Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

Des Choses à lire
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Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

La date/heure actuelle est Dim 26 Mar - 10:16

260 résultats trouvés pour autobiographie

Julien Gracq

Manuscrits de guerre

Tag autobiographie sur Des Choses à lire Manusc10

Souvenirs de guerre se présente comme un journal où le lieutenant Poirier commente les événements de sa campagne en mai-juin 1940, principalement dans les Flandres.
« Voici bouclé ce curieux périple de dix jours dans les pays-bas. Nous avons réalisé ce tour de force de zigzaguer dix jours à travers la Hollande et la Belgique envahies sans tirer un coup de fusil. Et maintenant nous allons être engagés alors que tout est perdu, on le sent. Mais allons-nous seulement être engagés ? On finit sérieusement par se le demander. »

Outre cette omniprésente impression de défaite, celle de l’ivrognerie.
« Ces Bretons, si sympathiques, sont devant l’alcool comme des sauvages. »

Beaux temps et paysages auxquels Gracq est sensible, autant qu’à la contrastive absurdité de la drôle de guerre, pleine d’incohérence. Son groupe est perpétuellement débordé, en danger d’encerclement. L’état-major annonce « quelques chars ennemis coupés de leurs arrières sont signalés dans la région, à court de munitions et tirant à blanc pour semer la panique » :
« Pendant que nous gagnons le P.C., tout à coup, folâtre, inattendue comme un éternuement, siffle à quelques mètres au-dessus de nous la première gerbe de balles. L’impression n’est pas très violente, car je me suis rendu compte que c’était assez haut. Le baptême du feu, tout de même. Et, incidemment, nous apprenons que les chars ne tirent pas tous à blanc.
La troupe n’est pas impressionnée, ayant déjà été engagée en Sarre.
Je trouve ce déplacement in extremis très désagréable. J’aurais bien mieux aimé me battre dans une ville que dans la campagne. Ces caprices de petit-maître m’écartent passablement du parangon du parfait soldat.
J’apprends en route que notre général de division a été fait prisonnier à Boulogne, et notre général de brigade tué en essayant de s’échapper. Nous jugeons qu’il n’est peut-être pas très opportun de faire part à nos hommes de ces malheurs des immortels. »

« Et la littérature ne me lâche pas sur la ligne de feu, comme j’aurais pu croire, – au contraire. À certaines heures les pires, un peu plus tard, je me surprendrai à me répéter, comme un petit refrain mécanique : "Fanal de Maldoror, où guides-tu ses pas ?" »

« Vjoû oû oû oû !
J’ai l’impression qu’une main en une seconde parcourt délicatement la surface de ma peau et en fait lever un à un tous les poils. Cette fois, c’était tout près, à trente, quarante centimètres au-dessus de nous. Chute alanguie, paresseuse, de quelques branchettes.
Immobilité de mort. Une, deux minutes, puis avec des précautions infinies, j’essaie de me lever un peu sur les coudes, pour voir.
Vjoû oû oû oû oû !
Je me plaque contre le sol, essayant d’y faire adhérer, pénétrer par pression chaque centimètre de ma peau. Le visage surtout, que j’essaie d’imprimer dans la terre. Le bord du casque s’arc-boute bêtement en avant et l’arrière se soulève comme une soupape. J’essaie de faire glisser ma musette devant moi. Ah ! avoir au moins quelque chose, ne fût-ce qu’un bout d’étoffe, devant la tête. »

« Dans cette courte guerre, j’ai vu presque toujours autour de moi les hommes hésiter à ouvrir le feu, certains qu’ils étaient – plutôt que de nuire à l’ennemi – de se désigner – sûrs d’avance de n’avoir pas le dernier mot. »

Ils font improbablement des prisonniers, alors que le plus souvent les soldats français envisagent de se rendre. On est loin des idées reçues dans ce témoignage.
« S’il fallait par exemple attaquer demain, avec cette troupe imbibée de défaite comme d’eau une éponge ? Cette idée soulève le rire – mais à quoi bon y penser ? Heureusement à la guerre l’imagination est toujours punie – j’ai eu le temps d’apprendre au moins cela. Et c’est peut-être cette certitude qui fait qu’on y dort si bien, car cette nuit encore je me vautrerai dans le plus profond sommeil. Cœur et tête, je me sens à peu près vide, flottant : l’enveloppe s’agite, marche, donne des ordres qui sont reçus, il faut le dire, comme ils sont donnés – simulacre pour simulacre. Reste le détachement complet de la chose et l’ironie, par lesquels je me sens vivre. Que me font, que me sont tous ces hommes ? la plupart déjà marqués – troupeau aboulique, fourmis absurdes dans la fourmilière bousculée, et pour lesquels je n’ai ni ombre de pitié, ni sympathie.
De notre situation désespérée ne naît, comme on pourrait le croire, ni communion, ni cordialité. Chacun se referme sur soi-même, dans sa boule dure, et il n’y a peut-être aucun moment de la guerre où je n’aie senti jusqu’à la gêne les rapports entre hommes plus hypocrites, plus creux. Chacun est seul. Eh bien ! va pour la solitude, et tant mieux. »

Montée au front au travers de la déroute des troupes, Anglais compris : les « retraitants ».
« Cinq mille hommes, d’un côté, qui se sauvent, et quarante, de l’autre, qui « montent » : cela emporte la conviction, comme on dit, le poids n’est pas égal. »

Ses hommes désertent… Gracq pointe les simulacres farcesques dans la débandade (on pense plus à La Grande Vadrouille qu'aux héroïques images d'Épinal) :
« Rien d’authentique ne sera sorti de cette guerre que le grotesque aigu de singer jusqu’au détail 1870 et 1914. »

« Ce phono enragé qui beugle sans relâche au fond de la cour déserte – car tout le monde est aplati dans ses trous – sous les trajectoires lumineuses, dans le soleil torride et l’immobilité, – on dirait d’un Chirico, d’un monde qui se détraque, se distend dans une grimace obscène d’aliéné. Le cœur bondit d’une espèce de jubilation inquiétante. »

Pour lui, pas question de repli sans ordre formel, mais ils sont ignorés par la vague d’assaut ennemie (si ce n’est par l’artillerie).

Récit, qui suit, reprend les aventures des 23 et 24 mai, mais c’est maintenant le lieutenant G. qui est le personnage principal : texte plus circonstancié et travaillé.
« …] la poésie d’une guerre, c’est l’ennui quand on la fait, met des dizaines d’années à distiller ses pures essences [… »

« Il y avait un côté jubilant et niais dans cette catastrophe, c’était sûr, par où le cœur surnageait, finissait par se détendre dans quelque chose qui ressemblait assez au rire de l’idiot [… »

« Une sorte de chemin de halage longeait l’Aa en talus – derrière le talus, leur arme en batterie sur le bord du chemin au-dessus de leur tête, deux mitrailleurs se recroquevillaient en chien de fusil – de l’autre côté de la route, dans un petit estaminet qui bordait le canal, deux soldats, debout au comptoir, buvaient tranquillement des pernods que leur servait une petite vieille. »

Ces documents, à l'origine non destinés à publication, éclairent l’œuvre ultérieure, notamment mais pas que Un Balcon en forêt ; en outre, ils constituent un témoignage historique sur la débâcle française, et la différence d’esprit avec les Allemands dans ce début de Seconde Guerre. Curieux de découvrir Gracq proche d’Hyvernaud, mais pas si éloigné de l’exaltation de Jünger (voir https://deschosesalire.forumactif.com/t391-hyvernaud-versus-junger) ; au cours de cet exposé de l'individu pris dans la formidable machine qui l'écrase, j’ai aussi pensé au Langlois de Giono, et à la tétralogie des mémoires de Cendrars.

\Mots-clés : #autobiographie #deuxiemeguerre
par Tristram
le Lun 20 Mar - 12:06
 
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Sujet: Julien Gracq
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Louis Calaferte

C'est la guerre

Tag autobiographie sur Des Choses à lire C_est_10

Souvenirs du narrateur-auteur à onze ans, à la déclaration de la Deuxième Guerre. Toutes les questions sans réponse de l’enfance :
« – C'est quoi, la guerre ?
– Occupe-toi de ta soupe. Mange. »

« Le gros homme de la maison » et « la petite femme maigre » sont vraisemblablement les parents, ainsi curieusement, et sans doute significativement désignés.
Refrains connus, avec notamment les « youpins », les « riches », les « communistes », les « Boches », les « macaronis ».
« – C'est toujours pareil chez nous, on prend la racaille des autres. »

« Les Juifs ça se débrouille pour ne pas faire la guerre.
Les Juifs ça fait faire la guerre aux autres.
Et c'est les Juifs qui encaissent le pognon. »

Faits marquants, le jeune réfugié alsacien juif au manteau bleu qui impressionne le gamin, et la réquisition des chevaux.
Hiver, « la drôle de guerre ».
« Et la ligne Maginot demande Maman Guite. La ligne Maginot, elle ne peut pas tout faire non plus, dit le voisin à sa fenêtre. Il dit aussi que de toute façon on savait d'avance qu'on allait la perdre, cette guerre. Maman Guite dit que son père a été grièvement blessé en 14 et qu'elle a trois frères au front. Ils en auront vite fini, dit le voisin à sa fenêtre. Les Boches vont emballer tout ça, ça ne va pas traîner. Ce sera l'armistice. Tant mieux, dit Maman Guite. Comme ça, ce sera la paix et tout le monde rentrera chez soi. C'est tout ce qu'on souhaite, dit le voisin à sa fenêtre. Un autre avion explose dans la fumée noire. »

« On nous dit (quelqu'un dit une chose quelqu'un en dit une autre on répète ce qu'on a entendu dire) [… »

