Klaus Mann
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Klaus Mann
Klaus Heinrich Thomas Mann, né le 18 novembre 1906 à Munich, mort le 21 mai 1949 à Cannes, est un écrivain allemand. Il est le fils de l'écrivain Thomas Mann, le neveu de Heinrich Mann et le frère, entre autres, d'Erika et Golo Mann.
Entré en littérature dans les premières années de la République de Weimar, il se montre d'abord sensible à un esthétisme inspiré par Stefan George et écrit La Danse pieuse, le premier roman allemand homosexuel. Il quitte l'Allemagne lors de l'arrivée au pouvoir des nazis en 1933 ; son œuvre prend une nouvelle orientation, résolument engagée. Déchu de la nationalité allemande en 1935, il devient peu après citoyen tchécoslovaque. Installé aux États-Unis en 1938, il prend la nationalité américaine en 1943 et s'engage dans l'armée américaine. Victime de la drogue, dépressif, ne trouvant pas sa place dans l'Europe de l'après-guerre, il se suicide en avalant une forte dose de somnifères.
Son œuvre, négligée de son vivant, n'a été redécouverte que bien des années après sa mort. Il est aujourd'hui considéré comme l'un des représentants les plus importants de la littérature de langue allemande du XXe siècle, en particulier de la littérature de l'émigration.
wikipedia
Liste des ouvrages en français
Personnels
- Anja et Esther (Anja und Esther, 1925), théâtre
- Devant la vie (Vor dem Leben: Novellen, 1925), récits ; Page 2
- La Danse pieuse (Der fromme Tanz: Das Abenteuerbuch einer Jugend, 1926), roman
- Le Cinquième Enfant (Kindernovelle, 1927), nouvelle
- Aujourd'hui et demain (Heute und Morgen, 1927), essai
- Aventure (Abenteuer, 1929), nouvelles
- Alexandre. Roman de l’utopie (Alexander: Roman der Utopie, 1929), roman
- En quête d'un chemin (Auf der Suche nach einem Weg, 1931), essais
- Je suis de mon temps (Kind dieser Zeit, 1932), autobiographie
- Point de rencontre à l'infini (Treffpunkt im Unendlichen, 1932), roman
- Fuite au nord (Flucht in den Norden, 1934), roman
- La Symphonie pathétique (Symphonie pathétique: Ein Tschaikowsky-Roman, 1935), roman
- Mephisto. Histoire d’une carrière (Mephisto: Roman einer Karriere, 1936), roman
- Ludwig. Nouvelle sur la mort du roi Louis II de Bavière (Vergittertes Fenster, 1937), nouvelle
- Le Volcan. Un roman de l’émigration allemande (1933–1939) (Der Vulkan: Roman unter Emigranten, 1939), roman
- Speed, 1939, nouvelle
- Le Tournant. Histoire d’une vie (The Turning Point, 1942, Der Wendepunkt, ein Lebensbericht, publication posthume 1952), autobiographie ; Pages 1, 2
- André Gide et la crise de la pensée moderne (André Gide and the Crisis of Modern Thought, 1943, André Gide: Die Geschichte eines Europäers, 1948), essai
- The Last Day, 1949, fragment d'un roman inachevé
En collaboration avec Erika
- À travers le monde (Rundherum. Ein heiteres Reisebuch), 1929
- Le livre sur la Riviera ou ce qui n'est pas dans le Baedeker (Das Buch von der Riviera oder was nicht im Baedeker steht), 1931
- Fuir pour vivre : la culture allemande en exil
- L'Autre Allemagne (The Other Germany), 1940
MAJ de l'index le 01/12/2020
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Etre dans le vent, c'est l'histoire d'une feuille morte.
Flore Vasseur
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Re: Klaus Mann
Le tournant
Le tournant m'a narguée, tentée, m'a été proposé plusieurs fois et pourtant, j'ai renâclé. Et j'avais tort. Malgré ses 700 pages, ses centaines de personnages cités, cette autobiographie se lit avec passion, qu'on s'attache au portrait d'un homme ou au portrait d'un siècle.
Deux superbes chapitres racontent une enfance munichoise heureuse, pleine de tendresse. Puis le jeune homme croque la vie à belles dents entre jouissance et désespoir, toujours parti, écrivain insatiable à l'ombre de son père, membre d'une jet-set européenne avide de culture.
