Poésie
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Re: Poésie
Ce rayon si clair au pied du lit,
Serait-ce déjà le gel ?
Me soulevant, j' ai regardé ; c' était
le clair de lune.
En retombant, j' ai pensé soudain
à ma maison.
Li Bai/Li Tai Po : Dans la nuit calme
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Aurore
Beau est Le monde malgré la nuit
secrète ta propre lumière
intense
Malgré l’opacité
du silence
Il y aura toujours
éphémère
cette chance
de se nourrir d’espérance
Ni la démence ni le sang
avec leur laideur et leurs transes
n’éteindront le chant
de l’oiseau
au soleil levant
kamal Zerdoumi, 2018
Beau est Le monde malgré la nuit
secrète ta propre lumière
intense
Malgré l’opacité
du silence
Il y aura toujours
éphémère
cette chance
de se nourrir d’espérance
Ni la démence ni le sang
avec leur laideur et leurs transes
n’éteindront le chant
de l’oiseau
au soleil levant
kamal Zerdoumi, 2018
_________________
“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
[/i]
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21099
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Poésie
Que faire de son 500ème message ?
Peut-être indiquer un lien vers CCP.
(N'avions pas un fil pour signaler les fils web intéressants, ou était-ce sur l'ancien forum, je n'ai pas trouvé ?)
Ou encore indiquer De Peu, d'Antoine Emaz, ce bel ouvrage paru chez Tarabuste en 2014 (une sorte de compilation, mais pas tout à fait, puisque nombre de poèmes ont été remaniés)
Mais qu'est-ce que ça fait plaisir qu'un poète actuel soit édité sur un beau papier, quelques petites illustrations raffinées...
Dit celui qui a toujours autant de mal avec la poésie d'Emaz.
Je ne l'apprivoise pas, ce n'est pas mon truc...j'insiste pourtant, ça fait une paye (des années) que j'essaye dur.
Allez, on prendra bien quand même quelques petits vers (petits, parce que le transcripteur, dans la canicule, est flemmard), le coup de l'étrier, pour la route:
Peut-être indiquer un lien vers CCP.
(N'avions pas un fil pour signaler les fils web intéressants, ou était-ce sur l'ancien forum, je n'ai pas trouvé ?)
Ou encore indiquer De Peu, d'Antoine Emaz, ce bel ouvrage paru chez Tarabuste en 2014 (une sorte de compilation, mais pas tout à fait, puisque nombre de poèmes ont été remaniés)
Mais qu'est-ce que ça fait plaisir qu'un poète actuel soit édité sur un beau papier, quelques petites illustrations raffinées...
Dit celui qui a toujours autant de mal avec la poésie d'Emaz.
Je ne l'apprivoise pas, ce n'est pas mon truc...j'insiste pourtant, ça fait une paye (des années) que j'essaye dur.
Allez, on prendra bien quand même quelques petits vers (petits, parce que le transcripteur, dans la canicule, est flemmard), le coup de l'étrier, pour la route:
Antoine Emaz a écrit:
S'EN SORTIR
marcher
dans les ronces hautes
s'arracher
à une mémoire sans maître
montée du sol
on avance
les pas
dans un réseau de nerfs
comme si
en se cassant
on arrachait de là
des bouts de soi
on se débat
on va plus vite on veut
passer avant d'être pris
bloqué
par les toiles d'araignée
d'une tête
Aventin- Messages : 1984
Date d'inscription : 10/12/2016
Re: Poésie
On a bien Errances connectées, mais ce que tu postes est bien ici !Aventin a écrit:(N'avions pas un fil pour signaler les fils web intéressants, ou était-ce sur l'ancien forum, je n'ai pas trouvé ?)
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15616
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 67
Localisation : Guyane
Re: Poésie
Allons-y pour un poème bien de circonstances, du recueil "De peu".
Celui-là il va parler à nombre d'entre nous ces jours-ci, je crains même de me faire taxer d'opportunisme !
