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Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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16 résultats trouvés pour education

Pierre Bergounioux

Carnet de notes 1980-1990

Tag education sur Des Choses à lire Carnet10

Journal commencé à la trentaine, où Bergounioux note pour s’en souvenir les faits saillants de sa vie quotidienne (y compris la météo, à laquelle il est très sensible, étant plus rural qu’urbain) entre la Corrèze et la région parisienne, minéralogie, entomologie, pêche (à la truite), peinture, modelage, travail du bois puis de la ferraille, piano, archéologie préhistorique, descriptions (paysages, oiseaux), rêves nocturnes, ennuis de santé (lui et ses proches), famille et amis, son travail d’enseignant, et surtout ses copieuses lectures (et sa bibliophilie !), ses études qu’il prolonge ainsi, et ses souvenirs d’enfance (sa « vie antérieure », jusque dix-sept ans).
« Sur les zinnias voletaient Flambés et Machaons, ainsi que l’insaisissable Morosphinx. Jamais il ne se posait. Il oscillait dans l’air au-dessus du calice des fleurs, dans lequel il plongeait sa longue et fine trompe noire. Je n’ai jamais réussi, alors, à m’en emparer. J’en étais venu à le regarder comme une créature des rêves. Je percevais avec perplexité, avec dépit, l’existence de deux ordres, l’un que nos désirs édifient spontanément, l’autre, décevant, des choses effectivement accessibles, et l’impossibilité de franchir sans dommage ni perte la frontière. Est-ce que je m’en suis ouvert à quelqu’un ? Ai-je demandé des éclaircissements à ce sujet ? Peut-être. Papa aime à répéter, sardoniquement, que je fatiguais déjà tout le monde de questions. Mais je ne garde pas souvenir d’avoir obtenu la réponse. »

« Laver, nourrir, habiller les petits nous prend un temps infini. Comme la génération qui se forme pèse sur l’âge intermédiaire où nous sommes entrés, entre la dépendance à laquelle on est réduit, quand on commence, et celle où l’on va retomber avant de finir. »

« Ensuite, je peins – approches de la ville, avec, au premier plan, un canal, puis, sans l’avoir voulu, la façade de quelque château, flanqué de masures. À l’origine, c’était un pont sur l’eau à quoi j’ai fait faire un quart de tour. Quelque chose est apparu. Je ne parviens jamais de façon concertée à un résultat. Ce qui résulte d’un dessein arrêté est d’une banalité sans remède. C’est dans un angle mort, une dimension négligée, d’abord, d’un geste involontaire, que naissent la demeure des songes, la rive inconnue, la fête mystérieuse. »

« Toujours des soulèvements d’inquiétude, des éclairs d’angoisse, la crainte soudaine, panique, que le sursis qui me tient lieu de vie va prendre fin, que l’heure a sonné. Et ma réaction immédiate, indignée : qu’il est bien tôt, que j’ai beaucoup à faire, encore, qu’il me reste à connaître, à expérimenter, à aimer. »

« Tenté, au retour, de faire des essais de drapé avec du plâtre coulé dans un sac poubelle. J’avais été frappé, en avril, lors de la construction de la terrasse, des plis et volutes du ciment tombé, frais, dans la toile plastique froissée. Le résultat est décevant. Comment pourrait-il en aller autrement, au premier essai ? Et puis il faut que je revienne à ma lecture. Si j’excepte cette occupation dévorante, infinie, j’aurais bâclé ma vie, désireux que j’étais de répondre à l’appel de mille choses et conscient, tragiquement, qu’elle est trop brève pour pouvoir m’attarder plus qu’un court instant auprès de chacune d’elles. Comment étudier, pêcher, traquer les bêtes, chercher les pierres, les fossiles, peindre, modeler, menuiser, fondre, forger, rêver, respirer, regarder de tous ses yeux, être époux et père, professeur, fils et camarade, apprendre, avancer, ne pas oublier, ne jamais céder quand je suis sous la menace chronique d’être pris à la gorge sans rémission ? »

Début 1983, Bergounioux commence à écrire de la littérature.
« Malgré la fatigue, je reprends mon récit au commencement. J’essaie de le purger des approximations, des gaucheries. Je fais des phrases trop longues. C’est un de mes vices. Je me crois tenu, par mimétisme, d’envelopper une chose dans une seule et unique coulée syntaxique alors que, justement, le registre symbolique est autonome, relativement. »

Sa vie est partagée entre deux pôles, le travail dans l’Île-de-France, la nature pendant les vacances scolaires dans le Midi – et aussi le travail professionnel versus son « bureau » où il s’échine.
Ses phares sont Flaubert, Faulkner, Beckett, mais pas les seuls auteurs appréciés.
« Je lis les Chroniques italiennes de Stendhal avec un grand bonheur. Mais il a un âcre revers. Tout ce que je pourrais écrire s’en trouve terni. »

« Ensuite, j’extrais mes dernières lectures. Mais j’ai peu de preuves à présenter au tribunal qui siège en moi et me somme, le soir, d’expliquer, si je peux, ce que j’ai fait de ma journée. »

« Dans la même nuit, nous avons brisé le sortilège qui nous condamne à l’exil aux portes de Paris, traversé quatre cents kilomètres de ténèbres et de pluie, atteint le seuil de la seule existence que je sache, du seul monde qui lui fasse écho. »

« Je ne saurais lire puisque je suis parmi les choses. »

« Je regarde une émission de la série Histoires naturelles consacrée à la pêche au sandre. Les images du bord de l’eau, la lente marche du fleuve m’exaltent et m’accablent. J’aurais pu, moi aussi, passer des jours sur la rivière, dans l’oubli miséricordieux de tout. J’ai connu ce bonheur sans soupçonner qu’il me serait retiré bientôt. J’ai eu de ces heures, sur la Dordogne, et puis j’ai découvert, à dix-sept ans, qu’il semblait permis de comprendre ce qui nous arrivait, que cela se pouvait, et j’ai cessé de vivre. »

« J’esquisse un plan, jette, dirait-on, des grains de sable dans le vide, autour desquels pourraient se former des concrétions. Il me manque toujours l’arête. Je m’en remets sur l’avancée d’apporter ses propres rails, d’engendrer sa substance. Les mots, en revanche, tombent d’eux-mêmes, épousent la vision. »

« Je n’ai toujours pas pris mon parti de ne plus m’appartenir. »

« Paris excède la mesure de l’homme, la mienne, du moins. »

« La question est de savoir s’il est préférable de vivre ou de se retirer de la vie pour tenter d’y comprendre quelque chose, qui est encore une façon de vivre, mais combien désolée, amère, celle-ci. »

« Et comme je travaille de mes mains, et que je suis ici [les Bordes, en Corrèze], mes vieux compagnons, le noir souci, la contrariété, le désespoir chronique m’ont oublié. »

« Je songe aux profonds échos que la disparition de Mamie a soulevés, aux grandes profondeurs cachées sous la chatoyante et fragile surface des jours. J’y pensais, hier matin, dans la nuit noire, quand tout dormait, et j’y pense encore. Et c’est cela, peut-être, qu’il faudrait essayer de porter au jour. C’est le moment. Les figures tutélaires de mon enfance s’en vont, sans avoir seulement soupçonné, je suppose, ce qui s’est passé et les concernait, pourtant, au suprême degré. J’ai atteint l’âge où l’on peut tenter de comprendre, de porter dans l’ordre second, distinct, de l’écrit ce qu’on a confusément senti : la vie saisie à des moments successifs qui s’éclairent l’un l’autre, à l’occasion de ces subites et brutales retrouvailles que les naissances, les décès, surtout les décès, provoquent de loin en loin, les grandes permanences et le changement, l’œuvre fatidique, effrayante du temps. »

« Je reste un très long moment à me demander si j’ai bien de quoi remplir six autres chapitres, songe à croiser les voix, donc à modifier le poids, l’importance, le sens des choses qui commandent, à leur insu, parfois, mais parfois en conscience, les agissements des générations successives, la destinée unique, reprise par trois fois, de l’individu générique, supra-individuel auquel, sous le rapport de la longue durée, s’apparente celui, périssable, en qui nous consistons. »

« C’est à la faveur de ces instants limitrophes que m’apparaissent la hâte folle, la fureur concentrée qui m’emportent depuis ma dix-septième année et m’arrachent aux instants, aux lieux, aux êtres parmi lesquels nous aurons vécu, respiré. Toujours hors de moi, la tête ailleurs, l’esprit occupé de choses qui ne sont que dans les livres, ou alors du passé ou encore des éventualités redoutables, sans doute insurmontables, qui peuplent l’avenir. Et le seul bien véritable, le présent, ses authentiques et charmants habitants, je n’en aurai pas connu le goût, la douceur, la simple réalité. »

