Evgueni Zamiatine
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Evgueni Zamiatine
Evgueni Zamiatine
1884-1937
1884-1937
Evgueni Zamiatine (1884-1937) : Une vie, une œuvre (1991 / France Culture). Par Françoise Estèbe. Avec Jean-Pierre Morel (critique aux Nouvelles Littéraires), Leonid Heller et Bernard Kreise. Réalisation : Annie Flavell. 1ère diffusion sur France Culture le 30 mai 1991. Peinture : Portrait de Ievgueni Zamiatine par Boris Koustodiev, 1923. En 1988, la publication pour la première fois en URSS du roman anti-utopiste prophétique de Zamiatine, “Nous autres”, oeuvre politique-fiction, fut l'événement littéraire de la Perestroïka. Esprit lucide et courageux, Zamiatine qui avait pris parti pour la Révolution en 1905, fut un des premiers à analyser la nature profonde du totalitarisme bolchevique et à dénoncer le despotisme nouveau jusqu'au terme de sa vie, en dépit des persécutions. Dans les années 20, Zamiatine, mathématicien, ingénieur naval et écrivain, ami des peintres et des musiciens, est la figure centrale du champ littéraire russe. Prosateur, dramaturge, critique, journaliste (il écrivit notamment dans la revue de Gorki), il est l'auteur de nombreux récits, de nouvelles : “L'inondation”, “Le pêcheur d'hommes”, “La Caverne” ; de romans : “Le fléau de dieu” ; de pièces de théâtre et de scenarii. Rattaché à la tradition de Gogol dans ses premiers récits, il devient le symbole de la culture occidentale au sein des lettres russes et le maître de toute une génération d'écrivains nés après la Révolution. Il s'oppose à la montée du conformisme révolutionnaire en art : « Il n'est de vraie littérature que produite non par des fonctionnaires bien pensants et zélés, mais par des fous, des ermites, des hérétiques, des rêveurs, des rebelles et des sceptiques. » Trotsky le désigne comme un émigré de l'intérieur et “Le diable des lettres russes”, après une lettre célèbre à Staline, est contraint à l'exil. Il mourra oublié à Paris en 1937, à l'âge de 53 ans, ignoré des intellectuels occidentaux fascinés par le modèle soviétique, qui n'ont pas su percevoir dans le cri solitaire de Zamiatine l'oracle de la dissidence.
Signe particulier : De son propre aveu, le citoyen Zamiatine souffre d’hérésie chronique. Il passera, en effet, toute sa vie en marge des courants dominants : Anglais moscovite, ingénieur écrivain, fils de prêtre et bolchevik, garde-blanc pour la Tcheka… Seule l’hérésie fait vivre le monde, écrit-il en 1920, elle est la source de toute création. […]
A titre personnel, je trouve que cet écrivain fut, avec Boulgakov, Krzyzanowski et Platonov, l'écrivain le plus original, le plus libre de l'époque. B
oeuvres traduites en français
Romans et nouvelles
Seul (Odin, 1908), Rivages 1990
Province (Ostrovitâne (Уездное) (1913) L'Âge d'Homme, 1983 (précédé de Les Insulaires) 1966)
Au diable vauvert (Na koulitchkakh, 1914), Verdier, 2006 (suivi de Alatyr)
Alatyr (1915), Verdier, 2006 (précédé de Au diable vauvert)
Les Insulaires (Vezdnoe, 1917) L'Âge d'Homme, 1983 (suivi de Province)
Le Nord (1918)
Nous autres (My, 1920), (dystopie), Gallimard
Nous, Actes Sud, 2017
La Caverne (Pechtchera, 1920), L'Âge d'Homme, 1989 (suivi de Le récit du plus important)
Mamaï (1920)
La Chambre d'enfant (1920)
Le Pêcheur d'hommes, recueil de nouvelles, Rivages, 1989
Russie (1917-1923), Solin, 1990
Le Récit du plus important (1924), coll. « Petite bibliothèque Slavica », 1971.