Antoine Emaz, bien que je sois plutôt étanche à son art poétique, j'avoue que:
"le soleil posé stable écrase", l'emploi de mou associé à un mur, puis son ré-emploi "ça devient mou et flotte" et enfin, comme pour le mur mou, une route molle,
Tout comme aussi le fûté:
"au-delà du volet
on entre dans dehors"
- j'avoue que, disais-je, eh bien... ça se laisse déguster sans peine...
Celui-là il va parler à nombre d'entre nous ces jours-ci, je crains même de me faire taxer d'opportunisme !
Antoine Emaz, bien que je sois plutôt étanche à son art poétique, j'avoue que:
"le soleil posé stable écrase", l'emploi de mou associé à un mur, puis son ré-emploi "ça devient mou et flotte" et enfin, comme pour le mur mou, une route molle,
Tout comme aussi le fûté:
"au-delà du volet
on entre dans dehors"
- j'avoue que, disais-je, eh bien... ça se laisse déguster sans peine...
Dans la touffeur de l'air
dès l'aube la clarté déjà dit
qu'il n'y aura pas de cesse
on prend l'heure et l'air on sort
pieds nus sur les pierres fraîches
de leur reste de nuit
l'éveil le jardin ouvert avant
que l'été ne lamine
tout effort
***
plus tard rien l'été juste
le soleil posé stable écrase
le jardin et les heures
le corps aussi pris
sous la presse du jour
l'air ouate
on respire lourd
la chaleur comme mur mou
au-delà du volet
on entre dans dehors
***
face au front de l'été
aucun bruit dans le jardin
tout s'est tapi
sol comme rasé de feu
presque plus rien
sous l'épaisseur du jour
on attend
lentement le jour brûle
à petit feu l'air sans vent
au ras du sol
ça devient mou et flotte
un odeur d'herbe sèche
et de pierre chaude
sur la route molle
personne ne vient
ni ne part
***
avec le soir
un peu de souffle et la lumière
moins dure rebondit dans les feuilles
jardin safrané pollen
on respire
Aventin- Messages : 1984
Date d'inscription : 10/12/2016
Re: Poésie
Il rend bien la pesante stase de la canicule estivale !
_________________
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Tristram- Messages : 15616
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 67
Localisation : Guyane
Re: Poésie
Oui, on transpire rien que de le lire !
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Ça fait un moment que je n'ai pas cité de poésie. J'en profite pour remettre de l'avant Geneviève Desrosiers :
«Bienvenue 2»
Bienvenue
je suis morte
Bienvenue
je n'ai plus de servitude
Bienvenue
je suis absente
une rangée de ma brique a pris la place de
mon corps
Bienvenue
je ne vous vois plus
les camions passent partout
les veines ne saignent plus
Bienvenue, bienvenue
mes fautes me laissent désormais indifférente
Bienvenue
ne m'oubliez pas
Bienvenue
Au revoir
Bienvenue
Geneviève Desrosiers, Nombreux seront nos ennemis
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
Date d'inscription : 04/12/2016
Age : 42
Localisation : Montréal
Re: Poésie
Ce n'est pas franche gaîté ce poème mortuaire (et même morbide), cher jack-Hubert ?
Nihilisant, à mots dépouillés, sans fioritures. Il a sa force, au sens de puissance.
Je n'appréhende pas bien (disons-le tout net, je ne comprends pas) dans ce poème, pourtant non encodé, le "ma brique", si quelqu'un a un éclairage à proposer ?
Nihilisant, à mots dépouillés, sans fioritures. Il a sa force, au sens de puissance.
Je n'appréhende pas bien (disons-le tout net, je ne comprends pas) dans ce poème, pourtant non encodé, le "ma brique", si quelqu'un a un éclairage à proposer ?
une rangée de ma brique a pris la place de
mon corps
Aventin- Messages : 1984
Date d'inscription : 10/12/2016
Re: Poésie
Aventin : Il y a beaucoup de symboles mortuaires dans la littérature québécoise. On a juste à penser à Anne Hébert, Emile Nelligan et les autres...
