Borislav Pekic
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Borislav Pekic
Borislav Pekic
(1939-1992)
(1939-1992)
Borislav Pekić, né le 4 février 1930 à Podgorica et mort le 2 juillet 1992 à Londres, est un écrivain serbe. Il naît en 1930 dans une famille aisée du Monténégro, alors membre du Royaume de Yougoslavie. Au début de la Seconde Guerre mondiale, les autorités italiennes occupant le Monténégro expulsent la famille vers la Serbie. Les Pekić se réfugient alors dans la propriété maternelle à Bačvanište, dans la province du Banat. Ils ne s'installent à Belgrade qu'en 1945.
En 1948, Borislav Pekic il est arrêté en tant que secrétaire politique du Conseil général de l'organisation illégale anticommuniste. Condamné à une peine de 15 ans de travaux forcés, il est finalement gracié et libéré en 1953. En sortant de prison, il s'inscrit à la Faculté de philosophie de Belgrade où il étudie la psychologie expérimentale. Il arrête ses études, se marie et, de 1958 à 1964, travaille pour le cinéma en tant que dramaturge et scénariste. Le film Le 14e jour de Zdravko Velimiroviċ, dont il a écrit le scénario, remporte le Grand Prix du festival de Cannes en 1961.
Borislav Pekic a créé un imposant opus littéraire. Il est l'auteur d'une trentaine de pièces de théâtre, ainsi que de nombreux romans et nouvelles. Son œuvre majeure, Zlatno runo (La toison d'or), composée de 7 volumes écrits de 1978 à 1986, raconte sur plus de 5 siècles la vie d'une famille de négociants aroumains.
En 1968 son épouse Ljiljana se voit proposer un poste en Angleterre. Les Pekiċ décident alors de quitter la Yougoslavie mais le passeport de Borislav est confisqué. Il ne pourra rejoindre sa femme qu'en 1971, à la suite de la parution d'articles dans la presse allemande dénonçant cette situation. Pendant des années, à titre de rétorsion, tous les éditeurs yougoslaves rompent leurs contrats avec lui et ses livres ne sont plus publiés dans son propre pays. Pekiċ reste 20 ans à Londres où il travaille en tant que commentateur dans la section yougoslave (serbo-croate) de la BBC.
À côté de la littérature, Pekiċ avait une deuxième passion: la politique. Elle lui avait valu cinq années de prison entre 1948 et 1953 puis, indirectement, l'exil de 1971 à 1990. Il y revient au début des années 1990 en tant que fondateur et vice-président du Conseil général du Parti Démocratique et membre de la rédaction de la revue Demokratija. Profondément attaché à la démocratie, il participe, le 9 mars 1991, aux manifestations contre le règime de Slobodan Milošević.
source : Wikipédia
Ouvrages traduits en français :
- L'ascension et la chute d'Icare Gubelkian, l'Âge d'homme, 1992.
- Le temps du miracle, le Serpent à plumes, 1996.
- La toison d'or. Premiere registre, Agone, 2001
- Les spéculations de Kyr-Siméon. Deuxième registre de la toison d'or, Agone, 2003.
- Les profits de Kyr-Siméon. Troisième registre de la toison d'or, Agone, 2004.
- L'homme qui mangeait la mort, Agone, 2005.
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"Et au plus eslevé trone du monde, si ne sommes assis, que sus notre cul." (Michel de Montaigne)
Armor- Messages : 4589
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Re: Borislav Pekic
L'homme qui mangeait la mort
Si vous me demandez pourquoi j'ai décidé d'évoquer Jean-Louis Popier comme s'il avait bel et bien existé alors que je n'en ai pas de preuves, ou qu'elles sont, si j'en ai, si confuses et contradictoires qu'on ne saurait s'en contenter, je vous répondrai que rien ne prouve non lus qu'il n'a pas existé ou que, si de telles preuves existent, elles sont tout aussi confuses et contradictoires, bref, insuffisantes.
Si l'Histoire se nourrit de preuves et de gloire, ne retenant bien souvent que ses figures les plus flamboyantes, le romancier, quant à lui, a toutes les libertés. C'est donc Jean-Louis Popier et non Danton ou Robespierre que Borislav Pekic a décidé de faire revivre sous sa plume. Que Jean-Louis Popier ait réellement existé, ou non, qu'il soit une légende ou le fruit de l'imagination malicieuse de l'écrivain se jouant de l'Histoire et de son lecteur, après tout peu importe, Jean-Louis Popier est bel et bien le héros silencieux et presque transparent de ce livre.
