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Julian Barnes
Love etc.Stuart et Oliver sont amis depuis l’école, bien qu’ils soient aussi dissemblables que possible. Oliver tombe amoureux de Gillian lors du mariage de cette dernière avec Stuart : triangle amoureux avec référence explicite à Jules et Jim de Truffaut. Plus fort, Gill s’éprend d’Ollie ; elle divorce de Stuart, qui assiste à son mariage, bien qu’il ne soit pas invité. Stuart part aux États-Unis, faire de l’argent et le dépenser avec des prostituées, cultivant son ressentiment ; Gillian et Oliver s’installent dans un petit village français, et ont une fille ‒ puis Stuart débarque.
Les personnages se confient comme à un enquêteur à ce qui paraît être l’auteur, et donnent chacun leur perception des situations, qui selon les cas diverge ou complète.
Gillian est restauratrice de tableaux, ce qui amène des réflexions intéressantes sur par exemple la « réversibilité ».
« Alison s’était mariée dès sa sortie de l’université. Elle n’avait alors que vingt et un ans. Et savez-vous ce que sa mère lui avait dit le soir d’avant son mariage ? Elle lui avait dit, avec le plus grand sérieux, comme si c’était là une recommandation familiale transmise de mère en fille depuis des temps immémoriaux : « C’est toujours une excellente idée de les faire marcher. »
J’avais ri à l’époque mais la remarque m’est restée présente à l’esprit. Des mères enseignant à leurs filles la manière de mener leur mari par le bout du nez ! D’indispensables vérités premières héritées depuis des siècles par le truchement de la branche quenouille… et à quoi se monte cette sagesse accumulée ? À conclure que « c’est toujours une excellente idée de les faire marcher » ! Ça me déprimait. Eh bien, non, me suis-je dit, quand ce sera mon tour de me marier – si je dois un jour me marier – je jouerai franc jeu et à visage découvert. Je ne me mettrai pas à finasser et à avoir des secrets… Et puis voilà que je commence à avoir le doigt dans l’engrenage. Peut-être, après tout, est-ce inévitable ? Croyez-vous vraiment que le système ne peut fonctionner autrement ? »
Vaudeville traité avec humour (pas toujours heureux en ce qui me concerne), avec aussi de curieuses observations psychologiques : les actions et réactions des personnages sont guidées, ou pas, par leur propre histoire familiale.
« La plupart des gens réagissent comme suit : s’ils ont fait quelque chose de pas bien, ils se mettent en colère quand on les en accuse. La culpabilité s’exprime en termes d’outrage. Ce qui, après tout, est normal. Mais Oliver, c’est tout le contraire. Si on l’accuse d’avoir fait quelque chose de pas bien et que ça soit la vérité, il en tire une espèce d’amusement. Pour un peu, il vous féliciterait de l’avoir pris la main dans le sac. Ce qui, vraiment, l’irrite, c’est d’être accusé de quelque chose dont il n’est pas coupable. Tout se passe comme s’il se disait : bon Dieu, j’aurais très bien pu faire ce qu’on me reproche ! Puisqu’on m’en croit capable, j’ai été bien bête de ne pas le faire ou, au moins, d’essayer ! Il râle, en fait, parce qu’il regrette d’avoir manqué son coup. Tout au moins en partie. »
Histoire de déception, de culpabilité, de secret, d’amour et d’argent, dont le rendu ne m’a pas convaincu (mais il faut préciser que le trio n’inspire pas l’empathie).
Ce roman aura une suite, Dix ans après, que j’ai déjà lu et commenté, et dont heureusement je ne me souvenais guère.
\Mots-clés : #amitié #amour #contemporain #culpabilité #humour #social #psychologique
- le Lun 2 Déc - 12:52
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- Sujet: Julian Barnes
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Olga Tokarczuk
Les Livres de Jakób ou Le Grand Voyage à travers sept frontières, cinq langues, trois grandes religions et d’autres moindresBenedykt Chmielowski, prêtre encyclopédiste :
« Si les hommes lisaient les mêmes ouvrages, ils vivraient dans le même monde ; or, ils vivent dans des mondes différents, comme ces Chinois dont parle Kircher. Et il y en a toute une multitude, d’ailleurs, qui ne lisent pas du tout, ceux-là ont l’esprit endormi, les idées rudimentaires, animales, comme ces paysans au regard vide. Si lui, le curé de Firlej, était roi, il donnerait l’ordre de dédier une journée de corvée à la lecture, il contraindrait toute la paysannerie à fréquenter les livres, et la Respublica aurait d’emblée une autre allure. »
Elisha Shorr, rabbin de Rohatyn :
« Il considère que la plupart des gens sont des idiots et que c’est la bêtise humaine qui attire la tristesse sur le monde. Il ne s’agit ni d’un péché ni d’une caractéristique avec laquelle naîtraient les hommes, mais d’une mauvaise manière de regarder le monde, d’une appréciation erronée de ce qu’ils voient. Le résultat en est qu’ils perçoivent les objets séparément, chaque élément indépendamment du reste. La vraie sagesse serait de relier tout avec tout pour qu’apparaisse la vraie dimension des choses. »
Le père Benedykt, admirateur de Kircher, rédige La Nouvelle Athènes, « un compendium de savoir », « la description du monde », dans un polonais où apparaît encore beaucoup de latin.
