Anna Akhmatova
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Anna Akhmatova
Anna Akhmatova
(1889-1966)
(1889-1966)
Fille d'un ingénieur de la marine, Anna Akhmatova étudie le droit et la littérature et fréquente très tôt les salons littéraires, publiant ses premiers vers dans des revues poétiques. Ses premiers livres, 'Soir' et 'Chapelet' reçoivent un accueil chaleureux de la part du public. Réservée à l'égard de l'inspiration idéologique de la révolution, Anna Akhmatova se distingue des écrivains de sa tendance en refusant d'émigrer ou de s'opposer au nouveau régime. Mais c'est le sentiment tragique de l'écoulement du monde et une confiance inébranlable dans les destinées de la nouvelle Russie qui se dégagent des recueils qu'elle publie au lendemain de la guerre civile. La poètesse se montre très prolifique durant l'entre-deux-guerres, et la guerre de 1941-1945 lui inspire des poèmes patriotiques comme 'Le serment' ou encore 'Le courage'. Radiée de l'Union des écrivains soviétiques en 1946 pour "érotisme, mysticisme et indifférence politique", elle est réhabilitée en 1955 et compose alors deux de ses oeuvres les plus célèbres, ouvrages dédiés à la mémoire des victimes de la répression stalinienne: 'Poème sans héros' et 'Le désormais célèbre Requiem' (poème transmis oralement jusqu'en 1962, date à laquelle l'allègement de la terreur stalinienne lui permet enfin de le mettre par écrit). Anna Akhmatova demeure l'une des plus grandes figures féminines de la littérature soviétique.
[…]
Pour plus de précisions sur sa réhabilitation :
En 1958, parut la somme de ses poèmes. A peine sortis des presses, ses livres s’arrachèrent en quelques heures. Elle fit publier ses deux chefs-d’œuvre : Le poème sans héros à New York en 1962, et le requiem à Munich en 1963. Ce dernier ne sera publié en Russie qu’en 1980.
La réhabilitation
Kroutchev en fut l’initiateur puisqu’il lui permit de revoir son fils Lev. Quand le poète Robert Frost lui rend visite en 1962, elle écrit : « J’ai tout eu : la pauvreté, les voies vers les prisons, la peur, les poèmes seulement retenus par cœur, et les poèmes brûlés. Et l’humiliation, et la peine. Et vous ne savez rien à ce sujet et ne pourriez pas le comprendre si je vous le racontais… ».
En 1964, elle fut élue présidente de l’Union des écrivains. Sa nomination de docteur Honoris Causa de l’Université d’Oxford en 1965 lui permit de sortir d’URSS. A son retour, elle mourut d’une crise cardiaque.
Sources : Le Figaro et Femmes de lettres
Bibliographie :
Traductions disponibles en français
• (ru + fr) Requiem (trad. Paul Valet), Éditions de Minuit, 1966, 45 p.
• (ru + fr) Requiem (trad. Sophie Benech), Éditions Interférence, 2005
• Le poème sans héros, la Librairie des cinq continents, 1977 (illustrations de Dimitri Bouchène)
• Le poème sans héros (trad. Jeanne Rude), Seghers, 1970
• Anthologie, la Différence, coll. « Orphée », 1997
• En route par toute la terre, Alidade, 1995
• (ru + fr + br) Requiem, coédition Dana & An Treizher, 1997.
• Œuvres choisies (en 2 volumes), Globe, 1998
• (ru + fr) Poèmes, Globe, 2000
• Le Vent de la guerre, La Lune au Zénith, Mort (trad. Christian Mouze), Harpo, 2003
• Requiem et autres poèmes, 1909-1963, Farrago, 2005, présentation, traduction et notes d'Henri Deluy - Cette édition contient aussi les poèmes d'Alexandre Blok, Ossip Mandelstam et Boris Pasternak dédiés à Akhmatova.