Nous sommes en pleine Révolution, sous la Terreur, et Jean-Louis Popier, obscur greffier au tribunal, est chargé de consigner les noms des condamnés à mort que la justice révolutionnaire, insatiable, fournit quotidiennement par charrettes entières. Un jour, par un curieux concours de circonstances, il se retrouve littéralement obligé de manger l'une des condamnations afin de ne pas être pris en faute. Mais avant d'avaler le papier compromettant, Jean-Louis Popier a eu le temps de lire l'acte d'accusation, totalement ubuesque, comme tant d'autres à l'époque. Et il s'aperçoit très vite que d'avoir sauvé, même malgré lui, une pauvre fileuse accusée à tort, lui procure un sentiment de satisfaction intense et durable. C'est donc à ce moment précis que Jean-Louis Popier décide d'entamer une carrière de héros anonyme, en avalant une condamnation à mort par jour. Mais une seule, afin de ne pas être découvert. Et il n'est pas si facile de se substituer au destin... Parmi les centaines de condamnations injustes, laquelle choisir ? Jean-Louis Popier découvre les affres du doutes et des atermoiement, tandis que son estomac malmené se révolte... Néanmoins, quels que soient ses états d'âme, il poursuit méthodiquement son œuvre d'homme « qui mange la mort », tandis qu'en toile de fond la Terreur se dévore elle-même en envoyant peu à peu à l'échafaud tous les tribuns qui ont fait sa renommée...
Cette longue nouvelle de 70 pages, savoureuse et délicieusement écrite, fustige avec humour la foire aux vanités et l'incommensurable bêtise humaine, tout en se jouant du sort et de l'arbitraire. La Terreur et ses excès en tout genre sont un cadre idéal pour ce petit texte virtuose qu'il convient de déguster en gourmet, à l'image d'un Jean-Louis Popier se délectant de sa toute dernière condamnation...
Il est des gens dont la vie n'est qu'un rond dans l'eau. On ne les voit pas, on ne les entend pas, ils sont irréels, leurs pas ne s'impriment point sur le désert de sable de l'humanité. Nous ignorons d'où ils viennent et, lorsqu'ils disparaissent, où ils sont partis et pourquoi. Quand les dieux fréquentaient encore la terre, on les reconnaissait à cela. Depuis qu'ils nous ont quittés, le seul de leurs pouvoirs qu'ils ont légué aux hommes est cette faculté de vivre sans être.
mots-clés : #revolution
Dernière édition par Armor le Jeu 4 Juil - 4:35, édité 4 fois
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Armor- Messages : 4589
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Re: Borislav Pekic
L' Homme qui mangeait la mort
Pourquoi un obscur gratte papier, un greffier du Tribunal révolutionnaire, tenta t'il d'entraver le cours de la Révolution française de 1789 ?
Car enfin il parait invraisemblable qu'un homme comme Jean Louis Popier, sans foi ni conviction, sans personnalité, bref un anonyme sans qualité aucune, ait pu croiser la Révolution en marche et tenté de l'entraver.
Peut-être, mais c'est ce que je vais essayer de vous expliquer, dit le narrateur.
Popier décida un jour de soustraire un condamné à mort. Un par jour. Par compassion, sans doute pas. A cause du pouvoir qu'il détenait et du plaisir que ça lui procurait, sans doute....
Enfin "il décida de suivre son inspiration."
Depuis lors, Popier soustrayait chaque jour une tête à la guillotine.
Il ne réfléchissait plus que pour écarter les condamnés qu'il ne pouvait pas prendre en considération.... Pour le reste il se fiait à sa clairvoyance et mangeait la condamnation que son inspiration du moment lui désignait.
Le temps passant, le bruit courut qu il allait y avoir un retournement de situation, mais Popier était trop occupé par sa tache pour s en soucier vraiment.
Ces derniers temps, il ne se sentait pas très bien. Il souffrait de maux d' estomac. Dans ses selles, il retrouvait de plus en plus souvent les traces jaunes pâle des condamnations qu'il n'avait pas réussi à digérer.
Finalement Popier sera décapité en même temps que Robespierre à qui il faisait penser par son accoutrement, ce qui lui valut la jalousie fatale de ses collègues.
Popier a-t-il vraiment existé ?
Tout semble prouver le contraire.
On pourrait même dire que son inconsistance même a permis à son auteur de mieux l'inventer.
Et Pekic vend la mèche :
Si vous me demandez pourquoi j'ai décidé d'évoquer Popier comme s'il avait bel et bien existé alors que je n'en ai pas de preuves ou qu'elles sont, si j'en ai, si confuses et et si contradictoires qu'on ne saurait s'en contenter, je vous répondrai que, si de telles preuves existent, elles sont tout aussi confuses et contradictoires, bref insuffisantes.
