Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Jeu 28 Mar - 11:37

8 résultats trouvés pour renaissance

Léonor De Récondo

PIETRA VIVA


Tag renaissance sur Des Choses à lire Pietra-Viva-Reedition-50-ans

" Michelangelo, en ce printemps 1505, quitte Rome bouleversé.

Il vient de découvrir sans vie le corps d'Andrea, le jeune moine dont la beauté lumineuse le fascinait.

Il part choisir à Carrare les marbres du tombeau que le pape Jules II lui a commandé.

Pendant six mois, cet artiste de trente ans déjà, à qui sa pietà a valu gloire et renommée, va vivre au rythme de la carrière, sélectionnant les meilleurs blocs, les négociant, organisant leur transport. Sa capacité à discerner la moindre veine dans la montagne a tôt fait de lui gagner la confiance des tailleurs de pierre. Lors de ses soirées solitaires à l'auberge, avec pour seule compagnie le petit livre de Pétrarque que lui a offert Lorenzo de Medici et la bible d'Andrea, il ne cesse d'interroger le mystère de la mort du moine, tout à son désir impétueux de capturer dans la pierre sa beauté terrestre.

Au fil des jours, le sculpteur arrogant et tourmenté, que rien ne doit détourner de son œuvre, se laisse pourtant approcher : par ses compagnons les carriers, par la folie douce de Cavallino, mais aussi par Michele, un enfant de six ans dont la mère vient de mourir.

La naïveté et l'affection du petit garçon feront resurgir les souvenirs les plus enfouis de Michelangelo. Parce qu'enfin il s'abandonne à ses émotions, son séjour à Carrare, au cœur d'une nature exubérante, va marquer une transformation profonde dans son ouvre. Il retrouvera désormais ceux qu'il a aimés dans la matière vive du marbre."

Quelle bonne surprise ce roman sur un épisode de la vie de Michel-Ange.....

J'ai beaucoup aimé le style, la sensibilité, la poésie qui se dégagent du texte.


Les tailleurs de pierre riaient de voir cet enfant de la ville, si prompt à les suivre dans la poussière, s'y frotter avec autant de plaisir. Voyant que les adultes ne lui prêtaient pas volontiers leurs ciseaux, il commença à dessiner tout ce qu'il voyait. Et les tailleurs cessèrent de rire tant le talent de l'enfant dépassait l'entendement. Certains prétendirent même que le diable y était pour quelque chose. Mais Michelangelo ne les écoutait déjà plus. Un chemin lumineux et sanguin s'était ouvert en lui et il s'était promis de le suivre toute sa vie.

Dialogue entre Michele, enfant de six ans et Michelangelo :

- Quelques jours après la mort de maman, je me suis retrouvé seul avec papa dans la maison. Il était assis près de la cheminée, la tête entre ses mains. Je croyais qu'il s'était endormi. Je me suis approché et je lui ai tapoté l'épaule. Quand il m'a regardé, j'ai vu qu'en fait il pleurait. Il s'est alors mis à genoux et a éclaté en sanglots dans mes bras. Comme un enfant. Tu vois, l'enfant, c'est lui maintenant ! Tu comprends ?

- Je comprends bien.
- Comment te dire exactement ? C'était comme si j'enlevais ma petite veste en peau de moutons pour ne plus jamais la remettre. Tu comprends ?
- Je comprends bien.
- Tu dis que tu détestes les enfants, mais moi je n'en suis plus un !
Michelangelo caresse la chevelure de Michele et lui répond :
- J'ai une veste comme la tienne et je peux te dire qu'une fois qu'on l'a perdue, on ne la remet plus jamais.


