Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

Des Choses à lire
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Georges Brassens, Lettre à Toussenot

La date/heure actuelle est Mar 19 Mar - 12:51

207 résultats trouvés pour poésie

Pascal Quignard

Dans ce jardin qu'on aimait

Tag poésie sur Des Choses à lire Dans_c10

Avertissement de l’auteur :
« Cette double histoire – celle d’un vieux musicien passionné par la musique qu’adresse spontanément la nature sans se soucier des hommes, le destin d’une femme célibataire désirant à tout prix faire reconnaître l’œuvre méconnue de son père – prit en moi la forme non pas d’un essai ni d’un roman mais d’une suite de scènes amples, tristes, lentes à se mouvoir, polies, tranquilles, cérémonieuses, très proches des spectacles de nô du monde japonais d’autrefois. »

Dans l’obscurité de l’hiver, Quignard imagine, à partir du peu qu’on en sait, la vie du révérend Simeon Pease Cheney, au XIXe dans l’État de New York. Son épouse, Eva Rosalba Vance, étant morte jeune en donnant le jour à leur fille Rosemund, il chasse celle-ci, devenue plus âgée et peut-être plus belle que sa mère, afin de demeurer dans le souvenir qu’il a de cette dernière, dans le jardin dont elle était passionnée. Il note tous les sons qui l’entourent.
« Il est possible que l’audition humaine perçoive des airs derrière la succession des sons de la même façon que l’âme humaine perçoit des narrations au fond des rêves les plus chaotiques. »

« Les songes sont surtout des retours,
d’étranges récurrences où ce qui est devenu invisible réapparaît comme visible sans qu’il atteigne pourtant le réel ni le jour. »

Les années ont passé, Rosemund, demeurée célibataire, est revenue ; elle qui enseignait le piano ne l’entend plus, ce piano qui est toute la vie de son père. Wood Notes Wild (Notes de la forêt sauvage), le livre de transcriptions de ce dernier, est refusé par les éditeurs ; il sera publié par sa fille après sa mort.
« Il y a quelque chose du paradis dans le chant des oiseaux. Dieu n’a pas damné les oiseaux dans l’Éden. »

« Je sens que quelque chose est sortie de moi et cela me rend heureuse.
Les rivières changent curieusement de nom au cours de leur parcours.
L’amour que ma mère portait à ce jardin, mon père l’a relayé. Il en a assumé la charge durant toute sa vie, c’est moi qui en ai le soin, dorénavant,
et aussi l’émotion, désormais. »

Une méditation originale, dans une forme qui ne l'est pas moins : belle adéquation du style à la pensée, devenus indissociables.
Ça m'a plu, Topocl !

\Mots-clés : #Biographie #musique #poésie #théâtre
par Tristram
le Ven 4 Nov - 11:17
 
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Sujet: Pascal Quignard
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W.G. Sebald

D'après nature (Poème élémentaire)

Tag poésie sur Des Choses à lire D_aprz10

Triptyque poétique qui réunit trois biographies. Dans celle de Grünewald (auteur du retable d’Issenheim), Sebald dépeint une époque d’intransigeance religieuse et de violence en ce début du XVIe :
« Le 18 mai, jour où la nouvelle
lui parvint, Grünewald
ne sortit plus de chez lui.
Mais il entendit le bruit des yeux
qu’encore longtemps on continua de crever
entre le lac de Constance
et la forêt de Thuringe.
Des semaines durant, en ces temps-là,
il porta un bandeau noir
sur le visage. »

La seconde est celle de Steller, chirurgien, botaniste et zoologiste allemand de l’expédition de Bering de 1736 à 1746 au Kamtchatka.
La troisième est celle de Sebald lui-même.
« Lorsque le jour de l’Ascension
de l’an quarante et quatre je vins au monde,
la procession des Rogations passait justement
au son de la fanfare des pompiers
devant notre maison, se dirigeant
vers les champs fleuris de mai. Ma mère prit cela
d’abord pour un heureux présage, ne se doutant pas
que la planète froide Saturne gouvernait
la constellation de l’heure, et qu’au-dessus des montagnes
s’accumulait déjà la tempête qui l’instant d’après
éparpilla les processionnaires et foudroya
l’un des quatre porteurs du dais. »

Vague récurrence de la neige de ses Alpes natales, mélancolique leitmotiv de la dégradation de toutes choses, mais je n’ai pas spontanément compris comment ces poèmes biographiques s’articulent : j’en laisse à d’autres l’analyse et l’exégèse.


\Mots-clés : #poésie
par Tristram
le Dim 21 Aoû - 17:12
 
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Sujet: W.G. Sebald
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Paul Celan

Pavot et mémoire

Tag poésie sur Des Choses à lire Pavot_10

Édition bilingue (un must en poésie). Poésie assez hermétique (surtout quand on n’est pas germanophone, et ne connaît pas certaines références germaniques), avec des aperçus surréalistes, non sans ramentevoir celle de René Char.
« Œil sombre en septembre

Temps revêtu de pierre. Et les boucles de la douleur
coulent plus luxuriantes autour du visage de la terre,
pomme enivrée, brunie au souffle
d’une parole impie : belle et rétive à leur jeu
livré dans le mauvais
reflet de leur avenir.

Le marronnier est en fleur pour la seconde fois :
un signe du pauvre espoir germé
qu’Orion bientôt revienne : la ferveur étoilée
des aveugles amis du ciel
la rappelle à son faîte.

Sans voile aux portes du songe
un œil solitaire livre combat.
Ce qui arrive chaque jour,
il n’en veut savoir plus :
à la fenêtre sur l’est
lui paraît à la nuit cheminant
le petit personnage des sentiments.

À l’eau de son œil tu plantes l’épée. »

Voici la première strophe de la célèbre Fugue de mort (Todesfuge) :
« Lait noir de l’aube nous le buvons le soir
nous le buvons midi et matin nous le buvons la nuit
nous buvons nous buvons
nous creusons une tombe dans les airs on n’y est pas couché à l’étroit
Un homme habite la maison il joue avec les serpents il écrit
il écrit quand vient le sombre crépuscule en Allemagne tes cheveux d’or Margarete
il écrit cela et va à sa porte et les étoiles fulminent il siffle ses dogues
il siffle pour appeler ses Juifs et fait creuser une tombe dans la terre
il ordonne jouez et qu’on y danse »

Ceci me semble renvoyer à ce Fragment d’un Journal intime de Rainer Maria Rilke :
« Nous goûtâmes tous au lait noir de cette chèvre nocturne. »

… et la « tombe dans les airs » annonce la « tombe dans l’air » d’Imre Kertész dans Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas (qui porte en épigraphe deux vers de ce poème de Celan, et où en est cité cet autre vers : « la mort est un maître venu d’Allemagne ») ; je trouve d’ailleurs une grande similitude de ton entre les deux textes, avec leurs entêtantes reprises.
« Les cruches

Aux longues tablées du temps
les cruches de Dieu s’abreuvent.
Elles vident les yeux de ceux qui voient et les yeux des aveugles,
les cœurs des ombres reines,
la joue creuse du soir.
Elles boivent en souveraines
elles portent à leur bouche et le vide et le plein
elles ne débordent pas comme toi, comme moi. »