Puis la capitulation, Pétain, l’Occupation, la Collaboration, le marché noir (les B.O.F., « Beurre. Œufs. Fromage. », s’enrichissent).
« Le patron de l'hôtel-restaurant a dit les Boches c'est pas ce qu'on a dit. Ils mangent. Ils boivent. Ils paient. Ça ne fait pas un pli. De la clientèle comme ça, nous on en veut bien.
L'épicier dit pareil. »

« – Ce qu'ils veulent, c'est l'ordre et la propreté. »

« Pour l'organisation, ils sont champions. »

« Des femmes jettent des fleurs. Les bouquets tombent sur les chars. Les soldats noirs ne les ramassent même pas. Les chars écrasent les bouquets. Des femmes hurlent. Des femmes hurlent Vive Hitler. Elles ont des bouquets de fleurs. Elles jettent des bouquets de fleurs. Les chars roulent.
(quand même on ne devrait pas leur jeter des fleurs dit quelqu'un)
(c'est normal c'est nos vainqueurs dit quelqu'un) »

« Si on avait l'assiette pleine ça nous suffirait.
Pour les Boches on verrait plus tard.
Si ces cons-là ne nous prenaient pas tout y aurait pas de raison pour qu'on ne s'entende pas avec eux.
La Collaboration c'est d'abord le bifteck pour tout le monde. »

Le gamin, treize ans et demi, devient manutentionnaire livreur au dépôt de textile ; plus tard, il travaille à la fabrication de piles.
« Il n'y a autour de moi que vol, mensonge, compromission, passion de l'argent, égoïsme, indifférence, corruption, hypocrisie, prostitution déguisée, violence, lâcheté, bassesse, obséquiosité intéressée.
J'ai treize ans. Quatorze ans. Quinze ans.
J'apprends l'homme.
L'homme est une saloperie. »

« Beaucoup de femmes de prisonniers ont un emploi.
Beaucoup de femmes qui n'avaient jamais travaillé travaillent.
Beaucoup de femmes qui n'avaient jamais fumé fument. (Au noir, le prix du tabac et sa valeur augmentent d'un coup.)
Beaucoup de femmes de prisonniers élèvent seules leur enfant. (Que leur père n'a pas connu avant d'être mobilisé.)
Beaucoup de femmes de prisonniers ont un amant.
Beaucoup de femmes apprennent qu'elles peuvent vivre seules. »

Puis la Gestapo, puis la Milice, puis la Résistance, de Gaulle et Radio-Londres, le S.T.O. Puis les Américains, la Libération.
Ce récit assez factuel constitue une sorte de témoignage sans prise de position marquée.


\Mots-clés : #autobiographie #deuxiemeguerre #enfance #xxesiecle
par Tristram
le Dim 26 Fév - 11:04
 
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Sujet: Louis Calaferte
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Jacques Perret

Bande à part

Tag autobiographie sur Des Choses à lire Bande_10

Jacques Perret se souvenait de sa captivité dans Le Caporal épinglé, ici c’est du maquis.
« Enfin, nous appartenions à l’O. R. A. ; d’autres se disaient affiliés à l’A. S., aux F. T. P., à ru. B. N. G. F., à la B. N. C. I., et un petit nombre se flattait bizarrement d’appartenir à l’I. S., ou Intelligence Service. Tout cela faisait un certain nombre de sociétés plus ou moins batailleuses, farfelues ou cafardes, spécialisées dans l’invention des traîtres, le châtiment martial, la lutte contre les Allemands, la foire d’empoigne, le sabotage, le scalp des ribaudes, l’arrachement des effigies du Maréchal. Un mélange traditionnel d’idéal et de rapine, sans oublier les délicats plaisirs du hors-la-loi avec les merveilleuses latitudes du bandit d’honneur. Peu importe, je n’ai pas du tout l’intention de faire la balance des mérites et méfaits du maquis. Je ne suis qu’un témoin minuscule et anecdotique, exclusivement solidaire de la petite troupe où je comptais, et parfaitement indifférent aux intérêts cafouilleux des autres bandes. Et là même où j’eus emploi, je travaillais clandestinement pour la gloire d’un petit nombre de fantômes. Après avoir cherché vainement pour quel vivant Bayard j’aurais pu honnêtement servir, mon secret plaisir fut de prêter mon bras à quelques ombres choisies comme Pharamond, Charette, Louis le Gros ou Gaston de Foix. Avec les copains, bien entendu, les copains affiliés à l’immémorial copinage de la piétaille. Le meilleur, le franc butin de ce genre d’aventure, c’est le souvenir des copains. »

Portrait des zigotos, dont l’adjudant :
« Tabaraud était souvent allumé, mais presque toujours il s’agissait d’une excitation naturelle, indépendante des tournées de vin blanc et due à la fermentation des petites idées anaérobies qui conspiraient sans relâche dans les replis de son âme. La vie intérieure de Tabaraud n’était jamais en repos. Il faisait justement une causerie éducative sur la trahison, d’où il semblait ressortir que sans trahison la terre serait une morne planète. Son éloquence était faite de galimatias gendarmique rehaussé d’une diction jacobine, mais il n’était pas prolixe et ne parlait jamais pour l’innocent plaisir de parler. En trois mots convenablement timbrés, il installait une présomption de drame au milieu d’une candide belote. Non seulement il ne pouvait supporter l’insouciance, mais il avait peine à y croire et tout ce qui était limpide était suspect ou provocant. Son approche faisait baisser la pression atmosphérique et soulevait la lie dans les tonneaux : un gonfleur d’angoisse, une levure à cailler les foules indécises, un bâtard ombrageux du désordre et de la peur. Pourtant naïf lui-même, presque innocent et comme irresponsable du terrible pouvoir qui lui était échu. Pour héler les gens sur la route, il disait volontiers : hé, l’ami ! ce qui avait un petit cachet vieillot et fraternel, mais l’ami en avait le dos glacé. Je dis tout de suite qu’à l’épreuve du feu l’âme de Tabaraud semblait se décanter progressivement. Brouillon, inquiet et même nocif à l’approche du péril, il se révélait assez ferme et lucide quand la bagarre lui tombait dessus. »

Mais le vrai portrait, c’est celui de Ramos, personnage haut en couleur et difficile à résumer, notamment insomniaque, sensible aux signes, bavard sibyllin, grand buveur et individualiste – Ramos et sa mort.
« – La terre, il faut veiller dessus et dormir dessous. »

« Maintenant je peux y aller, je me dis que le mort explique le vif, je rassemble mes croquis et je fais le portrait de Ramos, non seulement comme je l’ai vu mais comme je le revois. »

Le maquis est quelque chose d’assez brouillon, qui vit sur le pays (et comprend des « nordafes » ou « sarrasins » : des Kabyles) :
« Si notre formation avait été provisoirement hors du jeu, elle avait quand même démontré son existence et d’autres, mieux servies par la chance ou mieux conduites, avaient réussi quelques jolis coups si bien que l’ennemi en se retirant pouvait avoir la consolation de ne s’être pas dérangé pour rien ; et nous la satisfaction d’avoir retenu loin de l’Atlantique une division bien portante au prix d’une centaine de tués et d’une vingtaine de villages incendiés. Pour savoir si c’est un prix fort ou avantageux il faudrait avoir des barèmes que je n’ai jamais eus sous les yeux. »

« Tout le jour il avait fait beau, chaud, et le loriot avait longtemps chanté pendant que nous somnolions. Le chant du loriot a joué de bonne heure un rôle important dans ma vie car nous l’avions adopté entre gamins de la famille pour signal de reconnaissance. En vérité cette modulation limpide et flûtée, ces trois notes liquides et graves dans les cimes chaudes de la forêt, m’impressionne toujours comme un signal personnel de l’oiseau mystique m’invitant à la paresse ineffable. Où que je sois, en quelque équipage et compagnie, si le merle d’or vient à siffler j’entends bien que sa vocalise est une mise en garde contre la vanité des entreprises humaines et je m’en laisse conter par une rengaine qui dure probablement depuis le quatrième jour de la création. Angélique ou malin, je ne sais encore, l’exquis chanteur d’à-quoi-bon choisit avec astuce les heures méridiennes de l’été pour me convier à l’indolence métaphysique, au mépris des œuvres, au quiétisme le plus sommaire et je n’ai pas toujours sous la main les tambours qu’il faudrait pour couvrir son ramage. Enfin, nous étions étendus sur la mousse et, faisant suite au loriot, Ramos avait pris la parole pour nous conter à voix douce et chantante une histoire d’amour compliquée de querelles syndicales où se greffait un épisode technique de wagonnet de chantier avec de longues parenthèses sur la fidélité conjugale et des aperçus généreux sur la condition du mineur boiseur par rapport à la vertu des ancêtres et à la bonne foi des gouvernements, soit une de ces rhapsodies ramosiques où l’utilitaire et le contingent ne sont plus que hochets dérisoires pour la récréation de l’homme libre et dégoiseur à crédit. Tout cela pour vous montrer que l’annonce de coup de main jeta un froid. »

« Notre tâche était maintenant de houspiller les derniers convois de la retraite en attendant l’arrivée des troupes alliées. Déjà nous allions dans les campagnes avec plus d’assurance et, de jour en jour, il se confirmait que nous passions de la condition inquiète et précaire de l’insurgé à l’état plus reposant d’auxiliaire d’une armée victorieuse. Entre autres signes, on remarquait une affluence de candidats au maquis, l’établissement de contrats d’engagements et l’arrivée dans les compagnies d’un certain nombre d’officiers en quête d’emploi. Leur faire grief d’avoir attendu serait stupide. On attend par veulerie certes, mais aussi par flemme ou par devoir et, personnellement, j’ai passé une assez jolie part de ma vie à attendre pour connaître toutes les justifications de l’attente. Il va de soi que l’honneur autant que l’humeur puisse commander aux uns le choix rapide, aux autres l’expectative et nous savons que la fortune d’un pays est aussi bien dans les hommes qui savent attendre.
Évidemment, je ne parle pas des tard-venus de basse politique, des grands faquins et petits crasseux qui commençaient à s’ébrouer sur nos derrières et ménageaient leur fortune en lançant des pierres aux captifs, ni des durdedurs à mirlitraillette qui depuis peu se propageaient en lieux sûrs sur les ailes des automobiles pour annoncer le règne de la justice et de l’honneur. »

Le style est extrêmement travaillé, denséifié : les extraits sont représentatifs, le récit est toujours du même ton.
Le témoignage sur la Résistance est surtout marqué d'une modestie du dérisoire, sans aucune déférence ; l'essentiel dans ce livre me paraît surtout être le témoignage sur la piétaille, les copains disparus.

