Des Choses à lire
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Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Mar 30 Mai - 16:02

25 résultats trouvés pour portrait

Romain Gary

Le Grand Vestiaire

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Le narrateur, Luc Martin, quatorze ans au sortir de la Deuxième Guerre et à la mort de son père, devient pupille de la nation. Mais très vite il est recueilli par le vieux Vanderputte, un des nombreux escrocs dans le chaos de la Libération, et volontiers métaphysicien...
« Il rejeta sa casquette en arrière, remua rapidement sa moustache, et braqua sur moi son ongle sale, tout en regardant soigneusement de côté.
– Apprenez cela, jeune homme, dès aujourd'hui : dans la vie, il s'agit de ne pas être là au bon moment, voilà tout. Il faut se faufiler adroitement entre les années, le ventre rentré et sans faire de silhouette, pour ne pas se faire pincer. Voilà ce que c'est, la vie. Pour cela, naturellement, il faut être seul. Ab-so-lu-ment ! La vie, c'est comme l'assassinat, il ne faut pas avoir de complice. Ne jamais se laisser surprendre en flagrant délit de vie. Vous ne le croirez peut-être pas, jeune homme, mais il y a des millions de gens qui y arrivent. Ils passent inaperçus, mais à un point... ini-ma-gi-nable ! C'est simple : à eux, la destinée ne s'applique pas. Ils passent au travers. La condition humaine – vous connaissez cette expression ? – eh bien, elle coule sur eux, comme une eau un peu tiède. Elle ne les mouille même pas. Ils meurent de vieillesse, de décrépitude générale, dans leur sommeil, triomphalement. Ils ont roulé tout le monde. Ils ne se sont pas fait repérer. Pro-di-gieux ! C'est du grand art. Ne pas se faire repérer, jeune homme, apprenez cela dès ce soir. Rentrer la tête dans les épaules, écouter s'il pleut, avant de mettre le nez dehors. Se retourner trois fois, écouter si l'on ne marche pas derrière vous, se faire petit, petit, mais petit ! Être, dans le plein sens du terme, homme et poussière. Jeune homme, je suis persuadé qu'en faisant vraiment très attention, la mort elle-même ne vous remarque pas. Elle passe à côté. Elle vous loupe. C'est dur à repérer, un homme, lorsque ça se planque bien. On peut vivre très vieux et jouir de tout, naturellement, en cachette. La vie, jeune homme, apprenez-le dès maintenant, c'est uniquement une question de camouflage. Réalisez bien ceci et tous les espoirs vous sont permis. Pour commencer, tenez, un beau vieillard, c'est toujours quelqu'un qui a su éviter la jeunesse. C'est très dangereux ça, la jeunesse. Horriblement dangereux. Il est très difficile de l'éviter, mais on y arrive. Moi, par exemple, tel que vous me voyez, j'y suis arrivé. Avez-vous jamais réfléchi, jeune homme, au trésor de prudence et de circonspection qu'il faut dépenser pour durer, mettons, cinquante ans ? Moi, j'en ai soixante... Co-los-sal ! »

Venu du maquis du Véziers à Paris avec Roxane la chienne de son père instituteur tué dans la Résistance (et son « petit volume relié des Pensées de Pascal » qui lui reste hermétique), Luc le rat des champs se sent perdu parmi les rats des villes.
« Mon père aimait à me plonger ainsi dans une atmosphère de mystère et de conte de fées ; je me demande, aujourd'hui, si ce n'était pas pour brouiller les pistes, pour atténuer les contours des choses et adoucir les lumières trop crues, m'habituant ainsi à ne pas m'arrêter à la réalité et à chercher au-delà d'elle un mystère à la fois plus significatif et plus général. »

Intéressante vision du cinéma et de son influence :
« La beauté des femmes, la force des hommes, la violence de l'action [… »

« Je cherchais alors à bâtir toute ma personnalité autour d'une cigarette bien serrée entre les lèvres, ce qui me permettait de fermer à demi un œil et d'avancer un peu la lèvre inférieure dans une moue qui était censée donner à mon visage une expression extrêmement virile, derrière laquelle pouvait se cacher et passer inaperçue la petite bête inquiète et traquée que j'étais. »

Avec Léonce (et comme beaucoup de gosses), ils rêvent d’être adultes, d’aller en Amérique, de devenir gangsters et riches. Il est amoureux de Josette, la sœur de Léonce, mais fort embarrassé.
« – Quelquefois, ça se guérit, me consolait-elle. Il y a des médecins qui font ça, en Amérique. On te colle la glande d'un singe et du coup, tu deviens sentimental. »

Vanderputte, un destin misérable :
« Je posais pour un fabricant de cartes postales. Sujets de famille, uniquement. J'ai jamais voulu me faire photographier pour des cochonneries. On pouvait me mettre dans toutes les mains. »

« Cet amour instinctif qu'il avait pour les objets déchus, cette espèce de sollicitude fraternelle dont il les entourait, avaient je ne sais quoi de poignant et c'est lorsque je le vis pour la première fois s'arrêter dans la rue, ramasser un peigne édenté et le glisser dans sa poche, que je me rendis compte à quel point ce vieil homme était seul. Les antiquités, les beaux objets de valeur finement travaillés ne l'intéressaient pas : il ne s'attachait qu'aux épaves. Elles s'accumulaient dans sa chambre et la transformaient en une immense boîte à ordures, une sorte de maison de retraite pour vieilles fioles et vieux clous. »

Avec son ami l’Alsacien Kuhl (son antithèse, épris d’ordre et de propreté ; employé à la préfecture de police, il reçoit mensuellement une enveloppe de Vanderputte), les deux cultivent un humanisme sentimental, convaincus de la décadence civilisationnelle.
Galerie de portraits hauts en couleur, tel Sacha Darlington « grand acteur du muet » et travesti vivant reclus dans un bordel, ou M. Jourdain :
« Le fripier, un M. Jourdain, était un bonhomme âgé ; il portait sa belle tête de penseur barbu, une calotte de velours noir extrêmement sale ; il était l'éditeur, le rédacteur en chef et l'unique collaborateur d'une publication anarchiste violemment anticléricale, Le Jugement dernier, qu'il distribuait gratuitement tous les dimanches à la sortie des églises et qu'il envoyait régulièrement, depuis trente-cinq ans, au curé de Notre-Dame, avec lequel il était devenu ami. Il nous accueillit avec une mine sombre, se plaignit du manque de charbon – on était en juin – et à la question de Vanderputte, qui s'enquérait de l'état de ses organes, il se plaignit amèrement de la vessie, de la prostate et de l'Assemblée nationale, dont il décrivit le mauvais fonctionnement et le rôle néfaste en des termes profondément sentis. »

Vanderputte tombe fréquemment amoureux d’un vêtement miteux, tel celui d’un Gestard-Feluche, fonctionnaire médaillé, qui ira augmenter le grand vestiaire de sa chambre.
Dans une France en pleine pagaille (et dans la crainte du communisme, de la bombe atomique), Léonce et Luc passent du trafic de « médicaments patentés » au vol de voitures, et envisagent un gros coup.
Josette meurt de la tuberculose, et Luc s’interroge toujours sur la société.
« Où étaient-ils donc, ces fameux hommes, dont mon père m'avait parlé, dont tout le monde parlait tant ? Parfois, je quittais mon fauteuil, je m'approchais de la fenêtre et je les regardais. Ils marchaient sur les trottoirs, achetaient des journaux, prenaient l'autobus, petites solitudes ambulantes qui se saluent et s'évitent, petites îles désertes qui ne croient pas aux continents, mon père m'avait menti, les hommes n'existaient pas et ce que je voyais ainsi dans la rue, c'était seulement leur vestiaire, des dépouilles, des défroques – le monde était un immense Gestard-Feluche aux manches vides, d'où aucune main fraternelle ne se tendait vers moi. La rue était pleine de vestons et de pantalons, de chapeaux et de souliers, un immense vestiaire abandonné qui essaye de tromper le monde, de se parer d'un nom, d'une adresse, d'une idée. J'avais beau appuyer mon front brûlant contre la vitre, chercher ceux pour qui mon père était mort, je ne voyais que le vestiaire dérisoire et les milles visages qui imitaient, en la calomniant, la figure humaine. Le sang de mon père se réveillait en moi et battait à mes tempes, il me poussait à chercher un sens à mon aventure et personne n'était là pour me dire que l'on ne peut demander à la vie son sens, mais seulement lui en prêter un, que le vide autour de nous n'est que refus de combler et que toute la grandeur de notre aventure est dans cette vie qui vient vers nous les mains vides, mais qui peut nous quitter enrichie et transfigurée. J'étais un raton, un pauvre raton tapi dans le trou d'une époque rétrécie aux limites des sens et personne n'était là pour lever le couvercle et me libérer, en me disant simplement ceci : que la seule tragédie de l'homme n'est pas qu'il souffre et meurt, mais qu'il se donne sa propre souffrance et sa propre mort pour limites... »

Les « ratons » (vaut tantôt pour petits rats, tantôt pour Nord-Africains) entrent dans le monde des « dudules » (vaut apparemment plus pour adultes, individus, que pour idiots) : le « gang des adolescents » devient célèbre pour ses braquages de transports de fonds. Léonce est tué ; Luc se retrouve dans la peau de Vanderputte, qu‘il craint de devenir cinquante ans plus tard. Ce dernier est poursuivi : entré dans la Résistance et arrêté par les Allemands, il avait très vite collaboré et dénoncé, principalement des juifs. Luc s’enfuit avec lui, pris par la pitié, mais…

\Mots-clés : #corruption #criminalite #deuxiemeguerre #enfance #humour #initiatique #jeunesse #portrait #vieillesse #xxesiecle
par Tristram
le Ven 10 Mar - 11:56
 
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Ernest Chouinard

Ernest Chouinard
(1856 – 1924)

Ecrivain québecois.


Je n'ai pas trouvé plus malheureusement.


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L'arriviste (1919)

Un court roman qui pourrait commencer comme un Grand Meaulnes avec plus d'intérêt avec les années de lycée de deux camarades que tout pourrait opposer si n'était leur amitié. Un campagnard besogneux et un citadin argenté prêts à se lancer dans la vie. Leurs débuts se feront d'ailleurs dans la même étude.

Des deux c'est surtout "l'arriviste" qui nous intéresse. Les études laissant à la place à la politique on le verra se laisser aller et chercher à aller plus loin. Partie pas inintéressante mais moins séduisante que les années de jeunesse. La fin qui nous ramène à une intégrité plus contemplative, aux accents moralistes, ne manque pas de charme non plus.