\Mots-clés : #poésie
par Tristram
le Ven 15 Juil - 11:55
 
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Sujet: Paul Celan
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Christophe Claro

Sous d'autres formes nous reviendrons

Tag poésie sur Des Choses à lire Sous_d10

Sorte de poème, de chant baroque commençant par la coïncidence en février 1497 d’un Bûcher des Vanités de Savonarole et de la Déploration de Johan Ockeghem par Josquin des Prés, et composé de quatre parties, chacune condensée dans un « Précipité » subséquent.
Peinture de vanités, crânes, bulles, cendres et autres memento mori, puis réflexion du narrateur/auteur sur son ouvrage.
« ::: de même que le peintre ordonne sur la toile les divers attributs de la vie vaine, de même l’écrivain ne fait-il pas de la page un autel, une branlante prédelle sur laquelle exhiber, maquillées, ses icônes intimes, otages du vide de la page qui tremble et ne tremble pas, »

Évocation de diverses curiosités, le lithopédion, Pompéi et son volcan, l’Égypte ancienne et La Momie, film de Karl Freund, avec une citation du Livre de Thot (je nous évite les capitales dans le texte) :
« Ô Amon-Ra, ô dieu des dieux, la mort est un passage vers une nouvelle vie nous vivrons aujourd’hui, nous vivrons demain, sous d’autres formes nous reviendrons »

… qui explicite le titre et introduit le thème de la résurrection dans cette lyrique méditation sur la mort.
Des citations sont insérées dans le texte (notamment d’Artaud), mal indiquées entre deux points médians en guise de guillemets, avec renvoi en marge du nom de l’auteur (sans majuscule initiale, auctoriale coquetterie ou lassitude typographique).
« • tous rêvés par notre mort / en attendant que son réveil nous tue • [bernard noël] »

C’est inventif, expérimental, surtout en ponctuation, ce qui d’ailleurs n’aide pas au suivi du texte.

\Mots-clés : #poésie
par Tristram
le Mar 3 Mai - 11:34
 
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Fernando Pessoa

Bureau de tabac

Tag poésie sur Des Choses à lire Bureau11

Incipit (dans la traduction de Rémy Hourcade) :
« Je ne suis rien.
Je ne serai jamais rien.
Je ne peux vouloir être rien.
À part ça, je porte en moi tous les rêves du monde. »

Ce poème célèbre, attribué à Álvaro de Campos, est écrit de la chambre de l’auteur, « face au Tabac d’en face » ; seul, étranger au milieu de la multitude, il évoque la vanité de toutes choses.

\Mots-clés : #poésie

(Et je viens de me rendre compte que JHB a cité ce poème in extenso un peu plus haut !)
par Tristram
le Mar 5 Avr - 13:13
 
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Hugo von Hofmannsthal

Lettre de Lord Chandos et autres textes

Tag poésie sur Des Choses à lire Lettre11

(Comprend Chemins et rencontres, évoqué par Bix.)
Textes sur la poésie par un poète qui n’en écrit plus. Et quelle prose ! c’est intelligent, érudit, sensible.
Les mots « l’abandonnent », il ne peut plus rendre les choses (et on pense à Ponge) :
« Tout se décomposait en fragments, et ces fragments à leur tour se fragmentaient, rien ne se laissait plus enfermer dans un concept. Les mots flottaient, isolés, autour de moi ; ils se figeaient, devenaient des yeux qui me fixaient et que je devais fixer en retour : des tourbillons, voilà ce qu’ils sont, y plonger mes regards me donne le vertige, et ils tournoient sans fin, et à travers eux on atteint le vide. »

« Jamais la poésie ne remplace une chose par une autre, car la poésie justement aspire avec fièvre à mettre en place la chose elle-même, avec une tout autre énergie que le langage émoussé de tous les jours, avec un tout autre pouvoir magique que la terminologie souffreteuse de la science. »

Hugo von Hofmannsthal évoque l'indicible harmonie du monde, le moi indélimitable, l’existence non séparée.
« Nous ne possédons pas notre Moi : il souffle sur nous du dehors, il nous fuit pour longtemps et revient à nous en une bouffée. Notre "Moi" − sans doute ! Ce mot est une sorte de métaphore. Des émotions reviennent, qui ont déjà un jour ici fait leur nid. Mais est-ce que ce sont vraiment elles de nouveau ? N’est-ce pas plutôt simplement leur progéniture qu’un obscur sentiment du pays natal a ramenée jusqu’ici. Bref, quelque chose revient. Et quelque chose en nous rencontre autre chose. Nous ne sommes pas plus qu’un pigeonnier. »

« Il y a comme un désir amoureux, une curiosité d’amour, dans notre progression, lors même que nous cherchons la solitude de la forêt ou la quiétude des hautes montagnes ou bien un rivage vide au long duquel la mer, comme une frange argentée, se défait dans un faible murmure. À chaque rencontre solitaire se mêle comme une grande douceur, ne fût-ce que la rencontre d’un grand arbre isolé ou celle d’un animal de la forêt qui s’immobilise en silence et dont les yeux nous fixent dans l’obscurité. »

J’ai bien sûr pensé à Rilke. On retrouve aussi cette antienne du "tout a déjà été dit" en référence aux œuvres fondamentales :
« Tout ce qui s’écrit dans une langue et, risquons le mot, tout ce qui s’y pense descend des productions des quelques-uns qui, une fois, ont disposé de cette langue en créateurs. Et tout ce qu’on appelle littérature au sens le plus large et le moins sélectif, jusqu’au livret d’opéra des années quarante, jusqu’au roman populaire au bas de l’échelle, tout descend des quelques grands livres de la littérature universelle. »


\Mots-clés : #essai #poésie
par Tristram
le Ven 25 Fév - 11:56
 
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Sujet: Hugo von Hofmannsthal
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Thierry Metz

De l'un à l'autre

Tag poésie sur Des Choses à lire Thierr12

Recueil, 1996, environ 55 pages non numérotées, éditions Jacques-Brémond.

Un bien bel objet, dans un drôle de format (15 cm X 15 cm). Il y a juste "Thierry Metz" en lettres capitales sur la tranche.
Vous avez, en 1ère et en 4ème de couverture, une œuvre ou un morceau d'œuvre de Denis Castaing en toile de lin filé (celles de l'ouvrage que j'ai entre les mains sont plus colorées, plus sophistiquées si l'on veut, en tous cas plus à mon goût !) - chaque exemplaire, ainsi, est singulier.

L'intérieur est ponctué à pleines pages de photos d'œuvres du même artiste, en noir et blanc comme en couleurs, insérées avec joliesse, à peine tenues de deux points de colle, comme appelant à être détachées.
Il nous est précisé, en fin d'ouvrage:
À la fin de l'été 1996, il a été achevé d'imprimer pour le compte de Jacques Brémond, et d'après une composition de l'atelier Prévôt à Paris, un millier d'exemplaires de commerce sur des papiers grisés du Moulin de Saint-Nabord dans les Vosges sous une couverture de seigle pauvre du Moulin de Pombié en Dordogne (...).

