Des Choses à lire
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Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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Birgitta Trotzig

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Message par ArenSor Lun 22 Juil - 10:27

Birgitta Trotzig
(1929 – 2011)

Birgitta Trotzig Birgit10

Romancière et nouvelliste suédoise, Birgitta Trotzig, qui a passé une partie importante de sa vie en France, s'est imposée par des ouvrages pénétrants qui la font proche de Bernanos ou de Mauriac, aux options religieuses desquels elle se rallie. Dès son premier ouvrage, Extraits de la vie des amants (1951), elle a trouvé la formule qui fera son renom : dans une époque reculée, imprécise, évoluent des personnages réprouvés que cette visionnaire, à la fois mystique et réaliste, campe par touches abruptes et symboliques qui évoquent les images de vitraux du Moyen Âge. Mais Les Réprouvés (1957), Un paysage (1959) et, surtout, L'Accusation (1966, la traduction exacte du titre suédois serait La Trahison), La Maladie (1972), La Fille du roi crapaud (1985) et des récits historiques tels que Porträtt (1993) et Levande och döda i kejsarinstid (1993) sont aussi et surtout une méditation pudique sur notre monde sans amour, fait de solitude et d'étrangeté, où l'homme fomente ou subit la haine dans une atmosphère fruste et comme raréfiée. La pauvreté, matérielle et surtout spirituelle, y est au premier plan, désespoir, trahison et peur constituant la trame d'existences en apparence déchues. Mais la perspective chrétienne y est pourtant bien présente. Ce manque, cette absence qui désolent les personnages sont à lire en creux, dans l'esprit qui inspira Le Livre de Job. Ils témoignent d'une attente, et, par un juste renversement des valeurs, de cette transfiguration qui, en nous faisant mourir à nous-mêmes, nous fait naître pour autrui, en particulier pour ce Quelqu'un d'autre dont la figure suffit à nous faire distinguer entre le faux et le vrai amour. Œuvre grave et tissée d'un bout à l'autre de symboles magnétiques dans leur réaliste simplicité, les « légendes » qu'écrit Birgitta Trotzig, dans l'austérité des décors et des cœurs et le dénuement extrême des personnages qui les animent, témoignent magnifiquement d'une attente de Dieu « de l'autre côté des ténèbres ». Cette attirance pour les images qui gouvernent notre vie secrète lui a également inspiré de beaux poèmes en prose (Anima, 1982 ; Sammanhang, 1996), traduits en français sous le titre Contexte/Matériaux (2003).
Régis Boyer
(Encyclopedia Universalis)

Romans
• « Le Destitué » [« De utsatta »], Gallimard, 1963  
• « La Ville et la mer » [« En berättelse från kusten »], Gallimard, 1965  
• « L'Accusation » [« Sveket »], Gallimard, 1971  
• « La Maladie » [« Sjukdomen »], Gallimard, 1977  
• « La Fille du roi crapaud » [« Dykungens dotter »], Gallimard, 1988  

Nouvelles
• « La Vie des amantes » [« Ur de älskandes liv »] (1re éd. 1951)
• « Images » [« Bilder »] (1re éd. 1954)
• « Paysage" [« Ett landskap »] (1re éd. 1959)
• « Les Vivants et les Morts »
• « Portrait » [« Porträtt »] (1re éd. 1993)
• « Doubles vies » [« Dubbelheten »], Gallimard, 2001
ArenSor
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Message par ArenSor Lun 22 Juil - 10:36

Le Destitué

Birgitta Trotzig 20240710

En Scanie dans la seconde moitié du 17e siècle. Cette région au sud de la Suède est alors âprement disputée entre le royaume de Suède et celui du Danemark. Le pays est parcouru de troupes qui amènent leur lot de misères : destructions, pillages, famines…
Le pasteur Isak Graa vit modestement dans une petite bourgade, apportant un soin particulier aux livres dont il aime s’entourer. Sa fille, épouse d’un riche marchand et son fils, également pasteur, connaissent un destin plus éclatant dans la ville de Christianstad. Un jour, Isak Graa va être destitué et rejeté de la communauté.
« Le Destitué » est un reprise du livre de Job décrivant les interrogations du pasteur, plongé dans la misère la plus totale, sur la nature du mal et de dieu.
L’écriture de Birgitta Trotzig est radicale, sans concessions tout en restant très poétique. Parfois, elle est proche des visions et imprécations des prophètes de l’ancien Testament dans leur violence et leur dramaturgie. J’ai pensé à son compatriote le réalisateur Ingmar Bergman. On pourrait aussi faire des rapprochements avec Georges Bernanos.
Une lecture très marquante en ce qui me concerne (mais j’avais déjà entendu parler de Birgitta Trotzig comme d’une écrivaine qui mériterait d’être plus connue en France). Une belle découverte.  