Une étude psychologique satirique légèrement dépaysante qui en parlant de presse et de pouvoir fait penser que certaines choses ne changent pas !




Mots-clés : #politique #portrait #québec #satirique
par animal
le Dim 18 Déc - 18:46
 
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Claudio Magris

Une autre mer

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Enrico est un jeune étudiant en philologie de Gorizia en Autriche-Hongrie qui s’embarque à Trieste pour l’Argentine fin 1909, renonçant au bonheur avec son frère Nino et son ami Carlo, avec qui il pratiquait les philosophes grecs (notamment Platon), Schopenhauer, Ibsen, Tolstoï, Bouddha, Beethoven.
« Ce mélange de peuples et son agonie sont une grande leçon de civilisation et de mort ; une grande leçon de linguistique générale aussi, car la mort est spécialiste en matière de plus-que-parfait et de futur antérieur. »

« Sur ce bateau qui à présent file à travers l’Atlantique, Enrico est-il en train de courir pour courir ou bien pour arriver, pour avoir déjà couru et vécu ? À vrai dire, il reste immobile ; déjà les quelques pas qu’il fait entre sa cabine, le pont et la salle à manger lui semblent inconvenants dans la grande immobilité de la mer, égale et toujours à sa place autour du bateau qui prétend la labourer, alors que l’eau se retire un instant et se referme aussitôt. La terre supporte, maternelle, le soc de charrue qui la fend, mais la mer est un grand rire inaccessible ; rien n’y laisse de trace, les bras qui y nagent ne l’étreignent pas, ils l’éloignent et la perdent, elle ne se donne pas. »

Enrico devient éleveur en Patagonie, toujours en selle ; il est patient, détaché, libre, éprouvant dans l’instant la vie à laquelle il ne demande rien, refusant tout engagement professionnel, politique, sentimental ou familial.
« Une fois il se trouve face à un puma, son cheval s’emballe, il le fouette rageusement et même le mord, l’animal le désarçonne et le piétine ; pendant des mois il pisse du sang, jusqu’à ce que des Indiens lui fassent boire certaines décoctions d’écorces et que ça lui passe. »

« Il y a toujours du vent mais au bout d’un certain temps on apprend à distinguer ses tonalités diverses selon les heures et les saisons, un sifflement qui s’effiloche ou un coup sec comme une toux. Parfois il semble que le vent a des couleurs, il y a le vent jaune d’or entre les haies, le vent noir sur le plateau nu. »

« Enrico tire, le canard sauvage s’abat sur le sol, en un instant le vol héraldique est un déchet jeté par la fenêtre. La loi de la pesanteur est décidément un facteur de gaucherie dans la nature ; il n’y a que les mots qui en soient préservés, entre autres ceux imprimés dans les classiques grecs et latins de la collection Teubner de Leipzig. »

Venu de la mansarde de Nino dans Gorizia à une cabane de l’altiplano, fuyant le vacarme des villes (et la guerre), il correspond avec Carlo (qui est le philosophe Carlo Michelstaedter), jusqu’à ce que celui-ci se suicide après avoir rédigé La persuasion et la rhétorique. Cet essai théorise la persuasion comme « plénitude de l’être en accord avec la vie et l’instant », la rhétorique en tant que « tout ce qui nous fait désirer d’être ailleurs, plus tard, plus fort, tandis qu’irrévocablement s’écoule et s’enfuit notre vie véritable » (Gallimard). Enrico est l’incarnation du « persuadé ».
« Carlo est la conscience sensible du siècle et la mort n’a aucun pouvoir sur la conjugaison du verbe être, seulement sur l’avoir. Enrico a ses troupeaux, son cheval, quelques livres. »

« Carlo parlait de toi, il regardait ta vie comme la seule chose qui mérite de l’estime… ce que Carlo nous a donné tu le fais et le démontres dans chacun des actes de ta vie actuelle et tu ne le sais même pas… »

« Dans ces pages ultimes Carlo le représente comme l’homme libre à qui les choses disent « tu es » et qui jouit uniquement parce que sans rien demander ni craindre, ni la vie ni la mort, il est pleinement vivant toujours et à chaque instant, même au dernier. »

« Les hommes ne sont pas tristes parce qu’ils meurent, a dit Carlo, ils meurent parce qu’ils sont tristes. »

« Dans ces pages il y a la parole définitive, le diagnostic de la maladie qui ronge la civilisation. La persuasion, dit Carlo, c’est la possession au présent de sa propre vie et de sa propre personne, la capacité de vivre pleinement l’instant, sans le sacrifier à quelque chose qui est à venir ou dont on espère la venue prochaine, détruisant ainsi sa vie dans l’attente qu’elle passe le plus vite possible. Mais la civilisation est l’histoire des hommes incapables de vivre dans la persuasion, qui édifient l’énorme muraille de la rhétorique, l’organisation sociale du savoir et de l’agir, pour se cacher à eux-mêmes la vue et la conscience de leur propre vacuité. »

Enrico revient à Gorizia après la Grande Guerre ; l’empire austro-hongrois a éclaté. Il vit à Punta Salvore en Istrie, alors italienne, se marie, est quitté, demeure avec une autre femme. L’Istrie passe du régime fasciste au communisme (puis au titisme) en devenant part de la Yougoslavie après la Seconde Guerre mondiale. Il contemple toujours la mer, songeant à Carlo, de plus en plus hors du temps, à l’écart de la vie ; il montre peu à peu des signes de mesquinerie égoïste, puis meurt.
« Mais il ne peut en être autrement, les mots ne peuvent faire écho qu’à d’autres mots, pas à la vie. »

« …] le plaisir c’est de ne pas dépendre des choses qui ne sont pas absolument nécessaires, et même celles qui le sont doivent être accueillies avec indifférence. »

« Ce sont les esclaves qui ont toujours le mot droit à la bouche, ceux qui sont libres ont des devoirs. »

Magris a mis beaucoup de choses dans ce beau livre, qui m’a ramentu… Yourcenar !

\Mots-clés : #biographie #historique #philosophique #portrait #xxesiecle
par Tristram
le Ven 7 Oct - 12:33
 
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Sujet: Claudio Magris
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Michel Layaz

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Les Vies de Chevrolet

éditeur a écrit:« Che-vro-let ! Che-vro-let ! » : début XXe siècle, l’Amérique est ébahie devant les prouesses de Louis Chevrolet. Né en Suisse en 1878, le jeune homme a grandi en Bourgogne où il est devenu mécanicien sur vélo avant de rejoindre, près de Paris, de florissants ateliers automobiles. En 1900, il quitte la France pour le continent américain. Très vite, au volant des bolides du moment, Fiat ou Buick, il s’impose comme l’un des meilleurs pilotes de course. En parallèle, il dessine, conçoit et construit des moteurs. Ce n’est pas tout, avec Billy Durant, le fondateur de la General Motors, Louis crée la marque Chevrolet. Billy Durant la lui rachète pour une bouchée de pain et obtient le droit d’utiliser le nom de Chevrolet en exclusivité. Des millions de Chevrolet seront vendues sans que Louis ne touche un sou. Peu lui importe. L’essentiel est ailleurs.

Pied au plancher, Michel Layaz raconte la vie romanesque de ce personnage flamboyant qui mêle loyauté et coups de colère, bonté et amour de la vitesse. À l’heure des voitures électriques, voici les débuts de l’histoire de l’automobile, avec ses ratés, ses dangers et ses conquêtes.


Un livre assez court et écrit assez gros dans un style dans l'air du temps, animé, vif avec des phrases brèves et une part de mélancolie. Pas complètement ma came mais je me suis laissé happé par les tranches de vie et les mouvements de ce drôle de bonhomme, compétiteur et trompe la mort dans l'âme tout à la fois pilote et mécanicien-ingénieur dans l'âme.

C'est aussi la page d'histoire automobile et industrielle. Une drôle d'histoire individuelle, pas toujours réjouissante. Mais aussi sans grande leçon. Qualité sensible du livre dont l'emphase (ou l'emportement ?) ne nous emmène pas dans la sentence mais nous fait naviguer comme au hasard entre la plus grande histoire et les grandes tensions de l'âme humaine. En arrière plan le "rien" dont vient ce héros "moderne" et la présence forte de la famille, l'exil aussi pour trouver la prospérité outre Atlantique dans la frénésie du début du siècle dernier.

Epoque oblige, les faits (de courses) à faire dresser les cheveux sur la tête !

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Mots-clés : #biographie #contemporain #portrait #xxesiecle
par animal
le Mer 1 Déc - 21:52
 
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Sujet: Michel Layaz
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Henry Miller

Un diable au paradis

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Henry Miller, dont on sait l’importance qu’avaient pour lui les amis (et les livres) dresse de Conrad Téricand (Moricand en réalité) un portrait approfondi, fouillé, où il témoigne aussi de grandes qualités chez cet astrologue, écrivain et illustrateur − même si son esprit diffère explicitement du sien, et lui inspire d’abord de la suspicion, puis un agacement grandissant.
Au début de leurs relations, Miller aide dans sa dèche parisienne ce riche Suisse ruiné par un escroc.
« Pauvre Téricand ! Combien, ô combien familier m’était cet aspect comique de ses tribulations ! Marcher l’estomac vide, marcher l’estomac plein, marcher pour digérer un repas, marcher parce que c’est la seule récréation que vous permette votre porte-monnaie, comme Balzac en fit l’expérience lorsqu’il vint à Paris. Marcher pour fuir sa hantise. Marcher pour ne pas pleurer. Marcher dans l’attente vaine et désespérée de rencontrer un visage amical. Marcher, marcher, marcher… Mais pourquoi aborder ce sujet ? Rangeons-le sous l’étiquette : "paranoïa ambulatoire". »

Par bouffées inspirées, le flux stylistique de Miller l’emporte (et avec lui le lecteur), lyrique et délirant, comme dans cette liste lautréamontesque évoquant la place de Rungis au petit matin, juste avant la Seconde Guerre mondiale (français en italique) :
« Chèvres de la banlieue, appontements, bocks à injections, ceintures de sûreté, mulets, passerelles et sauterelles flottaient devant mes yeux vitreux avec des volailles décapitées, des bois de cerf enrubannés, des machines à coudre rouillées, des icônes et autres phénomènes incroyables. Ce n’était ni une communauté, ni un quartier, mais un vecteur, un vecteur très spécial, créé entièrement pour mon bénéfice artistique, créé expressément pour me nouer émotionnellement. »

