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Giuseppe Ungaretti

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Message par Cliniou Mer 7 Déc - 9:23

Giuseppe Ungaretti (1888-1970)

Giuseppe Ungaretti Ungare10

De parents italiens, il naquit à Alexandrie où sa famille avait émigré, le père travaillant à la construction du canal de Suez. Il étudia pendant deux ans à la Sorbonne à Paris et collabora avec Giovanni Papini et Ardengo Soffici à la revue Lacerba. En 1914 il revint en Italie, et au début de la Première Guerre mondiale s'engagea volontaire pour partager le destin de ses contemporains. Il combattit au Carso (province de Trieste), puis en France. En 1916 il publia en italien le recueil de poésie Il porto sepolto où se reflètent son expérience de la guerre qui lui avait fait côtoyer la couche la plus pauvre de l'humanité, celle de la douleur quotidienne ; en 1919 il publia un deuxième recueil intitulé Allegria di naufragi où apparaît une nouvelle poésie, dégagée de la rhétorique et du baroque de Gabriele D'Annunzio. En 1933 parut Sentimento del tempo.

Bien que d'origine juive, il se rapprocha du catholicisme, jusqu'à se convertir, mais sans pour autant abandonner ses anciens coreligionnaires pendant la domination nazie.

Durant son séjour à Paris, Ungaretti fréquenta le philosophe Henri Bergson.

Après-guerre, il collabora assidûment à des revues et travailla dans un ministère comme professeur de langues. Il n'obtint de poste fixe que lorsque, du fait de sa renommée de poète, on le nomma en 1942 professeur à l'Université de Rome, un poste où il resta jusqu'en 1958. Avant cela, entre 1936 et 1942, il avait été professeur d'italien à l'Université de São Paulo (Brésil) ; c'est à cette période qu'il eut eut la douleur de perdre son fils, alors âgé de neuf ans.

Entre 1942 et 1961 il publia une suite de poésies intitulée Vita Di Un Uomo, qui l'assura aux côtés d'Eugenio Montale et de Salvatore Quasimodo comme l'un des fondateurs et membre éminent de l'école hermétique italienne.

L'évolution artistique de Ungaretti suit un itinéraire qui va du paysage à l'humanité, à la révélation religieuse, à l'impact du contact avec la puissance de la nature brésilienne, à la douleur de la mort de son fils et à son retour à Rome en début de seconde Guerre mondiale. Ces deux derniers événements sont à l'origine de son livre Il Dolore, publié en 1947. À travers le désespoir, le poète découvre la responsabilité humaine et la fragilité de ses ambitions. Ungaretti, au milieu du pessimisme avec lequel il considère le tragique de la condition humaine, décèle cependant, pour l'humanité, un message d'espoir.

Les vingt-cinq dernières années de sa vie représentent un examen critique du passé et laissent transparaître une grande soif de renouveau. Il mourut à Milan le 2 juin 1970.
source : Wikipédia

Ouvrages traduits en français :

Les Cinq Livres, 1953
Ungaretti, traduit par lui-même et Jean Lescure, collection bilingue, 1970
Vie d’un homme : Poésie 1914-1970
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Message par Cliniou Mer 7 Déc - 9:32

" Il y a eu d'abord, au commencement de la vie d'Ungaretti (né à Alexandrie d'Egypte), au commencement de sa poésie, le désert; le désert qui est le rien, le vide, l'éternité vide où toute vie semble à la longue s'ensevelie; qui est aussi l'espace où l'on s'élance, où l'on se risque, où l'on respire; il y a eu la nuit qui est une autre espèce de rien, une autre espèce d'étendue (effrayante comme la cécité, l'opacité); et la lumière même, quelquefois, au désert, est si violente qu'elle devient noire, qu'elle aussi absorbe, anéantit toute existence. [...]
L'allégresse, le premier livre d'Ungaretti, s'est d'abord intitulé l'Allégresse des naufrages: jamais l'exaltation ne va sans péril.
De même qu'au vent et à la lumière aveuglante du désert ne résistent que l'os et le roc, de même qu'à l'épreuve de la guerre (celle de 14-18, vécue par Ungaretti dans le Carso) ne survit qu'un homme réduit à ses fibres élémentaires (l'"homme de peine", effrayé, endurant, meurtri, fraternel), de même, la poésie de L'allégresse semble le produit d'une calcination ou d'une érosion: nue, brève et rude; elle aussi une apparition sur l'étendue de la page, une venue et une fuite, le précieux tremblement du temps à peine saisi que libéré dans la durée. Ces poèmes eux-mêmes sont pareils à des tentes, haltes précaires: un moment de révolte, un moment de désespoir, un moment de trêve, d'attente, d'abandon, à peine le temps d'une réflexion, d'une sentence, et c'est déjà le silence. Un mot n'y est pas plus (mais pas moins) qu'une feuille qui tremble dans la nuit.
"
P.Jaccottet

