In vino veritas

Adossée au bar à bières de Maître Panda, ouvrons ici une cave œnophile, œuvre hautement civilisatrice, afin qu'honneur fut fait aux très sages préceptes du bon François Rabelais et ardeur fut mise à "physicalement philosopher et désormais être du conseil bacchicque".

Bonnes gens, beuveurs très illustres et vous goutteux très précieux...,

vous non plus n’êtes point jeunes, qui est qualité compétente pour un vin,

non en vain, plus que physicalement philosopher et désormais être

du conseil bacchicque, pour opiner des substances, couleur, odeur, excellence,

éminence, propriété, faculté, vertus, effet et dignité du benoît et désiré piot.

L'appellation Ribero del Duero s'étend en pleine Espagne à climat continental marqué (d'aspect désertique évocateur), au sud de Burgos.
Ce vin-ci est mono-cépage, c'est le fameux Tempranillo et son goût d'amande caractéristique qui, lorsqu'il est bien vinifié (et c'est le cas de cette bouteille-ci), fait passer une bouchée de jambon accompagnée d'un morceau de pain pour un met impérial.

Vin de paysan, rustique, dit-on ?
Dans ce cas-là je suis fier et heureux de compter parmi les paysans !
C'est un vin simple, traduisez peu complexe, robe rubis-dans-la-pénombre, assez gras si vous le faites pleurer avant d'avancer votre nez au-dessus.

Assagi en cave, sûrement moins tempétueux que s'il avait été bu plus jeune (mais point trop il ne faut attendre, je ne miserai pas dessus comme vin de garde) il a développé quelques rondeurs, une attaque restant franche, et des finales certes peu nuancées ni très subtiles, mais toutefois harmonieuses.

Plus difficile à trouver -encore que la Toile regorge de possibilités d'achat sans se déplacer- qu'onéreux (ce flacon-là fut ramené de vacances ibériques, acheté dans la zone de production).

Vous êtes bien chous les Chosiers... Pour ma part, je n'irai pas plus loin dans la description, juste dire que j'ai été un buveur sur le tard, que j'ai vraiment commencé à boire après vingt-deux ans et que j'ai le bec sucré. Mais je suis avant tout ce ceux qui «cuvent leur vin» et que je l'aime rouge.

Au Québec, nous achètons notre alcool à la société d'État de la SAQ. Je bois en compagnie de ma famille pour le principal. Ma copine ne boit pas vraiment de vin et je dois faire attention aux maux d'estomac en raison du facteur acidité...

Il y a un vin argentin que j'ai tendance à conseiller. Je ne sais plus si je le conseillerais autant aujourd'hui, mais à défaut d'avoir lu Borges et Gombrowicz de façon assidue, je milite pour ce vin, le Trapiche.

ça fait envie ce fil.

Je persiste et signe sur ce fil. Nous avons fêté en famille «hier». J'en ai profité pour prendre un vin Liano. Je ne sais pas si ce vin a une variante biologique mais il est en tout cas apprécié et bu régulièrement par ma famille. Il y en a tout autant en blanc qu'en rouge.

C'est un mathusalem, c'est-à-dire un flacon de 6 litres (on dit une impériale en bordelais).
Nous avons dû demander un tire-bouchon ad hoc dans le voisinage, le morceau de liège était en rapport avec la taille hors-normes !

Oublié volontairement au fin fond de notre cave, il était couvert d'une épaisse poussière, que madame s'est employée à plumeauter derechef, à mon grand dam, trouvant que celle-ci ajoutait un surcroît de noblesse à l'artefact vineux sur la table, une parure pulvique.

Il est difficile de remplir des verres-ballons, paraissant de dînette pour poupées à l'échelle de la lourde bouteille, d'un maniement exigeant. Concentration et doigté de rigueur.

Heureuse surprise ensuite. Mol, suave à l'entame, mâche légère et caressante, grande libération aromatique, façon bouquet final de feu d'artifice, en secondes.
Impeccable charpente, discrète comme dans tout édifice élégant, de bon ton.

Vin qui a traversé les vingt dernières années comme un charme, révélant aujourd'hui tout ce que le merlot âgé, sûrement vinifié sans faute, contient.
Arômes complexes, multiples, à dominantes de baies rouges et noires (mûres, groseilles ?), de fleurs (sureau, chèvrefeuille ?)  et quelques évocations de fruits secs en un second temps (noisette, pignon de pin ?).

