d'idée qui ne trouve à s'exprimer par des mots, pas de mots qui ne renvoient à des réalités ! L'histoire des mots est de l'histoire tout court. Disparition et apparition de termes, évolution et changements sémantiques du vocabulaire, c'est le mouvement même de l'histoire. »

« Il n'y a pas d'espace-temps plus riche en imaginaire que le voyage. »

S’ensuit un recueil d’essais regroupés par thèmes eux-mêmes subdivisés : le merveilleux, l’espace et le temps, le corps, littérature imaginaire, les rêves et « vers l'anthropologie politique ».
Le Goff développe d’abord le concept de « long Moyen Âge », période qui s’étend de l’Antiquité à la révolution industrielle, englobant la Renaissance, datation peu significative dans cette évolution constante.
Il distingue ensuite un merveilleux préchrétien qui perdure (populaire, oral, folklorique), un magique satanique et un surnaturel miraculeux proprement chrétien, l’hagiographie tendant à remplacer le premier, à la fois imprévisible et quotidien, naturel, grâce à des tendances au symbolisme et à la moralisation, à la rationalisation scientifique et historique. Dans les fonctions du merveilleux, il identifie le monde à l'envers (le pays de Cocagne), et le monde à rebours (Paradis terrestre, Âge d'or).
Intéressante remarque sur la citation (et quelque part l’intertextualité) :
« …] la compilation médiévale est une des principales voies de la recherche et de la création originale. »

Les considérations sur l’espace et le temps m’ont paru un peu hors de propos, mais seront utiles plus tard dans l’ouvrage. La haine chrétienne du corps me semble expliquer le contrecoup de la récente révolution sexuelle et féministe (de même, la gesticulation honnie, considérée comme païenne et/ou diabolique, correspond au rejet du théâtre, qui a perduré).
« L'incarnation est humiliation de Dieu. Le corps est la prison (ergastulum – prison pour esclaves) de l'âme, c'est, plus que son image habituelle, sa définition. L'horreur du corps culmine dans ses aspects sexuels. Le péché originel, péché d'orgueil intellectuel, de défi intellectuel à Dieu est changé par le christianisme médiéval en péché sexuel. L'abomination du corps et du sexe est à son comble dans le corps féminin. D'Ève à la sorcière de la fin du Moyen Âge, le corps de la femme est le lieu d'élection du Diable. À l'égal des temps liturgiques qui entraînent un interdit sexuel (carême, vigiles et fêtes), le temps du flux menstruel est frappé de tabou : les lépreux sont les enfants d'époux qui ont eu des relations sexuelles pendant la menstruation de la femme. L'inévitable rencontre du physiologique et du sacré conduit à un effort de négation de l'homme biologique : vigile et jeûne qui défient le sommeil et l'alimentation. Le péché s'exprime par la tare physique ou la maladie. La maladie symbolique et idéologique par excellence du Moyen Âge, la lèpre (qui remplit les mêmes fonctions que le cancer dans notre société), est avant tout la lèpre de l'âme. Le chemin de la perfection spirituelle passe par la persécution du corps : le pauvre est identifié à l'infirme et au malade, le type social éminent, le moine, s'affirme en tourmentant son corps par l'ascétisme, le type spirituel suprême, le saint, ne l'est jamais aussi indiscutablement que lorsqu'il fait le sacrifice de son corps dans le martyre. Quant aux clivages sociaux laïcs essentiels ils ne s'expriment jamais mieux qu'en oppositions corporelles : le noble est beau et bien fait, le vilain est laid et difforme (Aucassin et Nicolette, Yvain, etc.). Plus encore que poussière, le corps de l'homme est pourriture. La voie de toute chair c'est la décrépitude et la putréfaction. Dans la mesure où le corps (Marie-Christine Pouchelle en parlera plus pertinemment) est une des métaphores privilégiées de la société et du monde, ils sont entraînés dans cette inéluctable décadence. Le monde du christianisme médiéval, selon la théorie des six âges, est entré dans la vieillesse. Mundus senescit. »

Analyse structurale (inspirée de Lévi-Strauss, portant sur Yvain ou le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes) du monde sauvage, la forêt (Brocéliande).
« Et tornai mon chemin à destre
Parmi une forest espesse
Molt i ot voie felenesse
De ronces et d'espinnes plainne. »