L'Inondation, 1929 ; coll. « Points. Roman » 1990 :
Une rencontre (1935)
Le Fléau de Dieu, L'Âge d'Homme, 1975
Théâtre
Dans les années 1920, Zamiatine écrit de nombreuses pièces de théâtre qui lui paraissent moins risquées.
La Société des honorables sonneurs (1925)
La Puce
Les Feux de la Saint-Dominique
Atilla (1928), Lamiroy, 2021, .
Atilla (1928), Vibration éditions, 2021
Dernière édition par bix_229 le Lun 29 Nov - 14:48, édité 1 fois
bix_229- Messages : 15439
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Re: Evgueni Zamiatine
L'INONDATION. - Solin
Ce court roman avait été pour moi une révélation, littéraire, émotionnelle, parfaitement maitrisé.
Je le relirai sans doute, mais je souhaite avant tout le faire lire.Le livre a été plusieurs fois traduit. L'éditon figurée ici était parfaite.
Résumé :
"Ce court roman ramassé dans la haine, travaillé au ventre dans un langage abrupt magnifiquement traduit, relate le calvaire d'une jeune femme sans enfant que son mari trompe dans sa propre maison avec l'adolescente qu'ils ont recueillie. Quand la douleur retenue jusqu'à l'asphyxie rompra les digues du silence, Sofia s'emparera de la hache et détruira l'enfant incestueuse. Métaphore de la haine qui submerge un cœur pur, la Neva débordante s'engouffre dans Petrograd: l'eau détruit et lave comme un sang.
" La vitre tintait sous le vent, des nuages gris et bas - des nuages de la ville, des nuages de pierre - passaient dans le ciel - comme s'ils étaient de retour, ces nuages étouffants de l'été que pas un orage n'avait transpercés. Sophia sentit que ces nuages n'étaient pas au-dehors, mais en elle, que depuis des mois ils s'amoncelaient comme des pierres, et qu'à présent, pour ne pas être étouffée par eux, il fallait qu'elle brise quelque chose en mille morceaux, ou bien qu'elle parte d'ici en courant, ou encore qu'elle se mette à hurler... "
Evguéni Zamiatine - " ce snob flegmatique ", disait de lui Trotski - n'est pas seulement l'auteur du roman Nous autres qui reste la plus implacable dénonciation du totalitarisme soviétique. Figure centrale de la littérature russe des années vingt, il a écrit de nombreux récits, nouvelles, romans, pièces de théâtre... Exilé à sa demande, après une retentissante lettre à Staline, il devait mourir à Paris en 1937, ignoré de ces intellectuels occidentaux encore pour longtemps fascinés par le modèle soviétique. Il avait juste eu le temps de réaliser pour Jean Renoir l'adaptation des Bas Fonds de Gorki "meilleur film de l'année" en 1936. L'Inondation est un de ses chefs-d'œuvre absolus. Dans un Pétersbourg emblématique, on y voit comment son art de la narration, sa prose savante et rigoureuse, sa modernité s'inscrivent aussi dans la grande tradition russe - celle de Pouchkine, de Gogol, de Dostoïevski..."
Babelio
bix_229- Messages : 15439
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Re: Evgueni Zamiatine
en attente de ton commentaire à venir Bix ! merci
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21622
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Re: Evgueni Zamiatine
Pas d'autre commentaire que celui cité. J'ai lu le livre il y a au moins 15 ans.Bédoulène a écrit:en attente de ton commentaire à venir Bix ! merci
bix_229- Messages : 15439
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Re: Evgueni Zamiatine
En revanche, je vous livre le commentaire de Shanidar il y a quelques années sur PDL.
shanidar a écrit:Oui. Incontestablement. En 90 pages qui ne comportent aucun mot de trop et ne laisse aucune béance, Zamiatine réussit l'exploit de combler les attentes du lecteur en virtuose de l'âme féminine.
