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Maurice Genevoix

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Message par Tristram Mer 6 Jan - 12:33

Maurice Genevoix
(1890 – 1980)


Maurice Genevoix  Mauric11

Né à Decize (Nièvre), le 29 novembre 1890, Maurice Genevoix fut élève au lycée d’Orléans, puis au lycée Lakanal, avant d’entrer à l’École normale supérieure. Mobilisé en 1914, il dut interrompre ses études pour rejoindre le front comme officier d’infanterie. Très grièvement blessé, il devait tirer de l’épreuve terrible que fut la guerre des tranchées la matière des cinq volumes de Ceux de 14 : Sous Verdun (1916), Nuits de guerre (1917), Au seuil des guitounes (1918), La Boue (1921), Les Éparges (1923), œuvre qui prit place parmi les grands témoignages de la Première Guerre mondiale.
La paix revenue, Maurice Genevoix devait renoncer à sa carrière universitaire pour se retirer en Sologne et se consacrer à la littérature. Son œuvre abondante a souvent pour cadre la nature du Val-de-Loire dans laquelle évoluent en harmonie hommes et bêtes. Raboliot lui valut une précoce reconnaissance avec le prix Goncourt 1925.
Observateur très attentif, très subtil, très profond de la vie des champs et des forêts, son style descriptif, exemplaire, peut être sans dommage comparé à celui de Colette.
Candidat au fauteuil de Louis Gillet, au mois d’avril 1946, Maurice Genevoix s’était retiré devant Paul Claudel. Il fut élu le 24 octobre suivant, sans concurrent, par 19 voix au fauteuil de Joseph de Pesquidoux et fut reçu le 13 novembre 1947 par André Chaumeix.
Homme d’amitié, Maurice Genevoix assuma pendant quinze ans, de 1958 à 1973, la charge de secrétaire perpétuel avec un dévouement et une bonne grâce qui restent inoubliées. Il est mort le 8 septembre 1980.

Œuvres :

1916 Sous Verdun (Hachette)
1917 Nuits de guerre (Flammarion)
1918 Au seuil des guitounes (Flammarion)
1918 Nuits de guerre. Sous Verdun (août-octobre 1914)
1920 Jeanne Robelin (Flammarion)
1921 La Boue (Flammarion)
1922 Rémi des Rauches (Flammarion)
1923 Les Éparges (Flammarion)
1924 Euthymos, vainqueur olympique (réédité sous le titre de Vaincre à Olympie) (Flammarion)
1924 La Joie (Flammarion)
1925 Raboliot (Grasset)
1926 La boîte à pêche (Grasset)
1928 Les mains vides (Grasset)
1929 Cyrille (Flammarion)
1930 L’Assassin (Flammarion)
1931 H.O.F. (Les Étincelles)
1931 Rroû (Flammarion)
1932 Gai-l’Amour - réédité sous le titre Deux fauves (Flammarion)
1933 Forêt voisine (Flammarion)
1934 Marcheloup (Le Livre contemporain)
1935 Tête baissée - réédité sous le titre Un homme et sa vie
1936 Le jardin dans l’île
1937 Bernard - réédité sous le titre Un homme et sa vie
1938 La dernière harde (Flammarion)
1938 Les compagnons de l’Aubépin - récit pour les écoliers (Flammarion)
1941 L’hirondelle qui fit le printemps (Flammarion)
1942 Laframboise et Bellehumeur (Flammarion)
1944 Èva Charlebois (réédité sous le titre Je verrai, si tu veux, les pays de la neige) (Flammarion)
1945 Canada - journal de voyage (Flammarion)
1946 Sanglar (réédité sous le titre La Motte rouge) (Flammarion)
1947 L’écureuil du Bois Bourru (Flammarion)
1949 Afrique blanche, Afrique noire - journal de voyage (Flammarion)
1950 Ceux de 14 (Sous Verdun, Nuits de guerres, Au seuil des guitounes, La Boue, Les Éparges) (Flammarion)
1952 L’Aventure est en nous (Flammarion)
1954 Fatou Cissé (Flammarion)
1954 Vlaminck (Flammarion)
1956 Images pour un jardin sans mur (tirage limité) (Pierre de Tartas)
1958 Au fil de la Loire (Les Heures claires)
1958 Le Roman de Renard (Presse de la Cité)
1959 Routes de l’aventure (Les Heures claires)
1959 Mon ami l’écureuil
1960 Au cadran de mon clocher (Presse de la Cité)
1960 Jeux de glaces (Wesmael-Charlier)
1960 Vaincre à Olympie (Le Livre contemporain)
1961 Les deux lutins
1962 La Loire, Agnès et les Garçons (Presse de la Cité)
1963 Chansons pour les enfants
1964 Derrière les collines (Presse de la Cité)
1965 Beau-François (Presse de la Cité)
1965 Christian Caillard
1966 La forêt perdue (Plon)
1967 Images pour un jardin sans murs
1968 Tendre bestiaire (Plon)
1969 Bestiaire enchanté (Plon)
1971 Bestiaire sans oubli (Plon)
1972 La mort de près (Plon)
1973 Deux fauves - réédition de Raboliot, L’Assassin, Gai-l’Amour (Plon)
1974 La Perpétuité (Julliard)
1974 Un homme et sa vie - réédition de Marcheloup, Tête baissée, Bernard (Plon)
1976 Un jour
1978 Lorelei
1979 La Motte rouge - réédition de Sanglar
1980 Je verrai, si tu veux, les pays de la neige (Èva Charlebois, Laframboise et Bellehumeur)
1981 Trente mille jours