L'allégresse(Ici, des traductions de Jean Lescure.)

FIN DU PREMIER TEMPS (Milan 1914-1915)

TOUJOURS

D'une fleur cueillie à l'autre offerte
l'inexprimable rien

ENNUI

Cette nuit elle aussi passera

Cette solitude tout autour
ombre titubante des fils de tramways
sur l'asphalte humide

Je regarde les têtes des cochers
qui dans le demi-sommeil
vacillent

LEVANT

La ligne
vaporeuse s'efface
au cerceau lointain du ciel

Claques des pieds claques des mains
et la clarinette stridule ses arabesques
et la mer est de cendre
qui tremble douce inquiète
comme un pigeon

Des émigrants syriens dansent à la poupe

A la proue un jeune type tout seul

Le samedi soir à cette heure
les Juifs
là-bas
trimbalent
leurs morts
dans le trou d'escargot
chancellement
de ruelles
de lueurs

Eau confuse
comme le bruit de la poupe que j'entends
dans l'ombre
du
sommeil

TAPIS

Chaque couleur s'étend à son aise et s'installe
au milieu des autres couleurs

Pour être si vous la regardez plus seul

IL NAIT PEUT-ETRE

C'est la brume qui nous efface

Il naît peut-être un fleuve ici en haut

J'écoute le chat des sirènes
du lac où se trouvait la ville

AGONIE

Mourir comme les alouettes altérées
sur le mirage

Ou comme la caille
passée la mer
dans les premiers buissons
parce qu'elle n'a plus désir
de voler

Mais non pas vivre de plaintes
comme un chardonneret aveuglé

SOUVENIR D'AFRIQUE

Le soleil enlève la ville

On ne se voit plus

Même les tombes lui résistent à peine

MA MAISON

Après tant de temps
surprise
d'amour

Je croyais l'avoir éparpillé
aux quatre coins du monde

NUIT DE MAI

A la pointe des minarets
le ciel pose
des guirlandes de veilleuses

DANS LA GALLERIA

Un oeil d'étoile
nous prie de la mare là-haut
et filtre sa bénédiction glacée
sur cet aquarium
d'ennui somnambulique

CLAIR-OBSCUR

Même les tombes sont effacées

Espace noir infini descendu
de ce bacon
au cimetière

Il est venu me retrouver
Mon camarade arabe
qui s'est tué l'autre soir

Voici le jour encore

Les tombes reviennent
tapies dans le vert sombre
des dernières obscurités
dans le vert trouble
de la première clarté

PEUPLE

S'en est allé le troupeau solitaires des palmes
et la lune
infinie sur l'aridité des nuits

La nuit plus refermée
tortue lugubre
brasse ses écheveaux

Une couleur ne dure pas

La perle saoule du doute
agite déjà l'aurore et
à ses pieds momentanés
la braise

Grouillen déjà les cris
d'un vent neuf

Des ruches naissent dans lamontagne
de fanfares égarées

Redevenez d'anciens miroirs
lambeaux dissimulés de l'eau

Et
tandis qu'à présent tranchantes
les pousses des hautes neiges bordent

la vue familière à mes vieux
dans la clarté calme
s'alignent les voiles.