Un petit bijou de moins de 200 pages  Smile


\Mots-clés : #biographie #creationartistique #mort #renaissance
par simla
le Dim 15 Mai - 5:50
 
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Sujet: Léonor De Récondo
Réponses: 1
Vues: 291

Umberto Eco

L’île du jour d’avant

Tag renaissance sur Des Choses à lire L_zule11

1643, Roberto de la Grive, naufragé lucifuge et noctivague, aborde la Daphne, vaisseau désert mouillé entre une île et un continent tropical.
Le « chroniqueur » qui narre ses aventures dans un pastiche de vieux français-italien d’ailleurs cosmopolite, tout en évoquant les lettres de Roberto à sa dame, feint à la première personne du singulier d’organiser sa restitution digressive, qui rend en miroir la démarche de l’écrivain.
« Il écrivait alors pour lui, ce n’était pas de la littérature, il était vraiment là à écrire comme un adolescent qui poursuit un rêve impossible, sillonnant la page de pleurs, non point pour l’absence de l’autre, déjà pure image même quand elle était présente, mais par tendresse de soi, énamouré de l’amour… »

« Ou mieux, il n’y va pas tout de suite. Je demande grâce, mais c’est Roberto qui, dans son récit à sa Dame, se contredit, signe qu’il ne raconte pas de point en point ce qui lui est arrivé mais cherche à construire la lettre comme un récit, mieux, comme salmigondis de ce qui pourrait devenir lettre et récit, et il écrit sans décider de ce qu’il choisira, dessine pour ainsi dire les pions de son échiquier sans aussitôt arrêter lesquels déplacer et comment les disposer. »

Il raconte du point de vue de Roberto le siège de la forteresse de Casal avec son vaillant père le vieux Pozzo (c’est aussi un roman historique), et en parallèle son exploration de la Daphne avec sa cargaison-cathédrale, jardin-verger et sonore oisellerie, aussi horloges. De plus, Roberto a un frère imaginaire, Ferrare – l’Autre, et un « Intrus » semble être présent sur le navire… Eco rapproche sa situation dans la Daphne (comparée à l’arche du Déluge) à celle qui fut la sienne dans Casal assiégée. Roberto se remémore ses amis, le pyrrhonien Saint-Savin (qui rappelle Cyrano de Bergerac et son L’Autre Monde ou les États & Empires de la Lune) et le savant père jésuite Emanuele, avec « sa Machine Aristotélienne » (c’est également un roman de formation).
L’amour chevaleresque et platonique de Roberto, la Novarese, virtuelle comme un portulan :
« Si c’est une erreur des amants que d’écrire le nom aimé sur l’arène de la plage, que les ondes ensuite ont tôt fait de raviner, quel amant prudent il se sentait, lui qui avait confié le corps aimé aux arrondis des échancrures et des anses, les cheveux au flux des courants par les méandres des archipels, la moiteur estivale du visage au reflet des eaux, le mystère des yeux à l’azur d’une étendue déserte, si bien que la carte répétait plusieurs fois les traits du corps aimé, en différents abandons de baies et promontoires. Plein de désir, il faisait naufrage la bouche sur la carte, suçait cet océan de volupté, titillait un cap, n’osait pénétrer une passe, la joue écrasée sur la feuille il respirait le souffle des vents, aurait voulu boire à petits coups les veines d’eau et les sources, s’abandonner assoiffé à assécher les estuaires, se faire soleil pour baiser les rivages, marée pour adoucir le secret des embouchures… »

Puis son amour se portera, dans le salon d’Arthénice-Catherine de Rambouillet, sur « la Dame », Lilia (c’est aussi un roman d’amour, et même épistolaire – quoiqu’à sens unique).
D’avoir péroré sur la poudre d’attraction, « la sympathie universelle qui gouverne les actions à distance », lui valut d’être envoyé par le Cardinal Mazarin (Richelieu étant mourant) vers la Terra Incognita Australe du Pacifique pour résoudre le mystère des longitudes, en espionnant le savant anglais Byrd sur l’Amaryllis, également une flûte (navire hollandais), en quête du Punto Fijo (point fixe du monde terrestre). Sur celle-ci est expérimentée la comparaison de l’heure locale à celle de Londres, convenue d’avance, en notant les réactions d’un chien emmené à bord tandis qu’on agit sur l’arme qui le blessa en Angleterre…
l’Amaryllis naufragea, et c’est sur la Daphne que Roberto découvre le père jésuite Caspar Wanderdrossel (« la grive errante » ?), rescapé de l’équipage dévoré par les cannibales, et savant qui lui explique qu’ils sont aux Îles de Salomon, sur le « méridien cent et quatre-vingts qui est exactement celui qui la Terre en deux sépare, et de l’autre part est le premier méridien » : il y a toujours un jour de différence entre un côté et l’autre. L’histoire se poursuit, entre machineries abracadabrantes et autres technasmes (artifices) de Casper, apprentissage de la natation pour Roberto, et conversations philosophico-scientifiques entre les deux. Ce n’est pas tant l’étalage plaisant de la superstition du XVIIe que les balbutiements de la connaissance basée sur la réflexion, et plus récemment sur l’expérience. Ensuite la Cloche Aquatique doit permettre d’atteindre l'Île en marchant sur le fond de la mer :
« Pendant quelques minutes Roberto assista au spectacle d’un énorme escargot, mais non, d’une vesse-de-loup, un agaric migratoire, qui évoluait à pas lents et patauds, souvent s’arrêtant et accomplissant un demi-tour sur lui-même quand le père voulait regarder à droite ou à gauche. »

