Des Choses à lire
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Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Mar 19 Mar - 11:03

109 résultats trouvés pour relationenfantparent

Pierre Bergounioux

Carnet de notes 1980-1990

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Journal commencé à la trentaine, où Bergounioux note pour s’en souvenir les faits saillants de sa vie quotidienne (y compris la météo, à laquelle il est très sensible, étant plus rural qu’urbain) entre la Corrèze et la région parisienne, minéralogie, entomologie, pêche (à la truite), peinture, modelage, travail du bois puis de la ferraille, piano, archéologie préhistorique, descriptions (paysages, oiseaux), rêves nocturnes, ennuis de santé (lui et ses proches), famille et amis, son travail d’enseignant, et surtout ses copieuses lectures (et sa bibliophilie !), ses études qu’il prolonge ainsi, et ses souvenirs d’enfance (sa « vie antérieure », jusque dix-sept ans).
« Sur les zinnias voletaient Flambés et Machaons, ainsi que l’insaisissable Morosphinx. Jamais il ne se posait. Il oscillait dans l’air au-dessus du calice des fleurs, dans lequel il plongeait sa longue et fine trompe noire. Je n’ai jamais réussi, alors, à m’en emparer. J’en étais venu à le regarder comme une créature des rêves. Je percevais avec perplexité, avec dépit, l’existence de deux ordres, l’un que nos désirs édifient spontanément, l’autre, décevant, des choses effectivement accessibles, et l’impossibilité de franchir sans dommage ni perte la frontière. Est-ce que je m’en suis ouvert à quelqu’un ? Ai-je demandé des éclaircissements à ce sujet ? Peut-être. Papa aime à répéter, sardoniquement, que je fatiguais déjà tout le monde de questions. Mais je ne garde pas souvenir d’avoir obtenu la réponse. »

« Laver, nourrir, habiller les petits nous prend un temps infini. Comme la génération qui se forme pèse sur l’âge intermédiaire où nous sommes entrés, entre la dépendance à laquelle on est réduit, quand on commence, et celle où l’on va retomber avant de finir. »

« Ensuite, je peins – approches de la ville, avec, au premier plan, un canal, puis, sans l’avoir voulu, la façade de quelque château, flanqué de masures. À l’origine, c’était un pont sur l’eau à quoi j’ai fait faire un quart de tour. Quelque chose est apparu. Je ne parviens jamais de façon concertée à un résultat. Ce qui résulte d’un dessein arrêté est d’une banalité sans remède. C’est dans un angle mort, une dimension négligée, d’abord, d’un geste involontaire, que naissent la demeure des songes, la rive inconnue, la fête mystérieuse. »

« Toujours des soulèvements d’inquiétude, des éclairs d’angoisse, la crainte soudaine, panique, que le sursis qui me tient lieu de vie va prendre fin, que l’heure a sonné. Et ma réaction immédiate, indignée : qu’il est bien tôt, que j’ai beaucoup à faire, encore, qu’il me reste à connaître, à expérimenter, à aimer. »

« Tenté, au retour, de faire des essais de drapé avec du plâtre coulé dans un sac poubelle. J’avais été frappé, en avril, lors de la construction de la terrasse, des plis et volutes du ciment tombé, frais, dans la toile plastique froissée. Le résultat est décevant. Comment pourrait-il en aller autrement, au premier essai ? Et puis il faut que je revienne à ma lecture. Si j’excepte cette occupation dévorante, infinie, j’aurais bâclé ma vie, désireux que j’étais de répondre à l’appel de mille choses et conscient, tragiquement, qu’elle est trop brève pour pouvoir m’attarder plus qu’un court instant auprès de chacune d’elles. Comment étudier, pêcher, traquer les bêtes, chercher les pierres, les fossiles, peindre, modeler, menuiser, fondre, forger, rêver, respirer, regarder de tous ses yeux, être époux et père, professeur, fils et camarade, apprendre, avancer, ne pas oublier, ne jamais céder quand je suis sous la menace chronique d’être pris à la gorge sans rémission ? »

Début 1983, Bergounioux commence à écrire de la littérature.
« Malgré la fatigue, je reprends mon récit au commencement. J’essaie de le purger des approximations, des gaucheries. Je fais des phrases trop longues. C’est un de mes vices. Je me crois tenu, par mimétisme, d’envelopper une chose dans une seule et unique coulée syntaxique alors que, justement, le registre symbolique est autonome, relativement. »

Sa vie est partagée entre deux pôles, le travail dans l’Île-de-France, la nature pendant les vacances scolaires dans le Midi – et aussi le travail professionnel versus son « bureau » où il s’échine.
Ses phares sont Flaubert, Faulkner, Beckett, mais pas les seuls auteurs appréciés.
« Je lis les Chroniques italiennes de Stendhal avec un grand bonheur. Mais il a un âcre revers. Tout ce que je pourrais écrire s’en trouve terni. »

« Ensuite, j’extrais mes dernières lectures. Mais j’ai peu de preuves à présenter au tribunal qui siège en moi et me somme, le soir, d’expliquer, si je peux, ce que j’ai fait de ma journée. »

« Dans la même nuit, nous avons brisé le sortilège qui nous condamne à l’exil aux portes de Paris, traversé quatre cents kilomètres de ténèbres et de pluie, atteint le seuil de la seule existence que je sache, du seul monde qui lui fasse écho. »

« Je ne saurais lire puisque je suis parmi les choses. »

« Je regarde une émission de la série Histoires naturelles consacrée à la pêche au sandre. Les images du bord de l’eau, la lente marche du fleuve m’exaltent et m’accablent. J’aurais pu, moi aussi, passer des jours sur la rivière, dans l’oubli miséricordieux de tout. J’ai connu ce bonheur sans soupçonner qu’il me serait retiré bientôt. J’ai eu de ces heures, sur la Dordogne, et puis j’ai découvert, à dix-sept ans, qu’il semblait permis de comprendre ce qui nous arrivait, que cela se pouvait, et j’ai cessé de vivre. »

« J’esquisse un plan, jette, dirait-on, des grains de sable dans le vide, autour desquels pourraient se former des concrétions. Il me manque toujours l’arête. Je m’en remets sur l’avancée d’apporter ses propres rails, d’engendrer sa substance. Les mots, en revanche, tombent d’eux-mêmes, épousent la vision. »

« Je n’ai toujours pas pris mon parti de ne plus m’appartenir. »

« Paris excède la mesure de l’homme, la mienne, du moins. »

« La question est de savoir s’il est préférable de vivre ou de se retirer de la vie pour tenter d’y comprendre quelque chose, qui est encore une façon de vivre, mais combien désolée, amère, celle-ci. »

« Et comme je travaille de mes mains, et que je suis ici [les Bordes, en Corrèze], mes vieux compagnons, le noir souci, la contrariété, le désespoir chronique m’ont oublié. »

« Je songe aux profonds échos que la disparition de Mamie a soulevés, aux grandes profondeurs cachées sous la chatoyante et fragile surface des jours. J’y pensais, hier matin, dans la nuit noire, quand tout dormait, et j’y pense encore. Et c’est cela, peut-être, qu’il faudrait essayer de porter au jour. C’est le moment. Les figures tutélaires de mon enfance s’en vont, sans avoir seulement soupçonné, je suppose, ce qui s’est passé et les concernait, pourtant, au suprême degré. J’ai atteint l’âge où l’on peut tenter de comprendre, de porter dans l’ordre second, distinct, de l’écrit ce qu’on a confusément senti : la vie saisie à des moments successifs qui s’éclairent l’un l’autre, à l’occasion de ces subites et brutales retrouvailles que les naissances, les décès, surtout les décès, provoquent de loin en loin, les grandes permanences et le changement, l’œuvre fatidique, effrayante du temps. »

« Je reste un très long moment à me demander si j’ai bien de quoi remplir six autres chapitres, songe à croiser les voix, donc à modifier le poids, l’importance, le sens des choses qui commandent, à leur insu, parfois, mais parfois en conscience, les agissements des générations successives, la destinée unique, reprise par trois fois, de l’individu générique, supra-individuel auquel, sous le rapport de la longue durée, s’apparente celui, périssable, en qui nous consistons. »

« C’est à la faveur de ces instants limitrophes que m’apparaissent la hâte folle, la fureur concentrée qui m’emportent depuis ma dix-septième année et m’arrachent aux instants, aux lieux, aux êtres parmi lesquels nous aurons vécu, respiré. Toujours hors de moi, la tête ailleurs, l’esprit occupé de choses qui ne sont que dans les livres, ou alors du passé ou encore des éventualités redoutables, sans doute insurmontables, qui peuplent l’avenir. Et le seul bien véritable, le présent, ses authentiques et charmants habitants, je n’en aurai pas connu le goût, la douceur, la simple réalité. »

Bergounioux s’acharne, se force à écrire chaque jour – quand il en a le loisir.
« Je lance lessive sur lessive, range tout ce qui traîne partout, descends faire quelques achats, conduis Jean à sa dernière leçon de piano de l’année. Comment travailler ? Il ne me semble pas tant faire ce qu’il paraît, les courses, de la cuisine, prendre soin des petits, enseigner, etc. que combattre l’envahissement chronique de la vie, du métier, du chagrin, de tout, afin d’avoir un peu de temps pour la table de travail, méditer, endurer les affres sans nom de la réflexion, de l’explicitation. C’est un souci de chaque instant, une hantise vieille de vingt-deux ans et qui me ronge comme au premier jour. »

« Enfoncé dans la tâche d’écrire dont j’ai retrouvé, reconnu la rudesse, l’âpreté, le tempo – la facilité toute relative du matin, les lenteurs et les pesanteurs de l’après-midi, l’hébétude où je finis. C’est d’entrée de jeu qu’il faut emporter le morceau, arracher au vide rebelle, à l’opposition de la vie au retour réflexif, le sens de ce qui a eu lieu, le chiffre des heures passées. La violence du geste inaugural, et en vérité de cette occupation contre nature, dépasse de beaucoup celle que je mobilise, à l’atelier, contre les bois durs, l’acier. Que je relâche si peu que ce soit la pression à laquelle il faut soumettre la vapeur du souvenir, l’impalpable matière de la pensée, et la plume cesse de courir, le fil rompt. Je réussis à couvrir la deuxième page vers trois heures de l’après-midi après avoir douté, à chaque mot, d’extorquer le suivant, et un autre, encore, à l’inexpiable ennemi. C’est pur hasard, me semble-t-il, s’il a cédé. L’espoir s’est évanoui. On recommence, pourtant, puisque là est le chemin, et c’est ainsi qu’un autre terme vient, qu’on s’empresse, incrédule, d’ajouter au précédent. Et c’est à ce régime que je vais me trouver réduit pour des mois. »

« Je ne suis pas encore sorti de la voiture qu’un type à l’air malheureux, misérable, vient me demander une pièce. Il se passe des choses graves, que les rues soient pleines de gens qui mendient, qu’on soit partout et continuellement sollicité. »

« Les petits qui tournicotent sans rien faire m’irritent beaucoup. Mais c’est – j’essaie de me le rappeler – le privilège de l’âge où ils sont encore de n’avoir pas à compter, de dilapider les heures, les jours en petit nombre qui nous sont alloués. J’en ai usé, moi aussi, à leur âge, en très grand seigneur avant de me faire épicier. »

