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Message par Tristram Dim 27 Sep - 14:25

Topocl a écrit:Et il y a ce vilain penchant de beaucoup de nos écrivain·es actuel·les de se donner des allures de pédagogue en copiant des pages d’encyclopédie ; cela n’aide pas à rythmer le récit.
Ah, si on ne peut plus pomper comme à l'école...
Mais le plus grave, ce sont ces précepteurs-censeurs autoproclamés qui, militants, activistes, politiques, nous expliquent ce qu'on doit penser, dire, faire ; en disparate, ça me fait d'autant plus apprécier les auteurs qui (au moins perceptiblement) ne nous font pas la leçon (ou alors plus finement).
NB, ce point de vue ne concerne pas l'œuvre de cette auteure que je n'ai jamais lue (que je me ramentoive).

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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Nadine Dim 27 Sep - 17:44

Super, topocl, de lire ton retour. J'ai entendu parler de cette sortie de livre et j'espère le lire cette année. Dans l'interview que j'ai entendu elle souligne qu'elle cherchait un nouveau challenge d'écriture. Elle est attachante. j'ai hâte de découvrir. merci.

Tristam, je crois que tu veux parler de l'ultracrepidarianisme ? Des copains m'ont fais découvrir le terme dernièrement Shocked pirat
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Message par topocl Dim 27 Sep - 17:46



En outre c’est assez inintéressant ce qu'elle explique, même si ça n'a pas grand chose à faire dans un roman

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Message par Tristram Dim 27 Sep - 18:27

Nadine a écrit:l'ultracrepidarianisme
Je connais le terme d'Étienne Klein, qui le définit comme "parler avec assurance de choses qu'on ne connaît pas" ; Wikipédia précise "comportement qui consiste à donner son avis sur des sujets sur lesquels on n’a pas de compétence crédible ou démontrée", et y voit une forme d’argumentation d’autorité. Ce n'est donc vraisemblablement pas tout à fait le cas d'Alice Zeniter _ mais que ce soit clair pour toutes et tous : je suis LE champion incontestable et incontesté de l'ultracrépidarianisme (qu'on se le dise dans les chaumières).
Topocl a écrit:ça n'a pas grand chose à faire dans un roman
Faut bien remplir, dixit l'éditeur, dans la foulée du modèle de réussite, Houellebecq.

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Message par topocl Lun 28 Sep - 8:57

Je n'ai pas l'impression qu'elle parle de chose qu'elle ne connait pas; Elle a l'air de drôlement connaitre son sujet. Et ce qu'elle dit ce ne sont pas des opinions, elle transmet un savoir. Seulement elle n' a pastrouvé le moyen de l'intégrer dans son processus d'écriture autrement que par un procédé qui évoque le copier-coller.

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Message par Nadine Dim 26 Déc - 12:20

Je suis une fille sans histoire

Alice Zeniter - Page 2 Je-sui10

Ce petit livre est un seule-en-scène commandé à l'écrivaine par la Comédie de Valence pour un spectacle que la pandémie n'a pas encore rendu possible.
Collection "Des écrits pour la parole" de la maison d'édition "L'Arche".

Il est très plaisant à lire, a la vivacité des planches, en effet, et joue sur une langue orale et didactique à la fois.
Partant d'un texte de U. Le Guin , "Théorie de la fiction panier", s'appuyant sur Aristote, Eco, Bechdel, Borges ou Tolstoï, la narratrice (on peut d'ailleurs dire Zéniter, car l'essai que constitue le texte repose sur le récit de son parcours analytique) nous amène de manière ludique dans le champ de l'analyse sémiotique.

"Ce que j'ai fais, moi, c'est tenter de transformer des outils de sémiologie et de narratologie en idée affectante, à l'aide de récits personnels ou d'exemples tirés de la pop-culture, et cette idée je la diffuse dans l'ouvrage que vous tenez entre les mains. Bien sûr ça ne permet pas de toucher des millions mais c'est clairement un relais plus efficace que si je dissertais dans ma cuisine"

C'est drôle, précis, spécialisé sans être pompeux, c'est rapide à lire et parce que ce texte prend la forme d'un "stand-up", la rigueur de sa réflexion nous initie à la recherche universitaire en toute légèreté.
L'Apport de Zeniter, fidèle à sa générosité, appelle à revaloriser des schémas narratifs réputés plats. Il y a un très beau travail de construction didactique, la mise en abyme de la récitante en train de construire une tenue en haleine est comique et réjouissante.