Le sourire léger et mobile, les yeux clignés de manière à peine perceptible, la longue expiration nasale, les langues déliées se retenant de claquer (mais pourquoi se retenir ?), les propos badins...
Il faut être nombreux pour un tel partage, et ce vin, immiscé à la place centrale de cet instant, agit sans coup férir en diapason sur lequel s'accorde l'humeur des convives.

Volupté ? Vous y êtes.

eh bien j'ai plaisir à lire cette révélation !

Ce qu'il y a de bien pour les chosiens, c'est qu'à défaut de tâter du vin évoqué, on peut savourer tout le vocabulaire afférant !
"pulvique", qu’es aquò ? variation sur pulvérulent, mais encore ? pur néologisme juste né ?
Quant à la photo du château Cardinal, dommage qu'un convive ne s'y appuyât point, pour donner l'échelle !

Tristram a écrit:  "pulvique", qu’es aquò ? variation sur pulvérulent, mais encore ? pur néologisme juste né ?

Mot que j'ai inventé aujourd'hui (enfin, je crois), bâti à partir de pulvis (poussière en latin).
Pulvérulent provient en effet du même pulvis.
Un peu autorisé par Rimbaud, qui aurait créé viride (viridis signifie vert en latin), à ceci près que viride est à présent passé en français, je ne pense pas que pulvique en prenne le chemin .

(Attention il y a un autre château Laroque en appellation Bordeaux, et encore un en appellation Saint-Émilion).


Les vieux, à l'âge où l'on te verse à goûter pour les premières fois une taffe d'un vin lors d'un repas de famille ou quelque réveillon, poursuivaient doctement, l'index détaché du verre-ballon: "Vois-tu, les petits millésimes, choisis des grands vins. Pour les bons millésimes, tu peux élire, sans radinerie, des vins moins prestigieux".

Conseil que je répercute à l'identique arrivé à l'âge de ceux que je prenais alors pour vieux...

Laroque, c'est une des toutes dernières propriétés familiales de l'appellation Margaux, cherchez derrière les étiquettes des autres le groupe bancaire, le consortium, le fonds de pension, l'empire du luxe, le magnat chinois...
La famille Léglise continue, à chaque génération, à repousser les propositions spontanées d'achat comme autant d'assauts parfois indécents pour ces 2,5 hectares d'acharnement à l'excellence et de passion.
Toute la méthodologie viti-vinicole est traditionnelle, l'esprit et la lettre du classicisme, une noblesse de droiture et fidélité.  

Notes vanillées et torréfiées. Fruits, plutôt rouges que morts.
Grande intensité à l'attaque. Complexité aromatique.  
Bien sûr ce vin peut (et doit) vieillir dix années encore, ou davantage, pour que toutes ses subtilités, toutes ses finesses se mettent en place.
Mais c'est maintenant qu'il faut l'acquérir.

Par délicatesse envers les éventuels végans, végétariens et végétaliens du forum ou visiteurs le parcourant, je ne dirai pas sur quel mets il trouva un accord nous laissant en bouche un sentiment accompli d'extrême civilisation gustative.

La table était familiale et décontractée, la plage à cent mètres; la température inhabituellement fraîche pour un mois d'août en ces parages-là, idéale pour apprécier ce vin, produit un peu plus au sud de la presqu'île médocaine.

Aventin a écrit:Par délicatesse envers les éventuels végans, végétariens et végétaliens du forum ou visiteurs le parcourant, je ne dirai pas sur quel mets il trouva un accord nous laissant en bouche un sentiment accompli d'extrême civilisation gustative.

Le fromage ?
Merci en tout cas, Aventin, il n'y a pas que la bière...

Le fromage ?

Non pas du tout.

Spoiler:

je bave...

Merci tout de même pour cette attention. Château Laroque, je note, Aventin...

Je seconde pour fromage, il y a des choses qui ressortent de la fabrication du fromage qui font que ça ne suit pas toujours l'étiquette végé...

Il y a du fromage vegan, et je n'en suis pas particulièrement friand pour le moment, mais c'est ça qui est ça...

Fil un peu délaissé, j'avoue.

Alors ces derniers temps:

Rioja Arteso Crianza 2013

Bonne tenue générale, robe bien sombre et, beaucoup plus rare, Rioja qui "pleure" un peu ses larmes à verre reposé, une épaisseur confirmée en bouche par une charpente eiffelienne.
Bouqueté fin, amande et herbacées du barranco. Dans les 7 € le flacon lors de l'acquisition, le tarif pour ce millésime a peut-être un peu changé parce que je l'ai entré en caves il y a quelques lunes, mais enfin avouez qu'il n'y a pas de quoi se priver. Apprécié sur un colombo de poulet maison, ce qui est risqué, la cuisine épicée rendant les vins plats, mais là non, défi relevé avec succès.