« Je me lève à six heures. Il s’agit de mordre sur le nouveau chapitre. Les premières lignes me coûtent mille maux. Je passe par toutes les couleurs de la désespérance. Partout, la muraille ou le puits, comme dans le conte d’Edgar Poe. Il doit être neuf heures lorsque les premiers mots apparaissent sur la page. Les mots d’Helvétius sur le malheur d’être et la fatigue de penser me reviennent. Dans l’intervalle, un jour clair et tiède s’est levé. C’est l’été de la Saint-Martin. Je m’acharne, gagne deux mots, trois autres un peu plus tard. À midi, j’aurai progressé d’une page. »

« La difficulté d’écrire se dresse, intacte, malgré les années. Je devine le grouillement obscur des possibles, l’enchevêtrement des thèmes, la confusion première, foncière, peut-être définitive de l’esprit aussi longtemps qu’il n’a pas fait retour sur lui-même, passé outre à l’interdit qui lui défend de se connaître, de porter en lui-même ordre et clarté. »

« Je lis La Psychologie des sentiments de Th. Ribot. Ce qu’il dit du sentiment esthétique est étrangement conforme à ce que j’ai toujours éprouvé, sous ce chef : un besoin aussi impérieux que la soif et la faim, plus impérieux, en vérité, plus violent, ab origine. »

« Je reprendrai plus tard la fin, qui est très insatisfaisante. Je reviens au début pour la première passe de rabotage. Il est deux heures et demie de l’après-midi lorsque j’ai grossièrement élagué le premier chapitre. La dialectique abstruse du deuxième m’arrête net et j’ai un accès de détresse. Jamais je ne serai content. Toujours mon esprit revient buter sur son insuffisance essentielle, son incurable infirmité. »

C’est une figure opiniâtre qui se dégage de ce journal, avec en filigrane un grand élan vers l’authenticité.
J’ai lu avec plaisir ces carnets, comme une histoire, tant le propos est bien énoncé, l’écriture agréable, la syntaxe soignée et riche le vocabulaire. Bien sûr cette lecture est laborieuse, puisqu’il s’agit d’un journal, donc non structuré, où abondent les récurrences des évocations de peines diverses ; mais les préoccupations de Bergounioux, les soucis qu’il consigne plus volontiers que les satisfactions, recoupent souvent les nôtres.

\Mots-clés : #autobiographie #creationartistique #ecriture #education #enfance #famille #journal #mort #nature #relationenfantparent #ruralité #urbanité #viequotidienne #xxesiecle
par Tristram
le Jeu 14 Mar - 11:20
 
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Sujet: Pierre Bergounioux
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Pete Fromm

Lucy in the Sky

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Chuck, le père de Lucy, est bûcheron et repart de nouveau.
« S’il existait un État plus pauvre que le Montana, j’imagine qu’on y habiterait. Il suit les arbres, c’est tout. »

Lucy, "garçon manqué" de quatorze ans, découvre peu à peu l’amour avec son ami Kenny, et s’aperçoit que le couple fusionnel et plein d’humour de ses parents n’est pas si heureux et stable : sa mère, Mame, travaille à l’insu de son mari, et découche. Lorsque ce dernier est là, c’est un jaloux, qui devient vite violent ; lorsqu’il s’en va, une certaine entente s’établit entre mère et fille (surtout lorsque Tim vient s’ajouter à Kenny, rapprochant le scénario de leurs vies). L’éveil de Lucy à l’amour commence par l’ambivalence du dégoût et de l’irrésistible, d’ailleurs caractéristique de son ressenti tout au long des deux années où on la suivra : contradictions dans son passage de l’enfance à l’âge adulte, alors que ses parents n’y sont pas vraiment parvenus.
« — Waouh. Toi, tu sais parler aux filles. L’amour, c’est comme une envie de pisser, on n’y peut rien. Ça t’a empêché de dormir de formuler ça ? Tu t’es arrêté de penser et après t’as oublié de recommencer ? »

« — Tu sais, à ton âge, je pensais que je traverserais cette période difficile (elle prit une voix grave, digne d’un film d’horreur), l’adolescence, et qu’après je serais de l’autre côté, à la lumière, et qu’à partir de là tout irait comme sur des roulettes. Jusqu’à ce que je sois vieille, en tout cas. Croulante. Jusqu’à ce que le cancer ou autre chose vienne gâcher une journée assez correcte par ailleurs.
— Le cancer, dis-je. Quelle saleté.
— Mais tu sais quoi, Luce ? Ça ne devient pas plus facile après. On avance d’une étape à une autre, et chaque fois ça complique encore ce qu’il y avait avant, ce qui vient après. »

« — Merde, Luce. Ils nous plaquent tous. Je pensais que tu aurais au moins appris ça. Mais là tout de suite, c’est lui qui attend. Il m’attend, Luce. C’est moi qu’il attend. »

Attachante histoire d’une adolescence assez paumée, excellemment dépeinte par Pete Fromm, notamment par les dialogues.

\Mots-clés : #identite #initiatique #jeunesse #relationdecouple #relationenfantparent #ruralité
par Tristram
le Jeu 8 Fév - 11:08
 
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Sujet: Pete Fromm
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Jean Giono

Le Chant du monde

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Antonio, du fleuve (c’est un pêcheur qui vit sur l’île des geais), dit « bouche d’or », et Matelot, de la forêt (un ancien marin devenu bûcheron), partent à la recherche du besson, le dernier fils de ce dernier, parti dans le nord former un radeau de bois. Parvenus en pays Rebeillard, ils secourent une jeune aveugle, Clara « aux yeux de menthe », qui met au monde son fils seule dans la nuit, et la confient à « la mère de la route ». C’est le pays de Maudru, et ses bouviers traquent le besson.
Giono est toujours attentif à la nature.
« L’odeur des mousses se leva de son nid et élargit ses belles ailes d’anis. Une pie craqua en dormant comme une pomme de pin qu’on écrase. Une chouette de coton passa en silence, elle se posa dans le pin, elle alluma ses yeux. »

Ils cheminent vers Villevieille et ses tanneries, avec les malades d’une mystérieuse maladie (on pense à Le hussard sur le toit), et Médéric, le fils de la sœur de Maudru, que le « cheveu-rouge » (le besson) a blessé à mort. Ils retrouvent ce dernier chez monsieur Toussaint, le marchand d’almanachs (le guérisseur), qui est Jérôme, frère bossu de Junie, la femme de Matelot. Le dernier de deux jumeaux s'y est réfugié avec Gina, la fille de Maudru, qu’il a enlevée (et qui est déçue).
Médéric, donc Gina était la promise, meurt ; les Maudru les surveillent. Antonio rêve de Clara, Matelot de la mort qu’il voit comme un grand voilier blanc sur la montagne. Ce dernier meurt poignardé par les bouviers. Le besson et Antonio incendient Puberclaire, résidence de Maudru avec ses étables à taureaux.
Clara retrouvée par Antonio, les deux couples redescendent vers le sud pour y construire une nouvelle vie.
Le personnage du fleuve est sensible lorsqu’Antonio s’y baigne, et aussi lors de la débâcle printanière du renouveau de l’amour.
Ce roman est baigné d’une atmosphère légendaire, accentuée par certains vocables des lieux, et une faune fantastique, comme le congre d’eau douce et les houldres, mais aussi par des obscurités dans les dialogues et les péripéties.
« Il y avait une espèce d’oiseau qu’au pays Rebeillard on appelait les houldres. Ils étaient en jaquette couleur de fer avec une cravate d’or. »

C’est un univers apparemment symbolique, où j’ai reconnu des allusions mythologiques, mais sans qu’il semblât décryptable à la façon d’une parabole : c’est un fusionnement syncrétiste des humains avec les éléments et animaux et vice-versa, de l’homme-fleuve aux oiseaux qui parlent, tous participant d’une source de vie commune.

\Mots-clés : #amitié #amour #famille #jeunesse #merlacriviere #mort #nature #relationenfantparent #ruralité #violence
par Tristram
le Dim 19 Nov - 13:02
 
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Sujet: Jean Giono
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Juan Gabriel Vásquez

Les Dénonciateurs

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Gabriel Santoro, journaliste, a publié il y a trois ans, en 1988, Une vie en exil, biographie de Sara Guterman, une vieille amie juive de la famille qui s’était réfugiée en Colombie en fuyant le nazisme dans les années 1930. Mais ce livre a suscité une vive critique de son père, professeur de rhétorique lui aussi nommé Gabriel Santoro, et ils ne se sont plus fréquentés jusqu’à ce qu’il fasse appel à son fils à l’occasion d’une opération cardiaque. Alors commence sa « seconde vie » : il devient l’amant d’Angelica, une femme plus jeune, mais meurt dans un accident de voiture six mois plus tard, et son fils écrit le livre que nous lisons. Sara raconte à Gabriel ce que son père ne lui a jamais dit, le suicide de Konrad, père d’Enrique/ Heinrich, son ami, qui s’était rebellé contre la langue maternelle, l’allemand, et tout ce qu’elle représentait sous le national-socialisme. Et que Gabriel père a dénoncé Konrad à l’époque.
« Enrique, pour la première fois, a confirmé ce qu’a toujours su ton père : chacun est ce qu’il dit, chacun est comme il le dit. »

Le contexte historique est celui des listes noires de délation et des camps de concentration des Allemands supposés nazis lorsque le président Santos a rompu les relations avec l’Axe fin 1941.
« La sensation qu’il y a un ordre dans le monde. Ou du moins qu’on peut y mettre de l’ordre. Tu prends le chaos d’un hôtel, par exemple, et tu le mets sur une liste. Peu importe si c’est une liste de choses à faire, de clients, d’employés. Elle contient tout ce qui doit être, et si une chose n’y est pas c’est qu’elle ne devait pas y être. Et on respire, on est sûr d’avoir tout fait comme il faut. Un contrôle. C’est ce que tu as avec une liste : un contrôle absolu. La liste commande. Une liste est un univers. Ce qui n’est pas dans la liste n’existe pour personne. »

« Pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qu’on appelait les listes noires du Département d’État des États-Unis avaient pour objectif de bloquer les fonds de l’Axe en Amérique latine. Mais partout, et pas seulement en Colombie, le système a connu des abus, et plus d’une fois des justes ont payé pour des pécheurs. »

Angelica dénonce son amant mort dans une interview, qui voulait rencontrer Enrique pour se faire pardonner de lui et l’aurait abandonnée. Et le fils poursuit son enquête…
Ce roman un peu embrouillé m’a ramentu ceux de Javier Cercas, et notamment L’imposteur que j’ai récemment lu, l’oubli ou pas de la trahison (quitte à trahir en la révélant ?), avec ce même lourd passé qui plombe le présent, qu’on le mette en lumière ou pas.