• Requiem, Poème sans héros et autres poèmes (trad. Jean-Louis Backès), Paris, Gallimard, coll. « Poésie/Gallimard », 2007, 382 p.
• Auprès de la mer (trad. Christian Mouze), Harpo, 2009
• (ru + fr) L'Églantier fleurit, et autres poèmes (édition bilingue) (trad. Marion Graf et José-Flore Tappy, préf. Pierre Oster), éditions La Dogana, 2010
• Anna Akhmatova. Les Poésies d'amour. Choisies, traduites et présentées par Henri Abril. Circé, 2017, 144 pages. 104 poèmes de 1909 à 1965, dont nombreux inédits.
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
Date d'inscription : 04/12/2016
Age : 43
Localisation : Montréal
Re: Anna Akhmatova
Ah, merci pour cette ouverture de fil, Jack-Hubert !
Aventin- Messages : 1985
Date d'inscription : 10/12/2016
Re: Anna Akhmatova
Requiem, Poèmes sans héros et autres poèmes :
Épilogue
1
J'ai su comment les visages se défont,
Comment on voit la terreur sous les paupières,
Comment des pages d'écriture au poinçon
Font ressortir sur les joues la douleur,
Comment les boucles noires ou cendrées
Ressemblent soudain à du métal blanc.
Le sourire s'éteint sur les lèvres dociles
Et la peur tremble dans un petit rire sec.
Si je prie, ce n'est pas pour moi seule,
Mais pour tous ceux qui ont avec moi attendu
Dans le froid féroce, ou sous la canicule,
Au pied du mur rouge, du mur aveugle.
2.
Il va être temps de se rappeler.
Je vois, j’entends, je vous sens là :
Toi qu’on a traînée vers la fenêtre,
Toi qui n’étais pas sur ta terre à toi,
Toi qui secouais ta jolie tête
Et qui disais: « Je viens ici comme chez moi. »
Je voudrais vous nommer toutes par votre nom.
Mais ils ont pris la liste. Où poser les questions?
J’ai tissé pour elles un grand voile,
Avec ces pauvres mots qu’elles m’ont donnés.
Je me les rappelle toujours et partout
Que vienne un autre malheur, je n’oublierai rien.
Et si l’on bâillonne ma bouche torturée,
À travers laquelle crient des millions d’êtres,
Alors qu’on ait de moi semblable mémoire
À la veille du jour anniversaire.
Et si, je ne sais quand, dans ce pays,
On songe à me dresser une statue,
Je donne mon accord pour la cérémonie.
Mais j’y mets une condition: qu’on la place
Non pas près de la mer qui m’a vu naître
(Avec la mer tous les liens sont rompus),
Non dans le parc des souverains, près de la souche
Où me cherche une ombre inconsolable,
Mais ici, où j’ai attendu trois cents heures
Sans que pour moi s’ouvrent les verrous.
C’est que j’ai peur, dans la mort bienheureuse,
D’oublier quel bruit faisaient les fourgons noirs,
D’oublier la porte qu’on claquait affreusement,
Et la vieille qui hurlait comme une bête blessée.
Que, des paupières de bronze, immobiles,
La neige en fondant coule comme des larmes!
Que le pigeon de la prison roucoule au loin
Et que sur la Néva glissent doucement les bateaux!
1940. Mars.
Cinque
4
Toi-même tu le sais : je ne vais pas fêter
Le jour très amer de notre rencontre.
Que vais-je te laisser en souvenir?
Mon ombre ? Que ferais-tu de mon ombre?
La dédicace d’un drame que j’ai brûlé
Et dont la cendre a disparu ?
Ou bien ce terrible portrait de l’an nouveau
Qui vient de sortir de son cadre?
Ou le frisson à peine audible
Des bouleaux dans les coins perdus?
Ou bien ce que faute de temps
Nous n’avons pas dit sur l’amour des autres?