Dans le cas de Geneviève Desrosiers et par rapport à cette «brique», j'imagine qu'il s'agit d'une polysémie. J'avais pensée à un endroit où elle aurait entreposé ses cendres, où elle reposerait, ou encore une rangée «de ma brique» dans le sens qu'elle aura publié une seule brique qui n'en est pas une - étant un recueil de poésie - et qui plus est composée de plusieurs fragments.
Dans le cas de Geneviève Desrosiers et par rapport à cette «brique», j'imagine qu'il s'agit d'une polysémie. J'avais pensée à un endroit où elle aurait entreposé ses cendres, où elle reposerait, ou encore une rangée «de ma brique» dans le sens qu'elle aura publié une seule brique qui n'en est pas une - étant un recueil de poésie - et qui plus est composée de plusieurs fragments.
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
Date d'inscription : 04/12/2016
Age : 42
Localisation : Montréal
Re: Poésie
très complexe Jack ! cette brique ne peut-elle faire référence à sa maison ? c'est le mot "rangée" qui m'interpelle
_________________
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Bédoulène- Messages : 21099
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Poésie
Le Poète et la Cigale
Un poète ayant rimé,
IMPRIMÉ
Vit sa Muse dépourvue
De marraine, et presque nue :
Pas le plus petit morceau
De vers... ou de vermisseau.
Il alla crier famine
Chez une blonde voisine,
La priant de lui prêter
Son petit nom pour rimer.
(C’était une rime en elle)
— Oh ! je vous paîrai, Marcelle,
Avant l’août, foi d’animal !
Intérêt et principal. —
La voisine est très prêteuse,
C’est son plus joli défaut :
— Quoi : c’est tout ce qu’il vous faut ?
Votre Muse est bien heureuse...
Nuit et jour, à tout venant,
Rimez mon nom.... Qu’il vous plaise !
Et moi j’en serai fort aise.
Voyons : chantez maintenant.
Tristan Corbière / Les Amours jaunes
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Je vis au vingtième siècle
Je vis au Vingtième Siècle
et tu es allongée ici à côté de moi.
Tu étais malheureuse quand tu t’es endormie.
Je ne pouvais rien y faire. J’étais désespéré.
Ton visage est si beau que je ne peux pas m’arrêter
pour le décrire, et il n’est rien que je puisse faire pour te rendre
heureuse pendant que tu dors.
Richard Brautigan
traduit de l’anglais par E. Dupas
.
traduit de l’anglais par E. Dupas
.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Trouvé ici, alors que je cherchais le fil Villon, qui manifestement reste à faire.Michel Deguy a écrit:Frères migrants qui avec nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous ennemis
Car si pitié de nous riches avez
Paix en aurait plus tard pour tous une chance
_________________
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Tristram- Messages : 15616
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 67
Localisation : Guyane
Re: Poésie
René Depestre
Minerai noir
Quand la sueur de l'Indien se trouva brusquement tarie par le soleil
Quand la frénésie de l'or draina au marché la dernière goutte de sang indien
De sorte qu'il ne resta plus un seul Indien aux alentours des mines d'or
On se tourna vers le fleuve musculaire de l'Afrique
Pour assurer la relève du désespoir
Alors commença la ruée vers l'inépuisable
Trésorerie de la chair noire
Alors commença la bousculade échevelée
Vers le rayonnant midi du corps noir
Et toute la terre retentit du vacarme des pioches
Dans l'épaisseur du minerai noir
Et tout juste si des chimistes ne pensèrent
Au moyen d'obtenir quelque alliage précieux
Avec le métal noir tout juste si des dames ne
Ręvèrent d'une batterie de cuisine
En nègre du Sénégal d'un service à thé
En massif négrillon des Antilles
Tout juste si quelque curé
Ne promit à sa paroisse
Une cloche coulée dans la sonorité du sang noir
Ou encore si un brave Pčre Noël ne songea
Pour sa visite annuelle
A des petits soldats de plomb noir
Ou si quelque vaillant capitaine
Ne tailla son épée dans l'ébčne minéral
Toute la terre retentit de la secousse des foreuses
Dans les entrailles de ma race
Dans le gisement musculaire de l'homme noir
Voilà de nombreux sičcles que dure l'extraction
Des merveilles de cette race
Ô couches métalliques de mon peuple
Minerai inépuisable de rosée humaine
Combien de pirates ont exploré de leurs armes
Les profondeurs obscures de ta chair
Combien de flibustiers se sont frayé leur chemin
Ŕ travers la riche végétation des clartés de ton corps
Jonchant tes années de tiges mortes
Et de flaques de larmes
Peuple dévalisé peuple de fond en comble retourné
Comme une terre en labours
Peuple défriché pour l'enrichissement
Des grandes foires du monde
Műris ton grisou dans le secret de ta nuit corporelle
Nul n'osera plus couler des canons et des pičces d'or
Dans le noir métal de ta colère en crues.
