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198 résultats trouvés pour nature
Colin Niel
Entre fauves
Trois narrateurs, aux récits croisés comme leurs destins : Martin, garde du parc national des Pyrénées (où le dernier ours, Cannellito, semble disparu) est aussi un ardent militant antichasseurs qui expose les chasseurs de trophées sur les réseaux sociaux. Apolline est une chasseuse à l’arc que son père emmène en Namibie. Kondjima est un jeune pasteur himba, dont Charles, un lion du désert solitaire, a massacré le cheptel de chèvres dans le bush en proie à la sécheresse. Le gouvernement a donné à un chasseur professionnel la mission de prélever cet « animal problématique » du Kaokoland, trophée destiné à Apolline, sur laquelle enquête Martin.
Ce thriller, avec ses rebondissements à la limite du vraisemblable, vise moins les excès de la chasse que ceux des « escrolos », et met en lumière notre atavisme de violence.
« Cet instinct qui, des millénaires après, continue de nous hanter, jamais vraiment éteint. »
Les titres des chapitres sont les dates où ont eu lieu les évènements rapportés, leur chronologie étant légèrement modifiée par l’ordre de lecture ; l’ouvrage est divisé en cinq parties, Identifier sa proie, L’approche, La traque, La mise à mort et Le rituel.
Apprécié le vocabulaire issu de l’occitan, comme cagner, ronquer, mouner (bouder ?), tute (grotte ?), arrèc, encore plus que le namibien.
Dans le même ordre d’idées, anti- et pro-chasse, je renvoie à Le Trophée de Gaea Schoeters, et surtout L'animal et la mort – Chasses, modernité et crise du sauvage de Charles Stépanoff (dont un commentaire est disponible sur votre forum préféré).
\Mots-clés : #ecologie #nature #thriller #violence
- Hier à 11:28
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Nick Hunt
Un palmier en Arctique – Voyages imaginaires à travers l’Europe
Quatre voyages en Europe donc, mais transportant Hunt dans d’autres espaces comme dans le passé plus ou moins lointain : dans la toundra arctique résiduelle en Écosse, dans la Białowieża de Pologne et Biélorussie, dernière forêt « vierge » européenne, dans « Tabernas, l’unique désert de notre continent », en Andalousie, et dans la steppe hongroise venue d’Eurasie.
Les balades sont étoffées de considérations géographiques et historiques qui confinent à la vulgarisation scientifique, généralement très intéressantes, mais dont on pourrait questionner la validité (j’ai repéré quelques erreurs, dues à la traduction peut-être).
Rennes, bisons, bouquetins, chevaux, les totems des quatre biomes périphériques d’Europe, rappellent les migrations dans l’espace et le temps des eaux, plantes, animaux et êtres humains, ces vastes changements toujours en cours – avec l'accélération anthropique actuelle qui rend le proche avenir incertain.
On trouve dans ce livre nombre de mots et de noms, qui participent à l’étrangeté des lieux visités.
« Est-il possible de ressentir de la solastalgie – cette douleur existentielle causée par les changements environnementaux – pour une ère glaciaire que personne n’a jamais connue et située à une distance temporelle inimaginable ? Le romancier Gregory Norminton a inventé un autre mot : l’archaïostalgie, « une nostalgie douloureuse du passé », ou encore l’antéanthropostalgie, « une nostalgie de l’époque précédant l’existence de l’homme ». Le climatologue Mark Goldthorpe suggère la télestalgie, « nostalgie de ce qui est éloigné dans le temps et dans l’espace », ainsi que la terrancholie ou « mélancolie terrestre ». Le Dictionary of Obscure Sorrows, un recueil en ligne de « termes nouvellement créés pour désigner des émotions étrangement fortes », contient anemoia, la « nostalgie d’un temps que vous n’avez jamais connu ». Quant au mot allemand Fernweh, il signifie un désir douloureux pour le lointain, tandis que Sehnsucht remplit les interstices entre l’envie et la nostalgie. »
Après les ramblas (wadis, oueds), les bad-lands :
« Des murs de boue s’élèvent de part et d’autre, renvoyant la chaleur réfractée ; leur texture est semblable à de la chair craquelée ou aux voies métaboliques d’un cerveau desséché. Il y a différentes gammes de formes répétitives qui ressemblent à des coquilles de patelles, des éventails alluviaux créés par des sédiments rejetés par le haut, puis déposés en formant des angles pyramidaux identiques de repos. L’effet combiné est fractal, presque psychédélique. »
« Tabernas n’est pas uniquement le seul désert d’Europe, mais aussi sa plus grande zone de mal país (les autres sont les calanchi d’Italie et les calanques du sud de la France). Le désert est le climat et les bad-lands la topographie. Le terme est à la fois culturel – synonyme de hors-la-loi, d’esclaves en fuite et de tribus récalcitrantes – et géologique : « une région marquée par une sculpture érosive complexe, une végétation clairsemée et des collines aux formes fantastiques », selon la définition du dictionnaire. Avec leurs étranges répliques et leurs silhouettes tordues et torturées en forme de buttes et de tourelles, de champignons à l’équilibre précaire et de phallus contorsionnés, ces bad-lands évoquent un sentiment de profonde bizarrerie ; une telle architecture doit certainement être l’œuvre non pas d’un dieu amoureux de l’ordre, mais d’une main diabolique, voire démente. Ces paysages se caractérisent par des flèches irrégulières et effilées appelées cheminées des fées ou hoodoos, que l’on trouve dans les régions érodées de l’Utah à la Cappadoce. De manière révélatrice, le mot hoodoo dériverait de « vaudou », une association (dans l’esprit des chrétiens, du moins) avec des forces surnaturelles malveillantes et la malchance. C’est une version topographique de « Là résident des monstres ». »
« Les graminées sont, à certains égards, les colons les plus efficients au monde, et certainement les végétaux colonisateurs les plus efficaces. […]
Environ douze mille espèces d’herbes couvrent plus d’un tiers de la surface terrestre de la planète. […]
Le blé, l’avoine, le seigle, le riz, le millet, le maïs, le teff, le sorgho et la canne à sucre sont tous des herbes domestiquées ; une douzaine de souches de Poaceae nourrissent aujourd’hui plus des neuf dixièmes de la population mondiale. »
\Mots-clés : #ecologie #nature #voyage
- le Jeu 23 Fév - 9:42
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Patrice Franceschi
Qui a bu l'eau du Nil, Aventure africaine
1978, Franceschi a vingt-trois ans, et relie la source du Nil au Burundi à la Méditerranée en huit mois, à pied, en bateau, à dos de chameau. C’est ce dernier mode de locomotion qui constituera la grande découverte de l’auteur, avec le désert (et l’accueil des caravaniers), 1 200 kilomètres entre Khartoum et Bimban (au nord d’Assouan), dont notamment « Batn el-Haggar », le « Ventre de la Pierre » ; c’est aussi la partie la plus intéressante du livre.
« Et puis, je découvre son absolue propreté. Elle est sa marque, comme l’exubérance est celle de la jungle. Et de cette propreté à la pureté originelle il n’y a qu’un pas que l’on franchit inconsciemment entre les dunes… Dès lors, le silence vient ajouter son étrangeté au trouble naissant. Et ce silence gigantesque qui enveloppe la propreté, cette absence des bruits du monde, ce monde de bruits diffus apporté par la caravane, se mêle au mirage de la pureté minérale pour pousser l’homme dans le gouffre horizontal du désert.
Alors, trompé par son infini, on pense toucher à l’absolu. »
Dans un avant-propos de 2013, Franceschi nous fait remarquer que ce « voyage d’aventure » ne serait plus possible aujourd’hui, à cause des violences qui caractérisent aujourd’hui les régions traversées.
Aventures extraordinaires, malheureusement rapportées dans une expression conventionnelle.
\Mots-clés : #autobiographie #aventure #nature #voyage
- le Sam 21 Jan - 14:44
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Annie Dillard
Pèlerinage à Tinker Creek
« Au point où j’en suis, je me propose de tenir ce que Thoreau appelait « un journal météorologique de l’esprit » : raconter des histoires et décrire certains spectacles de ce vallon du genre plutôt domestiqué, et d’explorer, toute tremblante de frayeur, certains recoins obscurs, non répertoriés sur la carte, certaines citadelles d’impiété, où nous entraînent ces histoires et ces spectacles, de manière si vertigineuse.
La science, moi, je n’y connais rien. Je me contente d’explorer les environs. Le petit enfant qui sait tout juste tenir sa tête, a une façon franche et directe de regarder autour de lui, étonné de tout. Il n’a pas la moindre idée du lieu où il se trouve, et tout ce qu’il veut, c’est apprendre à le connaître. Une ou deux années de plus, et tout ce qu’il aura appris au lieu de cela, c’est à le travestir : il aura cet air de petit coq arrogant du squatter au moment où il en vient à se sentir propriétaire des lieux. Une sorte de curieuse vanité apprise nous détourne de notre projet initial qui est d’explorer les environs, d’examiner le paysage, pour découvrir au moins en quel lieu nous avons été, de manière si surprenante, déposés, s’il ne nous est pas permis d’en connaître le pourquoi. »
Et c’est effectivement une exploration quotidienne de son environnement virginien que ce recueil d’observations à la fois précises et enthousiastes (y compris au moyen d’instruments d’optique), ainsi que des réflexions qui en naissent.
« À moins que depuis la nuit des temps, toutes les races humaines aient été abusées dans une même hypnose collective (et par quel hypnotiseur ?), il semble qu’il existe une chose qui s’appelle la beauté, une grâce infiniment gratuite. »
Parmi ces cogitations, une place importante est reconnue au regard qui est porté sur la nature, notamment dans le chapitre 2 – Voir :
« Mon problème, c’est que je n’arrive pas à savoir ce que l’amoureux, lui, sait ; il m’est tout simplement impossible d’apercevoir cette évidence artificielle que construisent tous ceux qui savent. »
« Voir, est bien sûr, pour une grande part, affaire de verbalisation. À moins que je ne prête attention aux choses qui défilent devant mes yeux, je ne les verrai tout simplement pas. »
Cela passe par exemple par les étourneaux, volontairement introduits d’Europe en Amérique du Nord, qu’on a vainement essayé de réguler (il semble qu’on ait fait des progrès depuis…) ; « trois cents merles à ailes rouges qui s’enfuient d’un oranger des Osages », une nèpe qui aspire l’intérieur d’une grenouille, la migration des papillons monarques, les oothèques de mantes, les sycomores, les Esquimaux et l’eau vive ; des remarques scientifiques (attention, livre paru en 1975, et des progrès ont été accomplis depuis là aussi ; mais il n’y a plus autant de salamandres et tritons…), expérimentations (de pensée ou pas), mais aussi notations religieuses voire mystiques, impressions, souvenirs d’enfance, évocation de sa vie quotidienne de solitaire, qui font de cet essai romancé un livre aussi polymorphe qu’atypique.
Les descriptions sont originales, sensibles, vivantes, empreintes d’humour et de poésie, et l’ensemble est minutieusement structuré.
