Denis Diderot

Oui, tout à fait, c'est une sorte de synthèse des deux opinions qui s'étaient exprimées sur l'histoire de Madame de la Pommeraye. Ceci dit, celle-ci n'aurait pas dû faire confiance au marquis des Arcis, un dragueur de première mais elle est tombée amoureuse...un peu de rationalisme, que diable !

Oh mais ça me dit fortement quelque chose, cette histoire. Un film vu il n'y a pas si longtemps avec Cécile de France et Edouard Bear, intitulé "Mademoiselle de Joncquières".
J'avais été marquée par la désinvolture du marquis, qui se joue des sentiments des femmes, celles-ci se devant d'être au diapason de ses envies. Pour autant, la vengeance de Madame de la Pommeraye est d'autant plus cruelle qu'elle vise à humilier, plus encore qu'elle ne l'a été, une autre femme... Une attitude qui dénotait, entre autres sentiments complexes, d'un terrible préjugé de classe.

Oui, il s'agit beaucoup plus d'amour-propre que d'autre chose (y compris d'amour). Mme de la Pommeraye s'ingénie à humilier celui qui l'a humiliée. Importance aussi de la conscience de classe aristocratique : le marquis se retrouvera marié avec une femme de basse extraction (mais curieusement l'amour sera plus fort chez lui que la déchéance : il renonce à son rang pour elle).

En fait, Mademoiselle de Jonquières et sa mère ne sont pas de basse extraction, elles ont été ruinées. C'est plutôt la question de la non virginité de la fille et de la prostitution qu'elles ont subie qui est en jeu. D'accord avec Armor pour dire que c'est une vengeance cruelle, je dirais même tout à fait immorale car elle utilise les deux femmes, mère et fille pour sa vengeance. Je n'y vois pas vraiment un préjugé de classe mais comme dans d'autres romans du XVIIIe, l'utilisation (cruelle, immorale mais efficace) de la fascination de ces don Juan pour la virginité et la pruderie des jeunes filles qu'ils séduisent.

Armor a écrit:Oh mais ça me dit fortement quelque chose, cette histoire. Un film vu il n'y a pas si longtemps avec Cécile de France et Edouard Bear, intitulé "Mademoiselle de Joncquières".
J'avais été marquée par la désinvolture du marquis, qui se joue des sentiments des femmes, celles-ci se devant d'être au diapason de ses envies. Pour autant, la vengeance de Madame de la Pommeraye est d'autant plus cruelle qu'elle vise à humilier, plus encore qu'elle ne l'a été, une autre femme... Une attitude qui dénotait, entre autres sentiments complexes, d'un terrible préjugé de classe.

Oui on en avait discuté toi et moi, Armor . On avait la même ligne de perception. Et tu en expurges bien la leçon.

Pinky, peut-être que la notion d'"enfermement de classe" conviendra mieux, car ce que lance Armor n'est pas si éloigné d'un bon instinct d'analyse. Disons pour finir "un préjugé de classement", ce qui ne se dit jamais mais dit bien pourtant ?

Nadine et Armor, je pense que le souci n'est pas trop la classe mais la position de dépendance des deux personnes : la mère et la fille; Dépendance due à des malheurs de la vie pour des femmes qui dépendaient totalement de la fortune de leur mari et père. Revers de fortune ne me semble pas totalement équivalent au "mépris de classe" ou à "l'enfermement de classe". Elles appartiennent de fait au même milieu, elles ont été "déclassées" par les malheurs de l'existence, ce qui est pour moi (peut-être à tort) différent du mépris de classe qui fait que deux personnes viennent de milieux sociaux culturels différents et dont les modes de pensée sont aussi décalés, les uns étant jugés plus respectables, plus nobles que les autres (si on pense à Bourdieu et à la distinction). Si on pense dominants/dominés, ça ne marche pas complètement ici.
Diderot n'est pas Ernaux pour moi. Ici, ce qui prime c'est la virginité...

En y réfléchissant et en réponse à Nadine et Armor, ce serait la différence de "renommée", la fama dont parle Claude Gauvard au Moyen Age qui sépare Mademoiselle de Jonquières et Madame de la Pommeraye et c'est de cela que cette dernière joue car elles appartiennent toutes les deux à la noblesse.
Je ne sais pas si je suis claire...

Ma foi si
Oui je vois ce que tu dis Pinky. ça m'a l'air pertinent oui.

Oui, la fameuse renommée, le ressort étant l'humiliation sociale, le discrédit, le déshonneur du mal famé.

intéressant ! merci à vous

Tu as certainement raison, Pinky, j'avoue ne pas maîtriser ces subtilités.

Alors encore une fois, je n'ai pas lu le livre, juste vu le film. J'avoue que je ne me souviens pas de tout, mais il me semble bien qu'il n'y est pas seulement question d'un revers de fortune : la jeune femme est issue d'une union illégitime, et sa mère a été abandonnée par le séducteur. (je peux me tromper, ça date un peu.)
Du coup, pour moi, la mère et la fille ne sont d'entrée pas sur un pied d'égalité avec Madame de la Pommeraye, il y a une différence de "rang".

De toute façon je ne sais pas si le statut initial a tellement d'importance : à partir du moment où elle s'est prostituée, la jeune fille n'est plus rien aux yeux de Madame de la Pommeraye et peut être chosifiée à l'envi. La prostitution gomme tout et entraîne, de fait, une déchéance sociale. Et cette déchéance excuse tous les camouflets, puisqu'une prostituée n'est plus "rien".
C'est cela que je voulais exprimer en parlant de préjugé de classe, même si le terme est de toute évidence mal choisi.

Disons que le terme "mépris de classe" est plutôt connoté dans la socio actuelle et pas exactement pour l'Ancien Régime (même si on peut faire une extension) ; c'est pourquoi j'avais évoqué A Ernaux qui est dans cette configuration. Ici c'est plutôt la prostitution qui crée la dépendance. Tu as raison de parler de déchéance sociale. Cela s'ajoute au piège tendu car ce que recherche le don juan, c'est la virginité....