L'exil forcé qu'il subit sous la menace du nazisme en tant qu'opposant au régime transforme ses voyages de plaisir en une errance dévastatrice, et déclenche un militantisme forcené : Klaus Mann prend sa canne de pèlerin, informe, explique, convainc et finit , lui, le pacifiste, par s'engager dans l'Armée américaine.
A travers son histoire personnelle (qui refuse tous les détails croustillants), c'est bien sûr l'histoire du monde qui se déroule.
C'est vraiment un bouquin impressionnant, et qui parle tout autant de notre époque, si comparable quand on veut bien y porter attention, et c'est assez terrible.
Quelques citations de le Tournant, correspondant à la période 1923-24:
... qui me terrifient car elles me font furieusement penser à la période actuelle,( bien que le contexte soit différent), et qu'on sait comment ça a fini.
(commentaire récupéré)
mots-clés : #autobiographie #historique #regimeautoritaire
Le tournant m'a narguée, tentée, m'a été proposé plusieurs fois et pourtant, j'ai renâclé. Et j'avais tort. Malgré ses 700 pages, ses centaines de personnages cités, cette autobiographie se lit avec passion, qu'on s'attache au portrait d'un homme ou au portrait d'un siècle.
Deux superbes chapitres racontent une enfance munichoise heureuse, pleine de tendresse. Puis le jeune homme croque la vie à belles dents entre jouissance et désespoir, toujours parti, écrivain insatiable à l'ombre de son père, membre d'une jet-set européenne avide de culture.
« un vieil individualiste, un vagabond, non dépourvu de tendances excentriques et anarchistes »
L'exil forcé qu'il subit sous la menace du nazisme en tant qu'opposant au régime transforme ses voyages de plaisir en une errance dévastatrice, et déclenche un militantisme forcené : Klaus Mann prend sa canne de pèlerin, informe, explique, convainc et finit , lui, le pacifiste, par s'engager dans l'Armée américaine.
A travers son histoire personnelle (qui refuse tous les détails croustillants), c'est bien sûr l'histoire du monde qui se déroule.
C'est vraiment un bouquin impressionnant, et qui parle tout autant de notre époque, si comparable quand on veut bien y porter attention, et c'est assez terrible.
Quelques citations de le Tournant, correspondant à la période 1923-24:
« La crise morale et sociale au centre de laquelle nous nous trouvons, et dont la fin ne semble pas encore prévisible, était pourtant bien, déjà en ce temps-là, en plein développement. Notre vie consciente commençait à une époque d'incertitude oppressante. Alors que tout, autour de nous, se crevassait chancelait, à quoi aurions-nous pu nous raccrocher, selon quelles lois aurions-nous dû nous diriger ?"
«Nos poètes à nous, nous transmirent le dédain de l'intellect, la préférence accordée aux valeurs biologiques et irrationnelles aux dépens des valeurs morales et rationnelles, la survalorisation du somatique, le culte de l'Éros. Au milieu de la vacuité et de la désagrégation générale, rien ne semblait avoir une réelle importance que le voluptueux mystère de notre propre vie physique, le miracle sensuel de notre existence terrestre. En présence d'un Crépuscule des Dieux qui mettait en question l'héritage de deux millénaires, nous cherchions un nouveau concept de base pour notre pensée, un nouveau leitmotiv pour nos chants, et nous trouvions « le corps, le corps électrique »."
« La glorification des vertus physiques perdait à mes yeux toute espèce de charme et toute force de persuasion, quand elle s'alliait à un pathos héroïque et militant, ce qui était, hélas, souvent le cas. Je ne comprenais d'ailleurs absolument rien aux fanatismes sportifs, qu'il nous faut considérer comme un autre symptôme – peut-être le plus important ! - de l'état d'esprit anti spiritualiste de l'époque. Qu'est-ce que les gens pouvaient bien trouver de si excitant et de si merveilleux à des combats de boxe et à des matchs de football ? Je ne les comprenais pas… »
« Ce n'était pas à la conscience et à la réflexion qu'aspirait cette société vidée de son sang et désorientée ; ce que l'on voulait, c'était bien plutôt oublier - la misère présente, la peur de l'avenir, la faute collective... »
« Ces messieurs Krupp et Stinnes se débarrassent de leur dette : ce sont les petits qui payent. Qui donc se plaint ? Qui proteste ? Tout cela, c'est à se tordre, c'est à crever de rire, c'est la plus grande rigolade de ce qu'on appelle l'histoire du monde ! »
... qui me terrifient car elles me font furieusement penser à la période actuelle,( bien que le contexte soit différent), et qu'on sait comment ça a fini.