\Mots-clés : #antisémitisme #culpabilité #deuxiemeguerre #devoirdememoire #exil #historique #relationenfantparent #trahison #xxesiecle
par Tristram
le Jeu 2 Nov - 11:26
 
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Sujet: Juan Gabriel Vásquez
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Yu Hua

Le Septième Jour

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Puisqu’il est mort, Yang Fei se rend au funérarium. Il patiente avec les autres défunts, côté chaises en plastique, les VIP ayant droit à des fauteuils (le maire est Deluxe VIP) ; mais comme il est fort pauvre et n’a pas les moyens d’une sépulture, il repart errer dans les rues. Il observe les récriminations des victimes des « expulsions autoritaires », et apprend par le journal que son ex-femme, Li Qing, s’est suicidée parce qu’impliquée dans une affaire de corruption : voilà terminé le premier jour de sa mort (due à une explosion dans un restaurant).
Divorcé, il n’avait pour autre famille dans la ville que son père qui, atteint d’une maladie incurable, était parti pour ne pas être à sa charge (lui avait quitté son emploi et vendu son logement pour le soigner).
Il se souvient comme la séduisante Li Qing, qui travaillait dans les mêmes bureaux que lui, dédaigna les fils de dirigeants qui la courtisaient pour l’épouser, avant de le quitter pour une existence moins minable. Il la retrouve lors de son second jour d’homme mort.
Le troisième jour, il revisite ses origines, comme il fut découvert sur la voie ferrée par un cheminot après sa mise au monde dans les toilettes à la turque d’un train en marche. Son (nouveau) père consacra son existence à la sienne, refusant même de se marier pour pouvoir le garder.
« J’erre à la lisière de la vie et de la mort. La neige est lumineuse et la pluie sombre, j’ai l’impression de marcher en même temps dans l’aube et dans le soir. »

Après avoir erré dans ces limbes, il parvient au séjour des morts sans tombe, et y rencontre divers défunts (certains qu’il connaissait de leur vivant), notamment ceux qui, comme lui, portent un brassard noir, c'est-à-dire le deuil d’eux-mêmes faute de proches – tous dans l’attente du repos dans une sépulture.
« Ici errent de tous côtés des silhouettes sans sépulture. Ces formes qui ne peuvent trouver un lieu de repos ressemblent à des arbres en mouvement. Tantôt ce sont des arbres isolés, tantôt des pans de forêt. Je passe au milieu d’eux, comme si je marchais dans un bois dont les arbres ont été coupés de leurs racines. Je guette l’apparition de la voix de mon père, devant, derrière, à gauche, à droite. J’attends l’appel de mon nom. »

À la recherche de son père, Yang Fei le retrouvera qui l’attendait au funérarium, tant il lui manque.

Morts atroces (tels « ces vingt-sept bébés considérés comme des déchets médicaux »), humour macabre, fantastique et merveilleux, mélancolie onirique et douceur poétique, dénonciations politiques et sociales, émotion et pathétique aussi et surtout (la petite fille dont les parents sont ensevelis dans leur logement rasé, le suicide de Souricette), ce roman ne m’a pas vraiment convaincu, malgré la belle relation père-fils.
« Nous marchons dans ce silence qui s’appelle la mort. Nous ne parlons plus car notre mémoire n’avance plus. C’est une mémoire coupée du monde, faite de fragments disparates, à la fois vide et réelle. Je sens à mes côtés la marche muette de cette femme qui semble perdue et je soupire sur la tristesse de ce monde enfui. »


\Mots-clés : #mort #relationenfantparent
par Tristram
le Ven 13 Oct - 12:17
 
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Sujet: Yu Hua
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Louise Erdrich

Love Medicine

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Comme dans tout roman choral, il est difficile au lecteur de mémoriser les nombreux personnages (et ce malgré la présence d’une sorte d’arbre généalogique assez peu clair) – et encore plus difficile d’en rendre compte. De plus, il y a deux Nector, deux King, deux Henry… Mais ce mixte chaotique et profus d’enfants et de liaisons de parenté (avec ou sans mariage, catholique ou pas) est certainement volontaire chez Louise Erdrich.
À travers les interactions des membres de deux (ou trois) familles ayant des racines remontant jusqu’à six générations, c’est l’existence des Indiens de nos jours dans une réserve du Dakota du Nord qui est exposée, avec les drames de l’alcoolisme, du chômage, de la misère, de la prison, de la guerre du Vietnam, du désarroi entre Dieu, le Très-bas et les Manitous (Marie Lazarre Kashpaw) et la pure superstition (Lipsha Morrissey). C’est également une grande diversité d’attitudes individuelles, épisodes marquants de la vie des personnages présentés par eux-mêmes (tout en restant profondément rattachés à leurs histoires familiales et tribales). "Galerie de portraits hauts en couleur", ce poncif caractérise pourtant excellemment cette "fresque pittoresque"…
Ainsi, Moses Pillager, qui était nourrisson lors d’une épidémie :
« Ne voulant pas perdre son fils, elle décida de tromper les esprits en prétendant que Moses était déjà mort, un fantôme. Elle chanta son chant funèbre, bâtit sa tombe, déposa sur le sol la nourriture destinée aux esprits, lui enfila ses habits à l’envers. Sa famille parlait par-dessus sa tête. Personne ne prononçait jamais son vrai nom. Personne ne le voyait. Il était invisible, et il survécut. »

Moses devint windigo, se retira seul sur une île avec des chats, portant toujours ses habits à l’envers et marchant à reculons…
La joyeuse et vorace Lulu Nanapush Lamartine, qu’on pourrait désigner comme une femme facile, qui fait entrer « la beauté du monde » en elle avec constance et élève une ribambelle d’enfants, forme comme un pendant de Marie, opposition en miroir, et ces deux fortes personnalités font une image des femmes globalement plus puissante que celle des hommes.
« Elle déplia une courtepointe coupée et cousue dans des vêtements de laine trop déchirés pour être raccommodés. Chaque carré était maintenu en place avec un bout de fil noué. La courtepointe était marron, jaune moutarde, de tous les tons de vert. En la regardant, Marie reconnut le premier manteau qu’elle avait acheté à Gordie, une tache pâle, gris dur, et la couverture qu’il avait rapportée de l’armée. Il y avait l’écossais de la veste de son mari. Une grosse chemise. Une couverture de bébé à demi réduite en dentelle par les mites. Deux vieilles jambes de pantalon bleues. »

La situation tragique d’un peuple vaincu et en voie de déculturation reste bien sûr le thème nodal de ces destins croisés.
« Pour commencer, ils vous donnaient des terres qui ne valaient rien et puis ils vous les retiraient de sous les pieds. Ils vous prenaient vos gosses et leur fourraient la langue anglaise dans la bouche. Ils envoyaient votre frère en enfer, et vous le réexpédiaient totalement frit. Ils vous vendaient de la gnôle en échange de fourrures, et puis vous disaient de ne pas picoler. »

Dès ce premier roman, Louise Erdrich maîtrise l’art de la narration, tant en composition que dans le style, riche d’aperçus métaphoriques comme descriptifs. La traduction m’a paru bancale par endroits.

\Mots-clés : #amérindiens #discrimination #famille #identite #minoriteethnique #relationenfantparent #romanchoral #ruralité #social #temoignage #traditions #xxesiecle
par Tristram
le Mer 20 Sep - 12:12
 
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Sujet: Louise Erdrich
Réponses: 37
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David Lodge

Nouvelles du paradis

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Bernard Walsh, prêtre défroqué et théologien (et aussi le narrateur, notamment lorsqu’il tient un journal, mais pas toujours), emmène son père de Rummidge (le Birmingham de Lodge – à rapprocher de celui de Coe ?) à Honolulu pour y rencontrer Ursula, la sœur de son père, avec qui ce dernier est en froid depuis son départ aux USA, suite à son mariage avec un GI : elle se meurt d’un cancer. À peine arrivés, « papa », individu assez pénible par ailleurs, se casse la hanche, renversé par la voiture de Yolande Miller alors qu’il traversait en regardant à gauche (travers britannique).
C’est l’occasion d’observer les voyages en avion (livre paru en 1991, et ça ne s’est pas amélioré) et le tourisme (là aussi c’est devenu pire), vu comme un rituel remplaçant la religion dans la quête du paradis selon Roger Sheldrake, un anthropologue qui se rend aux îles Hawaï afin de poursuivre ses recherches. C’est de nouveau Un tout petit monde, le microcosme des clients de Travelwise Tours à Waikiki (une jolie collection de personnages vus avec un œil satirique, comme la fille qui cherche tout au long de ses vacances « le Mec Bien »). Il y a aussi un point de vue anglais sur le système américain (carence des assurances sociales pour ceux qui n’ont pas beaucoup d’argent, pratique répandue des poursuites en justice par cupidité).
« Les Américains ont l’air d’adorer manger en marchant, comme les troupeaux qui pâturent. »

C’est encore l’opportunité de parler de ces îles loin de tout.
« Le paradis est ennuyeux, mais vous n’avez pas le droit de le dire. »

« L’histoire d’Hawaii est l’histoire d’une perte.
— Le paradis perdu ? ai-je demandé.
— Le paradis volé. Le paradis violé. Le paradis pourri. Le paradis acheté, développé, mis en paquets, le paradis vendu. »

« Les visiteurs défilaient le long des avenues Kalakaua et Kuhio en un va-et-vient incessant avec leurs T-shirts fantaisie, leurs bermudas et leurs petites poches de marsupiaux ; le soleil brillait et les palmiers se balançaient au gré des alizés, les notes nasillardes des guitares hawaiiennes s’échappaient des boutiques, et les visages avaient l’air assez sereins, mais, dans les yeux de chacun, on semblait lire cette question à demi formulée : bon, tout cela est charmant, mais c’est tout ce qu’il y a ? C’est vraiment tout ? »

Il est surtout question d’aborder la foi (et sa perte).
« On cesse de croire à une idée qui nous est chère bien avant de l’admettre au fond de soi. Certains ne l’admettent jamais. »

« Point n’est besoin d’aller très loin dans la philosophie de la religion pour découvrir qu’il est impossible de prouver qu’une proposition religieuse est juste ou fausse. Pour les rationalistes, les matérialistes, les positivistes, etc., c’est une raison suffisante pour refuser de considérer sérieusement le sujet dans sa totalité. Mais pour les croyants, un Dieu dont il n’est pas possible de prouver l’existence vaut bien un Dieu dont l’existence est avérée et vaut manifestement mieux que l’absence totale de Dieu, puisque sans Dieu il n’y a aucune réponse satisfaisante aux sempiternels problèmes du mal, du malheur, de la mort. La circularité du discours théologique qui utilise la révélation pour appréhender un Dieu dont on ne dispose d’aucune preuve de l’existence en dehors de la révélation (que Saint-Thomas d’Aquin repose en paix !) ne dérange pas le croyant, car le fait de croire n’entre pas en ligne de compte dans le jeu théologique, c’est l’arène dans laquelle se joue le jeu théologique. »

« La Bonne Nouvelle est celle qui annonce la vie éternelle, le paradis. Pour mes paroissiens, j’étais une sorte d’agent de voyages qui distribuait des billets, des contrats d’assurances, des brochures et leur garantissait le bonheur ultime. »

Le point de vue de Bernard permet à Lodge de présenter l’évolution au sein du christianisme, qui abandonne la croyance en la vie éternelle au paradis (ou en enfer) pour laisser la place à une sorte d’humanisme sur terre.
« Bien sûr, il y a encore beaucoup de chrétiens qui croient avec ferveur, même avec fanatisme, en un au-delà anthropomorphique, et il y en a encore beaucoup d’autres qui aimeraient y croire. Et il ne manque pas de pasteurs chrétiens pour les encourager dans ce sens avec chaleur, parfois avec sincérité, parfois aussi, comme les télévangélistes américains, pour des motifs plus douteux. Le fondamentalisme a profité précisément pour se développer du scepticisme eschatologique que véhiculait la théologie instituée, si bien que les formes du christianisme qui sont de nos jours les plus actives et les plus populaires sont aussi les plus indigentes sur le plan intellectuel. Cela semble être vrai pour d’autres grandes religions du monde. »

Ce roman mêle donc des aspects sociologique, géographique, historique, religieux, métaphysique, tout cela relevé d’humour et d'intertextualité (renvois notamment à des artistes anglais, comme W.B. Yeats).