Bergounioux s’acharne, se force à écrire chaque jour – quand il en a le loisir.
« Je lance lessive sur lessive, range tout ce qui traîne partout, descends faire quelques achats, conduis Jean à sa dernière leçon de piano de l’année. Comment travailler ? Il ne me semble pas tant faire ce qu’il paraît, les courses, de la cuisine, prendre soin des petits, enseigner, etc. que combattre l’envahissement chronique de la vie, du métier, du chagrin, de tout, afin d’avoir un peu de temps pour la table de travail, méditer, endurer les affres sans nom de la réflexion, de l’explicitation. C’est un souci de chaque instant, une hantise vieille de vingt-deux ans et qui me ronge comme au premier jour. »

« Enfoncé dans la tâche d’écrire dont j’ai retrouvé, reconnu la rudesse, l’âpreté, le tempo – la facilité toute relative du matin, les lenteurs et les pesanteurs de l’après-midi, l’hébétude où je finis. C’est d’entrée de jeu qu’il faut emporter le morceau, arracher au vide rebelle, à l’opposition de la vie au retour réflexif, le sens de ce qui a eu lieu, le chiffre des heures passées. La violence du geste inaugural, et en vérité de cette occupation contre nature, dépasse de beaucoup celle que je mobilise, à l’atelier, contre les bois durs, l’acier. Que je relâche si peu que ce soit la pression à laquelle il faut soumettre la vapeur du souvenir, l’impalpable matière de la pensée, et la plume cesse de courir, le fil rompt. Je réussis à couvrir la deuxième page vers trois heures de l’après-midi après avoir douté, à chaque mot, d’extorquer le suivant, et un autre, encore, à l’inexpiable ennemi. C’est pur hasard, me semble-t-il, s’il a cédé. L’espoir s’est évanoui. On recommence, pourtant, puisque là est le chemin, et c’est ainsi qu’un autre terme vient, qu’on s’empresse, incrédule, d’ajouter au précédent. Et c’est à ce régime que je vais me trouver réduit pour des mois. »

« Je ne suis pas encore sorti de la voiture qu’un type à l’air malheureux, misérable, vient me demander une pièce. Il se passe des choses graves, que les rues soient pleines de gens qui mendient, qu’on soit partout et continuellement sollicité. »

« Les petits qui tournicotent sans rien faire m’irritent beaucoup. Mais c’est – j’essaie de me le rappeler – le privilège de l’âge où ils sont encore de n’avoir pas à compter, de dilapider les heures, les jours en petit nombre qui nous sont alloués. J’en ai usé, moi aussi, à leur âge, en très grand seigneur avant de me faire épicier. »

« Je me lève à six heures. Il s’agit de mordre sur le nouveau chapitre. Les premières lignes me coûtent mille maux. Je passe par toutes les couleurs de la désespérance. Partout, la muraille ou le puits, comme dans le conte d’Edgar Poe. Il doit être neuf heures lorsque les premiers mots apparaissent sur la page. Les mots d’Helvétius sur le malheur d’être et la fatigue de penser me reviennent. Dans l’intervalle, un jour clair et tiède s’est levé. C’est l’été de la Saint-Martin. Je m’acharne, gagne deux mots, trois autres un peu plus tard. À midi, j’aurai progressé d’une page. »

« La difficulté d’écrire se dresse, intacte, malgré les années. Je devine le grouillement obscur des possibles, l’enchevêtrement des thèmes, la confusion première, foncière, peut-être définitive de l’esprit aussi longtemps qu’il n’a pas fait retour sur lui-même, passé outre à l’interdit qui lui défend de se connaître, de porter en lui-même ordre et clarté. »

« Je lis La Psychologie des sentiments de Th. Ribot. Ce qu’il dit du sentiment esthétique est étrangement conforme à ce que j’ai toujours éprouvé, sous ce chef : un besoin aussi impérieux que la soif et la faim, plus impérieux, en vérité, plus violent, ab origine. »

« Je reprendrai plus tard la fin, qui est très insatisfaisante. Je reviens au début pour la première passe de rabotage. Il est deux heures et demie de l’après-midi lorsque j’ai grossièrement élagué le premier chapitre. La dialectique abstruse du deuxième m’arrête net et j’ai un accès de détresse. Jamais je ne serai content. Toujours mon esprit revient buter sur son insuffisance essentielle, son incurable infirmité. »

C’est une figure opiniâtre qui se dégage de ce journal, avec en filigrane un grand élan vers l’authenticité.
J’ai lu avec plaisir ces carnets, comme une histoire, tant le propos est bien énoncé, l’écriture agréable, la syntaxe soignée et riche le vocabulaire. Bien sûr cette lecture est laborieuse, puisqu’il s’agit d’un journal, donc non structuré, où abondent les récurrences des évocations de peines diverses ; mais les préoccupations de Bergounioux, les soucis qu’il consigne plus volontiers que les satisfactions, recoupent souvent les nôtres.

\Mots-clés : #autobiographie #creationartistique #ecriture #education #enfance #famille #journal #mort #nature #relationenfantparent #ruralité #urbanité #viequotidienne #xxesiecle
par Tristram
le Jeu 14 Mar - 11:20
 
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Sujet: Pierre Bergounioux
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Ian McEwan

L'Enfant volé

Tag education sur Des Choses à lire L_enfa10

Angleterre, juste avant 1987 (date de parution du livre) : Kate, la fille de trois ans de Stephen Lewis, auteur à succès de livres pour enfants, est mystérieusement enlevée comme ils faisaient des courses. La dévastation du couple qu’il formait avec Julie est excellemment rendue.
« Il était père d’un enfant invisible. »

Charles Darke, son éditeur devenu un ami, s’est lancé dans la politique après une brillante carrière dans les affaires, choisissant cyniquement la droite au pouvoir.
Stephen rêvasse pendant les séances d’un comité gouvernemental en charge de la préparation d’un manuel de pédagogie (qui s’avèrera avoir écrit d’avance par les services du Premier ministre). Il voit en hallucination ses parents venus à bicyclette dans un pub avant sa naissance. Il leur rend visite, réchappe d’un accident de la circulation, répond à l’invitation de Charles et Thelma, son épouse enseignante en physique quantique, qui ont quitté la vie publique pour se retirer à la campagne (lui semble retombé en enfance). Puis Stephen retourne au whisky et aux émissions télévisées. Enfin il sort de sa catatonie et reprend des activités. Le Premier ministre l’invite, l’interroge sur Charles.
Charles, qui a rédigé le manuel pour ce dernier qui le désire, se laisse mourir de froid, déchiré entre son désir d’enfance et son existence sociale ambitieuse.
Stephen retrouve Julie qui, trois ans après la disparition de Kate, donne vie à un nouvel enfant.
« Tout l’art d’un mauvais gouvernement consistait à rompre le lien entre la politique adoptée dans le domaine public et le sens profond et instinctif de bonté et d’équité de l’individu. »

« Tous ces esprits prometteurs, cultivés, brûlants d’enthousiasme, après des études de littérature anglaise qui avaient inspiré leurs brefs slogans – L’énergie est une joie perpétuelle, à bas les contraintes, vive les étreintes –, tous avaient déferlé des bibliothèques au tournant des années soixante-dix, fermement résolus à entreprendre des voyages intérieurs, ou des voyages vers l’Orient dans des cars bariolés. Une fois le monde devenu moins vaste et plus sérieux, ils étaient rentrés au pays afin de se mettre au service de l’Éducation, carrière qui avait à présent perdu son envergure et son attrait ; les écoles étaient mises en vente sur le marché de l’investissement privé, et l’âge de scolarité obligatoire allait bientôt être abaissé. »

« Il donnait l’impression d’être raisonnable et tout à fait concerné, tout en préconisant la nécessité de laisser les pauvres se débrouiller tout seuls et d’encourager les riches. »

« Une minorité perturbatrice de l’humanité considérait tout voyage, aussi bref soit-il, comme l’occasion de faire de plaisantes rencontres. Il se trouvait des gens prêts à infliger des détails intimes à de parfaits inconnus. Des gens à éviter si vous faisiez partie de la majorité de ceux pour qui un voyage offre une opportunité de silence, de réflexion, de rêve. »

« Ils faisaient face à deux possibilités, de poids égal, en équilibre sur un pivot affilé. Dès l’instant où ils pencheraient en faveur de l’une, l’autre, tout en continuant à exister, disparaîtrait à tout jamais. Il pourrait se lever maintenant, et passer devant elle pour se rendre à la salle de bains en lui adressant un sourire plein d’affection. Il s’y enfermerait, sauvegardant son indépendance et sa fierté. Elle l’attendrait en bas, et ils reprendraient le fil de leur conversation prudente jusqu’à ce qu’il fût temps qu’il traverse le champ pour reprendre le train. Ou alors, il fallait risquer quelque chose, il voyait se déployer devant lui une vie différente dans laquelle son propre malheur pouvait redoubler ou disparaître. »

« Et il n’y avait pas de terrain plus propice aux spéculations péremptoirement maquillées en véritables faits que celui de l’éducation des enfants. »

Ce roman brillamment écrit part un peu dans tous les sens, mais vaut pour son regard sur la société (celle aussi des mendiants badgés), la politique (notamment thatchérienne) et même la science (surtout par rapport au temps), aussi par la psychologie des personnages (et l’humour de l’auteur).