O ma Patrie chacun de tes jours
s'est allumé dans mon sang

Tranquille tu t'avances et chantes
sur une mer famélique


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Message par Cliniou Mer 7 Déc - 9:35

Extrait du Port Enseveli



IN MEMORIUM

Son nom c'était
Mohammed Scheab

Descendait
des émirs nomades
s'est suicidé
parce qu'avait
plus de Patrie

Aimait la France
changea de nom

Il fut Marcel
mais pas Français
savait plus vivre
sous la tente des siens
où l'on écoute
la cantilène du Coran
en buvant du café

Et ne savait
pas délivrer
la chanson
de son abandon

Je l'ai suivi
avec la patronne de l'hôtel
où nous vivions
à Paris
au numéro 5 de la Rues des Carmes
une ruelle en pente les murs fanés

Il repose
au cimetière d'Ivry
un faubourg qui semble
éternellement
dans une journée
où s'en va la foire

Et peut-être suis-je seul
à savoir encore
qu'il a vécu.

LE PORT ENSEVELI

Y pénètre le poète
et retourne à la lumière avec ses chants

et les disperse

De cette poésie
il ne reste
qu'un rien
d'inépuisable secret

LINDOR DE DESERT

Balancement d'ailes de fumée
tranche le silence des yeux

Avec le vent s'égrène le corail
d'une soif de baisers

Je blêmis de stupeur c'est l'aube

La vie se transvase en moi
dans un enchevêtrement de nostalgies

Je reflète à présent les coins du monde
que j'avais pour compagnons
et flairant l'étendue je m'oriente

Jusqu'à la mort à la merci du voyage

Nous avons les haltes du sommeil

Le soleil essuie les larmes

Je me couvre du manteau tiède
de lin d'or

De cette terrasse de désolation
je me penche dans les bras
du beau temps

VEILLEE

Une nuit entière
jeté à côté
d'un camarade
massacré
sa bouche
grinçante
tournée à la pleine lune
ses mains congestionnées
entrées
dans mon silence
j'ai écrit
des lettres pleines d'amour

Je n'ai jamais été
plus
attaché à la vie

AU REPOS

Qui m'accompagnera par les champs

Le soleil s'essaime en diamants
de gouttes d'eau
sur l'herbe souple

Je reste docile
à l'inclination
de l'univers serein

Les montagnes se dilatent
en gorgées d'ombre lilas
et vaguent avec le ciel

Là-haut à la voûte légère
l'enchantement s'est brisé

Et je tombe en moi

Et je m'enténèbre dans mon coin.

PHASE D'ORIENT

Dans la mollesse mouvante d'un sourire
nous nous sentons noués par un tourbillon
de bourgeons de désir

Le soleil nous vendange

Nous fermons les yeux
pour voir nager sur un lac
des promesses infinies

Nous en revenons marquer la terre
avec ce corps
qui à présent pèse si fort


COUCHER DE SOLEIL

La peau du ciel
éveille des oasis
au nomade d'amour


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Message par Jack-Hubert Bukowski Jeu 11 Juil - 10:38

Je me souviens qu'à ma première lecture, j'avais apprécié Ungaretti, mais il n'était pas si évident à appréhender. J'imagine que c'était une question de réceptivité à sa poésie. Cliniou et Constance ont beaucoup dit à propos de l'oeuvre de ce poète et la plupart de ce que j'ai souligné est différent de ces deux-là. Il y a des poèmes qui reviennent. Ungaretti est diversifié dans ses registres et il évoque beaucoup les thématiques de l'amour, de l'enfance et de la mort. Il y a des analyses qui parlent de l'aspect de fulgurance présent dans l'oeuvre d'Ungaretti. J'imagine que c'est cet aspect de fulgurance que j'avais besoin de mieux saisir dans l'indétermination du projet poétique.

«Juin»

Quand
cette nuit
à moi-même mourra
et que je pourrai
comme un autre la regarder
quand je m'endormirai
au bruissement
des eaux
qui finissent
de se rouler
à la haie des cassies
de ma maison

Quand je m'éveillerai
dans ton corps
qui s'infléchit
comme la voix du rossignol

Il s'exténue
comme la couleur
luisante
du grain mûr

Dans la transparence
de l'eau
le vélin d'or
de ta peau
se givrera de brunissures

Prenant élan
sur les plaques
retentissantes
de l'air tu seras
comme une
panthère

Aux coupes
mobiles
de l'ombre
tu t'effeuilleras

Rugissant
silencieusement
dans cette poussière
tu m'étoufferas

Puis
tu fermeras à demi les paupières

Nous verrons notre amour décliner
comme le soir

Puis je verrai
rasséréné
parmi l'horizon de bitume
de tes iris mourir
mes pupilles

À présent
la belle étoile est fermée
comme
à cette heure
dans mon pays d'Afrique
les jasmins

J'ai perdu le sommeil

J'oscille
au coin d'une rue
comme une luciole

Mourra-t-elle
cette nuit à moi-même?