(René Depestre, Minerai Noir, 1956)
Minerai noir
Quand la sueur de l'Indien se trouva brusquement tarie par le soleil
Quand la frénésie de l'or draina au marché la dernière goutte de sang indien
De sorte qu'il ne resta plus un seul Indien aux alentours des mines d'or
On se tourna vers le fleuve musculaire de l'Afrique
Pour assurer la relève du désespoir
Alors commença la ruée vers l'inépuisable
Trésorerie de la chair noire
Alors commença la bousculade échevelée
Vers le rayonnant midi du corps noir
Et toute la terre retentit du vacarme des pioches
Dans l'épaisseur du minerai noir
Et tout juste si des chimistes ne pensèrent
Au moyen d'obtenir quelque alliage précieux
Avec le métal noir tout juste si des dames ne
Ręvèrent d'une batterie de cuisine
En nègre du Sénégal d'un service à thé
En massif négrillon des Antilles
Tout juste si quelque curé
Ne promit à sa paroisse
Une cloche coulée dans la sonorité du sang noir
Ou encore si un brave Pčre Noël ne songea
Pour sa visite annuelle
A des petits soldats de plomb noir
Ou si quelque vaillant capitaine
Ne tailla son épée dans l'ébčne minéral
Toute la terre retentit de la secousse des foreuses
Dans les entrailles de ma race
Dans le gisement musculaire de l'homme noir
Voilà de nombreux sičcles que dure l'extraction
Des merveilles de cette race
Ô couches métalliques de mon peuple
Minerai inépuisable de rosée humaine
Combien de pirates ont exploré de leurs armes
Les profondeurs obscures de ta chair
Combien de flibustiers se sont frayé leur chemin
Ŕ travers la riche végétation des clartés de ton corps
Jonchant tes années de tiges mortes
Et de flaques de larmes
Peuple dévalisé peuple de fond en comble retourné
Comme une terre en labours
Peuple défriché pour l'enrichissement
Des grandes foires du monde
Műris ton grisou dans le secret de ta nuit corporelle
Nul n'osera plus couler des canons et des pičces d'or
Dans le noir métal de ta colère en crues.
(René Depestre, Minerai Noir, 1956)
Chamaco- Messages : 4307
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 77
Localisation : Corse du sud
Re: Poésie
Longue interview, certes convenue, de Jean-Pierre Lemaire, pas loin de ressusciter son fil à cette audition, la seconde partie à venir:
Jean-Pierre Lemaire
Jean-Pierre Lemaire
Aventin- Messages : 1984
Date d'inscription : 10/12/2016
Re: Poésie
La poésie de Werner Lambersy
"Laisser faire le poème, puis s'en défaire en écrivant ce qui s'en approche le plus, à défaut de savoir ce que c'est. S'interposer le moins possible, laisser entendre la musique et pas le musicien. Est-ce encore de mise, alors que notre soleil périphérique va s'éteindre, et nous bien avant lui, sur cette planète que nous aurons détruite et où nous nous agitons, comme des insectes sur une peau de lait à peine refroidie ?