Grand moment du livre :
« Et puis, tout à coup, il eut une intuition radieuse. Mais qu’allait-il bougonnant dans sa tête ? Bien sûr, le père Caspar le lui avait parfaitement dit, l’Île qu’il voyait devant lui n’était pas l’Île d’aujourd’hui, mais celle d’hier. Au-delà du méridien, il y avait encore le jour d’avant ! Pouvait-il s’attendre à voir à présent sur cette plage, qui était encore hier, une personne qui était descendue dans l’eau aujourd’hui ? Certainement pas. Le vieux s’était immergé de grand matin ce lundi, mais si sur le navire c’était lundi sur cette Île c’était encore dimanche, et donc il aurait pu voir le vieux n’y aborder que vers le matin de son demain, quand sur l’Île il serait, tout juste alors, lundi… »

Avec la Colombe Couleur Orange, Emblème et/ou Devise, le narrateur-auteur évoque le goût du temps pour les symboles et signes :
« Rappelons que c’était là un temps où l’on inventait ou réinventait des images de tout type pour y découvrir des sens cachés et révélateurs. »

Roberto souffre toujours du mal d’amour, jaloux de Ferrante (c’est aussi un roman moral, psychologique).
« Roberto savait que la jalousie se forme sans nul respect pour ce qui est, ou qui n’est pas, ou qui peut-être ne sera jamais ; que c’est un transport qui d’un mal imaginé tire une douleur réelle ; que le jaloux est comme un hypocondriaque qui devient malade par peur de l’être. Donc gare, se disait-il, à se laisser prendre par ces sornettes chagrines qui vous obligent à vous représenter l’Autre avec un Autre, et rien comme la solitude ne sollicite le doute, rien comme l’imagination errante ne change le doute en certitude. Pourtant, ajouta-t-il, ne pouvant éviter d’aimer je ne peux éviter de devenir jaloux et ne pouvant éviter la jalousie je ne peux éviter d’imaginer. »

Il disserte sur le Pays des Romans (de nouveau le roman dans le roman), puis élabore le personnage maléfique de Ferrante, perfide « sycophante double » (et c’est encore un roman de cape et d’épée). S’ensuivent de (très) longues considérations philosophico-métaphysiques.
Il y a beaucoup d’autres choses dans ce roman, comme de magnifiques descriptions (notamment de nuages, de coraux à la Arcimboldo), une immersion dans la mentalité du Moyen Âge tardif (sciences navale, cartographique, obsidionale, astronomique, imaginaire des monstres exotiques, etc.), et bien d’autres.
Le livre est bourré d’allusions dont la plupart m’a échappé, mais j’ai quand même relevé, par exemple, Tusitala, surnom donné en fait à Stevenson en Polynésie. C’est un peu un prolongement de Le Nom de la rose (confer le renvoi avec « l’histoire de personnes qui étaient mortes en se mouillant le doigt de salive pour feuilleter des ouvrages dont les pages avaient été précisément enduites de poison ») et presque un aussi grand plaisir de lecture (avec recours fréquent aux dictionnaires et encyclopédies idoines).

\Mots-clés : #aventure #historique #insularite #lieu #merlacriviere #renaissance #science #solitude #voyage
par Tristram
le Lun 28 Fév - 10:43
 
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Sujet: Umberto Eco
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Marguerite Yourcenar

L'Œuvre au noir

Tag renaissance sur Des Choses à lire Yource10

Roman, 1968, 330 pages environ.  