Campolongo, 5 juillet 1917

J'alterne avec une poésie plus brève :

NOUVEAUX COMMENCEMENTS
Paris-Milan, 1919

«RETOUR»

Les choses brodent l'ample monotonie des absences

Cette heure est une coquille pâle

L'obscur azur des profondeurs s'est fracturé

Cette heure est un manteau de sécheresse

Ungaretti évoque les apparences dans ses poèmes :

«LIDO»

L'âme décourage l'apparence
D'arbustes grêles sur les cils
De chuchotements insidieux.

Conque luisante qui détruis
Dans l'âme ignorante l'effarement muet
Et portes son fardeau futile
À la bouche de l'astre, froid,
Âme ignorante qui t'en reviens de l'eau
Et retrouves en riant
L'obscur,

L'année s'achève dans ce tremblement.

J'y vais par touches impressionnistes :

«CHANT»

Je revois ta bouche lente
(Des nuits parfois la mer s'en vient à sa rencontre)
Et la jument de tes reins
Te jeter en agonie
Entre mes bras qui chantaient,
Le sommeil te redonner à la couleur
À d'autres morts nouvelles.

Et la solitude cruelle
Que chacun, s'il aime, découvre
En soi, tombe aujourd'hui sans fin,
De toi me sépare à jamais.

Chère, lointaine comme dans un miroir...

Je vais vous laisser sur un :

DIALOGUE
1966-1968

UNGÀ

12 SEPTEMBRE 1966

Tu es apparue à la porte
Vêtue de rouge
Pour me dire que tu es feu
Qui consume et renflamme.

Une épine m'a piqué
De l'une de tes roses rouges
Pour que tu suces à mon doigt
Un sang déjà presque tien.

Nous avons suivi la rue
Que lacère la verdeur
De la colline sauvage
Mais depuis longtemps je savais
Que de qui souffre avec foi téméraire
L'âge pour vaincre ne compte.

On était un lundi,
Pour nous prendre les mains
Et nous parler heureux
Il ne fut d'autre refuge
Que ce triste jardin
De la ville convulsée.
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Message par bix_229 Jeu 11 Juil - 12:59

Ogni mio momento
io l’ho vissuto
un altra volta
in un’epoca fonda
fuori di me
 


Sono lontano colla mia memoria
dietro a quelle vite perse
 


Mi desto in un bagno
di care cose consuete
sorpreso
et raddolcito
 


Rincorro le nuvole
Che si sciolgono dolcement
 


Chacune de mes heures
Je l’ai vécue
Une autre fois
Dans une époque profonde
Hors de moi
 


Je suis loin avec ma mémoire
A la poursuite de ces vies perdues
 


Je m’éveille dans un bain
de choses familières
surpris
et adouci
 


Je cours après les brumes
qui se dénouent tout doucement
 
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Message par bix_229 Jeu 11 Juil - 13:05

Ce que Ingeborg Bachmann, poète autrichienne pensait du poète et de
l'homme :

« …la première chose que j’entendis de lui, ce ne sont pas ses paroles, mais son rire, son rire… », Ingeborg Bachmann

En 1961, après avoir traduit en allemand le premier choix de poèmes d’Ungaretti, je fis la connaissance du grand vieil homme. J’avais évité cette rencontre le plus longtemps possible, je n’avais même pas répondu aux deux merveilleuses lettres qu’il m’avait envoyées, parce que je craignais que mon italien imparfait pût l’effrayer ou attirer sa méfiance. Sans doute aurais-je dû me dire que nul mieux qu’Ungaretti comprendrait qu’il faut se sentir chez soi dans sa propre langue pour pouvoir mener un poème d’une rive à l’autre. Ma crainte du mostro sacro de la poésie italienne se dissipa dans un des rires légendaires d’Ungaretti : la première chose que j’entendis de lui, ce ne sont pas ses paroles, mais son rire, son rire.