\Mots-clés : #amitié #autobiographie #deuxiemeguerre #terrorisme #xxesiecle
par Tristram
le Mar 7 Fév - 11:53
 
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Sujet: Jacques Perret
Réponses: 21
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Patrice Franceschi

Qui a bu l'eau du Nil, Aventure africaine

Tag autobiographie sur Des Choses à lire Qui_a_10

1978, Franceschi a vingt-trois ans, et relie la source du Nil au Burundi à la Méditerranée en huit mois, à pied, en bateau, à dos de chameau. C’est ce dernier mode de locomotion qui constituera la grande découverte de l’auteur, avec le désert (et l’accueil des caravaniers), 1 200 kilomètres entre Khartoum et Bimban (au nord d’Assouan), dont notamment « Batn el-Haggar », le « Ventre de la Pierre » ; c’est aussi la partie la plus intéressante du livre.
« Et puis, je découvre son absolue propreté. Elle est sa marque, comme l’exubérance est celle de la jungle. Et de cette propreté à la pureté originelle il n’y a qu’un pas que l’on franchit inconsciemment entre les dunes… Dès lors, le silence vient ajouter son étrangeté au trouble naissant. Et ce silence gigantesque qui enveloppe la propreté, cette absence des bruits du monde, ce monde de bruits diffus apporté par la caravane, se mêle au mirage de la pureté minérale pour pousser l’homme dans le gouffre horizontal du désert.
Alors, trompé par son infini, on pense toucher à l’absolu. »

Dans un avant-propos de 2013, Franceschi nous fait remarquer que ce « voyage d’aventure » ne serait plus possible aujourd’hui, à cause des violences qui caractérisent aujourd’hui les régions traversées.
Aventures extraordinaires, malheureusement rapportées dans une expression conventionnelle.

\Mots-clés : #autobiographie #aventure #nature #voyage
par Tristram
le Sam 21 Jan - 14:44
 
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Sujet: Patrice Franceschi
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Édouard Levé

Autoportrait

Tag autobiographie sur Des Choses à lire Autopo10

« Adolescent, je croyais que La Vie mode d’emploi m’aiderait à vivre, et Suicide mode d’emploi à mourir. »

Cet incipit est fort approprié à ce recueil de brèves remarques personnelles enchaînées ; une des suivantes dit :
« Il est préférable que je ne lise pas les ouvrages techniques de médecine, en particulier les passages décrivant les symptômes de certaines maladies : je les vois proliférer en moi à mesure que j’en découvre l’existence. »

Il en est de ce travers hypocondriaque assez commun comme de ce livre : on s’y retrouve souvent, d’autant qu’il est bien ancré dans l’époque.
Traits de caractère d’un célibataire, ce qu’il a coutume de faire ou pas, des souvenirs, des rêves, des vêtements, des véhicules, etc.
Beaucoup de banalités, sur un ton le plus « plat » possible.
« Je cherche à écrire dans une langue que n’altéreraient ni la traduction ni le passage du temps. »

« J’aime le style plat des comptes rendus policiers. »

Des problèmes plus personnels sont abordés, comme ses soucis psychiatriques. On peut observer des redites, et des récurrences, comme ce qui concerne ses pieds, et l’éventualité qu’il soit homosexuel.
Quelques réflexions sont cependant plus intéressantes.
« Je me demande si le paysage est façonné par la route, ou la route par le paysage. »

« Ma mémoire est structurée comme une boule disco. »

Exemple du flux :
« Je vis dans un sentiment d’échec permanent, alors que je ne rate pas spécialement ce que j’entreprends. Je n’utilise pas de parapluie. Je jouis peu du succès, l’échec m’est indifférent, mais j’enrage, le cas échéant, de n’avoir pas entrepris. Je ne vais pas au cinéma pour apprendre, mais pour me distraire. Je ne trouve pas que le cinéma soit stupide, seulement, je n’en attends rien. Je crois plus en la littérature, même mineure, que dans le cinéma, même majeur. »


\Mots-clés : #autobiographie
par Tristram
le Dim 20 Nov - 11:27
 
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Sujet: Édouard Levé
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Roland Topor

Tag autobiographie sur Des Choses à lire Memoir10
Mémoires d'un vieux con
Je suis attirée -révulsée par les dessins de Topor depuis longtemps, il est fascinant.
Je le sens sombre et pourtant solaire. C'est compliqué pour quelqu'un comme moi qui suis très premier degré dans mes constructions mentales.
Rencontré notamment dans la très belle édition des oeuvres de Marcel Aymé.

Bref : un jour je vais chez mon libraire, et comme on s'achette une robe je veux m'acheter un livre. Cette librairie est petite, rien ne me tente. Je suis trop dans la pulsion d'achat. D'ailleurs je n'arrive pas à lire depuis des semaines, trop fatiguée, trop occupée.
Je tombe sur ce livre fin. Allez je prends.

Lu en 15 fois avant de dormir, au compte goutte, 10 mn avant de ronquer comme une bienheureuse : j'ai adoré.
Ce qui est génial c'est que j'ai plongé dedans "franco", en me demandant même, au bout de deux soirs de lecture brève mais gourmande si c etait vrai ou pas : delicieuse naiveté qui prouve comme il sait manier les codes du genre biographique. C'est assez évident que c'est un faux, même sans connaitre l'auteur, et à la fois c'est si foutraquement tripé qu'on a envie d'y croire.
J'ai beaucoup ri. Ce qui n'est pas fréquent pour moi. J'ai le second degré lent. Délicieux.La tournure des phrases  est plus vraie que nature. Il épouse les temps de la biographie avec un appétit de surenchère joyeuse et c'est libérateur d'inhibition. Cela fait un sort à la notion de bonne foi.


\Mots-clés : #autobiographie #humour
par Nadine
le Ven 11 Nov - 12:24
 
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Sujet: Roland Topor
Réponses: 6
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Carlos Liscano

L'Écrivain et l'autre

Tag autobiographie sur Des Choses à lire L_zocr11

La narrateur (Liscano lui-même, la cinquantaine) s’interroge sur son impossibilité à écrire actuellement, alors qu’il le faisait depuis vingt ans.
Si certains écrivains conçoivent leur texte comme la démonstration d’une thèse, Liscano est de ceux qui écrivent pour découvrir quelque chose qui n’est pas préconçu, et nous donne ici le propos du livre actuel (mais le projet romanesque n’aura pas vraiment de suite).
« J’écris deux choses à la fois, j’essaie de les réunir. Peut-être que le roman, ce genre qui accepte tout, pourra déglutir ce texte. Serai-je capable de raconter et de dire quelque chose sur le métier de raconter ? Où mène ce que je suis en train de faire ? Si je savais où ça mène, je ne l’écrirais pas. Parce que, écrire, c’est ça : partir sans savoir où on va arriver. Sans même savoir si on arrivera quelque part. Écrire est un art immobile, me dis-je. Et je ne sais même pas ce que ça veut dire. »

« J’ai commencé mon roman en visant très haut, beaucoup d’ironie. Le personnage qui se construit lui-même sous les yeux du lecteur. L’histoire habituelle : un individu ordinaire qui veut juste avoir une vie ordinaire, et l’Autre, qui le travaille de l’intérieur, qui le maintient hors de la vie, comme observateur. À la fin ils sont inséparables, même si chacun rejette son associé. Mais je ne suis pas capable de trouver une suite à cette histoire. L’excès d’ironie depuis le début rend tout développement impossible. Du moins ne suis-je pas capable de faire en sorte que l’histoire continue. »

« C’est dans ce sens que la littérature domine ma vie. Pas dans le sens où j’aurais des choses à dire, mais parce que sans la littérature la vie manquerait de sens, de matière, de lieu pour exister. »

« C’est le moment où j’aimerais être un autre, et que j’ai si souvent essayé d’écrire. Ne pas être moi, être un autre. Et alors il y a la condamnation de celui qui ne peut être que lui-même, et être lui-même signifie réaliser le désir de cet enfant sans livres qui croyait que rien n’était plus important dans la vie que lire des livres, et ensuite en écrire. »

« Si j’enlève la lointaine impression d’avoir voulu être écrivain dès l’âge de douze ans, si j’enlève les lectures pour le devenir, si j’enlève les heures passées à écrire et à réfléchir sur le fait d’écrire, si j’enlève ce que j’ai écrit, il ne reste rien de moi. »

Liscano a beaucoup vécu en marge, en étranger (armée, prison, exil en Suède). L’écrivain est « un personnage que j’ai inventé », il l’a créé et est devenu son « serviteur ». Cette vision d’un « autre » m’a évidemment ramentu Borges et moi, dans L’Auteur de Borges.
« Tout écrivain est une invention. Il y a un individu qui est un, et un jour il invente un écrivain dont il devient le serviteur ; dès lors il vit comme s’il était deux. »