(commentaire récupéré)
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Flore Vasseur
topocl- Messages : 8430
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Re: Klaus Mann
Topocl, le livre répond lui-même à ton questionnement/ inquiétude :
Cette remarque me paraît rester valable aujourd'hui, au regard de nos connaissances actuelles, quelque soit la part des gènes et de la culture, en ce sens que notre évolution demeure infiniment lente par rapport à la durée de vie humaine. Les mêmes causes produisent encore les mêmes effets, à d'infimes variations près. Le changement est imperceptible _ quant au "progrès"...
Et ça continue comme ça sur près de 700 pages !
Nota bene, Klaus Mann s'est suicidé.
« Rien ni personne n’a d’existence indépendante. Un rythme universel détermine nos pensées et nos actes ; la courbe de notre destin fait partie d’une formidable mosaïque qui, à travers les siècles, dessine et varie les mêmes figures, depuis la nuit des temps. Chacun de nos gestes répète le rite ancestral et anticipe en même temps sur les attitudes des générations futures ; l’expérience la plus solitaire de notre cœur n’est jamais que la préfiguration ou l’écho de passions passées ou à venir. »
Klaus Mann, « Le tournant (Histoire d’une vie) », Prologue
Cette remarque me paraît rester valable aujourd'hui, au regard de nos connaissances actuelles, quelque soit la part des gènes et de la culture, en ce sens que notre évolution demeure infiniment lente par rapport à la durée de vie humaine. Les mêmes causes produisent encore les mêmes effets, à d'infimes variations près. Le changement est imperceptible _ quant au "progrès"...
« On ne peut pas se fier au souvenir, et pourtant il n’y a pas d’autre réalité que celle que nous portons dans notre mémoire. Chaque instant que nous vivons doit son sens à l’instant précédent. Le présent et l’avenir seraient inexistants si la trace du passé s’était effacée de notre conscience. Entre nous et le néant, il y a notre capital de souvenirs, rempart assurément quelque peu problématique et fragile. »
« L’unique période absolument heureuse de notre vie est celle que nous traversons en dormant. Il n’y a pas de bonheur là où existe le souvenir. Se souvenir signifie regretter le passé. Et notre nostalgie s’éveille avec notre conscience. »
Klaus Mann, « Le tournant (Histoire d’une vie) », chapitre I
Et ça continue comme ça sur près de 700 pages !
Nota bene, Klaus Mann s'est suicidé.
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15640
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Re: Klaus Mann
Je vais essayer de trouver une autre option pour répondre à mes questionnements...
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Flore Vasseur
topocl- Messages : 8430
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Re: Klaus Mann
Merci de partager si tu trouves...
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Tristram- Messages : 15640
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Re: Klaus Mann
LE TOURNANT
Beaucoup de gens ont dit du bien de Klaus Mann, et notamment Michel Polac. Mais j'ai quand meme été stupéfait. Bien sûr, il y a sa lucidité, le don de présenter les autres et de les éclairer de façon magistrale, et aussi cette façon de se mettre en retrait.
Mais il y a aussi ce formidable talent qu'il a et ne doit qu'à lui-même. J'ignore comment il est perçu dans la langue, mais en français, c'est un enchantement...
"Oui, l'été, c' est cela : nous sept - deux parents, deux enfants et un Motz qui danse et tourbillonne - marchant en cortège, d'un pas lent, par le chemin des prés, vers le vivier. Le sol que nous foulons est élastique et mou, c'est une terre marécageuse : de là l' exubérance de la végétation, le vert profond de l'herbe grasse et luxuriante, le flamboiement des boutons d' or, la pourpre riche du coquelicot.
Le ciel d' été, c'est cela : dans son azur voguent des nuages blancs, floconneux qui s 'arrondissent entre les sommets alpins pour former des figures baroques. L'air a l'odeur de l' été, le goût de l' été, la sonorité de l'été. Les grillons chantent leur chanson d' été, monotone et hypnotique.