La poésie aujourd'hui est-elle encore autre chose qu'un acte obsolète, vaguement infantile, ridicule, indécent ou, plus radicalement, impossible depuis que chacun de nos mots porte le deuil de nos génocides, de nos massacres, de nos croisades et de nos guerres honteuses, de nos assassinats boursiers et, surtout, celui, impardonnable, de notre indifférence, de notre confort et du sentiment délicatement exquis de notre culpabilité ?
Non. Rien de tout cela. Le poème est : c'est tout ! Comme pommier pommant et graine grainante. Il s'en tient là, tant que nous sommes.
Il suinte ou jaillit -c'est selon- comme une eau jetée sur des pierres chauffées à blanc. Il n'éclaire, n'éclaircit rien, ne donne ni ne prend, n'explique pas mais constate. Il épaissit le mystère du monde et l'énigme des émotions, mettant par là la liberté au-delà et hors d'atteinte de ceux qui prendraient la parole pour prendre le pouvoir. Il est jubilation du réel, même désespérée, il est louange, même pour personne, d'une réalité miraculeuse : la vie, débarrassée des toxines du discours, du dogme et de l'illusion.
Le poème n'a qu'une qualité : c'est d'être un miroir impitoyable, qui ne nous permet plus de nous voiler les yeux ni de nous boucher les oreilles devant le chant de l'être et les danses du rythme. C'est pourquoi tant d'entre nous s'y refusent et en font l'impasse, car une part de vérité sur nous-mêmes est plus redoutable à supporter que la certitude de notre mort.
Tous les peuples ont commencé par un poème. Ce texte fondateur aussitôt est devenu anonyme (ou divin, ce qui revient au même) parce qu'il appartient à tous et déborde du nom qui le portait. Les poètes sont donc rares, si nous exceptons ceux qui ont fait de la gesticulation, des marottes de l'ego et de la baratte des amours une spécialité qui se voudrait un art.
Lire ou écrire un poème, c'est s'absenter des masques de soi, retourner, au premier cri du premier souffle qui nous jeta, déchirés, des forges de la galaxie ici sur cette terre, et retrouver l'éternel instant de l'éternel début ; c'est encore l'autre, l'autrement, l'inentendu des mots... comme on laisse, dans une chaise longue, sur les plages de l'espace et face à l'océan du temps, le chapeau de paille de notre vie et le nez de clown de nos destins.
Lire, c'est dresser l'inventaire des invendus de la création, se convaincre que l'éternité n'est qu'un battement de cils de l'instant, avant la dispersion des collections de nos cinq sens, dans les ventes publiques de l'âme et sous les enchères de l'oubli.
Est-ce à ce point dérisoire de tenter l'écoute d'un poème qu'il faille y voir uniquement le don d'ue enfance attardée ou la recherche folle du génome humain de l'amour ?
Des forces quasi immatérielles lient l'ensemble au tout, le divers au simple et le multiple à la somme de ses éléments, augmentée de la présence cachée de l'acteur de cette rencontre dans le chaos quantique de la création : le poème.
Parler aux dieux que nous avons créés, aux cieux que nous avons vidés, a-t-il encore un sens ? Oui, quand on sait, qu'on sent, avoir touché au vivant, d'assez près pour y trouver notre écriture propre, et fait vibrer, un peu, le souffle intemporel, impersonnel, de cette basse continue qui contient le chant de l'univers.
Il n'est exigé pour cela que trois pratiques, élémentaires mais obstinées, dont l'efficace réside dans l'effacement devant la démesure du projet, et comme le dit Krishna-murti : si on ne peut pas donner rendez-vous auvent, on peut toujours laisser la fenêtre ouverte.
Il s'agira donc d'exercer ce devoir de catastrophe qui fait du symbole d'équilibre et donc de mort qu'est l'équation le signe de la chute qu'est la marche en avant de la vie.