Après cette lecture j'ai hâte de continuer à lire cette écrivaine. Plus haut sur le fil j'avais souligné son talent de passeuse : je le ressens à nouveau avec force. Et en plus ce petit essai en forme de monologue et poupée gigogne est très amusant.
Si l'on est un peu allergique à l'analyse littéraire ce peut-être un texte assez réparateur et utile car son volet scientifique (il cause sémiologie, schéma narratif) est expliqué et présenté avec humour et simplicité, et surtout nous permet de toucher du doigt son importance et ce qu'il implique au final pour un lecteur, pour un auteur, pour un imaginaire.
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Message par Bédoulène Dim 26 Déc - 20:20

merci Nadine. (curieusement, à te lire cette lecture me parait plus "visuelle")

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Message par Nadine Lun 27 Déc - 8:51

Oui bédoulène, c'est une lecture certainement "visuelle" parce qu'elle est faite dans l'optique d'une oralité théâtrale, en effet. ça se lit vraiment facilement, aussi.
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Message par Nadine Ven 31 Déc - 8:56

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Message par Nadine Jeu 6 Jan - 1:56

Comme un empire dans un empire

Alice Zeniter - Page 2 Cvt_co10

Je continue avec plaisir la lecture des livres de Zéniter.
Cette fois un roman. Qui se lit vite et bien.
J'ai apprécié l'immersion dans les notions de piratage informatique, que je méconnaissais totalement. Il faudrait dire à ce propos que le personnage de "L, la jeune femme hackeuse,dirige ses talents plutôt à aider des individus à se protéger d'intrusions numériques, tandis que son compagnon exerce une activité inscrite davantage dans le démorcelement de structures financières et/ou politiques. Une hackeuse pour les individus, quoi.

Je reviens vers le retour de topocl :

topocl a écrit:

(...) c’est un roman qui séduit par sa contemporaineté, ses personnages ancrés dans le monde d’aujourd’hui et ses problématiques.  C’est un livre courageux dans son modernisme car il risque de décourager certains publics peu avertis,

C’est bien mené comme sait le faire Alice Zeniter, surtout le point de vue de la hackeuse.
La description du monde politique parait un peu naïve et n’apporte pas grand chose.  Et il y a ce vilain penchant de beaucoup de nos écrivain·es  actuel·les  de se donner des allures de pédagogue en copiant des pages d’encyclopédie ; cela n’aide pas à rythmer le récit.(...)
Totalement d'accord sur la contemporaineté, ce roman est tissé notamment d'une langue actuelle, orale, on aura parlé de Despentes ou Nicolas Mathieu sur la peinture d'époque, on peut aussi citer Zéniter sans aucun doute. Elle a sa manière à elle de le faire, que j'aime particulièrement. Je trouve qu'elle a les qualités réelles et rares du roman populaire, écrivant bien mais dans une langue très accessible, et menant le projet d'écriture avec des exigeances de sens qui se maquillent de simplicité.
sa manière touche au conte. La valeur d'"histoire contée" est très présente à mon sens.

Contrairement à topocl je trouve que le volet que développe le personnage d'Antoine, le fait qu'il travaille comme rédacteur d'un député, amène aussi son poids et à l'histoire, et au sens à en tirer. Je vois ce que tu veux dire, topocl, par "naiveté" pourtant je ne dirais pas cela. Ce jeune homme permet, déjà, de comprendre un autre champ d'action, institutionnalisé;  il est intéressant qu'il soit exprimé qu'il s'y engage un peu seul quant à son milieu d'origine ou son cercle amical, ce qui permet d'énoncer  tout du long l'enjeu des outils institutionnels dans le développement d'une pensée, des engagements ou même de l'épanouissement individuel. À travers ces deux héros principaux, au fond, on visite deux univers aux modes d'emploi et pouvoirs différents, cela les dédiabolise et les rend lisibles. Et de fait le roman s'essaie à brasser les questions récentes, gilets jaunes, lanceurs d'alerte.Mais aussi la manière dont on construit sa vie dans le travail, par le travail, comment la pensée, les pensées, trouvent à s'articuler dans ce que l'on fait.
Dans les deux cas ces personnages peinent à la tâche parfois, et ce roman a donc le mérite d'illustrer que "ce n'est pas toujours facile", la vie sur notre plancher des vaches. le nôtre. Actuel. D'un point de vue de l'émotif.

