476 : la chute de l'Empire romain
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476 : la chute de l'Empire romain
4 septembre 476 : la chute de Rome
« En 476, Odoacre, le roi des Goths, s’établit à Rome. L’Empire occidental du peuple romain, qu’Octave Auguste avait commencé de détenir dans la 709° année de la fondation de Rome, périt avec cet Augustule, dans la 520e année du règne des empereurs défunts. Ensuite, les rois des Goths dirigèrent Rome. »
Marcellinus : «Chronique »
La « décadence » de l’Empire : dossier historiographique
Présupposé : on considère que cette civilisation est supérieure à celle qui lui a succédé. La chute de l’Empire romain est donc perçue comme une catastrophe.
Le point de vue des contemporains
La notion de décadence a été utilisée par de nombreux auteurs antiques. Elle n’est pas obligatoirement associée à celle de fin du monde, ou même de fin de l’Empire.
Ex : Caton l’Ancien (234 – 149 av. J-C. : enrichissement = luxe = perte des valeurs morales et guerrières.
Idée également répandue que les civilisations comme les hommes évoluent vers la vieillesse et la mort, d’où la succession des Empires (Cyprien de Carthage, Ammien Marcellin) (Pour les chrétiens : livre de Daniel)
Idée chez des Chrétiens que le dernier royaume sera remplacé par la Jérusalem céleste.
L’époque Gibbon
A partir du 18e s. recherche des causes de la chute de Rome
Montesquieu = taille de l’Empire le rendait ingouvernable
Voltaire « Essai sur les mœurs et l’esprit des nations » = deux coupables : à l’intérieur le christianisme, à l’extérieur les barbares.
Théories reprises et développées par Edward Gibbon dans son « History of the Décline and Fall of the Roman Empire » Le livre commence à l’avènement de Trajan en 98 et se termine en 1590 lorsque Istanbul devient capitale de l’empire ottoman.
Ouvrage fondamental par l’ampleur de la période et du territoire couvert, la qualité de l’écriture, la richesse des interprétations.
Causes de la chute de Rome : affaiblissement moral sous l’effet conjugué de la tyrannie des empereurs, de l’influence des « vices des étrangers et des mercenaires », du Christianisme dont le clergé « prêchait avec succès la doctrine de la patience et de la pusillanimité ».
La chute de Rome était donc due à la combinaison de trois facteurs : 1) décadence morale face aux influences pernicieuses de l’Orient 2) affaiblissement par le remplacement des valeurs viriles de Rome par le Christianisme 3) attaques des barbares.
Pour Gibbon ces facteurs expliquaient également l’incapacité de l’Orient à résister à l’Islam.
Faiblesses de l’ouvrage de Gibbon : l’auteur utilise les sources écrites de seconde main, sans beaucoup de travail critique. Il n’utilise pas les sources archéologiques (encore rares à son époque), épigraphiques et numismatiques.
Vision péjorative de la période va marquer tout le 19e siècle. Par exemple, le terme de « Bas-Empire » qui la caractérise.
La vision gibbonienne des derniers siècles de l’Empire devient une vulgate et alimente la réflexion des philosophes et essayistes, tandis que la décadence sert aussi de manifeste esthétique et littéraire.
Approches sociales et économiques
Renouveau des études fin 19e et début 20e s.
Ottto Seck « Histoire de la chute du monde antique » (1897-1920) développe une théorie darwinienne, mais inversée. L’Empire aurait disparu en raison de l’élimination des «meilleurs » par suite de répression politique, esprit de jouissance, malthusianisme pour ne pas partager le patrimoine. Les élites traditionnelles ont été remplacées par les Germains.
Max Weber « Les causes sociales du déclin de la civilisation antique ». Le développement de la grande propriété a incité les élites à se détourner de la vie politique des cités.
Mihaïl Rostotszeff « Histoire économique et sociale de l’Empire romain » (1926). Le déclin est dû à l’émergence des classes populaires favorisées par les empereurs au détriment de la bourgeoisie urbaine. Le processus aboutit à une perte des valeurs et une barbarisation du monde antique. Le travail de Rostotszeff est marqué par l’anticommuniste : « Est-il possible d’injecter un degré de civilisation plus élevé aux classes inférieures sans altérer leur nature et diluer leurs qualités jusqu’à les faire disparaître ? »
Les explications environnementales se développent à partir du début du XXe siècle.