(Académie française, remanié)

_________________
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Message par Tristram Mer 6 Jan - 12:49

La Dernière Harde

Maurice Genevoix  La_der10

Au-delà d’une connaissance manifestement née de longues et nombreuses observations, c’est à une véritable identification que Genevoix s’est livré dans la première partie du livre ; fabuleux interprète, il s’incarne (Genevoix a d’ailleurs confié dans son autobiographie Trente mille jours : « J'ai été le cerf rouge »), impressionnante immersion dans la harde où il entraîne le lecteur :
« L’eau était d’une fraîcheur délicieuse. Ils y plongeaient leurs jambes avec lenteur, jusqu’aux genoux, jusqu’aux cuisses, jusqu’au ventre. Leur poitrine y entrait à son tour, ils allongeaient leur cou sur l’eau, laissaient flotter leur tête en fermant les yeux de plaisir. Quand la surface, enfin, venait leur effleurer le mufle, ils buvaient, sans bouger, et laissaient la fraîcheur de l’eau couler en eux à petit bruit. »

« Au bout de deux semaines le premier andouiller apparut. Ses perches allongeaient toujours, poussaient un second andouiller, un autre encore. Au contraire de l’année passée, où la souffrance et la captivité avaient tari le croît de sa ramure, il surallait deux pousses d’un coup et devenait quatrième tête. Les battements de son sang se calmaient. Il oubliait maintenant, pendant des heures, le douloureux travail de ses bois. Les scions tendres du brout retrouvaient leur grisante saveur. »

« Quand il se rembuchait, le matin, il s’avançait loin dans un fort, s’y couchait lourdement pour bien marquer sa reposée, et puis, suivant son contre-pied, il en sortait par un grand saut en hourvari. Après quoi il le contournait avant d’y pénétrer encore, d’y écraser une autre reposée, et d’en sortir une seconde fois. Il ne s’y couchait point, pour son repos de la journée, qu’il n’eût ainsi dérobé sa remise par une série de faux rembuchements. Et souvent il l’abandonnait pour gagner, en celant sa voie, un autre fort plus écarté et plus secret. »
Si Genevoix prévient dans une note liminaire avoir renoncé au « riche et précis » lexique de la vénerie, il en utilise quand même ‒ et fait revivre ‒ le glossaire technique, ainsi qu’un vocabulaire malheureusement désuet de nos jours, dans notre éloignement de la "nature" ; je connaissais certains termes, comme "hampe", "forlonger", mais "volcelest"… il faut vraiment être du milieu. Et c’est sans compter de justes néologismes, comme cette métaphore du « chevelis de l'herbe », ou celle d’une « tramée de lumière »… Le style est d’une langue très pure, mais voici d’autres exemples du langage cynégétique manié de main de maître :
« Alors les valets de limiers, revenus faire le bois dans l’aiguail des petits matins, cherchèrent encore le pied des cerfs et rembuchèrent les derniers mâles. À la fin de janvier, ils ne restaient plus que trois : le Brèche-Pied, le daguet Rouge, et celui que nul n’avait revu, le Vieux qui s’était recelé dans un buisson connu de lui seul, ou qui peut-être, de nuit en nuit changeant ses reposées, avait déjoué jusqu’à présent le flair des chiens et la sagacité des hommes. »