Évidemment la compagnie de « Moriturus », ce raté tatillon, ce raseur funèbre, ne peut qu’être une épreuve pour Miller, cette incarnation de la vie tumultueuse. Même si Miller est sincère quoique peut-être outrancier, la version de son hôte manque (qu’elle ait existé ou pas). Le dipôle est d’autant plus étonnant que tous deux ont oscillé entre pique-assiette et parasite… Tous deux baignent dans les croyances irrationnelles, d’un côté la divination et de l’autre le scientisme chrétien. On retrouve aussi l’opposition Américain « naïf, optimiste, jobard » et Européen cynique.
Sur fond de conflit avec sa troisième épouse, Janina Lepska, Miller adore sa fille Val, tandis que son hôte raconte une aventure pédophile à Paris...
Téricand est antipathique, mais je comprends l’homme affamé qui erre dans une scène de guerre, traînant les deux valises contenant son œuvre, tandis que Miller est profondément détaché de tout ce qui est matériel (mais une œuvre n’est-elle que matérielle ?).
Ce diable se révèle finalement être un personnage fort complexe, et forme un livre très curieux…

\Mots-clés : #amitié #autobiographie #portrait
par Tristram
le Lun 19 Juil - 13:00
 
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Sujet: Henry Miller
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Kazuo Ishiguro

Les Vestiges du jour

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Une fois n’est pas coutume, j’ai le film en mémoire – et un peu trop ?! Le souvenir de la prestation des acteurs de ce scenario fort original nuit à celle d’Ishiguro ; bien évidement, il faudrait lire le livre avant de voir sa transposition à l'écran.
Stevens, (grand) majordome d’une maison « distinguée », fait preuve d’un dévouement total, d’une rigueur pratiquement sans défaut dans son appartenance à un univers social désuet, dépassé – de dignité dans sa subordination à laquelle il se conforme le plus exactement possible, incarnant jusqu’à l’abnégation son idéal professionnel. De même que celui d’un aristocrate, c’est un rôle à vie (cf. le père, lui-même majordome, devenu sénile et toujours en service).
« Un majordome d’une certaine qualité doit, aux yeux du monde, habiter son rôle, pleinement, absolument ; on ne peut le voir s’en dépouiller à un moment donné pour le revêtir à nouveau l’instant d’après, comme si ce n’était qu’un costume d’opérette. Il existe une situation et une seule où un majordome qui se préoccupe de sa dignité peut se sentir libre de se décharger de son rôle : lorsqu’il est entièrement seul. »

Stevens garde la réserve toujours à l’esprit (il vante la retenue du paysage anglais, qu’il considère comme supérieur alors qu’il n’en connaît pas d’autre), et se caractérise par une stoïque maîtrise de soi.
Cette fierté pleine de morgue transposée dans la servitude féale inclut donc la nation (l’Angleterre actuelle n’est d’ailleurs pas encore totalement affranchie du servage) :
« On dit parfois que les majordomes, les "butlers", n’existent qu’en Angleterre. Dans les autres pays, quel que soit le titre utilisé, il n’y a que des domestiques. »

Cette profession le place parfois bien près du déroulement de l’Histoire (lors des tractations pour alléger les sanctions du traité de Versailles dans le premier après-guerre) :
« Certains d’entre eux estimaient, comme Sa Seigneurie elle-même, que l’on avait manqué de fair-play à Versailles et qu’il était immoral de continuer à punir une nation pour une guerre qui était maintenant révolue. »

L’attachement à la valeur morale de l’employeur, plus qu’à sa noblesse de sang comme auparavant, conduit même à s’efforcer d'être utile à l’humanité au travers d’un personnage important, en servant près « du moyeu de cette roue qu’est le monde ».
« "Cet employeur incarne tout ce que je trouve noble et admirable. Dorénavant, je me consacrerai à son service." Cela, c’est de la loyauté jurée intelligemment. Où est l’absence de "dignité" dans cette attitude ? On accepte simplement une vérité inéluctable : que les gens comme vous et moi ne seront jamais à même de comprendre les grandes affaires du monde d’aujourd’hui, et que le meilleur choix est toujours de faire confiance à un employeur que nous jugeons sage et honorable, et de mettre notre énergie à son service, en nous efforçant de nous acquitter le mieux possible de cette tâche. »

Cette ambition est plutôt déçue avec le maître de Stevens, Lord Darlington, manipulé par Hitler dans l’entre-deux-guerres (mais à la mémoire duquel il restera loyal).
« Herr Hitler n’a sans doute pas eu dans ce pays de pion plus utile que Sa Seigneurie pour faire passer sa propagande. »

Son comportement est particulièrement distant et emprunté avec Miss Kenton, l’intendante.
Le comble de la rigidité mentale est atteint avec ses efforts pour s’exercer au badinage que semble lui suggérer son nouvel employeur, un homme d’affaires américain (entraînement reporté non sans humour par Ishiguro, comme l’absurde mais rituel entretien de l’argenterie).
« Il me vient à l’idée, de surcroît, que l’employeur qui s’attend à ce qu’un professionnel soit capable de badiner n’exige pas vraiment de lui une tâche exorbitante. Bien entendu, j’ai déjà consacré beaucoup de temps à améliorer ma pratique du badinage, mais il est possible que je n’aie jamais envisagé cette activité avec tout l’ardeur souhaitable. »

Sa raideur psychique ne lui permet pas de s’émanciper de l’élitisme :
« La démocratie convenait à une ère révolue. Le monde est devenu bien trop compliqué pour le suffrage universel et toutes ces histoires. Pour un parlement où les députés se perdent en débats interminables sans avancer d’un pas. Tout ça, c’était peut-être très bien il y a quelques années, mais dans le monde d’aujourd’hui ? »

Le style guindé rend parfaitement les déférentes circonlocutions de Stevens, même lorsqu’il pense (essentiellement à son service).
L’autoportrait du majordome par Ishiguro est magistral, et il pousse à des réflexions sur de possibles perspectives allégoriques sur la vie en société, le conformisme, etc.
Au soir de sa vie de majordome, c’est un bilan peu satisfaisant de son existence qui justifie le titre : gâchis de sa vie affective, d’abord avec son père, et déceptif don absolu à « Sa Seigneurie ».

\Mots-clés : #portrait #psychologique #social #traditions #xxesiecle
par Tristram
le Lun 22 Mar - 13:05
 
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Sujet: Kazuo Ishiguro
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Erri De Luca

Le tour de l'oie

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Titre original Il giro dell'oca, parution en langue originale: 2018, traduction française: 2019.


Un soir, l'orage, le feu de cheminée, la bougie.
Erri de Luca imagine -disons plutôt se crée- un fils de quarante ans. S'ensuit un dialogue, imaginaire évidemment, dans lequel toute l'introspection de l'auteur transparaît.  

J'ai eu du mal avec cet opus, pourtant truffé de qualités: fluide, alerte, pas prise tête, etc.
Une difficulté, en fait, à entrer vraiment dedans. Peut-être est-ce le sujet (?).

Un livre comme un bilan aux heures d'automne de son propre parcours, pour compenser un manque -il ne le dit pas tout-à-fait-, celui de ne pas avoir connu la paternité ?
Ceci implique qu'il n'a pas non plus fait de ses parents des grands-parents, c'est souvent par le biais de ses parents à lui qu'il veut communiquer à son fils imaginaire.  
Peut-être, mais pas sûr.

Sans doute peut-on faire remarquer à l'auteur qu'il s'écoute soliloquer avec un rien de complaisance tempérée.
Toutefois quelques jolis traits, de belles cavalcades bien dans son style, quelques pistes de réflexion fort générales -et donc à portée universelle- feront l'agrément du lecteur: pour ma part, je crains d'oublier assez vite cette lecture, peut-être suis-je passé au travers, mais je me trompe si souvent sur mes pronostics d'oubli ou d'intérêt à la vraie aune, celle de la durée !

Dans les vieux livres, les chevaux pleuraient la mort de leurs cavaliers. C'était une époque qui donnait du poids aux larmes. Aujourd'hui, les yeux restent secs sans effort pour les contenir.
  Je suis d'une époque révolue, je pleure pour un deuil, un sauvetage, le souvenir de ceux que je vois en rêve.
  Les larmes sont différentes entre elles, légères, chaleureuses, graves ,inutiles.
  Mes yeux vieillissants se réveillent avant le jour, ils mettent en route le premier café alors qu'il fait encore nuit.
  Je parle tout seul ? J'invente ta compagnie ?
  Je l'invente si fort que la réalité ne peut l'égaler. Ta présence suffit ici et ce soir pour créer ma paternité.  


\Mots-clés : #ecriture #portrait
par Aventin
le Mar 19 Jan - 16:39
 
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Sujet: Erri De Luca
Réponses: 38
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Jens Peter Jacobsen

Niels Lyhne

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Les parents de Niels, dont il perçoit très jeune les caractères différents ; son père : » Il ne concevait pas l’amour comme une flamme sans cesse renaissante […]mais comme un feu tranquille couvant sous la cendre […]qui rapproche davantage et rend plus familière toute chose proche et connue. »

Sa mère : « Avec un redoublement d’ardeur, elle se lança à la poursuite de l’idéal, elle anéantit son mari sous l’averse de ses poétiques imaginations et de ses enthousiasmes. Elle chercha l’isolement pour y pleurer ses illusions perdues. »

Niels est confronté à la mort alors que sa tante Edel meurt, malgré ses prières.

« […]il n’avait vu en Jésus que le fils de Dieu, non un Dieu, et c’est pourquoi il avait adressé sa prière à Dieu le Père. Or Dieu le Père l’avait abandonné dans sa détresse. Si Dieu n’avait pas d’oreilles, il n’avait, lui pas de lèvres ; si Dieu n’avait pas de pitié, il n’avait pas d’adoration. Il bravait Dieu et le bannissait de son cœur. »

« Ce fut ainsi toute sa vie. Il rompit par bravade avec les croyances que l’éducation lui avait inculquées, il passa du côté des révoltés qui usent leurs forces dans la lutte. »


Niels part à Copenhague faire ses études ; il décide qu’il doit devenir poète, son ami Erik devient lui peintre ; il l’introduit dans le cercle d’une veuve, Madame Boye dont Niels devient amoureux.