\Mots-clés : #contemporain #fratrie #lieu #relationenfantparent #religion #social #spiritualité #voyage #xxesiecle
par Tristram
le Mer 30 Aoû - 15:59
 
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Jonathan Coe

Le Cœur de l'Angleterre

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Troisième et dernier tome de la trilogie Les Enfants de Longbridge (paru bien après Bienvenue au club et Le Cercle fermé), sur la famille Trotter dans la seconde moitié du XXe, et ici au début du XXIe.
2010, le racisme est patent sous le couvert de la société multiculturelle épanouie. Août 2011 : émeutes et pillages de jeunes (la fracture est aussi générationnelle).
« On apercevait bien quelques émeutiers blancs et quelques policiers noirs, mais le face-à-face donnait l’impression écrasante d’un conflit racial. »

Le gouvernement considère qu’il s’agit de « débordements criminels, pas politiques ».
« Mais regardez plutôt comment ça a commencé. La police a abattu un Noir et refusé de communiquer avec sa famille sur les circonstances de sa mort. Une foule s’est rassemblée devant le commissariat pour protester et les choses ont tourné à l’aigre. Ce qui est en cause c’est le problème racial et les relations de pouvoir au sein de la communauté. Les gens se sentent victimes. On ne les écoute pas. »

Comme de coutume dans cette trilogie, Coe nous entraîne dans les arcanes de la politique (notamment grâce à Doug, journaliste positionné à gauche, qui semble porter l’opinion de Coe) ; mais on aborde aussi, avec le personnage de Sophie, le milieu universitaire, « cette manie de se polariser sur un sujet jusqu’à l’obsession en ignorant superbement le reste du monde », et celui de l’édition avec Philip et Benjamin.
Après la crise de 2008, David Cameron mène une politique d’austérité, et initie le référendum qui conduira au Brexit ; il recourt au nationalisme, mais la peur de l’immigration est prépondérante ; la désindustrialisation est passée par là. Et arrive Boris Johnson…
« Pourquoi est-ce que les journalistes aiment tant les questions hypothétiques ? Et qu’est-ce qui se passe si vous perdez ? Et qu’est-ce qui se passe si on quitte l’UE ? Qu’est-ce qui se passe si Donald Trump est élu président ? Vous vivez dans un monde imaginaire, vous autres. »

« Les gens vont voter comme ils votent toujours, c’est-à-dire avec leurs tripes. Cette campagne va se gagner avec des slogans, des accroches, à l’instinct et à l’émotion. Sans parler des préjugés [… »

Entretemps, Benjamin connaît un certain succès avec la publication du roman extrait de son énorme manuscrit, roman qui reprend son histoire avec Cicely (qui est partie seule en Australie soigner sa sclérose en plaques).
Côté social, le politiquement correct est présenté comme la cible de conservateurs âgés que rebutent la société multiculturelle ; en contrepoint est présenté le cas de Sophie, suspendue (et jetée en pâture aux réseaux sociaux) car (injustement) accusée de discrimination genrée par Coriandre, l’hargneuse fille de Doug.
Les retrouvailles de Benjamin et Charlie Chappell, clown pour goûters d’enfants en conflit avec son rival Duncan Field, sont l’occasion pour Coe de réitérer sa conception du destin :
« Benjamin comprenait qu’il voyait la vie comme une succession d’aléas qu’on ne pouvait ni prévenir ni maîtriser, si bien qu’il ne restait plus qu’à les accepter et tâcher d’en tirer parti autant que faire se pouvait. C’était une saine conception des choses mais qu’il n’avait jamais réussi à faire tout à fait sienne, pour sa part. »

C’est surtout la nostalgie et la désillusion qui percent dans cet après-Brexit, marqué par un exil en Europe pour quelques Trotter cherchant à échapper au passé.

\Mots-clés : #contemporain #famille #historique #nostalgie #politique #relationenfantparent #romanchoral #social #xxesiecle
par Tristram
le Ven 25 Aoû - 17:27
 
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Philip Roth

Indignation

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Étudiant pendant la guerre de Corée, le narrateur, Marcus Messner, a du mal à tenir à distance son père, un boucher kasher qui s’inquiète pour lui alors qu’il est sage et bûcheur : il quitte Newark pour l’Ohio. Motivé pour quitter la boucherie, il l’est aussi par le spectre de la conscription.
Il a dix-huit ans, et mourra à dix-neuf ; pour le moment, il découvre le sexe :
« Même maintenant (si « maintenant » peut encore vouloir dire quelque chose), au-delà de l’existence corporelle, vivant comme je le suis ici (si « ici » ou « je » veulent dire quelque chose), n’étant rien d’autre que mémoire (si « mémoire », à proprement parler, est ce milieu qui englobe tout et d’où mon « moi » tire sa subsistance), je continue à m’interroger sur les actions d’Olivia. Est-ce à cela que ça sert, l’éternité, à ruminer les menus détails de toute une vie ? Qui aurait pu imaginer qu’il faudrait se souvenir à jamais de chaque moment de sa vie jusque dans les moindres particularités ? Ou se peut-il que ce soit seulement le cas pour cette vie dans l’au-delà qui est la mienne, et que, tout comme chaque vie est unique, chaque vie dans l’au-delà le soit également, chacune étant comme l’empreinte digitale impérissable d’une vie dans l’au-delà différente de toutes les autres ? Je n’ai aucun moyen de le dire. Comme dans la vie, je connais seulement ce qui est et, dans la mort, ce qui est équivaut à ce qui fut. »

Olivia, de parents divorcés, a déjà tenté de se suicider, et paraît instable. Sans surprise, Roth dépeint sans fard le désarroi libidinal des jeunes gens soumis à la continence.
Juif athée, il est indigné par les sermons chrétiens assénés d’office « au cœur de l’Amérique profonde » (le Middle West, très traditionnel). Il est recadré par le doyen (intégriste) pour son manque d’intégration (lors d’un entretien où il cite Bertrand Russell).
Son père, de plus en plus catastrophiste (voire paranoïaque), est devenu irascible, et sa mère veut divorcer ; mais cette femme forte revient sur sa décision, si Marcus renonce à Olivia.
Rapprochement de l’abattage kasher des poulets et de la tentative de suicide d’Olivia :
« Ce que je veux dire, c’est ceci : que c’est cela qu’Olivia avait cherché à faire, se tuer selon les prescriptions kasher, en se vidant de son sang. Si elle avait réussi, si elle avait habilement mené sa tâche à bien d’un seul coup tranchant de la lame, elle se serait rendue kasher conformément à la loi rabbinique. La cicatrice révélatrice d’Olivia venait de sa tentative de meurtre rituel appliqué à elle-même. »

Olivia s’en va, victime de dépression ; Marcus, qui avait accepté d’être subrepticement remplacé aux offices obligatoires, sera renvoyé et perdra définitivement conscience dans le bain de sang coréen. Ce jeune homme qui avait et faisait tout pour réussir aura ce destin absurde pour n’avoir pas su « fermer sa grande gueule ».
Ce bref roman magistralement écrit est aussi parfaitement athée et anticlérical.

\Mots-clés : #guerre #jeunesse #relationenfantparent #religion #sexualité #social #xxesiecle
par Tristram
le Mer 23 Aoû - 12:17
 
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Kossi Efoui

Une magie ordinaire

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À l’annonce de l’hospitalisation de sa mère à Lomé, qu’il a quitté pour la France en tant que réfugié politique voici vingt ans, Kossi, qui a maintenant lui-même des enfants, se souvient de cette mère qui lui a apprit ses fondamentaux, comme la traduction de l’ewe en français et réciproquement, soit un pont entre les deux mondes, celui des colonisateurs et celui de ses origines. Il retrace en fait toute son enfance dans un milieu pauvre, et l’importance des livres pour lui. Venu à la poésie grâce notamment à Baudelaire, il est aussi manifestement imprégné de ses études de philosophie.
« « Aimez-vous les uns les autres », dit Jésus. Quand on sait que l’impératif du verbe « aimer » est une impossibilité en soi, il n’y a pas de religion de l’amour qui ne soit pur délire. Comme il n’y a pas de volonté de changer le monde qui ne procède d’un trouble de la personnalité et du jugement, puisque ce n’est pas le monde qui a besoin d’être changé ni d’être sauvé, mais les hommes qui ont besoin, chacun, de se soigner. »

Ce livre m'a plu, et pas seulement parce qu’il m’a ramentu ce pays aux frontières artificielles qui séparent un peuple en trois, celui aussi des arbres sacrés et des vivantes veillées funèbres : j’ai été fort sensible à ses gens, et c’est encore le cas avec cet auteur.

\Mots-clés : #autobiographie #enfance #exil #relationenfantparent #temoignage
par Tristram
le Lun 14 Aoû - 13:16
 
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Marcel Jouhandeau

La Jeunesse de Théophile – Histoire ironique et mystique

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Théophile Brinchanteau naît avec un bec-de-lièvre vers la fin du XIXe dans une petite ville de province. Enfance saturée de religion, surtout sous l’autorité aimante de tante Ursule, demeurée demoiselle.
« Théophile ne parlait jamais avec les siens pour parler. On ne savait pas chez lui prendre son plaisir aux paroles. Les gens du peuple ne parlent que pour nuire ou être utiles. »

Belle page sur la dentelle de tante Ursule :
« Toute la vie de famille et la vie intérieure de tante Ursule y était représentée. Aucun événement joyeux ou malheureux qui n’eût son souvenir de dentelle dans le livre endormi sous un triple fermoir de rubans. La mystique et l’élégance des cinquante dernières années de la paroisse s’y résumaient en images subtiles. Renaissance, Richelieu, Cluny, Vosges, Angleterre, — la géographie et l’histoire du monde y avaient leur part. »

À sa mort, c’est une galerie hallucinée de portraits champêtres, des fous parmi les fantômes.
« Tante Ursule avait essayé de donner à l’enfant l’exemple de n’être ému par rien ni personne. Le travail quotidien et le souci d’un avenir doré suspendu à la chaîne fragile de toutes les heures de la vie, un instant de repos chaque jour dans un jardin minuscule devaient garder Théophile de tout étonnement, de la curiosité, du trouble. Heureusement les folles et les fous d’alentour se levèrent-ils pour fermer les yeux des idoles et pour éveiller sa raison. Dès lors, la courte philosophie de tante Ursule ne lui suffit plus. »

Jeanne, qui fut carmélite (et l’aime), lui fait connaître la nature et Dieu, passage (de nouveau assez onirique) de « son adolescence pieuse et craintive, casanière de l’habitude atavique et mal propre à l’aventure. »
Lorsqu’il obtient une chambre à soi, lui qui « se sentait différent de toute sa ville », Théophile, plutôt introverti, angoissé et passif, devient de plus en plus mystique, collectionnant avec enthousiasme les statuettes de la Vierge.
« Il retrouvait dans ses propres yeux le regard de Raphaël ou de Murillo pour dénaturer en beauté la laideur vulgaire des images de femme que lui vendait la sacristine de sa paroisse. »

Vu de sa fenêtre, d’entre ses jolis rideaux, son père (qu’il n’aime pas), et une voisine :
« Au pied de la tour, sur un angle cimenté, le boucher, vêtu de linges blancs, armé d’un grand couteau et suivi de deux acolytes venait immoler des moutons et des chevreaux. Leur bêlement s’exhalait avec la vie. Avant de mourir, ils évoquaient au fond de la cour l’odeur de l’étable où ils étaient nés, les champs où ils avaient couru parmi la bruyère et le thym, tous les paysages de la terre que garde un pasteur. Le berger apparaissait en larmes, penché sur un ruisseau de sang. »

« Quand elle voulait prendre l’air ou s’exposer l’été au soleil, elle soulevait ses seins sur ses deux bras nus et les déposait lentement sur la pierre de l’accoudoir. Sa gorge était nue comme ses bras. Seule, une toile blanche, épaisse, bordée de dentelle, voilait la poitrine dont on aurait eu peur. »

Long exposé des messes pascales, rites fastueux d’une dévotion catholique encore éblouissante en ce début du XXe.
Une pieuse et dominatrice dame du monde, madame Alban, sépare Théophile de son amie Jeanne, et le prépare à la Perfection, c'est-à-dire qu’elle l’accapare de façon ambigüe sous couvert de le faire étudier, lui qui se destine (apparemment) au sacerdoce – mais saura-t-il enfin assumer son prénom ?
Ce roman largement inspiré de la biographie de l’auteur ne m’a guère plu, dans le fond comme la forme, assez mièvres ; dans ses meilleurs moments, il m’a ramentu Huysmans.