\Mots-clés : #culpabilité #education #politique #psychologique #relationdecouple #social #xxesiecle
par Tristram
le Mer 17 Jan - 11:23
 
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Sujet: Ian McEwan
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Umberto Eco

Comment écrire sa thèse

Tag education sur Des Choses à lire Commen11

« …] une thèse sert avant tout à apprendre à organiser ses idées, indépendamment de son sujet. »

Eco expose avec une extrême clarté la méthode rigoureuse, et d’une logique imparable, pour effectuer une recherche et la présenter de façon cohérente.
À noter que cet essai est paru pour la première fois en 1977, ce qui explique le recours aux fiches cartonnées, souvenir d’un usage aboli par la démocratisation de l’informatique.
« Tout dépend bien sûr aussi de la structure psychologique du chercheur. Il existe des personnes monochroniques et des personnes polychroniques. Les monochroniques ne travaillent bien que s'ils commencent et finissent une chose à la fois. Ils ne peuvent lire en écoutant de la musique ni interrompre un roman pour en commencer un autre, sous peine de perdre le fil – c'est à peine s'ils peuvent répondre à des questions pendant qu'ils se rasent ou se maquillent. Les polychroniques sont tout l'opposé. Ils ne travaillent bien que s'ils mènent de front plusieurs projets à la fois, et s'ils se consacrent à une seule chose, ils succombent à l'ennui. Les monochroniques sont plus méthodiques, mais ils ont souvent peu d'imagination. Les polychroniques sont plus créatifs, mais ils sont souvent brouillons et instables. Si vous parcourez les biographies des grands auteurs, vous verrez qu'il y eut des polychroniques et des monochroniques. »

« Une des premières choses à faire quand on commence à travailler à sa thèse est d'en écrire le titre et d'en rédiger l'introduction et la table des matières – c'est-à-dire de faire exactement ce que n'importe quel auteur fait en dernier. […]
Il est clair à présent que l'introduction et la table des matières seront constamment réécrites au fur et à mesure que progressera votre travail. C'est ainsi. La table des matières et l'introduction finales (celles qu'on lira dans votre tapuscrit) seront différentes de celles que vous aurez écrites au début. C'est normal. Si ce n'était pas le cas, cela voudrait dire que tout le travail de recherche que vous aurez effectué ne vous aura pas apporté une seule idée nouvelle. Sans doute avez-vous beaucoup de suite dans les idées, mais il était inutile de faire une thèse. »

Même si l’on n’a pas de velléités universitaires, il me semble que cette pédagogie de la démarche rationnelle peut être utile d’une façon plus générale, ne serait-ce que dans la manière de citer ses sources sans ambigüité.

\Mots-clés : #education #essai #universdulivre
par Tristram
le Lun 18 Sep - 12:26
 
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Sujet: Umberto Eco
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Valery Larbaud

Fermina Márquez

Tag education sur Des Choses à lire Fermin10

Deux jeunes Américaines (d’Amérique latine, tant ce continent ne se résume pas aux USA : elles sont Colombiennes), viennent passer leurs après-midis, chaperonnées par leur tante Mama Doloré, au collège Saint-Augustin, illustre établissement recevant beaucoup de riches descendants hispanophones, pour soutenir leur petit frère interne, Paco (Paquito, Francisco). L’aînée, Fermina, très réservée et pieuse, suscite malgré elle une compétition d’élèves séduits par sa beauté. Joanny Léniot, le fort en thème, calculateur, laborieux, ambitieux et antipathique, entre en concurrence avec Santos Iturria, « le héros du collège », hardi et émancipé, et obtient de lui tenir compagnie.
« Eh bien, lui-même, comme César, était destiné à être admiré des hommes et à être aimé des femmes. Il était indigne de lui d'admirer et d'aimer en retour. Ou bien, peut-être, aimerait-il ; mais il ne pourrait aimer qu'une captive, c'est-à-dire la femme humiliée et suppliante qui se traîne à vos pieds, et qui vous baise craintivement les mains. Oui, mais cette femme-là se trouve-t-elle ailleurs que dans les romans dont la scène est aux colonies ? »

« Joanny devait appliquer à cette tentative de séduction toute sa patience méthodique, tout son entêtement studieux de bon élève. Il lui fallait calculer froidement, surveiller les événements, guetter les occasions… »

Le monde de l’enfance est sensiblement rendu, sans doute observé avec des réminiscences personnelles de la scolarité de l’auteur (le narrateur est aussi un bon élève du collège) :
« Joanny pensa qu'il devait, à son tour, lui confier ses plus secrètes pensées. Depuis longtemps il souhaitait de les dire à quelqu'un. Il avait renoncé de bonne heure à découvrir son cœur à ses parents. Nos parents ne sont pas faits pour que nous leur découvrions nos cœurs. Nous ne sommes pour eux que des héritiers présomptifs. Ils n'exigent de nous que deux choses : d'abord, que nous profitions des sacrifices qu'ils font pour nous ; et ensuite, que nous nous laissions modeler à leur guise, c'est-à-dire que nous devenions bien vite des hommes, pour prendre la suite de leurs affaires ; des hommes raisonnables qui ne mangeront pas le bien si péniblement acquis. « Ah ! chers parents ! nous deviendrons peut-être des hommes ; mais nous ne serons jamais raisonnables. » – On dit cela, jusqu'à vingt ans, parce qu'on se croit né pour de grandes choses. »

Après avoir promu l’empire romain comme idéal et célébré son propre génie, Joanny rompt avec la chica, qui perd sa ferveur religieuse et ses exaltations d’humilité et de piété pour s’éprendre de Santos.
Camille Moûtier, un petit malheureux brimé par les « taquins » (le harcèlement scolaire n’est pas nouveau), s’est aussi amouraché de la belle, et pour s’en rapprocher sympathise avec son frère.
Devenu adulte, le narrateur visite les ruines du collège – et de leur jeunesse.
Le style est d’une grande simplicité ; le ton rappelle furieusement Le Grand Meaulnes (à peine postérieur), et devrait plaire aux afficionados de ce dernier.

\Mots-clés : #amour #education #enfance #jeunesse
par Tristram
le Mer 30 Mar - 13:27
 
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Sujet: Valery Larbaud
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Ian McEwan

Sur la plage de Chesil

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Edward Mayhew et Florence Ponting, deux jeunes mariés encore vierges le soir de leur mariage dans la suite nuptiale d’un hôtel donnant sur la plage de Chesil, Dorset, dans le début des années 60. Quoiqu’amoureuse, elle est révulsée à la perspective des rapports sexuels.
La soirée commence assez mal.
« Ce n’était pas une période faste dans l’histoire de la cuisine anglaise, mais personne ne s’en souciait vraiment, sauf les visiteurs étrangers. Le dîner de noces commença, comme tant d’autres à l’époque, par une tranche de melon décorée d’une unique cerise confite. Dans le couloir, des plats en argent sur leurs chauffe-plats contenaient des tranches de rôti de bœuf dont la cuisson remontait à plusieurs heures, figées dans une épaisse sauce brune, des légumes bouillis et des pommes de terre bleuâtres. Le vin était français, même si l’étiquette, ornée d’une hirondelle solitaire s’envolant à tire-d’aile, ne mentionnait aucune appellation précise. »

McEwan revient sur l’histoire personnelle des deux jouvenceaux, lui d’un milieu modeste avec une mère « mentalement dérangée », passionné d’histoire et de lecture, elle de musique classique et tout particulièrement de violon. Tous deux avaient hâte de s’émanciper, « dans une sorte d’antichambre, attendant avec impatience que [leur] vraie vie commence ». La psychologie adolescente est remarquablement décrite, et on peut constater qu’il existe des invariants jusqu’à nos jours.
« L’URSS se battait et s’était toujours battue pour la libération des peuples opprimés, contre le fascisme et les ravages d’un capitalisme insatiable. »