« Mais lorsque la victoire lui fut acquise et qu’il l’eut rendue telle qu’il la voulait, il vit qu’il avait trop bien travaillé, qu’il l’avait aimée avec ses illusions, ses préjugés, ses rêves et ses erreurs, non telle qu’elle était maintenant. »

Celle-ci  commençait à l’aimer, mais lui « Mécontent de lui, d’elle de ses compatriotes, il partit et ne revint pas. »

Niels avait pour Idéal l’athéisme, il le brandissait comme un drapeau.

Après le décès de son père, il s’occupe de sa mère malade, il voyage avec elle mais celle-ci toujours portée par ses rêves n’apprécie pas la réelle beauté des paysages, des choses, elle meurt. Niels repart à Copenhague retrouver Madame Boye, laquelle lui annonce son prochain mariage. Niels perd donc la femme qu’il aimait ; ce sera ainsi toute sa vie. Amoureux d’une cousine, Fennimore, celle-ci lui préfère son ami Erik.

Niels continue à avancer, travaille mais poursuit en vain et son ideal et la position de poète qu’il désire. Rappelé par Erik qui n’arrive plus à créer, il retombe amoureux de Fennimore, et consomme avec elle l’amour adultère. Lorsqu’ Erik meurt brutalement dans un accident, Fennimore rongée par les remords chasse haineuse Niels. Il l’a perd donc une seconde fois.
Après avoir voyager pendant 2 ans, il décide de regagner la maison paternelle et ses terres, les valorise avec son jardinier et reprend une vie de simplicité. Une famille qui était amie de son père s’installe dans une ville voisine, la jeune Gerda attire son attention, ils se marient et ont un enfant. Serait-ce enfin le bonheur ? Niels convainc Gerda à son Ideal, à l’athéisme, elle devient fanatique. Une grave maladie atteint Gerda et au seuil de la mort, alors que Niels ne pouvait l’imaginer, elle réclame le secours du Pasteur.

A son tour l’enfant tombe gravement malade, il n’y a pas de médecin qui puisse venir rapidement, il meurt malgré que
: « Oh alors ! il menaça le ciel de ses poings fermés, il fit le geste d’éteindre son enfant, pour l’emporter, bien loin, et puis il se jeta à genoux et il pria Dieu, ce Dieu qui est au ciel, qui tient le monde sous l’empire de la terreur en lui infligeant la misère, la maladie, la souffrance et la mort, qui veut que tous les genoux fléchissent et au regard de qui l’on ne peut échapper, pas plus à l’extrémité des mers qu’au fond des abîmes ; ce Dieu qui, si telle est sa volonté, écrasera sous son pied l’être que tu chéris le plus au monde et, en le torturant, le fera retourner à la poussière dont il le crea.. »

« Dans son désespoir il savait ce qu’il faisait. Il avait été tenté et il avait succombé. C’était une chute, une défection ; il avait renié ses principes et trahi son idéal. Sans doute il avait la tradition dans le sang ; depuis des milliers d’années l’humanité s’adressait au ciel dans sa détresse. Il savait pourtant que les dieux sont des chimères, et qu’en priant il s’adressait à une chimère […] »

« En effet, ces grands mots, athéisme et sainte cause de la vérité, n’étaient que des noms pompeux décernés à cette chose si simple : accepter la vie comme elle est avec ses inéluctables lois »


Anéanti Niels s’engage dans l’armée alors que meurt le roi Frédéric VII, il est rapidement touché par une balle , il se meurt, son ami et médecin Hjerrild lui demande s’il veut voir un prêtre. Niels s’insurge mais à force de souffrance il arrive à penser : « C’eut été une bonne chose, tout de même, d’avoir un Dieu à qui adresser des plaintes et des prières. Il s’éteint deux jours après.

***

Donc Niels toute sa vie porta le drapeau d’un Idéal qui lui échappa, il perdit les femmes qu’il aimait et sa vie pour son pays. Nul ne peut lutter contre les lois de la vie, contre la réalité de la vie. Si les dieux sont des chimères, les idéaux aussi, hélas pour Niels (et pour nous ?)
Le poids de l'héritage religieux est aussi évoqué, dans l'enfance de Niels, puis lors des tristes épisodes où la mort surgit.

Très belle écriture, qu’elle évoque la réalité ou la poésie. C’est un livre qui ne délivre pas du bonheur, plutôt une attente vaine. Telle la vie de l’auteur à ce que j’ai pu comprendre dans la préface de Rilke.


Mots-clés : #jeunesse #portrait #psychologique #reve
par Bédoulène
le Sam 9 Jan - 11:24
 
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Sujet: Jens Peter Jacobsen
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Paule du Bouchet

Emportée

Tag portrait sur Des Choses à lire Du-bou10
Parution augmentée mars 2020 (1ère édition Actes Sud 2011), édition des femmes - Antoinette Fouque, 120 pages environ, suivies de 80 pages environ de correspondances entre Tina Jolas et Carmen Meyer.


Cet Emportée est poignant, en ce sens que Paule du Bouchet nous fait toucher du doigt, sans fard ni emphase, toute la souffrance et la détresse de la vie des du Bouchet, en premier lieu la sienne.
Résumons:
Août 1949, André du Bouchet et Tina Jolas s'épousent, fraîchement débarqués de New-York.
Naissent Paule et 1951 et Gilles en 1954.
En 1956, c'est le début pour Tina Jolas-du Bouchet d'une liaison passionnée avec René Char, ami d'André du Bouchet.
Tout en devenant une ethnologue relativement en vue, Tina Jolas est aux côtés de René Char, un appui sans faille, pas vraiment un rôle de muse, René Char finira pourtant, octogénaire, à un an de son décès, par en épouser une autre, Marie-Claude Le Gouz de Saint-Seine, éditrice, aujourd'hui Mme veuve Char.

Tina Jolas survivra à Char une dizaine d'années à Faucon (Vaucluse) avant de s'éteindre en septembre 1999, soit un peu moins de deux ans avant le décès d'André du Bouchet.        

Paule du Bouchet a énormément souffert. André du Bouchet aussi, pour Gilles du Bouchet on ne sait pas: peut-être dans un prochain opus de sa sœur (ce serait le continuum des deux que je commente sur ce fil), à moins, bien sûr, que l'intéressé...

J'ai toujours su qu'il faudrait la mort. Enfant, je pensais que celle de Char me rendrait ma mère. Il y avait dans leur amour quelque chose d'irrémédiable comme la mort. [...] Petite fille, j'ai souhaité ardemment, de façon constante, qu'il disparaisse, prié tous les dieux du ciel et de la terre, fabriqué et piqué d'aiguilles des poupées de chiffon pour qu'il meure. "Mon Dieu, faites qu'il meure". Il ne mourait pas, et il était le Dieu de ma mère.


Ma mère a été l'incarnation de ma détresse et l'incarnation de la lumière.


Un jour, mon père m'a rapporté une formule qui lui était venue autrefois, au temps de la grande souffrance. Une pensée avait surgi, qui l'avait frappé et soulagé, comme l'évidence, parfois, a ce pouvoir de cautériser. Énoncée ainsi: "la souffrance n'est pas un argument". Surtout, il m'avait dit cela, à moi. Sur le moment, je n'ai pas compris. Je l('ai entendu alors, mais compris des années plus tard. Ma souffrance, je l'ai certainement utilisée comme un "argument", un levier qui a justifié tous mes errements, tout le poids que j'ai fait peser à ceux qui m'aimaient, elle en particulier, ma mère.   


(avec sa mère, les avant-bras tailladés après une tentative de suicide)
- Tu aurais préféré que je meure plutôt que de t'appeler quand tu es chez lui.
- oui.


Reste la fin, très belle, poétique, je me retiens -parce que c'est la fin- de reproduire ici un extrait, j'ai vraiment été étonné de trouver ça là, et l'ai beaucoup apprécié.

Les missives de la correspondance Tina Jolas -Carmen Meyer viennent faire contrepoint. Tina Jolas nous échappe, d'ailleurs, n'a-t-elle pas échappé à tous, sauf à René Char ? Mais, l'espèce de vivacité solaire de sa plume, sa liberté, son ton - du moins avec son amie, cela illustre un caractère, une personnalité hors normes.

Et puis je vais peut-être redonner une chance aux écrits de René Char - à commencer par ceux que Tina Jolas indique, qui n'étaient pas ceux sur lesquels mes tentatives avant permis personnel d'inhumer m'avaient conduit...  





Mots-clés : #famille #portrait #relationdecouple #relationenfantparent #temoignage
par Aventin
le Mar 5 Jan - 20:45
 
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Sujet: Paule du Bouchet
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Vénus Khoury-Ghata

Marina Tsvétaïéva, mourir à Elabouga

Tag portrait sur Des Choses à lire Vzonus11
2019, 170 pages environ.


Boulimique d'écriture et de liaisons, une vie d'une rare dureté, faite d'épreuves dont on ne se relève généralement pas.

Hors ceci, Marina Tsvétaïéva est et restera une poétesse-phare de la langue russe au XXème -si je puis conseiller son recueil Insomnie, lequel s'ouvre sur de très touchants poèmes saphiques-, cet opus de Vénus Khoury-Ghata permet d'apréhender le phénomène:

Marina Tsvétaïéva ce sont plusieurs vies, généralement misérables et déchirées, et un talent multi-facettes boudé de son vivant, du moins après la révolution d'Octobre mais reconnu et pleinement appréhendé de nos jours (autre exemple, ses traductions, surtout celles du russe vers le français, étaient dédaignées à son époque, elles font autorité aujourd'hui).

Le livre s'ouvre sur Marina Tsvétaïéva, revenue en Russie, dans une masure insalubre à Elabouga (Russie), en haillons, qui gratte les sillons de la terre gelée de ses mains pour glaner quelques pommes de terre échappées à la récolte, efin de nourrir son fils Mour, qu'elle se plaît à croire issu de plusieurs pères, avant de se suicider par pendaison au bout de sa trajectoire d'errante misère.

Elle fut de la très haute société moscovite du temps du Tsar, puis épousa un futur Blanc (Serge) contre l'avis paternel (déjà rebelle). Déçue par la France, mais aussi par l'Autriche et l'Allemagne, l'exil de la haute société russe bardée d'argent, par les cercles et coteries littéraires françaises et occidentales, marquée par la mort de faim de sa fille Irina dans un pensionnat et la culpabilité qui va avec, puis par les rapports détestables qu'elle entretient avec sa fille Alia, très douée, qu'elle refuse de mettre en pension et dont elle se sert comme souillon, comme bonne à tout faire. Marina Tsvétaïéva n'a jamais su être mère.