Ceci fait que le deuxième sens, le toucher, est à l'honneur - un opus dont la déperdition serait trop grande en format numérique.
Souhaitons que les bibliophiles sincères sachent épuiser avec parcimonie ce qui reste de ce millier d'exemplaires très abordables, l'auteur n'intéresse pas [encore ?] les autres, ne prête pas à spéculation.

Thierry Metz a écrit:
Denis Castaing travaille dans le sous-sol d'un pavillon, non loin d'un mimosa, sous les racines. Une de ses techniques est d'œuvrer avec du drap, de la toile, de la ficelle, celle qu'on utilise pour larder les viandes. Il coupe, il coud, il assemble. Peintre, bien sûr. Mais j'aimerais aussi dire géomètre [...].


Ainsi, parmi les mots qui charpentent ce recueil retrouve-t-on, sans surprise, le lien, la ficelle, la toile.
Dans ce carré de toile
s'ouvre une mare de lumière
chaque doigt consume
ce qu'il est venu chercher.


Un peu à la manière des enluminures médiévales (je le rend fort mal en transcription) les premières lettres de chaque poème sont des majuscules en gras de taille légèrement démesurée par rapport au lettrage. Seul ponctuation, un point final systématique.

La toile, le fil, "matière à tout"
De la toile et du fil
c'est ce qui est écrit
                       figuré
un peu la vie un peu la mort
matière à tout
que restitue la main
la lumière.


Je suis
cordage d'une autre rive

Face ou visage  peut-être un corps
qu'on ne peut voir
des traits             l'œuvre ajourée
à chaque instant par une main sourde mais tendue
plus que voir
j'écoute
plus qu'être
je suis
cordage d'une autre rive.


Mais j'aimerais aussi dire géomètre (deux poèmes en regard, exactement au milieu [au centre ?] du livre)

Sur un chemin qui exaspère l'espace                                                                                                      La roue ne meurt pas
damné pour ne plus y marcher                                                                                                                       qui fait le tour de l'île                                                        
par celui qui n'y reviendra plus                                                                                                                       pressée d'oiseaux
ayant tout reçu du soleil                                                                                                                                 et de feuilles  
ses paupières n'étant que le vide                                                                                                                     ouverte à l'indiscernable
ne s'opposent plus à ce qu'il dit.                                                                                                                      seul ne reste qu'un petit homme
                                                                                                                                                                   plus immobile que son souffle.                                                                


\Mots-clés : #poésie
par Aventin
le Jeu 16 Déc - 21:18
 
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Thierry Metz

Entre l'eau et la feuille

Tag poésie sur Des Choses à lire Entre_10



Recueil, 1991, paru aux éditions Arfuyen, 55 pages environ, trois parties indiquées en chiffres romains.
Ponctuation à base de points, de rares virgules, usage non sporadique des majuscules.

Dès le second poème de la première partie la clef du titre nous est livrée:





Il pourrait s'agir d'autre chose
d'une autre écriture

ou de rien.

Une voix quelconque
venant s'intercaler
entre l'eau
et la feuille.

Tels sont     ici
les mots.





Mais pas si vite, l'eau, la feuille et l'écriture reviennent constamment dans le recueil.

Ainsi ces pages 14 et 15 copiées en regard ci-dessous, parce que la page est ainsi et que cela produit un effet fort, puissant, prenons le temps donc.
Quoi, l'eau, la feuille et l'écriture ?
Veuillez pardonner ma maladresse à reproduire, et veuillez recevoir cette immense douleur de la perte d'un enfant, dont Thierry Metz ne se remettra jamais, son Tombeau d'Anatole en quelques vers.
Que dis-je ?
En moins de vingt mots.






Qu'il souhaite parler de l'eau                                 Écrire     ayant vu mort    l'enfant
ou                                                                       n'est plus écrire.
improbable                                                           
de ces visages passants
                                                                         mais j'ai vu     ce mot    inhumain
d'une feuille                                                         dit
ou    plus certainement                                         avant
de ce qui est contre
                           
pourquoi le retenir.                                               s'ouvrir
                                                                         et disparaître.
Sa voix n'a rien à confier
que la langue                                                       Dehors.
où elle se trouve.








Et aussi ces subtilités auxquelles je prends goût - ce poème-ci aussi aurait sa place sur le fil "La littérature c'est quoi ?", mais j'ai déjà tout repeint la page en cours en Thierry Metz...





Que le mot soit dit
ou
figuré


nommé
sur la page inaccomplie

le mot    comme une absence
où je suis
avec personne,

une main s'en détache
au petit jour
avec la charrette
trouée de noms.






\Mots-clés : #poésie
par Aventin
le Mar 30 Nov - 17:31
 
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Thierry Metz

Le drap déplié

Tag poésie sur Des Choses à lire Cvt_le13



Recueil, 1995, éditions L'Arrière-Pays, 40 pages environ.

Là, les poèmes commencent toujours par une majuscule et se terminent souvent par un point.
D'autres mots référents (le seau, le soleil, le mur, l'aile, l'arbre, la main, etc.) reviennent au cours du recueil.

page 33 a écrit:
Déjà     derrière la porte
en herbe
le jour
l'ortie de chaque pas


Je sors
poussé par mes mains
pour lier
l'ombre
à mon passage.


page 20 a écrit:
Je dois      sur le madrier
me tenir
toucher le livre       à vide
comme si ma main
en bas remontait
avec la corde
avec tout le poids
d'un mot
inaudible


page 42 et, en regard, page 43 a écrit:
Le champ                                                                                  Écrire
le chemin blanc                                                                         de face
                                                                                               vers le blanc des sonorités

              j'entre avec eux
dans l'eau
jusqu'au ciel.                                                                            pour qui
                                                                                              il n'est plus que nous.


\Mots-clés : #poésie
par Aventin
le Mer 10 Nov - 23:25
 
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Richard Brautigan

Pourquoi les poètes inconnus restent inconnus

Tag poésie sur Des Choses à lire Pourqu11

Poèmes d’adolescence – amours, conflits familiaux, et Hemingway en référence !
« la mort du temps

Un jour
le Temps
mourra,
et
l’Amour
l’enterrera. »

« Quelque chose

Il y a quelque chose en moi
qui ne trouve la paix
que lorsqu’il est dans la forêt,
que lorsqu’il marche sur le sol de la forêt
et est entouré d’arbres. »

« adieu à mon complexe d’œdipe

Pour Noël
je
vais offrir à ma mère
une bombe à retardement. »

Rien de fort marquant, dispensable sauf pour l’inconditionnel, mais on y trouve le poète en herbe.

\Mots-clés : #jeunesse #poésie
par Tristram
le Dim 7 Nov - 12:52
 
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Thierry Metz

Dolmen
suivi de
La demeure phréatique

Tag poésie sur Des Choses à lire Cvt_do10



Paru aux éditions Jacques Brémond en 1989, nouvelle édition en 2001, 40 pages environ.


Poèmes non intitulés ni ponctués, excepté des tirets, dénués de majuscules pour Dolmen, poèmes ordonnés en vingt-deux strophes numérotées en chiffres romains, ponctués et majuscules utilisées pour La demeure phréatique.