\Mots-clés : #autobiographie #enfance #initiatique #jeunesse #relationenfantparent #religion
par Tristram
le Ven 11 Aoû - 12:42
 
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John Barth

Le Courtier en tabac

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J'ai enfin lu ces 770 pages, mais en sors un peu déçu.
Dans l’Angleterre de la fin du XVIIe, Burlingame, le précepteur des jumeaux Ebenezer et Anna Cooke, fut très jeune marin au long cours et ambulant avec les bohémiens, puis fréquenta Henry More et Newton. Il donne une éducation hétéroclite à Ebenezer, qui est surtout indécis et indolent (et idéaliste et vaniteux), et se présente comme « vierge et poète ». Ebenezer, nommé lauréat par Lord Baltimore et amoureux de la putain Joan Toast, retourne au Maryland où il est né, à Malden, terre de son père pionnier. Il devait être accompagné par Burlingame, qui s’entremet dans les intrigues et rivalités de cette possession anglaise, à la recherche de ses origines dans cette contrée où il fut abandonné très jeune. C’est en fait Bertrand, le valet d’Ebenezer, qui accompagne ce dernier dans la traversée, se faisant passer pour lui dans une cascade de quiproquos et rebondissements. C’est fort rocambolesque, et l’écart est grand entre la réalité prosaïque et les aspirations d’Ebenezer, entre le vieux monde et la nouvelle terre, mais moins entre innocence et ignorance.
John Barth se réclame de la littérature du XVIIIe et tout particulièrement de Fielding dans cette « fantaisie », et celle-ci renvoie surtout à Butler (l’hudibrastique »).
La longueur du récit elle-même, ses « circuits » (détours), « écarts » (déviations, digressions, tels les commentaires) et ramifications embrouillées (tout particulièrement juridiques), la restitution détaillée de l’Histoire (notamment l’affrontement catholiques et protestants) et de l’époque jusque dans le langage et même la vêture (apparemment très bien rendus par le traducteur, Claro, quoiqu’il employât « ramenteva » pour « ramentut »), caractérisent les intérêts de cet « à la manière de », roman à tiroirs, picaresque, d'aventures et d'apprentissage XVIIIe, qui autrement s’avère assez vain. Outre ses fastidieuses circonlocutions de pensum, l’humour scabreux et scatologique m’a semblé sordide et complaisant, malgré la référence à Rabelais, qui ne me l’a jamais paru. Et le pastiche n’atteint pas au Nom de la rose d’Eco, entr'autres réactualisations de ces beau style et tour de pensée.
« Mais dans son cœur, la mort et toutes ses semblables anticipations étaient pour Ebenezer comme la vie, l’histoire et la géographie, lesquelles, de par son éducation et ses dispositions naturelles, il regardait toujours du point de vue du narrateur ; il en connaissait abstraitement la finalité ; il en goûtait indirectement l’horreur ; mais il ne pouvait jamais en éprouver les deux ensemble. Ces vies sont des histoires, admettait-il ; ces histoires ont une fin, reconnaissait-il – comment sinon en pourrait-on débuter une autre ? Mais que le conteur lui-même puisse vivre un conte propre et mourir… Inconcevable ! Inconcevable ! »

Je pense qu'il y a un rapprochement possible avec le Pynchon de Mason & Dixon, mais assez distant.

\Mots-clés : #aventure #colonisation #esclavage #historique #initiatique #prostitution #relationenfantparent #religion #voyage
par Tristram
le Jeu 3 Aoû - 13:17
 
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Jean-Marie Blas de Roblès

Dans l'épaisseur de la chair

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Le roman commence par un passage qui développe heureusement la superstition des marins, ici des pêcheurs à la palangrotte sur un pointu méditerranéen, Manuel Cortès, plus de quatre-vingt-dix ans, et son fils, le narrateur. Ce dernier veut recueillir les souvenirs paternels pour en faire un livre. Et c’est accroché au plat-bord de l’embarcation dont il est tombé, seul en mer, qu’il commence le récit de la famille, des Espagnols ayant immigré au XIXe en Algérie pour fuir sécheresse et misère : des pieds-noirs :
« Le problème est d’autant plus complexe que pas un seul des Européens qui ont peuplé l’Algérie ne s’est jamais nommé ainsi. Il faut attendre les derniers mois de la guerre d’indépendance pour que le terme apparaisse, d’abord en France pour stigmatiser l’attitude des colons face aux indigènes, puis comme étendard de détresse pour les rapatriés. Il en va des pieds-noirs comme des Byzantins, ils n’ont existé en tant que tels qu’une fois leur monde disparu. »

À Bel-Abbès, ou « Biscuit-ville », Juan est le père de Manuel, antisémite comme en Espagne après la Reconquista, et « n’ayant que des amis juifs »… Ce sont bientôt les premiers pogroms, et la montée du fascisme à l’époque de Franco, Mussolini et Hitler.
« En Algérie, comme ailleurs, le fascisme avait réussi à scinder la population en deux camps farouchement opposés. »

« Le Petit Oranais, journal destiné "à tous les aryens de l’Europe et de l’univers", venait d’être condamné par les tribunaux à retirer sa manchette permanente depuis 1930, un appel au meurtre inspiré de Martin Luther : "Il faut mettre le soufre, la poix, et s’il se peut le feu de l’enfer aux synagogues et aux écoles juives, détruire les maisons des Juifs, s’emparer de leurs capitaux et les chasser en pleine campagne comme des chiens enragés." On remplaça sans problème cette diatribe par une simple croix gammée, et le journal augmenta ses ventes. »

Est évoquée toute l’Histoire depuis la conquête française, qui suit le modèle romain.
« Bugeaud l’a clamé sur tous les tons sans être entendu : "Il n’est pas dans la nature d’un peuple guerrier, fanatique et constitué comme le sont les Arabes, de se résigner en peu de temps à la domination chrétienne. Les indigènes chercheront souvent à secouer le joug, comme ils l’ont fait sous tous les conquérants qui nous ont précédés. Leur antipathie pour nous et notre religion durera des siècles." »

« Cela peut sembler incroyable aujourd’hui, et pourtant c’est ainsi que les choses sont advenues : les militaires français ont conquis l’Algérie dans une nébulosité romaine, oubliant que le songe où ils se coulaient finirait, comme toujours, et comme c’était écrit noir sur blanc dans les livres qui les guidaient, par se transformer en épouvante. D’emblée, et par admiration pour ceux-là mêmes qui avaient conquis la Gaule et gommé si âprement la singularité de ses innombrables tribus, les Français ont effacé celle de leurs adversaires : ils n’ont pas combattu des Ouled Brahim, des Ouled N’har, des Beni Ameur, des Beni Menasser, des Beni Raten, des Beni Snassen, des Bou’aïch, des Flissa, des Gharaba, des Hachem, des Hadjoutes, des El Ouffia, des Ouled Nail, des Ouled Riah, des Zaouaoua, des Ouled Kosseir, des Awrigh, mais des fantômes de Numides, de Gétules, de Maures et de Carthaginois. Des indigènes, des autochtones, des sauvages. »

« Impossible d’en sortir, tant que ne seront pas détruites les machines infernales qui entretiennent ces répétitions. »

Dans l’Histoire plus récente, le régime de Vichy « réserva les emplois de la fonction publique aux seuls Français "nés de père français" », et fit « réexaminer toutes les naturalisations d’étrangers, avec menace d’invalider celles qui ne seraient pas conformes aux intérêts de la France. Ces dispositions, qui visaient surtout les Juifs sans les nommer, impliquaient l’interdiction de poursuivre des études universitaires. »
« Exclu du lycée Lamoricière, André Bénichou, le professeur de philo de Manuel, en fut réduit à créer un cours privé dans son appartement. C’est à cette occasion qu’il recruta Albert Camus, lui-même écarté de l’enseignement public à cause de sa tuberculose. Et je comprends mieux, tout à coup, pourquoi l’enfant de Mondovi, coincé à Oran, s’y était mis à écrire La Peste. »

Manuel se tourne vers la pharmacie, puis la médecine, s’engage pendant la Seconde Guerre, et devient chirurgien dans un tabor de goumiers du corps expéditionnaire français en Campanie.
« Sur le moment, j’aurais préféré l’entendre dire qu’il avait choisi la guerre « pour délivrer la France » ou « combattre le nazisme ». Mais non. Il s’était presque fâché de mon insistance : Je n’ai jamais songé à délivrer qui que ce soit, ni ressenti d’animosité particulière contre les Allemands ou les Italiens. Pour moi, c’était l’aventure et la haine des pétainistes, point final. »

« Quand le tabor se déplaçait d’un lieu de bataille à un autre, les goumiers transportaient en convoi ce qu’ils avaient volé dans les fermes environnantes, moutons et chèvres surtout, et à dos de mulet la quincaillerie de chandeliers et de ciboires qu’ils pensaient pouvoir ramener chez eux. Ils n’avançaient que chargés de leurs trophées, dans un désordre brinquebalant et coloré d’armée antique. […]
Les autorités militaires offrant cinq cents francs par prisonnier capturé, les goumiers s’en firent une spécialité. Et comme certains GI ne rechignaient pas à les leur racheter au prix fort pour s’attribuer l’honneur d’un fait d’armes, il y eut même une bourse clandestine avec valeurs et cotations selon le grade des captifs : un capitaine ou un Oberstleutnant rapportait près de deux mille francs à son heureux tuteur ! »