Dillard lit aussi beaucoup, de la littérature naturaliste (comme Jean-Henri Fabre, à qui l’auteure fait d’ailleurs référence) ou sacrée, de Thoreau à la philosophie (notamment allemande).
Essentiellement, Dillard contemple les jeux de lumière et d’ombre sur la rivière Tinker en cultivant l’instant présent, attentive de tous ses sens. À ce propos, je n’ai pas trouvé la définition des « raidiés » souvent évoqués, apparemment les rapides, ressauts du lit rocheux de la rivière.
« Moi, j’ai lu quelque part que tout ce qui vit le doit à une force généreuse, et danse au rythme d’une impérieuse mélodie ; j’ai lu ailleurs que tout est semé au hasard, et précipité dans le vide, que chaque arabesque suivie d’un grand jeté que chacun de nous exécute n’est que folle variation sur une commune chute libre. »
« J’ai toujours songé avec délices à cette idée que la rivière ne cesse de couler, toute la nuit durant, à chaque instant renouvelée, et cela indépendamment de mon désir, de ma conscience ou de mes préoccupations, comme un livre fermé sur une étagère continue de susurrer dans sa jaquette son inépuisable histoire. Tant de choses m’ont été exposées, sur ces rives, je me suis trouvée si souvent illuminée, dans cette lumière réfléchie, ici même où ces eaux coulent, que j’ai peine à croire que cette grâce puisse ne jamais fléchir, que ce courant qui se déverse d’intarissables sources puisse durer à l’infini, impartial et libre. »
« Ce que j’appelle innocence, c’est cet état de non-conscience de soi de l’esprit, qui survient inopinément lorsqu’on est tout entier absorbé par quelque objet auquel on a choisi de se vouer. Elle est à la fois réceptivité et totale concentration. »
L’autre fascination de Dillard dans « notre monde en vert et bleu », ce sont les arbres.
« Moi, c’est avec les arbres que je vis. »
« La règle générale, dans la nature, c’est que les êtres vivants sont mous en dedans et rigides au-dehors. »
La fameuse question de l’arbre qui ferait du bruit ou pas en tombant si personne n’est là pour l’entendre est débattue.
« Que se passerait-il si c’était moi qui m’abattais, dans la forêt ? Est-ce qu’un seul arbre m’entendrait ? »
Le vent :
« Léchez-vous un doigt : sentez passer l’instant. »
« J’ai lu quelque part, je ne me souviens plus où, cette petite histoire d’un chasseur esquimau qui demandait au prêtre missionnaire : « Si je ne savais rien de Dieu et du péché, est-ce que j’irais en enfer ? » « Non », répondit le prêtre, « si tu n’étais pas au courant, sûrement pas ». « Alors », demanda l’Esquimau avec le plus grand sérieux, « pourquoi me l’avez-vous dit ? » Si j’ignorais l’existence des rotifères et des paramécies, et tout cet épanouissement du plancton obstruant la mare à l’agonie, alors très bien ; mais dans la mesure où je l’ai vu, il faut en quelque sorte que je m’en accommode, que je le prenne en compte. « Ne perdez jamais cette sainte curiosité », a dit Einstein ; alors je descends mon microscope de l’étagère, j’étale une goutte d’eau de la mare sur une lamelle, et j’essaie de regarder le printemps dans les yeux. »
Exploration de l’infiniment petit :
« Nous nous enfonçons à sa poursuite, paysage après mobile, sculpture après collage, jusqu’aux structures moléculaires, comme dans une danse campagnarde de Bruegel, puis jusqu’aux atomes, épars dans leur harmonieuse cohésion comme une toile de Klee, puis encore plus profond jusqu’aux particules atomiques, au cœur même de la matière et de la question, avec autant d’ardeur et d’exaltation que n’importe quel saint du Greco. Et tout cela fonctionne. « La nature », dit Thoreau dans son journal, « est toujours mythique et mystique à la fois, et met tout son génie au plus petit ouvrage ». Le créateur, ajouterais-je volontiers, travaille cette texture complexe des ouvrages les plus infimes, cette texture qui est le monde même, en dépensant son génie sans compter, avec un soin extravagant du détail. Et c’est là toute la question. »
« En automne, le passage sinueux des corbeaux de retour du nord annonce la grande migration des caribous. Les volatiles au cou hirsute allongent leurs ailes au contact des courants ascendants qui hâtent leur voyage vers le sud. Les grands cervidés se rejoignent, harde après harde dans les vallées arctiques et subarctiques ; ils tournent en rangs serrés, se regroupent en masses et rassemblent leurs forces telle une cataracte, pour enfin se déverser dans les terres stériles, sur un front large comme un raz de marée. Ils ont le pelage neuf et beau. Leur maigre toison printanière – raclée par lambeaux entiers au contact des forêts du Sud, criblée des piqûres de mouches noires et de taons, taraudée par les larves d’hypodermes et d’œstres –, cette toison-là a disparu, laissant place à un nouveau pelage lustré, une somptueuse fourrure brune doublée d’une couche pelucheuse constituée de poils creux qui la rendent isolante et imperméable. Dix centimètres de graisse crémeuse recouvrent l’animal, dos compris. Un coussin de cartilage mobile, dans le boulet, provoque un bruit sec à chacune de leurs grandes enjambées, lorsqu’ils traversent la toundra plus au sud, cherchant l’abri des arbres ; on les entend avant qu’ils ne soient arrivés, gronder comme des fleuves, avec leur tic-tac de pendule, on les entend encore après qu’ils sont partis. »
« Dans quelque direction qu’on se tourne, le monde est plus sauvage et plus fou que cela, plus dangereux, plus amer, plus extravagant aussi, plus brillant. »
Je ne suis pas certain que ces méditations déistes mènent loin, mais c’est a minima une prenante lecture sur notre monde, que nous modifions sans le comprendre.
\Mots-clés : #essai #nature
- le Lun 16 Jan - 12:39
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James Fenimore Cooper
Le Dernier des Mohicans
Dans son Introduction de la nouvelle édition du Dernier des Mohicans, Cooper énonce aussi laconiquement que légitimement ce que nous avons perdu avec la disparition des cultures amérindiennes d’Amérique du Nord :
« Peu de caractères d’hommes présentent plus de diversité, ou, si nous osons nous exprimer ainsi, de plus grandes antithèses que ceux des premiers habitants du nord de l’Amérique. »
Dans sa Préface de la première édition, il présente son roman historique comme un « récit », une « relation ».
En juillet 1757, dans l'actuel État de New York à la frontière des États-Unis et du Canada, le marquis de Montcalm et son armée s’approchent du fort William Henry, tenu par le colonel britannique Munro sur le lac Horican (George de nos jours). Cora et Alice, ses filles, partent pour le rejoindre du fort Edward tenu par le Général Webb, accompagnées par le major Duncan Heyward, le guide huron Magua (Renard Subtil), et La Gamme, maître en psalmodie. Ils rencontrent Œil-de-Faucon (« le chasseur », Bumppo ou la Longue Carabine à cause de son « tueur de daims » ; c’est Leatherstocking ou Bas-de-Cuir, au centre du cycle des cinq romans de Cooper auquel appartient celui-ci), coureur des bois (chasseur) et « batteur d’estrade » (éclaireur) des Anglais, Chingachgook ou Grand Serpent, sagamore (sachem) des Mohicans et son fils Uncas, ou Cerf Agile (c’est « le dernier des Mohicans »). Ils campent sur une petite île avec deux cavernes dans les chutes du Glen sur l’Hudson, et y sont assaillis par les Hurons. Après des affrontements épiques, à court de poudre, Œil-de-Faucon et les deux Indiens s’enfuient à la nage pour chercher du secours, tandis que les autres sont capturés. Ayant été humilié par Munro, Magua propose à Cora de l’épouser. Au moment où les captifs vont être exécutés, Œil-de-Faucon et les deux Mohicans les délivrent. Après d’autres péripéties, ils rejoignent le fort William Henry assiégé par les Français en nombre nettement supérieur. Sur ordre de Webb, commandant de la région qui n’enverra pas ses renforts, la garnison se rend et quitte le fort. Des Hurons, alliés de Montcalm, massacrent l’arrière-garde ; de nouveau, Alice, Cora et David sont enlevés par Magua, et Œil-de-Faucon, Chingachgook et Uncas se lancent à leurs trousses avec Munro et Heyward, d’abord en canoë sur le lac Horican puis sur terre, où les trois premiers font de nouveau preuve de leurs talents de pisteurs, qui lisent les traces comme les Blancs un livre. En approchant du Canada, ils retrouvent David, laissé en semi-liberté car pris pour un fou. Alice a été placée dans une tribu de Hurons et Cora chez les Delawares, traditionnels ennemis, mais alliés enrôlés dans la lutte contre les Anglais. Duncan se rend chez lez Hurons (déguisé), où Uncas est amené prisonnier. Œil-de-Faucon (travesti en ours) délivre Alice avec son aide, puis Uncas. Magua, orateur adroit et politique astucieux, intrigue toujours, chez les Hurons, puis chez les Delawares, où il ne parvient cependant qu’à arracher Cora au grand conseil présidé par le patriarche, Tamenund. Uncas, dont l’ascendance est reconnue, entraîne les Delawares contre les Hurons : avec la plupart de ces derniers, Cora, Uncas puis Magua trouvent la mort.
La distinction raciale est souvent évoquée, que ce soit la pureté d’un sang « sans mélange » qu’Œil-de-Faucon revendique fréquemment, ou la couleur de la peau (le teint tanné de ce dernier se distinguerait de celui des Indiens) : si on montre de la sympathie pour les Peaux-Rouges, c’est "malgré" leur couleur, au moins autant que leur aspect farouche ou leurs mœurs de sauvages, non-civilisés.
« Il y a de la raison dans un Indien, quoique la nature lui ait donné une peau rouge, dit le Blanc en secouant la tête en homme qui sentait la justesse de cette observation. »
Si la rigueur historique manque, cette fiction vaut pour l’attention portée aux peuples amérindiens en voie de disparition, « ces peuples à la fois si impétueux et si impassibles », et bien sûr pour l’action aux multiples rebondissements de ces aventures dans la nature "sauvage", si captivantes, du moins pour les jeunes lecteurs. Mais c’est mal écrit-traduit, d’un romantisme ronflant, et rempli d’invraisemblances. Style :
« Cependant l’air d’assurance et d’intrépidité du major, aidé peut-être par la nature du danger, leur donna du courage, et les mit en état, du moins à ce qu’elles crurent, de supporter les épreuves inattendues auxquelles il était possible qu’elles fussent bientôt soumises. »
\Mots-clés : #amérindiens #aventure #historique #nature
- le Sam 3 Déc - 11:03
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- Sujet: James Fenimore Cooper
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Gaea Schoeters
Le Trophée
John Hunter White est en safari sur les traces d’un vieux rhinocéros noir, guidé par Van Heeren.