Dolmen:
Quelques mots récurrents (l'ortie, la craie, le nuage, l'oiseau, le feu, etc.) histoire sans doute qu'on se débrouille avec ces quelques jalons, comme des marques sur l'itinéraire de lecture.
Page 15 a écrit:
que va-t-il faire dans le réel
sinon restituer au chemin
son aujourd'hui
la craie
somme de tous les angles
et l'ortie - la seule à parler du nuage -
sous le ciel tournant du marcheur


Page 9 a écrit:une éclipse d'oiseaux
et l'aile qui retient les vents
soudain te soulève

te porte aussi loin que possible
où la parole a fait son nid

dans ta voix


Le premier poème du recueil donne le sens du titre:
manœuvre
homme qui va revenir

toucher ta nuque
sentir dessous le dormeur qui danse
c'est retrouver le dolmen
chambre des pourquoi
moraine oubliée de ton passage

manœuvre
pendant que nous discutions ici - sans peine -
querelle d'élagueurs
toi tu as placé douze aimants
autour de la table


La demeure phréatique:
II a écrit:
Reptile bleu
Peindre est ton mouvement.

Entrer dans les régions du compas
Se connaître avant le gîte
Deux flammes qui te courbent et te redressent.

Passeur de cordes
Dans la bouche du cyclone
Tu es l'éruptif.


VIII a écrit:
L'homme au paroles sidérantes
Mâcheur de pétales et de ronces
Celui qui porte
Strident
L'outil-chanteur.
Une bêche partage son repas.


XIV a écrit:
Ombre obstinée
Toujours là vivante
Dans le foisonnement d'écrire
Fiancée à cet autre
Jamais vu
Et qui n'a cesse d'aller
Croissante fraîcheur
Vers le poème.

Homme de cette demeure
Je suis l'arrivant.


Le XVIII donne le sens du titre:

XVIII a écrit:
Ouvrir la demeure phréatique
Être là
Dans les eaux qui méditent une cascade
Rien n'est plus frais.





Mots-clés : #poésie
par Aventin
le Dim 31 Oct - 6:36
 
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Thierry Metz

Terre

Tag poésie sur Des Choses à lire Terre10



Recueil, 1997, 80 pages environ, éditions Opales / Pleine Page.

Chant du cygne du poète à l'heure de se donner la mort (appellation partagée avec le recueil L'homme qui penche), ce magnifique petit opus est une errance, avec une forme qui déroutera peut-être:
Les poèmes (à moins que l'ensemble soit un seul long poème) n'y sont pas séparés.

Donc difficile d'extraire, d'isoler: comme un roman ou une nouvelle, cela appelle, a priori, à être lu dans l'ordre et dans le continuum.
Le jeu des blancs et de la mise en page (voir Jean-Paul Michel ou André du Bouchet, par exemple) paraît, aussi, primordial: c'est le relief, la mise en valeur.

Jeu des blancs et de la mise en page que j'ai dû défigurer, en ce qui concerne les extraits ci-dessous (ardus sinon impossibles à reproduire en message de forum):


page 20 a écrit:



   Et rien d'autre.
   Seul reste le champ. Près du bois.
Près du verger. Je ne cherche pas à
être ailleurs même si souvent, de la
main, je touche une herbe plus haute,
un mur plus bas.
   Ici on me parle.
   Ce n'est jamais le même. C'est
toujours quelqu'un d'autre.
   Nous parlons de table ou de chai-
se. D'un arrosoir, d'une faux.
   Dans nos voix des oiseaux sont
libres.
        C'est des paroles.
        C'est le verre de vin.
   Un portail.
   Un bâton qu'on laisse aller.
Rien n'est reclus. Sinon le petit tas de
cendres qui fermentent dans un seau.





page 63 a écrit:



  Mais pourquoi rester là ?
  Dans la maison, dans le village,
dans l'inventaire ?

   Comment triompher de la tortue ?

   J'ouvre une tranchée dans mon
rire. C'est vrai: chaque doigt est un
affluent. N'ai-je pas vu qu'il y avait
autant d'eau autour de nous ?

   Mais, bien sûr, j'arrondis les
choses, je ne confie le plus terrible qu'à
des îles, à leur témoignage piétiné.

   Pauvre cloître
   misérable silence de 24 heures
qui fume à l'horizon.






Mots-clés : #poésie
par Aventin
le Ven 29 Oct - 16:38
 
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Sujet: Thierry Metz
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André Hardellet

La cité Montgol

Tag poésie sur Des Choses à lire La_cit10

Poésie et contes ou courtes nouvelles, 1952; se trouve aujourd'hui dans la collection nrf - poésie/Gallimard, 140 pages environ, laquelle compile trois recueils (ou, pour certains, courtes plaquettes) - 130 pages environ.

La petite musique d'Hardellet (un accordéon en sourdine dans une salle de bal abandonnée, peut-être ?), sa manière d'adjoindre évocations érotiques douces, onirisme, lieux dépareillés, introuvables, oubliés, interlopes "endroits" urbains et ruraux...
Nuit du noctambule nyctalope.
En 1952 donc, l'essentiel des thématiques qui jalonnent l'œuvre d'Hardellet sont réunies.

Si nous revenons jamais danser chez Temporel, c'est intemporel qui nous accueillera.
Quant au poète, il est délicat, fin.
Où le trouver ?
- À l'écart, vagabondant, toujours à affiner quelque subtilité.

Qu'il soit assuré de nos yeux fermés devant quelques facilités, au vu de l'ensemble - lequel ne manque ni de teneur, ni de tenue.

Avec un peu d'herbe cueillie  entre les pavés et le rempailleur ambulant tressait le château de Morgane. On croyait qu'il réparait le cannage d'une chaise défoncée - mais non.


Une moisissure  légère, respirée par hasard, , le transportait dans une auberge ancienne, à l'orée d'un village. Des cartes, des dominos jaunis par la fumée traînaient sur les tables que les joueurs avaient abandonnées - depuis quand ? Il y avait des mouches mortes entre les vitres et les rideaux des fenêtres; par une trappe béante l'odeur du cellier se répandait.

  Personne ne venait lui de mander ce qu'il désirait. C'était la fin de l'Automne. Il pensait aux grosses truites du déversoir, à des palais en fagots, à la chambre un peu humide que surveille un oiseau empaillé.
  Puis tout doucement, sur la pointe des pieds, il sortait pour rattrapper le présent au passage.




Celui-ci est-il sur un air de musette suranné, très parisien d'antan ?
-  Je ne suis pas toujours certain que ce soit par facilité, parce qu'il faut bien rentrer l'argent, qu'Hardellet a aussi gagné sa vie comme parolier de chanteurs à la mode de son temps.
Je crois qu'il en avait le goût, savait apprêter des choses simples, et le poète n'est pas déchu lorsqu'il endosse l'hait de l'artisan-orfèvre pour quincaille sonnant populaire.
Telle cette goûteuse Ronde de nuit, en bonne place dans le recueil, citée par Bix plus haut, que je retranscris (ce n'est pas Resnf mais Restif - de La Bretonne, ça va sans dire - et le découpage des strophes est ci-dessous celui de l'auteur, les italiques et les majuscules y sont replacés fidèlement - la version plus haut dans la page massacrant allègrement l'ensemble, je ne sais pourquoi un tel parti-pris a été osé ?)