(relecture)

Magnifique roman, ne cède en rien en altitude aux Mémoires d'Hadrien.

Fine, élégante écriture pseudo-classique, de haute volée.
Marguerite Yourcenar sollicite, à sa façon, le lecteur pour qu'il développe à partir de ses riches énoncés (et c'est régal).

Style remarquable:
On sort du "je" narratif (toujours en comparaison avec les Mémoires d'Hadrien). Une sorte d'impersonnalité narrative, qui peut passer, en trompe-l'œil, pour de la froideur, mais c'est pour mieux poser quelques écrins de tournures et mots rares ou se raréfiant à l'usage de nos jours, la froideur tempérant l'accusation de pédantisme ou d'excès de frivolité dans la recherche fouillée.

Classicisme de la syntaxe (merci, Mme Yourcenar, d'employer dans un roman francophone post Céline/Sartre, des temps de conjugaison peu usités de nos jours en langue française, au lieu de s'en tirer par des périphrases ou des découpes à un point tous les cinq mots !), sur laquelle se greffent des images qu'on dirait baroques, ou bien issues des tableaux des maîtres de la Renaissance.

La Renaissance, justement: Sa mystique, sa violence, ses espérances, ses grands anonymes, ses savants cachés, ses couvents, ses banquiers, ses autorités, ses bourgeois, ses peuples, ses soudards, ses guerres permanentes, ses juges... l'époque nous est brossée sans la moindre complaisance, et de façon très érudite: à ce propos, la note de l'auteur, qui clôt l'ouvrage, est précieuse et fort éclairante, on en regretterait presque que d'autres auteurs ne se plient pas au jeu de laisser sur un coin de table la genèse de leurs créations, leurs recherches...

Une certaine matière médiévale n'est point absente de ces pages, comme une vigueur crue, qui sûrement colle à un regard sagace sur l'époque de narration, la Renaissance n'est pas une rupture avec le monde tel qu'il existait précédemment effectuée en un jour.


Au commencement, deux cousins se rencontrent par hasard sur une route des Flandres: l'un est militaire et s'en va quérir gloire, honneurs et vie de camp, l'autre la science et la sapience, ainsi qu'une quête explorative du monde. On ne sait pas, durant tout le début, lequel d'entre Zénon le philosophe et Henri-Maximilien le soldat sera le héros principal, à supposer qu'il n'y en ait pas deux...

Les thèmes de la recherche, de l'intelligence opposée à la bêtise crue, le combat contre les dogmes et les vérités admises parce qu'assénées, la médecine, la singularité, la Foi et l'athéisme, l'alchimie non traitée de façon farfelue, grotesque ou romantique, la quête de savoir, la médecine et le soin apporté à autrui de façon plus générale, la rébellion, l'audace, la transgression, les erreurs aussi, les découvertes aux conséquences néfastes si ce n'est meurtrières, la solitude et la discrétion, tout ceci compose avec puissance dans le creuset de l'auteur.
Les dialogues sont, parfois, d'une dureté sans nom, bien que d'une grande sobriété.

Le travail d'auteur, L'Œuvre à l'Encre Noire est tellement ciselé qu'on ressent la perfection comme but à atteindre, pour un livre que Marguerite Yourcenar a porté pendant une quarantaine d'années avant de le publier, et qui prendra dix années de dur labeur à sa compagne et traductrice Grace Frick, dans leur maison du Maine, avant d'apposer le point final à la traduction anglais: dix années...

Maintenant, les deux branches de la parabole se rejoignaient; la mors philosophica s'était accomplie: l'opérateur brûlé par les acides de la recherche était à la fois sujet et objet, alambic fragile et, au fond du réceptacle, précipité noir.
L'expérience qu'on avait cru pouvoir confiner à l'officine s'était étendue à tout. S'en suivait-il que les phases subséquentes de l'aventure alchimique fussent autre chose que des songes, et qu'un jour il connaîtrait aussi la pureté ascétique de l'Œuvre au Blanc, puis le triomphe conjugué de l'esprit et des sens qui caractérise l'Œuvre au Rouge ?
Du fond de la lézarde naissait une Chimère.
Il disait Oui par audace, comme autrefois par audace il avait dit Non.  