« Il connaissait tous les gagnages où les bêtes douces vont faire leur viandis, les bêtes mordantes leurs mangeures nocturnes. »
Les « bêtes douces », menées par la vieille Bréhaigne si expérimentée, croisent les « bêtes noires » (sangliers) suivant la vieille laie qui les guide…
« Et toujours, un peu en avant de sa tête, le boutoir invisible tantôt faisait claqueter ses dents, tantôt entrefroissait ses défenses courbes et ses grais avec un grincement d’aiguisoir. »
Néanmoins, ce roman parle essentiellement des rapports des animaux sauvages avec les humains : ceux de « le Rouge », d’abord faon, hère, daguet, cerf puis grand cerf, avec la Futaie, premier piqueux d’équipage (et son compagnon Tapageaut, grand chien meneur de meute), mais aussi Grenou, « le Tueur ». Bêtes et hommes se croisent dans le même paysage à la géographie précise, repérée de toponymes qui paraissent aussi familiers aux unes qu’aux autres.
« L’odeur d’un homme et d’un limier, cela aussi se grave dans la mémoire, se reconnaît dans le vent qui passe. Les yeux voient clair, les oreilles tournent et se creusent, recueillant au passage les moindres tressaillements de l’air. La rumeur d’une forêt familière, si puissamment qu’elle comble l’espace, si amplement diverse qu’elle soit, ne couvre pas le frôlement d’un brin d’herbe que froisse le cuir d’un houseau, l’aigre sifflement de narines d’un limier qui raidit son trait. Alors on est une ombre sans poids qui s’efface au fond d’un taillis, qui traverse une allée, une autre, les pinces serrées sur les cailloux : et nul revoir, c’est le passage d’une ombre qui disparaît dans un autre taillis. Ici, en vérité, le Rouge a pris ce matin son buisson. Mais il l’a vidé en silence ; et même pour Tapageaut, pour La Futaie, ce ne sera qu’un buisson creux.
Voilà sept ans que dure cette joute, que l’Homme et le limier resserrent les cercles de leur quête. Maintenant, de plus en plus, le Rouge se laisse approcher. Invisible, rasé dans les broussailles, ses jambes ramenées sous le ventre et son mufle collé sur la terre, il les a vus passer à quelques pas, les regards fixes, les prunelles agrandies ; et de très longs frissons, comme autrefois dans l’enclos grillagé, lui couraient à travers le poil tandis qu’il les suivait des yeux, se relevait sans bruit derrière eux, et, caché derrière une cépée, tendait le cou pour les voir encore. »
Puis c’est l’ultime chasse à courre, d’un lyrisme épique, d’une passion atteignant à l’ivresse joyeuse dans la certitude de l’hallali assumé. Cette dernière partie, un peu fantastique, invraisemblable, m’a moins enthousiasmé ; elle justifie cependant le titre, et porte le constat de la dévastation accomplie par l’homme.
Chasse : nature, instinct, mort, beauté aussi. À une époque où la chasse à courre alimente les médias, cette histoire montre qu’elle remonte à profond, et que rien n’est si simple qui le paraissait. C’est une vie impitoyable qui est dépeinte, tant les chiens des veneurs que les combats du rut, ou le rejet de « la bête de chasse vouée à la curée », « le mâle déhardé » sacrifié par le clan à la meute tel un bouc émissaire aux gros yeux où se lit la « haineuse épouvante »… Texte retentissant dans l’entre-deux-guerres, un an avant la Seconde…
J’espère que beaucoup d’entre nous ont eu et auront encore leur enfance émerveillée par Raboliot ; La Dernière Harde en constitue une continuation (ainsi que de Rrou), et formerait avec lui et La Forêt perdue un triptyque consacré à la chasse. À ce propos, je recommande la consultation de l’article Wikipédia, qui ne se contente pas cette fois de recenser les prix littéraires : https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Derni%C3%A8re_Harde
Une bien meilleure surprise que le plaisir de lecture attendu.