A notre droite s'étend la petite ville estivale de Tolz avec ses maisons peintes, ses pavés cahoteux, les jardins de ses brasseries, et ses images de madone. Autour de nous, se déploie la prairie d'été ; devant nous, se dresse la montagne puissamment érigée et cependant délicate et tranfigurée par la brume des midis d' été."
Le Tournant, pp 62-63
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Re: Klaus Mann
LE TOURNANT {citations}
"L'idée, en ce moment précis, en ce moment de crise, d'écrire une "confession" -c' est à dire une autobiographie- me semble séduisante et admissible... Tout témoignage sincère et exact compte et a son importance. Pourquoi le mien serait-il sans valeur ? Toute vie humaine est à la fois unique et représentative ; dans chaque destin individuel, dans chaque drame personnel, le drame d'une génération, d'une classe, d'un peuple et d'une époque se reflète et se module.
Quelle sorte d'histoire ai-je donc à raconter ? L' histoire d' un intellectuel entre deux guerres mondiales, celle d' un homme, qui, par conséauent, a dû passer les années décisives de sa vie dans un vacuum social et spirituel, s'efforçant avec ferveur - mais sans succès - de s' intégrer à une communauté quelconque, de se soumettre à un ordre quelconque, toujours errant, toujours voguant sans trève ni repos, toujours inquiet, toujours en quête...
L'histoire d'un Allemand qui voulait devenir Européen, d'un Européen qui voulait devenir citoyen du monde. L' histoire d'un écrivain qui, au départ, s'intéresse à l' art, à la religion, à l'érotisme, mais qui, sous la pression des circonstances, parvient à une attitude responsable et même militante...
Mon histoire - c' est le plus sincèrement, le plus exactement possible qu' il me faut l'écrire, avec tous ses aspects déterminés par l'époque et avec sa problématique particulière et unique.
(L'ombre, sur mon chemin, de la gloire paternelle... oui, cela aussi y a sa place)...
Le même jour, plus tard. Etre honnête ! Ne plus mentir ! Avoir le courage d'être soi-meme ! Je suis seul. Je suis libre. je ne possède rien ; je ne veux rien posséder. Pourquoi devrais-je me montrer diplomate ? Qui devrais-je prendre en considération ? Je ne me soucie ni du cours de la Bourse, ni des tabous sexuels des zélateurs bourgeois ou marxistes, ni des grande phrases d'un quelconque nationalisme. Le nationalisme, tout nationalisme, est à mes yeux l'aberration la plus dangereuse et la plus imbécile de l' homme moderne. Je me suis séparé de ma nation parce que sa forfanterie agressive m'écoeurait. Je crois à la civilisation universelle et indivisible à laquelle ce siècle aspire."
Klaus Mann : Le tournant, PP. 564-565-566
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bix_229- Messages : 15439
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Re: Klaus Mann
LE TOURNANT {Citations}
Ce fut pendant ce beau, ce riche printemps, que je rencontrai le jeune poète René Crevel.
Il avait peu de points communs avec le type de "l'homme de lettres" parisien auquel l'imagination du petit bourgeois international s'attache avec autant d'entêtement. René n'était ni élégant ni policé, ni spirituel, au sens conventionnel du mot. Son charme foudroyant comportait un élément tragique et sauvage, une sorte d' emportement désespéré, qui venait du coeur même de son être et se communiquait à tous ses gestes, ses paroles et ses regards.
Ses yeux étaient quelque chose d' indescriptible - de vastes étoiles emplies de lumière, élargies comme par une panique constante ou un ravissement sans fin... Ils n'étaient d'aucune couleur définissable mais semblaient faits, seulement, de lumière changeante ; il se passait des choses prodigieuses dans leurs profondeurs agitées : des explosions d'électricité venue de l'au-delà étaient suvies d'obscurcissements brusques, comme si les ombres de la souffrance descendaient du front douloureux sur ces astres rayonnants.
Il était amical et généreux, mais il pouvait devenir aussi agressif et même cruel. Son intégrité fanatique se révotait contre tout ce qui était bas et vulgaire. Les traits de caractère qui lui inspiraient l'horreur la plus impitoyable étaient précisément ceux qu' il considérait comme les plus typiques de sa propre classe - la bourgeoisie de la 3e République. Aucun vice ne lui semblait plus impardonnable que l' avarice et l' étroitesse de vue pleines de suffisance qu' il reprochait avec fureur à son milieu d' origine, à sa famille, à ses maîtres, à sa parenté.