La séance nuptiale : elle s’efforce, culpabilisée, de complaire à son mari, mais c’est le drame. Outre l’analyse très pointue des caractères, ce bref roman explicite la tragédie de l’ignorance avant la révolution sexuelle, source de malentendu et de gâchis.
Voir, toujours dans monde anglo-saxon, mais aussi français : https://www.franceculture.fr/emissions/et-maintenant/et-maintenant-du-mardi-08-mars-2022

\Mots-clés : #amour #education #psychologique #sexualité #social #xxesiecle
par Tristram
le Dim 13 Mar - 12:57
 
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Michel Rio

Archipel

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L’archipel, c’est celui des îles anglo-normandes, à la rencontre des cultures anglaise et française, pour un des exercices préférés des écrivains philosophants, le système d'éducation idéale du gentilhomme :
« Histoire, physique, biologie : pour un apprenti philosophe, cela est convenable et opportun. C’est la trinité qui doit fonder notre vision du monde. »

Novella plus que roman où Michel Rio déploie calmement son style soigné, clair et précis, dense car sans errement, maîtrisé, avec ses caractéristiques dialogues d’un français châtié, un brin aristocratique, en parfaite adéquation avec le propos.
Le narrateur, élève d’une élitiste école de Jersey, vivra une expérience insolite de l’initiation au sexe, à l’amour et à l’interdit, entre la belle Alexandra Hamilton, propriétaire de l’institution, et Leonard Wilde, le laid bibliothécaire et ancien précepteur de cette dernière.
« Il y a une liberté dans le crime, et aucune dans l’aumône. »


\Mots-clés : #education #initiatique
par Tristram
le Ven 21 Mai - 13:10
 
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Juliette Speranza

L’échec scolaire n’existe pas

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Un titre choc qui ne peut que susciter des sentiments contrastés. Si je ne connaissais pas l’auteure je me dirais que c’est un livre que l’on ne voit que trop, de pédagogues célèbres, adeptes des têtes de gondole.

Rien de tout cela ici. Point de phrase sensationnaliste, pas de formule toute prête et toute faite sur l’éducation, pas de liste à la Prévert de solutions sorties ex nihilo de tout contexte. Cela change!

Tout d’abord la forme avant le fond. C’est bien écrit, le style est simple, sans fioriture, ce qui permet de rendre le sujet accessible et non élitiste. Un point qui semble accessoire mais qui ne l’est pas. Le jargon permet souvent de cacher la vacuité d’un propos, ou de mettre une distance afin que le message devienne une consigne, ou une pensée auto proclamée comme experte et référente. Ici l’auteure propose, le lecteur dispose. L’importance de cette simplicité est d’ailleurs accentuée par la radicalité de la pensée et de l’argumentation. De fait, le style est très agréable, rythmé, les chapitres sont courts.

Le fond désormais. C’est très étrange pour moi, car j’aurais pu écrire ce livre. Je suis d’accord et je soutiens tout ce qui y est écrit. Que cela soit la critique d’une espèce de totalitarisme de la norme au sein du système scolaire, de la surcharge administrative comme cause additionnelle de la production de normes, la mise en place de pansements sur des jambes de bois rendant le système encore plus inégalitaire, la souffrance scolaire des professeurs, des élèves, et des parents, le dialogue difficile entre les professeurs et leur hiérarchie, mais aussi entre les professeurs et les parents.

Je suis d’accord aussi avec l’idée selon laquelle l’enfant n’est finalement plus central, l’élève n’est finalement plus l’acteur pour lequel existe l’école.

Je suis également d’accord avec les pistes proposées, la neurodiversité, la contextualisation de l’éducation et des méthodes d’apprentissage voire leur individualisation, la sortie de ce système normatif par un universalisme particulariste.

Je pense d’ailleurs avoir la même filiation philosophie que Juliette, sont cités notamment Comenius et Condorcet, mais j’ai reconnu aussi John Dewey et Jane Addams. Cela explique peut être cette entente dans les idées.

Ce livre en appelle peut être un autre sur les causes de ce système normatif, sur la mauvaise lecture politique des Lumières, sur un égalitarisme qui a tué la notion d’individu, l’école comme un utilitarisme professionnel et productiviste et non une fin en soi (les tests de QI notamment sont abordés).

Ce livre devrait inspirer les partis politiques pour trouver des solutions politiques à un constat qui est alarmant et vrai. Je conseille cet ouvrage à tous, vraiment.

Mots-clés : #education
par Hanta
le Dim 7 Mar - 15:20
 
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Sujet: Juliette Speranza
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Philip K. Dick

Glissement de temps sur Mars

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Nous sommes en 1994, sur Mars, où la vie des colons n’est pas idyllique (première parution du livre en 1963). L’eau, primordiale dans un environnement désertique, est gérée par l’ONU (et parcimonieusement distribuée via les fameux canaux), mais le syndicat des plombiers, dirigé par Arnie Kott, profite abusivement de ce filon.
Les indigènes (de la même espèce que nous) sont leurs « nègres » :
« Et rien ne paraissait exaspérer davantage ces fermiers prospères que le fait d’être sollicités par les créatures dont ils s’étaient appropriés les terres. »

Norbert Steiner, qui subsiste de marché noir, a un fils « autistique », Manfred, pris en charge par Nouvel Israël, la colonie sioniste ; et il se suicide.
« C’est bizarre, se dit-elle, lorsqu’on entend parler de suicide, notre réaction immédiate est un sentiment de culpabilité, de responsabilité. Si seulement je n’avais pas fait ceci, ou si j’avais fait cela… J’aurais pu empêcher cette mort. Je suis coupable. »

« ‒ En tout cas, quand tu entends parler d’un suicide, tu peux être sûre d’une chose : c’est que le gars sait pertinemment qu’il n’est pas un membre utile de la société. Il fait face à cette réalité, et c’est ce qui déclenche tout, le fait de savoir que l’on n’a d’importance pour personne. »

Son voisin est Jack Bohlen, un dépanneur fort doué, qui vécut un épisode schizophrénique, et répare un des professeurs de l’école ‒ un simulacre.
« …] l’école n’était pas là pour informer ni pour éduquer, mais pour modeler les enfants, et d’une manière sévèrement restrictive. Elle était le lien qui les unissait à leur héritage culturel, et elle colportait cette culture tout entière dans la jeunesse. Les élèves y étaient pliés ; le but était la perpétuation de la culture et le moindre trait particulier qui pouvait pousser un enfant dans une autre direction devait être éliminé. »

« L’autisme, se dit Jack en dévissant le dos du Portier Coléreux, est devenu un concept très utile pour les autorités martiennes. Il a remplacé l’ancien terme "psychopathe" qui à son époque avait remplacé "imbécile moral", qui avait lui-même remplacé "fou criminel". »

« La réalité que fuyait le schizophrène – ou plutôt, à laquelle il ne s’adaptait jamais – était la réalité de la vie communautaire, de la vie dans une culture donnée ayant des valeurs données ; il ne s’agissait pas de l’existence biologique, ni d’une quelconque forme de vie héréditaire, mais bien de la vie que l’on inculquait. […]
Car les valeurs d’une société changeaient continuellement, et l’École Communale constituait une tentative pour les stabiliser, pour les figer à un moment donné – pour les embaumer.
Il pensait depuis longtemps que l’École Communale était névrosée. Elle désirait un monde exempt de toute nouveauté, de toute surprise. Et c’était le monde du névrosé atteint d’obsession compulsive ; il ne s’agissait pas d’un monde sain, loin de là. »

« Je comprends maintenant ce qu’est la psychose : c’est l’aliénation complète de la perception des objets du monde extérieur, particulièrement les objets qui ont une importance : c’est-à-dire les gens chaleureux qui l’habitent. Et par quoi sont-ils remplacés ? Par une affreuse préoccupation – le flux et le reflux incessants de notre propre être. Les changements qui émanent de l’intérieur, et n’affectent que cela. Il s’agit d’une véritable coupure entre les deux univers, intérieur et extérieur, si bien qu’aucun d’eux n’interfère plus avec l’autre. Ils continuent d’exister tous les deux, mais séparément.
C’est l’interruption du temps. La fin de toute expérience, de toute nouveauté. Lorsqu’une personne devient psychotique, rien ne pourra plus jamais lui arriver. […]
Un moi coagulé, immense et figé, qui efface tout le reste, occupe l’espace tout entier. »