« Qu’on le veuille ou non, la chasse au trophée est la seule forme viable de conservation de la nature, et la seule méthode qui permette de préserver l’avenir des espèces menacées. Avec le chèque à six chiffres qu’il a payé pour pouvoir abattre ce seul mâle, il finance non seulement un programme de reproduction pour garantir la survie de l’espèce, mais il donne aussi au reste du troupeau une chance équitable de survie. Il n’y a que les “protecteurs de la nature” à ne pas l’entendre de cette oreille. »
Hunter ne s’intéresse pas personnellement aux trophées, c’est son épouse qui en est amatrice.
« Pourtant, ils ont l’habitude de longues périodes de séparation, leur vie est ainsi faite. On pourrait même dire que le succès de leur relation tient à cette distance, au fait qu’ils dosent soigneusement le temps qu’ils passent ensemble. Parce que tout, même l’amour, est soumis à la première loi de l’économie : la rareté exacerbe la demande. »
C’est un riche investisseur.
« Plus la civilisation étend son emprise sur le monde, plus la nature sauvage prend de la valeur. »
« Hunter aime son travail pour la même raison qu’il aime la chasse. Ce qui l’attire, ce n’est pas le profit, mais le frisson du risque : dans le monde civilisé à l’extrême d’aujourd’hui, le marché boursier est l’un des derniers secteurs, à l’exception du crime organisé, où l’audace se voit encore réellement récompensée. »
« Pourtant, il ne perçoit pas la mort de la proie comme son triomphe, mais plutôt comme un effet secondaire de sa victoire, aussi malheureux qu’inévitable. »
Des braconniers massacrent "son" rhinocéros.
« L’armée abat chaque année plus de braconniers pour protéger votre gibier que les braconniers ne tuent de rhinocéros. Ordre du gouvernement. Pour protéger l’économie. Cette chasse à l’homme est un sous-produit de la chasse au trophée. »
« Ce que je veux dire, c’est que votre moralité occidentale est un produit de luxe réservé à ceux qui peuvent se le permettre. Le reste du monde doit se contenter de pragmatisme. »
Van Heeren propose un autre trophée à Hunter : un Bushman, dans une chasse à l’homme sur le même principe de financement de la préservation du groupe… Les Bushmen, peuple décimé et persécuté par le gouvernement qui a pris ses terres ancestrales, sont des chasseurs nomades, d’excellents pisteurs à la mémoire entraînée, ayant une pratique fort fine de leur écosystème ; ils font partie de la nature.
Hunter tue un dangereux buffle solitaire à leur demande.
« Pourtant, il ne ressent pas l’euphorie qui succède normalement à un tir aussi concluant. Ce qui le traverse est plutôt de l’ordre du soulagement. Il ne désirait pas cet animal, donc sa mort ne lui procure aucune satisfaction. Le tuer était nécessaire, la mise à mort une formalité fastidieuse à laquelle il lui a fallu se prêter. Qu’un acte identique puisse produire une émotion totalement différente, simplement parce qu’il n’a été précédé d’aucun souhait, le surprend. Il a rarement ressenti aussi peu d’émotion après avoir tué un animal. »
Il assiste à une chasse du koudou à l’épuisement : un coureur poursuit l’antilope par temps très chaud, jusqu’à faire « bouillir » son sang.
« C’est la chasse dans sa forme la plus ancienne et la plus pure : l’homme, armé de sa seule volonté, se soumet l’animal. »
Les Bushmen chassent pour se nourrir, et respectent le gibier.
« "Le jour de notre mort, une brise légère effacera nos traces dans le sable. Lorsque le vent sera tombé, qui dira à l’éternité que nous avons marché ici, au début des temps ?" C’est un chant funèbre, qu’on entonne pour les humains comme pour les animaux, car dans la mort nous sommes tous égaux. Lorsqu’un animal meurt, ses traces s’effacent à la surface du sable, tout comme nos pas vont bientôt disparaître afin de laisser la place à ceux qui viennent après nous. Karoha a poursuivi le koudou sur le sable, il s’est enfui sur le sable, et il lui rend hommage avec le sable. Ce n’est qu’ainsi que son esprit pourra retourner dans le sable d’où il est sorti. »
« Il y a longtemps, à l’époque de la première création, les hommes et les animaux étaient égaux. Lorsque Dieu a créé le monde pour la deuxième fois, il a donné le feu à l’homme. Depuis lors, nous avons été choisis pour chasser. C’est Dieu qui décide qui est le chasseur, et qui est la proie. Mais sans l’un, l’autre ne peut exister, et ils sont donc parfaitement égaux, l’un à l’autre. »
Le contrat est scellé :
« !Nqate va courir, Hunter White va le chasser, et Dawid va le guider. […]
Car leurs destins sont liés. Hunter White est venu le jour où !Nqate est devenu un homme. Il l’a vu tuer son élan. Dawid conduira Hunter White à !Nqate, comme Hunter White conduira Dawid en Amérique. C’est la volonté des dieux, et c’est aussi la volonté du village tout entier. »
Une conception de l’humanité loin de la nôtre :
« Nous sommes en Afrique, mon cher. N’oubliez jamais cela. La vie humaine n’a pas la même valeur ici. Non pas parce qu’ils aiment moins leurs enfants, mais parce que la vie est plus dure sous les tropiques : la moitié de leurs enfants meurent avant l’âge de quinze ans, un enfant sur cinq meurt avant l’âge d’un an. Si l’on n’adopte pas une attitude pragmatique à ce sujet, on devient fou. Les bébés qui naissent en période de grande sécheresse, et qui ont donc peu de chances de survivre à leur première année, sont tués, quand les femmes n’avortent pas spontanément. Cela leur évite un chagrin plus grand encore. S’ils n’ont pas d’espoir de survivre, il vaut mieux qu’ils meurent avant qu’on ne s’attache trop à eux. »
Considérations sur la nature « impitoyable » …
« La mort infligée par violence n’a aucun rapport avec la cruauté, tout comme la cruauté de la nature n’enlève rien à sa beauté. »
… Avec l’étonnant choucas qui expose ses proies dans un arbre :
« On dirait une salle des trophées. »
Puis c’est la (longue) traque dramatique, avec un excès d’héroïsme en grand écart avec la vraisemblance. Autant j’avais apprécié la première partie bien documentée, une approche consciencieuse du problème de la chasse qui va de l’éthique à l’économique, et la découverte d’une société immergée dans son environnement avec lequel elle interagit de façon adaptée, la partie finale m’a paru glisser dans une trop grande démesure (ou alors mal exposée).
À déplorer malheureusement une certaine maladresse d’écriture (plutôt due à la traduction ?) dans ce roman passionnant.
« Ils avancent lentement, s’arrêtant brièvement chaque fois pour s’assurer que la bête ne les a pas remarqués. »
Outre John A. Hunter, célèbre chasseur professionnel et guide de chasse au Kenya auquel son personnage principal doit son prénom, Gaea Schoeters s’inspire d’Hemingway et du Conrad d’Au cœur des ténèbres.
\Mots-clés : #aventure #nature #thriller
- le Jeu 24 Nov - 11:48
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- Sujet: Gaea Schoeters
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Marlen Haushofer
Le Mur invisible
Une femme écrit comment elle se retrouva seule dans un chalet de montagne en forêt autrichienne, soudainement isolée du reste du monde par un mur invisible. Avec pour toute compagnie un chien, puis une vache, et enfin une chatte (puis des chatons, puis un veau), elle raconte au jour le jour sa survie à l’écart du monde (mort ou plutôt pétrifié, peut-être par une guerre), avec comme ressources les équipements et vivres stockés là par le propriétaire de la maison forestière, un hypocondriaque. Elle plante pommes de terre et haricots, chasse (à contrecœur), explore un peu les limites de la réserve close par le mur invisible ; elle travaille dur, aussi pour ne pas se laisser aller à ses pensées.
« Ce n’est pas que je redoute de devenir un animal, cela ne serait pas si terrible, ce qui est terrible c’est qu’un homme ne peut jamais devenir un animal, il passe à côté de l’animalité pour sombrer dans l’abîme. »
Elle se conforme à l’esprit paysan, laborieux, opiniâtre et prévoyant, dépendant des saisons ; son rapport au temps évolue.
« Au moment où je revenais de la vallée, je n’avais pas encore compris que ma vie passée venait brusquement de prendre fin, ou plutôt ma tête seule le savait et c’est pourquoi je n’y croyais pas. Ce n’est que lorsque la connaissance d’une chose se répand lentement à travers le corps qu’on la sait vraiment. C’est ainsi que je n’ignore pas, comme tout un chacun, que je vais mourir, mais mes pieds, mes mains, mes entrailles l’ignorent encore et c’est pourquoi la mort me semble tellement irréelle. Beaucoup de temps s’est écoulé depuis ce jour de juin et je commence peu à peu à prendre conscience que je ne pourrai plus jamais revenir en arrière. »
« Je me demande où est passée l’heure exacte, depuis qu’il n’y a plus d’hommes. »
« Déjà, je ne suis plus qu’une fine pellicule recouvrant un amoncellement de souvenirs. »
« C’est depuis que j’ai ralenti mes mouvements que la forêt pour moi est devenue vivante. »
Son récit témoigne à un moment d’une certaine réserve vis-à-vis des hommes (ou de ses semblables) ; elle garde un bon souvenir de son défunt mari ; il me paraît excessif de considérer cet ouvrage comme "féministe" (si ce n’est qu’elle s’en sort au moins aussi bien qu’un homme).
« Je n’ai jamais eu peur la nuit dans la forêt alors qu’en ville je ne me suis jamais sentie tranquille. Pourquoi en est-il ainsi, je l’ignore, sans doute parce que dans la forêt je n’avais pas peur de rencontrer des hommes. »
« La possibilité de se décharger du travail doit être la grande tentation de tous les hommes. Et pourquoi un homme qui n’aurait plus à redouter la réprobation continuerait-il à travailler ? Non, il vaut mieux être seule. »
Elle est mentalement soutenue par la compagnie de ses bêtes, et son récit les évoque essentiellement, rapportant de fines observations.
« Quand je repense à ce premier été, il m’apparaît bien plus marqué par le souci que je me faisais pour mes bêtes que par la conscience du caractère désespéré de ma propre situation. La catastrophe ne m’avait déchargée d’une grande responsabilité que pour, sans que je le remarque, m’accabler d’un autre fardeau. Quand je pus enfin comprendre ce qui se passait, je n’étais plus en mesure d’y rien changer. Je ne crois pas qu’on puisse attribuer mon comportement à de la faiblesse ou de la sentimentalité, je ne faisais que suivre un penchant qui m’était inné et que je n’aurais pu combattre sans me détruire moi-même. C’est bien triste pour notre liberté. Il est vraisemblable qu’elle n’a jamais existé que sur le papier. Déjà on ne peut pas parler de liberté extérieure, mais je n’ai pas non plus rencontré d’homme qui ait été libre intérieurement. Et je n’ai pas éprouvé ce fait comme honteux. Je ne vois pas en quoi ce serait déshonorant de porter le fardeau imposé, comme n’importe quel animal, ni en fin de compte de mourir comme n’importe quel animal. »
Au bout d’un an, estivage à l’alpage, tandis que le monde extérieur est livré aux orties ; au-dessus de la vallée et sa forêt, elle éprouve le vaste espace, le silence et les étoiles.