Avant tout, l'esprit de roman mène le jeu, la lecture se fait avec plaisir, et me laissera pour finir , cependant, empreinte d'une mélancolie sourde, un peu. Zéniter a dix ans de moins que moi (36, ducoup) j'ai bien l'impression que cette tranche d'âge qui trouve à témoigner nécessairement de plus en plus a à la fois plus de pragmatisme que ma tranche d'âge et plus de désillusion.

Après le brillant et pétillant seul en scène que j'ai commenté plus haut, ce roman là me laisse entendre la fragilité que le regard de l'auteur peut inclure aussi.Ce que j'aime bien chez elle, je crois, le plus, au fond, c'est ma sensation de la voir convoquer son vécu sensitif pour le transmuer en fiction. Je sens l'auteur tout du long construire étroitement et en complicité ces témoignages, j'adore ça , plus avec elle qu'avec d'autres. Sentir le métier derrière.

il me semble que Zéniter explore ces temps ci des formes variées, le théâtre notamment, elle a raison, je crois, et même le cinéma aurait profit à s'intéresser à sa manière. Elle a une écriture d'intention, d'intention émotive, et une conscience d'époque, de contexte. Je pense que cela servirait merveilleusement l'audiovisuel.

Le procédé littéraire est tissé d'altruisme et d'attention à l'émotion, clairement, et c'est de cela que nait cette sensation mélancolique : les émotions sont des domaines subtils , complexes, fugaces.
Et tout cela sert un roman qui a je le redis toutes les qualités du roman populaire. Tout le monde peut le lire, vraiment. Il y a un langage parfois soutenu, mais je crois très suivable pour un moins "littéraire".Parce qu'elle alterne des séquences contextuelles, d'action et d'avancée, qui mènent à ces énonciations et les rendent saisissables par le lecteur qui aurait moins de lexique, je crois.
Quelques extraits pour sentir le ton.
Alice Zeniter - Page 2 Fulls125

Sur le choix de ne travailler qu'au sein du monde "du dedans" (du codage internet, du Darknet, du décodage internet) de la part de l'héroine L:
Quand L avait réalisé qu'elle pouvait gagner deux à trois cents euros par semaine, elle avait laissé tomber les CDD à répétition. Il n'y aurait plus de bars avec leurs patrons aux mains dégueulasses cachées derrière des je-suis-marié, les bars emplis de clients persuadés que leur volonté de s'amuser était la seule énergie qui maintenait Paris en vie et qu'elle devait être vénérée comme telle. il n'y aurait plus de magasins trop éclairés où plier des vêtements jusqu'à ce que les coudes grincent, le corps incapable, au soir, de vivre la vie que l'argent gagné pendant la journée aurait dû permettre d'avoir, le corps qui lâche, tout en courbatures et ronflements. Il n'y aurait plus de réveils tout habillée, à se dire qu'il faut repartir, au taf sans avoir eu le temps de connaitre autre chose, plus de retenue sur salaire pour sanctionner les retards, plus de domination déguisée en séduction ou en inquiétude paternelle, d'ailleurs plus jamais on n'appellerait L "les filles" en la noyant dans le groupe de ses collègues, en l'enfermant dans l'enfance, c'était fini.
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Message par topocl Jeu 6 Jan - 7:49

Hello Nadine, contente que ça t'ait plus. A vrai dire ma lecture est trop ancienne pour vraiment pouvoir te répondre sur Antoine.
Quant au "tout public", il me semble que ce doit quand même être compliqué pour toute une population exclue des moyens d’information numérique.
Et Zeniter, ça ne prend pas d'accent j'ai l'impression.