Ces observations restent intéressantes, mais on mesure à ces propos assez confus sur la psychopathie l’importance du vocabulaire, et partant de la traduction ; ainsi, « autisme » est rendu par « psychose » dans Nous les Martiens, même livre, mais paru l’année précédente (dans une autre traduction). Aussi, les considérations psychologiques glissent rapidement vers la précognition et une théorie qui soutient que ces « anormaux » perçoivent l’écoulement du temps de façon beaucoup plus rapide que nous ; et il apparaît qu’ils distinguent le futur dans ce qu’il a de mort et délabré, ce que Manfred désigne du terme « rongeasse », et Jack « le Rongeur »… peut-être même le contrôlent-ils ?
Exemples d’hallucinations, caractéristiques de la « panique du schizophrène », effondrement de la réalité où son inconscient se projette :
« Les yeux de Doreen se mirent à fondre, s’opacifièrent ; derrière l’un d’eux ses cils devinrent les pattes poilues et agitées d’un insecte velu coincé là, cherchant à sortir. Son minuscule œil rouge, gros comme une tête d’épingle, passa furtivement au bord de l’œil aveugle de Doreen, puis disparut ; ensuite, l’insecte se tortilla, faisant gonfler l’œil mort de la femme ; durant un instant, la bestiole apparut derrière le cristallin de Doreen, regarda ça et là et aperçut Jack mais sans pouvoir comprendre qui il était, ni ce qu’il était ; l’insecte n’était pas capable d’utiliser parfaitement le mécanisme pourri derrière lequel il vivait. »

« Sous la peau de Mr. Kott, il y avait des ossements humides et luisants. Mr. Kott était un sac d’ossements, sales et néanmoins luisants-humides. Sa tête était un crâne contenant des billets qu’il mâchonnait ; au-dedans, les billets devenaient des objets pourris que quelque chose mangeait pour les faire mourir. Jack Bohlen était également un sac mort, grouillant de rongeasse. Joliment peint, d’odeur agréable, l’extérieur qui trompait presque tout le monde se pencha vers Miss Anderton, et il le vit ; il vit que cela désirait terriblement la jeune femme. La forme humide et poisseuse se glissa de plus en plus près d’elle ; les mots sautèrent de sa bouche comme des insectes morts et tombèrent sur elle. Les insectes-paroles morts s’enfuirent dans les plis de ses vêtements, et quelques-uns se glissèrent sous sa peau pour pénétrer dans le corps de Doreen. »

Jack a été chargé par Arnie (quant à lui plutôt parano me semble-t-il) de construire une « chambre de ralentissement » afin de communiquer avec Manfred ; les visions précognitives de ce dernier sont rendues par des répétitions de séquences dans le texte, avec variations parfois.
Là se tient le grand intérêt de l’œuvre de Philip K. Dick : les rapports entre instabilité mentale et prospective (étude des avenirs possibles), en passant par l’examen de la société présente.
À signaler l’humour, avec des personnages et situations cocasses, comme le Dr. Glaub et les machines éducatives. Aussi de l’action et du délire, typiquement pulps ‒ parfois sommaire, mais bourré d’invention.

\Mots-clés : #colonisation #education #handicap #sciencefiction
par Tristram
le Mer 30 Déc - 23:24
 
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Yukio Mishima

Neige de printemps

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Roman, 1969, 360 pages environ, titre original 春の雪.



Difficile de passer après le magnifique commentaire d'Églantine !
Et combien mes craintes étaient similaires aux siennes, on tique à l'idée de lire une traduction depuis...la traduction anglaise (tout de même, pour un auteur de la portée de Mishima...), au final ça passe bien, et comme nous ne sommes pas armés pour évaluer la déperdition (Gnocchi, si tu passes par là ?), on s'en contentera !

Mais, passons.

Ce premier volume de la tétralogie La mer de la fertilité est, de bout en bout, une splendeur.
Beaucoup de souplesse stylistique et de raffinements, de légèreté sans vacuité, de justesse descriptive sans pesanteurs.

Une prosodie chatoyante transparaît de ces pages, quant à l'histoire, nous sommes embarqués dans un Japon du début des années 1910, époque antérieure à la naissance de l'auteur et de peu postérieure à la guerre russo-japonaise en Mandchourie, sans doute la première guerre "moderne" par les moyens employés, et "terrible" par le nombre des victimes, d'entre les conflits militaires du XXème siècle. C'est aussi l'extrême fin de l'Ère Meiji, à laquelle il est souvent fait allusion dans le roman, ainsi qu'en filigrane l'Ère Edo (voir par ex. le second extrait), l'histoire devant s'achever aux alentours des années 1920.

Un Japon que Mishima campe entre modernité et traditions, s'européanisant, pour une mise en scène des hautes classes nobles et riches, en orchestrant son roman autour de deux beaux jeunes gens, Satoko Ayakura et Kiyoaki Matsugae.  
Histoire d'amour, non seulement sentimentale mais passionnelle, non seulement forte mais dramatique.  

Fait remarquable, dans ce roman, que d'aucuns estimeront épais ou long (ou bien les deux), mais que je ressens surtout comme dense, les descriptions d'apparence externe ou de l'ordre du détail (nature, temple, jardins, animaux, portrait peint, photographie, mer, considérations d'ordre météorologique, incidents, intérieurs, etc.), de même que les personnages secondaires (particulièrement remarquables, ceux-ci) lorsque la narration s'attarde font toujours sens, tout un jeu de correspondances est mis en place, avec raffinement, doigté, et, je n'en doute pas une seconde, immense talent d'écrivain, ceci étant composé avec grâce, légèreté, d'une plume alerte.  

Chapitre 12 a écrit:Kiyoaki tournait et retournait ces pensées, assis dans le demi jour de l'étroit carré bringuebalant du pousse-pousse. Ne voulant pas regarder Satoko, il n'y avait rien d'autre à faire que de contempler la neige dont la clarté jaillissait par la minuscule fenêtre de celluloïd jauni. Pourtant, à la fin, il passa la main sous la couverture où celle de Satoko attendait, à l'étroit dans  la tiédeur du seul refuge disponilbe.
  Un flocon, en entrant, vint se loger dans un sourcil de Kiyoaki. Cela fit s'écrier Satoko et, sans y penser, Kiyoaki se tourna vers elle en sentant les gouttes froides sur sa paupière. Elle ferma les yeux brusquement. Kiyoaki considérait son visage aux paupières closes; on ne voyait luire dans la pénombre que ses lèvres légèrement empourprées, et à cause du balancement du pousse-pousse, ses traits se brouillaient un peu, telle une fleur qu'on tient entre des doigts qui tremblent.
  Le cœur de Kiyoaki battait sourdement. Il se sentait comme étouffé par le col haut et serré de sa tunique d'uniforme. Jamais il n'avait été en présence de rien d'aussi impénétrable que le visage blanc de Satoko, ses yeux clos, dans l'attente. Sous la couverture, il sentit que l'attirait une force douce mais irrésistible. Il pressa sur ses lèvres un baiser.
   L'instant d'après, une secousse du véhicule allait séparer leurs lèvres, mais Kiyoaki, d'instinct, résista au mouvement, si bien que tout son corps parut en équilibre sur ce baiser, et il eut la sensation qu'un vaste éventail invisble et parfumé se dépliait autour de leurs lèvres unies.
  En cet instant, si absorbé qu'il fût,  il n'en avait pas moins conscience d'être un très beau garçon. La beauté de Satoko et la sienne: il vit que c'était précisément leur étroite correspondance qui dissipait toute contrainte, les laissant s'écouler de concert et se confondre aussi aisément que mesures vif-argent. Tout ferment de désunion, tout désenchantement naissaient de choses étrangères à la beauté. Kiyoaki comprenait maintenant que vouloir à toute force rester complètement indépendant était maladie, non de la chair, mais de l'esprit.



Chapitre 39 a écrit:"Faire un enfant à la fiancée d'un prince impérial ! Voilà ce que j'appelle un exploit ! Combien de ces minets, à notre époque, se montreraient capables de rien de pareil ? Il n'y a pas de doute, Kiyoaki est bien le petit-fils de mon mari. Tu n'en auras nul regret, même si on te met en prison. En tous cas, il n'y a pas de danger qu'on t'exécute", dit-elle, prenant un plaisir visible. Les rides austères de sa bouche avaient disparu et une vive satisfaction semblait l'enflammer, comme si elle avait banni des décennies d'ombre étouffantes, dispersant d'un coup les vapeurs anémiantes qui enveloppaient la maison depuis que le présent marquis en était devenu le maître. D'ailleurs, elle ne rejetait pas le blâme sur son seul fils. À cette heure, elle parlait aussi en représailles contre tous ceux qui l'entouraient dans sa vieillesse et dont elle sentait la puissance perfide se refermer sur elle pour la broyer. Sa voix portait l'écho joyeux d'une autre ère, une ère de bouleversements, ère de violence que cette génération-ci avait oubliée, où la crainte de la prison et de la mort n'arrêtait personne, où cette double menace constituait la trame de la vie quotidienne. Elle appartenait à une génération de femmes qui tenaient pour rien de laver leurs assiettes dans un fleuve que l'on voyait charrier des cadavres. Ça, c'était vivre ! Et aujourd'hui, chose remarquable, voilà que ce petit-fils, à première vue tellement fin de race, ressuscitait sous ses yeux l'esprit d'un autre âge.
  Le regard de la vieille dame se perdit, quelque chose comme une ivresse se répandant sur ses traits. Le marquis et la marquise considéraient en silence, scandalisés, ce visage de vieille femme trop austère, trop pleine de rude beauté paysanne pour qu'on pût la présenter en public comme la maîtresse douairière de la maison du marquis.    