« Le passé et le futur baignaient la petite île de l’ici et du maintenant. Je savais que ça ne pouvait pas durer, mais je ne me faisais aucun souci. Dans mon souvenir, l’été est assombri par des événements qui n’ont eu lieu que plus tard. Je ne sens plus combien tout a été beau, je le sais seulement. C’est une terrible différence. Pour cela, je ne parviens plus à retracer l’image de l’alpage. Mes sens se souviennent plus difficilement que mon cerveau et peut-être un jour cesseront-ils complètement de se souvenir. Avant que cela n’arrive, il faut que j’aie tout écrit. »
« Le temps passé à l’alpage avait été beau, plus beau qu’il ne le serait jamais ici, mais c’est le chalet de chasse qui était mon vrai foyer. »
Son évolution psychique est finement rendue, notamment sa confrontation directe à la réalité, ainsi hors de la société.
« Mon imagination n’était plus alimentée de l’extérieur et les désirs s’apaisaient lentement. J’étais déjà bien contente quand nous étions rassasiées, moi et mes bêtes, et quand nous n’avions pas à souffrir de la faim. »
« Depuis mon enfance, j’avais désappris à voir les choses avec mes propres yeux et j’avais oublié qu’un jour le monde avait été jeune, intact, très beau et terrible. »
(Le personnage de) Marlen Haushofer propose une intéressante définition de la littérature comme parole adressée non plus à l’autre, mais à soi-même.
« Ce qui importe c’est d’écrire et puisqu’il n’y a plus de conversation possible, je dois m’efforcer de continuer ce monologue sans fin. »
Puis c’est de nouveau l’hiver, toujours les corvées (bois, etc.), de nouvelles souffrances (fatigue, maladie), de nouvelles pertes d’animaux familiers. De nouveau alpage et fenaison. Puis un drame, la mort de son chien étant annoncée depuis longtemps, juste avant que le papier ne manque pour poursuivre le récit ; on ne saura donc rien de la suite de cette aventure.
On pense évidemment au thème de départ et fil directeur de Robinson Crusoé : un individu se retrouve seul, confronté à la nature où il doit s’organiser pour survivre.
Quoique étant le seul élément irréel du livre, l’énigmatique mur invisible en fait un roman de science-fiction à part entière, même si on a trop tendance à écarter du genre les livres de valeur. Il me semble cependant que cette frontière aberrante a surtout pour fonction de délimiter de façon plus ou moins plausible la mise à l’écart du monde de la narratrice (même si elle joue de la menace atomique hantant les années soixante) ; mais elle peut aussi être vue comme une allégorie de la finitude individuelle.
L’approfondissement des rapports avec les animaux (surtout domestiques) et la "nature" d’une part, l’introspection psychologique dans cet isolement d’autre part, constituent les deux principaux intérêts de ce roman.
Si je m’avisais de conseiller, ce livre le serait…
\Mots-clés : #nature #psychologique #sciencefiction
- le Mer 19 Oct - 12:45
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- Sujet: Marlen Haushofer
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Colin Niel
Darwyne
Darwyne, « petit pian », dix ans, vit avec « la mère », Yolanda Massily, qu’il vénère, dans leur petit carbet de Bois Sec, un misérable bidonville en bordure de forêt amazonienne (on reconnaît la Guyane). Mais les « beaux-pères » se succèdent, et un signalement fait entrer dans sa vie Mathurine, une éducatrice spécialisée du service des évaluations sociales en protection de l’enfance, quadragénaire désirant être mère qui suit un protocole de fécondation in vitro. Tous deux sont passionnés par la forêt, et c’est par elle qu’ils parviennent à communiquer.
Darwyne est « un peu sauvage », et possède une connaissance aussi intime qu’inexplicable de la sylve ; il a les pieds déformés de naissance, et semble laisser des « empreintes inversées » de pieds retournés, qui pourraient égarer ceux qui le suivent dans la forêt (c’est la légende du Maskilili en Guyane, gnome facétieux et inquiétant à l’apparence d’enfant qui fourvoie les chasseurs suivant ses traces de pieds à l’envers).
Jhonson, le dernier « beau-père » en date, constate que la végétation croît sans cesse dans leur petit terrain, et que des animaux sauvages rendent visite à Darwyne, qu’il n’apprécie guère (et réciproquement) ; un malaise puis la peur le prennent peu à peu, alors que ses prédécesseurs ont tous disparus… Yolanda avoue ne pas aimer cet enfant, qu’elle considère comme « animal » et maltraite de façon insidieuse.
« Mais si Mathurine en sait beaucoup plus qu’elles qui n’ont jamais observé un singe hors de l’enceinte d’un zoo, elle est surtout consciente de l’immensité de son ignorance. Qu’elle ne détecte qu’une infime partie de ce qui se trame en ces lieux. Qu’elle passe à côté de bien des espèces, trop discrètes pour se laisser entrevoir, de bien des traces dans l’humus noir ou sur les troncs suintants. Sans parler de tous ces dialogues chimiques qui, paraît-il, relient les arbres entre eux. C’est peut-être ce qu’elle aime le plus, d’ailleurs : cette impression d’être dépassée par le monde qui l’entoure. Cette certitude que, quoi qu’elle fasse, quoi qu’elle apprenne, l’Amazonie conservera sa part d’inconnu. Sa part de magie, quand tout ailleurs est devenu si rationnel et maîtrisé. »
« Se dit qu’en vérité, il y a quelque chose de terrible dans cette coupure entre ces jeunes et l’immensité du monde vivant qui les entoure. Que c’est l’un des grands drames de l’humanité moderne, que plus personne ne soit capable de mettre un nom sur le moindre volatile. Que c’est cette ignorance qui pousse les humains à détruire cette part du monde qu’à présent ils appellent nature, qui au fil des siècles leur est devenue étrangère. »
« Beaucoup plus que de se faire piquer par un insecte ou un serpent, s’il y a bien un danger en forêt amazonienne c’est celui-là : se perdre. »
« Mais à défaut d’être silencieuse, la forêt est muette. »
Yolande se perdra en forêt après le glissement de terrain qui emporte Bois Sec (autre actualité guyanaise récente, avec l’immigration clandestine).
La partie fantastique du livre restera suggérée ; je m’interroge sur la prégnance si partagée de l’imaginaire mythique (et de la perte en forêt) dans les évocations de la sylve amazonienne, y compris chez ce scientifique habitué à la Guyane… (À ce propos, les allobates, les adénomères et les dendrobates sont des amphibiens).
\Mots-clés : #contemythe #nature #social
- le Jeu 13 Oct - 13:53
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- Sujet: Colin Niel
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Nick Hunt
Où vont les vents sauvages − Marcher à la rencontre des vents d’Europe des Pennines jusqu’en Provence
Quatre randonnées, quatre marches vers un vent d’Europe, l’helm (nord de l’Angleterre), la bora, le fœhn et le mistral, d’un écrivain voyageur qui s’intéresse à la météo et son rapport aux hommes.
L’helm, seul « vent nommé » du pays :
« Seul dans ce lieu déserté, je découvris bientôt ce que les femmes de Kirkland avaient voulu dire en parlant de hurlements et de gémissements. Quelque chose avait dû se modifier dans la qualité de l’air, car le son du paysage changea soudain : par-dessus les souffles en rafales qui explosaient régulièrement à mes oreilles, un mystérieux murmure stagnant comme des distorsions de microphones s’élevait, une sorte de conversation malicieuse entre une dizaine de petites voix accompagnées d’un sifflement qui suggérait des branches et des spirales, des motifs complexes comme tissés dans l’air et sous tout cela, la complainte d’un animal en détresse. »
Le récit de la randonnée et les observations attentives d’Hunt alternent avec des commentaires scientifiques, historiques et culturels, allant jusqu’à une approche de Turner, qui « vénérait le pouvoir du climat. »
« Cette expérience illustrait un point basique, qui me rendrait bien service lors de mes marches : sans la disposition d’esprit nécessaire pour entrevoir un chemin, j’étais incapable de trouver le mien. Sans elle, je me perdais. »
Il me semble que la traductrice a rendu "aéraulique" par "hydraulique", ce qui, avec d’autres expressions louches, est assez fâcheux. Et c’est sans compter avec les termes non traduits sans explication, comme curricks (sorte de cairns de la région) …
La bora, vent aride qu’il cherche à partir de Trieste sur le haut plateau karstique de Slovénie puis la côte adriatique et des montagnes de Croatie, passant par des îles (camp de concentration des fascistes italiens, puis allemands et enfin des communistes yougoslaves de Tito) pour atteindre finalement Split – qu'il rencontre enfin, d’abord la bora noire, puis la blanche.
« Une chose énorme flottait dans l’air. »
« C’était moins un bruit qu’une sensation, une chose sans nom avec une énergie propre, qui effaçait la ligne de séparation entre entendre et éprouver ; pour la première fois de ma vie, je compris le son comme une force physique. »
Hunt se trouve au long de son périple pris dans le jugo, « variante locale du sirocco », vent du Sud chaud et humide, "malsain", en lutte avec l’air froid et sec du Nord contenu par le relief au-dessus de l’Adriatique.
J’ai trouvé étonnant de parler de Trieste sans évoquer Magris ; en fait les références littéraires d’Hunt sont nombreuses, quoique monomaniaques : il ne semble intéressé que par les vents !
Même un mot anglais comme golliwog (poupée de chiffon noire) n’est pas explicité ; j’ai cru comprendre que le pršut est du jambon cru (cf. prosciutto). Il me semble que l’éditeur aurait pu investir davantage dans l’appareil critique de cet ouvrage.
Puis c’est le fœhn, duquel il part à la recherche dans les Alpes suisses et liechtensteinoises. Hunt prépare son excursion sur des cartes :
« Répartie sous forme de vallées nombreuses finement ridées, avec des fractales de chaînes de montagnes violettes qui se ramifiaient et se subdivisaient, la complexité topographique de ce pays me déconcertait une fois de plus ; cela ressemblait moins à un voyage potentiel qu’aux lobes et aux hémisphères d’un cerveau distendu et informe. »
« La topographie rendait la perspective trompeuse. Ce qui semblait une simple balade sur la carte était rallongé par les contours des collines, les kilomètres comprimés comme une information encodée par un circuit imprimé. »
Comme pour la bora, les autochtones se plaignent d’affections attribuées au foehn (maux de tête, « nervosité », et même « la dépression, l’anxiété et le désespoir suicidaire »). Hunt croise aussi la tramontane et la bise.
Parti du lac de Constance et parvenu à celui de Genève en suivant le Rhin, la Reuss et le Rhône, il descend ce dernier avec le mistral dans le dos.