Difficile de décrire le charme de cette nouvelle en prise directe avec l'intériorité d'une femme secrète, quasi muette, rêvant d'amour, voulant l'enfant de cet amour et se heurtant aux fulgurantes contingences du réel et à la brutalité de l'autre. Sans jamais déborder de son cadre naturaliste mais en revendiquant une analyse sensible d'un coeur féminin, Zamiatine passe en revue les différentes étapes qui peuvent conduire une femme de l'angoisse à la rage froide, de la jalousie tue au cri intime poussé en plein jour ou dans la nuit de l'inconscient. Suivant les crues du fleuve, ce court roman d'une rare densité, d'une prodigieuse richesse, laisse au creux de la poitrine un souffle d'effroi et de plaisir mêlés et une question incessante : qui est coupable ?
Comme l'aveu d'un crime, comme le veut la vague qui vient et qui s'éloigne pour mieux revenir, l'homme est un pantin livré aux jeux de sa propre nature et de sa propre ignorance, de sa propre méconnaissance. Seuls certains actes parviennent au sublime malgré leur laideur ou leur ignominie.
En tout cas, Zamiatine nous offre un portrait de femme inoubliable.
Avec en sus un grand merci pour bix qui m'a conseillé ce livre...
bix_229- Messages : 15439
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Re: Evgueni Zamiatine
Bix tu dis sur l'autre fil : lire Le pêcheur d'homme
je pensais à celui-ci
je pensais à celui-ci
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Bédoulène- Messages : 21622
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Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Evgueni Zamiatine
Plus tard, je suis en train, mais un omnibus...Bédoulène a écrit:Bix tu dis sur l'autre fil : lire Le pêcheur d'homme
je pensais à celui-ci
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Evgueni Zamiatine
Je le note, Bix.bix_229 a écrit:Ce court roman avait été pour moi une révélation, littéraire, émotionnelle, parfaitement maitrisé.Je le relirai sans doute, mais je souhaite avant tout le faire lire.
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Etre dans le vent, c'est l'histoire d'une feuille morte.
Flore Vasseur
topocl- Messages : 8546
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Localisation : Roanne
Re: Evgueni Zamiatine
J'espère qu'il ne sera pas trop court pour toi !topocl a écrit:Je le note, Bix.bix_229 a écrit:Ce court roman avait été pour moi une révélation, littéraire, émotionnelle, parfaitement maitrisé.Je le relirai sans doute, mais je souhaite avant tout le faire lire.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Evgueni Zamiatine
A suivre ...
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Flore Vasseur
topocl- Messages : 8546
Date d'inscription : 02/12/2016
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Localisation : Roanne
Re: Evgueni Zamiatine
Le Pecheur d'hommes. - Rivages
Ce matin de Mai commence par l'apparition, à l'angle des rues de la Crêpe et Rosa Luxemburg d'une procession, religieuse semble-t-il, composée de cinq personnes d'état ecclésiastique, bien connues de toute la ville.Toutefois, ces personnes d'état ecclésiastique n'agitent pas des encensoirs, mais des balais, ce qui transpose toutes les actions du plan de la religion dans celui de la Révolution : il s'agit simplement d'éléments non-travailleurs accomplissant une corvée dans l'intérêt du peuple.Au lieu de prières, s'élèvent au ciel des nuages de poussière dorée les gens toussent sur les trottoirs, eternuent et s'empressent de traverser la poussière.
X
Tout Zamiatine est là. Enfin celui qui traite avec humour le ridicule de la société soviétique.
Suivant en cela Gogol, mais aussi sa propre philosophie personnelle.
Le Pecheur d'hommes est un recueil de nouvelles écrites entre 1918 et 1935.
Et donc un éventail de ses thèmes et procédés littéraires.
Certaines sont évidemment plus réussies que d'autres.