Cet extrait (et la suite du texte) renvoie me semble-t-il à ceux cités ici https://deschosesalire.forumactif.com/t2233p20-louise-erdrich#134944
Intéressante association médiévale (au moins) de la fonction guerrière et du viol – d’une ville, d’une femme.
À propos de l’urbanité, et je pense généralisable :
« Aussi loin que le regard de l'historien peut se porter, toute culture se nourrit d'héritages. Le poids de ces héritages dans une culture est un des éléments les plus importants pour définir la nature de cette culture. La plupart des médiévistes seront, je pense, d'accord pour estimer que ce poids est particulièrement lourd dans la culture de l'Occident médiéval. […] Cela ne signifie pas à mes yeux que la société de l'Occident médiéval n'ait pas été créatrice, au contraire, mais que sa créativité a, pendant longtemps, surtout consisté en des choix, des déplacements d'accent, des assemblages inédits parmi les éléments légués par les cultures dont elle avait hérité. »

À propos de généralisation :
« Quand et comment s'est constitué le stock primitif d'images et d'idées des sociétés humaines très anciennes, nous l'ignorons, mais ce que nous observons le plus souvent, c'est l'antériorité de l'idéologie par rapport à l'histoire. L'histoire rejoint plus souvent l'idéologie que l'inverse. Ce qui ne veut pas dire que l'idéologie soit le moteur de l'histoire, mais elle n'en est pas non plus le produit. »

Longue analyse de l’évolution de l’attitude vis-à-vis des rêves, vrais ou faux, de Dieu ou du Diable (ou des morts), réservés ou non à des spécialistes (« des oniromanciens savants et des "devins de place publique" »), puis aux martyrs, saints et rois, visions ou songes dans le sommeil, jusqu’à leur refoulement indifférencié.
« Le refoulement et la manipulation des rêves.
Ils ont été imposés, comme pour la sexualité, par la grande censure ecclésiastique dont nous ne sommes pas encore complètement libérés et qui, pour le meilleur et pour le pire, a conduit à la psychanalyse. »

« Dans ce monde devenu celui du cauchemar dans une certaine vision de christianisme névrosé, même pas la nuit n'apporte le repos et l'homme a été réduit à la situation de Job aux pires moments de ses épreuves. »


\Mots-clés : #essai #historique #moyenage
par Tristram
le Mar 4 Avr - 12:54
 
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Sujet: Jacques Le Goff
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Roland Barthes

Fragments d'un discours amoureux

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« On a donc substitué à la description du discours amoureux sa simulation, et l’on a rendu à ce discours sa personne fondamentale, qui est le je, de façon à mettre en scène une énonciation, non une analyse. »

Réflexions sur le (ou les) sentiment(s) amoureux informellement regroupées par entrées alphabétiques, avec des renvois en marge, notamment à la littérature (Werther, Le Banquet, etc.) et à des « conversations d’amis » (J.-L.B. ne serait-il pas Jean-Louis Barrault ? Ph. S., Philippe Sollers ?), mais aussi dans le corps du texte aux étymologies grecque et latine ; j’ai souvent pensé aux écrits de Quignard. Étrangement asexué, c'est l’amour en tant qu’aspiration, désir…
« Les mots ne sont jamais fous (tout au plus pervers), c’est la syntaxe qui est folle : n’est-ce pas au niveau de la phrase que le sujet cherche sa place – et ne la trouve pas – ou trouve une place fausse qui lui est imposée par la langue ? »

« Le dis-cursus amoureux n’est pas dialectique ; il tourne comme un calendrier perpétuel, une encyclopédie de la culture affective (dans l’amoureux, quelque chose de Bouvard et Pécuchet). »

« Tantôt le monde est irréel (je le parle différemment), tantôt il est déréel (je le parle avec peine). »

« Diderot : "Le mot n’est pas la chose, mais un éclair à la lueur duquel on l’aperçoit." »

(Faire une) scène :
« Lorsque deux sujets se disputent selon un échange réglé de répliques et en vue d’avoir le « dernier mot », ces deux sujets sont déjà mariés : la scène est pour eux l’exercice d’un droit, la pratique d’un langage dont ils sont copropriétaires ; chacun son tour, dit la scène, ce qui veut dire : jamais toi sans moi, et réciproquement. Tel est le sens de ce qu’on appelle euphémiquement le dialogue : ne pas s’écouter l’un l’autre, mais s’asservir en commun à un principe égalitaire de répartition des biens de parole. Les partenaires savent que l’affrontement auquel ils se livrent et qui ne les séparera pas est aussi inconséquent qu’une jouissance perverse (la scène serait une manière de se donner du plaisir sans le risque de faire des enfants).
Avec la première scène, le langage commence sa longue carrière de chose agitée et inutile. »