Mots-clés : #amitié #amour #culpabilité #education #traditions #xxesiecle
par Aventin
le Dim 13 Déc - 7:39
 
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Sujet: Yukio Mishima
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Shantabai Kamble - Baby Kamble

Le livre qui suit regroupe les deux récits de Baby Kamble et Shantabai Kamble, qui furent parmi les toutes premières femmes intouchables à rédiger leur autobiographie. Je précise que, malgré leur homonymie, elles ne sont a priori pas de la même famille.

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Parole de femme intouchable

Des siècles durant, les intouchables, en Inde, ne furent que des ombres destinées aux tâches impures, dont on disait que le seul contact vous souillait… Des êtres à la fierté sans cesse piétinée, vivant dans la misère, se nourrissant de restes rassis et vêtus d’une seule et même guenille sans cesse rapiécée et grouillante de poux. Les femmes souffraient doublement : parce que femmes, parce qu’intouchables. Des vies de labeur, de sévices, de faim dévorante. Des vies niées.
Puis, un jour, un homme est arrivé : B. R. Ambedkar. Lui aussi intouchable, lui aussi de la caste des Mahâr dont sont issues les deux auteures. Le maharaja de Baroda lui paya des études : Ambedkar devint avocat. Plus tard, il fut le principal rédacteur de la constitution indienne et l’instigateur de quotas permettant aux personnes des basses castes d’accéder aux études. Dans les années 30, on n’en était pas encore là. Mais, par son aura et sa force de conviction, il insuffla à toute une communauté le courage de refuser la fatalité et l’asservissement. Surtout, il parvint à convaincre les parents que leur salut viendrait de la scolarisation des enfants.

Baby Kamble et Shantabai Kamble furent des pionnières, parmi les toutes premières fillettes intouchables scolarisées. Et elles tinrent bon malgré les épreuves. Baby devint commerçante, Shantabai institutrice. Bien des années plus tard, chacune prit la plume pour raconter son histoire.
Grâce à elles, la réalité de  l’existence des Mahâr dans la campagne indienne devient tangible. Et c’est atterrant… Leurs deux témoignages font part d’une même réalité : l’indigence, la stigmatisation permanente, puis l’électrochoc Ambedkar et l’amélioration de leur vie d’adulte grâce à l’éducation. Néanmoins, si le fond est proche, la forme diffère considérablement d’un récit à l’autre. A la pondération de Shantabai Kamble succède la fougue et le franc parler de Baby Kamble, qui n’édulcore rien et n’hésite pas à apostropher les oppresseurs comme les piètres successeurs d’Ambedkar, empêtrés dans leurs egos et leurs contradictions.

J’ai beaucoup appris durant cette lecture. Bien sûr, je connaissais Ambedkar. Mais, jusque là, je n’avais pas réalisé à quel point il fut pour les intouchables cet homme providentiel si souvent espéré par les peuples, et pourtant si rarement rencontré. Je ne dirais pas, par contre, que ces récits de vie soient faciles à suivre. Le lecteur est parfois un peu perdu par les nombreux allers et retours temporels de ces écrits au fil de la plume, et par la foultitude de rites et coutumes dont certains aspects lui échappent malgré les notes de Guy Poitevin. Mais ces textes, par leur rareté, le témoignage historique unique qu’ils constituent, et par leur indéniable valeur ethnologique, valent largement la peine qu’on fasse un petit effort.
Je suis ressortie de cette lecture admirative, et quelque peu estourbie. Il faudra encore beaucoup d’Ambedkar, de Baby et de Shantabai avant que l’intouchabilité ne soit plus qu’un mauvais souvenir en Inde. Mais grâce à ces pionniers, l’espoir d’un autre avenir est désormais permis...


Mots-clés : #conditionfeminine #discrimination #education #enfance
par Armor
le Mar 1 Sep - 1:10
 
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Sujet: Shantabai Kamble - Baby Kamble
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Cyril Dion

Demain
Un nouveau monde en marche

(il a dû rager un peu de se faire piquer son « monde  en marche, Cyril Dion)

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Mais nous avons oublié un détail : est-ce que l'être humain a besoin de la nature ? Oui. Est-ce que la nature a besoin de l'être humain ? Non.
Pierre Rabhi.


En 2012, Cyril Dion « découvre », par une étude de Nature , que nous allons tous dans le mur.

"Que faire ? Mais pourquoi personne ne fait rien ? , se dit-il, c’est incroyable !"

Bien conscient qu’il ne faut pas compter sur les multinationales, ni sur les gouvernements que celles-ci tiennent pieds et poings liés, il décide, avec Mélanie Laurent,  de partir à la rencontre d’initiatives individuelles ou collectives, souvent implantées dans le local, qui non seulement créent une ambiance de pépinière, mais aussi prouvent que cela est possible, efficace, et aussi rentable. Et réussissent. Et diffusent leurs pratiques.

Et il les raconte,  persuadé que ce qui fait bouger les hommes, ce sont les récits. Il y met une sympathique naïveté feinte, qui permet de revenir aux fondamentaux dans  une volonté pédagogique, un enthousiasme déterminé qui permettent d’échapper à un côté trop catalogue, fait ressentir une réelle proximité au lecteur, traité d’égal à égal, totalement impliqué, pris en considération tant dans les carences de ses connaissances que dans ses motivations personnelles.

Thierry Salomon : « le mot "transition" est intéressant. Ce n'est pas un modèle, c'est une démarche. On part d'un certain nombre de petites expérimentations locales, qui arrivent à se bâtir dans les interstices de ce que permet l'institution, qui se reproduisent lorsqu'elles fonctionnent et, si elles ont fait leurs preuves, on crée une norme pour aller dans ce sens. Ce mouvement est intéressant car il part du bas, puis le haut raccroche les wagons pour généraliser. »


Cyril Dion mêle avec fluidité les données objectives, informations scientifiques, interviews d’experts et d’acteurs de terrain, observations personnelles. Il y met aussi une réelle  empathie, qui est l’une de ses forces, je crois, pour un réel ouvrage d’investigation populaire. Il s’introduit dans le récit, aussi humble que le lecteur,  réfléchissant à l’hôtel d’étape, cédant un temps au pessimisme pour mieux rebondir, se culpabilisant des km parcourus pour la cause en avion.
Cela donne, à côté de la rigueur de l’exercice,  une grande proximité à ce nouveau récitpour l’homme moderne qu’il nous propose, qui décide d’un optimisme (il dit bien quelque part qu'il a volontairement décidé de ne pas s'étendre sur les difficultés et les échecs).

Il finit en apothéose par la description de « son » monde idéal pour demain, écologique, citoyen, partagé, récit très utopique, il doit bien le savoir, mais  porteur d’espoirs et  ferment d’actions positives.

Spoiler:


Alors, nous, qu’est-ce que nous faisons aujourd’hui plus qu’hier pour entrer dans Demain ?

Mots-clés : #contemporain #documentaire #ecologie #economie #education #nature #politique #urbanité
par topocl
le Jeu 16 Mai - 11:50
 
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Sujet: Cyril Dion
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Sylvain Pattieu

Des impatientes

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C'est un roman social très actuel, quelque chose qui aurait à voir avec les frères Dardenne,  mais moins plombé, avec une charge de bienveillance et d'espoir.

Alima, la fille sage, et Bintou, la bombe pleine de rage, deux jeunes noires, sont dans une même terminale de banlieue et bien sûr, malgré la fatalité sociale, on leur prévoit des destins bien différents. Par un de ces épisodes du hasard (mais un hasard tellement dicté par la condamnation anticipée liée au milieu social) qui font envie de rembobiner le film et de repartir tant cela était stupide, elles se retrouvent en quelques semaines des femmes actives, au travail, puis en joyeuse grève. C'est juste quelques mois  de la vie de ces jeunes filles aux horizons fermés, mais pas totalement, et pour lesquelles des portes se ferment brutalement, quel dommage, quelles bêtises, mais d'autres ne s'ouvrent-t'elles pas, de ce fait?