Mots-clés : #culpabilité #exil #famille #historique #medecine #philosophique #renaissance #violence
par Aventin
le Lun 6 Juil - 19:36
 
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Sujet: Marguerite Yourcenar
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Patrick Weber

La Vierge de Bruges

Tag renaissance sur Des Choses à lire La_vie11
Roman, 1999, 185 pages environ.

Polar se déroulant à Bruges, en 1475, sous le règne de Charles Le Téméraire.
Le livre s'ouvre sur une scène de crime, puis passe à Pieter Linden, jeune homme passionné de peinture, lequel entre, par l'entremise de son oncle et tuteur, comme apprenti dans l'atelier du plus célèbre peintre flamand de l'époque, Hans Memling, d'origine allemande.

Arrive un jeune et riche banquier florentin, Lorenzo Rienzi, qui vient se faire portraiturer dans l'atelier de Memling, alors que se nouent intrigues, conflits d'intérêts, crimes et tentatives de crimes...

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Je ne suis pas un grand adepte du polar, donc pas forcément bon public pour ce genre de parution; le style, l'écriture de Weber me semble un peu œuvre de scénariste par instants, plutôt que de romancier - une arborescence plutôt qu'une florescence.

Mais il y a de la rigueur dans la construction, et, comme en bande dessinée ou en art pictural en général, le souci de placer telle scène bien juxtaposée à telle autre, de manière à obtenir un effet de mise en valeur de tel paragraphe ou chapitre vis-à-vis de passages davantage de l'ordre du texte de liaison.

Il me semble aussi brider un peu son texte, vouloir le tenir bien en mains, alors que les prétextes à débordement d'imagination galopante sont susceptibles de fleurir à chaque coin de page.

Ainsi les passages les plus séduisants sont-ils les rêves décrits, et bien sûr tout ce qui a trait à la peinture flamande et à l'architecture de Bruges.  

Et l'on sort du roman édifié, avec envie d'en connaître davantage sur l'œuvre de Memling.
L'apport de celui est bien situé, sans ton professoral, dans la chronologie de la peinture flamande (Robert Campin, Jan Van Eyck, Petrus Christus...).

Quelques tableaux véritables traversent ce polar, outre celui -célèbre- de la couverture, avec le bout des doigts peints sur le cadre "comme si elle ne voulait pas rester emprisonnée dans sa toile", celui-ci:

Tag renaissance sur Des Choses à lire Memlin10

Ou ce diptyque, d'un personnage-clef du roman, Tommaso Portinari - et son épouse:
Tag renaissance sur Des Choses à lire Memlin11

Mots-clés : #creationartistique #polar #renaissance #violence
par Aventin
le Sam 13 Juin - 18:09
 
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Sujet: Patrick Weber
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Sandor Marai

La Nuit du bûcher

Tag renaissance sur Des Choses à lire Index212

Un inquisiteur espagnol vient se former à l’orthodoxie romaine (fin XVIe). Outre le rappel historique, ce roman vaut pour mettre en lumière le fait que la Sainte Inquisition fut un instrument parfaitement conçu afin de lutter contre la Réforme ‒ donc un summum du conservatisme ‒ par la terreur, avec une vocation de charité à convertir les hérétiques par la torture puis la « confortation » in extremis avant de les livrer à l’édifiant bûcher purificateur.
« Une simple confession ne suffit pas. Nous avons besoin qu’il reconnaisse que le bûcher dont les flammes dévoreront son corps misérable n’est qu’un feu purificateur, un purgatoire au service d’une cause suprême ! Qu’il comprenne, l’hérétique, qu’en acceptant sa condamnation avec humilité mais aussi en s’accusant lui-même au vu et au su du monde entier, il rend un grand, un ultime service à l’univers des croyants ! »