« L’inventé c’est ça : un style, une façon de raconter qui permet de voir la vie comme on ne la voit pas à première vue. »

Outre cette dualité, Liscano évoque ses modèles en littérature, et son œuvre personnelle, sa solitude.
« L’inventé écrit pour ses maîtres, pour leur ressembler, pour s’en différencier, même s’il sait qu’il ne pourra jamais les égaler. »

« L’écriture apprend à parler avec soi-même. Je ne suis pas sûr qu’elle apprenne à parler avec les autres. »

« La littérature est une tentative de mettre de l’ordre dans l’expérience de la vie, qui est chaotique. L’écrivain donne aux choses un centre, leur centre, et sent qu’il pourrait peut-être vaincre celle qui, il le sait, viendra le chercher. S’il réussit à établir ce centre, il a l’illusion, la vanité de croire que quelque chose de lui survivra, restera après sa mort. C’est, ou ce serait, la victoire.
Mais en un instant tout redevient précaire, privé de signification, futile. Si je ne fais pas attention je retrouve la sensation de froid, de sommeil, je sens de nouveau que tout ce que je veux, tout ce dont j’ai vraiment besoin, sans personnage, sans littérature, que ce qu’il y a de plus élémentaire et de plus nécessaire, c’est dormir à l’abri, dormir hors du temps, sans l’obligation de me réveiller. Me coucher et savoir que je n’aurai pas froid et que je ne me réveillerai plus. »

Le ton est celui de notes prises sur le vif, un peu aussi celui de mémoires ; on perçoit une progression dans l’ouvrage, et son centre (le livre), bien qu’alternent ruminations moroses, souvenirs et observations du quotidien.
Est inséré Vaincre le temps, un texte qui prolonge la dissociation caractéristique de Liscano en "lui" et "l’écrivain" (qu’il est), le « cultivateur », le « chercheur d’infini » qui cultive solitude et néant, mort, temps, en soi-même, contre la vie, le monde.
« Écrire, c’est créer une voix, un style qui donne forme au monde. Un style n’a pas à être élégant ou cultivé. Il doit être personnel. Voir le monde depuis son propre style est une invention parallèle à celle de l’écrivain. Le style et l’écrivain sont la même invention. Inventé le style, inventé l’écrivain. Même si ça ne suffit pas. Parce que l’écrivain est plus que le style. »

L’écrivain qui parle de l’écriture est devenu un topos (et pas que dans les ateliers d’écriture). Mais c’est aussi une fin en soi, l’être humain étant en définitive l’utilisateur du langage, et aussi son créateur.

\Mots-clés : #autobiographie #ecriture #universdulivre
par Tristram
le Mer 2 Nov - 12:25
 
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Sujet: Carlos Liscano
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Annie Ernaux

Les armoires vides

Tag autobiographie sur Des Choses à lire Les_ar10

Denise, « Ninise » Lesur, jeune étudiante, subit un avortement clandestin, et évoque son enfance. Une enfance dans un milieu méprisé (a posteriori), en fait assez heureux (parents faisant « tout » pour elle, chère abondante – c’est l’après-guerre), modeste mais relativement privilégié (commerçants) : la misère est en réalité autour (avec notamment l’alcoolisme), même si on baigne dedans (d’autant plus avec la promiscuité).
« Malheurs lointains qui ne m'arriveront jamais parce qu'il y a des gens qui sont faits pour, à qui il vient des maladies, qui achètent pour cinquante francs de pâté seulement, et ma mère en retire, elle a forcé, des vieux qui ont, a, b, c, d, la chandelle au bout du nez en hiver et des croquenots mal fermés. Ce n'est pas leur faute. La nôtre non plus. C'est comme ça, j'étais heureuse. »

Puis l’autre monde, celui de l’école (libre) ; humiliation sociale, et culpabilité (le péché) insinuée par l’aumônier à la « vicieuse » avec son « quat'sous » (son sexe, avec connotation de peu de valeur) ; puis revanche de première de la classe. Et la lecture.
« Ces mots me fascinent, je veux les attraper, les mettre sur moi, dans mon écriture. Je me les appropriais et en même temps, c'était comme si je m'appropriais toutes les choses dont parlaient les livres. Mes rédactions inventaient une Denise Lesur qui voyageait dans toute la France – je n'avais pas été plus loin que Rouen et Le Havre –, qui portait des robes d'organdi, des gants de filoselle, des écharpes mousseuses, parce que j'avais lu tous ces mots. Ce n'était plus pour fermer la gueule des filles que je racontais ces histoires, c'était pour vivre dans un monde plus beau, plus pur, plus riche que le mien. Tout entier en mots. Je les aime les mots des livres, je les apprends tous. »

« Pour moi, l'auteur n'existait pas, il ne faisait que transcrire la vie de personnages réels. J'avais la tête remplie d'une foule de gens libres, riches et heureux ou bien d'une misère noire, superbe, pas de parents, des haillons, des croûtes de pain, pas de milieu. Le rêve, être une autre fille. »

Rejet du moche, du sale, du café-épicerie de la rue Clopart, honte haineuse d’une inculture (pourtant compréhensible), envie aussi de la vie des autres jeunes, de la liberté : l’adolescente veut "s’en sortir".
Premières menstrues, « chasse aux garçons », découverte du plaisir ; avec quand même la crainte confuse de mal tourner, comme redoutent les parents (qui triment pour lui permettre de poursuivre ses études).
« Dans l'ordre, si tout y avait été, une maison accueillante, de la propreté, si je m'étais plu avec eux, chez eux, oui, ce serait peut-être rentré dans l'ordre. »

Dix-sept ans, l’Algérie et mai 68 en toile de fond, et ce besoin (à la fois légitime et choquant) d’être supérieur à sa condition d’origine.
« J'inscris des passages sur un petit carnet réservé, secret. Découvrir que je pense comme ces écrivains, que je sens comme eux, et voir en même temps que les propos de mes parents, c'est de la moralité de vendeuse à l'ardoise, des vieilles conneries séchées. »

« Mais la fête de l'esprit, pour moi, ce n'est pas de découvrir, c'est de sentir que je grimpe encore, que je suis supérieure aux autres, aux paumés, aux connasses des villas sur les hauteurs qui apprennent le cours et ne savent que le dégueuler. »

Étudiante enfin, puis c’est la « dé-fête », elle est enceinte, et avorte clandestinement.
« J'ai été coupée en deux, c'est ça, mes parents, ma famille d'ouvriers agricoles, de manœuvres, et l'école, les bouquins, les Bornin. Le cul entre deux chaises, ça pousse à la haine, il fallait bien choisir. »

Contrairement à ce qui est parfois prétendu, Ernaux a "un style".
« Ça me fait un peu peur, ça saignera, un petit fût de sang, lie bleue, c'est mon père qui purge les barriques et en sort de grandes peaux molles au bout de l'immense rince-bouteilles chevelu. Que je sois récurée de fond en comble, décrochée de tout ce qui m'empêche d'avancer, l'écrabouillage enfin. Malheureuse tout de même, qui est-il, qui est-il... Mou, infiniment mou et lisse. Pas de sang, une très fine brûlure, une saccade qui s'enfonce, ce cercle, ce cerceau d'enfant, ronds de plaisir, tout au fond... Traversée pour la première fois, écartelée entre les sièges de la bagnole. Le cerceau roule, s'élargit, trop tendu, trop sec. La mouillure enfin, à hurler de délivrance, et macérer doucement, crevée, du sang, de l'eau. »

« Le goût de viande crue m'imbibe, les têtes autour de moi se décomposent, tout ce que je vois se transforme en mangeaille, le palais de dame Tartine à l'envers, tout faisande, et moi je suis une poche d'eau de vaisselle, ça sort, ça brouille tout. Le restau en pleine canicule, les filles sont vertes, je mange des choses immondes et molles, mon triomphe est en train de tourner. Et je croyais qu'il s'agissait d'une crise de foie. Couchée sur mon lit, à la Cité, je m'enfilais de grands verres d'hépatoum tout miroitants, une mare sous des ombrages, à peine au bord des lèvres, ça se changeait en égout saumâtre. La bière se dénature, je rêve de saucisson moelleux, de fraises écarlates. Quand j'ai fini d'engloutir le cervelas à l'ail dont j'avais une envie douloureuse, l'eau sale remonte aussitôt, même pas trois secondes de plaisir. J'ai fini par faire un rapprochement avec les serviettes blanches. Une sorte d'empoisonnement. »

Et pour une écriture "blanche" (certes peu métaphorique), j’ai découvert plusieurs mots nouveaux pour moi : décarpillage, cocoler, polard, pouque et mucre (il est vrai cauchois), etc. ; curieusement (pourtant dans l’œuvre d’une écrivaine nobelisée !), je n’ai pas trouvé en ligne la définition de "creback", apparemment une pâtisserie, ni « troume » (peur vraisemblablement).
Dès ce premier roman, Ernaux parvient, avec l'originalité de son écriture, à nous transmettre une expérience commune. C'est peut-être ça qui explique l'oppression ressentie à cette lecture, comme signalée par Chrysta : Ernaux n'est pas une auteure d'évasion, c'est tout le contraire, on est sans cesse durement ramené à la triste réalité.

\Mots-clés : #autobiographie #conditionfeminine #contemporain #enfance #identite #intimiste #Jeunesse #Misère #relationenfantparent #sexualité #social #temoignage #xxesiecle
par Tristram
le Ven 28 Oct - 11:23
 
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Sujet: Annie Ernaux
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Alfred de Vigny

Servitude et grandeur militaire

Tag autobiographie sur Des Choses à lire Servitude-et-grandeur-militaires

De ses dix ans d'armée, Alfred de Vigny a tiré un livre : Servitudes et grandeur militaires. Pour le poète, c'est une période plutôt triste et décevante de sa vie, cependant, loin de lui l'idée d'en révéler le détail. Dans cet ouvrage constitué de deux parties trois récits, Vigny est une oreille, une mémoire : se souvenant avec exactitude ― au mot près, prétend-t-il ― de ce que lui ont raconté cet adjudant, ce commandant, ou encore le Capitaine Renaud.