C'est une façon d'y croire, que tout reste possible, malgré tout.
Mais sans niaiserie et optimisme béat pour autant, dans une description parallèle de la vie et des sentiments de ces jeunes fille, mais aussi plus générale des milieux où elles évoluent, le lycée par  un prof convaincu mais dépressif, la boite par un vigile ex-clandestin, un perdant-gagnant romantique.

Il y a là une belle acuité, une attention réelle à l'individu, un regard clairvoyant , lucide, mais qui ne renonce pas à rêver au possible. C'est assez touchant.


mots-clés : #contemporain #education #jeunesse #mondedutravail #social
par topocl
le Dim 29 Juil - 15:00
 
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Shulem Deen

Celui qui va vers elle revient pas.
Prix Médicis Essais 2017

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Ce n'est absolument pas un essai, mais un récit autobiographique. Je me  demande pourquoi il a eu le Médicis essai. Déjà que les romans  bien souvent ne sont plus des romans, si en plus les essais ne sont plus des essais, cela va devenir compliqué  Tag education sur Des Choses à lire 575154626

Il s'agit donc d'une histoire personnelle, qui apporte un témoignage sur la communauté des Juifs américains ultra-orthodoxes (les plus ultras de chez les plus ultras). Shulem Deen met en lumière  leurs méthodes d'éducation, de bourrage de crâne, de manipulation, en un mot de terrorisme intellectuel.  Bourrage de crâne pratiqué par des gens tout aussi intoxiqués, persuadés qu'ils ont la Vérité parce que, à eux non plus, personne n'a appris à voir autrement, à envisager l'autre. Mais dans cette multitude, (ils sont vraiment nombreux dans ce shetl recomposé à deux pas de New-York), certains se prennent cependant à douter, à jeter un œil ailleurs, à réfléchir. Internet, quoique prohibé, a fait beaucoup pour cela, terreau prodigieux du libre arbitre.

Shulem  Deen est de ceux-là. Peu à peu, il a  abandonné complètement la foi en la Torah, en Dieu, en tout cette parole castratrice dans laquelle il avait été élevé. Mais elle est aussi protectrice, et il raconte la difficulté de remettre en cause une croyance aussi douloureusement et viscéralement inscrite, la douleur que cela constitue, comment il s'est longtemps caché. Il parle aussi des difficultés plus pratiques : comment se réinsérer dans une société américaine quand on n'a fréquenté que les écoles juives et aucun diplôme, jamais adressé la parole à une femme sans frémir, jamais porté de jean, jamais connu les livres, la radio, télé, cinéma… quand on est rejeté, banni par sa communauté,  sa famille, ses propres enfants. Comment on regrette la douceur des rituels et de l'appartenance à un groupe, même tyrannique.
La tolérance, la liberté, ça se paye très cher. Mais c'est une foi comme une autre et pas moyen de transgresser une fois le pas fait.

Vital à qui aime voir comment ça se passe ailleurs, un vrai ailleurs complètement autre,  ou à qui  s'interroge s'il faut être tolérant avec l'intolérance, et comment naissent les fanatiques (qui sont de tous bords, on l'oublie un peu vite), cet ouvrage vaut plus par son aspect documentaire que par ses qualités littéraires,  l’émotion y émerge un peu trop rarement.. Mais il  mérite qu'on s'y arrête.

mots-clés : #autobiographie #education #regimeautoritaire #solitude
par topocl
le Jeu 15 Mar - 18:32
 
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Todd Rose

La tyrannie de la norme

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Cette notion de norme repose sur la théorie moyenniste (Quetelet), apparue au XIXe siècle postulant qu'à partir d'un échantillon d'individus, on pouvait établir une moyenne,  représentative de l' individu moyen. A cela s'est ajouté l'idée (Galton) que quand on était bon quelque part, on l'était à peu près partout. Le taylorisme s'appuie sur ce mode de raisonnement, ne demandant à l'individu que de se conformer à la norme, de la réaliser ou d'être meilleur, sous l'ordre de managers, sans révéler ses talents cachés. Le travail est défini d'après cette norme, à l'individu de s'y conformer.

De nouvelles théories sont venues bouleverser cette conception du monde, montrant que l"individu moyen", n’est en fait le reflet d'aucun individu réel. Elles s'appuient sur le principe de discontinuité (on peut être bon quelque part et  mauvais ailleurs), le principe de contexte (on peut être bon dans une situation et mauvais dans l'autre) et le principe des parcours,  ( le fait qu'on soit rapide où l'on n'implique pas qu'on soit plus ou moins performant au final). D'où  l'idée du livre qu'il faut considérer l'individualité et non le système.

Après ces éléments théoriques, Todd Rose raconte quelques  expériences d'entreprises qui ont basé leur mode de recrutement et de progression professionnelle sur cette négation de la moyenne, cette recherche des talents ignorés dans une conception du  capitalisme comme  gagnant gagnant. Il donne des pistes qui permettraient d'introduire ces principes à l'université, pour le plus grand bénéfice de l'étudiant, futur professionnel, mais aussi des entreprises dans lesquelles il va s'insérer.

Une bonne synthèse, quelques idées nouvelles mais aussi quelques portes ouvertes enfoncées, au total une piste de réflexion qui n'est pas inintéressante.


mots-clés : #education #essai #mondedutravail #psychologique
par topocl
le Lun 15 Jan - 10:22
 
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Sujet: Todd Rose
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Robert Walser

L'Institut Benjamenta

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« Nous apprenons très peu ici, on manque de personnel enseignant, et nous autres, garçons de l'Institut Benjamenta, nous n'arriverons à rien, c'est-à-dire que nous serons plus tard des gens très humbles et subalternes. » Dès la première phrase, le ton est donné.
Jacob von Gunten a quitté sa famille pour entrer de son plein gré dans ce pensionnat où l'on n'apprend qu'une chose : obéir sans discuter. C'est une discipline du corps et de l'âme qui lui procure de curieux plaisirs : être réduit à zéro tout en enfreignant le sacro-saint règlement.
Jacob décrit ses condisciples, sort en ville, observe le directeur autoritaire, brutal, et sa sœur Lise, la douceur même. Tout ce qu'il voit nourrit ses réflexions et ses rêveries, tandis que l'Institut Benjamenta perd lentement les qualités qui faisaient son renom et s'achemine vers le drame.
« L'expérience réelle et la fantasmagorie sont ici dans un rapport poétique qui fait invinciblement penser à Kafka, dont on peut dire qu'il n'eût pas été tout à fait lui-même si Walser ne l'eût précédé », écrit Marthe Robert dans sa très belle préface où elle range l'écrivain, à juste titre, parmi les plus grands. »

Quatrième de L’imaginaire (Gallimard)

C’est le journal d’un jeune homme insolent, fier, venu de l’aristocratie, qui entre dans un médiocre établissement de formation pour expérimenter l’existence, « commencer par le bas », se préparer à un avenir servile. Il s’opiniâtre, railleur, à épiloguer sur cette "éducation" sans accès à la connaissance, aux allures militaires, soumise au règlement comme une fin en soi, et sur cette prédestination imparable, sa "mise en conformité" subie dans un sentiment d’indignité et d’insignifiance personnelles.
Narré sur le ton d’un conte de fée à la fois caricatural et puéril, tantôt espiègle, tantôt fantaisiste, souvent déroutant, alternant amertume et absurde, le récit est traversé, comme par des émois de liberté inatteignable, de rêveries exaltées (notamment à propos de la vénérée maîtresse d’école, et de la réussite, surtout pécuniaire) :

« Mon Dieu, j’ai encore le droit d’espérer être quelqu’un un jour. Mais comme dans le rêve tout frôle la folie ! »


Bien que ce texte ne propose aucune thèse ou message explicite, et que sa lecture soit loin d’être univoque, j’y ai vu une critique assez acerbe du système éducatif, de la façon dont une société formate inexorablement ses jeunes membres pour un destin tracé d’avance, auquel ils se résignent sans alternative, se soumettant dans une adhésion née de l’impuissance (c’est particulièrement le cas de son condisciple Kraus) :

« Kraus est un véritable ouvrage de Dieu, un rien, un laquais. Inculte, tout juste bon à faire le travail le plus dur, c’est ainsi que tout le monde le jugera, et chose étrange : on ne se trompera pas non plus en le jugeant de la sorte, on aura tout à fait raison, car c’est bien vrai : Kraus, la modestie incarnée, la couronne, le palais de l’humilité, veut accomplir des travaux médiocres, il le peut et il le veut. Il n’a en tête que le désir d’aider, d’obéir et de servir, on ne tardera pas à s’en apercevoir pour l’exploiter, et dans le fait qu’on l’exploitera se manifeste une justice divine si rayonnante, si resplendissante de bonté et de lumière ! »