De préserver ce don d'émerveillement qui est de pointer dans l'histoire, les mythes, les légendes, les mensonges et la mémoire des hommes ce que nos moines qualifiaient de "mirabila" et qu'aucun texte ne pouvait expliquer, ni à quoi rien, nulle part, ne faisait allusion, car un poème est d'abord ce qui veut bien se "monstrer", être surpris, monstre et merveille à la fois, comme vous et moi, dans le silence, le bruit et les "fureurs héroïques" de l'amour.
Et enfin, de reconnaître cette dette d'amour dont nous restons à jamais les débiteurs insolvables, puisque du néant il nous est advenu de naître, d'être là, doués, infectés, affectés de parole, comme l'immensité des ténèbres l'est d'une lumière rare et mystérieuse. "Tout a peut-être commencé par la beauté" (J.-M. Pontévia), je parle ici de la voie royale du banal, ai-je pu m'y tenir ? Evidemment non, aussi est-ce au tour du lecteur de tenter l'aventure."
Werner Lambersy, 2004, Avant-Propos de "L'éternité est un battement de cils", anthologie personnelle, éditions Actes Sud ; 2004.
"Est-ce à ce point dérisoire de tenter l'écoute d'un poème qu'il faille y voir uniquement le don d'une enfance attardée ou la recherche folle du génome humain de l'amour ?"
Werner Lambersy, in Préface L'éternité est un battement de cils, anthologie personnelle, éd. Actes Sud ; 2004.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Jehan Rictus : Le Cœur populaire : La CharlotteSeigneur Jésus, je pense à vous !
Ca m’prend comm’ça, gn’y a pas d’offense !
J’suis mort’de froid, j’me quiens pus d’bout,
Ce soir encor…j’ai pas eu d’chance.
Ce soir, pardi ! c’est Réveillon :
On n’voit passer qu’des rigoleurs ;
J’gueul’rais « au feu » ou « au voleur »,
Qu’personne il y f’rait attention.
Et vous aussi, Vierge Marie,
Sainte-Vierge, Mère de Dieu,
Qui pourriez croir ‘ que j’vous oublie,
Ayez pitié du haut des cieux.
J’suis là, Sainte-‘Vierge, à mon coin d’rue
Où d’pis l’apéro, j’bats la semelle ;
J’suis qu’eune ordur’, qu’eun’ fill’ perdue,
C’est la Charlotte qu’on m’appelle.
Sûr qu’avant d’vous causer preumière,
Eun’ femm‘ qu’est pus bas que l’ruisseau
Devrait conobrer ses prières,
Mais y m’en r’vient qu’des p’tits morceaux.
Vierge Marie… pleine de grâce…
J’suis fauchée à mort, vous savez ;
Mes pognets, c’est pus qu’eune’ crevasse
Et me v’là ce soir su’ l’pavé.
Si j’entrais m’chauffer à l’église
On m’foutrait dehors, c’est couru ;
Ca s’voit trop que j’suis fill’ soumise…
(oh ! mand’pardon, j’viens d’dir’ « foutu »)
T’nez, z’yeuter, c’est la Saint-Poivrot ;
Tout flamb’, tout chahut’, tout reluit…
Les restaurants et les bistrots
Y z’ont la permission d’la nuit.
Tout chacun n’pens’ qu’à croustiller.
Y a plein d’mond’ dans les rôtiss’ries,
Les épic’mards, les charcut’ries,
Et ça sent bon l’boudin grillé.
Ca m’fait gazouiller les boïaux !
Brrr ! à présent Jésus est né.
Dans les temps, quand c’est arrivé,
S’y g’lait comme y gèle e’c’ten nuit,
Su’la pail’l de vot’écurie
V’s’z’avez rien dû avoir frio
Jésus et vous Vierge Marie.
Bing… on m’bouscule avec des litres,
Des pains d’quatr’livr’s, des assiett’s d’huîtres,
Non, r’gardez-moi tous ces salauds !
( Oh ! esscusez, Vierge Marie,
J’crois qu’jai cor dit un vilain mot !)
ArenSor- Messages : 3372
Date d'inscription : 02/12/2016
Localisation : Rue du Nadir-aux-Pommes
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