Alfred de Vigny a écrit:Un secret instinct de la vérité m'avertissait qu'en toute chose la théorie n'est rien auprès de la pratique, et le grave et silencieux sourire des vieux capitaines me tenait en garde contre toute cette pauvre science qui s'apprend en quelques jours de lecture.


Vigny fait la part belle à l'expérience ; on pense à Dostoïevski disant que ses quatre ans de bagne lui avaient fourni la meilleure matière pour la connaissance de l'homme, sauf que leur approche n'est pas du tout la même. Ces portraits réalisés par Vigny avec une touche assez juste d'éclat et de couleurs, servent à illustrer des valeurs tels que l'abnégation, le dévouement ("à un principe plutôt qu'à un homme") ou à critiquer le trop grand amour de la guerre, la soumission à des ordres absurdes ou à un tyran. Dans son style pictural et très agréable à lire, Vigny apporte la nuance qui fait mieux comprendre une époque, ou une certaine éthique, même si celle-ci n'est pas dénuée de quelques paradoxes, de scories. La Patrie, dit-il, a alors tendance à se désolidariser de son armée. Que Vigny se rassure cependant, même cent soixante ans après sa mort, l'armée a encore de "beaux" jours devant elle.


\Mots-clés : #autobiographie
par Dreep
le Sam 22 Oct - 11:50
 
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Sylvia Plath

La Cloche de détresse

Tag autobiographie sur Des Choses à lire La_clo11

La narratrice, Esther Greenwood, dix-neuf ans, est une étudiante travailleuse et une poétesse prometteuse qui a été sélectionnée dans un concours pour un séjour à New-York (elle vit dans le Massachusetts) avec d’autres lauréates.
« Je me sentais très calme, très vide, comme doit se sentir l’œil d’une tornade qui se déplace tristement au milieu du chaos généralisé. »

Elle décrit cette expérience déroutante, assez rosse avec les autres, filles ou garçons, notamment son fiancé Buddy Willard.
« Nous dansions à un kilomètre l’un de l’autre jusqu’au "Ce n’est qu’un au revoir mes frères…" où tout d’un coup il a posé son menton sur le haut de ma tête comme s’il était à bout de forces. »

« Depuis que Buddy Willard m’avait parlé de cette serveuse, je trouvais que je devrais coucher avec un homme. Ça ne compterait pas de coucher avec Buddy, parce qu’il resterait toujours en avance d’un coup sur moi, il fallait donc que cela soit quelqu’un d’autre. »

Elle ne supporte pas les limites de sa condition féminine (virginité à préserver, mariage conformiste), et rêve de liberté (les diverses formes de christianisme sont prégnantes – catholicisme, unitariens, etc.).
« Le problème était que j’avais horreur de servir les hommes en aucune façon. »

Boursière parrainée par une riche écrivaine, elle a été orpheline de père très tôt, et ne supporte pas sa mère. Un « misogyne » l’agresse, elle n’est pas reçue à ton cours de littérature estival, et peu à peu elle décroche, sombre dans la dépression. La suite est narrée par épisodes décousus ; le suicide la fascine, et bientôt elle est internée en psychiatrie, où les électrochocs la terrorisent. Bien qu’aidée par son entourage, elle a un comportement hostile ; Joan, une connaissance de collège, semble être vue comme un double ambivalent, avec des « réserves ».
« Pour celui qui se trouve sous la cloche de verre, vide et figé comme un bébé mort, le monde lui-même n’est qu’un mauvais rêve. »

Sortie de l’asile, elle se fait poser un diaphragme et déflorer par un professeur ; victime d’une hémorragie vaginale, c'est Joan qui la conduit à l’hôpital, et se pend.

\Mots-clés : #autobiographie #conditionfeminine #pathologie
par Tristram
le Mer 28 Sep - 13:24
 
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Sujet: Sylvia Plath
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Jean-Pierre Abraham

Armen

Tag autobiographie sur Des Choses à lire Armen10

Le narrateur/auteur note ses impressions tandis qu’il patiente, gardien du phare d’Ar-Men, « la pierre », à l’extrémité occidentale de la chaussée de Sein, au sud de la mer d’Iroise.
Croisant le collègue de vacation au gré des quarts, il semble être au bord de la folie, de la peur, ainsi assailli par la mer, qu’à force on ne peut plus regarder.
« Il y a quelqu’un en moi qui ne doit pas sortir vivant d’ici. »

Dans cette longue veille attentive, apprentissage de la patience, il dénote un grand soin de la lumière : la lanterne bien sûr, mais aussi sa lampe à pétrole, les perles de Vermeer, les reflets, les cuivres qu’il astique.
« Alors les personnages semblaient secréter leur propre lumière. Femmes-lampes exactement, qui brillaient un peu plus dans les passages du vent. »

« Veiller à la lueur vacillante d’une bougie, ce serait moins dur. C’est la fixité de la flamme, dans ma lampe, qui m’étreint, qui fait naître, familier désormais, inépuisable, ce halètement. »

Cette rude existence monacale est surtout consacrée à l’entretien du phare.
« Le pain moisit vite, cette dizaine. »

« Plus jamais il ne serait possible de revenir à une existence normale. »

Il lui faut se défier des souvenirs (il a vingt-six ans, donc l’enfance, sa vie de marin également) ; il est aussi en compagnie des poèmes de Reverdy.
« Je voudrais être un bon outil, savoir attendre, savoir préparer… »

Son affaire, c’est encore de s’efforcer à écrire.
« Il y a des mots qui se mettent à flamber dans la nuit. Au matin souvent je les retrouve en cendres. Quels mots faut-il inventer, qui flambent à chaque fois qu’on les regarde ? »

« Et cependant je crois qu’au bout de la monotonie chaque instant doit retrouver sa fraîcheur, révéler à nouveau son pouvoir d’immense surprise. »

Voilà un beau livre, variante fort différente de Le phare, voyage immobile, de Rumiz.

\Mots-clés : #autobiographie #lieu #merlacriviere
par Tristram
le Ven 26 Aoû - 12:59
 
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Sujet: Jean-Pierre Abraham
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Louis Calaferte

Septentrion

Tag autobiographie sur Des Choses à lire Septen10

Départ en fanfare, provocateur, rageur : d’entrée le sexe (féminin), puis les cabinets où le jeune ouvrier en usine se réfugie pour dévorer les livres (de grands auteurs littéraires, beaucoup d’occultisme aussi).
« Il y eut une époque où, dans les livres, le sens d’une bonne partie des mots m’échappait. Grâce au seul moyen de la lecture, je me suis lentement familiarisé avec un vocabulaire élargi que je n’avais jamais employé ni entendu employer autour de moi. Cette façon ardue d’appréhender la langue m’a laissé un immense amour des mots. »

Il délire frénétique et baroque dans « l’hémorragie des images ».
« Le ton est donné pour la journée. Ce sera encore foutre et histoire de foutre.
Marmelade sexuelle d’un bout à l’autre. Chaque femme passée au crible en un coup d’œil. Ce qu’elle pourrait donner, tenue, basculée dans son plaisir, le râle à la gorge, folle, bouche ouverte, cette extase de la peau, proximité du crime, les approches du sang, corps révulsé, sexe crémeux, ventre au sabbat, incandescent, violet, se gonflant comme un sac pour cracher, hoquetant, les jets tièdes de sa jouissance. Ce qu’elles pourraient donner, toutes, renversées, abattues là, à même le sol, piégées comme des bêtes au supplice. Offrande du sacrifice de chair sur un autel de terre battue piétinée par les hommes. Ce que peuvent être ces femmes inapprochables qui glissent sous nos yeux, une fois cramponnées, enfoncées sur un sexe rigide, solidement empalées, n’ayant plus pour seul but que de livrer en un instant la densité de plaisir qui les envenime. D’où nous vient cette irrépressible tentation de lever le voile de nos ténèbres comme on lève la jupe d’une fille pour voir et savoir… Et peut-être n’y a-t-il rien en dessous que cette fente stupide, mollement refermée sur un inextricable tunnel de succions veloutées, de caresses moites, filandreuses, d’anfractuosités mouvantes. Entrelacs de tentacules, de roches bosselées qui encerclent, dominent de minuscules ravins parsemés de ventouses flasques. Abîmes miniatures. Grouillants. Convulsifs. Parés de fines membranes ouatées. Cette fente boursouflée qui se resserre doucement sur un funambulesque univers d’éruptions squameuses, hérissée d’une multitude de petites lames, de canifs, de couteaux tranchants et de crocs invisibles, gélatineux, pointus. Souple dentition de faune marine. Cartilages ensanglantés, dressés en rangs compacts au bord de l’escarpement de gouffres caoutchoutés, spongieux, qui absorbent, pompent, refluent, épanouis et profonds comme un regard de bête morte. Cette mâchoire, cette mâchoire utérine, avide et insatiable, sécrétant l’iode et le sang. Cette fente, cette cicatrice effilée qui ne s’écarte jamais que sur un monstrueux sourire sans fin. Noir. Béant. Un sourire édenté. Étrangement lascif. Peut-être n’y a-t-il rien d’autre au bout de notre inquiétude, et pour toute réponse, que l’incoercible hilarité muette de cet orifice gluant. »