Déçue aussi par Natalie Clifford Barney et Renée Vivien, leur cercle huppé littéraire et saphique, dans lequel, paraissant en haillons (elle, née princesse !) parmi ces belles dames en atours splendides, elle est une curiosité, l'ornithorynque dans le lac aux cygnes.

En dépit de ses engouements, de ses amours, de ses contacts tellement multiples (Rilke avec lequel elle entretint une longue correspondance, Mandelstam, Gorki, Nicolas Granki, André Biely, Anna Akhmatova, Pasternak, Nina Berberova, Ilya Erhenbourg, etc....) elle choisit l'irrémédiable, retourner en Russie prétextant que les littérateurs de l'exil ne valent pas ceux restés au pays, malgré ce que cela signifie: une mort encore plus misérable qu'en occident, la prison ou à tout le moins l'exil (ce sera Elabouga).

Vénus Khoury-Ghata, inspirée, nous narre cela d'une écriture dure, sans concession, aux teintes bleu-froid. Avec son côté cru, son refus d'apitoiement (il eût été si facile de signer une bio qui fût un tantinet mélo, mais la grande dame de Bcharré ne semble pas manger de ce pain-là...).

Volochine a vite compris que tu étais une sauvage incapable de penser comme tout le monde, incapable d'adhérer à un mouvement.
 Tu l'amusais alors que tu voulais attirer son attention.
  C'est chez lui à Koktebel en Crimée que tu as rencontré le jeune Serge Efron, épousé un an plus tard contre l'avis de ton père incapable de s'opposer à tes désirs. Tu imposais ta volonté, imposais une écriture qui n'avait aucun lien avec celle des poètes qui t'ont précédée.
Tu fascinais, dérangeais. Tu faisais peur.





Mots-clés : #biographie #ecriture #immigration #portrait #violence #xxesiecle
par Aventin
le Dim 6 Sep - 10:09
 
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Sujet: Vénus Khoury-Ghata
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Yasunari KAWABATA

Tristesse et Beauté

Tag portrait sur Des Choses à lire Triste10

Dès le début, le lecteur apprend que Oki, le personnage principal, se rend à Kyôto avec l’intention de rencontrer Otoko qui y réside ; Oki a violé Otoko, qui avait seize ans, il y a vingt-quatre années de cela, alors que lui-même avait trente et un ans (et était marié avec un enfant) ; elle eut de lui un bébé mort-né avant de tenter de se suicider et d’être internée dans un hôpital psychiatrique ; Oki regrette « d’avoir arraché cette femme aux joies du mariage et de la maternité », qui était tombée amoureuse de lui… et l’est toujours.
Oki est écrivain, et a écrit un roman à succès, son chef-d’œuvre, sur son amour pour Otoko (ce qui a d’ailleurs ravagé sa femme, qui tapait le manuscrit et fit une fausse couche) ; on peut soupçonner une mise en abyme autobiographique, ou au moins fantasmatique…
« Oki avait intitulé son roman Une jeune fille de seize ans. C’était un titre ordinaire et sans grande originalité, mais il y avait vingt années de cela, les gens trouvaient assez surprenant qu’une écolière de seize ans prît un amant, mît au monde un bébé prématuré et perdît ensuite la raison pendant quelque temps. Oki, pour sa part, ne voyait rien là de surprenant. »

Jalouse, Keiko, jeune élève peintre et amante d’Otoko, séduit Oki, puis son fils, pour venger celle-ci.
Roman paru en 1964 au Japon, Kawabata, Nobel 1968, dans l’esprit du temps et du lieu, à partir des faits ci-dessus, crée un chef-d’œuvre de délicatesse, de sensualité, de spontanéité, de psychologie autour de la douce Otoko et de la fantasque, ardente, belle, terrible Keiko. Érotisme de l’oreille et tombes de « Ceux dont nul ne porte le deuil »…
« Mais un roman doit-il être forcément une jolie chose ? »

La réponse en l’occurrence est oui, en tout cas pour la forme. Des reprises avec variations répètent par moments des éléments de l’histoire, effet musical qu’on peut aussi rapprocher d’une conversation naturelle du narrateur. C’est notamment remarquable au début de la partie Paysages de pierres (jardins zen), qui m’a particulièrement plu.

Mots-clés : #amour #erotisme #portrait #psychologique
par Tristram
le Dim 23 Aoû - 21:25
 
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Sujet: Yasunari KAWABATA
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Antoine Blondin

Certificat d'études

Tag portrait sur Des Choses à lire Blondi11
Portraits ou plutôt études (voir le titre), 1977, 235 pages environ.

Portraits assez profonds, avec l'art de coupler des auteurs, a minima de se servir du portrait précédent pour introduire le suivant. L'ensemble est fort agréablement troussé, dans une langue classique honorable parce que sans le moindre pédantisme, et est parsemé de cet humour dont Blondin, il faut en convenir, a scrupule à se départir.

Son étude (son cas clinique ?) d'ouverture, Baudelaire, est juste magistral. S'ensuivent des pages un peu étonnantes sur Dickens, une brève apparition de Pierre Mc Orlan enchaîné sur de touchantes petites choses sur Édith Piaf,
Petit Louis ne représente certes pas la sécurité, mais une minute de chaleur, bonne à prendre.
Les jeunes gens qui s'aiment font la dînette dans des boîtes de conserves usagées.
Le soir, Édith s'introduit clandestinement dans la chambre du garçon et se couche sous son lit. Le matelas n'est pas si épais qu'ils ne finissent par avoir un enfant.
À seize ans, Édith Gassion se retrouve dans la rue, serrant contre son torse dérisoire une petite fille à son image, qui mourra deux ans plus tard. Elle habite à Belleville avec une copine, la journée se passe à chanter à la terrasse des cafés, à la grille des soldats, dans les cours. Chassée par les serveurs, traquée par les agents, traînant son lourd boulet d'enfants de la balle, nourrie au biberon de vin rouge, c'est ainsi qu'elle rencontre Leplée.

  Du pavé jusqu'au haut du pavé, de la Môme Piaf à Édith Piaf, de la caricature exécrable à l'art le plus consommé, la pente est dure à gravir (...).  

Mais ne traînons pas: une évocation de Cocteau passe avec fugacité (qui a en commun avec Édith Piaf la matinée de leur décès), de Cocteau le mythologue on embarque pour Homère sans savoir s'il a formellement existé, filons, Jacques Perret nous attend, faisons halte chez Alexandre Dumas.

Souffle repris, la course panoramique continue avec un passage outre-Rhin, le temps d'évoquer Goethe, puis un bien étrange rapprochement entre Alfred de Musset et James Dean, avec George Sand en toile de fond du premier.
Antoine Blondin se fait caressant, émouvant même à l'heure de présenter Francis Scott Fitzgerald. On sent une connivence, pas seulement alcoolique.
Comment lui reprocherait-on d'avoir cherché dans l'existence privée des compensations désordonnées, provoquant les dangers, s'étourdissant de fêtes, précipitant son automobile dans des étangs, mettant le feu à ses appartements en compagnie de Zelda, cette jeune épouse somptueuse qui l'accompagne partout à cent à l'heure ?
Il lui fallait frapper vite et fort.


Passons chez un peu connu, si ce n'est un inconnu: O. Henry, qu'évidemment, comme ça vient de m'arriver, vous aurez envie de lire séance tenante après les blondiniennes appréciations sur sa vie, son œuvre.
Détour par le grand Balzac, celui du mémorable Cousin Pons avant de plonger dans des pages remarquables sur Verlaine et Rimbaud, en clôture d'ouvrage.  
Curieux (ou pas) d'ouvrir par Baudelaire et de refermer par Rimabud-Verlaine.
Même s'il manque, à mon humble avis, le troisième trublion (Germain Nouveau), pour avoir parcouru bien des pages biographiques, au rigorisme scientifique ou à l'apologétique à trémolos, je m'étonne de découvrir si tard ces très remarquables évocations de Rimbaud et de Verlaine.
Y entrent beaucoup de fraîcheur, pas mal de justesse sans doute (du moins tout cela sonne si cohérent...), chapeau bas !
Chez Verlaine, l'homme descend su songe et tend à y retourner en vertu d'une insatisfaction essentielle.


Mots-clés : #essai #portrait
par Aventin
le Sam 18 Juil - 16:52
 
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Sujet: Antoine Blondin
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Francis Jammes

Le pèlerin de Lourdes

Tag portrait sur Des Choses à lire Pzoler14
Roman, 120 pages environ, 1935, paru en 1936.

L'ultime ouvrage de Jammes.
Hora Decima a eu la bonne idée de le publier à nouveau en 2005, ce qui fait qu'il est relativement aisé à trouver.

Autant Monsieur le curé d'Ozeron est écrit à deux eaux, à l'eau de rose et à l'eau bénite, autant Le pèlerin de Lourdes n'est écrit qu'à l'eau bénite.

Et qu'est-ce, d'ailleurs, que cet ouvrage ?
Un format entre la nouvelle et le roman (une centaine de pages), quinze chapitres et une dédicace, c'est, là encore, découpé, aéré. Le synopsis est toujours aussi faible, si je vous narre en deux mots (et deux mots suffisent amplement !) la problématique, "ce qui fait histoire", vous allez trouver le dénouement dans la minute: C'est, encore une fois, le cadet des soucis de Jammes. Pour cet anti-thrill et anti-suspense, "ce que ça raconte" est ailleurs. Le sujet n'est qu'un prétexte, un truc obligé (d'en passer par là) en vue de la composition. Alors, il le fourgue comme en arrière-plan du tableau, ça se verra ou bien, si ça néglige, c'est sans doute qu'il a encore mieux fait son travail !