La ronde de nuit

Les muses du quai de Bercy
M'avaient conduit jusqu'à Grenelle
Et leurs sœurs de la Grange-aux-Belles
Vers les jardins clos de Passy,
La nuit s'entendait avec elles,
Les muses du quai de Bercy.



J'allais dans Paris, port de songe
Ouvert au piéton noctambule,
Avec des amis de toujours
Embarqués vers le crépuscule
Et disparus au point du jour.
J'allais dans Paris port de songe.



Restif, Nerval, Apollinaire,
Léon-Paul Fargue et tous les autres
Qui me montriez le chemin.
Abordez-vous les lendemains
Rayonnant sur les îles claires ?
Restif, Nerval, Apollinaire...



D'abord c'est le dimanche au cœur :
Un départ à Paris-Bastille
Vers les Eldorados sur Marne,
La blonde en robe de fraîcheur,
Ses seins fleuris par les jonquilles.
D'abord c'est le dimanche au cœur.



Salut les valseurs du bitume !
Voici les quatorze Juillet,
Tant de filles comme un bouquet
Offert par l'Été qui s'allume
Et la faim qui nous en prenait.
Salut les valseurs du bitume !



Puis la musique s'atténue
Dans un soupir d'accordéon,
Déjà l'ombre a cerné la rue
Où brille en lettres de néon
La magique enseigne d'un BAL.
Puis la musique s'atténue.



J'entre mais vous n'êtes pas là,
Ce soir non plus, mes Vénitiennes,
Vous que mon rêve suscitait
D'un nom évoquant la blondeur
Sans qu'il vous rencontrât jamais.
J'entre, mais vous n'êtes pas là.



Dehors la nuit me parle bas
Et je sens tomber ses pétales
Sur tous les bonheurs inconnus
Qui fusent au ciel quand s'exhale
Le délirant plaisir des filles.
Dehors la nuit me parle bas.



Ensemble, à la même seconde
Quel Everest éblouissant
Gagné par tout l'amour du monde !
Mais ceux qui meurent dans l'instant
Où d'autres vont toucher la cime,
Ensemble à la même seconde...



Plus tard — et le jour est en route —
Je me retrouve à la Villette,
Ses grands saigneurs en tabliers
Tachés de sang cassent la croûte
Avec quelques garçons laitiers.
Plus tard — et le jour est en route.



Seul, les yeux fixés sur son verre,
Un gars taciturne au comptoir :
Il me ressemble comme un frère
Et je connais son désespoir
Aux heures blêmes du regret.
Seul, les yeux fixés sur son verre.



Il revoit les hiers perdus,
Un beau sourire qui s'efface
Dans l'âge d'or des bras tendus
Et, tout à coup, dans une glace
Il ne se reconnaîtrait plus
Il revoit les hiers perdus.



Ô vous nos amis de toujours
Embarqués vers le crépuscule
Et disparus au point du jour,
Quand viendra l'heure à la pendule
Priez pour nous, pour nos amours.
Ô vous nos amis de toujours !



L'aube va chasser le silence
Rassemblant ses oiseaux de feutre,
Maintenant la ville apparaît
— Et voici demain qui commence
Entre deux nuits et leurs secrets.
L'aube va chasser le silence.


\Mots-clés : #poésie #xxesiecle
par Aventin
le Jeu 28 Oct - 21:52
 
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Sujet: André Hardellet
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Thierry Metz

De Thierry Metz j'avais particulièrement apprécié le très marquant et fortement recommandable recueil Journal d'un manœuvre, et m'en étais un peu tenu là pendant des années et des années.

Plus par curiosité que réel intérêt avide de lecteur, du moins au début, j'ai plongé le mois dernier dans deux autres de ses recueils, puis en ai trouvé un autre à la médiathèque (etc.), et dois bien avouer que ses fines épures claires font mouche, au point de vouloir continuer l'immersion:
Poète délicat, au verbe net.

Poésies 1978-1996 a écrit:
Cela ce qui est écrit
traversé par la main
je le sors du jour
mot après mot
avec la fourche
et la brouette
mais sans demander
comme si
un jour
j’avais eu à parler



Dans les branches a écrit:D’elle j’attends ce dessin presqu’un oiseau
une branche ce quelque chose entre le ciel
et ma main
et ce caillou qui ne m’arrête pas
est-il autre chose pour s’éloigner
que d’avoir grandi où elle aura passé

Ainsi chaque jour un travail
perché sur mon épaule
la terre en vue retournée
par la mort
un instant
de ce qui brille
les yeux fermés

Paupière une écriture
si fine frissonne de recueillement
dans les branches
d’un oiseau gavé de lumière
comme un fruit


Journal d'un manœuvre a écrit:La pioche est moins bavarde le vendredi. On sent dans les reins qu’on a porté du poids toute la semaine. On sent qu’on approche. Ce sont les derniers mètres avant la halte, avant de retrouver le livre d’images dans le poing fermé du dormeur



Mots-clés : #poésie
par Aventin
le Mar 5 Oct - 21:34
 
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Richard Brautigan

Journal japonais

Tag poésie sur Des Choses à lire Journa12

Brautigan explique en préface comment sa haine d’enfant pour le Japon pendant la Seconde Guerre mondiale s’est progressivement transformée en intérêt pour sa culture, jusqu’à ce qu’il s’y rende, les poèmes qui suivent constituant une sorte de journal de son séjour. Inégal, le recueil intégral permet cependant de retrouver la brautiganesque poésie désabusée mais humoristique, sous bénéfique influence japonaise.
« J’ai eu dix-sept puis dix-huit ans et j’ai commencé à lire la poésie japonaise haïku du dix-septième siècle. J’ai lu Basho et Issa. J’ai apprécié leur façon d’utiliser le langage en concentrant l’émotion, le détail et l’image, jusqu’à parvenir à une forme d’acier trempé dans la rosée. »


Fragment n° 1

Parler c’est parler
quand on (Le mot suivant est illisible,
écrit sur un bout de papier ivre.)

parle plus.

Tokyo
Peut-être un jour
de début juin


Lazare dans le train rapide

Pour Tagawa Tadasu

Le fameux Bullet Train circule à plus de deux cents kilomètres à l’heure.
Quant à ce vieux Lazare, il est toujours là pour le remplacement.
Tu as écouté la crise de colère que piquait l’écrivain
américain ivre dans le train rapide en provenance de Nagoya
tandis que je t’accusais de tous les maux de la terre, y compris
l’incident
grotesque qui s’est passé ce soir-là à Gifu tandis que
tu dormais.

Bien sûr, tu n’avais rien fait d’autre qu’être ma bonne
amie. À un moment je t’ai dit de me considérer comme
mort, qu’à partir de cet instant pour toi j’étais mort.
J’ai pris ta main et touché la mienne avec.
Je t’ai dit que ma chair était maintenant froide pour toi :
morte.

Tu as opiné en silence, les yeux emplis
de tristesse. Je t’ai même interdit de jamais relire
l’un de mes livres parce que je savais combien
tu les aimais et à nouveau tu as opiné
et tu n’as rien dit. La tristesse dans tes
yeux s’est chargée de tout dire.