Le tournant, pp. 221-222
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bix_229- Messages : 15439
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Re: Klaus Mann
Le TOURNANT {Citations}
"Sei pazzo ?"
C'est Venise - sa pénombre diaprée, la magie mauresque de son architecture, la chanson nostalgique du Canal Grande.
Deux jeunes filles et deux jeunes gens sont étendus dans une gondole : Erika et moi, avec un de mes amis et notre "petite Suisesse", Anne Marie (Schwarzenbach), l'excentrique héritière d'un vieux nom patricien. Elle est orgueilleuse, et délicate et grave, elle a un front pur d'adolescent sous de doux cheveux cendrés.
Est-elle belle ? Comme elle déjeunait pour la première fois chez nous, à Munich, le Magicien (Thomas Mann) qui la regardait du coin de l'oeil avec un mélange d'inquiétude et de plaisir, constata finalement :
"C' est curieux, si vous étiez un garçon, vous devriez passer pour extraordinairement belle."
Mais si, elle est belle, même en fille. Le poète français Roger Martin du Gard savait bien de quoi il la remerciait lorsqu' l écrivit cette dédicace dans un de ses livres :
Pour Anne-Marie -en la remerciant de promener sur cette terre son beau visage d'ange inconsolable...
Le tournant, pp. 318-319
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bix_229- Messages : 15439
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Re: Klaus Mann
LE TOURNANT {Citations}
Pis le 1.7.1945. A Miss Eva Herrmann. Santa Monica (Cal.)
Nos amis s'en vont, l'un après l' autre, et nous n'en finissons pas de dire adieu.
Anne-Marie (Schwarzenbach), par exemple, notre chère "petite Suissesse"... Tu sais certainement qu'elle nous a quittés, elle, hélas, non sans lutte et non sans souffrance. Un accident de bicyclette, à ce qu l'on me dit maintenant. Oui, une vulgaire bicyclette qui s'est emballée comme un cheval sauvage. En Engadine, il y a des routes très raides et beaucoup de virages - c'est ainsi que c'est arrivé. L' engin dont elle avait perdu le contrôle a projeté notre petite Suissesse contre un arbre, en Suisse - sa chère, sa belle tête ; "son beau visage d'ange inconsolable" - s' y est absolument fracassée.
Elle n' est pas morte sur le coup. Elle a vécu des semaines, d'une vie réduite... Comme s'il n' y avait pas eu déjà assez d'agonies cruelles, interminables, sur les champs de bataille, dans les camps d' extermination et les chambres de torture.
Le Tournant pp. 656-657
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bix_229- Messages : 15439
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Re: Klaus Mann
« …] les aventures se répètent, sur d’autres plans, sous d’autres signes ; tout n’aboutit pour finir qu’à des variantes. […]
Et après ? Comment cela continue-t-il ? Cela ne continue pas. Cela recommence : tout le morceau da capo, encore une fois, encore et toujours… Chaque époque de la vie ne fait que répéter ‒ avec des variantes ‒ les précédentes. »
Klaus Mann, « Le tournant (Histoire d’une vie) », chapitre X
Et après ? Comment cela continue-t-il ? Cela ne continue pas. Cela recommence : tout le morceau da capo, encore une fois, encore et toujours… Chaque époque de la vie ne fait que répéter ‒ avec des variantes ‒ les précédentes. »
Klaus Mann, « Le tournant (Histoire d’une vie) », chapitre X
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Tristram- Messages : 15640
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Localisation : Guyane
Re: Klaus Mann
Un livre essentiel pour qui s'intéresse à cette époque de l'histoire.Et pour moi, une des lectures les plus marquantes des dix dernières années.
Il est souligné dans la préface: La beauté du livre tient à cette étrangeté: c'est une autobiographie sans confession où quelqu'un se raconte sans livrer ses secrets, plus attentif aux autres, à son époque qu'à lui-même. ( Jean Michel Palmier)
En effet, aucun déballage, aucun réglement de compte, juste un talent d'observateur et d'analyste Et de raconteur, car cela se lit comme un roman.
On en apprend finalement plus sur la vie privée de Klaus Mann ( et notamment ses rapports avec son célèbre père) dans la préface.