Le héros se nomme Jean Escuyot, c'est sans doute un avatar avec une bonne part d'imaginaire de Francis Jammes lui-même, mais pas à cent pour cent (pas comme dans Le poète Rustique, quoi), et il va en pèlerinage à Lourdes, c'est loin d'être son premier. Jammes nous gratifie d'un splendide portrait, tout est simple, tout est basique, tout est évident, mais tout est si suggestif !:

Chapitre Jean Escuyot continue a écrit:
  Jean Escuyot porte le chapeau melon qui date de l'enterrement de sa femme, il y a quarante ans, mais qui ressemblerait plutôt, si large est son dôme, à la cloche de ce légume. Son feutre a pris la couleur de la rouille et s'est bosselé comme un vieil ustensile de ménage. De nombreux coups de poing assénés à l'intérieur n'ont pu le retaper. Ses ailes lui donnent l'air d'une aigle impériale qui n'aurait jamais pu s'envoler. Le petit espace où appuient l'index et le pouce sont luisants.
   Quand Jean Escuyot l'enlève on voit ses cheveux blancs au complet, si drus que leur masse, taillée racine droite, évoque les cailloux concassés au bord des routes par le marteau du cantonnier. Sous cette calotte de cheveux, le front présente plusieurs rides transversales, tantôt infléchies comme des arabesques, tantôt parallèles comme les cordes d'une lyre couchée. Cette lyre joue surtout dans la gamme de la surprise et de l'appréhension. Les sourcils, blancs comme tout le reste du poil, sont fournis et relevés en pointe comme une moustache démodée. Les yeux, d'un nocturne splendide, où chanterait un rossignol, sont deux gros pruneaux d'Agen, globuleux, d'expression bienveillante, étonnée, polie. Le nez, un peu gras et oblong, rappelle la pomme de terre nouvelle, bouillie et dépouillée de sa robe de chambre. Et les pommettes saillantes revêtent un carmin naturel qui tient davantage du couchant que de l'aurore. La bouche, purpurine aussi, laisse pointer quelques clous de girofle au cours d'une conversation. La lèvre inférieure est charnue. La barbe, de la même espèce que les cheveux, ni longue ni rase, mal taillée, présente des escaliers comme ceux dont un bûcheron gratifie une écorce recouverte de lichens. Le cou est maigre et cordé, comme l'ont certains poulets. Autour du col d'une chemise de flanelle est passée, lâchement nouée, l'une de ces cravates antiques nommées ficelles. Le gilet est recouvert d'un tricot jurant avec une jaquette officielle. Jean Escuyot, en dépit de son nom qui en bigourdan signifie noix, tout simplement, la noix, le fruit, est un percepteur à la retraite. Ce vêtement a dû faire peau neuve deux ou trois fois depuis la naissance du chapeau melon. Il est plus olivâtre que ferrugineux. Le seul cordon qui le dévore est la courroie d'une musette où sont en réserve quelques vivres, du savon, une chemise et des chaussettes de rechange. Pour rien au monde Jean Escuyot n'admettrait qu'un bouton y manquât. Il coud et ravaude lui-même. Au bout des manches les mains sont épaisses et rougeaudes. La gauche porte à l'annulaire l'alliance de sa défunte femme et la droite retient l'une de ces cannes champêtres qu'une liane a vissées. L'épiderme en est rugueux à cause des travaux de jardinage. Le pantalon est d'un gris de brume, relevé sur les souliers. L'ensemble de l'homme est vigoureux: ni grand ni petit, ni maigre ni gros.



Curieusement immiscé dans ce livre, faisant un rien dépareillé, on trouve un témoignage assez plaisant d'un pèlerinage que Francis Jammes fit à Lourdes en compagnie de Paul Claudel: est-ce qu'un extrait vous dirait ?
La dernière réplique de Claudel est assez savoureuse je trouve, en tous cas drôle, bien narrée.

chapitre Amende honorable au mauvais goût de Lourdes a écrit:
   Je vous revois, mon cher Claudel, en ces chaudes journées du pèlerinage national de 1905, où, pour la première fois, vous preniez contact avec Lourdes; Personne, j'en suis sûr, ne suivit, avec plus d'humble ferveur que vous, les cérémonies qui se déroulèrent sous nos yeux fraternels.

   Néanmoins au cours de ces longues heures que nous passions ensemble matin et soir, dans un espace limité par la grotte, les fontaines, les piscines, les bureaux, le rosaire, la crypte et la basilique, je ressentais que s'accumulait en vous un orageux mécontentement. J'avais espéré que vous échapperiez à la réaction qui mit à nu les nerfs de Huysmans et d'Henri Duparc, l'homme pourtant le plus saintement épris de Lourdes que j'aie connu; que vous vous soustrairiez à ce sentiment de révolte que provoquent souvent, chez les mieux intentionnés, des œuvres, il est vrai lamentables, qui encombrent les places, le sanctuaire, le calvaire. Il s'en faudrait de très peu qu'une telle face monstrueuse ne trouvât crédit dans les temples des solitudes de l'Asie.

  Nos promenades se renouvelaient autour des mosaïques des Mystères, et nous songions davantage, me semblait-il, à égrener proprement notre chapelet qu'à fulminer contre l'art de Lourdes. J'avais entendu tant de sarcasmes à ce sujet, qu'à vrai dire je ne voulais plus me prêter à ces lieux communs. En avais-je assez ouï de:
   - C'est affreux ! comme c'est dommage ! ça tuera la religion ! ça a empêché un protestant de se convertir ! ce n'est pas étonnant que les catholiques passent pour des idiots ! le diable est l'auteur de toutes ces choses, etc..., etc..., etc...

   Soudain, mon cher ami (je revois fort bien l'image qui vous fit éclater) votre teint rosé d'homme bien portant refléta toutes les flammes du purgatoire.
   - Ah ! ah ! ah ! vous écriiez-vous, c'en est trop, je meurs. Partons. C'est épouvantable.

   Et vous commençâtes de dévider une litanie de brèves phrases entrecoupées, si furieuses qu'elles me faisaient songer au trop fameux monologue de l'Avare de Molière.
   ...Je vois ! je vois ! poursuiviez-vous, je vois !...
  - Que voyez-vous donc ?
  - Je vois l'abominable cabotin qui a exécuté, en ricanant, cette vilenie.
  - Calmez-vous, cher ami. Ne protestez pas avec tant de véhémence ! Que vous importe, ou non, la valeur, en soi, de cette œuvre ?
Et qu'elle plaise ou pas à votre goût d'artiste, si une bonne femme, venue de Flandre, de Bretagne, des Landes, de Pontoise ou de Lannemezan, est édifiée par ce que vous trouvez horrible et, par cela même, élevée à une oraison qui, aux yeux de Dieu, vaut mille fois la nôtre ?
  - Taisez-vous, je vous en supplie, avez-vous répliqué, je vous entends, je vous comprends, je vous approuve mais, ah ! ah ! c'est affreux, en raisonnant ainsi vous allez me faire perdre le peu de goût qu'il me reste !



Replanté d'un message sur Parfum, 26 Mars 2014.


Mots-clés : #portrait #religion #spiritualité #xxesiecle
par Aventin
le Lun 6 Avr - 19:33
 
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Sujet: Francis Jammes
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Vladimir Nabokov

La vraie vie de Sebastian Knight

Tag portrait sur Des Choses à lire La_vra10
(Couverture de Lucian Freud)

Peu après Roi, dame, valet, et surtout La Défense Loujine, notre féru d’échecs met en scène le cavalier ; le thème principal est au moins partiellement le même que dans son précédent roman, Le Don : biographie d’un écrivain, création littéraire.
Le narrateur, V., entreprend donc d'écrire la biographie de son demi-frère aîné, célèbre romancier brusquement décédé. Dans son amour (qui paraît n’avoir pas été payé de retour) pour ce proche qu’il a finalement peu connu, il semble victime de l’ascendant de ce dernier, auquel il s’identifie aussi plus ou moins. Et dans sa tentative d’exploration par l’écriture d’une vie méconnue, il butte répétitivement sur la difficulté à exprimer la personnalité d’un proche qui disparaît sans que l’on puisse vraiment le connaître.
« Ne perds pas de vue que tout ce qu’on te dit est en réalité triple : façonné par celui qui le dit, refaçonné par celui qui l’écoute, dissimulé à tous les deux par le mort de l’histoire. »

Avec une caricature d’enquête et l’exposé de rêves judicieusement ininterprétables, Nabokov fait usage des souvenirs d’enfance et de minutieux détails dont il a le goût, avec celui d’égarer son lecteur…
Un humour très subtil joue avec les allusions autobiographiques, comme la fine critique de l’Angleterre qui l’accueillit en exil, au travers notamment du premier biographe et ancien secrétaire de Knight, Goodman. De même, le narrateur a suivi un cours d’écriture pour se lancer dans cette rédaction, et c’est l’occasion de tourner en ridicule le métier des lettres en général.
On retrouve Mademoiselle O, la ronde gouvernante suisse de Vladimir enfant et sa fratrie, celle-là même de la nouvelle éponyme et de l’autobiographie Autres rivages :
« Elle s’appelait, elle s’appelle toujours Olga Olegovna Orlova : allitération oviforme qu’il eût été bien dommage de garder pour soi ! »

Ce portrait est aussi l’opportunité de celui, plein de perspicacité, de l’exilé ‒ émigré, expatrié :
« Ce fut pour découvrir là-bas l’existence d’un asile pour vieilles Suissesses ayant été institutrices en Russie avant la Révolution. Comme me l’expliqua le monsieur très aimable qui m’y guida, elles "vivaient dans leur passé", passant leurs dernières années – et la plupart de ces dames étaient décrépites et retombées en enfance – à comparer leurs impressions, à nourrir de l’une à l’autre de mesquines inimitiés, et à dénigrer le train dont allaient les choses dans cette Suisse qu’elles avaient redécouverte après avoir si longtemps vécu en Russie. Ce qu’il y avait de tragique dans leur cas c’était que, durant toutes ces années passées dans un pays étranger, elles étaient demeurées absolument imperméables à son influence (au point de ne même pas apprendre les mots russes les plus simples), et même un peu hostiles à leur entourage – combien de fois n’avais-je pas entendu Mademoiselle se lamenter sur son exil, se plaindre qu’on lui manquât d’égards ou qu’on ne la comprît pas, et soupirer après sa belle terre natale ! – mais quand ces pauvres âmes flottantes revenaient chez elles, elles se découvraient complètement étrangères dans une patrie transformée, – si bien que, par un étrange tour de passe-passe sentimental, la Russie (qui, dans la réalité, avait été pour elles un abîme inconnu qui grondait sourdement au-delà du coin éclairé par la lampe dans une chambre mal aérée donnant sur la cour, enjolivée de photographies de famille dans des cadres de nacre et d’une aquarelle du château de Chillon), la Russie inconnue revêtait à présent l’aspect d’un paradis perdu, d’un lieu vaste, vague mais rétrospectivement amical, peuplé de regrets illusoires. »