Sur le souvenir :
« "Nous avons eu un magnifique été et je suis souvent dans le verger de Lotte, perché sur les arbres, la longue perche du cueille-fruits à la main, pour dépouiller de leurs poires les branches du faîte. Elle, en bas, les reçoit à mesure que je les lui envoie." Werther raconte, parle au présent, mais son tableau a déjà vocation de souvenir ; à voix basse, l’imparfait murmure derrière ce présent. Un jour, je me souviendrai de la scène, je m’y perdrai au passé. Le tableau amoureux, à l’égal du premier ravissement, n’est fait que d’après-coups : c’est l’anamnèse, qui ne retrouve que des traits insignifiants, nullement dramatiques, comme si je me souvenais du temps lui-même et seulement du temps : c’est un parfum sans support, un grain de mémoire, une simple fragrance ; quelque chose comme une dépense pure, telle que seul le haïku japonais a su la dire, sans la récupérer dans aucun destin. »

À propos de la tendresse :
« Ce n’est pas seulement besoin de tendresse, c’est aussi besoin d’être tendre pour l’autre : nous nous enfermons dans une bonté mutuelle, nous nous maternons réciproquement ; nous revenons à la racine de toute relation, là où besoin et désir se joignent. »

Lu en discontinu ; me paraît d’ailleurs difficile à lire d’une traite.

\Mots-clés : #amour #essai #psychologique
par Tristram
le Dim 2 Avr - 12:47
 
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Raymond Queneau

Le voyage en Grèce

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Recueil par l’auteur d’articles datés des années trente.
Dans la présentation de l’ouvrage, Queneau donne le verdict suivant :
« …] toute littérature digne de ce nom se refuse au relâchement : automatisme scribal, laisser-aller inconstructif, etc. »

Ce sont d’abord, en première partie, des comptes rendus de lectures dans de nombreux domaines, où alternent l’érudition et le vitriol.
« Enfin signalons la table des matières qui permet de fermer avec soulagement un livre qu'il était inutile d'ouvrir. »

Dans la seconde partie sont réunis des billets d’humeur.
« Parmi les rares essais de compréhension qui ont été tentés de la mythologie hellénique, un des plus célèbres et des plus remarquables est celui de Nietzsche qui décrivit admirablement l'esprit apollinien et l'instinct dionysiaque, leur antagonisme et leur conciliation dans la tragédie attique. »

Intéressant article sur la première publication (à Paris) de Tropique du Cancer (Henry Miller).
Critique de la littérature du moment, notamment du surréalisme, et s’attaquant tout particulièrement au « goût de l'inachevé », des esquisses et des inédits ; réprobation aussi de la facilité, du rôle de l’inconscient (la psychanalyse est en vogue), de la prétendue inspiration.
« Les naturalistes ont été des chapeliers qui se sont contentés de prendre l'empreinte de la tête et s'en sont tenus là. L'art pour l'art a consisté à faire des chapeaux pour le musée de la chapellerie. Les poètes expérimentateurs se sont évertués à fabriquer des couvre-chefs systématiquement inutilisables. La littérature de parti a cru bien faire en plantant dans de vieilles casquettes ou de vieux bérets de petits drapeaux rouges ou tricolores.
Il s'agit de faire et de bien faire quelque chose qui vaille d'être fait. Un bon et beau chapeau par exemple.
Or, l'œuvre d'art en étant simplement cela est aussi par là-même un chapeau magique qui va à toutes les têtes et à chacune selon sa capacité ; et donne à ceux qui le mettent force et valeur. »

« Le classique véritable n'a pas besoin d'être néo pour être classique. Son sens même est d'être une nouveauté continuelle : renouvellement constant, de générations en générations, des œuvres anciennes ; originalité réelle des œuvres nouvelles. Et cette originalité repose toujours sur une connaissance de la tradition et des œuvres anciennes ; l'imitation en est toujours la source. Imiter, c'est le seul moyen de faire du nouveau et d'être à la fois à hauteur des anciens et de son époque. »

« Ainsi, simplement, le travail du Poète, et du Prosateur, consiste à collaborer à l'établissement, au fondement, au développement et à l'embellissement du langage de ceux qui parlent la même langue que lui. »

Queneau se montre assez « réactionnaire », et certains de ses points de vue sont discutables, voire limités.

\Mots-clés : #essai
par Tristram
le Dim 12 Fév - 13:01
 
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Sujet: Raymond Queneau
Réponses: 47
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Ryōko Sekiguchi

La Voix sombre

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Réflexions métaphysiques sur la voix enregistrée, toujours concrète, présente, même celle des disparus, qui nous touche dans le deuil avec sa survivance.
« Pourquoi vouloir à tout prix distinguer la voix du regard ? Le caractère de la voix est de toucher directement les tympans, c’est un fait. Le regard, lui, ne « touche » pas, si fort qu’il nous frappe ; c’est aussi vrai des vivants que des morts. »


\Mots-clés : #essai #mort
par Tristram
le Mer 8 Fév - 11:18
 
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Sujet: Ryōko Sekiguchi
Réponses: 8
Vues: 567

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