Intéressant aussi le regard d’un Espagnol, venu d’un pays austère dans une Italie sensuelle, paisible, matérialiste et même pragmatique.
Tous les membres de la société chrétienne doivent être complices du Saint-Office (ce qui explique le rôle des laïques confortatori, ceux qui « fortifient et cherchent à redonner espoir à celui qui n’a plus rien à espérer ») :
« La plupart du temps, nous nous contentons de brûler tous ceux qui sont soupçonnés d’hérésie et ne peuvent attester de leur innocence. Ici, à Rome, on est plus exigeant : on veut débusquer chez chacun le moindre manquement à servir les buts de l’Inquisition. Les indolents sont tout aussi dangereux que les hérétiques actifs et véritables, me disait le padre Alessandro. Toute personne qui ne persécute pas activement l’adversaire est suspecte. »

Particulièrement répugnante est l’exploitation de la délation chez les enfants :
« Les enfants sont les petits observateurs directs de la famille, cette communauté étroite, et le padre soulignait avec quelle joyeuse et vive attention ils s’emparaient des paroles imprudentes des adultes pour ensuite signaler à la Sainte Inquisition ce qu’ils avaient entendu ! […]
Les enfants, ces petits agneaux candides au cœur pur, comprennent la leçon et, avec leur aide, il a été possible bien des fois de démasquer à temps les personnes vivant dans le péché de l’indifférence ou de la résistance, en d’autres termes, enclins à l’hérésie… Quelquefois des pères ou des mères, des frères, des sœurs, comme cela s’est trouvé. »

Comme dans tous les autoritarismes, les livres sont suspects.
« Mais le livre, qui entend exercer son influence au travers de concepts formulés avec des mots, sans s’appuyer sur d’éloquentes représentations, se révèle dangereux car il éveille la pensée. »

« Ce que nous ne pouvons tolérer est que l’on puisse imprimer quelque part un livre où l’écrivain exprime librement ses pensées. »

D’ailleurs la Sainte Cause constitue le prodrome de totalitarismes plus étendus.
« Arrivera une époque où l’on regroupera sans ambages ni perte de temps tous ceux qui seront soupçonnés de tomber un jour dans le péché d’hérésie, à cause de leur origine ou pour d’autres raisons, dans des champs clos par des barrières de fer, pour des périodes plus ou moins longues… mais en général il vaudra mieux que ce soit pour longtemps. […]
Viendra un temps où il faudra enfermer les suspects en groupe, sans discernement, sans tenir compte de l’individu […]
Il faut créer des emplacements entourés de pieux et clôturés de fer sur de grandes surfaces où l’on pourra garder tous ceux qui ne sont peut-être pas hérétiques mais dont on peut à bon droit soupçonner qu’ils le deviendront un jour. Sur ces terrains clôturés, on pourra en surveiller non pas quelques douzaines mais plusieurs milliers en même temps. »

La tâche des inquisiteurs est codifiée, ritualisée, avec des règles très précises :
« La procédure légale donne le droit à l’accusé de demander un avocat commis d’office. Toutefois, le devoir de cet avocat ne peut consister en rien d’autre qu’à aider l’accusé à formuler ses aveux de façon rapide et inconditionnelle et de hâter sa confession puisque c’est la seule façon de sauver son âme. »

« Et par-dessus tout, il faut veiller à ce que l’accusé ne sache jamais ce dont on l’accuse. On doit talonner le suspect sans relâche pour qu’il découvre lui-même son péché, pour qu’il formule, lui, l’accusé, son propre chef d’accusation. »

Giordano Bruno, après sept ans aux mains de l’Inquisition, refuse jusqu’à la fin de courber l’intelligence et le savoir devant la foi.
« Il disait que l’on ne pouvait écrire si on était privé de liberté… »

Subitement (de façon effectivement peu vraisemblable), déguisé en scribe, le narrateur fuit à Genève la calviniste, où il travaille dans l’imprimerie et rédige son compte-rendu à son « frère » resté dans son couvent d’Avila.
« J’ai l’impression d’en avoir dit à la fois davantage et peut-être moins que ce que j’aurais voulu, les mots m’ont échappé : l’écriture est une occupation diabolique. L’homme qui prend une plume à la main se laisse entraîner par son besoin de dire. À un certain moment, il s’aperçoit que ce n’est plus lui qui écrit mais le livre ou le manuscrit qui s’écrit tout seul. Alors il faut serrer la bride et raturer tout ce qui, dans le texte, est superflu. Et à présent que ma subsistance provient de la correction d’écrits profanes, je peux dire que le véritable savoir-faire ne consiste pas à écrire mais à couper.
Si nous voulons formuler la vérité, il faut savoir tailler et effacer tout ce qui n’est pas le mot juste, celui qui exprime quelque chose au-delà de la vérité. »