Mais dans les les meilleures, il fait preuve d'une verve époustouflante, dénonçant
tout ce qui est statique, sclérosé, dans une forme parfaitement maitrisée.
J'ai noté aussi que son art était très visuel et parfaitement cinématographique.
Une sorte de ballet mécanique animé par des pantins.
Dans la nouvelle intitulée X, au milieu d'une galerie de personnages inénarrables, il y a le
diacre Indikoplev, passé de la religion au marxisme ou plutot au "marfisme."
Un jour qu'il péchait dans la rivière, il vit la jolie Marfa se baigner nue.
Il n'avait pas bougé, figé par la beauté du spectacle, mais il était tombé éperdument
amoureux.
Meme s'il avait déjà une épouse et des enfants. Mais la passion amoureuse, on le sait
rend sourd et aveugle.
Marfa n'était pas farouche, mais comme la Margot de Brassens, elle avait un coeur d'artichaut.
En tout cas elle avait pitié des malheureux soupirants solitaires.
En fait, le marfisme était bien plus proche des Evangiles que du marxisme. Il est indubitable,
par exemple, que Marfa, considérait que son commandement essentiel était : "Aime ton prochain."
Pour son prochain, elle était toujours prete, conformément aux Evangiles à quitter sa dernière
chemise.
Et ça, elle l'aimait, le prochain !
Mais Indikoplev n'était pas partageur et il demandait à Marfa d'etre à lui et à personne d'autre.
Et c'était ce qu'il demanda à Marfa un soir assis sur un banc.
C'était par un soir paisible de révolution sur un petit banc du jardin de Marfa.
Au loin une mitrailleuse pétaradait tendrement en appelant son male.
Une vache soupirait derrière le mur, dans une remise, et le diacre soupirait encore plus
amèrement encore dans le jardin.
Bon. Sachez que le banc était fraichement peint au minium. Et ainsi va la comédie...
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Evgueni Zamiatine
merci Bix sur la précision de la peinture !
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Bédoulène- Messages : 21622
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Evgueni Zamiatine
Nous
J’ai commencé dans la version Gallimard, Nous autres, et suis passé à celle d’Actes Sud quand j’ai réalisé que la première aurait été traduite du russe… à partir d'une traduction anglaise !
Il s’agit d’un roman de science-fiction, et même d’une dystopie, description d’un État totalitaire, et satire du régime soviétique. Il annonce Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley, 1984 de George Orwell et Un bonheur insoutenable d'Ira Levin.
Quarante notes rédigées par D-503, qui ne pense qu’en mathématicien rationaliste, dans un futur éloigné ; il se présente comme le Constructeur de l’Intégrale, un vaisseau spatial destiné à imposer dans le monde extraterrestre les valeurs de sa société de contrôle des personnes – une colonisation rhétorique dans un premier temps de propagande.
Les Numéros vivent dans de transparentes cités de verre cernées par la Muraille verte de la nature sauvage, dont ne parviennent que les pollens sucrés du désir.
Et D-503, cette belle mécanique de logique euclidienne obéissant aux règles arithmétiques, dysfonctionne ; lui qui affiche un idéal de clarté se croit malade, anormal, a même un rêve, il commence à avoir de l’imagination, voire une âme − et son style est de plus en plus éclaté, décousu, embrouillé, délirant, riche en images et métaphores.
Les portraits sont caricaturaux et comiques, comme celui de S-4711 le Gardien, caractérisé par des yeux comme des forets, « des ailes-oreilles roses déployées », et « la courbe d’une nuque fléchie – un dos voûté – arc double – la lettre S. »
C’est une belle découverte que celle de ce livre, peut-être plus encore pour l’écriture, la construction de Zamiatine que pour son regard sur l’URSS obscurantiste et rigide, "fonctionnaire", en construction sous Lénine (parution en 1920). Zamiatine s’attache aux personnages, joue avec les mots et les couleurs : il m’a aussi ramentu Boulgakov.