« Le mistral semblait résider à l’intérieur des terres, et pas simplement y passer. »
Évocation de Van Gogh en Arles :
« Mais ce que son travail au pinceau capte peut-être mieux que tout, c’est le tumulte de l’air. David Abram le formule bien : "Même dans ses autoportraits, l’air n’est jamais calme, autour de Vincent – les coups de pinceau caractéristiques ploient et s’épanchent autour de sa tête comme de l’air en mouvement, que l’on peut même voir s’insinuer dans ses vêtements, dans ses traits. L’air se tord et se répand sous forme de torsades et de tourbillons perturbés, inlassablement." »
Traversée de la steppe de la Crau :
« Je m’étais arrêté là de façon relativement simple, parce que le monde, débarrassé de facteurs de complication, était réduit à ses plus simples éléments : il n’y avait que la terre et le ciel, et l’air qui se précipitait entre les deux. »
« Cette vague sèche refluait vers la mer. Je n’étais qu’un rocher de plus pris dans son courant. Pour la première fois depuis que je marchais, je compris – du moins durant une seconde – ce qu’il se passait vraiment autour de mon corps, sous ma peau ; les molécules d’air, qui filaient à toute allure de hautes à de basses pressions avec leur cargaison d’ions chargés, redressaient une balance atmosphérique déséquilibrée. Ce qui paraissait une force violente, déchirante, était en fait le rétablissement de la paix ; ce qui semblait un mouvement déchaîné était une tentative d’atteindre la quiétude.
Où le vent va-t-il, en réalité ? Où commence et où finit-il ? Il voyage, mais il n’arrive jamais, il erre partout et nulle part. Nous nageons dans une mer invisible d’atomes. Chercher à savoir où un souffle particulier termine son parcours et où un autre l’entame revient à vouloir voir l’endroit où deux océans se rejoignent. De ce point de vue, les vents sont différents des marches, pour lesquelles les fins et les débuts constituent des frontières fondamentales. Et pourtant, d’un autre point de vue, les vents sont comme les marcheurs. Ces derniers sont attirés dans le vaste monde – pas tant poussés dans le dos, qu’aspirés par les mystérieux vides de compréhension qui les attendent plus loin –, mais bien souvent sans être conscients des pressions qui les contraignent. Ils voyagent d’un endroit à l’autre dans l’attente que ces pressions s’équilibrent. Jusqu’à ce qu’ils gagnent une plaine assombrie. Et atteignent la quiétude. »
\Mots-clés : #nature #voyage
- le Dim 18 Sep - 13:05
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Cormac McCarthy
Des villes dans la plaine
Dans ce troisième tome de la Trilogie des confins nous retrouvons John Grady Cole (De si jolis chevaux) et Billy Parham (Le grand passage), qui travaillent ensemble comme cow-boys dans un ranch au Nouveau-Mexique, à la frontière du Texas et du Mexique (région économiquement défavorisée et que l’armée va réquisitionner). On retrouve aussi les dialogues laconiques de rudes taiseux dans un récit où l’action est lente, et qui détaille les gestes du savoir-faire passionné des chevaux.
John Grady tombe amoureux d’une très jeune prostituée dans un bordel de Juárez (Mexique) : c’est la belle Magdalena, par ailleurs épileptique, aux mains de son proxénète, Eduardo, et de l’alcahuete (entremetteur) de ce dernier, Tiburcio. John Grady va jusqu’à vendre son cheval pour la racheter par l’entremise de Billy, qui rencontre Eduardo ; il rafistole une petite maison d’adobe en ruine dans la montagne.
Les temps changent ; le vieux M. Johnson :
« Au bout d’un moment le vieil homme dit : Le lendemain de mes cinquante ans en mars 1917 je suis allé à cheval jusqu’au puits de Wilde, là où était la maison du ranch dans le temps, et il y avait six loups morts suspendus à la clôture. J’ai longé la clôture en passant la main dans leur fourrure. Je regardais leurs yeux. Un trappeur de l’administration les avait apportés là la veille au soir. On les avait tués avec des appâts empoisonnés. De la strychnine. Ou autre chose. Là-haut dans les Sacramentos. Une semaine plus tard il en a encore apporté quatre. Je n’ai pas entendu de loups dans le pays depuis. Sans doute que c’est une bonne chose. Ils peuvent être terribles pour le bétail. Mais je crois que j’ai toujours été comme qui dirait superstitieux. Je n’étais pas quelqu’un de religieux, certainement pas. Et j’ai toujours pensé qu’une créature peut vivre et mourir mais que la sorte de créature qu’elle était serait toujours là. Je ne savais pas qu’on pouvait tuer ça avec du poison. Voilà plus de trente ans que je n’ai pas entendu le hurlement d’un loup. Je me demande où il faudrait aller pour en entendre un. Il n’existe peut-être plus d’endroit comme ça. »
Impressionnante chasse au lasso des chiens sauvages qui tuent les veaux dans le chaparral.
Considérations sur le Mexique où les gens sont extrêmement accueillants, où on est vite tué.
Un vieux maestro mexicain aveugle (celui de Le grand passage ?) sympathise avec John Grady, lui apprend qu’Eduardo est amoureux de Magdalena, et lui raconte l’histoire d’un mourant qui demanda à son ennemi de devenir le padrino (parrain) de son enfant.
Le plan de John Grady pour l’évasion de Magdalena échoue : elle est égorgée par Tiburcio. John Grady tue Eduardo qu’il a provoqué dans un duel au couteau, et meurt de ses blessures. Billy rapporte son corps aux États-Unis, comme autrefois celui de son frère.
Billy, soixante-dix-huit ans, est devenu un vagabond. Il rencontre un autre vagabond (métaphysicien) qui lui raconte son rêve d’un vagabond se réveillant de son propre rêve dans une sorte de cérémonie sacrificielle antique (et peut-être mésoaméricaine).
« Le narrateur eut un sourire mélancolique comme un homme qui se souvient de son enfance. Ces songes-là nous révèlent aussi le monde, dit-il. Nous nous souvenons à notre réveil des événements dont ils se composent alors que le récit est souvent fugace et difficile à retenir. C’est pourtant le récit qui donne vie au rêve alors que les événements eux-mêmes sont souvent interchangeables. D’un autre côté les événements qui se produisent quand nous sommes éveillés nous sont imposés et le récit est l’axe insoupçonné autour duquel leur trame doit être tissée. Il nous appartient de peser et de trier et d’ordonner ces événements. C’est nous qui les assemblons pour en faire l’histoire que nous sommes nous. Tout homme est le poète de sa propre existence. C’est ainsi qu’il se rattache au monde. Car s’il s’évade du monde qu’il a rêvé cette évasion est à la fois sa punition et sa récompense. […]
Aux heures de veille le désir qui nous pousse à façonner le monde à notre convenance conduit à toutes sortes de paradoxes et de difficultés. Les choses en notre pouvoir sont agitées de profondes turbulences. Mais dans les rêves nous nous trouvons dans cette vaste démocratie du possible et c’est là que nous devenons d’authentiques pèlerins. Que nous allons au-devant de ce que nous devons rencontrer. »
\Mots-clés : #amitié #amour #aventure #mort #nature #violence
- le Sam 17 Sep - 14:09
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- Sujet: Cormac McCarthy
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Élisée Reclus
Étude sur les dunes
Observations sur la mécanique des dunes, dans les Landes notamment, mais pas uniquement. Comment provoquer leur formation, et surtout les moyens de les fixer. Une fois de plus, je suis enchanté par ces phénomènes naturels tels que les décrit Reclus, que ce soit les habitants obligés de transférer leurs villages face à leur avancée, où les étangs qui reculent en montant derrière elles.
« D’abord séparées de l’Océan par un mince cordon de sable, comme il s’en forme souvent sur les plages basses, ces baies changées en étangs ont été peu à peu repoussées vers l’intérieur des terres par les sillons parallèles des dunes. Sous l’énorme pression des sables, elles ont gravi, pour ainsi dire, la pente du continent. […]
Ainsi les grains de sable que le vent pousse devant lui ont suffi, pendant le cours des siècles, à changer des golfes d’eau salée en étangs d’eau douce et à les porter dans l’intérieur du continent à une hauteur considérable au-dessus de l’Atlantique. »
Déjà que j’aimais les dunes…
\Mots-clés : #essai #nature
- le Ven 2 Sep - 17:50
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- Sujet: Élisée Reclus
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Kenneth White
La Maison des marées
Écossais devenu Français, Kenneth White s’est installé à Trébeurden près de Lannion, Côtes-du-Nord devenues Côtes-d’Armor, après dix-sept années passées dans le Sud-Ouest.
Lu après Le phare, voyage immobile, de Paolo Rumiz, dans un esprit proche – la mer, son « esprit pélagien » − (et de même origine – bouquinerie Emmaüs, avec peut-être, qui sait, le même ancien propriétaire), ce livre est aussi un « voyage immobile », évoque également le goût du « mauvais temps », et porte le même message, celui du gâchis par l’espèce humaine de notre environnement. Avec sa composante « celte » et son appétit de jouissance de l’existence, White rapporte son quotidien de bibliophile en « l’atelier océanique », sans omettre les visites intempestives d’éclopés, manuscrits en mal d’éditeur et autres indésirables qui abondent.
« C'est surtout quand la pluie tourbillonne autour de la maison que j'aime lire de vieux livres et consulter d'anciennes cartes. »
« Il y a une musique du paysage. On l’a rarement écoutée. Avant la civilisation, oui, peut-être – et encore. Peut-être les hommes primitifs guettaient-ils uniquement les bruits, les sons qui concernaient leur survie : le craquement d’une branche signalant l’approche d’un animal, le vent qui annonce la tempête… Loin d’entrer dans le grand rapport, ils rapportaient tout à eux. Il est possible que j’exagère. Peut-être qu’ici et là il y avait des oreilles pour écouter la musique pure du paysage qui n’annonce rien. Ce qui est sûr, c’est qu’avec l’arrivée de la civilisation et surtout son développement, on n’écoute plus rien de tel. Le civilisé écoute les harangues politiques, il écoute les homélies religieuses, il écoute toutes sortes de musiques préfabriquées, il s’écoute. Ce n’est que maintenant (la fin de la civilisation ?) que certains, ces solitaires, des isolés, se remettent à écouter le paysage. »
« Quand je ne peux pas me concentrer sur autre chose, je note tout ce que je vois, tout ce que j’entends. C’est fou la quantité de détails que l’on remarque de cette manière-là, et le sens aigu de la réalité que cela procure. »
L'étalage béat de son bonheur de privilégié, la moquerie des indésirables qui le dérangent m'ont cependant un peu indisposé.
\Mots-clés : #autobiographie #contemporain #nature #ruralité #viequotidienne
- le Lun 25 Juil - 12:01
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- Sujet: Kenneth White
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Pierre Moinot
Le Guetteur d’ombre
Le narrateur revient dans la région où il a ses habitudes de chasse saisonnière au cerf. C’est l’époque du brame, et il chemine bientôt seul dans la forêt, dans une quête qui n’est pas que celle de son gibier, qu’il apprend à connaître, interprétant les traces, menant de long affûts.
« …] j’ai toujours cherché quelque chose, au-delà. »
C’est un journaliste qui eut une expérience d’ethnographie en Afrique, et une enfance marquée par la recherche des silex taillés préhistoriques ; le texte passe parfois au "je". Son ami le vieux garde est gravement malade ; plusieurs femmes gravitent autour de lui.