« Mais il restera toujours quelque part un hérétique qu’ils ne réussiront pas à brûler à temps. Et un seul homme est capable de contaminer tous les hommes sains, tel le lépreux qui ne porte pas de clochette à son cou. »


Mots-clés : #historique #renaissance #universdulivre
par Tristram
le Mer 8 Avr - 0:15
 
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Sujet: Sandor Marai
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Leo Perutz

Le Judas de Léonard

Tag renaissance sur Des Choses à lire Le_jud10


Roman historique basé sur une anecdote réelle, le dernier roman de Leo Perutz est aussi allégorique.
Léonard de Vinci cherche les traits du Judas de sa Cène en lente préparation mentale, le péché de cet apôtre étant d’avoir trahi par orgueil l’amour qu’il éprouvait pour le Christ.
Joaquim Behaim est un commerçant voyageur qui tombe amoureux de Niccola, qu’il ignore être la fille de Boccetta, l’avare prêteur dont il s’efforce de recouvrer une dette.
Divulgâchage:


Mots-clés : #historique #renaissance
par Tristram
le Jeu 4 Juil - 12:17
 
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Antoine Compagnon

Un été avec Montaigne

Tag renaissance sur Des Choses à lire Un_zot10

Ces quarante petits extraits commentés me semblent constituer une excellente introduction à Montaigne, auteur qui nous parle pourtant directement, sans truchement, dans notre propre langue, si proche par-delà près d’un demi-millénaire. Cependant, il faut admettre que son langage s'éloigne, que parcourir son œuvre exige davantage d’effort aux lecteurs contemporains : les actualisations d’Antoine Compagnon l’éclairent à propos.
A parcourir ce recueil, manifestement pas composé d’une seule venue, des contradictions apparaissent, discordances qui ne sont d’ailleurs pas absentes des Essais ; c’est toute la difficulté de l’exercice, où l’on risque de dire tout et son contraire. Mais Montaigne se révèle en personnalité bien définie : son honnêteté lui a fait traverser intact les siècles, et les errements de ses réflexions en sont partie intégrante.
La devise de Montaigne est « Que-sais-je ? », illustrée d’une balance dont les plateaux sont en équilibre. La règle de ce grand sceptique, c'est le doute, la réflexion. Sa position favorite, c’est à cheval, entre un lieu et un autre, au cours d’un voyage incessant, toujours libre de ses mouvements. Sinon, c’est dans sa « librairie », à musarder, feuilleter, dicter ses « songes ». Beaucoup aussi à méditer dans ces livres considérés comme lieux de rencontre de soi à travers l’autre.
« Si Montaigne se regarde dans les livres, s’il les commente, ce n’est pas pour se faire valoir, mais parce qu’il se reconnaît en eux. Il observe dans le chapitre "De l’institution des enfants" : "Je ne dis les autres, sinon pour d’autant plus me dire" (I, 25, 227).
Montaigne rappelle par là que les autres lui procurent un détour vers soi. S’il les lit et les cite, c’est qu’ils lui permettent de mieux se connaître. Mais le retour sur soi est aussi un détour vers l’autre, la connaissance de soi prélude à un retour à l’autre. Ayant appris grâce aux autres à se connaître, constate-t-il, il connaît mieux les autres ; il les comprend mieux qu’ils ne se comprennent eux-mêmes : "Cette longue attention que j’emploie à me considérer, me dresse à juger aussi passablement des autres : Et est peu de choses, de quoi je parle plus heureusement et excusablement. Il m’advient souvent, de voir et distinguer plus exactement les conditions de mes amis qu’ils ne font eux-mêmes" (III, 13, 1675).
La fréquentation de l’autre permet d’aller à la rencontre de soi, et la connaissance de soi permet de revenir à l’autre. »