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Message par Nadine Jeu 6 Jan - 20:37

Tu as raison topocl, je pensais sans doute à la jeunesse, qui a de toute façon son portable en main, ce qui est suffisant. Pour l'accent tu as raison, on n'écrit sans doute pas Zéniter mais Zeniter. Dommage , j'aimais bien ^^
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Message par Nadine Mar 1 Fév - 11:36

Juste avant l'oubli
Alice Zeniter - Page 2 Index21
Un petit roman de gare, qui n'a pas la qualité de L'Art de perdre, écrit deux ans après, ni l'esprit d'Une fille sans histoire qui restent mes préférés de loin, mais ça a été une lecture absolument agréable, facile, assez amusante.
Un parfait roman de gare sans prétention, c'est comme ça qu'on dit.

"Franck a rencontré Emilie il y a huit ans. Il est convaincu qu’elle est la femme de sa vie. Mais la jeune femme, thésarde, connaît une passion sans bornes pour l’écrivain policier Galwin Donnell, mystérieusement disparu en 1985. Elle se rend sur une petite île pour organiser un colloque qui lui est consacré. Franck compte l’y rejoindre et la demander en mariage. Mais rien ne se passe comme prévu. "
Oui c'est ça, voilà. Livre mineur mais parfait pour procrastiner sur ses autres lectures.

Ah ! une mention sur l'appareil très savoureux de citations au début de chaque chapitre, des citations du faux auteur, inventé(es) par l'autrice. Savoureuses. Ah je me suis marrée, c'est certain.
"Il n'y a que chez lui qu'existaient conjointement cette obsession absolue de la mort, seconde après seconde, et ce désintérêt pour tout effet tragique, qu'il qualifiait de politesse de tsarine." Georges Barney, chez Bantham House, cité dans Les derniers jours de Galwin Donnel.
Enfin, en tous cas, ses lecteurs de l'époque ne devaient pas s'attendre à un talent exponentiel, tel qu'il prend l'allure d'être, dans ses dernieres parutions. Son travail paie, certainement. Chapeau.

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Message par Bédoulène Mar 1 Fév - 12:59

merci Nadine; Je reviendrais à cette auteure (j'ai déjà du le dire )

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Message par Albert Mer 17 Mai - 22:06

Toute une moitié du monde de Alice Zeniter Flammarion 2022

Voilà un titre prémonitoire, je n'ai pu en lire que la moitié, j'ai lâché l'affaire à peu près au milieu, trouvant que le livre devenait ennuyeux.
La première moitié s'annonçait bien, et j'avais beaucoup aimé "L'art de perdre" prix Goncourt des lycéens, qui récompensent souvent, à mon goût, de meilleurs livres que leurs aînés.
Dans ce livre, Alice Zeniter explore d'abord l'absence des femmes comme héroïnes, dans les livres comme dans les films. Ça, c'est la partie intéressante.
Elle évoque, entre autres, le livre de Zora Neale Hurston "Mais leurs yeux dardaient sur Dieu" qu'elle donne vraiment envie de lire.

C'est ce qu'est le roman: l'histoire du désir d'une femme noire, qui dans une société marquée par la domination des Blancs sur les Noirs et des hommes sur les femmes, n'aurait pas dû avoir le droit de désirer.
Alice Zeniter a voulu ce livre "comme une rêverie autour de la fiction."
Vers la seconde moitié du livre, elle nous livre ses réflexions sur la nature des personnages dans les livres, leur nécessité éventuelle. Je ne vous en dirai pas plus, je me suis arrêté là, feuilletant en diagonale la fin du livre, mais rien ne m'a donné envie de reprendre ma lecture.

Dommage, le début était accrocheur.

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Message par Bédoulène Jeu 18 Mai - 8:08

à moitié à ton goût donc, puisque tu as déjà apprécié l'un de ses livres tu pourras plus tard y revenir.

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Message par Bédoulène Jeu 26 Sep - 19:05

Alice Zeniter - Page 2 Epopee10

Frapper l’Epopée

Tass qui partage son temps entre la Nouvelle-Calédonie où elle est née et l’hexagone où elle partage la vie de son amoureux, vient justement de rompre, elle rentre sur le Caillou. Elle reprendra son métier d’institutrice remplaçante.

C’est donc aux côtés de la jeune femme que nous faisons la découverte de l’île.