\Mots-clés : #nature #ruralité #traditions

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Message par bix_229 Mer 6 Jan - 15:42

"Maurice Genevoix  Genevo13

J'avais beaucoup apprécié Le Jardin dans l'ile, un texte sans doute autobiographique.

"Le jardin dans l'île, c'est celui où Fan, depuis toujours, passe ses jeudis et ses vacances. Un lieu merveilleux, où l'attend une grand-mère de conte de fées "ronde, vive, aux joues fraîches et rosées qui sentent bon l'eau de Bully". Les grandes personnes prétendent qu'elle est "faible" parce qu'elle accueille toute une troupe d'enfants turbulents et passionnés, leur abandonne le jardin et les y laisse "entre eux". Les grandes personnes disent aussi que le jardin est "petit". Alors que, au contraire, il est très grand, immense même. Une fois passé la rivière et le pont, on se retrouve dans l'île. Et quelle île, "touffue, bourdonnante, pleine de fruits succulents et de bêtes vivantes !"
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Message par Tristram Mer 6 Jan - 16:13

Côté autobiographie, j'ai bien apprécié Trente mille jours. Et côté enfance, La boîte à pêche. Mais il m'en reste beaucoup à lire.
Dans ma bibliothèque, il se situe pas loin de Giono et Bosco (mais sur l'étagère en dessous).

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Message par Bédoulène Mer 6 Jan - 17:20

Je lirai plutôt le jardin dans l'île ; j'ai lu cet auteur il y a si longtemps que je ne sais plus quoi !

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Message par ArenSor Mer 4 Aoû - 23:21

Raboliot, 1925

Maurice Genevoix  Raboli10

Au premier abord, le roman est à l’image de son héros, âpre, un peu « mal peigné ». Mais très rapidement on entre dans cet univers particulier des « bracos » d’une Sologne ancienne, qui n’est probablement pas celle de la date de rédaction du livre en 1925, mais plus certainement, celle de la jeunesse de l’écrivain,  c'est-à-dire au tournant du siècle. Et la magie opère ; nous voici plongés au cœur des futaies, suivant ce Raboliot dans ses traques, au collet, au furet, au falot et au grelot, aux panneaux, et j’en passe ! Agile, malin, connaissant les lieux comme sa poche, notre braconnier ridiculise les gardes, les hommes de Saint-Hubert, les gendarmes, tous ligués contre lui. Il faut bien avouer que Raboliot dans une réserve de chasse fait autant de dégâts qu’un goupil dans un poulailler ! C’est bien le goût de la chasse, de la traque, qui l’anime, l’excite comme une drogue et qui va causer finalement sa perte. Car devant lui va se dresser le gendarme Bourrel, aussi têtu que lui, mais finalement beaucoup plus borné. Autour d’eux, gravitent de beaux portraits, le sournois Vollat, le mystérieux Touraille qui vit au milieu des bêtes qu’il empaille, l’inquiétante  gamine, Delphine, qui va trahir Raboliot et qui se révèle son alter ego : passion pour la traque où il faut se montrer plus subtil que le gibier.
Ce qui est magnifique chez Genevoix est cette sensation d’alliance intime de la nature et de l’humain. L’un ne va pas sans l’autre, les deux forment un tout. Le monde qu’il décrit n’est pas celui des bisounours. L’écrivain creuse au plus profond des passions, dans la cruauté, la souffrance, la rudesse d’un pays :