(Ça continue ad libitum, je limite l’extrait.)
Quoique toutes les femmes soient avides de sexe, Nora est exceptionnelle (érotisme torride garanti).
« Mlle Nora Van Hoeck, avec sa démence ovarienne et cette inépuisable citerne de foutre qu’elle semblait avoir en réserve quelque part dans le ventre, était à mon sens le spécimen qui me convenait on ne peut mieux. »

Comme il est fauché, elle lui propose de l’entretenir, ce qu’il accepte avec empressement (dans un premier temps), prêt à tout pour échapper au médiocre troupeau des petits ouvriers et employés (les « buffles »).
« Petits quartiers de pauvres. Mal fichus. Blottis. Toujours quelques persiennes déglinguées. Quelques lézardes dans le crépi des façades. Toilette mortuaire sur la peau nickelée d’un cadavre ancien. Impression d’immense fragilité. Et derrière les murs, des hommes qui reposaient. Un ronflement, parfois, qui enjambait une fenêtre ouverte, cabossait l’obscurité. Des pleurs d’enfant, réguliers, persistants, échappés à l’aveuglement de la nuit, loin, loin, comme coulés dans l’épaisseur même des murs au fond de cette enveloppe de ciment et de pierres. Écho rebondissant d’une porte d’entrée fermée quelque part par une main invisible. Les bruits passent par la caisse de résonance. Je m’effaçais sur le silence. Ligne métallique des poubelles de guingois au long des ruelles étriquées. Comme des chapeaux difformes mis en place avant que ne s’allument les feux de l’illusion. Haie de parade d’un monde de détritus, sur chaque trottoir, des deux côtés. Rues trempées de sommeil, décalquées sur le noir. Architecture indécise d’après la fin des siècles. J’aimais cette paix légère. Galon de nuit. J’aurais pu être le dernier survivant valide à la suite du cataclysme sidéral. Peut-être allais-je tomber au tournant de la rue prochaine sur un tas de noyés parmi lesquels je reconnaîtrais infailliblement le corps mutilé de Mlle Van Hoeck dans sa chemise de nuit saumon à volants noirs, ses cheveux agglutinés en touffes au sang sorti de ses narines. Un peu plus loin, il y aurait un râtelier jauni abandonné par mégarde au moment de la panique finale dans la vitrine d’un grand magasin, témoin absurde de la civilisation du fer. Un vieillard décapité, accroupi, dont les mains tâtonnantes essaieraient de rassembler les débris d’un monocle brisé entre les pavés. Ou un pénis de cheval à demi sorti de son fourreau de poils, se contorsionnant dans la rigole comme un long ver rouge – pourquoi pas ? »

Ça c’est en attendant d’avoir écrit son premier livre, car il sera écrivain.
« Cette nouvelle rencontre, par exemple, était prévue, me semble-t-il, pour s’insérer dans la longue chaîne des connaissances précédentes. Jeu de cubes. Un élément de plus dont il m’appartiendra dans l’avenir de dégager la signification. »

« C’est toujours dans des circonstances impraticables que l’envie d’écrire vous tombe dessus sans prévenir. Je crois que c’est l’une des nombreuses raisons pour lesquelles on n’écrit jamais exactement le livre qu’on avait initialement projeté. […]
Je n’écrivais donc jamais qu’en marge des événements. »

« Écrire, c’est ne jamais trouver. À quoi bon en attendre autre chose ? »

Lorsque le gigolo ne supportera plus sa prostitution, il partira avec la caisse – parvenant toujours à se donner bonne opinion de lui-même. Puis il sombre vite dans la cloche : le parasitisme ne paie plus. Plus que jamais convaincu d’être un grand écrivain en puissance (il n’a pas profité de ses loisirs pour écrire), cette déchéance nous vaut au moins un épanchement éruptif bienvenu après quelques logorrhéiques longueurs de boudoir.
« Les échanges ont lieu sans qu’il y paraisse au-dessus d’un volcan assourdi alimenté par la notion toujours présente d’un formidable rut collectif au cours duquel tout serait enfin permis, dénoué, le rêve des possessions impossibles comblé dans l’instant même, rassasié avec des corps intacts, pris de force, au hasard. Mâles et femelles replongés dans leur sauvage réalité première devant la seule évidence de leurs sexes. Tout se résout par la nutrition et par le meurtre. Chaque contact est comme une tentative de vivisection à froid et sous-entend la mutilation d’une part de soi. Au fond de cette cohue nerveuse, dévorer sa proie pendant l’amour n’a ni plus ni moins d’importance que chercher à dissocier l’esprit de la matière. Si le climat n’est pas aux hémorragies soudaines, vous pouvez verrouiller la porte de la chambre derrière vous et donner à la patiente un mouchoir à mordre. Fœtus, votre jeune fils, coulera gentiment comme si de rien n’était dans la serviette éponge, ses yeux encore éteints et ses petites pattes fluettes repliées, collées à son corps marbré, comme dessinées, gravées à la pointe sèche dans une pâte humide. Déjà, pas un ongle ne manque. Le petit sexe est en place, incrusté sur le ventre. Reste à plier le tout dans la page de dernière heure de la dernière édition du soir, à le jeter dans la cuvette et à tirer la chasse. Onction et baptême du pur néant. Vies parcheminées. Chair et poussière de chair. Fleuve de limon où surnagent sans fin une multitude de cadavres informes de la grosseur impensable du spermatozoïde humain. Univers strictement prisonnier entre les parois opaques d’un ovaire grand format. La seule chose à jamais introuvable dans cet ovaire cosmique, c’est une preuve ou une issue. Inutile de tenter quoi que ce soit pour enrayer la frénésie générale. Le bureau les attend. Les attendent l’usine, le foyer, la maîtresse, le bordel, l’église, le médecin, les urines en bouteille, le repos bien gagné, les pompes funèbres et l’effigie de cire du Créateur impassible qui se veut irresponsable d’un tel chaos et, à cet effet, a troqué son œil de lynx contre une paire de bésicles de la plus inoffensive apparence. Ainsi affublé de verres doubles, Dieu est partout, même dans le trou à la turque si vous y regardez à deux fois. Infiniment rassurant de se dire que la présence paternelle ne nous fera jamais défaut. La foule enfantine caracole, le cœur chassieux. Il faut être fou ou aveugle pour prétendre l’éveiller, fût-ce à force de bombes incendiaires. Longue agonie hébétée. La vie, c’est pour plus tard, en projet, demain, dimanche, pour le jour de la retraite dans le jardinet de la maisonnette durement économisée. Ils vont sûrement se mettre à vivre tout de suite après que leur vie sera assurée. C’est merveille de voir comment, en plein malentendu, chacun peine avec application pour creuser son minuscule abri personnel où il est destiné à être enlisé vivant aussitôt la niche fignolée. Si ensuite, pris de peur ou de nostalgie, il venait à quelqu’un l’idée saugrenue d’entr’apercevoir la lumière d’en haut, c’est le moment où il se rend compte que la niche est si admirablement étanche autour de lui qu’il lui faudrait employer tout le temps d’une seconde existence pour remonter à l’air libre. Se doutent-ils qu’il y a une divinisation de la réalité, et que si l’on parvient à l’atteindre, alors se révèle le point fixe de l’immortalité heureuse ? »

Mais il se trouve des personnes pour l’aider à refaire surface, et il retourne immédiatement à son exécration du travail, et à son érotomanie misogyne, y compris frotteurisme dans le métro.
« Un homme d’aujourd’hui ne peut-il vivre sans se charger des besognes qui lui répugnent ? »

« De sacrées petites salopes toutes, les unes et les autres, quand la nature les a nanties. Il me semble que si j’étais femme et roulée comme celle-là, je n’oserais pas me balader dans cette tenue, le corps moulé à ce point. Ça doit les chauffer quand les regards se braquent sur elles. »

Minables chambres d’hôtels, errances urbaines souvent nocturnes, dettes et emprunts dans une société où tout dépend de l’argent, écriture toujours en projet, femmes toujours en fureur utérine, et toujours la hargne, et ces flux hémorragiques crachés avec ces souvenirs apparemment autobiographiques d’un parasite assumé, et convaincu de sa valeur transcendante...
On pense à Céline, mais aussi à Alphonse Boudard, à la verve d’Henry Miller ou de Cendrars et à la gouaille de nombre d’écrivains du Paris des années cinquante (ainsi qu’à Lautréamont – que Calaferte a lu − pour le déluge verbal révolté ?) – tout en n’atteignant pas, me semble-t-il, la valeur littéraire de la plupart de ces références.