Nouméa : « On flâne encore moins dans les quartiers riches et privatisés, dont on ne peut pas franchir les portails automatiques. On ne flâne pas dans les quartiers populaires parce que les hommes installés dans un coin d’ombre pour boire une bière n’aiment pas être regardés comme les animaux du zoo et que leurs visages barbus font peur, on ne flâne pas entre les cabanes de bois et de tôle sur les terrains squattés parce que l’illégalité des constructions rend les habitants nerveux envers les intrus, on ne flâne pas à Magenta parce qu’il y a tous les petits avions qui décollent vers les autres îles de l’archipel et leur bruit casse la tête, on ne flâne pas sur le port, en dehors du marché couvert, parce qu’il y a de gros bateaux qui sentent l’essence, des voitures garées partout, et des routes compliquées tout autour, chaque fois qu’un feu passe au vert, ça vrombit. En clair, on ne flâne pas à Nouméa, sauf le long des baies. Et c’est pour ça qu’on y emmène directement les nouveaux arrivants ou ceux qui, comme Tass, viennent de rentrer. Le long de l’anse Vata ou de la baie des Citrons, on comprend que Nouméa est une presqu’île – ce qui est charmant – et, le long des baies, contrairement aux collines tortueuses, le chemin est simple : on longe la mer, on réajuste ses lunettes de soleil pour ne pas avoir les yeux blessés par les reflets, on salue des connaissances puis on s’arrête pour prendre un verre. »

L’histoire de ses habitants ; l’histoire de son peuple, des différentes populations qui sont passées ou qui s’y sont installées ; volontairement ou contraintes comme les bagnards envoyés des bagnes de Toulon, Brest, des autres colonies françaises.

Les tragiques évènements qui se sont déroulés dans plusieurs temps, dans le passé et là le Groupe de deux femmes kanak et un vieil homme kanak « Un Ruisseau » qui forment un groupe de révolte « l’empathie violente » rappellent le destin des habitants et de l’île.

« Un Ruisseau dit que le terrorisme, au sens strict, est inutile car la terreur est stérile. Elle ne produit rien, pas même le mouvement, et certainement pas la compréhension ou la rédemption. Bien sûr, il ne dit pas « rédemption » – c’est un mot que les colons de la pénitentiaire et les colons missionnaires ont trop prononcé : le grand mot d’Un Ruisseau, c’est réparation. Et pour arriver aux réparations, répète-t-il, il faut que les oppresseurs comprennent ce qu’ils ont cassé et par quels moyens, souvent invisibles à leurs yeux, ils ont cassé. La seule forme de terrorisme qui soit acceptable, théorise Un Ruisseau, est empathique. »

Y survivent les mœurs, us sous diverses formes et notamment des totems et des tabous ; tabous dont Tass sera victime les ignorant. C’est dans un ruisseau dont elle avait souvenir de l’enfance qu’elle fera la découverte du passé de sa lignée, en tombant dans un trou où l’eau en tumulte lui enverra des images.

« La voix s’interrompt. De nouveaux murmures s’élèvent : Mais dis mieux, toi, tu es encore pas clair, puis des phrases en langue que Tass ne comprend pas même si elle reconnaît un ou deux mots en ajië.
— C’est un endroit tabou, reprend la voix masculine, un endroit pour les ossements et les armes qui ont tué, c’est un endroit pour ceux qui dorment dans les branches ou ceux qui dorment sous la terre depuis si longtemps que les nombres sont dépassés, a place for gods and ghosts, un « ne pas déranger », un club VIP, non seulement réservé au clan mais réservé aux rares personnes qui, au sein du clan, sont habilitées à y entrer, et même ces personnes ne le peuvent qu’à des moments précis, quand une nécessité ou un appel se présente, ce n’est pas un endroit pour une étrangère, doublement interdite ici parce que étrangère et femme…
— Oh, ça suffit, dit NEP, on avait dit quoi sur le sexisme ?
— Pardon de prendre la parole, dit FidR, mais elle a raison »


Le Groupe de l’ « empathie violente » qui l’aidera à remonter du trou verra également le passé de Tass et saura que ses ancêtres étaient bagnard et l’un arabe d’Algérie. Les arabes vivaient dans un lieu retiré et ignoré des autres, Nessadiou.

Tass n’est pas une « blanche » approuve le Groupe.