« Officiellement, la circulaire d’avril 1943 du général Bradley était très explicite sur ce point : pour maintenir le moral de l’armée il ne fallait plus parler de troubles psychologiques, ni même de shell shock, la mystérieuse « obusite » des tranchées, mais d’« épuisement ». Dans l’armée française, c’était beaucoup plus simple : faute de service psychiatrique – le premier n’apparaîtrait que durant la bataille des Vosges – il n’y avait aucun cas recensé de traumatisme neurologique. Des suicidés, des mutilations volontaires, oui, bien sûr, des désertions, des simulateurs, des bons à rien de tirailleurs ou de goumiers paralysés par les djnouns, incapables de courage physique et moral, ça arrivait régulièrement, des couards qu’il fallait bien passer par les armes lorsqu’ils refusaient de retourner au combat, mais des cinglés, jamais. Pas chez nous. Pas chez des Français qui avaient à reconquérir l’honneur perdu lors de la débâcle.
Mon père m’a raconté l’histoire d’un sous-officier qu’il avait vu se mettre à courir vers l’arrière au début d’une attaque et ne s’était plus arrêté durant des kilomètres, jusqu’à se réfugier à Naples où on l’avait retrouvé deux semaines plus tard. Et de ceux-là, aussi, faisant les morts comme des cafards au premier coup d’obus. J’ai pour ces derniers une grande compassion, tant je retrouve l’attitude qui m’est la plus naturelle dans mes cauchemars de fin du monde. Faire le mort, quitte à se barbouiller le visage du sang d’un autre, et attendre, attendre que ça passe et ce moment où l’on se relèvera vivant, quels que soient les comptes à rendre par la suite.
Sommes-nous si peu à détester la guerre, au lieu de secrètement la désirer ? »

S’accrochant toujours à sa barque, le narrateur médite.
« Dès qu’on se mêle de raconter, le réel se plie aux exigences de la langue : il n’est qu’une pure fiction que l’écriture invente et recompose. »

Heidegger, le perroquet que le narrateur a laissé au Brésil et devenu « une sorte de conscience extérieure qui me dirait des choses tout en dedans », renvoie à Là où les tigres sont chez eux.
« Heidegger a beau dire qu’il s’agit d’une coïncidence dénuée d’intérêt, je ne peux m’empêcher d’en éprouver un vertige désagréable, celui d’un temps circulaire, itératif, où reviendraient à intervalles fixes les mêmes fulgurances, les mêmes conjonctures énigmatiques. »

Ayant suivi des cours de philosophie (tout comme Manuel qui « s’inscrivit en philosophie à la fac d’Alger »), Blas de Roblès cite Wole Soyinka (sans le nommer) :
« Le tigre ne proclame pas sa tigritude, soupire Heidegger, il fonce sur sa proie et la dévore. »

En contrepartie de leur courage de combattants, les troupes coloniales commettent de nombreuses exactions, du pillage aux violences sur les civils.
« Plus qu’une sordide décompensation de soldats épargnés par la mort, le viol a toujours été une véritable arme de guerre. »

Le roman est fort digressif (d’ailleurs la citation liminaire est de Sterne). Le narrateur qui marine et s’épuise évoque des jeux d’échecs, fait de curieux projets, met en cause Vasarely…
Après la bataille du monastère de Monte Cassino, la troupe suit le « bellâtre de Marigny » (Jean de Lattre de Tassigny) dans le débarquement en Provence, puis c’est la bataille des Vosges, et l’Ardenne.
À propos du film Indigènes, différent sur l’interprétation des faits.
À peine l’Allemagne a-t-elle capitulé, Manuel est envoyé avec la Légion et les spahis qui répriment une insurrection à Sétif, « un vrai massacre » qui tourne vite à l’expédition punitive (une centaine de morts chez les Européens, plusieurs milliers chez les indigènes). Blessé, il part suivre ses études de médecine à Paris, puis se marie par amour avec une Espagnole pauvre, mésalliance à l’encontre de l’entre-soi de mise dans les différentes communautés.
« Les « indigènes », au vrai, c’était comme les oiseaux dans le film d’Alfred Hitchcock, ils faisaient partie du paysage. »

« Après Sétif, la tragédie n’a plus qu’à débiter les strophes et antistrophes du malheur. Une mécanique fatale, avec ses assassinats, ses trahisons, ses dilemmes insensés, sa longue chaîne de souffrances et de ressentiment. »

Les attentats du FLN commencent comme naît Thomas, le narrateur, qui aborde ses souvenirs d’enfance.
« …] le portrait que je trace de mon père en me fiant au seul recours de ma mémoire est moins fidèle, je m’en aperçois, moins réel que les fictions inventées ou reconstruites pour rendre compte de sa vie avant ma naissance. »

OAS et fellaghas divisent irréconciliablement Arabes et colons. De Gaulle parvient au pouvoir, et tout le monde croit encore que la situation va s’arranger, jusqu’à l’évacuation, l’exode, l’exil. Mauvais accueil en métropole, et reconstruction d’une vie brisée, Manuel devant renoncer à la chirurgie pour être médecin généraliste.
Histoire étonnante des cartes d’Opicino de Canistris :
« À la question « qui suis-je ? », qui sum ego, il répond tu es egoceros, la bête à corne, le bouc libidineux, le rhinocéros de toi-même.
Il n’est pas fou, il me ressemble comme deux gouttes d’eau ; il nous ressemble à tous, encombrés que nous sommes de nos frayeurs intimes et du combat que nous menons contre l’absurdité de vivre. »

Regret d’une colonisation ratée…
« Ce qu’il veut dire, je crois, c’est qu’il y aurait eu là-bas une chance de réussir quelque chose comme la romanisation de la Gaule, ou l’européanisation de l’Amérique du Nord, et que les gouvernements français l’avaient ratée. Par manque d’humanisme, de démocratie, de vision égalitaire, par manque d’intelligence, surtout, et parce qu’ils étaient l’émanation constante des « vrais colons » – douze mille en 1957, parmi lesquels trois cents riches et une dizaine plus riches à eux dix que tous les autres ensemble – dont la rapacité n’avait d’égal que le mépris absolu des indigènes et des petits Blancs qu’ils utilisaient comme main-d’œuvre pour leurs profits. »

… mais :
« Si les indigènes musulmans ont été les Indiens de la France, ce sont des Indiens qui auraient finalement, heureusement, et contre toute attente, repoussé à la mer leurs agresseurs.
Un western inversé, en somme, bien difficile à regarder jusqu’à la fin pour des Européens habitués à contempler en Technicolor la mythologie de leur seule domination. »

« La France s’est dédouanée de l’Algérie française en fustigeant ceux-là mêmes qui ont essayé tant bien que mal de faire exister cette chimère. Les pieds-noirs sont les boucs émissaires du forfait colonialiste.
Manuel ne voit pas, si profonde est la blessure, que ce poison terrasse à la fois ceux qui l’absorbent et ceux qui l’administrent. La meule a tourné d’un cran, l’écrasant au passage, sans même s’apercevoir de sa présence.
Il y aura un dernier pied-noir, comme il y a eu un dernier des Mohicans. »

Clairement narré, et regroupé en petits chapitres, ce qui rend la lecture fort agréable. Par exemple, le 240ème in extenso :
« Rejoindre le front des Vosges dans un camion de bauxite, sauter sur une mine à Mulhouse, et se retrouver médecin des gueules rouges à Brignoles, en compagnie d’un confrère alsacien ! Qu’est-ce qui est à l’œuvre dans ce genre de conjonction ? Quels sont les dieux fourbes qui manipulent ainsi nos destinées ? Projet : S’occuper de ce que Charles Fort appelait des « coïncidences exagérées ». Montrer ce qu’elles révèlent de terreur archaïque devant l’inintelligibilité du monde, de poésie latente aussi, et quasi biologique, dans notre obstination à préférer n’importe quel déterminisme au sentiment d’avoir été jetés à l’existence comme on jette, dit-on, un prisonnier aux chiens. »

Les parties du roman sont titrées d’après les cartes italiennes de la crapette, « bâtons, épées, coupes et deniers ».
Il y a une grande part d’autobiographie dans ce roman dense, qui aborde nombre de sujets.
Beaucoup d’aspects sont abordés, comme le savoureux parler nord-africain en voie de disparition (ainsi que son humour), et pendant qu’on y est la cuisine, soubressade, longanisse, morcilla
Et le dénouement est inattendu !

\Mots-clés : #antisémitisme #biographie #colonisation #deuxiemeguerre #enfance #exil #guerredalgérie #historique #identite #immigration #insurrection #politique #racisme #relationenfantparent #segregation #social #terrorisme #traditions #xxesiecle
par Tristram
le Ven 31 Mar - 12:56
 
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Sujet: Jean-Marie Blas de Roblès
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John Maxwell Coetzee

L'Abattoir de verre

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Ce recueil de sept nouvelles écrites de 2003 à 2017 contient Le Chien (haineux), Histoire (d’un adultère décomplexé), Vanité (un ultime désir de séduire chez la mère de John et Helen), textes brefs.
Dans Une femme en train de vieillir, nous retrouvons Elizabeth Costello, toujours aussi inflexible et indépendante, qui rencontre son fils John et sa fille Helen à Nice. Elle a soixante-douze ans, et sa fille lui propose vainement d’emménager près d’elle.
« En fait, cette ambivalence ne devrait pas la déconcerter. Elle a construit sa vie sur l’ambivalence. Où en serait l’art de la fiction s’il n’y avait aucun double sens ? Que serait la vie même s’il n’y avait que des têtes et des queues, sans rien au milieu ? »

Elle raconte le début d’une de ses fictions en cours.
« L’histoire réelle se passe sur le balcon, où deux enfants d’âge mûr font face à une mère dont la capacité à les perturber et à les consterner n’est pas encore épuisée. »

La vieille femme et les chats : John rend visite à sa mère dans l’Espagne rurale ; elle prend soin des chats des environs et de Pablo, un simplet, mais est devenue presque invalide.
Mensonges : John écrit à sa femme Norma, lui expliquant qu’il n’ose aborder frontalement sa mère à propos de sa proche fin de vie.
L'abattoir de verre : toujours Elizabeth Costello :
« À ton avis, John, cela coûterait combien de construire un abattoir ? Pas grand, juste un petit modèle, histoire de montrer.
– Histoire de montrer quoi ?
– Histoire de montrer ce qui se passe dans un abattoir. Un carnage. Il m’est venu à l’esprit que les gens toléraient le massacre d’animaux parce qu’ils n’avaient jamais l’occasion d’en voir un. Ni d’en voir, ni d’en entendre, ni d’en sentir un. Il m’est venu à l’esprit que s’il y avait un abattoir au milieu de la ville, où chacun pourrait voir, entendre, sentir ce qui se passe à l’intérieur, les gens pourraient changer de pratique. Un abattoir de verre. Un abattoir avec des murs en verre. Qu’en penses-tu ? »

« Parce qu’il est asservi par son appétit, dit Heidegger, l’animal ne peut agir, à proprement parler, ni dans le monde ni sur le monde : il ne peut que se comporter, et se comporter, en outre, que dans le monde délimité par l’ampleur et l’amplitude de ses sens. L’animal ne peut pas appréhender l’autre en lui-même ; l’autre ne peut jamais se révéler tel qu’il est à l’animal. »

Mais où est la raison de Martin Heidegger lorsqu’il désire Hannah Arendt ? À propos des poussins mâles d’un jour qui vont être broyés vifs :
« C’est pour eux que j’écris. Leur vie fut tellement brève, si facile à oublier. Je suis l’unique être de l’univers qui se souvienne encore d’eux, si nous mettons Dieu à part. Après mon départ, il n’y aura que du vide. Comme s’ils n’avaient jamais existé. C’est pourquoi j’ai écrit sur eux, et pourquoi je voulais que tu lises les papiers. Pour que je te transmette, à toi, leur souvenir. C’est tout. »

J’ai eu l’impression qu’Elisabeth Costello, ce personnage "increvable", incarnait moins Coetzee que ne le fait John, son fils.
Moral Tales, le titre original, convenait mieux bien que moins accrocheur ; le vieillissement dans la dignité (et le rapport parent-enfant), puis le spécisme, constituent les thèmes principaux de ces contes fort actuels.