Au retour sur Tokyo, le train rapide a circulé de nouveau
à plus de deux cents kilomètres à l’heure tandis que je déversais
ma colère sur toi.
Tu n’as pas dit un mot
Ta tristesse a empli le train en y faisant monter
deux cents passagers supplémentaires.
Ils lisaient tous des journaux
sur lesquels aucun mot n’était imprimé,
sauf les larmes séchées des morts.

Quand le train est entré en gare de Tokyo,
ma colère était lentement passée et partait en toutes
directions vers un oubli mérité.
J’ai pris ta main et touché à nouveau ma main.
« Je suis vivant pour toi, j’ai dit. La chaleur est
revenue dans ma chair. »

Tu as de nouveau opiné en silence,
sans avoir dit un mot.
Les deux cents passagers supplémentaires
restaient dans le train,
pourtant c’était le terminus.
Ils y resteront à jamais, à faire
l’aller-retour jusqu’à tomber en poussière.
On est sortis dans le petit matin de Tokyo
redevenus amis.

Oh, merci à toi, Tagawa Tadasu,
O être humain sublime pour avoir partagé
et compris ma mort
et mon retour d’entre les morts
dans le train rapide entre Nagoya
et Tokyo le matin du 8 juin 1976.

Plus tard dans la soirée, je t’ai appelée
au téléphone. Tes premiers
mots ont été : « Tu vas bien ? »
« Oui, je vais bien. »

Tokyo
Le 9 juin 1976


L’Américain à Tokyo
avec sa pendule cassée

Pour Shiina Takako

Les gens me regardent –
ils sont des millions.
Pourquoi cet étrange Américain
arpente-t-il les rues du début de soirée
tenant une pendule cassée
à la main ?
Est-il réel ou n’est-il qu’illusion ?
Comment la pendule s’est cassée, peu importe.
Les pendules se cassent.
Tout se casse.
Les gens nous regardent moi et la pendule cassée
que je tiens comme un rêve

dans mes mains.

Tokyo
Le 10 juin 1976


L’Américain à Tokyo avec
sa pendule cassée / Suite

Pour Shiina Takako

C’est incroyable le nombre de personnes
que l’on rencontre quand on transporte
une pendule cassée à Tokyo.

Aujourd’hui, je transportais la pendule
à nouveau, essayant de la remplacer
à l’identique.
La pendule n’était pas en état d’être réparée.

Toutes sortes de gens s’intéressaient
à la pendule. De parfaits inconnus sont venus me voir
pour se renseigner sur la pendule, en japonais
bien sûr
et j’acquiesçais : oui, j’ai une pendule cassée.

Je l’ai emportée au restaurant et les gens
se sont rassemblés autour. Je suggère de transporter une
pendule cassée toutes les fois où vous voulez rencontrer de
nouveaux
amis. Je pense que ça marcherait n’importe où dans
le monde.

Si vous voulez aller en Islande
et rencontrer les gens, emportez
une pendule cassée.
Ils s’agglutineront comme des mouches.

Tokyo
Le 11 juin 1976


\Mots-clés : #poésie
par Tristram
le Lun 20 Sep - 13:19
 
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Stéphane Mallarmé

Pour un tombeau d'Anatole

Tag poésie sur Des Choses à lire Mallar10

Pauvre chose, brouillon, œuvre inachevée - à vrai dire à peine esquissée, publiée en 1961, le corpus proprement dit pèse 80 pages environ (sobres, très aérées).

Ce sont des notes, Mallarmé lui-même avait décidé qu'il ne fallait pas les publier.
Et, comme un abruti de lecteur avide, j'ai outrepassé l'interdiction, avec les pires raisons, me disant qu'après tout, des spécialistes mallarméens, des sommités, ont présidé à cette mise en pâture au public, que je saurais bien juger, etc.  

Curieux de le lire dans la foulée du Voyage infini vers la mer Blanche, de Lowry, autre inachevé, mais d'un tout autre type, l'ouvrage était destiné, un jour lointain à l'époque de frappe du tapuscrit retrouvé, à la parution.

À savoir si ces notes éparses n'étaient pas plutôt un exutoire pour Mallarmé ?

De là à savamment gloser sur l'inachèvement...oui, il y a une poétique, mais, si je voulais provoquer je dirais qu'avec Mallarmé on trouverait de la poétique même dans une liste de course crayonnée sur un papier jeté, alors...

...Alors, bien sûr on y trouve des passages splendides, bien sûr Mallarmé a des formulations qui font mouche, bien sûr l'ensemble a un charme fou, et l'on (enfin moi en tous cas) ne se départit pas d'une componction attentive (signe d'une lecture qui porte) à parcourir ces feuillets épars groupés avec soin - j'imagine combien ça a dû discuter ordre et pagination. (en extrait des pages se suivant, tel qu'on reçoit le texte en ouvrant à tel ou tel endroit).


----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
(p 190)

non -- je ne
laisserai pas
le néant
----
père-- -- -- je
sens le néant
m'envahir


--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
(p 191)

et si au moins
--esprit --
je n'ai pas donné
sang suffisant --
----
que ma pensée
lui fasse une
vie plus belle
plus pure.
---------
-- et comme sa peur de moi -- qui
pense -- à côté de lui --



------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
(p 76)


famille parfaite
équilibre
père fils
mère fille

romu --
trois, un vide
entre nous,
cherchant.
..



------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
(p 77)


tant mieux
qu'il ne le sache pas
--
nous prenons toutes
larmes
-- pleure, mère
etc.
-- transition d'un
état à l'autre
ainsi pas mort
mort -- ridicule ennemie
-- qui ne peux à l'enfant
infliger la notion que tu es !


----------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
(p 44)

(1
tu me regardes
Je ne peux pas te dire
encore la vérité
je n'ose, trop petit
Ce qui t'est arrivé
--
un jour je te le
dirai
-- car homme
je ne veux pas



-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
(p 45)



(2
que tu ne saches
pas ton sort
--
et homme
enfant mort


---------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------







Mots-clés : #mort #poésie
par Aventin
le Mer 8 Sep - 21:05
 
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Sujet: Stéphane Mallarmé
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Saint Pol Roux (alias Paul-Pierre Roux)

Tag poésie sur Des Choses à lire La_ros10




Les Sabliers


À Georges Ancey.


Assis sur la plage solitaire du Toulinguet où viennent s’agenouiller les haquenées de l’Océan, je méditais, après la chute de l’empereur des Coupes de Thulé.

Devant, hérissée d’un dernier vol où se pêlemêlaient guilloux, mouettes, gaudes, hirondelles de mer et perroquets japonais sans queue, l’Île ; à ma droite, derrière le fort, la Pointe Saint-Mathieu avec ses ruines ecclésiastiques ; à ma gauche, devinées, des pierres et des pierres donnant un frisson d’Éternité à poil, la Tribune, le Lord-Maire, le Dante, les Tas de Pois, le Château de Dinan, le Cap de la Chèvre, la Pointe du Raz, l’Île de Sein…

Je comparais douze cormorans alignés sur un écueil à une phrase de Poe traduite en alexandrin par Baudelaire ou Mallarmé, – lorsque des crissements singuliers venant de Camaret m’intriguèrent la nuque et me firent sursaillir.