Quelques extraits :

« Mais ce dernier craignait le regard fixe du mourant, dont les yeux étaient écarquillés et injectés de sang, car ni paix ni consolation ne pouvaient être données à ce regard.
(Ceci devint particulièrement frappant vers la fin : son corps couvert d’escarres répandait dans la pièce fermée une puanteur mortelle. L’atmosphère devenait de plus en plus étouffante et intenable, et chacun se demandait comment un corps aussi sec et décharné pouvait secréter autant de putréfaction liquide.)
De temps à autre, une lueur d’inquiétude s’allumait dans le regard du paralytique, puis disparaissait aussitôt.
Et les semaines passaient : et dans son regard brillait maintenant un doute qui travaillait sans cesse.
Mais où était la confiance ? Il était inaccessible dans son silence : ses intestins et sa vessie se vidaient, on changeait son linge, on le retournait sur sa couche, mais lui restait inaccessible, comme barricadé derrière sa colère, où déjà se lisait l’angoisse.
Sa vie est passée si vite ! Elle est passée comme un rêve. Pour l’enfant, l’instant était profond, immense, infini, le monde ne changeait pas, tout était éternel, immuable ; et brusquement sa vie entière s’est écoulée plus vite encore qu’un seul instant de son enfance. Et rien n’est arrivé, et la réalité demeure toujours aussi lointaine. Les années se sont envolées, il ne lui reste rien : est-ce pour cela qu’il a vécu si longtemps ?
Et voilà maintenant qu’il se réveille et que la réalité est là : une tombe béante, à une main de lui.
Pourtant, il ne peut pas retourner en arrière, car le temps n’existe plus, il a été englouti ; il n’y a que les ténèbres, le néant, et devant lui, l’éternité.
Plus rien ne cache l’éternité. Encore un instant et il aura disparu.
Et bien des semaines avant qu’il ne rende son dernier soupir, la sueur de la mort commença à perler sur le front du vieillard.
Et longtemps sa gorge travailla pour sortir un seul mot : tous voyaient maintenant qu’il appelait à l’aide, et chacun détournait le regard.
Alors ses yeux implorèrent, brillants, clairs de terreur.
Et son corps tressaillit, agité par de faibles secousses, et ceux qui étaient présents comprirent que ses muscles et ses tendons se contractaient dans un dernier effort pour aider son corps à se redresser et s’enfuir hors du lit.
Quelques sons grinçants s’échappèrent de sa gorge.
Et soudain les grands yeux du pasteur se remplirent de larmes, et les larmes débordèrent et roulèrent doucement le long de ses joues, inondant son nez, sa bouche, son menton.
Et pour ceux qui l’entouraient, ces larmes n’étaient autres que les larmes d’un enfant, le désespoir et la colère de l’enfant encore incapable de parler et livré au bon vouloir du monde :
Enfin il mourut, et il disparut. »

« A la lumière du jour, on voit que le monde est petit et mort : un champ de mouvements étriqué, qui vont et viennent et ne mènent nulle part. Certains mouvements sont douloureux, d’autres ne le sont pas.
Qu’importe un mouvement de plus ou de moins ? A la lumière du jour, ils sont tous aussi petits, aussi mauvais, aussi inertes, et ils ressemblent tous à des visages d’enfants mort-nés.
Mais certains de ces mouvements ne sont pas douloureux. Et leur souvenir s’estompe, se dessèche : des mouvements se créent et disparaissent sans laisser aucune trace, pas même une ombre, pas même un goût dans la bouche, pas même une crevasse sur la lèvre – il n’y a que le vide, le néant. »

« La haine entraîne dans un abîme sans fond ; elle donne le vertige et attire par sa plus grande liberté – plus loin, toujours plus loin ; et la chute devient infinie, si rapide et solitaire à travers le silence brûlant.
Et combien est grande la satisfaction de se savoir en route vers un but. »

« Il voit une ville – une ville de feu flottante et pesante à la fois, portée par des chérubins aux visages de feu.
Puis il voit une ville. Une ville portée par des esprits aux visages de cendre. Leurs grans corps sont enveloppés dans des manteaux de cendre. Il voit que ces corps ont été traversés par le grand feu qui les a quittés et changés en cendres.
Il voit des statues de cendre. Et il implore : laisse le feu revenir.
Mais le feu les a traversés et quittés à jamais. Il les a changés en statues de cendre, et ils resteront toujours ainsi. »
Il voit un arbre : des branches et le tronc entre les branches.
Le feu s’en empare. L’arbre prend feu. Il porte le feu.
Puis il voit cette chose étrange : l’arbre prend la forme d’un corps humain fait de chair et d’os et enveloppé d’une peau aussi pâle et fragile que la peau de l’aine d’un enfant ou d’un tout jeune animal. Et le feu s’empare de l’arbre : la peau brille dans le feu. L’arbre brûle : le feu l’envahit, le consume rapidement, mais il y a d’abord un long moment figé pendant lequel il sent la grande douleur de la chair et des os, la grande douleur de la peau sous les secousses du feu qui les traverse. »
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Message par Bédoulène Mer 24 Juil - 8:48

merci Aren !

une auteure à connaître donc

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Message par ArenSor Jeu 25 Juil - 10:10

Le fond est noir, très noir même, mais l'écriture a une personnalité indéniable. Ce n'est pas Faulkner, mais ce nom m'est venu plusieurs fois à l'esprit. Une autrice qui mérite d'être lue, il me semble.
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Message par Bédoulène Jeu 25 Juil - 11:54

merci Aren

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