9
Si je devais dire aujourd’hui, ou des années plus tard, à des gens qui ne l’ont pas connu, ce qu’était le trait prédominant de l’homme Ungaretti, ce qu’il y avait de plus impressionnant chez lui, je dirais d’abord et toujours sans hésiter : sa générosité. Personne ne savait offrir comme Ungaretti, personne ne savait gâter autrui plus que lui. Jamais je ne l’ai quitté sans avoir de lui un cadeau en main, une plume verte, un cadeau longtemps désiré. Aller manger avec lui, ou voyager pour se rendre à un congrès, cela signifiait aussi être continuellement entourée de ses soins, rien n’était trop bon pour autrui.

10
Le plus grand cadeau, Ungaretti me le fit un jour à Fiumicino. Je ne sais toujours pas aujourd’hui comment il fit pour remarquer que j’allais mal, mais il insista pour m’emmener tôt le matin de l’hôtel à l’aéroport, et pour attendre avec moi le départ d’un avion qui ne devait s’envoler finalement que le soir. C’est ainsi qu’il perdit toute une journée dans le vacarme infernal de l’aéroport, prenant soin de moi, il chercha une salle un peu à l’écart, fit apporter du champagne, s’entoura de mystères et apporta quatre porte-bonheur qui depuis m’accompagnent toujours, chez moi et dans mes voyages, parmi lesquels un ancien porte-bonheur chinois qu’il avait reçu de Jean Paulhan et que, pour cette raison, je ne voulais pas accepter. Mais Ungaretti dit pour me calmer : moi, je n’ai plus besoin de rien, j’ai eu tout ce que je voulais. Mais vous, vous avez encore besoin de quelque chose, et tout ceci doit vous protéger.

11

Écrit probablement après 1970. Typoscript 1828 du Nachlaß (ÖNB), sans titre.

https://www.cairn.info/revue-poesie-2009-4-page-135.htm
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Message par Bédoulène Jeu 11 Juil - 13:58

très émouvant ce que dit Ingeborg Bachmann, merci Bix, merci Jack

_________________
“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia



[/i]
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
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Message par Tristram Ven 12 Juil - 10:14

Et je découvre encore un fil... et un poète à découvrir !

_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Jack-Hubert Bukowski Ven 12 Juil - 11:10

J'enchaîne avec d'autres poèmes :

«Italie»

Je suis un poète
un unanime cri
je suis un grumeau de songe

Je suis un fruit
d'innombrables greffes contraires
mûri dans une serre

Mais ton peuple est porté
par cette même terre
qui me porte
Italie

Et dans cet uniforme
de tes soldats
je me repose
comme s'il était le berceau
de mon père.

Quand on parle de l'inattendu :

«Naissance d'aurore»

Dans un manteau docile et la fuyante
Auréole, la nuit nubile
Qui raille et, l'on dirait, invite,
Arrache et jette de son sein
Une fleur pâle de braise.

C'est l'heure qui du dernier tremblement
Disjoint la première clarté.

Blême, elle ouvre un remous au bord du ciel.

Des mains émeraude, ambiguës,
Tissent du lin.

Et d'or les ombres promptes, étouffant
D'inconscients soupirs,
Les sillons changent en ruisseaux glissants.

À la manière de l'oeil du Big Brother :

«LA PRIÈRE»


Comme il devait aller avec douceur
Avant l'homme, le monde.

L'homme en a tiré des sarcasmes de démons,
Il a nommé ciel sa luxure,
Création ses mirages,
Rêvé immortel l'instant.

La vie lui est d'un poids énorme
Comme aile d'abeille morte
A la fourmi qui la traîne.

Entre ce qui dure et qui passe,
Seigneur, songe constant,
Fait qu'un pacte se renouvelle.

Rassérène ces enfants.

Fais que l'homme entende à nouveau
Que tu es monté jusqu'à toi
Par infinie souffrance d'homme.