Plusieurs théories d’êtres bizarres descendaient le versant : espèces de sauterelles aux membres de bois et corps de verre.

Plus proches, je reconnus des Sabliers.

De toutes dimensions :

Sept, menus comme les fœtus de cinq mois, marquant l’heure ;

Sept, mignons comme les nourrissons, marquant le jour ;

Sept, petits comme les communiants, marquant la semaine ;

Sept, grands comme les adolescents, marquant le mois ;

Sept, hauts comme les titans, marquant I’année ;

Sept, colossaux comme les clochers de cathédrale, marquant le lustre ;

Un, enfin, le dernier, incommensurable comme le génie, marquant le siècle.



– « Hélas ! glapirent les Sabliers. Disgraciés déjà par l’invasion des damoiselles de chêne au nombril d’or, irrévocablement perdus depuis les décrets impies, nous pourrissions dans les moustiers branlants de l’angélique Pays des Coiffes ; inutiles désormais loin des reclus qui nous vinrent ici remplir, nous revenons, accomplie notre destinée, à cette plage si sabuleuse depuis le départ des vandales, et notre guide fut la soif de reposer au lieu natal. »



Je compris que nul ne rendrait à ces oubliés le pieux service si le poète ne daignait.

Aussi, commençant par les moindres, je me mis en devoir de vider sur la grève, les Sabliers l’un après l’autre.

À cet office nous restâmes des heures, des jours, des semaines, des mois, des années, des lustres…



J’avais entrepris le dernier Sablier, le séculaire, lorsque l’invisible faulx du Temps me détacha l’âme du corps.

Les pêcheurs de Kerbonn trouvèrent mon cadavre sur lequel flottait une longue barbe blanche.

Et j’avais l’âge que j’aurai, ô mes Héritiers, le jour de mon décès.



Camaret, à Pen-hat, août 1892.



D'abord publié dans Les Reposoirs de la procession, tome premier, Paris, Mercure de France, 1893, puis repris dans La Rose et les épines du chemin, Paris, Mercure de France, 1901.
Se trouve aujourd'hui dans le nrf Gallimard La Rose et les épines du chemin (Les Reposoirs de la procession I) édition 1997.



Mots-clés : #poésie #xixesiecle
par Aventin
le Mer 11 Aoû - 19:36
 
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Sujet: Saint Pol Roux (alias Paul-Pierre Roux)
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Saint Pol Roux (alias Paul-Pierre Roux)

Saint Pol Roux ? Un délicieux oublié, succulent auteur de poèmes en prose, bien "né" en poésie chez Mallarmé...
Vous demandez le programme ? Il est vaste et ambitieux:
"Idéoréalisme. Plasticiser l'idée [...] Concrétiser l'absolu [...] Accoucher l'inconnu [...]"



_________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________


La Carafe d'eau pure

À Jules Renard.


Sur la table d’un bouge noir où l’on va boire du vin rouge.



Tout est sombre et turpide entre ces quatre murs.

La mamelle de cristal, seule, affirme la merveille de son eau candide.

A-t-elle absorbé la lumière plénière de céans qu’elle brille ainsi, comme tombée de l’annulaire d’un archange ?

Dès le seuil de la sentine sa vue m’a suggéré le sac d’argent sage que lègue à sa louche filleule une ingénue marraine ayant cousu toute la vie.

Voici que s’évoque une Phryné d’innocence, jaillie d’un puits afin d’aveugler les Buveurs de sa franchise.

En effet, j’observe que la crapule appréhende la vierge…

Il se fait comme une crainte d’elle…

Les ronces des prunelles glissent en tangentes sournoises sur sa panse…

Le crabe des mains, soucieuses d’amender leur gêne, va cueillir les flacons couleur de sang…

Mais la Carafe, aucun ne la butine.

Quelle est donc sa farouche vertu ?

Viendrait-elle, cette eau, des yeux de vos victimes, Buveurs, et redoutez-vous que s’y reflètent vos remords, ou bien ne voulez-vous que soient éteints les brasiers vils de vos tempes canailles ?



Et je crus voir leur Conscience sur la table du bouge noir où l’on va boire du vin rouge !




Boulevard de La Chapelle, 1889.




In Les Féeries intérieures, Paris, Mercure de France, 1907.



Mots-clés : #poésie #xixesiecle
par Aventin
le Mer 11 Aoû - 19:21
 
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Sujet: Saint Pol Roux (alias Paul-Pierre Roux)
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Jorge Luis Borges

Poèmes d’amour

Tag poésie sur Des Choses à lire Pozome10

Anthologie bilingue dont le fil conducteur (plutôt ténu) est l’amour, et où l’on retrouve entr’autres le goût de Borges pour les listes hétéroclites où se rencontrent en disparate voulue des voisins de la machine à coudre et du parapluie ducassiens, proches donc du surréalisme.
La veille

Des milliers de particules de sable,
Des fleuves qui ignorent le repos, la neige
Plus délicate qu’une ombre, légère
Ombre d’une feuille, le placide
Rivage de la mer, l’écume momentanée,
Les anciens chemins du bison
Et de la flèche fidèle, un horizon
Et un autre, les rizières et la brume,
Le sommet, les minéraux dormants,
L’Orénoque, l’inextricable jeu
Que tissent la terre, l’eau, l’air, le feu,
Les lieues d’animaux soumis,
Écarteront ta main de la mienne,
Mais aussi la nuit, l’aube, le jour...

On retrouve aussi ses fascinations pour les tigres, les labyrinthes, les miroirs et d’autres objets symboliques comme les monnaies, un atlas.
L’or des tigres

On his blindness

Indigne des astres et de l’oiseau
Qui fend l’azur profond, devenu secret,
De ces lignes qui sont l’alphabet
Organisé par d’autres et du marbre grave
Et son linteau que mes yeux déjà usés
Égarent dans leur pénombre, des invisibles
Roses et des silencieuses
Multitudes d’or et de rouges
Je suis, mais pas des Mille Nuits et Une
Qui ouvrent des mers et des aurores dans mon ombre
Ni de Walt Whitman, cet Adam qui nomme
Les créatures vivantes sous la lune,
Ni des dons blancs de l’oubli
Ni de l’amour que j’espère et n’appelle pas.

On retrouve surtout son tour d'esprit, sa forme de pensée, son goût du paradoxe et de l'antinomie ; voici des extraits de La joie, avec les premiers et derniers vers :
Celui qui embrasse une femme est Adam. La femme est Ève.
Tout a lieu pour la première fois.
[…]
Les livres de la bibliothèque n’ont pas de lettres. Elles surgissent quand je les ouvre.
En feuilletant l’atlas je projette la forme de Sumatra.
[…]
Rien n’est si ancien sous le soleil.
Tout a lieu pour la première fois mais d’une façon éternelle.
Celui qui lit mes mots les invente à mesure.