Tass reprend les cours après les vacances et apprend avec plaisir que deux de ses élèves, qui l’intéressaient particulièrement vont eux aussi revenir dans l’école.

****************************

Guillain envoyé de la métropole sur l’île pour gérer : ressort le racisme et la méconnaissance des Kanaks
« Par ailleurs, il veut bien qu’on ait donné des droits de propriété à des Algériens mais les Arabes sont quand même plus proches de nous – on ne sait pas s’il se base sur un nuancier Pantone ou s’il a établi des critères pour estimer la taille des âmes – que les Mélanésiens, avec leurs cheveux laineux, et leurs noms de baptême comme des déguisements grotesques. Depuis son arrivée, on lui a présenté un Napoléon, on lui a désigné du doigt un Hippolyte. Sous les prénoms de gloire et de fureur, ces chefs se baladent presque nus, quelques carrés de tissu, des coquillages enfilés sur une cordelette, un étui pénien absurdement décoré leur enserrant la verge. C’est une blague, voudrait dire Guillain en détournant les yeux. Si on commençait à donner des documents à ces hommes, ça brouillerait la hiérarchie des races. Et il y tient quand même un peu, Guillain, à la hiérarchie des races. Ça le froisserait de la mettre à mal. Il veut bien créer des écoles gratuites dans l’espoir que certains indigènes se mettront au niveau car il croit à l’évolution, mais il constate chaque jour l’imperfection de leur race dans la laideur de leurs traits – c’est un constat scientifique et il le documente à l’aide de ses daguerréotypes : voyez le nez et ici, le front, notez l’absence de symétrie du visage, mesurez bien la largeur, le plat, le convexe. »

L’autrice cite à plusieurs reprises Louise Michel, la seule qui parlera du sort fait aux femmes, Kanaks ou pas. Il y a d’ailleurs des descriptions de pratiques odieuses, honteuses, sur les femmes « objet » que l’on prend sur une étagère comme au marché.

Et un regret de l’autrice alors qu’elle apprend que les communards se sont joints à l’armée pour traquer les Kanaks rebelles.

Sont cités les différentes populations qui sont arrivées sur l’île, dans l'ordre d'apparition, les grands évènements et agissements du gouvernement Français (Ouvéa notamment, mais beaucoup plus anciens aussi) ; les lois punitives, contraignantes, les sévices d’un temps à un autre.

Evidemment ce qui se passe à l'heure actuelle prend sens après cette lecture.

Une lecture très intéressante ; de plus j’admire l’autrice de retrouver, toujours, ses racines, là aussi sur les bagnards Algériens de la Nouvelle Calédonie

Une écriture que j’apprécie beaucoup.


Extraits : la mère de Tass parlant des votes : « Mais surtout, elle déteste penser que son père aurait pu être là, c’est comme s’il apparaissait un instant pour lui être immédiatement arraché. Ça se remet à saigner, sous les croûtes. Elle a, malgré tout, demandé à sa mère pourquoi elle disait ça. Et Pascale a répondu que son père portait tous les souvenirs de son enfance pauvre, les odeurs d’huile et d’essence et du garage, et de l’enfance encore plus pauvre de ses parents, bien que ni Paul ni Madeleine n’en aient jamais rien raconté mais ces choses-là se sentent, et sans doute aussi le poids de la misère des grands-parents, des arrière-grands-parents, et le flou, terrible et total, autour de l’arrivée, forcément misérable, forcément difficile, du premier aïeul. Toute la famille avait travaillé dur avec l’espoir que les enfants grandiraient mieux et, de génération en génération, ils y étaient arrivés, lentement, péniblement. Mais l’indépendance apportait une incertitude contre laquelle leur travail acharné ne pouvait rien : peut-être que les enfants vivraient moins bien qu’eux, et les enfants des enfants aussi. Peut-être qu’il y aurait des temps de décroissance, d’effondrement, des pénuries et des départs. Ton père n’était pas le genre d’homme qui peut imaginer sereinement que ses enfants manqueront. Quel parent peut vouloir ça ? Ça l’aurait tué d’avoir à choisir oui ou non. Le bien du pays contre le bien de ses enfants, ou l’inverse. Te sacrifier aux demandes légitimes des Kanak. Sacrifier une décision juste à ton bonheur. »

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