Elworth Huntington : changements climatiques
Vladimir Simkhowitch : épuisement des sols
Plus récemment :
Kyle Harper « Comment l’Empire romain s’est effondré. Le climat, les maladies et la chute de Rome » (2019). L’auteur met l’accent sur les pandémies. L’économie connectée de l’Empire a créé les conditions de pandémies. En somme, la constitution de l’Empire est la cause même de sa chute.
Antiquité tardive ou décadence romaine.
Encore dans une lignée traditionnelle :
André Pigagnol «L’Empire Chrétien » (1947). La chute de Rome est due aux barbares. Pigagnol souligne toutefois la richesse de la vie politique et culturelle au IVe siècle.
Le renouveau ne viendra pas de nouvelles théories mais d’un déplacement du regard sur la période
Henri-Irénée Marrou « Décadence romaine et antiquité tardive » (1977). Tout est dans le titre. L’auteur insiste sur la richesse de la civilisation du Bas-Empire
Peter Brown. Une œuvre importante consacrée d’abord à saint Augustin puis à l’ensemble du monde romain tardif. Il s’agit d’une approche anthropologique qui évite les jugements de valeur sur une période longue allant du règne de Dioclétien à l’empire carolingien. L’accent est mis sur le culturel et le religieux plus que sur le politique.
Le retour de la décadence
Réactions aux positions de Peter Brown à partir de la fin des années 1990
Andrea Giardina : conteste la périodisation longue et montre son hétérogénéité dans certains domaines
Wolf Liebeschuetz « The decline and Fall of the Roman city » (2001). Reprenant l’ensemble de la documentation, Liebeschuetz conclut à un déclin irrémédiable en Occident et à un déclin suivi d’une restauration en Orient. Par rapport aux théories traditionnelles, l’auteur situe ce déclin à date tardive, c'est-à-dire au Ve siècle.
Bryan Ward-Perkins « The Fall of Rome and the end of Civilization » (2005) L’auteur met l’accent sur les « horreurs de la guerre » et la « disparition du confort » en Occident. Il réagit contre la vision d’un passage sans douleur entre monde antique et médiéval. Les données archéologiques montrent un déclin dans le mode de vie des habitants de l’Empire d’Occident et dans toutes les couches de la société. On peut parler de « fin d’une civilisation ». Ward-Perkins fonde son analyse sur la culture matérielle en dehors de considérations culturelles.
En conclusion, comme le souligne Claire Sotinel, il conviendrait de revenir aux leçons de Fernand Braudel : « les rythmes de l’histoire politique, de l’histoire culturelle, de l’histoire religieuse, de l’histoire économique, de l’histoire de l’environnement ne sont pas les mêmes et il n’y a rien de contradictoire à s’émerveiller de l’épanouissement de la littérature patristique et à déplorer les morts d’Andrinople, à comprendre les défaites de Rome face aux Vandales et à étudier les interactions pacifiques entre les différentes populations dans les provinces administrées par la barbares. Il y a du travail pour tous les historiens. »
(dossier établi à partir de l’ouvrage de Claire Sotinel : « Rome, la fin d’un empire, de Caracalla à Théodoric », collection « Mondes anciens », Belin, 2019)
ArenSor- Messages : 3445
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Re: 476 : la chute de l'Empire romain
Belle approche, le livre de Harper m'interesse, Merci
Chamaco- Messages : 4562
Date d'inscription : 02/12/2016
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Re: 476 : la chute de l'Empire romain
Beau résumé, mais on s'interroge toujours sur la (ou les) cause(s) de cette chute !... Sans surprise, ça ne doit pas être simple à synthétiser !
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 16031
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Re: 476 : la chute de l'Empire romain
merci pour ton travail Arensor !
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Bédoulène- Messages : 21917
Date d'inscription : 02/12/2016
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Re: 476 : la chute de l'Empire romain
J'apprécie le tout, il y a tant à fouiller...
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2492
Date d'inscription : 04/12/2016
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Re: 476 : la chute de l'Empire romain
Un grand merci Arensor pour ce panorama, et cette riche bibliographie.
Je ne le vois pas trop dans les causes détaillées, mais j'avais retenu aussi un Empire trop grand et trop coûteux à (entre)tenir, et une "décadence" qui s'était inscrite dans le temps long, bien avant 476.
Je ne le vois pas trop dans les causes détaillées, mais j'avais retenu aussi un Empire trop grand et trop coûteux à (entre)tenir, et une "décadence" qui s'était inscrite dans le temps long, bien avant 476.
