Nathalie Sarraute
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Re: Nathalie Sarraute
Même en traduction, je sens tout de suite sa subtilité et son intelligence.
J'ai adoré "Enfance" et l'intention de le relire en original.
Je crois avoir lu encore deux autres. Mais je ne me rappelle pas lequels.
Parfois le titre en japonais est complètement différent de l'original.
Et donc il est difficile de deviner.
Je suis très contente que Bix l'ait aimé.
Gnocchi- Messages : 965
Date d'inscription : 01/01/2017
Re: Nathalie Sarraute
Extrait :
La voici, l'arme la plus facile à manier, la plus efficace de leur arsenal. C'est elle, il le savait, qu'ils sortiraient aussitôt et braquer aient sur lui. Rien n'est plus étonnant que la rapidité, la force avec laquelle ce mot frappe, pénètre, s'épand...
Un mot pourtant qui ne paie pas de mine, un mot d'apparence parfaitement anodine, ce "ja" qui s'ouvre avec douceur, "loux" comme "doux"... "loux" même plus doux... Mais il ne faut pas s'y fier, rien n'est plus traître que ces sonorités... Souvenez-vous qu'il y a "loux" et "loup". Tout est là, dans ce qu'on ne prononcé pas, dans ce x et dans ce p. Cela fait toute la différence. Et le "loux" si doux accolé à l'ouverture confiante du "ja" donne quelque chose qui en un clin d'œil opère ces transformations... Quel ordinateur dans des millions d'années pourra jamais fabriquer ce qui en vous et en moi dès que ce mot "jaloux" a été prononcé produit ce que vous savez... Qui pourra jamais le développer, le grossir, l'étaler... Mais à quoi bon ? Il suffit de le dire :"jaloux". L'énorme machinerie aussi compliquée que celle qui fait respirer nos poumons, battre notre pouls, d'un seul coup, sans qu'il sache comment, sans qu'il puisse expliquer pourquoi, lui fait monter le sang à la tête, son visage rougit... "Jaloux ? Moi !"
églantine- Messages : 4431
Date d'inscription : 02/12/2016
Localisation : Savoie
Re: Nathalie Sarraute
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21639
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
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Re: Nathalie Sarraute
Enfance Nathalie Sarraute
Alors, c'est une relecture et j'ai oublié précisément la date de la première lecture, mais au moins une dizaine d'années; on a toujours des surprises avec les relectures, celle-ci a été une assez grosse surprise; l'oeuvre, je pense, n'a pas changé, mais moi, j'ai bien changé....
Je me figurais "l'avaler" en deux ou trois heures, j'avais un souvenir de lecture très simple, narration plane,plate, et souvenirs ( d'enfance, ceux de l'écrivain) banals, linéaires et sans invention, une façon de scruter les choses qui sont demeurées indélébiles parce qu'on est petit ( petit de taille aussi) et qu'une feuille ou un escargot dévisagés emplissent l'horizon et sont énigmatiques "qu'estce que c'est ? ça bouge ? c'est une bête ? pourquoi ? pourquoi ?" bref
En réalité, dès les premières lignes, je me suis cognée à la succession des tirets ( un dialogue ? j'avais oublié..) et à l'identité de l'interlocutrice ( une femme d'après moi) gênante, intrusive, redondante ( elle répète la narratrice, la force à se répéter, sans cesse) indiscrète, trop familière, sans gêne, et à mes yeux d'une totale artificialité... volonté de rompre un récit linéaire, d'introduire un doute dans la certitude du souvenir ? coquetterie d'écrivain ( le Nouveau Roman, prout prout ) bref cela m'a agacée, et perturbée; peut-être Sarraute a-t-elle été schizophrène, après tout ?
Ensuite, j'ai apprécié l'épaisseur, la finesse, l'étincelant des tablotins qui se sont succédés, et leur pouvoir d'enchantement qui ramène le lecteur à son enfance à lui aussi;
Et puis, peu à peu se sont dégagées des lignes de force, des lignes conductrices, dans le chaos temporel de ces souvenirs qui surgissent par vagues et dont certains détails nous frappent, nous adultes, mais sont totalement inconscients, inaperçus de l'enfant Natacha...La richesse, le rang social, les voyages, les domestiques, les moeurs étrangères, et par dessus tout, un homme le Père et une femme, la Mère qui sont géographiquement éloignés et apparemment "étrangers" l'un à l'autre, quoique un possible antagonisme soit feutré;
Les souvenirs poursuivent leurs apparitions et Natacha grandit; désormais ses ressentis sont plus aigus, déprimés, violents, ou découragés..... la clôture correspond à son entrée au Lycée Fénelon et dans le monde de l'adolescence;
Le lecteur lui a eu le temps de tisser sa réalité, sa compréhension d'un divorce au long cours, des relations de l'enfant avec des adultes quelque fois malfaisants ou psychologiquement maltraitants, de visualiser des classes sociales disparates, exilés Juifs de gauche, brillants intellectuels, ou riches bourgeois et rentiers Russes, voyageant en Europe....Un monde révolu dans le creuset duquel s'épanouit une forte personnalité d'écrivain, celle de l'auteur;
CITATIONS
" - Alors tu vas vraiment faire ça ? « Evoquer tes souvenirs d'enfance »... Comme ces mots te gênent, tu ne les aimes pas. Mais reconnais que ce sont les seuls mots qui conviennent. Tu veux « évoquer tes souvenirs »... il n'y a pas à tortiller, c'est bien ça.