Mais l’essentiel n’est pas là : le thème de la biographie… est mis en abîme dans la biographie elle-même !
« Auteur écrivant biographie imaginaire recherche photos de messieurs, air compétent, sans beauté, posés, ne buvant pas, célibataires de préférence. Acheteur photos enfance, adolescence, âge viril, pour reproduction dans ledit ouvrage. »

« …] dans le premier livre de Sebastian, L’Iris du miroir (1925), l’un des personnages secondaires est une charge extrêmement comique et cruelle d’un certain auteur vivant que Sebastian trouvait nécessaire de fustiger. »

« Le sujet de son [dernier] livre est simple : un homme se meurt : vous le sentez, tout au long du livre, en train de sombrer [… »

Parodie dans la parodie :
« Ainsi qu’il le fait souvent, Sebastian se sert ici de la parodie comme d’une sorte de tremplin pour bondir dans la région la plus élevée du grave et de l’ému. »

Le, ou un des projets (?) de l’auteur :
« C’est comme si un peintre disait : "Attention ! je m’en vais vous montrer non la peinture d’un paysage, mais la peinture des différentes façons de peindre un certain paysage, et je suis sûr que de leur fusion harmonieuse naîtra à vos yeux le paysage tel que je veux que vous le voyiez." »

Ce roman est à la fois un plaisir de lecture spirituelle, une complexe exposition des conceptions littéraires de l’auteur et du problème de la « parfaite solution » d’un écrivain, une méditation sur le destin (avec prestidigitateur), une approche métaphysique de l’existence et de la mort. Sans comprendre complètement le propos de Nabokov, j’ai quand même saisi que celui-ci est parvenu à mettre du sens dans son livre !
Ainsi, il semble que l’histoire demeure perpétuellement bloquée à deux mois après le décès de Sebastian Knight…
Donc méandreux en diable :
« Le nœud le plus ardu n’est qu’une corde sinueuse ; résistant aux ongles, mais en réalité simple affaire de boucles indolentes et gracieuses. L’œil le défait, cependant que les doigts maladroits saignent. C’était lui (l’homme qui se mourait) ce nœud, et il allait être sur-le-champ dénoué, si seulement il trouvait le moyen de ne pas perdre le fil. Et pas seulement lui, mais tout serait débrouillé, – tout ce qu’il pourrait concevoir en fonction de nos puériles notions d’espace et de temps, l’une et l’autre, énigmes inventées par l’homme à titre d’énigmes, et par suite, revenant nous frapper : boomerangs de l’absurdité… Il avait à présent saisi quelque chose de réel, qui n’avait rien à voir avec aucun des sentiments ou pensées ou expériences par lesquels il pouvait avoir passé dans “le jardin d’enfants” de la vie… »

Sinon, l’astuce de la fausse biographie (d’un écrivain) n’est pas nouvelle, mais son traitement plein de malice par Nabokov me fait y soupçonner une source de l’inspiration de Philip Roth, David Lodge et/ou Enrique Vila-Matas (et je me demande si Nabokov a lu Henry James).

Mots-clés : #biographie #ecriture #portrait
par Tristram
le Ven 6 Sep - 0:27
 
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Sujet: Vladimir Nabokov
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Charles Bertin

Tag portrait sur Des Choses à lire 51q46s10

La Petite Dame en son jardin de Bruges

Originale : Français, 1996

Actes Sud a écrit:Charles Bertin, qui est né en 1919, a rêvé de sa grand-mère, morte depuis un demi-siècle. Au matin, ce rêve lui est apparu comme le signe qu’il fallait sans délai rendre visite à la petite dame en son jardin de Bruges.
Dans la manière d’un tissage aux laines délicates se compose alors, au fil du voyage, un portrait d’une tendresse si sensible et d’une véracité si évidente que nul ne saurait lire ces pages sans aller aussitôt à ses propres souvenirs, ni sans ressentir, à l’exemple de Charles Bertin, l’effroi de revoir si bien sans jamais pouvoir franchir le glacis qu’impose la mort.


REMARQUES:
Donc, il s’agit ici pas d’un roman mais bien d’un récit, un portrait, des souvenirs de Charles Bertin sur sa grande-mère Thérèse-Augustine, et les étés d’enfance qu’il a passé chez elle dans les années 20 et début années 30 à Bruges. Quel sens de la mise en scène elle avait, avec quelle fantaisie elle rejoignait les rêves de son petite-enfant ! Elle avait grandi dans un atmosphère où c’était normal que l’éducation des filles était négligée en faveur de celle des fils de la famille. Quel gâchis ! Tôt, et si on comptait bien : avant le temps imposé, elle tombait enceinte pour pouvoir fuir l’emprise familiale et marier son cheminot. Ensemble ils vont devoir changer d’habitation et d’affectation à plusieurs reprises. Le petit Charles passe ses étés d’enfant chez eux et puis chez la veuve. Il y a le temps sacré et magique passé avec elle qui raconte l’histoire de telle façon qu’elle fait de l’enfant un confident ! Ensemble ils découvriront, carte à la main, la ville de Bruges sous différents aspects. Elle sait rendre les choses intéressantes et mystérieuses. Et elle propose alors la découverte de la mer : et une expédition se fera, inoubliable, à bicyclettes.

Mais bien sûr Charles va passer aussi des heures seul lors de ces séjours, découvrant ces « lieux secrets et magiques », propres à l’enfance. Il s’invente des aventures dont il est le héros (solitaire), explore des endroits mystérieux, et si ce n’est ce grenier attirant.

Hommâge et quasimment lettre d’amour à la grande-mère, mais aussi perspectif retrouvé d’un enfant !

Quelle poèsie !


Mots-clés : #enfance #famille #portrait
par tom léo
le Dim 1 Sep - 15:31
 
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Sujet: Charles Bertin
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Eric Plamondon

Tag portrait sur Des Choses à lire 21078110

Hongrie-Hollywood express


Originale : Français, 2013

CONTENU
présentation (en grande partie) a écrit:Dans ce premier tome de la trilogie 1984 que l’auteur compte comme une année charnière (personnelle?), un certain Gabriel Rivages (Alter-Ego de l’auteur) raconte le siècle et la vie du petit Janos Weissmueller devenu Tarzan au cinéma. Et c'est tout le patchwork américain qui s’anime, des exploits sportifs qui font rêver la planète tout entière aux soubresauts de l'underground littéraire, des gloires de Hollywood aux déclins obscurs. Burroughs vend des taille-crayons, Al Capone domine Chicago, Albert Einstein croise un chasseur d'écureuils, le record du monde du 100 mètres nage libre passe sous la minute, un comptable véreux s enfuit avec la caisse et un mythe vivant finit placier dans un restaurant de Las Vegas.

De Montréal aux îles Bikini, Éric Plamondon nous promène avec finesse et jubilation dans l'histoire culturelle de la grande Amérique.


REMARQUES :
Et cette promenade il le fait par ces touches « mosaïques » d’à peine une page, en 90 chapitres en total. Style Plamondon ! On saute de bribes de la vie de Janos Weissmueller de la Hongrie et son arrivée à l’âge d’un an à Ellis Island, à la découverte de la nage à Chicago, puis ses exploits aux Jeux Olympiques de Paris et Amsterdam en 1924 et 1928. Avant qu’il ne devienne la vedette la mieux payée de Hollywood, en jouant le rôle de Tarzan dans une dizaine de films. Mais cette montée vertigineuse sera accompagnée, suivie par une descente pareillement vertigineuse… jusqu’au quasi-oubli dans une mort au Mexique.

Mais ce qui est esquissé ici d’une façon chronologique, Plamondon le raconte parfois en revenant sur ses pas ou en anticipant et il fait intercaler par des bribes d’autres histoires, rendant compte de la vie d’autres personnes, voir même de narrateurs « Je » le temps d’un chapitre. Entre autre alors Gabriel Rivages.

Cela est intelligent et aéré à la fois. Juste que peut-être il y a de ces mini-chapitres qu’on arrive pas à placer ? Ou moins moi. Mais cela ne change pas le plaisir en général et aussi d’un coté l’admiration devant un prodige de la natation et son exploitation, sa chute… Hollywood !

Mots-clés : #biographie #contemporain #portrait
par tom léo
le Dim 28 Juil - 18:38
 
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Sujet: Eric Plamondon
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François Augiéras

Domme ou l'essai d'occupation


Tag portrait sur Des Choses à lire Domme10

Récit autobiographique, écrit en 1969, 170 pages (12 chapitres) précédées de 15 pages de préface et de lettres, d'abord publié chez Fata Morgana en 1982 après bien des refus d'éditeurs, mais amputé d'un chapitre, puis enfin intégralement aux éditions du Rocher en 1990.


En grande précarité, François Augiéras se fait admettre comme indigent dans un hospice situé à Domme, pas tout à fait par hasard: fin connaisseur du Périgord où il a grandi, et qu'il a sillonné à pied comme à vélo, peut-être avait-il l'intuition du parti qu'il pourrait tirer de ce site, exceptionnel.

En fait nous ne saurons rien ou quasiment de sa vie à l'hospice, qui le lasse ou même le révulse.
Aucune description laissée.
Très tôt il cherche, en guise de demeure de jour, une grotte:
Chapitre I, La caverne à flanc de falaise a écrit: Tout mon avenir à Domme dépend de la découverte d'une grotte.


Illuminé, misanthrope, marginal.
Des signes clairs de rejet (du vandalisme dans et devant la grotte, deux rencontres désagréables) lui sont adressés.  
Autant Augiéras cherche l'écart, celui de la mise à l'écart, autant il entend ne frayer ni avec la population, ni avec l'hospice proprement dit, autant il s'étonne de sa solitude pourtant recherchée et en souffre: car Augiéras, pour qui la rupture avec le monde "des hommes" est consommée, qui n'a que des mots durs pour l'humanité, est un grand paradoxal.

La connivence, l'amitié (et, in fine, davantage pour le second et c'est ce qui donne aujourd'hui toutes ses lettres de malédiction à ce récit, que beaucoup peuvent, je le conçois, vouer aux gémonies) ne se trouvent qu'au travers de deux rencontre, une adolescente et un enfant.