\Mots-clés : #regimeautoritaire #revolution #satirique #sciencefiction
J’ai commencé dans la version Gallimard, Nous autres, et suis passé à celle d’Actes Sud quand j’ai réalisé que la première aurait été traduite du russe… à partir d'une traduction anglaise !
Il s’agit d’un roman de science-fiction, et même d’une dystopie, description d’un État totalitaire, et satire du régime soviétique. Il annonce Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley, 1984 de George Orwell et Un bonheur insoutenable d'Ira Levin.
Quarante notes rédigées par D-503, qui ne pense qu’en mathématicien rationaliste, dans un futur éloigné ; il se présente comme le Constructeur de l’Intégrale, un vaisseau spatial destiné à imposer dans le monde extraterrestre les valeurs de sa société de contrôle des personnes – une colonisation rhétorique dans un premier temps de propagande.
Les personnes sont devenues des numéros, désignées par un nombre matricule (une lettre et deux à quatre chiffres) marqués sur la plaque dorée qu’ils portent sur leur Tenue bleue ; ces dénominations chiffrées auraient été inspirées à Zamiatine par les numéros des pièces détachées du brise-glace Alexandre Nevski, dont il avait assuré le suivi du chantier lors de sa construction dans un chantier naval anglais pour le compte de la Russie. Et effectivement, les personnages sont les composants d’une grande machine au « rythme d’acier », « la victoire de “nous” sur “je”, du TOUT sur le UN… »« Vous êtes destinés à soumettre au joug bienfaisant de la raison des êtres inconnus qui habitent d’autres planètes et sont peut-être encore en état de liberté primitive. S’ils refusent de comprendre que nous leur apportons un bonheur mathématiquement exact, notre devoir sera de les obliger à être heureux. Mais avant de recourir aux armes, nous essayons la parole.
Au nom du Bienfaiteur, à tous les Numéros de l’État Unitaire nous déclarons :
Que tous ceux qui s’en sentent capables composent des traités, des poèmes, des manifestes, des odes ou autres œuvres célébrant la beauté et la grandeur de l’État Unitaire. »
À partie de l’image des « machines-outils : yeux fermés, oublieuses de tout, tournaient les boules des régulateurs », la métaphore des « boules rondes et lisses des têtes » court tout au long du roman.« Cela donne du courage : se voir comme la partie d’un tout énorme, puissant, unitaire. »
« Nous avançons – un seul corps à un million de têtes, et en chacun d’entre nous règne cette humble joie qui sans doute est celle des molécules, des atomes, des globules. Dans le monde ancien, seuls les chrétiens – nos seuls prédécesseurs (bien que fort imparfaits) – l’avaient compris : l’humilité est la vertu – l’orgueil est le mal ; “NOUS” vient de Dieu, “MOI” – du diable. »
Les Numéros vivent dans de transparentes cités de verre cernées par la Muraille verte de la nature sauvage, dont ne parviennent que les pollens sucrés du désir.
Depuis longtemps toute propriété privée leur est interdite, y compris leur identité, et même l’organisation de leurs activités, régies dans les « Tables du Temps » d’un taylorisme généralisé : leur liberté est ouvertement supprimée, au profit d’un prétendu bonheur. Ainsi D-503 dispose d’un peu d’intimité prévue par ce planning avec O-90, sa partenaire sexuelle, « rose et ronde », qu’il partage (triangle) avec R-13, le poète aux « lèvres épaisses, africaines » (lui a des mains velues, « simiesques », dont il a honte) ; contrairement à lui, R aime plaisanter.« L’homme a quitté l’état de bête sauvage quand il a construit le premier mur. »
Le régime est autoritaire, dans la main de pierre du Bienfaiteur secondé par la cohorte des Gardiens : les criminels sont éliminés lors de fêtes liturgiques, sous le verdict des « Poètes officiels ». Le « Jour de l’Unanimité », c’est celui des élections, ou plutôt celui de la réélection ! Les « membranes de rue » enregistrent les conversations pour le Bureau des Gardiens…« Les plaisanteries ont toujours comme ressort secret le mensonge. »
D-503 rencontre une inconnue (donc marquée d’un X !) : l’inquiétante I-330, qui le séduit, et se révèle être dissidente.« Le seul moyen de libérer l’homme du crime, c’est de le priver de liberté. »
Et D-503, cette belle mécanique de logique euclidienne obéissant aux règles arithmétiques, dysfonctionne ; lui qui affiche un idéal de clarté se croit malade, anormal, a même un rêve, il commence à avoir de l’imagination, voire une âme − et son style est de plus en plus éclaté, décousu, embrouillé, délirant, riche en images et métaphores.