- Oui, je n'y peux rien, ça me tente, je ne sais pas pourquoi...
- C'est peut-être... est-ce que ce ne serait pas.. on ne s'en rend parfois pas compte... c'est peut-être que tes forces déclinent...
- Non, je ne crois pas... du moins je ne le sens pas...
- Et pourtant ce que tu veux faire... « évoquer tes souvenirs »... est-ce que ce ne serait pas...
" Je suis assise au bord du lit, le dos tourné à la fenêtre, je tiens debout sur mes genoux mon compagnon, mon confident, mon ours au pelage doré, tout mou et doux, et je lui raconte ce que maman vient de me dire..."Tu sais, nous allons bientôt revenir à Paris, chez Papa...plus tôt que d'habitude...et là-bas, figure-toi qu'il y aura une autre maman..."
" Et voilà qu'un jour, sous le regard de mon père que je sens posé sur mon visage, un regard qui s'attarde, ne le quitte plus, je relève un de mes sourcils comme le fait maman, j'ouvre mes yeux tout grands, je les fixe devant moi très loin, mes yeux comme ceux de maman s'emplissent d'étonnement, de désarroi, de candeur, d'innocence…
[…]
Mon père s'est tourné vers l'ami qui était là et, détachant enfin ses yeux de moi, lui a dit : "C'est étonnant comme par moments Natacha peut ressembler à sa mère…" et dans ces mots quelque chose d'infiniment fragile, que j'ai à peine osé percevoir, je craignais de le faire disparaitre… quelque chose a glissé m'a effleurée, m'a caressée, s'est effacé."
" Il n'y a plus en moi comme avant, comme en tous les autres, les vrais enfants, ces eaux vives, rapides, limpides, pareilles à celles des rivières de montagne, des torrents, mais les eaux stagnantes, bourbeuses, polluées des étangs... celles qui attirent les moustiques."
" Installée par terre, adossée aux genoux de grand-mère, l'écoutant parler de son enfance, je voyais revenir les vastes places enneigées aux reflets bleutés, les façades à colonnes des palais peints de délicates couleurs, les hautes fenêtres doubles, la couche d'ouate saupoudrée de paillettes d'argent entre les carreaux ornés de dessins de givre les stalactites étincelantes, les traîneaux...et dans un de ces palais les larges et longues galeries aux parquets brillants, les petites chambres blanches...le joli uniforme, les règles strictes... un jour de la semaine sur deux on ne parle entre soi que le français...un autre jour l'allemand il est interdit, même en chuchotant à table ou dans un couloir, "
Elisabeth-Louise- Messages : 158
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Re: Nathalie Sarraute
Il me semble qu'il est justifiable de questionner dans l'écriture la véracité des souvenirs (reconstruits, peut-être ?), et aussi notre penchant à les faire (re)venir.
Quand on y songe, tout ce que nous pouvons écrire appartient au passé, même lorsque nous racontons ce qui vient d'advenir présentement, y compris ce que nous nous représentons de l'avenir.
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15926
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Re: Nathalie Sarraute
Elisabeth-Louise- Messages : 158
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Re: Nathalie Sarraute
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Tristram- Messages : 15926
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 68
Localisation : Guyane
Re: Nathalie Sarraute
On retrouve cette précision clinique chez un écrivain comme Proust, mais lui, son but est différent, il quête "la réminiscence" soudaine, la superposition exacte ( et rarissime !!) du passé qui se superpose exactement, efface le présent et nous fait littéralement revivre avec la même acuité un morceau intact du passé; chez lui c'est une méthode qui relève presque de la psychiatrie, de l'hypnose, mais sans, bien sûr les entours médicaux de ces deux processus;
Là, N. Sarraute simplement se sert des mots, du langage, pour exercer une vigilance sans faille sur le souvenir qui doit être "chimiquement "pur de tout enjolivement;
Elisabeth-Louise- Messages : 158
Date d'inscription : 01/10/2024
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Re: Nathalie Sarraute
C'est tout à fait ça, justesse et précision _ mais c'est réservé à quelques sensibles élus, comme Proust, et peut-être des poètes comme Baudelaire et Rimbaud ? Rares connexions synaptiques qui ont mystérieusement gravé dans la mémoire un détail, souvent anecdotique.Elisabeth-Louise a écrit:littéralement revivre avec la même acuité un morceau intact du passé
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Tristram- Messages : 15926
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Re: Nathalie Sarraute
Ainsi que tu le dis, il y a là, de la poésie à moins qu'un Dieu très bon, ne garde dans sa main, là haut, tous ces moments de bonheur et ne nous les adresse en signes....Proust qui était Juif n'était pas croyant, il a - à mon petit avis de prof'- substitué à un au delà disons monothéiste cette pensée "poétique", on peut aussi penser que l'Ecriture est éternelle.....
Elisabeth-Louise- Messages : 158
Date d'inscription : 01/10/2024
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Re: Nathalie Sarraute
Pour les poètes, je pensais surtout à la faculté chez certains de suspendre une vision instantanée (effectivement plus une réminiscence juste qu'un vague ressouvenir) dans un vers hors du temps.
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Tristram- Messages : 15926
Date d'inscription : 09/12/2016
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Re: Nathalie Sarraute
Elisabeth-Louise- Messages : 158
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