\Mots-clés : #autobiographie #ecriture #erotisme
par Tristram
le Dim 14 Aoû - 14:12
 
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Sujet: Louis Calaferte
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Paul Léautaud

Le petit ami

Tag autobiographie sur Des Choses à lire Le_pet10

Léautaud se propose, dès le commencement de son premier roman et en référence aux Souvenirs d’égotisme de Stendhal (dont il était féru), d’évoquer ses souvenirs d’enfance et de sa mère disparue, qu’il retrouve un peu chez ses petites amies dans son Paris natal.
« Moi qui pourtant me regarde sans cesse agir et rêver, jamais je n’avais encore autant pensé à moi. »

« Presque chaque soir je partais pour aller retrouver mes amies et me préparer auprès d’elles à écrire ce livre. »

Très tôt, il est attiré par les femmes, notamment les prostituées, et le voilà, vers la trentaine, passant ses soirées à la Belle Époque (celle notamment de Toulouse-Lautrec), surtout aux Folies-Bergère, avec lesdites lorettes ou cocottes − femmes légères, de plaisir, complaisantes, frivoles et/ou volages, s’il est possible de faire abstraction de la connotation péjorative de ces expressions, à prendre à la lettre en admettant qu’une femme puisse être libre de disposer de son corps.
« Pas besoin, avec elles, de faire des phrases. Un coup d’œil significatif, un court colloque, et l’on va s’aimer. »

« Il lui suffit de se prêter, de créer du bonheur, de laisser jouir de sa beauté, de ses gestes bienfaisants apportant à plaire et à satisfaire des soins toujours neufs et, ce qui est inestimable, une impudeur à peine obscène. »

« Ce n’était pas de l’amour que je venais demander à ces femmes. Mes projets de littérature me fatiguaient bien assez. C’était de la grâce, de la douceur, quelque chose qui relevât la fadeur de mes journées, passées à des besognes, parmi des gens sans tendresse. »

Il se présente lui-même comme un personnage otieux, nonchalant et sensible (voire romanesque), las de la littérature où il besogne peu à ses ambitions ; mais surtout il peint ce milieu à la fois brillant, languide et frénétique, et plus encore ses amies, avec tendresse et sincérité, et même un ton trompeusement badin, une ironie à peine perceptible (cf. la mort de la Perruche à l’hôpital). Puis Léautaud narre son ardente passion, assez équivoque, pour sa mère qu’il retrouve momentanément.
« Avoir grandi seul, élevé par des mains étrangères… M’être tant promis de la séduire, pendant tant d’années, si jamais je la retrouvais… »

Léautaud termine en résumant sa méthode d’écriture.
« Je parle de ce travail, le seul vrai, qui consiste à ne rien faire, à penser seulement à ce que l’on veut faire, à le distribuer en soi, à le voir en soi, par fragments et en entier, etc. »


\Mots-clés : #autobiographie #creationartistique #intimiste #jeunesse #nostalgie #temoignage #xxesiecle
par Tristram
le Ven 29 Juil - 12:04
 
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Sujet: Paul Léautaud
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Kenneth White

La Maison des marées

Tag autobiographie sur Des Choses à lire La_mai13

Écossais devenu Français, Kenneth White s’est installé à Trébeurden près de Lannion, Côtes-du-Nord devenues Côtes-d’Armor, après dix-sept années passées dans le Sud-Ouest.
Lu après Le phare, voyage immobile, de Paolo Rumiz, dans un esprit proche – la mer, son « esprit pélagien » − (et de même origine – bouquinerie Emmaüs, avec peut-être, qui sait, le même ancien propriétaire), ce livre est aussi un « voyage immobile », évoque également le goût du « mauvais temps », et porte le même message, celui du gâchis par l’espèce humaine de notre environnement. Avec sa composante « celte » et son appétit de jouissance de l’existence, White rapporte son quotidien de bibliophile en « l’atelier océanique », sans omettre les visites intempestives d’éclopés, manuscrits en mal d’éditeur et autres indésirables qui abondent.

« C'est surtout quand la pluie tourbillonne autour de la maison que j'aime lire de vieux livres et consulter d'anciennes cartes. »

« Il y a une musique du paysage. On l’a rarement écoutée. Avant la civilisation, oui, peut-être – et encore. Peut-être les hommes primitifs guettaient-ils uniquement les bruits, les sons qui concernaient leur survie : le craquement d’une branche signalant l’approche d’un animal, le vent qui annonce la tempête… Loin d’entrer dans le grand rapport, ils rapportaient tout à eux. Il est possible que j’exagère. Peut-être qu’ici et là il y avait des oreilles pour écouter la musique pure du paysage qui n’annonce rien. Ce qui est sûr, c’est qu’avec l’arrivée de la civilisation et surtout son développement, on n’écoute plus rien de tel. Le civilisé écoute les harangues politiques, il écoute les homélies religieuses, il écoute toutes sortes de musiques préfabriquées, il s’écoute. Ce n’est que maintenant (la fin de la civilisation ?) que certains, ces solitaires, des isolés, se remettent à écouter le paysage. »

« Quand je ne peux pas me concentrer sur autre chose, je note tout ce que je vois, tout ce que j’entends. C’est fou la quantité de détails que l’on remarque de cette manière-là, et le sens aigu de la réalité que cela procure. »

L'étalage béat de son bonheur de privilégié, la moquerie des indésirables qui le dérangent m'ont cependant un peu indisposé.

\Mots-clés : #autobiographie #contemporain #nature #ruralité #viequotidienne
par Tristram
le Lun 25 Juil - 12:01
 
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Sujet: Kenneth White
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Paolo Rumiz

Le phare, voyage immobile

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Ce livre aussi superbe que concis évoque la mer (surtout la Méditerranée), ses vents, des personnes/ personnages, y compris mythiques (la culture de l’auteur est remarquable – grecque, italienne, etc.).
Le titre original est Il ciclope, et c’est comme un cyclope qu’apparaît souvent le phare mystérieux (au moins quant à sa localisation exacte) situé au centre du monde, où Rumiz séjourne pendant trois semaines, seul avec les gardiens, la nature, l’histoire, la mer. Il trouve donc le temps d’observer minutieusement, campé dans le présent/ bonheur, ainsi une fabuleuse recette de soupe de rascasse :
« Et chaque bouchée est une eucharistie. »

Il trouve aussi, au gré de son journal, celui de frappantes métaphores, de réflexions sur le passé et le présent.
« Le voyage immobile est le plus difficile de tous, parce qu'on n'a pas d'échappatoire, on est seul avec soi-même, en proie aux visions, et il est donc facile, pour ne pas dire naturel, de se laisser aller. »

« J’apprends d’emblée à tenir compte du fait que les ressources sont épuisables. »

« Avoir la vision d’ensemble : voilà ce que signifie pour moi la perception pélagique du monde. À Berlin, on ne peut pas le comprendre, ni même à Rome ou à Paris, parce que la culture est une culture de terre ferme. On n’y a pas de visionnaires, on n’y a que des analystes dans leurs fichus bureaux d’étude. »

« La Méditerranée a toujours été une mer de batailles. Mais la guerre y a toujours cohabité avec le commerce et la culture. […] Donc ce qui a changé aujourd’hui, ce n’est pas une augmentation des conflits, mais un crépuscule des échanges commerciaux et culturels. »

« Oui, ça bouge dans le ciel, cette nuit-là. Et ma métamorphose, elle aussi, s’achève. Le vent, le martèlement des vagues, la solitude, l’absence des problèmes, tout cela y a contribué. Mais ce qui m’a par-dessus tout rendu le temps de vivre, c’est le magnifique silence du Web, dont je me suis délecté au cours de ces semaines sans Internet. Mes journées durent deux fois plus longtemps. Elles sont la preuve du vol monstrueux perpétré par le Web. L’absence de navigation dans le cyberespace m’a dévoilé les horizons infinis de la navigation en mer, et aussi de celle qui existe au-dedans de moi. »

Même si le thème n’est pas neuf, qu’il s’agisse de la mer ou du voyage immobile (du Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre à Dans les forêts de Sibérie de Tesson, quasi contemporain), c’est donc aussi une prise conscience écologique, celle d’un passéisme d’homme dépassé, et/ou du fourvoiement de l’humanité.

\Mots-clés : #autobiographie #merlacriviere #voyage
par Tristram
le Dim 24 Juil - 11:11
 
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Sujet: Paolo Rumiz
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Louis-Ferdinand Céline

Guerre

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Premier jet, qui a bénéficié de quelques reprises, d’un roman situé dans la bi(bli)ographie de Céline entre Voyage au bout de la nuit (ou Casse-pipe) et Guignol’s Band (en fait avant Londres, un autre manuscrit retrouvé) ; il vient de publier le premier et aurait mis de côté ce manuscrit-ci pour se consacrer à l’écriture de Mort à crédit. Autobiographie, ou autofiction d’une vie (et d’une œuvre) qui rôde autour de la haine de la guerre et de l’humanité en général.
Le brigadier Ferdinand Destouches, seul rescapé d’une compagnie anéantie pendant la première guerre mondiale, reprend conscience dans la douleur sur la ligne de front, puis regagne l’arrière où il sera soigné dans des hôpitaux de campagne.
« J’ai attrapé la guerre dans ma tête. Elle est enfermée dans ma tête. »

« De penser, même un bout, fallait que je m’y reprenne à plusieurs fois comme quand on se parle sur le quai d’une gare quand un train passe. Un bout de pensée très fort à la fois, l’un après l’autre. C’est un exercice je vous assure qui fatigue. À présent je suis entraîné. Vingt ans, on apprend. J’ai l’âme plus dure, comme un biceps. Je crois plus aux facilités. J’ai appris à faire de la musique, du sommeil, du pardon et, vous le voyez, de la belle littérature aussi, avec des petits morceaux d’horreur arrachés au bruit qui n’en finira jamais. Passons. »

« Ma torture de tête je l’entendais bien fort dans la campagne si grande et si vide. Je me faisais presque peur à m’écouter. Je croyais que j’allais réveiller la bataille tellement que je faisais du bruit dedans. Je faisais à l’intérieur plus de bruit qu’une bataille. »

« Deux jours ont dû passer, avec plus de douleurs encore, d’énormes bruits dans ma grosse tête, que de vie véritable. C’est drôle que je me souviens de ce moment-là. C’est pas tant que j’ai dégusté que je me rappelle, que d’être plus responsable de rien du tout comme un con, plus même de ma bidoche. C’était plus qu’abominable, c’était une honte. C’était toute la personne qu’on vous donne et qu’on a défendue, le passé incertain, atroce, déjà tout dur, qu’était ridicule dans ces moments, en train de se déglinguer et de courir après ses morceaux. Je la regardais moi la vie, presque en train de me torturer. Quand elle me fera l’agonie pour de bon, je lui cracherai dans la gueule comme ça. Elle est tout con à partir d’un certain moment, faut pas me bluffer, je la connais bien. Je l’ai vue. On se retrouvera. On a un compte ensemble. Je l’emmerde. »