Les portraits sont caricaturaux et comiques, comme celui de S-4711 le Gardien, caractérisé par des yeux comme des forets, « des ailes-oreilles roses déployées », et « la courbe d’une nuque fléchie – un dos voûté – arc double – la lettre S. »
C’est une belle découverte que celle de ce livre, peut-être plus encore pour l’écriture, la construction de Zamiatine que pour son regard sur l’URSS obscurantiste et rigide, "fonctionnaire", en construction sous Lénine (parution en 1920). Zamiatine s’attache aux personnages, joue avec les mots et les couleurs : il m’a aussi ramentu Boulgakov.
« L’homme – c’est un roman : avant d’avoir lu la dernière page, on ne sait pas comment cela finira… Sinon à quoi bon lire… »
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15922
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 68
Localisation : Guyane
Re: Evgueni Zamiatine
merci Tristram ! (sf me fait me reculer)
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Bédoulène- Messages : 21622
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Evgueni Zamiatine
L’inondation
Trofim Ivanytch est en charge de la chaudière d’une usine dans l’île Vassilievski (entre le golfe de Finlande et la Neva, à Pétersbourg) ; il est marié avec Sophia depuis plus de dix ans, et ils n’ont pas encore d’enfant. Le couple recueille Ganka, orpheline pré-adolescente, et Trofim couche avec elle. Sophia la tue avec une hache, cache le corps, et tombe enceinte d’une petite fille ; hospitalisée pour une fièvre puerpérale, son délire semble déborder le réel comme elle revit son crime qu’elle avoue.
Trofim Ivanytch est en charge de la chaudière d’une usine dans l’île Vassilievski (entre le golfe de Finlande et la Neva, à Pétersbourg) ; il est marié avec Sophia depuis plus de dix ans, et ils n’ont pas encore d’enfant. Le couple recueille Ganka, orpheline pré-adolescente, et Trofim couche avec elle. Sophia la tue avec une hache, cache le corps, et tombe enceinte d’une petite fille ; hospitalisée pour une fièvre puerpérale, son délire semble déborder le réel comme elle revit son crime qu’elle avoue.
La narration efficace, toute en retenue, fait le grand intérêt de cette novella, qui s’achève dans une certaine ambiguïté.« On mit Sophia sur une civière et on commença à la diriger vers la porte. Devant ses yeux passa tout ce avec quoi elle avait vécu : la fenêtre, la pendule sur le mur, le poêle – comme lorsqu’un navire largue les amarres et que tout ce qui vous était familier s’éloigne sur la berge. Le balancier sur le mur se jeta d’un côté, de l’autre – puis elle ne vit plus rien. Sophia avait l’impression qu’il fallait faire encore quelque chose pour la dernière fois ici, dans cette pièce. Lorsque la portière de la voiture s’ouvrit, brusquement elle se souvint – elle se déboutonna rapidement, sortit un sein, mais personne ne comprit, les brancardiers éclatèrent de rire. »
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Tristram- Messages : 15922
Date d'inscription : 09/12/2016
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Localisation : Guyane
Re: Evgueni Zamiatine
j'y viendrai ..............
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Bédoulène- Messages : 21622
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