\Mots-clés : #mort #nouvelle #relationenfantparent #vieillesse
par Tristram
le Sam 18 Mar - 11:57
 
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Sujet: John Maxwell Coetzee
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Annie Ernaux

Les armoires vides

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Denise, « Ninise » Lesur, jeune étudiante, subit un avortement clandestin, et évoque son enfance. Une enfance dans un milieu méprisé (a posteriori), en fait assez heureux (parents faisant « tout » pour elle, chère abondante – c’est l’après-guerre), modeste mais relativement privilégié (commerçants) : la misère est en réalité autour (avec notamment l’alcoolisme), même si on baigne dedans (d’autant plus avec la promiscuité).
« Malheurs lointains qui ne m'arriveront jamais parce qu'il y a des gens qui sont faits pour, à qui il vient des maladies, qui achètent pour cinquante francs de pâté seulement, et ma mère en retire, elle a forcé, des vieux qui ont, a, b, c, d, la chandelle au bout du nez en hiver et des croquenots mal fermés. Ce n'est pas leur faute. La nôtre non plus. C'est comme ça, j'étais heureuse. »

Puis l’autre monde, celui de l’école (libre) ; humiliation sociale, et culpabilité (le péché) insinuée par l’aumônier à la « vicieuse » avec son « quat'sous » (son sexe, avec connotation de peu de valeur) ; puis revanche de première de la classe. Et la lecture.
« Ces mots me fascinent, je veux les attraper, les mettre sur moi, dans mon écriture. Je me les appropriais et en même temps, c'était comme si je m'appropriais toutes les choses dont parlaient les livres. Mes rédactions inventaient une Denise Lesur qui voyageait dans toute la France – je n'avais pas été plus loin que Rouen et Le Havre –, qui portait des robes d'organdi, des gants de filoselle, des écharpes mousseuses, parce que j'avais lu tous ces mots. Ce n'était plus pour fermer la gueule des filles que je racontais ces histoires, c'était pour vivre dans un monde plus beau, plus pur, plus riche que le mien. Tout entier en mots. Je les aime les mots des livres, je les apprends tous. »

« Pour moi, l'auteur n'existait pas, il ne faisait que transcrire la vie de personnages réels. J'avais la tête remplie d'une foule de gens libres, riches et heureux ou bien d'une misère noire, superbe, pas de parents, des haillons, des croûtes de pain, pas de milieu. Le rêve, être une autre fille. »

Rejet du moche, du sale, du café-épicerie de la rue Clopart, honte haineuse d’une inculture (pourtant compréhensible), envie aussi de la vie des autres jeunes, de la liberté : l’adolescente veut "s’en sortir".
Premières menstrues, « chasse aux garçons », découverte du plaisir ; avec quand même la crainte confuse de mal tourner, comme redoutent les parents (qui triment pour lui permettre de poursuivre ses études).
« Dans l'ordre, si tout y avait été, une maison accueillante, de la propreté, si je m'étais plu avec eux, chez eux, oui, ce serait peut-être rentré dans l'ordre. »

Dix-sept ans, l’Algérie et mai 68 en toile de fond, et ce besoin (à la fois légitime et choquant) d’être supérieur à sa condition d’origine.
« J'inscris des passages sur un petit carnet réservé, secret. Découvrir que je pense comme ces écrivains, que je sens comme eux, et voir en même temps que les propos de mes parents, c'est de la moralité de vendeuse à l'ardoise, des vieilles conneries séchées. »

« Mais la fête de l'esprit, pour moi, ce n'est pas de découvrir, c'est de sentir que je grimpe encore, que je suis supérieure aux autres, aux paumés, aux connasses des villas sur les hauteurs qui apprennent le cours et ne savent que le dégueuler. »

Étudiante enfin, puis c’est la « dé-fête », elle est enceinte, et avorte clandestinement.
« J'ai été coupée en deux, c'est ça, mes parents, ma famille d'ouvriers agricoles, de manœuvres, et l'école, les bouquins, les Bornin. Le cul entre deux chaises, ça pousse à la haine, il fallait bien choisir. »

Contrairement à ce qui est parfois prétendu, Ernaux a "un style".
« Ça me fait un peu peur, ça saignera, un petit fût de sang, lie bleue, c'est mon père qui purge les barriques et en sort de grandes peaux molles au bout de l'immense rince-bouteilles chevelu. Que je sois récurée de fond en comble, décrochée de tout ce qui m'empêche d'avancer, l'écrabouillage enfin. Malheureuse tout de même, qui est-il, qui est-il... Mou, infiniment mou et lisse. Pas de sang, une très fine brûlure, une saccade qui s'enfonce, ce cercle, ce cerceau d'enfant, ronds de plaisir, tout au fond... Traversée pour la première fois, écartelée entre les sièges de la bagnole. Le cerceau roule, s'élargit, trop tendu, trop sec. La mouillure enfin, à hurler de délivrance, et macérer doucement, crevée, du sang, de l'eau. »

« Le goût de viande crue m'imbibe, les têtes autour de moi se décomposent, tout ce que je vois se transforme en mangeaille, le palais de dame Tartine à l'envers, tout faisande, et moi je suis une poche d'eau de vaisselle, ça sort, ça brouille tout. Le restau en pleine canicule, les filles sont vertes, je mange des choses immondes et molles, mon triomphe est en train de tourner. Et je croyais qu'il s'agissait d'une crise de foie. Couchée sur mon lit, à la Cité, je m'enfilais de grands verres d'hépatoum tout miroitants, une mare sous des ombrages, à peine au bord des lèvres, ça se changeait en égout saumâtre. La bière se dénature, je rêve de saucisson moelleux, de fraises écarlates. Quand j'ai fini d'engloutir le cervelas à l'ail dont j'avais une envie douloureuse, l'eau sale remonte aussitôt, même pas trois secondes de plaisir. J'ai fini par faire un rapprochement avec les serviettes blanches. Une sorte d'empoisonnement. »

Et pour une écriture "blanche" (certes peu métaphorique), j’ai découvert plusieurs mots nouveaux pour moi : décarpillage, cocoler, polard, pouque et mucre (il est vrai cauchois), etc. ; curieusement (pourtant dans l’œuvre d’une écrivaine nobelisée !), je n’ai pas trouvé en ligne la définition de "creback", apparemment une pâtisserie, ni « troume » (peur vraisemblablement).
Dès ce premier roman, Ernaux parvient, avec l'originalité de son écriture, à nous transmettre une expérience commune. C'est peut-être ça qui explique l'oppression ressentie à cette lecture, comme signalée par Chrysta : Ernaux n'est pas une auteure d'évasion, c'est tout le contraire, on est sans cesse durement ramené à la triste réalité.

\Mots-clés : #autobiographie #conditionfeminine #contemporain #enfance #identite #intimiste #Jeunesse #Misère #relationenfantparent #sexualité #social #temoignage #xxesiecle
par Tristram
le Ven 28 Oct - 11:23
 
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Sujet: Annie Ernaux
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Thomas Mann

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Le Mirage

Un très court livre : une veuve de la cinquantaine, Rosalie von Tümmler tombe amoureuse du jeune homme américain à qui elle a demandé de donner des cours de langue à son fils, un adolescent. Rosalie aime la Nature et est bouleversée par la beauté du jeune homme et ce qu'il provoque en son coeur car chez elle c'est le coeur qui domine, pas la raison. Contrairement à sa fille Anna, affligée d'une boiterie et qui a été humiliée par l'homme qu'elle pensait avoir conquis. Aussi la jeune fille lorsque Rosalie se confie à elle tente de la détourner de l'attraction que le jeune homme - Ken - exerce sur elle. Anna et son frère aussi d'ailleurs se sont aperçus du lien qui se créé entre Rosalie et Ken et qu'ils réprouvent. Nous sommes dans les années 30 à Dusseldorff dans un milieu bourgeois.
Un retour de menstrues, inattendues à son âge,  provoque chez Rosalie le sentiment que le destin, la Nature lui offre à nouveau ce sentiment d'être une "femme complète". Aussi lors d'une sortie de la famille avec Ken, Rosalie avoue son amour au jeune homme, lequel l'attendait et tous deux se donne RV pour concrétiser leurs sentiments. Hélas ce retour de menstrues n'était que le signe physiologique de la grave maladie qui emportera Rosalie.

                                                                                                           ***

Au tout début de ma lecture j'étais réticente au discours de Rosalie qui encensait la maternité et la souffrance des femmes - notamment lorsque sa fille souffrait lors de ses menstrues - les femmes étaient faites pour souffrir. Mais j'ai poursuivi et j'ai beaucoup apprécié les échanges et les rapports entre Anna la fille et Rosalie.
La Nature est bien présente aussi.


\Mots-clés : #amour #relationenfantparent
par Bédoulène
le Dim 4 Sep - 12:14
 
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Junichiro TANIZAKI

Le Pont flottant des songes

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Tadasu, le narrateur, relate comme il en vint à confondre ses deux mères, la vraie, décédée comme il avait cinq ans, et sa belle-mère, qui la remplaça si exactement dès ses huit ans qu’il en vint à ne plus les distinguer.
« Je pus alors mesurer à quel point mon père avait non seulement songé à lui, mais à moi aussi. Car je dois dire que seuls les efforts d'un père extraordinairement déterminé pouvaient arriver, en coulant ma nouvelle maman dans le moule de l'ancienne, à me faire penser à elles comme à une seule et même personne, même s'il va sans dire qu'il fallait aussi que la nouvelle venue y mît du sien. »

À Tadasu, qui a tété jusque quatre ans, sa belle-mère offre encore le sein ; lorsqu’il a dix-neuf ans, ses parents ont un fils qu’ils relèguent dans une campagne éloignée, et elle lui donne de nouveau de son lait. Dans le même temps, son père, condamné par la maladie, lui demande de se marier, et la nourrice de Tadasu lui apprend les rumeurs qui courent sur le compte de sa belle-mère, qui serait une ancienne geisha, et son amante.
Dans l'Ermitage aux hérons à la claquante bascule à eau, dans ce retirement plein de raffinement traditionnel, un véritable bouquet d’implicite et d’informulé : du pur Tanizaki.