S’opposent la nature et la cité de laquelle il s’est temporairement retiré, dans un élan à caractère génésique où remontent les souvenirs, sa compagne (une restauratrice de peinture) et sa fille pour les plus récents ; il médite sa destinée, songe au passage du temps dans l’humanité (archéologie) comme dans son existence.
« Qu’est-ce que c’est que ma vie quand l’ayant si fortement remplie, je la sens si vide ? Le piège est fermé. Les gestes ne conduisent qu’à des usures. »
Prégnance des odeurs, chez l’humain comme chez l’animal. Observations sur la forêt, et notamment les cerfs, comme le « page » du vieux mâle qu’il cherche.
On retrouve la notion de mètis dont parle Marc Giraud dans Darwin, c’est tout bête :
« Ainsi le garde, qui recommandait de se mettre à la place des cerfs, prétendait-il que celui-là avait déjà su deviner ce qu’attendait son chasseur, pour le déjouer. »
Les remarques d’ordre psychologique sont également intéressantes :
« Elle l’exhortait dans ce moment toujours difficile où il devait enfin se séparer d’elle, où le départ, au fur et à mesure qu’il se rapprochait, brouillait les espoirs du voyage. »
J’ai retrouvé là nombre de mes préoccupations sur le rapport à la nature.
\Mots-clés : #mort #nature #ruralité #solitude #traditions
- le Mar 19 Juil - 12:35
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- Sujet: Pierre Moinot
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Denis Diderot
Le Rêve de d'Alembert
Relecture de ces trois dialogues imaginaires qui m’ont enthousiasmé à l’époque, La Suite d'un entretien entre M. d'Alembert et M. Diderot, Le Rêve de d'Alembert et Suite de l'entretien précédent. Cette fois j’ai lu une introduction de Colas Duflo, qui présente utilement la situation, dans la pensée du XVIIIe, des monisme et dualisme (existence d’une âme immatérielle), du vitalisme et surtout du matérialisme (sensibilité de la matière).
« …] un matérialisme nourri de la connaissance de la science et de la philosophie de son temps, avec ce qu'elles impliquent comme compréhension du vivant et de la nature en son ensemble [… »
Cette conception me paraît féconde à la lumière des découvertes ultérieures, notamment celle de l’évolution du vivant ; la question est le « passage de la matière inerte à la matière sensible », et de l’animal à l’homme, à la pensée.
Des notions puissantes, tel que la « grappe d’abeilles », l’essaim comme organisme (organisé !), et la conscience (de soi) qui repose sur la mémoire…
« C'est que tout tient dans la nature, et que celui qui suppose un nouveau phénomène, ou ramène un instant passé, recrée un nouveau monde. »
Cet extrait d'une belle méditation...
« Tout change. Tout passe. Il n'y a que le tout qui reste. Le monde commence et finit sans cesse. Il est à chaque instant à son commencement et à sa fin. Il n'en a jamais eu d'autre, et n'en aura jamais d'autre. »
... entre en résonance avec la lettre de Diderot à Sophie Volland le 15 octobre 1759 :
« Le sentiment et la vie sont éternels. Ce qui vit a toujours vécu et vivra sans fin. La seule différence que je connaisse entre la vie et la mort, c'est qu'à présent vous vivez en masse, et que dissous, épars en molécules, dans vingt ans d'ici vous vivrez en détail. »
… qui elle-même semble introduire celle-ci :
« La vie ? Une suite d'actions et de réactions… Vivant, j'agis et je réagis en masse… mort, j'agis et je réagis en molécules… Je ne meurs donc point… Non, sans doute, je ne meurs point en ce sens, ni moi, ni quoi que ce soit… Naître, vivre et passer, c'est changer de formes… Et qu'importe une forme ou une autre ? Chaque forme a le bonheur et le malheur qui lui est propre… »
L’Encyclopédie, le Supplément au Voyage de Bougainville, nombre d’auteurs anciens ou plus récents alimentent ces causeries exposant les idées de Diderot. Au-delà de l’intérêt historique ou épistémologique, et même incapable d’y démêler ce qui est dorénavant infirmé du possible, c’est une belle écriture, dont la lecture, comme celle de Lucrèce, Darwin (ou encore Hubert Reeves), enthousiasme l’esprit !
\Mots-clés : #nature #philosophique
- le Ven 13 Mai - 12:59
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- Sujet: Denis Diderot
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Edward Abbey
Le Feu sur la montagne
Billy, douze ans, revient passer les grandes vacances d’été dans le ranch de son grand-père, dans le désert du Nouveau-Mexique (j’imagine aisément son bonheur).
« Les arbres étaient vivants, en proie à une douce excitation, ils murmuraient, ils profitaient de la meilleure heure de la journée. Le soleil levé, ils allaient devoir entrer en somnolence pour traverser la chaleur desséchante du jour. Je savais ce qu’ils pouvaient ressentir. Je savais ce qu’ils ressentaient. »
« Les vaches, qui pouvaient aller et venir à leur guise, mangeaient ce qu’elles trouvaient, mais ne pouvaient se contenter de cette maigre végétation pour survivre. Elles broutaient les rudes arbustes du désert – les buissons d’acacias, de chamisas, de cliffroses, d’éphèdres et de mesquites. Quand les temps étaient durs, quand les temps étaient très durs, elles pouvaient même manger les figues de Barbarie, parfois avec l’aide de leur rancher qui passait d’abord ces cactus au lance-flammes pour en brûler les épines. Si ça ne suffisait pas, le rancher devait acheter du fourrage. S’il se ruinait en fourrage, il n’avait plus qu’à vendre son bétail et attendre la pluie, attendre une meilleure année. Si la pluie tardait trop à venir, il vendait son ranch ou laissait la banque le lui prendre. Plus le ranch était petit, plus ce risque était grand, et mon Grand-père Vogelin était un des rares ranchers indépendants qui fût parvenu, bon an mal an, à survivre à la grande roue de la sécheresse et de la crise. Il s’en était rarement bien sorti, mais il s’en était toujours sorti. »
Mais voilà, le gouvernement l’expulse « pour l’agrandissement du Champ de Tir de Missiles de White Sands ». Comme divulgâché par Topocl, le vieil homme résistera jusqu’au bout. Hymne au dégagisme sur le mode western.
« Vous êtes, monsieur, le seul homme de toute cette région à refuser d’admettre que la sécurité nationale prime sur la propriété privée et sur les sentiments individuels. »
\Mots-clés : #insurrection #nature
- le Mer 11 Mai - 12:19
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- Sujet: Edward Abbey
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Marc Giraud
Darwin, c’est tout bête - Mille et une histoires d’animaux pour comprendre l’évolution
« En tant que naturaliste de terrain (ce qui veut dire "amateur d’observations in situ"), je vous propose une approche de l’illustre Darwin qui n’est ni celle de la génétique, ni celle de la philosophie, ni celle de l’histoire, mais plutôt le point de vue du zoologiste ou de l’éthologiste, voire de l’écologiste. »
Tout l’intérêt de ce livre est dans la vulgarisation claire, voire plaisante, de la fameuse « transmutation des espèces » élaborée par ce biologiste majeur – rien moins que l’histoire de la vie. En effet, cette théorie est aussi délicate à manipuler que sujette à mésinterprétation ; les œuvres écrites de Darwin sont difficiles à apprécier par le néophyte, en dehors du plaisir littéraire : on accède malaisément à son exégèse, qui par ailleurs n’est pas achevée, ou au moins ne fait pas entièrement consensus.
De plus l’ouvrage est très bien structuré :
Sommaire a écrit:Avant-propos de l’auteur
I La vie originale d'un naturaliste
Darwin, un drôle d'oiseau
- Quelques dates clés
- La nature est son école
- Darwin part en bateau
- Le Darwin nouveau est arrivé
- Des vers de terre chez les Darwin
II La théorie de l'évolution
Et les animaux apparurent
- La vérité vint des asticots
- Les idées bougent, les animaux s'animent
- Les fossiles, archives de l'évolution
Les animaux évoluent
- Rendez-vous manqué avec les pinsons
- Sélection artificielle chez les pigeons
- La " lutte " pour la vie
- Publication de L'Origine des espèces
- Un oiseau surgi du sol
Les animaux succèdent aux animaux
- L'évolution des organes
- Les ancêtres du cheval et de la baleine
- Au fait, qu'est-ce qu'une espèce ?
- Les vacheries de la classification
L'évolution en marche
- L'apparition des espèces en direct
- L'énigme ornithorynque
- Les animaux évoluent ensemble
III L'évolution de la théorie
Les animaux d'adaptent, la théorie aussi
- Des petits pois et des petites mouches
- Du nouveau dans la théorie
- Le sexe des crocodiles
Bêtes de sexe
- La sélection sexuelle
- Quand il y a des gènes, il y a du plaisir
- La loi « du plus fort » n’est pas toujours la meilleure
Les animaux s'entraident
- La sélection familiale
- Associations de bienfaiteurs
Les animaux s'expriment
- L'évolution des comportements
- Les primates nous épatent
Les animaux nous posent question
- Les mammifères marrants
- Les animaux vont nous manquer
IV – Conclusion
Y a-t-il un naturaliste dans la salle ? (Coupés de la nature)
Postface de Claude Sastre (Paroles de botaniste)
Annexes
- Le divin scarabée péteur
- Interro surprise
Bonnes adresses (Des sites à citer)
Bibliographie
Remerciements
Index des noms propres
Index des noms d’espèces
(Merci aux éditions Laffont de penser à mon petit cadeau pour avoir corrigé et complété le sommaire disponible sur leur site internet.)
D’abord, l’homme est admirable : doué d’empathie comme de curiosité pour tout ce qui est vivant, Darwin est aussi d’une ouverture d’esprit et d’une rigueur exemplaires.
« Dans ses écrits, il ne prétend pas expliquer tout, il ne dissimule pas ses questions, et c’est là sa force. Il fonde sa démarche sur d’innombrables exemples, mais, quand il repère une faille dans sa théorie, il l’expose, désireux de stricte vérité. »
(Il est frappant de constater que Darwin part, dans sa progression scientifique, de la découverte du "temps long" de la géologie, et de l’évolution géologique de la planète, apport peut-être plus déterminant que l’existence des fossiles.)
D’abord, la notion principale (et on notera que notre espèce ne tient toujours pas compte du fait que notre planète est un espace limité) :
« La limitation des ressources, et le partage de l’espace entre les espèces a toujours existé dans la nature. Cette notion de limite fut l’épine dorsale de la théorie de Darwin. […]
Les éléphants nous montrent que seuls les individus les mieux adaptés aux contraintes du milieu survivent. »
« Pour Charles Darwin, l’évolution est une lente succession de petites variations progressives. »
Mais des bonds à ces gradations progressives il semble bien que soient également retenus par la sélection naturelle de grands sauts évolutifs par mutation.
« L’hypothèse de la Reine Rouge », qui explique comme il faut toujours avancer pour garder un équilibre dans la concurrence des espèces (notamment entre prédateurs et proies) en une sorte de « course aux armements » perpétuelle, est particulièrement bien présentée.