« C’est l’instinct qui trompe pas contre la mocherie des hommes. »

« C’est écœurant quand on a vu pendant des mois les convois d’hommes et de tous les uniformes défiler dans les rues comme des bancs de saucisses, kakis, réserves, horizons, vert pomme, soutenus par les roulettes qui poussent tout le hachis vers le gros pilon pour con. »

Tandis qu’alentour on agonise, Ferdinand tombe sous la coupe de l’infirmière L’Espinasse, qui le sonde et le branle, mais aussi le protège. Lui qui exècre tout le monde (y compris ses parents), sympathise avec Bébert/Cascade le petit proxénète parisien, qui devient pour lui une sorte de modèle d’« affranchi », jusqu’à ce qu’il fasse venir sa femme (et soit fusillé pour automutilation).
« La voilà donc ici débarquée son Angèle sans avertir un matin dans la salle Saint-Gonzef. Il m’avait pas menti, elle était bandatoire de naissance. Elle vous portait le feu dans la bite au premier regard, au premier geste. Ça allait même d’emblée bien plus profond, jusqu’au cœur pour ainsi dire, et même encore jusqu’au véritable chez lui qui n’est plus au fond du tout, puisqu’il est à peine séparé de la mort par trois pelures de vie tremblantes, mais alors qui tremblent si bien, si intense et si fort qu’on ne s’empêche plus de dire oui, oui. »

La libido tient une grande place dans l’histoire, peut-être une réaction à la mort si proche.
« Ça m’était dur à cause de mon bras qui me faisait presque hurler quand je serrais fort et mon oreille qui se remplissait de bruit à en exploser quand je me congestionnais la physionomie. Quand même je bandais, c’était le principal. »

Et bien sûr le cynisme.
« C’est le canon, vers juillet 15 il s’est rapproché de plus en plus, qu’était devenu gênant. Fallait parler souvent très fort dans la carrée, tout fort pour s’entendre, répéter les cartes. »

Quant à la vision misogyne et raciste (Céline emploie le terme « bicot »), à la surabondance des injures, il ne faut pas avoir connu (au moins voici quelques décennies) une chambrée à l’armée pour s’en étonner. Je préfère souligner l’autoportrait de l’homme aux incessants bourdonnements dans la tête (Céline n’a pas reçu une balle dans l’oreille, mais a effectivement été médaillé et déclaré handicapé à 70%).
« Y avait d’énervant que les oiseaux dont les cris ressemblent tant aux balles. »

Sans doute trop inachevé pour atteindre la puissance d’autres de ses livres, demeure l’expression de la rage d’un blessé de l’existence.

\Mots-clés : #autobiographie #guerre #premiereguerre
par Tristram
le Mer 1 Juin - 12:37
 
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Sujet: Louis-Ferdinand Céline
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Osamu DAZAI

La Déchéance d'un homme

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Dans le Tôkyô du début des années trente, Yô-tchan, le narrateur, relate dans des carnets sa vie qu’il juge honteuse, d’abord celle d’un enfant à la fois détaché et anxieux, effrayé par les autres, sans amour reçu ou donné, qui remporte cependant un certain succès en jouant le rôle de « bouffon ». Puis, entraîné par un condisciple, Horiki, il s’adonne vite au saké, aux prostituées, à une cellule communiste et à la peinture, inspiré par Van Gogh et Gauguin. Il manque un suicide avec une serveuse (qui elle meurt). Désavoué par sa famille, il est d’abord recueilli par un parent éloigné, puis par une jeune journaliste veuve avec un enfant, enfin il se marie avec Yoshi-ko, une vendeuse de tabac (il a du succès auprès des femmes), publie des caricatures et des poèmes à la manière de Khéyam (Khayyâm). Il tente une nouvelle fois de se suicider, devient morphinomane, est enfermé dans un asile psychiatrique, en sort à la mort de son père pour vivre reclus et écrire ces mémoires (le livre est en grande partie autobiographique).
« Je croyais à l’enfer, mais j’avais beau faire, je ne croyais pas au ciel. »

Cette histoire pessimiste, désespérée, est imprégnée de culture littéraire d'origine étrangère, occidentale ou pas (Dostoïevsky par exemple).
« Le lendemain répète la veille,
Il faut qu’aujourd’hui je fasse comme hier.
Si j’évite une joie déchaînée,
Alors je n’éprouverai pas une grande tristesse.
D’une pierre qui encombre le chemin,
Le crapaud fait le tour et passe.

Lorsque je découvris ces vers de Guy Charles Cros dans une traduction d’Ueda Bin, mon visage rougit comme s’il était en feu.
Un crapaud.
(Ce crapaud, c’est moi. Peu importe si le monde permet ou ne permet pas, s’il vous enterre ou ne vous enterre pas. Je suis un animal inférieur à un chien ou à un chat. Un crapaud. Je ne peux me mouvoir que lentement.) »


\Mots-clés : #autobiographie #autofiction
par Tristram
le Jeu 26 Mai - 11:47
 
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Sujet: Osamu DAZAI
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Etgar Keret

Sept années de bonheur

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Ces chroniques intimes, parues en 2013 en Israël, réunissent des ressentis et réflexions d’un habitant d’un pays menacé en permanence, et sa condition particulière, notamment lors de ses nombreux voyages à l’étranger. Significativement, la première évoque comme, ayant amené sa femme pour accoucher dans un hôpital, y affluent les victimes d’un attentat terroriste de plus. Mais c’est aussi un regard plus vaste sur cette société ; ainsi sa sœur est convertie à l’orthodoxie.
« En France, un réceptionniste nous dit, à moi et à l’écrivain arabe israélien Sayed Kashua, que si ça ne tenait qu’à lui, l’hôtel ne recevrait pas les juifs. Après quoi il me fallut passer le reste de la soirée à entendre Sayed râler : comme si ça ne suffisait pas d’avoir subi l’occupation sioniste pendant quarante-deux ans, il lui fallait maintenant supporter l’insulte d’être pris pour un juif. »

Beaucoup de choses sur les taxis, son fils, son père, et aussi La maison étroite, « une maison qui aurait les proportions de mes nouvelles : aussi minimaliste et petite que possible », qu’un architecte lui construit à Varsovie. Sur trois niveaux, elle est prévue dans une « faille » entre deux immeubles :
« Ma mère regarda l’image simulée pendant une fraction de seconde. À ma grande surprise, elle reconnut immédiatement la rue ; l’étroite maison serait construite, par le plus grand des hasards, à l’endroit précis où un pont reliait le petit ghetto au grand. Quand ma mère rapportait en fraude de quoi nourrir ses parents, elle devait franchir une barrière à cet endroit, gardée par un peloton de nazis. Elle savait qu’en se faisant surprendre avec une miche de pain elle serait exécutée sur-le-champ. »

Seule rescapée de sa famille, son père lui avait demandé de vivre pour faire survivre leur nom.
Voici l’extrait qui m’a conduit à lire ce livre (et constitue une bonne réponse possible dans le dossier La littérature c’est koi, notée par Bix en son temps) :
« L’écrivain n’est ni un saint ni un tsadik [(homme) juste, en hébreu] ni un prophète montant la garde ; il n’est rien qu'un pécheur comme un autre doté d’une conscience à peine plus aiguisée et d’un langage un peu plus précis dont il sert pour décrire l’inconcevable réalité de notre monde. Il n’invente pas un seul sentiment, pas une seule pensée ‒ tout cela existait longtemps avant lui. Il ne vaut pas mieux que ses lecteurs, pas du tout ‒ il est parfois bien pire ‒, et c'est ce qu’il faut. Si l'écrivain était un ange, l'abîme qui le séparerait de nous serait si vaste que ses écrits ne nous seraient pas assez proches pour nous toucher. Mais parce qu'il est ici, à nos côtés, enfoui jusqu'au cou dans la boue et l'ordure, il est celui qui plus que quiconque peut nous faire partager tout ce qui se passe dans son esprit, dans les zones éclairées et, plus encore, dans les recoins sombres. »


\Mots-clés : #antisémitisme #autobiographie #communautejuive #conflitisraelopalestinien #contemporain #ecriture #terrorisme #viequotidienne
par Tristram
le Jeu 19 Mai - 12:45
 
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Sujet: Etgar Keret
Réponses: 2
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Jack Kerouac

Le vagabond américain en voie de disparition précédé de Grand voyage en Europe

Tag autobiographie sur Des Choses à lire Le_vag10

Deux textes autobiographiques, extraits du recueil Le vagabond solitaire.
Le premier relate des aperçus d’un voyage en bateau au Maroc, en France et en Angleterre.
Le second déplore la disparition du chemineau, originaire aux États-Unis, avec sa soif de liberté, sa fierté, son goût pour la marche et dormir sous les étoiles, et devenu en butte à la police.
« − Le vagabond a deux montres qu’on ne peut acheter chez Tiffany ; à un poignet le soleil, à l’autre poignet la lune, les deux mains sont faites de ciel. »



\Mots-clés : #autobiographie #voyage
par Tristram
le Dim 30 Jan - 15:47
 
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Sujet: Jack Kerouac
Réponses: 27
Vues: 1743

Pierre Bergounioux

Le matin des origines

Tag autobiographie sur Des Choses à lire Le_mat10

Premiers souvenirs de petite enfance dans le Lot maternel, solaire (et la Corrèze paternelle, mélancolique) – le commencement, « l’aube violette » : l’instant, « l’intervalle entre pas encore et plus jamais. »…

\Mots-clés : #autobiographie #enfance
par Tristram
le Ven 24 Sep - 23:41
 
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Sujet: Pierre Bergounioux
Réponses: 36
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