\Mots-clés : #nostalgie #psychologique #relationenfantparent #traditions
par Tristram
le Lun 22 Aoû - 12:42
 
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Sujet: Junichiro TANIZAKI
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Jean-Claude Pirotte

Portrait craché

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Un vieil homme solitaire, diminué par un cancer et la paralysie faciale, s’accommode de ses peines, revisite sa vie et les livres qui l’ont toujours accompagné (notamment les Carnets de Joseph Joubert, Neruda, Michaux, Dhôtel, Chardonne, Perros). Il écrit et lit des poèmes. On y reconnaît l’auteur lui-même.
« Les livres le relient à tous les passés mémorables, et ce qu’il a négligé de lire constitue un avenir, car les livres font échec au temps. »

« Déjà, dans l’adolescence, il était hanté par cet étrange devoir qu’il entendait s’assigner : parler à la mort comme à la seule compagne. »

« L’homme » se répète dans le quotidien sans cesse repris des traitements, à la cadence de son écriture journalière dans ses carnets. Il se voit avec un humour grinçant, et regarde l’époque avec dureté.
« Rien de plus simple que de prolonger chez l’adulte les effets d’un infantilisme insidieux. Un infantilisme appris au biberon. L’héritage naturel de l’enfance, le rêve et la liberté, ou le rêve de la liberté, s’est évanoui devant des jeux abscons. Le mal des écrans vient à bout de la lumière du ciel, avec une facilité déconcertante. »

Puis il retrace son enfance, en conflit avec sa mère, la bonne, le « faux père », malgré le médecin et le grand-père attentifs, solitaire lecteur qui se dit malade pour éviter l’école, et bientôt fugue.
« La mort telle que je la concevais enfant était mon amie. »

« La mère le traitait de prétentieux et de rebelle. »

Souvenirs aussi de Namur (sans la nommer), la ville où il vécut, « avocat subversif » en lutte contre la démolition urbanistique, et où il aurait voulu ne pas revenir, alors qu’il s’était retiré à la campagne avec sa compagne.
« Tout est là-bas, à Saint-Léger, les livres, le bureau, le feu ouvert, l’évolution du ciel et des arbres du jardin, le cerisier centenaire, immense, qu’il voit de sa table par la fenêtre, les merles, les loriots, la vie. »

Puis dans sa vie il y eut les amitiés, les amours, les alcools.
Il garde l’espoir, sans illusion.
« Survivre est un miracle quotidien. »

« Étrange de convoiter toujours ce qui manque alors que l’on oublie ce qui est là, si proche et si familier que cela même ressemble à une absence. »

« Il faut mourir un jour. Cela aussi, à condition d’y arrêter sa pensée, est rassurant. Le scandale serait celui d’une vie interminable, dégradante et dénuée du moindre attrait, de l’heureuse incertitude qui fait de la surprise devant un instant de beauté le prix d’un moment, et la valeur de la mémoire. Or, le voici désarçonné de constater combien l’idée même du cancer devient vivifiante. Enfin l’ennemie ou l’amie la mort se déclare et le rassure. Il est mortel et conserve le droit de lutter pour la vie. »

« Le père, c’était d’abord et en tout le grand-père – maternel, bien sûr, il n’en a pas eu d’autre –, monsieur Prins ensuite, Jean Jannin en Bourgogne, et quand ce dernier est mort, il y a une douzaine d’années, il n’a simplement plus eu de père.
En face du père supposé, il n’éprouvait que de l’indifférence, du mépris, de l’hostilité certes, mais rien, dans son esprit, ne correspondait à l’idée qu’il s’était faite d’un père. Il en avait conclu très vite, avec un "petit sourire" qu’il n’était que le fruit bâtard d’une immaculée conception.
Les pères, il se les est donc choisis. C’est à eux qu’il ressemble dans toutes leurs diversités, c’est eux qui l’ont construit. »

J'ai beaucoup pensé à Bix au cours de cette belle lecture, attachante malgré la généralité du thème.

\Mots-clés : #mort #relationenfantparent #vieillesse
par Tristram
le Ven 4 Mar - 11:38
 
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Sujet: Jean-Claude Pirotte
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Richard Russo

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Richard Russo : Quatre saisons à Mohawk. - Quai Voltaire

"J'avais dix ans, et j'avais découvert par hasard qu'une fille de deux ans mon aînée se déshabillait devant sa fenêtre, à dix heures trente le week-end. Elle devait être très fière de ses seins naissants, de leur croissance régulière, car elle les admirait chaque soir presque autant que moi, avant d'enfiler une chemise de nuit transparente. Je redoutais qu'un jour elle ne se rende compte que, par mégarde, elle ne fermait ses stores qu'aux deux tiers. Plus tard, à l'adolescence, je devais comprendre, ô fulgurante révélation, que cette adorable friponne avait pleinement conscience que, de l'autre côté de la rue, c'était bien mon haleine qui embuait ma fenêtre. Quand, à la rentrée suivante, elle a rempli ses cartons pour partir en Floride avec père et mère, ç'a été pour moi une perte dont j'ai rarement retrouvé la teneur. Bien sûr, à cette époque, l'intéressée était devenue plus avare de ses apparitions, mais ses seins bien plus dignes de mon admiration."

Comment aimer son père, un père absent, fuyant, irresponsable. Passant sa vie à boire, à parier, à aimer des femmes sans jamais se lier...
Mais dans l'amour, on le sait bien et on n'a pas le choix. Et donc, Ned Hall, enfant puis ado, passe son temps à courir après son père sans jamais le rattraper. Sauf pendant une période où sa mère est hospitalisée. Et ce n'est pas une expérience glorieuse.
Sa mère, il y a longtemps qu'ils se sont séparés, son père et lui, après son retour de guerre, même s'il continue  épisodiquement à lui pourrir la vie. Jusqu'à ce qu'un jour, elle lui envoie  une volée de plombs par la fenêtre.

Entre elle et Ned, rien d'affectif ne se passe. Elle offre trop l'image de la dépression et elle est par trop exigeante.

On peut juger que l'histoire paternelle mérite une justification. Il fait partie d'une génération qui a participé à la seconde guerre mondiale. Une génération perdue de plus. Dont les survivants sont sortis déboussolés et amers. Seuls les mort sont devenus des héros,
et les vivants se sentent coupables d'être encore en vie, incapables de mener une vie normale et d'assumer ce qu'on attend d'eux.

Sam, le père de Ned en fait partie. Pour lui, son fils n'est qu'une pièce rapportée, enfin c'est  ce qu'on croit longtemps. Et puis il sait brouiller les pistes, entouré de ses pareils, joueurs fauchés, travailleurs intermittents, piliers de bars. En plus il a un ami et compagnon véritable, Wussy, un noir, qui le guide et lui sauve la mise.
Wussy deviendra aussi un ami pour Ned un initiateur, dont la vie devient une série d'aventures où il apprend à vivre, à aimer, à rêver.
Telle cette somptueuse maison blanche perchée sur une colline, mirage fabuleux.

Mohawk est une ville de moyenne importance, mais caractéristique de l'Amérique profonde.
Et Russo parvient à y faire vivre une galerie de personnages attachants, dont le père est aussi connu que le loup blanc.
En fait, on pense beaucoup à Mark Twain, dans l'humour, la fantaisie, l'empathie et la magie du récit.

Les années passent, et Sam est rattrapé par le temps et ses avanies. Il se retrouve seul, et de guerre lasse, il laisse enfin apparaitre ses sentiments filiaux. Et à notre tour, émus, on révise notre opinion sur lui.

Voilà un moment que je n'avais pas rencontré un livre qui m'ait à ce point tenu en haleine.
Une histoire, une atmosphère et des personnages. Surtout les rapports entre un père et un fils. La difficulté des rapports inter familiaux et cette amère vérité qu'on ne parvient jamais à dire l'essentiel à ceux qu'on aime.


\Mots-clés : #famille #relationenfantparent
par bix_229
le Jeu 6 Jan - 19:33
 
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Sujet: Richard Russo
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Thomas McGuane

Rien que du ciel bleu

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Frank Copenhaver est quitté par sa femme Gracie. Ancien hippie, comme ses amis de l’époque il est devenu un homme d’affaires qui a réussi (comme son père…). Le roman narre les conséquences de cette séparation : sa lente dégringolade, ses (tentatives de) reprises en main et « renouvellement de ses valeurs fondamentales ».
« Peu désireux de façonner le monde, il préférait la quête de la chatte et des états modifiés de la conscience, car c’était un digne membre d’une génération désœuvrée, vouée à la fuite des responsabilités et à la fornication inconséquente, vouée à l’idéal du Rapport Humain Complet et aux chaussures tout-terrain qui ne mentent pas à vos pieds. »

Quelques rencontres féminines et aventures sexuelles douteuses...
« Et puis je vais te dire une bonne chose : dans ton cas, l’absence ne nourrit pas l’amour. Dès qu’une femme s’éloigne de toi, même pour un temps très bref, cette femme se pose une excellente question : mais comment, comment ai-je pu faire une bêtise pareille ? »

« Elle remonta sa robe au-dessus de ses hanches et pointa le doigt vers le triangle en soie blanche de sa culotte. Ça aussi, c’est fini ! s’écria-t-elle avant de sortir en claquant la porte. »

… une cascade d’hilarantes péripéties, et une certaine animadversion réciproque des cow-boys :
« Je me demande si leur mère leur attache des poids au coin de la bouche, dit Phil. Tu sais, comme font les Watusis à leurs oreilles et à leurs lèvres. Je parie que c’est le cas : la maman rancher accroche des poids à la commissure des lèvres du bébé. Ensuite, le petit gamin porte un petit chapeau de cow-boy, des petites bottes avec des petits éperons, et des poids au coin de la bouche. Ensuite, on offre un petit lasso au petit merdaillon et on colle une paire de cornes sur une botte de foin. Le plus souvent, ce petit merdeux s’appelle Boyd ; dix ou vingt ans plus tard, Boyd se bourre la gueule, il tabasse les vaches à coups de fouet, sa copine à coups de poing, et il fume ses clopes devant la téloche. »

Son malaise existentiel, l’absence de sens de sa vie absurde, est généralement rendu par petites touches indirectes.
« Il comprit soudain que son désir compulsif de regarder les gens vaquer à leurs occupations, de les observer derrière leurs fenêtres comme s’ils se trouvaient dans un laboratoire, s’expliquait par l’inconsistance de sa propre vie. S’il fallait qualifier son existence, elle lui semblait mince. Elle avait un air de faux-semblant. Il devina que tout le monde vivait dans une atmosphère de perpétuels ajournements. »

Tout au long du roman, une attention particulière est apportée au ciel et aux nuages.
La devise de Frank est :
« La Terre était plate, chacun à son heure passait par-dessus bord. »

Il y a une aimable critique de l’american way of life (y compris de la « bouffe répugnante » du McDonald) :
« Merveilleux quartiers résidentiels ! Splendides rues tracées au cordeau, délicieuse rivalité des pelouses ! Ils étaient aussi parfaits que ces organismes agglutinés pour former un récif corallien. Frank déambulait à travers les rectangles réjouissants d’Antelope Heights, savourant les mariages de couleurs, l’ordre impeccable des voitures en stationnement, la forte personnalité des boîtes à lettres − certaines juchées sur des roues de chariot, d’autres en fibre de verre, avec des faisans multicolores moulés dans les parois (un chasseur vit sans doute ici !), certaines n’attendant que des lettres, d’autres conçues pour accueillir d’énormes paquets. »

On est dans le Montana, et bien sûr il y a pas mal de pêche à la truite :
« À la courbe de la rivière, on aurait dit que les iris sauvages allaient basculer dans l’eau. L’étroite bande de boue où poussaient les laîches portait de nombreuses traces de rats musqués et sur cette même bande se dressait un héron bleu parfaitement immobile, la tête renversée comme un chien de fusil. Ses pattes fléchirent légèrement, il croassa et s’envola avec une lenteur merveilleuse et un faible sifflement des rémiges, disparaissant enfin au-dessus du mur des herbes, comme aspiré dans leur masse verte. »

De nouveau donc ce mélange de rire et de mélancolie, si caractéristique de McGuane − qui peine à trouver son lectorat sur le forum ?

\Mots-clés : #contemporain #relationdecouple #relationenfantparent #xxesiecle
par Tristram
le Lun 2 Aoû - 15:21
 
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Sujet: Thomas McGuane
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