« Du reste il y a beaucoup, beaucoup d’esclaves, parmi nous autres hommes modernes orgueilleusement prêts à tout. Peut-être sommes-nous tous quelque chose comme des esclaves, dominés par une idée universelle grossière, irritante, toujours en train de brandir son fouet. »

« Depuis quelque temps, le monde tourne autour de l’argent et non plus de l’histoire. »
« La masse est l’esclave de notre temps, et l’individu, l’esclave de la grandiose idée collective. Il n’y a plus rien de beau ni de parfait. Tu n’as plus qu’à rêver le beau, le bon et le juste. […] Tâche de réussir à gagner beaucoup, beaucoup d’argent. L’argent n’est pas encore gâché, tout le reste l’est. Tout, tout est corrompu, partagé, privé d’agrément et de magnificence. […] Reste pauvre et méprisé, cher ami. Chasse de ta tête même l’idée de l’argent. Le plus beau, le plus triomphal est d’être un pauvre diable. Les riches, Jacob, sont très mécontents et très malheureux. Les gens riches d’aujourd’hui n’ont plus rien. Ce sont eux les vrais affamés. » [Conseils de son frère aîné]


Jacob trouve même une forme de jouissance masochiste dans l’oppression, prend goût aux réprimandes, non sans une certaine rébellion dans l’interdit contourné en cachette :

« Oui, oui, je l’avoue, j’aime bien être opprimé. […] Il suit de là qu’il me faut supposer, et me tenir fermement à cette conviction, que les règles rendent l’existence argentée, peut-être même dorée, en un mot pleine d’attraits. »


Monsieur le Directeur Benjamenta est une sorte d’ogre déchu et paradoxal, irascible et faible, lui aussi avili avant même de vivre, avec lequel Jacob a des rapports ritualisés et ambivalents de crainte et de bravade. Le drame final, préparé de loin et présenté de façon parodiquement grandiloquente, glisse dans une envolée onirique qui s’échappe enfin.
Etrange narrateur aussi, qui se tient soigneusement – sournoisement ‒ à distance de toute familiarité, et même de toute sympathie ou affection de la part d’autrui : un « zéro » assumé, qui voudrait cesser de penser.

« Bah ! Laisse là l’interprétation. »


Impasse existentielle de l’individu dérisoire, l’impossibilité d’une réussite personnelle est placée d’entrée comme un axiome dans ce récit.
Paru (en allemand) en 1909, le conformisme infus qui y est précisément dépeint éclaire de façon sinistre l’Histoire subséquente : le consentement incontesté des disciples est effrayant (mais je vois une lueur d’espoir dans les réflexions ironiques de Jacob).

« Il y a quelque chose de déshonorant dans toutes ces petites exigences ridicules en vérité, mais seul doit nous importer l’honneur de l’Institut Benjamenta, non point le nôtre, et c’est probablement le mieux, car un élève a-t-il de l’honneur ? Pas question. Notre honneur consiste tout au plus à être brimé et tenu en tutelle. Etre dressé, voilà ce qui est honorable pour nous, c’est clair comme le jour. »


(kafkaïen, psychologie, éducation)

mots-clés : #education #psychologique
par Tristram
le Sam 9 Déc - 13:43
 
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Sujet: Robert Walser
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Henri Bosco

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Le mas Théotime

C’est tellement de sentiments, d’émotions, la lecture de ce livre, mais c’est avant tout un grand amour pour la Terre et tout ce qu’elle offre à l’être humain ; Terre nourriture du corps mais aussi de l’âme.
Sortant de ma lecture de Simone Weil, j’ai retrouvé dans ce livre sa pensée :  le salut par le travail, le travail salvateur de la Terre et qui conduit vers  la sérénité, la pureté  et plus, vers Dieu.
« Or dans la solitude des champs, des bois et des collines, si quelque aliment pur ne nous soutient, il peut nous arriver d’abandonner, sans le savoir, l’exercice des facultés humaines et de perdre le sentiment et la jouissance des biens intérieurs. Ce sont de vieux biens, depuis longtemps déposés en nous par la patiente communauté des hommes, et qu’ ils nous ont légués pour nous permettre justement de passer sur la terre, sans trop de terreur ni de désespoir. Quand nous les perdons, il ne nous reste plus que notre chair à opposer au monde, et nous savons trop le peu qu’elle pèse. »
« Le travail qui nous occupait du matin au soir, rudement, maintint notre souci commun dans les lieux solides et sains de l’âme. »

« Ils savaient simplement de père en fils, que ces grands actes agricoles sont réglés par le passage des saisons ; et que les saisons relèvent de Dieu. En respectant leur majesté,  ils se sont accordés à la pensée du monde, et ainsi ils ont été justes, religieux. »


Mais comme l’Homme et la Femme  ne sont que des humains ils ont aussi des bonheurs et des malheurs terrestres ; l’amour en est un. Celui qui unit Geneviève et Pascal est malheur par la force de leur cœur sauvage, et bonheur  quand ils comprennent et acceptent qu’il ne vive que dans leur âme,  en le consommant ils le perdraient.

Il y a beaucoup de respect et d’amitié dans les relations entre Pascal et les Alibert, cette famille représente avec honneur la vie de l’homme de la terre,  celui qui  sait s’en faire une alliée.  Le lecteur sent  dans les mots de l’auteur tout le respect que lui-même accorde à ces paysans :
« Elle respirait le bonheur. Et de la voir ainsi je me sentais heureux, parce qu’elle  était grande, belle, et qu’elle marchait près de moi, avec la confiance, à pas lents, comme une vraie femme de la terre. »

Quand Clodius est assassiné à la lecture du testament Pascal découvre la justesse avec laquelle le disparu  l’a jugé puisqu’il lui lègue tout ses biens, à lui alors que tant de haine les  a fait ennemis, mais dont le même sang coule dans les  veines ; c’est avec humilité et honneur qu’il acceptera les devoirs qui y sont rattachés.

« Dans la pièce il y avait Clodius, et il était vivant. On venait d’entendre sa voix, dure, ironique, mais mâle et d’une sorte de grandeur qui nous dominait, même moi, qui l’avais haï, et qui savais pourtant ce que peut inspirer un cœur sauvage. Du mien, une sorte d’amour aussi farouche partait vers lui, et je me disais, tout en moi, avec un orgueil chaud et sombre, que c’était mon sang qui venait de parler. »

Difficile de comprendre, à part au premier abord, dans les premières minutes où Pascal comprend que celui qu’il abrite est l’assassin, la raison de la non-dénonciation.  C’est qu’il ne faut pas oublier l’hospitalité dû à celui qui la réclame, l’asile en quelque sorte.

« Le sens de l’hospitalité l’avait emporté sur le sens moral. »

Quel désarroi ensuite pour Pascal lorsqu’il comprend qu’il se trouve complice de cet homme, mais Théotime le sauve de  l’acte vil, la dénonciation qu’il s’apprête à faire alors que la décision de Geneviève le bouleverse  et qu’il comprend que la séparation est définitive :

« Je fis un pas ; mais, quoique je n’eusse pas honte , tant je brûlais de douleur et de jalousie, je fus arrêté. Une brise m’avait apporté une odeur de fumée que je connaissais bien. Il était six heures, et Marthe venait d’allumer du feu à Théotime pour mon déjeuner du matin.  Malgré moi je me retournais pour regarder ma maison. »

Geneviève qui vivra désormais dans la sérénité qu’offre la piété, donne à Pascal un dernier gage d’amour, en lui offrant l’Ermitage de St-Jean, en tant que Maître il redonnera vit à la fête de Noël « le feu des bergers ».
Pascal vivra ses obligations envers la Terre, ses gens, Théotime  dans la solitude, le respect et l’amitié des Alibert,  avec l’apport de tous les » Vieux  Biens » légués par ses ancêtres.

Une lecture qui illumine, qui apporte la sérénité, les bienfaits de la Terre et un espoir en et pour  l’Homme.
Beaucoup de poésie dans les mots, l’auteur  fouille au plus secret des cœurs et des âmes, n’en cache pas la noirceur mais sait en élever aussi le meilleur.

l'Ermitage de St-Jean du Puy à l'heure d'aujourd'hui

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mots-clés : #education #famille #initiatique #insularite #nature #ruralité #vengeance

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Celui qui ne dispose pas des deux tiers de sa journée pour soi est un esclave. » Friedrich Nietzsche
par Bédoulène
le Sam 10 Déc - 17:09
 
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Sujet: Henri Bosco
Réponses: 124
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