« Ce n’était pas un fauve qui avait déclenché le piège, mais bel et bien un troisième écureuil. Les mâchoires de métal, énormes, dentelées, tenaient serrées ses deux pattes antérieures après les avoir broyées. La bestiole les tendait en avant comme des bras ; elle s’était affaissée doucement sur le piège, dans un renoncement de souffrance abominable. La queue touffue, légère, gardait encore sa souplesse de panache, le pelage un éclat flambant, tout le petit cadavre on ne savait quelle grâce vivante. Mais deux mouches vertes, déjà, étincelaient dans la fourrure rousse. »

Des extraits montrant la justesse de l’observation, la beauté des images et la richesse du vocabulaire :

« Sarcelotte disait : « les lapins ». Et aussitôt, par les bois de la Sauvagère, par les friches du Beuvron, par les fourrés de Bouchebrand, des centaines de lapins pullulaient. Raboliot les voyait bondir par-dessus les touffes de breumaille, montrer à l’orée des terriers, le temps à peine d’un clin d’œil, une touffe de queue blanche qui s’enfonçait dans le trou noir. Des galopades, sous la terre, ébranlaient les talus sablonneux ; cela vous montait dans les jambes, vous cognait contre le cœur. « Les perdrix » disait  Sarcelotte. Et c’était des compagnies de rouges qui vous piétaient par une raie, dans un chaume, la tête droite et presque immobile, les pattes véloces qu’une mécanique semblait mouvoir ; des compagnies de grises qui vous partaient tout à coup sous le nez, vous suffoquaient du fracas caquetant de leur vol. Sarcelotte disait encore : « les lieuves ». Et aussitôt des capucins hottus se gîtaient au creux des sillons, se collaient le poil invisible, le long d’un tas de vieilles fanes : mais Raboliot souriait parce qu’il les voyait quand même, dépeignant leur œil de côté, craintif, écarquillé tout rond. Et les grands lièvres déclenchaient leurs jarrets, se déployaient de tout leur long, efflanqués, bondissant, crochetant, le cul soulevé, la terre des champs volant en poudre à leurs semelles… Et tout autour des mots que disait Sarcelotte, d’autres bêtes se pressaient encore, ici, puis là, au travers d’une contrée connue et pourtant quasi fabuleuse, dans les joncs des étangs, dans les ramures des chênes, à la surface des eaux et de la terre au ciel : des caillasses filaient, la queue horizontale ; des pics-verts, en lisières des futaies, déroulaient les festons de leur vol, glissant les ailes fermées, remontant, glissant encore, avec leur cri précipité, leur aigre musiquette à trois notes ; des écureuils grognaient dans les pins ; des vanneaux noirs  et blancs tournaient en rond dans le soleil, liés à leur nid comme des cerfs-volants captifs ; des judelles ramaient, tendant le cou, rentrant le cou, à la parade ; un héron voguait dans la nue soulevé sur ses ailes lourdes, les pattes pendantes comme des branches cassées ; et, tout à coup, dans une enclave cernée de bois, un grand chevreuil dressait sa tête inquiète, démarrait d’un bond fou, le feu à ses quatre sabots. »

« Le souvenirs affluaient par longues vagues : toutes les odeurs des bois, l’âcreté du terreau mouillé sur quoi ferment les feuilles mortes, les effluves légers des résines, l’arôme farineux d’un champignon écrasé en passant ; tous les murmures, tous les froissements, toutes les envolées dans les branches, les fracas d’ailes traversant les futaies, les essors au ras des sillons ; et tous les cris des crépuscules, la crécelle rouillée des faisans, les rappels croisés des perdrix, les piaulements courts des tourteplattes, et déjà, dans la nuit commençante, ce grincement qui approche et passe à frôler votre tête, avec le vol de la première chevêche en chasse. »

« C’étaient d’abord, au-dessus de lui, des chevelures de bouleaux qui pendaient dans le ciel, légères, gonflées de sève, brillantes d’une pourpre fraîche et qui semblait mouillée. Dès le fossé, les champs montaient d’un mouvement insensible, étalaient une pente douce, couverte tout entière de seigle qui levait. Les pousses vertes, sous la clarté horizontale, blondoyaient à l’infini. Ce ruissellement d’émeraude dorée se mêlait au rythme des glèbes, n’existait que par lui, exaltait sa paisible et souveraine ascension. »

A noter que Maurice Genevoix a réécrit sans cesse ses livres jusque dans le début des années 50. Je ne connais pas l’ampleur des modifications qui vont dans le sens d’une plus grande simplicité du texte. Selon la date de parution, vous ne lirez donc pas tout à fait le même texte.
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Message par Bédoulène Jeu 5 Aoû - 7:58

merci Tristram !