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
Date d'inscription : 04/12/2016
Age : 43
Localisation : Montréal
Re: Anna Akhmatova
Ça fait plaisir, Aventin. Il était temps qu'on lui accorde un fil comme il se doit! Vous pouvez ajouter vos contributions poétiques. Il y en a plusieurs remarquables. Je vais en ajouter d'autres.
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
Date d'inscription : 04/12/2016
Age : 43
Localisation : Montréal
Re: Anna Akhmatova
Tiré de Course du temps :
«Souvenir»
Tu m’as inventée. Celle que tu imagines
N’existe pas, ne peut exister nulle part.
Chez les médecins, pas de remède ; pas de réconfort
chez les poètes.
Cette ombre, ce fantôme jour et nuit te persécute.
Notre rencontre eut lieu en une année invraisemblable.
Les forces du monde étaient à bout.
Tout portait le deuil. Tout déclinait, malade.
Rien de nouveau, sinon des tombes.
Plus de lumière. Flots de la Néva, noirs comme du goudron.
Nuit, tout autour, compacte, comme un mur.
C’est alors que ta voix m’a défiée.
Ce que je faisais, je ne le comprenais pas encore.
Tu es venu vers moi, comme conduit par une étoile,
Tu foulais aux pieds l’automne tragique,
Tu es entré dans la maison à jamais déserte,
D’où avait fui le vol des poèmes brûlés.
Elégie de mardi
Mes trésors de l’année passée,
Pour mon malheur, me suffiront longtemps,
Tu le sais bien, la mémoire méchante
N’en laissera pas perdre la moitié.
La coupole s’est inclinée de travers,
Le croassement des corbeaux,
Le hurlement de la locomotive,
Et le bouleau qui boîte dans son champ
Comme si son délai était passé,
Et l’assemblée secrète, à minuit,
D’immenses chênes venus de la Bible,
Et le bateau tout près de s’engloutir,
Qui vient des rêves de je ne sais qui…
Le prélude à l’hiver avait déjà
Jeté un blanc léger sur ces semailles.
Comme au hasard il avait transformé
Tous les lointains en brume impénétrable.
Et l’on pouvait croire qu’après la fin
Rien ne pourrait jamais venir à l’être…
Qui est celui qui passe près du seuil
Et qui par notre nom nous appelle ?
De la vitre gelée, qui s’approche ?
Il agite la main comme une branche…
Et dans le coin aux araignées, pour lui répondre,
Un rayon de soleil danse dans le miroir.
1960
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
Date d'inscription : 04/12/2016
Age : 43
Localisation : Montréal
Re: Anna Akhmatova
Merci pour les poèmes !
Akhmatova m'a marqué, dans ma lecture de quelques poèmes, j'y reviendrai.
Akhmatova m'a marqué, dans ma lecture de quelques poèmes, j'y reviendrai.
Invité- Invité
Re: Anna Akhmatova
J'aime bien ce poème :
Requiem, Poème sans héros et autres poèmes (Gallimard Poésie)
«Les Uns échangent des Caresses»
Les uns échangent des caresses de regards,
Les autres boivent jusqu'aux premières lueurs,
Mais moi, toute la nuit, je négocie
Avec ma conscience indomptable.
Je dis: "Je porte ton fardeau,
Et il est lourd, tu sais depuis combien d'années."
Mais pour elle le temps n'existe pas,
Et pour elle il n'est pas d'espace dans le monde.
Voici revenu le sombre soir du carnaval,
Le parc maléfique, la course lente du cheval,
Le vent chargé de bonheur et de gaieté,
Qui s'abat sur moi des pentes de ciel.
Au-dessus de moi, un témoin tranquille
Montre sa double corne... Oh, m'en aller,
Par la vieille allée du Pavillon chinois,
Là, où l'on voit des cygnes et de l'eau morte.
Requiem, Poème sans héros et autres poèmes (Gallimard Poésie)
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
Date d'inscription : 04/12/2016
Age : 43
Localisation : Montréal
Re: Anna Akhmatova
merci pour le choix Jack
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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Bédoulène- Messages : 21622
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
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