Sois la mesure, le mystère,
Amour purifiant,
Refais de la chair trompeuse
Une échelle de salut.

Dis-moi encore une fois
Qu'enfin en toi anéanties
Les âmes s'uniront
Et formeront là-haut,
Espèce humaine éternelle,
Ton bienheureux sommeil.

On peut dire que Giuseppe Ungaretti connaît les secrets de l'âme humaine.
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Message par bix_229 Sam 13 Juil - 16:03

ÉTOILES

Elles retournent en haut les fables
Pour brûler.
Elles tomberont au premier vent
Avec les feuilles.
Mais vienne un autre souffle
Il naîtra un étincellement neuf.

Extrait de "Sentiment du temps"

Si vous avez la chance de trouver "A partir du désert" et "Carnet égyptien", lisez-les. Ungaretti est un écrivain voyageur.
In y en a moins qu'on ne le croit.
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Message par Jack-Hubert Bukowski Dim 14 Juil - 8:40

Peut-être en fait que j'ai plus en commun avec Ungaretti que je l'aurais pensé à premier abord. Bix parlait du commentaire d'Ingeborg Bachmann et du rire caractéristique à Ungaretti. J'en parle parce que je vais vous présenter un poème qui en fait état :

«Lucques»

Dans notre maison, en Égypte, après dîner, le rosaire
récité, ma mère nous parlait de ces pays.
Mon enfance en fut toute émerveillée.
Il y a en ville un trafic fanatique et timoré.
Dans ces murs on n'est jamais que de passage.
Ici le but est partir.
Je me suis assis au frais à la porte de l'auberge avec des
gens qui me parlaient de la Californie comme de l'une
de leurs terres.
Je me retrouve avec terreur dans les traits de ces
hommes.
Et voici que, chaud dans mes veines, je sens courir le sang
de mes morts.
J'ai pris moi aussi une pioche.
Entre les cuisses fumantes de la terre je me surprends à
rire.
Adieu désirs et nostalgies.
Je sais du passé et de l'avenir tout ce qu'un homme peut
savoir.
Je connais désormais mon sort et mon origine.
Il ne me reste rien à profaner, rien à rêver.
J'ai joui de tout et de tout j'ai souffert.
Il ne me reste qu'à consentir à mourir.
J'élèverai donc paisiblement ma progéniture.
Lorsqu'un appétit mauvais me poussait aux mortelles
amours, j'ai célébré la vie.
À présent que je considère, moi aussi, l'amour comme une
garantie de l'espèce, c'est à la mort que je songe.

Encore une fois, la mort :

«D'UNE PERSONNE MORTE
QUI ME DEVINT CHÈRE
POUR EN AVOIR ENTENDU PARLER»

Que s'écarte la mort
De notre regard muet,
Que la violence de notre peine
S'apaise un instant,
Reparu dans la chambre calme
Le bonheur de tes pas.

O belle et souple, c'est avril
Et ta douceur reconduit
La jeune clarté des années
Où plus âpres se font l'attente, et la tristesse.

À ton front attentif
Les pensées retrouvées
Entre tes choses familières
Enchantent de nouveau,
Mais, déjà, ta parole caressante
Réveille,
Plus profonde,
La douleur assoupie brièvement
De qui t'aima et désormais
Éperdument
À ne t'aimer que dans le souvenir
Est condamné.

Le poète évoque l'enfance :

«RESTE D'ENFANCE»

1

Une faiblesse me prend à la gorge,
Où de l'enfance m'est restée.

Signe du malheur à calmer.

Ces appels patients
Étranglés par l'acharnement de la souffrance
C'est le destin de l'exilé.

2

De l'enfance me reste encore.

Ma façon d'y céder,
C'est courir ainsi hors de moi,
Gorge serrée.

Serait-ce le destin de l'exilé?

C'est pour calmer mon malheur,
Ces courses d'aveugle,
Cette irruption de cris sans trêve
Étranglés par la souffrance.

On revient ainsi à des thématiques persistantes et assez constantes d'un bout à l'autre de l'oeuvre d'Ungaretti.
Jack-Hubert Bukowski
Jack-Hubert Bukowski

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