Certain d'être en fin d'un monde (d'une ère), son essai d'occupation c'est-à-dire d'occuper le terrain (en vue d'un nouveau culte ?) est assez fumeux, se paye de majuscules aux débuts de mots couvrant on ne sait quels concepts qu'il ne prend jamais la peine de détailler, d'expliquer.
Il n'a jamais de termes assez violents pour défourailler sur la chrétienté, l'époque, l'athéisme républicain et que sais-je encore, mais s'avère absolument incapable de proposer quoi que ce soit en échange.
On ne sait rien de sa cosmogonie et de ses visions de fumeur d'orties séchées en succédané de cannabis, de sa théologie s'il en a une, à peine une mention en fin de livre sur les lectures qui semblent le pénétrer.

Son rapport d'amour-haine envers la chrétienté est particulièrement troublant: voilà quelqu'un qui a séjourné très longuement parmi les moines au Mont Athos et rêve d'y retourner, qui passe chaque jour des heures dans l'église du village, devant un retable dédié à la Vierge, dans une posture que des chrétiens de passage trouveraient tout à fait rituelle, oscillant entre Adoration et Oraison, quelqu'un qui se livre à des larcins en chapardant cierges et encens pour les brûler dans sa grotte, reproduisant ainsi exactement ce qu'il prétend abominer le plus, le fait, qu'on découvre grâce à un moteur de recherches contemporain, que ces hospices qu'il fréquentait étaient parfois tenus par des religieuses (ou dans lesquels, sans être à la tête de ces lieux, elles occupaient beaucoup de fonctions de petit personnel), etc...

 
Alors, c'est vrai, il serait assez aisé de tourner le piteux François Augiéras en dérision.
Aisé de relever ses ridicules, combien il peut s'avérer calamiteux, de mauvaise influence (et plus sur l'un) sur deux jeunes.
D'autant qu'en couplant ce récit avec ses lettres à Jean Chalon (dans un livre intitulé Le diable ermite, peut-être en ferais-je un commentaire ultérieur) on le voit, dans la même période et ce n'est pas dit dans le récit, calculateur, intéressé, et manipulateur si besoin est.

Mais je ne me livrerai pas à ça.
Ce désemparé-illuminé a ses affres à narrer, cela vaut parfois des passages de qualité. Cet acharnement dans la dinguerie vaut quichottisme et cela se respecte, à condition d'avoir le courage ou la veulerie (c'est selon) de faire une part mal taillée des choses, en laissant de côté la face sombre d'Augiéras, ce qui n'est pas tout à fait lui rendre justice je le reconnais sans peine: il la revendique (y-a-t-il jamais eu un misanthrope ne se voulant pas détestable aux yeux d'autrui ?).

Extraits et autres éléments dans cette vidéo, intitulée rien moins qu'"un essai d'occupation":


Mots-clés : #amitié #exil #initiatique #portrait #xxesiecle
par Aventin
le Dim 14 Juil - 20:50
 
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Sujet: François Augiéras
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Patrick Gale

Tableaux d'une exposition

Tag portrait sur Des Choses à lire 71bnda10

De son écriture tout en nuances, Patrick Gale nous livre une chronique familiale douce-amère autour de la figure maternelle d'une artiste peintre bohème et excentrique, dans le décor splendide de la Cornouailles. Par une belle journée d'hiver, Rachel Kelly s'écroule dans son atelier. Cette peintre renommée laisse derrière elle une oeuvre impressionnante et une famille déchirée. Un homme, d'abord, Antony, qui fut son compagnon, son soutien, son souffre-douleur aussi, quand ses crises dépressives étaient trop fortes ; deux fils qui ne se sont jamais sentis à la hauteur de cette mère trop douée, trop passionnée, trop vivante ; une fille, Morwenna, qui a choisi de fuir... Comment les liens qui les unissaient se sont-ils distendus ? Qui était vraiment cette artiste de génie, gravement malade, qui a toujours fait passer l'art avant tout ? Pourquoi la fragile Morwenna a-t-elle soudain rompu avec ses parents ? Qu'est-il arrivé à Petroc, le petit dernier, le fils préféré, disparu trop tôt ? Quels secrets les tableaux de Rachel Kelly ont-ils encore à livrer ?



L’histoire se déplie au fil de la découverte des tableaux de l’artiste Rachel Kelly, exposés post mortem. La vie de l’artiste, au travers des regards de ceux qui l’ont le mieux connue, ses enfants, sa sœur, son époux, est ainsi évoquée dans les bribes de souvenirs que chacun livre, dans les bouts de leur histoire avec elle, et au travers des quelques mots apposés comme présentation de chaque œuvre.

Ainsi, nous rencontrons au fil de ce roman une mosaïque de portraits de Rachel Kelly, des périodes artistiques qu’elle a pu avoir, des différents moments de sa maladie, entre moments dépressifs ou maniaques. Nous apprenons un peu de sa vie, et ses mystères peu à peu s’éclairent, au fil des tranches de vie livrées pat les autres personnages.

On perçoit comment chacun, dans sa relation avec elle, a eu de bons moments et d’autres plus compliqués ; et, au-delà, au travers de ces brefs témoignages comme des clichés photographiques,  on perçoit comment la maladie de Rachel a régenté la vie de chacun et leur a dévoré une part de celle-ci.

Mais de Rachel, finalement, on ne saura que ce que d’autres ont retenu d’elle, ont partagé avec elle ou se souviennent d’elle, ce donc au travers du filtre de leurs sentiments, attentes comblées ou déçues. Rachel gardera donc sa part de mystère, sa part d’insu. Elle ne parle pas, on ne l’entend pas, juste on la devine alors qu’elle est au centre de l’histoire, sans y être présente mais en prenant toute la place

Ce roman, c’est l’histoire d’un deuil qui ravive les souvenirs d’une vie, où chacun se réapproprie son lien avec la défunte et fait avec ce qu’elle a laissé. C’est, derrière cela, l’histoire d’une famille à part où chaque membre est différemment déchiré par sa relation à cette mère, femme, amie, sœur, hors norme, une femme abîmée de différentes manières, dont on ne percevra la fêlure que tard et pour laquelle il faudra se contenter de juste l’entrapercevoir.

Cette lecture a été riche, j’ai trouvé le choix de l’auteur intéressant, et inhabituel. J’ai voulu, et continue à souhaiter, en savoir plus sur Rachel, mais là est toute la frustration de l’œuvre, on reste quelque part avec ses attentes et questions.


Ce que je pourrai reprocher à ce choix, c'est le revers du choix que l'auteur a fait d'utiliser différents regards, car, bien que très intéressant, avancer au fil de ces bouts d’histoire disparates a fait que j’ai eu du mal à m’attacher à un personnage et à m’émouvoir avec lui, attendre la suite des événements. Ce serait le bémol pour moi de ce livre, de ne pas avoir réussi à m’embarquer avec lui car je me suis toujours sentie coupée dans une histoire, une tranche de vie.

Mots-clés : #famille #peinture #portrait
par chrysta
le Dim 19 Mai - 21:15
 
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Sujet: Patrick Gale
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Bernhard Schlink

Olga

Tag portrait sur Des Choses à lire Produc11

Orpheline qui devient institutrice à la force de sa volonté et de son travail, Olga aime Herbert, le fils de l’aristocrate du coin. Herbert aime Olga, aussi. Mais c’est un homme écartelé entre son devoir familial, son amour têtu, et ses aspirations existentielles qui le poussent à flirter avec l'infini, le lointain, les immensités. Ainsi Olga va vivre avec son amant en pointillé, mais son amour puissamment accroché au cœur, et cela même quand Herbert se sera perdu dans les immensités glaciales de l’Arctique sans espoir de retour. Elle va poursuivre sa route, femme vieillissante avec cet homme au cœur, alors qu’autour d'elle le nazisme monte, dans une autre aspiration mortifère à capturer l’immortalité. Elle reste cette femme secrète et résolue, cultivant son indépendante, ouverte aux autre malgré la surdité qui l'isole.

Très beau portrait d'une femme fidèle, qui tout à la fois aimé et détesté cette force qui, certes, pousse Herbert loin d'elle, mais qui aussi lui donne ces yeux pétillants et ces enthousiasmes enchanteurs. Comment garder son indépendance quand on aime, rester fidèle à ses sentiments et ses idées, mener une vie digne quand on appartient plutôt au clan des réprouvés?

Schlink construit magistralement ce roman, d’une grande richesse, impeccablement  maîtrise, dont la réserve apparente cache un lyrisme emporté. Sous ses dehors terre à terre, il interroge sur le destin des hommes, des femmes et des peuples. C’est un récit en trois temps, où interviennent un jeune homme "ennuyeux" et des lettres  (quelles lettres! ) qu’il va miraculeusement retrouver.

Quel beau titre que ce titre, Olga (contre une couverture un peu niaiseuse), qui dit une femme, qui mène son chemin tragique sans drame, pour elle-même, d'un pas tranquille et assuré, confiante en ses certitudes, dans un siècle pourtant  déboussolant.


Mots-clés : #amour #portrait #solitude #voyage
par topocl
le Sam 23 Mar - 10:30
 
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Sujet: Bernhard Schlink
Réponses: 10
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Marie Chaix

Juliette, chemin des cerisiers

Tag portrait sur Des Choses à lire 413fx910

Voici une troisième version de cette histoire familiale de Marie Chaix, où le personnage central, ce père compagnon de Doriot et collaborateur est aussi « présent » par ses absences que par ses errances politiques. Cette fois-ci, après son père et sa mère,  c’est à travers  Juliette que Marie Chaix raconte. Juliette la jeune bonne indispensable qui a accompagné la famille pendant plus de trente ans, l’a aimée et soutenue de façon indéfectible. Une jeune femme venue d’un misérable milieu paysan bressan, qui a semée en elleun désir d’avancer sans se plaindre,   un pragmatisme, que cette remarque résume bien :

Quand elle vient d’Arciat sur son vélo, la Juliette d’aujourd’hui tourne à droite pour entrer dans laevillage et passe devant la mairie flanquée de ses deux morceaux  d’école, avant d’arriver sur la place. Se dit-elle : » c’est là que j’ai appris à ire » ? Non. Elle pense : je vais garer mon vélo contre le mur et acheter le pain de la semaine.


Si c’est encore une fois le même récit avec un petit décalage, c’est avant tout un beau portrait, d’une femme humble mais solide, qui sous ses couverts de « domestique », ne s’en laisse pas compter, développe une humanité et trace un droit chemin, jusqu’à s’être rendue indispensable à la vie et au cœur de tous au fil des décennies.


mots-clés : #portrait
par topocl
le Mar 5 Mar - 13:20
 
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Sujet: Marie Chaix
Réponses: 17
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