En exergue:
Wer spricht von siegen? Uberstehen ist alles. Rainer Maria Rilke
Il est souligné dans la préface: La beauté du livre tient à cette étrangeté: c'est une autobiographie sans confession où quelqu'un se raconte sans livrer ses secrets, plus attentif aux autres, à son époque qu'à lui-même. ( Jean Michel Palmier)
En effet, aucun déballage, aucun réglement de compte, juste un talent d'observateur et d'analyste Et de raconteur, car cela se lit comme un roman.
On en apprend finalement plus sur la vie privée de Klaus Mann ( et notamment ses rapports avec son célèbre père) dans la préface.
En exergue:
Wer spricht von siegen? Uberstehen ist alles. Rainer Maria Rilke
Marie- Messages : 641
Date d'inscription : 02/12/2016
Re: Klaus Mann
C'est un livre que je veux relire depuis le moment où je l'ai refermé.
Tellement important pour comprendre hier et aujourd'hui.
Tellement important pour comprendre hier et aujourd'hui.
shanidar- Messages : 1592
Date d'inscription : 02/12/2016
Re: Klaus Mann
Je l'ai acheté il y a des années. Il faut vraiment que je m'y plonge alors ! (Une résolution pour cette 2017 ?)
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"Et au plus eslevé trone du monde, si ne sommes assis, que sus notre cul." (Michel de Montaigne)
Armor- Messages : 4589
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Age : 43
Localisation : A l'Aise Breizh
Re: Klaus Mann
Le Tournant
Toute notre vie est constituée de "tournants" comme le mentionne l'auteur, mais ce tournant c'est celui que prendra le monde après la deuxième guerre. Sera-t-il bien négocié ?
---
Les premiers chapitres relatant l’enfance et la jeunesse de Klaus au sein de cette famille bourgeoise, la famille Mann, ont un charme nostalgique. L’ affection qui lie Klaus à sa sœur Erika « les terribles enfants Mann », le rôle de Mielein (leur mère), l’imposante, quoique plus distante, présence de leur père Thomas Mann, qu’ils surnomment « le Magicien » et dans l’ombre duquel, l’enfant et l’adulte Klaus se sentira toute sa vie ; c’est ce tout qui rend compte d’ une vie agréable dans cette grande famille (5 enfants).
« Les jeux et la vie – magiquement confondus – forment un tout. Les jeux prennent la forte couleur de la réalité, la réalité a le charme chatoyant de la fantaisie. Le temps de l’enfance apparait à présent dans mes souvenirs comme une brillante succession de joyeuses cérémonies et de joies cérémonieuses. »
Mais la politique qui surgira dans la République mourante, avec la montée aux élections de 1930, puis 32 suivies de la nomination d’Hitler Chancelier, contraindra la famille Mann à l’exil. Par leurs vives critiques contre les nazis, sous forme d’écrits, de théâtre, Klaus et d’Erika étaient « repérés » et sujets à être arrêtés, ils quittèrent le sol allemand le 13 mai 1933.
« Un roman et une pièce de théâtre que j’écrivis alors (1930-32) semblent être une anticipation poétique sur la douleur d’être privé de patrie. Quels que puissent être les mérites et les faiblesses littéraires de ces essais, ils donnent en tout cas une idée de la terrible solitude à laquelle se trouvait condamné, dans l’Allemagne de la République mourante, un intellectuel allemand de convictions européennes et libérales. Un déraciné ? Jamais je ne le fus plus qu’en ce temps-là, dans une patrie qui m’était devenue étrangère et dont l’atmosphère empoisonnée étouffait ma voix et lui ôtait toute résonance, toute efficacité. »
Même si « l’émigration n’était pas une bonne chose. Le troisième Reich était pire. »
Klaus précise que « la très grande majorité des auteurs jouissant d’une certaine notoriété dans le monde littéraire prirent position aussitôt et de la façon la plus catégorique contre la dictature, dont le caractère profondément « hostile à l’Esprit »ne pouvait faire le moindre doute pour tout être doué de lucidité. »
Malgré les aléas et les obligations de la condition d’exilé, Klaus continue de travailler et de produire, Erika de même. Tous deux continuent leur résistance, s’investissent pour convaincre les pays européens, mais aussi les USA (où Klaus et plusieurs membres de la famille Mann s’installeront) de la toxicité, de l’inadmissible pouvoir nazi .