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Message par ArenSor Jeu 5 Aoû - 18:24

Bédoulène a écrit:merci Tristram !

le aren Very Happy
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Message par bix_229 Jeu 5 Aoû - 19:08

Il y a aussi Rrou pour tous les amateurs de lol cats.
Faudrait que je le relise.

Maurice Genevoix : Rrou
Éditeur : LE LIVRE DE POCHE (31/08/1992)

" Maurice Genevoix est un remarquable observateur de la nature et des animaux, un amoureux aussi. Un chat, à ses yeux, est l'incarnation vivante de la beauté. Cela se sent quand il évoque le jeune Rroû, sa souplesse muette et dangereusement armée, sa grâce inquiétante. Maurice Genevoix regarde si bien son héros qu'il se transforme mystérieusement en chat, il est Rroû. " Extrait de la préface d'Anne Wiazemsky.

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Maurice Genevoix  Rrou10
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Message par bix_229 Jeu 5 Aoû - 19:24

Tendre bestiaire de Maurice Genevoix

Un cerf qui tombe, que le piqueux emperche sur ses bois, sa noble tête à la renverse, ses yeux ouverts sur le néant bleuâtre, sa langue exsangue qui pend sur l'herbe, c'est vous-même qu'ils prennent à témoin, vous qui, regardant cela, avez encore des yeux pour voir. Tout ce qui meurt en cet instant, c'est beaucoup plus que cette bête massacrée. La tache de sang qu'elle laissera sur la mousse, elle a coulé, elle ne s'effacera plus.
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Message par Bédoulène Ven 6 Aoû - 11:33

@Arensor ! oups ! Smile

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Message par Tristram Ven 17 Sep - 0:27

La forêt perdue

Maurice Genevoix  La_for11

Sur le ton d’un conte (d’où une certaine emphase), Genevoix nous narre l’histoire du vieillissant seigneur Abdon de Chérupeaux, de son territoire en marge de la grande forêt dont son fils Bonavant et son piqueux, La Brisée, forcent les halliers et les futaies pour en atteindre le cœur, quête existentielle dans la forêt « vive en bêtes », mais jusque-là vierge des hommes, et « perdue » comme le paradis.
Waudru, le vieux bredin (innocent), sorte de petit faune, mystérieux « allié des bêtes », et Florie, fille de Bonavant, sont des personnages importants dans cette fable dramatique où la nature garde le premier rôle. C’est en quelque sorte une reprise du thème du cerf mythique de La Dernière harde. C’est aussi une méditation sur l’ambivalente chasse (cf. l’œuvre de Pierre Moinot), et encore un poème d’une grande sensualité organique chantant la vie (Henri Bosco vient rapidement à l’esprit).
« Blanches et pâles comme un souvenir qui s’efface, elles [les aubes] s’irisaient au monter du soleil comme l’aiguail sur le regain. »
Genevoix emploie une langue qui nous est inconnue, composée de dialecte régional, de lexiques des métiers de la chasse, etc., et pourtant nous le suivons dans son récit.
« Son volcelest [trace du pied du cerf (par laquelle on s'assure de l'identité de la bête de chasse), d’après Le Robert] m’a sauté aux yeux. J’ai fait suite, avec Marjaut. Je pensais le trouver au ressui. Mais soudain je l’ai vu par corps ; non couché, Monseigneur ! Je dis : debout, de toute sa taille, me regardant. »
C’est la rencontre avec « le grand Cerf », « le roi » debout, « la Bête » « qui sait tuer », et suit une description magnifique de l’animal légendaire.
Genevoix ose de superbes néologismes, comme embrasiller, entre brasiller et embraser :
« L’or et la pourpre embrasillaient les larges feuilles »

\Mots-clés : #nature

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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Bédoulène Ven 17 Sep - 7:39

très tentant ! merci Tristram

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