Invité- Invité
Re: 476 : la chute de l'Empire romain
Oui, les facteurs financiers sont importants. C'est d'ailleurs ce qui distingue le plus l'Occident et l'Orient au Ve siècle. En Orient, le pouvoir impérial reste solide et les revenus provenant des provinces d'Asie et d'Egypte sont substantiels. En revanche, en Occident, des parties de plus en plus grandes des provinces échappent à la gouvernance de Rome : abandon de la Bretagne (insulaire), les Wisigoths d'Aquitaine, les Vandales en Afrique forment des royaumes quasi-indépendants, bientôt ce sera le tour des Burgondes, des Alamans et des Francs.Arturo a écrit: mais j'avais retenu aussi un Empire trop grand et trop coûteux à (entre)tenir, et une "décadence" qui s'était inscrite dans le temps long, bien avant 476.
En ce qui concerne la chronologie, les points de vue différent si on la considère à partir de Dioclétien (début IVe), des Constantiniens (milieu IVe), de Théodose (fin IVe) ou de Valentinien III (milieu Ve s).
ArenSor- Messages : 3445
Date d'inscription : 02/12/2016
Localisation : Rue du Nadir-aux-Pommes
Re: 476 : la chute de l'Empire romain
J'ai lu l'étude d'une historienne américaine soutenait la thèse d'un "impérialisme romain."
A l'époque j'étais tout à fait convaincu.
Quant à la chute, il y a quand meme le fait que tous les empires se sont désagrégés cause
de leurs abus de pouvoir, de la coalition des vaincus ou de leur peuple ou d'usure tout
simplement.
Il y a aussi une autre cause. Les empires s'imposent par la force militaire et au contact de peuples
plus civilisés, ils les imitent, se cultivent et s'amolissent.
Ainsi pour les Aztèque, ainsi pour les Romains.
Et pour les Occitans du XIIe siècle.
A l'époque j'étais tout à fait convaincu.
Quant à la chute, il y a quand meme le fait que tous les empires se sont désagrégés cause
de leurs abus de pouvoir, de la coalition des vaincus ou de leur peuple ou d'usure tout
simplement.
Il y a aussi une autre cause. Les empires s'imposent par la force militaire et au contact de peuples
plus civilisés, ils les imitent, se cultivent et s'amolissent.
Ainsi pour les Aztèque, ainsi pour les Romains.
Et pour les Occitans du XIIe siècle.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: 476 : la chute de l'Empire romain
Les Avars passent le Caucase en 555 et profitent de l'affaiblissement de Rome pour envahir l'Afrique
Chamaco- Messages : 4562
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 78
Localisation : Corse du sud
Re: 476 : la chute de l'Empire romain
Une époque captivante, et merci pour tous ces développements !
J'avais étudié l'Antiquité tardive durant ma dernière année de licence d'histoire, et j'en garde un fort souvenir.
Une période entre transitions et rupture, qui offre tellement de niveaux de lecture. Et la fragilité de l'Empire romain dans sa structure et sa gouvernance, dès l'avènement d'Auguste, peut déjà constituer un point de départ.
Mais les débuts du Haut Moyen Age permettent aussi de valoriser des éléments de continuité et d'héritage par rapport à l'Antiquité, au-delà de l'impact des profonds bouleversements civilisationnels et d'une transformation politique, culturelle et sociale.
J'avais étudié l'Antiquité tardive durant ma dernière année de licence d'histoire, et j'en garde un fort souvenir.
Une période entre transitions et rupture, qui offre tellement de niveaux de lecture. Et la fragilité de l'Empire romain dans sa structure et sa gouvernance, dès l'avènement d'Auguste, peut déjà constituer un point de départ.
Mais les débuts du Haut Moyen Age permettent aussi de valoriser des éléments de continuité et d'héritage par rapport à l'Antiquité, au-delà de l'impact des profonds bouleversements civilisationnels et d'une transformation politique, culturelle et sociale.
Avadoro- Messages : 1405
Date d'inscription : 07/12/2016
Age : 39
Re: 476 : la chute de l'Empire romain
C'est pas directement lié, mais c'est intéressant à prendre connaissance de ça...
https://www.youtube.com/watch?v=nx4QFcbnNX0
https://www.youtube.com/watch?v=nx4QFcbnNX0
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2492
Date d'inscription : 04/12/2016
Age : 43
Localisation : Montréal
Re: 476 : la chute de l'Empire romain
Vu, JHB ! Ça relativise en effet _ et 476 enfonça un peu plus l'empire romain...
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 16031
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 68
Localisation : Guyane
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