Devenu citoyen des USA, Klaus s’engage dans l’armée (il découvrira le racisme prégnant vis-à-vis des Noirs), il retournera dans l’ Allemagne exsangue à la fin de la guerre, il se rendra compte de l’ ampleur de l’horrible, de l’indicible dans les camps de concentration.
Son suicide est annoncé en dernière page !
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Cette autobiographie c’est aussi la guerre, le nazisme racontés par une vue extérieure, par l’exilé que fut Klaus Mann. Mais une vision lucide, malgré la distance des faits, nécessaire pour argumenter des « effets « et « dommages collatéraux » du nazisme.
La vie de Klaus est marquée par l’immense notoriété de son père, le « Magicien », il le rappelle plusieurs fois : « L’ombre sur mon chemin de la gloire paternelle » mais la moindre critique ou geste d’affection est reçu avec reconnaissance par Klaus.
Klaus n’espère qu’en la réconciliation de l’Ouest et de l’Est, et du monde ; il est hélas un peu naïf quant aux agissements de Staline. Ce sont ses désillusions qui le conduiront au suicide. Il est un fait aussi dans ses pages que beaucoup d’amis, de proches se sont suicidés également.
« Dans un monde de paix assurée et de collaboration internationale, on aura besoin de nous ; dans un monde de chauvinisme, de bêtise et de violence, nous n’aurions aucune place, aucun rôle. Si je croyais inévitable la venue d’un monde pareil, je suivrais dès aujourd’hui l’exemple de Stefan Zweig, humaniste découragé… »
J’ai apprécié également la rencontre et le portait que fait Klaus des écrivains de cette époque, de leur attitude vis-à-vis du nazisme.
Klaus est discret sur lui-même, comme si sa personne n’était pas, après tout, si essentielle. C’est pour les autres qu’il s’investit. Mais que de belles lettres à sa famille et ses amis ; sa fidélité dans l’amitié.
Une très bonne lecture dont certainement je n’évoque pas tous les mérites.
ps : j' ai relevé évidemment les noms d'auteurs à lire, je commencerai d'ailleurs par Thomas et Heinrich Mann.
Dernière édition par Bédoulène le Dim 28 Jan - 21:05, édité 1 fois
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
[/i]
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21152
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Localisation : En Provence
Re: Klaus Mann
Il y a beaucoup de choses qui nous manquent à la lecture du Tournant.
Sur le plan historique, politique, sociologique, littéraire et notamment
théatral.
Mais meme ainsi, on pénètre de plein pied dans une période d' obscurité,
d' ignorance, de haine et de barbarie.
Et le tableau qu' il en fait est extraordinaire et mémorable.
Il est possible qu' à une époque plus calme, il serait devenu encore plus
important.
Mais la lutte, l' exil, une nature tourmentée l' ont empeché.
Sur le plan historique, politique, sociologique, littéraire et notamment
théatral.
Mais meme ainsi, on pénètre de plein pied dans une période d' obscurité,
d' ignorance, de haine et de barbarie.
Et le tableau qu' il en fait est extraordinaire et mémorable.
Il est possible qu' à une époque plus calme, il serait devenu encore plus
important.
Mais la lutte, l' exil, une nature tourmentée l' ont empeché.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Klaus Mann
Ah je pense qu'il faut que je lise .
Merci Bédou !
Merci Bédou !
églantine- Messages : 4431
Date d'inscription : 02/12/2016
Localisation : Savoie
Re: Klaus Mann
Bix les lectures de Koestler que j'ai faites m'ont aussi bien renseignée, sur la République de Weimar, l'ambiance haineuse, délétère, la lutte entre les socialistes et les communistes, que Klaus Mann évoque aussi, mais la situation de ces deux auteurs, politiquement, économiquement est bien différente (d'ailleurs Klaus Mann se dit apolitique)
Dernière édition par Bédoulène le Lun 29 Jan - 20:12, édité 1 fois
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
[/i]
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21152
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Klaus Mann
Je ne lis pas trop ton commentaire : j'attends d'avoir fini ma lecture du Tournant
(mais moi aussi j'ai relevé un certain nombre d'auteurs à lire, Thomas Mann le premier; puis Wedekind)
(mais moi aussi j'ai relevé un certain nombre d'auteurs à lire, Thomas Mann le premier; puis Wedekind)
Quasimodo- Messages : 5461
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 28
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Des Choses à lire :: Lectures par auteurs :: Écrivains européens de langue allemande
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