De même est rendu de manière captivante le handicap séducteur des caractères sexuels secondaires (bois des cerfs, queue des paons, etc.) – et quelle diversité dans les stratégies pour assurer sa descendance individuelle !
À propos de l’éthologie et de nos rapports aux animaux qui ont parfois une intelligente plus différente qu’inférieure à la nôtre :
« Par un effet de miroir étonnant, considérer l’intelligence animale nous rend plus intelligents. Nous sommes en train de redécouvrir la mètis, une forme de pensée oubliée des Grecs anciens. Mélange de flair, d’inventivité, de souplesse d’esprit, d’attente vigilante, de sens de la prévision, de ruse et d’intelligence, la mètis s’apprend au contact intime des animaux. Utile au chasseur qui doit deviner le comportement de sa proie, elle consiste à se mettre dans la peau de l’autre et à adopter sa vision du monde. Cette stratégie de rapport à l’altérité et à la nature, s’applique aussi bien aux hommes qu’aux bêtes. »
Les perspectives de l’espèce humaine (livre publié en 2009) sont à peine esquissées, mais…
« Selon Robert Barbault, la sélection économique a en partie pris la place de la sélection naturelle en suivant des mécanismes semblables. Sous cet angle, on peut considérer l’humain de demain comme une créature destinée à multiplier des euros ou des dollars, manipulé non pas par un gène égoïste, mais par un "argent égoïste" amoral et inhumain. Nous en constatons déjà les effets, notamment avec la politique froidement commerçante des multinationales. Quels que soient les progrès espérés des manipulations génétiques, nous pouvons aussi en craindre les dérives mercantiles. L’expansion imposée des cultures OGM dans le monde, la traque des cultivateurs canadiens, les suicides en masse des paysans indiens face à cette dictature économique n’indiquent pas une évolution vers un mieux-être de l’humanité.
L’être humain est à ce point dominant sur la planète que le seul animal capable de lui nuire, c’est lui-même ! D’où cette deuxième réversibilité de l’évolution, ou plutôt cet effet boomerang : les sélections culturelle et économique, dégagées des contraintes naturelles, se heurtent désormais aux conséquences mêmes de leur action sur l’environnement. »
J’ai aussi beaucoup apprécié l’attention attirée sur de mauvaises interprétations, trop littérales, des termes comme « la lutte pour la vie » :
« Le mot "adaptation" implique à tort une idée de réponse à l’environnement, comme si un animal donné se transformait spontanément selon ses besoins. "Exaptation" est plus exact, car il montre que c’est ce que possède déjà l’animal qui peut être sélectionné. L’hérédité n’est pas modifiée par l’usage ou le non-usage mais seulement triée. »
Une excellente introduction à cette découverte essentielle, et un complément approprié aux lectures des biologistes, éthologistes et écologistes, notamment Stephen Jay Gould, Richard Dawkins et Pascal Picq.
\Mots-clés : #biographie #ecologie #nature #science
- le Jeu 5 Mai - 12:50
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Edouard Bureau

La Grande Vallée
Sur l’alpage de la Grande Vallée, on partage fromages et eau-de-vie entre amis, les chevriers mènent leur troupeau vers les herbes les plus grasses. Ils rêvent d’étoiles, d’amour et de chansons. Tout n’est que splendeur, ce monde semble immuable…
Et pourtant arrive au village le Grand Batave, un gars du Nord qui prêche le Progrès et la Grande Industrie. S’il séduit les villageois, Merle et La Barbe, les deux chevriers, la vieille sorcière Dania et le peintre-musicien voient bien que c’est la fin d’un temps qu’ils ont aimé. Leur révolte sera terrible, magnifique, déchirante, dans le feu et la neige.
Les chevriers parlent comme des poètes, les biquettes philosophent plaisamment. La beauté des paysages et le silence sont source de ce grand bonheur qui ne veut renoncer à lui-même. Ramuz n’est pas loin.
Un conte, une aventure, un combat.
\Mots-clés : #nature #social
- le Mer 27 Avr - 14:45
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Doug Peacock
Une guerre dans la tête
Doug Peacock évoque sans relâche son « vieil ami, l’écrivain anarchiste Edward Abbey », mentor paternel qu’il fréquenta vingt ans, jusqu’à sa mort comprise, et auteur de Le Gang de la Clef à Molette où Doug apparaît sous les traits de Hayduke.
Voilà un texte assez décousu qui mêle marches souvent solitaires dans différents paysages, évidemment les zones arides états-uniennes, mais aussi, en alternance, le Dhaulagiri au Thibet (sur les traces de la panthère des neiges, où il a une hémorragie dans la gorge, comme Abbey mortellement malade). Revient également de façon récurrente le souvenir traumatique du Vietnam, le vécu de son syndrome du vétéran, l’impression laissée par le massacre de My Lai. Toujours partagé entre son foyer et ses « moyens primitifs d’introspection – la marche, la solitude, le contact avec la nature − », Peacock se reconnaît (et est officiellement reconnu comme) asocial.
« Cela me convenait parfaitement : un paysage désert est un antidote au désespoir. »
« J’avais toujours vu dans la chasse la clef de voûte de l’évolution humaine. »
« Je crois que pour moi, les hélicoptères représentent le Mal en personne. Au Vietnam, ils semaient la mort à tout vent dans le ciel, en toute impunité. »
« D’avoir lâché prise, d’avoir chuté, m’avait calmé. La mort n’est pas l’adversaire de la vie, me dis-je, l’ennemie, c’est la peur d’appréhender la vérité, la crainte d’une véritable introspection. Ed m’avait appris cela, et ce soir-là j’éprouvai avec humilité la vérité de ses paroles. En fin de compte, il fallait lâcher prise, laisser aller la colère, le désir de possession et les attachements, laisser aller jusqu’au désir. »
« Je frôlai un genévrier et m’arrêtai soudain ; je sentais une odeur âcre de sécrétions félines, trop puissante pour provenir d’un simple chat sauvage. Je le savais d’expérience, car j’étais depuis longtemps familier de l’odeur des lynx, et j’avais un jour eu la bonne fortune de pouvoir sentir l’odeur fraîche d’un jaguar dans la Sierra Madré et, chose encore plus rare, celle d’un tigre de Sibérie, sur la rive d’un fleuve de l’Extrême-Orient russe. Cette région n’était pas une zone de jaguars, l’odeur provenait donc d’un couguar. La piste était toute fraîche. »
« La guerre est elle aussi un voyage initiatique. »
Considérations sur les vestiges indiens : les kivas (chambres cérémonielles des Indiens Pueblos, généralement de forme circulaire), les peintures rupestres avec Kokopelli, le joueur de flûte mythique ; évidemment rencontres avec des grizzlis ; fantasmes de félins.
On perçoit le désarroi de Peacock, où sourd aussi, parmi de déchirantes contradictions, une sorte d’élan mystique, ou plutôt un sens du sacré.
\Mots-clés : #amérindiens #ecologie #guerre #guerreduvietnam #initiatique #mort #nature
- le Jeu 21 Avr - 12:31
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Cormac McCarthy
Le grand passage
Dans le sud des États-Unis, à proximité de la frontière mexicaine, Billy Parham, seize ans, son frère Boyd, quatorze ans, et leur père Will tentent de piéger une louve solitaire. Remarquables observations sur la faune sauvage :
« Les éleveurs disaient que les loups traitaient le bétail avec une brutalité dont ils n’usaient pas envers les bêtes fauves. Comme si les vaches avaient éveillé en eux on ne savait quelle fureur. Comme s’ils s’étaient offensés d’on ne savait quelle violation d’un ordre ancien. D’anciens rites. D’anciens protocoles. »
« À la nuit elle descendait dans les plaines des Animas et traquait les antilopes sauvages, les regardant s’enfuir et volter dans la poussière de leur propre passage qui s’élevait du fond du bassin comme une fumée, regardant l’articulation si exactement dessinée de leurs membres et le balancement de leurs têtes et la lente contraction et la lente extension de leur foulée, guettant parmi les bêtes de la harde un signe quelconque lui désignant sa proie. »
« Elle passa près d’une heure à tourner autour du piège triant et répertoriant les diverses odeurs pour les classer dans un ordre chronologique et tenter de reconstituer les événements qui avaient eu lieu ici. »
Elle est finalement capturée par Billy, qui a recueilli les paroles d’un vieux trappeur renommé ; il décide de la ramener au Mexique d’où elle est venue. Péripéties western avec cowboy typiquement impavide, insondable. Il est généralement bien reçu quand il rencontre quelqu’un ; on lui offre un repas et il remercie ponctuellement. Aussi confirmation que l’imaginaire autour du loup est le même partout, y compris au Mexique, dont une esquisse est donnée.
« Ceux qui étaient trop soûls pour continuer à pied bénéficiaient de tous les égards et on leur trouvait une place parmi les bagages dans les charrettes. Comme si un malheur les eût frappés qui pouvait atteindre n’importe qui parmi ceux qui se trouvaient là. »
Billy préfère tuer lui-même la louve recrue dans un combat de chiens.
Puis il erre dans la sierra ; il y rencontre un vieux prêtre « hérétique » qui vit dans les ruines d’un tremblement de terre (le « terremoto » de 1887 ; il y a beaucoup de termes en espagnol/mexicain, et il vaut mieux avoir quelques notions et/ou un dictionnaire).
« Tout ce dont l’œil s’écarte menace de disparaître. »
« Si le monde n’est qu’un récit qui d’autre que le témoin peut lui donner vie ? »
« Alors que penser de cet homme qui prétend que si Dieu l’a sauvé non pas une mais deux fois des décombres de la terre c’est seulement pour produire un témoin qui dépose contre Lui ? »
Billy rentre chez lui, et découvre que ses parents ont été massacrés par deux voleurs de chevaux.
Il repart au Mexique avec Boyd. Les deux sont de très jeunes blonds (güero, güerito), et à ce titre sont généralement considérés avec sympathie ; ils deviendront vite renommés suite à leurs contacts avec alternativement de braves gens et des brigands.
« Une créature venue des plateaux sauvages, une créature surgie du passé. Déguenillée, sale, l’œil et le ventre affamé. Tout à fait inexplicable. En ce personnage incongru ils contemplaient ce qu’ils enviaient le plus au monde et ce qu’ils méprisaient le plus. Si leurs cœurs battaient pour lui, il n’en était pas moins vrai que pour le moindre motif ils auraient aussi bien pu le tuer. »
Ils récupèrent un de leurs chevaux, sauvent une jeune Mexicaine d’une tentative de viol, et l'emmènent avec eux. Ils rejoignent une troupe de saltimbanques, puis reprennent quelques autres chevaux. Boyd est gravement blessé par balle dans une escarmouche avec les voleurs.
Billy fait une autre rencontre d’importance, un aveugle, révolutionnaire victime d'affrontements avec l’armée.