Et comme si ça ne suffisait pas, Pekic ajoute dans le prologue que :
... "si vous voulez qu' un roman historique soit vivant, il vous faudra aller bien au delà des documents, c' est à dire ce qu' on nomme les faits.
Et seule l' imagination peut vous conduire dans ses contrées...
C'est elle qui vous permettra de trouver des thèmes littéraires dans les choses de la vie que la plupart des des documents passent sous silence."
Vous l' avez compris, Jean Louis Popier est une créature imaginaire, un personnage de papier. Comme le Bartleby de Melville.
Mais ce livre est un condensé de malice. Un chef d'oeuvre d'humour le plus noir qui soit.
Il montre comment comment toute révolution commence dans l'enthousiasme populaire avant de se terminer par l'extermination de ceux qui l'ont fomentée.
La révolution se nourrit de ses enfants et se détruit à force de détruire.
Et tant va la cruche à l'eau qu'à la fin elle se noie !
Récupéré
Merci Armor d'avoir sauvé de l'oubli ce livre qui mérite vraiment mieux !
bix_229- Messages : 15439
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Re: Borislav Pekic
bix_229 a écrit:Merci Armor d'avoir sauvé de l'oubli ce livre qui mérite vraiment mieux !
Tout le plaisir est pour moi.
C'est amusant qu'on ait choisi un même extrait, j'avais d'ailleurs failli copier aussi celui du prologue.
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"Et au plus eslevé trone du monde, si ne sommes assis, que sus notre cul." (Michel de Montaigne)
Armor- Messages : 4589
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Re: Borislav Pekic
Mis dans mon panier _ pas la tête, le livre !
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15927
Date d'inscription : 09/12/2016
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Re: Borislav Pekic
L'homme qui mangeait la mort
C’est le type sans opinion, ou en tout cas, tenu par aucun parti pris que Borislav Pekić tente d’introduire vaille que vaille au cœur des événements parmi les plus tendus de l’Histoire de France : 1793 – 1794, et qui plus est à un poste clé du tribunal révolutionnaire, au rôle certes obscur de gratte-papier. Insignifiant individu, estomac inconséquent ou arbitraire, appelez l’homme qui mangeait la mort comme vous voulez, il n’en reste pas moins que Jean-Louis Paupier mit des bâtons dans les roues à l’une des plus notoires entreprises idéologiques. Le narrateur fait mine de mener une enquête historique, impartiale et juste, il s’empêtre dans de nombreuses contradictions, mais il est conscient que sa création, idéal d’innocence ou de neutralité, est vouée à être un échec. C’est pourquoi il ne tente pas d’être persuasif, mais doucereusement caustique, maniant l’ironie dans un habile mais simple jeu de parallélismes : Paupier, dans son goût du hasard et de l’arbitraire, reflète une Convention nationale devenue folle, assoiffée de sang et de pureté, tandis que lui l’est de l’encre ― ogre à la petite semaine aux allures d’Iznogoud, sauf qu’il s’agit ici d’être juge et non calife. Conte sympathique par ses jeux de mots et son humour, mais pas d’une extrême originalité.
C’est le type sans opinion, ou en tout cas, tenu par aucun parti pris que Borislav Pekić tente d’introduire vaille que vaille au cœur des événements parmi les plus tendus de l’Histoire de France : 1793 – 1794, et qui plus est à un poste clé du tribunal révolutionnaire, au rôle certes obscur de gratte-papier. Insignifiant individu, estomac inconséquent ou arbitraire, appelez l’homme qui mangeait la mort comme vous voulez, il n’en reste pas moins que Jean-Louis Paupier mit des bâtons dans les roues à l’une des plus notoires entreprises idéologiques. Le narrateur fait mine de mener une enquête historique, impartiale et juste, il s’empêtre dans de nombreuses contradictions, mais il est conscient que sa création, idéal d’innocence ou de neutralité, est vouée à être un échec. C’est pourquoi il ne tente pas d’être persuasif, mais doucereusement caustique, maniant l’ironie dans un habile mais simple jeu de parallélismes : Paupier, dans son goût du hasard et de l’arbitraire, reflète une Convention nationale devenue folle, assoiffée de sang et de pureté, tandis que lui l’est de l’encre ― ogre à la petite semaine aux allures d’Iznogoud, sauf qu’il s’agit ici d’être juge et non calife. Conte sympathique par ses jeux de mots et son humour, mais pas d’une extrême originalité.
Dreep- Messages : 1539
Date d'inscription : 08/12/2016
Age : 32
Re: Borislav Pekic
toujours actif Dreep, merci !
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21645
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