« Les livres seraient de meilleurs amis ou amours que les êtres réels. Avant de l’affirmer, n’oublions pas que Montaigne ne cesse jamais de concevoir la vie comme une dialectique entre moi et autrui. Si la rareté de l’amitié et la fugacité de l’amour incitent à privilégier le refuge de la lecture, celle-ci ramène inévitablement aux autres. »

Je me sens fort prochain de cet homme, de ses humeurs, de ses tours de pensée et de sa façon de lire, de citer, d’écrire ; son expression plurielle, animée, désordonnée, digressive et bonhomme, m’enchante.
Quand on le compulse, il est rare de trouver des pensées qui n’aient été reprises, développées depuis lors ; de même, il est difficile de lire d’autres auteurs sans y découvrir des idées qui n’aient pas racine ou filiation chez Montaigne, qui réactualisait lui-même abondamment ses prédécesseurs.
J’aurais pu ranger l’œuvre de Montaigne dans la philosophie, dans les essais (ou dans Radio Chose !), mais son style est tel qu’elle mérite amplement de l’être dans la littérature.
Au fait, l’émission est toujours présente en podcast sur France Inter ; à bon entendeur…



mots-clés : #biographie #philosophique #renaissance
par Tristram
le Sam 8 Déc - 23:47
 
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Sujet: Antoine Compagnon
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Metin Arditi

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Le Turquetto

Si d'aventure une personne vous parlait de ce livre, de son héros à la vie improbable, de la foule bigarrée du bazar de Constantinople, avec ses mendiants hauts en couleurs, ses fabricants d'encre et de babouches, ses marchands d'esclaves, si cette personne vous racontait Venise, son foisonnement artistique et ses intrigues, si enfin elle évoquait les trois grandes religions monothéistes, alors, vous auriez l'impression que l'on vous parle d'un pavé de 800 pages. Et quelle ne serait pas votre surprise, en ouvrant le Turquetto, de découvrir un livre d'à peine 280 pages, et encore, très aérées.

C'est que nous avons là affaire à un écrivain maîtrisant merveilleusement son art, et qui vous pose un décor comme personne. Quelques détails, disséminés au fil des phrases, et c'est le lecteur qui se construit tout un monde.
L'auteur mélange à merveille imaginaire et grande Histoire, cette Histoire qui ballotte les êtres, et notamment ce pauvre Elie, né juif à une époque où il ne faisait guère bon l'être, et où les trois religions du livre se regardaient en chiens de faïence.

Un personnage un peu éthéré, ce Turquetto, qui connaîtra le rejet, la déchéance sociale comme la gloire et les honneurs, mais traversera tout cela sans guère y attacher d'importance, en homme aussi libre que possible des entraves infligées par la société et ses codes imbéciles. Une seule obsession le guidera toute sa vie, et lui sera aussi nécessaire que de respirer : le dessin.
Peut lui chaut d'être juif, chrétien ou musulman ( ou du moins, voudra-t'il le croire...) Pour lui, seule compte la magie du trait, sa célébration de la piété, sa faculté à révéler la vérité des êtres.

J'ai vécu ce livre comme une succession d'émotions, subtiles et contrastées. La construction de l'ouvrage rappelle un peu une pièce de théâtre, avec ses trois actes divisés en courtes scénettes.
Il faut avouer une chose : on ne s'attache pas vraiment au personnage principal, ce Turquetto omniprésent, passionné, tourmenté, et pourtant insaisissable. Paradoxalement, les personnages secondaires ont parfois plus de corps que le Turquetto lui-même. Certains sont particulièrement marquants, comme le calligraphe amoureux de son art, la vieille et sensuelle "éducatrice" de futures concubines, ou encore l'homme d'église migraineux et désabusé.
Avec une vraie économie de mots, Metin Arditi nous livre l'intimité de tous ces êtres, en de courts chapitres qui, chaque fois, suscitent l'émotion, la réflexion devant la richesse des thèmes abordés, et l'admiration du lecteur devant son art consommé de la chute.


PS : Ne lisez pas la quatrième de couverture, elle en dit bien trop.

(ancien commentaire remanié)


mots-clés : #creationartistique #historique #renaissance #romanchoral
par Armor
le Sam 28 Jan - 14:39
 
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Sujet: Metin Arditi
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