Sancerre Blanc Franck Millet 2019

Ça c'est une bonne trouvaille, une excellente pioche osée sur une tartiflette, en alternative réussie à l'inéluctable roussette de Savoie. C'est un copain qui m'a alerté sur cet hymne au cépage Sauvignon, dont le on-dit en vigueur prétend que le sancerrois est son meilleur foyer, son terroir d'expression la plus aboutie.

Vin vif, généreux, pas trop long en bouche, la fraîcheur (en température de service) souligne sa fraîcheur (en impression sensorielle de nouveauté élégante). Petite note d'abricot mûr en finale, histoire de contrebalancer une toute mini pointe d'astringence qu'avec un minimum de concentration vous avez repérée à l'attaque, dans une impression générale d'équilibre.

Vin de propriétaire-récoltant, un peu ardu à trouver, un peu onéreux peut-être (16,5 € environ) estimera-t-on ?
Bof...osons la pédanterie, René Descartes à la rescousse de M. Millet, type concipiebam gravitatem instar qualitatis cujusdam realis et en avant toute, n'en parlons plus !

merci Aventin !

Oui, c'est bien gouleyant le Sancerre;

Une valeur sûre dans les blancs, et impossible à confondre avec un autre...

Aventin a écrit:

Château Cardinal, Montagne Saint-Emilion 1996

C'est un mathusalem, c'est-à-dire un flacon de 6 litres (on dit une impériale en bordelais).
Nous avons dû demander un tire-bouchon ad hoc dans le voisinage, le morceau de liège était en rapport avec la taille hors-normes !

Oublié volontairement au fin fond de notre cave, il était couvert d'une épaisse poussière, que madame s'est employée à plumeauter derechef, à mon grand dam, trouvant que celle-ci ajoutait un surcroît de noblesse à l'artefact vineux sur la table, une parure pulvique.

Il est difficile de remplir des verres-ballons, paraissant de dînette pour poupées à l'échelle de la lourde bouteille, d'un maniement exigeant. Concentration et doigté de rigueur.

Heureuse surprise ensuite. Mol, suave à l'entame, mâche légère et caressante, grande libération aromatique, façon bouquet final de feu d'artifice, en secondes.
Impeccable charpente, discrète comme dans tout édifice élégant, de bon ton.

Vin qui a traversé les vingt dernières années comme un charme, révélant aujourd'hui tout ce que le merlot âgé, sûrement vinifié sans faute, contient.
Arômes complexes, multiples, à dominantes de baies rouges et noires (mûres, groseilles ?), de fleurs (sureau, chèvrefeuille ?)  et quelques évocations de fruits secs en un second temps (noisette, pignon de pin ?).

Le sourire léger et mobile, les yeux clignés de manière à peine perceptible, la longue expiration nasale, les langues déliées se retenant de claquer (mais pourquoi se retenir ?), les propos badins...
Il faut être nombreux pour un tel partage, et ce vin, immiscé à la place centrale de cet instant, agit sans coup férir en diapason sur lequel s'accorde l'humeur des convives.

Volupté ? Vous y êtes.

J'en ai les larmes aux yeux !

Je ferai part de mes meilleures trouvailles bientôt. Je n'ai pas la sapience d'Aventin mais je fonctionne plutôt bien en suivant mon instinct gustatif.

Eu l'occasion de faire découvrir ce merveilleux vin de fête à des amis, lors du tout récent réveillon. Parmi les txakolis, celui-ci est loin d'être bas de gamme, sans pour autant être onéreux.

Mettre tous les verres côte à côte et verser sans discontinuer jusqu'à les emplir tous uniformément provoque sa petite chaleur détendue, drôle et apaisée, d'autant qu'il faut bien sûr en verser le plus involontairement possible sur la table au passage (et, en temps normal, un peu sur les doigts des convives aussi, par totale inadvertance bien entendu, mais, pandémie oblige...).

Toujours ce perlant à la verse, cet arôme de pomme très prononcé provenant des cépages Hondarribi Beltza et Hondarribi Zuri (dans  celui-ci, le txakoli Txomin Etxaniz, chacun de ces deux cépages rentre à moitié dans la composition, pas de jaloux !).

Énorme ambianceur donc, vin spectaculaire, mais pas seulement: une joie de vivre...que le vin ne devrait jamais cesser d'être !

"une joie de vivre...que le vin ne devrait jamais cesser d'être !"

bien raisonner Aventin, merci pour la découverte