\Mots-clés : #poésie
par Tristram
le Dim 18 Juil - 11:53
 
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Sujet: Jorge Luis Borges
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Marguerite Yourcenar

Fleuve profond, sombre rivière. Les Negro Spirituals, commentaires et traductions

Tag poésie sur Des Choses à lire Fleuve10


La première partie de cet ouvrage paru en 1966 retrace brièvement l’histoire de l’esclavage, surtout nord-américain, avec une vision pessimiste et juste de l’avenir.
« Note de 1974 – A l'époque où j'écrivais ces lignes, il y a déjà plus de dix ans, ces prévisions semblaient presque excessivement sombres. Elles n'ont été que trop justifiées au cours des années qui ont suivi. L'assassinat de Martin Luther King, les révoltes des ghettos, l'apathie du gouvernement fédéral et de l'opinion publique en ce qui concerne la mise à exécution des lois scolaires et la résistance obstinée du Sud à celles-ci, l'accroissement du racisme et du chauvinisme noirs, inévitables certes, mais néfastes comme tous les chauvinismes et comme tous les racismes, ont rendu la réconciliation des deux races plus ardue, sinon impossible, dans le prochain avenir. L'avenir éloigné ne promet peut-être pas mieux. »

Puis il s'agit plus particulièrement des Negro Spirituals, « ces poèmes spirituels, qui sont la dernière en date et l'une des plus hautes réussites de la poésie sacrée. » Leurs origines sont dans la Bible, le catholicisme et le protestantisme (voire l’islamisme), mais aussi une « négritude » d'où ressurgissent les « vieilles réminiscences des initiations indigènes », « les sacrifices sanglants », « les épreuves rituelles et les précautions apotropaïques des primitifs de tout temps » avec un « sens du sacré et du mythique encore intact ».
« À les regarder en gros, les textes du Negro Spiritual semblent en effet sortis du vieux magasin de métaphores et de formules du cantique protestant. Mais le miracle est justement que la poésie ornée et oratoire des hymnes wesleyens et méthodistes du XVIIIe siècle, ou au contraire le piétisme emphatique et plat de tel cantique de date plus récente, aient abouti dans la bouche du Noir à ces merveilles lyriques et dramatiques, à ces poèmes dont la piété enjouée ou pathétique retrouve, à des siècles de distance, quelque chose de l'émotion nue de Villon ou de la tendresse de la poésie franciscaine. Paradoxalement, c'est le primitivisme du nègre nouvellement converti, son instinct du rythme, son sens profond du sacré apporté de l'Afrique noire, qui l'a mis à même de retraduire le drame chrétien avec une ferveur de pieux paysan du Moyen Age ou de catéchumène du temps des catacombes. »

Marguerite Yourcenar utilise le terme d’aframéricain pour afro-américain, néologisme qui n’a guère survécu, ce que je trouve dommage.
La seconde partie est constituée de traductions de Negro Spirituals.
« C'est l' train d' l'Évangile qu'entre en gare,
La terre tremble à chaque tour d'essieu,
L' même prix pour tous, pas d' place à part,
V'là l'engin qui conduit aux cieux !

Montez tous, pas d'hésitation !
Dans c' train-là, plus d' ségrégation !
Le ciel à la prochaine station ! »

« Ya-t-il ici quéqu'un qu'aime mon Jésus ?
Ya-t-il ici quéqu'un qu'aime le Bon Dieu ?
J' veux savoir, j' veux savoir !
Est-ce que t'aimes mon Dieu ?

J' suis heureux quand j'aime mon Jésus,
J' suis heureux quand j'aime le Bon Dieu !

J' veux chanter quand j'aime mon Jésus,
J' veux chanter quand j'aime le Bon Dieu.
J'aime autrui quand j'aime mon Jésus,
J'aime mes frères quand j'aime le Bon Dieu...

Dit' z-aux montagnes qu' vous aimez Jésus,
Dit' z-aux montagnes qu' vous aimez l' Bon Dieu !
Dit' z-aux vallées qu' vous aimez Jésus,
Dit' z-aux vallées qu' vous aimez l' Bon Dieu !

J' veux savoir, j' veux savoir,
Est-ce que t'aimes mon Dieu ? »

« Oh, c'tte vieille arche, elle prend la mer,
Et j' m'en vais d'ssus dans mon pays !
Oh, mon pays !

R'gardez c'tte sœur si bien vêtue,
Elle ne pense pas au bon Jésus !
Oh, mon pays !

Regardez ce frère qu'a l'air si gai,
Il ne pense pas qu' la Mort fait l' guet !
Oh, mon pays !

R'gardez c'tte sœur qui traîne le pied,
Elle va se faire laisser su' l' quai !
Oh, mon pays !

C'tte vieille arche, elle tangue, elle prend l'eau,
Elle arrivera quand même là-haut...
Oh, mon pays ! »

« J' m'en vas grimper à l'échelle de Jacob,

Et ma p'tite âme va s' mettre à briller,
Ma p'tite âme va s' mettre à briller... »

« J' m'en vais à moi tout seul traverser l'océan,
A moi tout seul,
A moi tout seul,
Avec l'amour pour barque et pour voile un linceul.

Quand mon Maît' m'appelle, il faut qu' j'aille... »

« Oh, flanquez-moi
Dans l' champ d' navets...
Ça m'est égal,
Dans l' champ d' navets,
Hors d' la maison,
Dans l' champ d' navets,
Avec Papa,
Dans l' champ d' navets,
Avec Maman,
Dans l' champ d' navets,
Tous on y va,
Dans l' champ d' navets,
Mais mon esprit,
Dans l' champ d' navets,
N'y restera pas,
Dans l' champ d' navets,
J'irai chez Dieu,
Dans l' champ d' navets,
Je n'ai pas peur,
D' vot' champ d' navets,
Oh, flanquez-moi
Dans l' champ d' navets. »

« Dans la vallée, l'Esprit de Dieu
Cria : "Zéchiel, écoute un peu !"
Zéchiel vit le val plein d'ossements,
Plein d'ossements tout secs et tout blancs.

Ossements tout secs, au point du jour,
J' vous recueillerai avec amour,
J' vous ramasserai, j' vous rejoindrai,
Et tout debout vous vous tiendrez !
Vieux os qui sont mes propres os,
Vous r'luirez tout neufs et tout beaux !
[…]
Quéqu' z-uns d' ces os sont à mon père ;
I' se lèveront d' dessous la terre.
Quéqu' z-uns d' ces os sont à ma mère,
I' sortiront d' dedans l' cimetière,
Et quéqu' z-uns de ces pauv' vieux os
Sont ceux d' mes jambes et ceux d' mon dos.
[…]
Ya d' ces os qui m'ont fait bien rire,
Sitôt qu'i' s' mettent à tressaillir,
Sitôt qu'i' s' mettent à gambader !
Mais yen a qui m'ont fait pleurer,
Car quéqu' z-uns de ces pauv' vieux os
Sont ceux d' mes jambes et ceux d' mon dos. »


« L' bébé r'monte au ciel
D'où qu'il était venu...
L' bébé r'monte au ciel
D'où qu'il était venu...
P'tits pieds sur l'échelle de Jacob !
J' voudrais bien y grimper aussi...
Ah, Seigneur, l'échelle de Jacob...
Ah, Seigneur, l'échelle de Jacob... »


\Mots-clés : #esclavage #poésie
par Tristram
le Sam 26 Juin - 13:32
 
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Sujet: Marguerite Yourcenar
Réponses: 97
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