« Il dit que les hommes qui avaient des yeux pouvaient choisir ce qu’ils voulaient voir mais qu’aux aveugles le monde ne se révélait que lorsqu’il avait choisi d’apparaître. Il dit que pour l’aveugle tout était brusquement à portée de main, rien n’annonçait jamais son approche. Origines et destinations devenaient des rumeurs. Se déplacer c’était buter contre le monde. Reste tranquillement assis à ta place et le monde disparaît. »
Boyd disparaît avec la jeune fille, Billy retourne un temps aux États-Unis, où il est refusé dans l’enrôlement de la Seconde Guerre mondiale à cause d’un souffle au cœur. Revenu au Mexique, il apprend que Boyd est mort (ainsi que sa fiancée).
« Le but de toute cérémonie est d’éviter que coule le sang. »
Considérations sur la mort, « la calavera ».
Un gitan, nouvelle rencontre marquante (il s’agit d’un véritable roman d’apprentissage), développe une théorie métaphysique sur la vérité et le mensonge à propos d’un avion de la Première Guerre mondiale qu’il rapporte au père d’un pilote américain.
« Chaque jour est fait de ce qu’il y a eu avant. Le monde lui-même est sans doute surpris de la forme de ce qui survient. Même Dieu peut-être. »
« Les noms des collines et des sierras et des déserts n’existent que sur les cartes. On leur donne des noms de peur de s’égarer en chemin. Mais c’est parce qu’on s’est déjà égaré qu’on leur a donné ces noms. Le monde ne peut pas se perdre. Mais nous, nous le pouvons. Et c’est parce que c’est nous qui leur avons donné ces noms et ces coordonnées qu’ils ne peuvent pas nous sauver. Et qu’ils ne peuvent pas nous aider à retrouver notre chemin. »
« Il dit que pour les gens de la route la réalité des choses avait toujours de l’importance. Il dit que le stratège ne confondait pas ses stratagèmes avec la réalité du monde car alors que deviendrait-il ? Il dit que le menteur devait d’abord savoir la vérité. »
« Il dit : ce que les hommes ne comprennent pas c’est que ce que les morts ont quitté n’est pas le monde lui-même mais seulement l’image du monde dans le cœur des hommes. Il dit qu’on ne peut pas quitter le monde car le monde sous toutes ses formes est éternel de même que toutes les choses qui y sont contenues. »
Intéressantes précisions sur le corrido, ballade épique ou romancée, poésie populaire évoquant l’amour, la politique, l’histoire (voir Wikipédia) :
« Le corrido est l’histoire du pauvre. Il ne reconnaît pas les vérités de l’histoire mais les vérités des hommes. Il raconte l’histoire de cet homme solitaire qui est tous les hommes. Il croit que lorsque deux hommes se rencontrent il peut arriver l’une ou l’autre de deux choses et aucune autre. L’une est un mensonge et l’autre la mort. Ça peut vouloir dire que la mort est la vérité. Oui. Ça veut dire que la mort est la vérité. »
Ce long roman bien documenté, qui m’a beaucoup plu, est avant tout un hymne assez traditionnel et pathétique du mythe fondateur des États-Unis, le poor lonesome cowboy et son existence rude et libre dans l’immense marge des confins.
Style factuel, congru à des personnages taiseux, pas de psychologie abordée mais des descriptions détaillées (équipement du cheval, confection des tortillas, médecin soignant Boyd, etc.) : en adéquation complète avec le contenu du discours.
\Mots-clés : #aventure #fratrie #independance #initiatique #jeunesse #mort #nature #solitude #violence #voyage
- le Mer 13 Avr - 12:35
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Rick Bass
Les derniers grizzlys
Rick Bass part avec Doug Peacock (Mes années grizzlys) et un autre ami (avec sa chienne) dans les monts San Juan (les Rocheuses méridionales, au sud du Colorado) à la recherche des grizzlys, qui y sont portés disparus. La preuve de leur présence pourrait être apportée par des poils contenus dans leurs excréments. L’idée est que des rescapés se sont adaptés en survivant dans les zones peu fréquentées.
« Pendant des siècles, les prairies qui bordent la rivière à nos pieds ont poussé les grizzlys à descendre des San Juan à la fin de l’hiver ; ils étaient attirés par les premières pousses vertes, les moutons, le bétail, les fermes. Il en allait de même avec les loups. Ces pâturages verdoyants au printemps, si tentants, si nécessaires.
Seuls ont survécu ceux qui ont appris à résister à cette tentation. Ceux qui n’ont pas cherché à être les plus forts, mais seulement à se terrer, à se creuser un refuge, à supporter. »
Ce qui est passionnant dans cette chronique d’un périple d’une petite semaine, c’est bien sûr l’immersion dans un vestige de la nature sauvage :
« C’est la terrible fascination de notre espèce pour le passé, cette sorte d’attirance magnétique, qui nous pousse à le revivre : il nous saute à la figure comme s’il voulait nous faire croire qu’il existe un dessein qui le contrôle d’en-haut alors que nous-mêmes ne faisons jamais que glisser à sa surface. Le passé, d’où nous venons, vers lequel nous finissons toujours par retourner. »
« Pour nous, la solitude signifie altitude et air pur. Nous allons continuer à monter, à chercher des traces sur le sol et d’autres indices à la limite des derniers arbres et dans les prés juste au-dessous, en espérant que des ours seront tentés de s’aventurer dans ces prairies verdoyantes sous le couvert de la nuit. C’est notre façon de prendre nos distances par rapport aux activités humaines – grimper au sommet de la montagne –, comme le font d’autres créatures sauvages tels les cerfs et les mouflons. Toutes ces créatures au cœur sauvage. »
« Renoncer à la chasse n’est pas la fin du monde, bien sûr. On s’adapte – on s’adapte ou on casse. On se terre, on se cramponne à ce qui reste. On réduit son territoire ; on passe des cinq cents miles carrés [un mile représente environ 1,6 km] où l’on vit avec une force insolente du type “Tout-ce-que-je-peux-voir-d’ici-m’appartient”, à deux cent cinquante miles carrés où le mot d’ordre devient “Laissez-moi-en-paix”. Plus tard, on se contente de cent miles carrés et d’une philosophie du genre “Mieux-vaut-rester-seul”. Puis on passe à vingt miles carrés, puis à quatre ou à cinq. Au lieu de chasser ses semblables comme on a pu le faire à une certaine époque, on se replie sur soi-même et on tient bon.
Les territoires sauvages de l’âme se réduisent comme peau de chagrin. »
« Retournant à travers bois tandis que gagne l’obscurité, j’ai le sentiment agréable d’être à la chasse. Est-ce que vraiment je perds la boule si j’affirme que dans un monde qui s’est emballé pour parvenir à un état de complexité frénétique, il est possible de retrouver calme et apaisement en se consacrant exclusivement aux gestes les plus simples ? »
« Des étoiles scintillent par milliers et l’éclat de chacune d’elles semble être l’âme brillante de quelqu’un qui a vécu avant nous. »
« Nous avons besoin d’endroits où chacun pourrait s’aventurer assez loin, ne serait-ce que par la pensée, sans être obligés d’aller jusque dans l’Himalaya ou au Congo. Il nous faut des endroits préservés à l’intérieur de ce pays, au moins un par État, des lieux où se retremper l’esprit, pour reprendre l’expression de Wallace Stegner. »
J’ai été surpris par les craintes à propos du « mal des montagne » et de la qualité de l’eau (dans une région il est vrai parcourue par le bétail, mais où ils sont restés nettement au-deçà des 4000 mètres).
Après cette première partie, la seconde rend compte de l’expédition suivante, un an plus tard, avec un début imprégné d’une certaine spiritualité.
« Arrivera un moment, j’en suis persuadé, où l’ours décidera lui-même de se montrer. »
« Au cœur de cette expédition est la conscience que l’ours peut encore exister – une chose presque aussi importante que le fait lui-même. »
Les chasseurs, souvent venus en hélicoptère, laissent leurs ordures, et pourtant :
« Pour que l’acte soit accompli, il faut appuyer sur la gâchette, nettoyer, emporter et manger sa proie, mais la meilleure part, quand on chasse, reste la façon d’entrer dans un monde, d’en faire partie intégrante. Le craquement d’une brindille, les battements de votre cœur, le doux frottement des sabots sur la neige molle, la pause puis l’apparition de la grande tête coiffée par les bois qui se dresse au-dessus des buissons et ressemble à un prince couronné, à un émissaire venu sur terre pour vous permettre de le chasser, de le tuer et de le manger. “Le chasseur doit aimer sa proie”, écrit Jim Harrison. »
Troisième partie, troisième expédition.
Enrichi de références littéraires et de réflexions personnelles (comme sur les difficiles transitions ville-nature), ce livre vaut également pour le témoignage sur Peacock, assez bourru et furibond vétéran du Vietnam, qui aurait inspiré le personnage de George Washington Hayduke dans Le Gang de la Clef à Molette de leur ami commun Edward Abbey.
« Un jour, à la question de savoir pourquoi il pensait que tant d’écrivains choisissent comme thème la nature, il m’avait répondu brièvement que la nature servait à “soulager les cauchemars”. La littérature traite des passions, disait-il, et il s’ensuit que les écrivains vont se passionner pour des sujets et des endroits de grande beauté. »
Ont retenu mon attention des citations, notamment d'Aldo Leopold, qui me semblent annoncer les théories Gaïa et de Bruno Latour, par exemple :
« “On se rend alors compte, écrit Leopold, que les chaînes qui unissent les plantes et les animaux ne sont pas seulement des chaînes alimentaires mais qu’il existe des relations de dépendance qui impliquent un ensemble de services et d’oppositions, de luttes et de coopérations. Cet ensemble est complexe. La paléontologie fait apparaître que les chaînes sont courtes au début, et simples, qu’elles grandissent et se compliquent au fur et à mesure des phases de l’évolution. Déjà, au stade géologique, la théorie de Round River va beaucoup plus loin dans l’espace et dans le temps.” »
« “C’est quand on considère la terre comme une communauté à laquelle on appartient, écrit Leopold, qu’on se met à la traiter avec amour et avec respect.” »
« Je pourrais citer Leopold : “Si le mécanisme de l’écosystème est globalement bon, alors chaque partie qui le constitue est bonne, que nous le comprenions ou pas. Si le milieu ambiant au cours des siècles a fabriqué quelque chose que nous aimons mais que nous ne comprenons pas, alors qui, sinon un fou, pourrait éliminer les éléments apparemment inutiles ? Garder toutes les pièces et tous les rouages est la première précaution à prendre pour bricoler intelligemment.” »
L’expérience humaine est intégrée (malaises, naissance de sa fille, etc.).
« Cette histoire parle d’ours et de montagnes, pourtant tout est lié d’une certaine façon : mes amis et ma famille et la forêt. »
Bass rapporte minutieusement tous les faits de leur expédition, avec le quotidien de marches, se restaurant de tsamba (tsampa) et de chanterelles, mais aussi les voitures cassées et réparées, et c’est pourquoi le terme de chronique (voire de reportage documentaire) me paraît convenir au moins autant que celui d’essai qui catégorise généralement ce récit. J’ai éprouvé autant de plaisir que d’intérêt à cette lecture, où on en apprend bien sûr beaucoup sur les habitudes des ours.
\Mots-clés : #nature
- le Lun 21 Mar - 11:53
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- Sujet: Rick Bass
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