« Personne ne sait ce qui est la trame et ce qui est le fil, ni quel dessin est visible à l’endroit et ce qu’il en est à l’envers. Il y a très longtemps, Rabbi Éléazar, un kabbaliste très sage, avait déjà deviné que certaines parties de la Torah nous avaient été transmises dans le désordre. »
« Les Reliquats, ou comment de la fatigue du voyage naît un récit. Écrit par Nahman Samuel ben Levi, rabbin de Busk » :
« Ces notes, il les appelle ses reliquats, ce sont les épluchures qui restent d’autres travaux plus importants. Quelques miettes, voilà à quoi se résume notre existence. L’activité scripturale de Nahman sur le couvercle de la petite boîte posée sur ses genoux, dans la poussière et l’inconfort du voyage, est en fait un tikkoun, une forme de réparation du monde, un ravaudage des trous dans la toile, tout en tracés, boucles, nœuds et pistes qui se croisent. »
Nahman (personnage historique, penseur hassidim, c’est-à-dire pieux) dit de lui-même (voyageant de Podolie jusque Stamboul et même Smyrne, au XVIIIe) :
« Néanmoins, je ne manque pas de connaître aussi mes qualités : je suis habile dans le commerce et les voyages, je sais compter vite et je possède le don des langues. Je suis un émissaire-né. »
Ce scripteur est en quelque sorte le témoin et chroniqueur suivant Jakób.
« …] en Turquie, il n’y a aucune persécution, le sultan tolère diverses religions pour peu qu’elles évitent un prosélytisme excessif. »
L’ancêtre Ienta arrive au terme de son existence, et entre dans un état second, où le temps ne coule pas, mais tournoie ; elle est la grand-mère de Jankiełe Lejbowicz, qu’on appellera « le Brillant » Jakób Frank, puis Ahmed Frenk, ensuite Józef Frank, enfin le baron Dobrucki.
Elisha Shorr a mis une amulette au cou d’Ienta, contenant un papier donné par sa fille Haya, qui lui prescrit « d’attendre » (la fin du mariage d’Izaak, son fils) ; elle l’avale, ce qui l’empêche de mourir.
Haya est un personnage énigmatique, qui comme Ienta, quant à elle témoin omniprésent, traverse tout le livre :
« Quand elle se livre à des prophéties, Haya tombe en transes. Elle joue alors avec de petites figurines en mie de pain qu’elle déplace sur une tablette qu’elle a peinte de ses propres mains, et elle prédit l’avenir. »
« En fait, notre vie se déployait entre deux grands fleuves, le Dniestr et le Danube, qui, tels deux joueurs, nous déplaçaient sur le damier de l’étrange jeu de Haya. »
« Nous vivions dans le jeu de Haya, nous étions les figurines en pain de mie modelées par ses doigts agiles. »
Les calamités se succèdent, et les juifs voient des prodiges, signes de la venue du Messie, rédemption qui inversera les choses dans le monde, et réunira les étincelles divines dispersées.
« Des pots de fruits au sirop y sont mis au frais. Il pourrait y goûter. Il n’arrive pourtant pas à se décider, à sauter le pas pour manger, parce que durant toute sa vie jusque-là, le jour du jeûne, on ne mangeait pas ; aussi sort-il une petite merise de l’un des bocaux pour en manger la moitié. Si Sabbataï Tsevi est le Messie, Herszełe obéit et transgresse la Loi conformément à la nouvelle Loi ; mais s’il n’est pas le Messie, lui, il jeûne tout de même, car qu’est-ce qu’une petite merise pour toute une journée ? »
Herszełe est l’aide de Jakób, celui-ci étant distingué par Nahman et son maître Reb Mordke, et devenu un commerçant concupiscent qui a épousé Chana.
Antoni Kossakowski, duc polonais, va au mont Athos, change de nom pour Moliwda, puis rencontre l’excentrique et querelleur Jakób.
« Nahman, que le bon vin de la cave de Jakób a détendu, dit à Moliwda :
– Quand tu considères que le monde est bon, le mal devient exception, lacune, erreur, et plus rien n’a de sens. Quand tu pars du principe inverse, que le monde est mauvais et le bien une exception, alors tout s’ordonne intelligiblement. Pourquoi ne voulons-nous pas voir ce qui est évident ? »
Les Reliquats de Nahman :
« Le voudrais-je que je ne saurais tout consigner parce que les faits sont si étroitement liés entre eux qu’à peine en ai-je inscrit un avec la pointe de ma plume qu’il en bouscule un autre et, l’instant d’après, c’est une mer immense qui se déverse. »
Jakób « mue comme un serpent ! » Des espions le surveillent avec sa suite de proches, et font circuler des informations mâtinées de fadaises superstitieuses. Il est question de réunir trois religions, la juive, la musulmane et la chrétienne. Les hérétiques sabbataïstes (adeptes de Sabbataï Tsevi, considéré comme le Messie et ayant pour prophètes Kohn et Nathan de Gaza), antitalmudistes et adamites, sont l’objet d’un herem ; comme ils proclament une « Trinité » , Mgr Dembowski, évêque de Kamieniec Podolski, envisage de les convertir, en partie par cupidité et en partie par soif de gloire ; cela entraînera l’autodafé des livres des rabbins par les dissidents de Jakób. Le décès subit de l’évêque provoquera une inversion de la situation : « La violence faite aux talmudistes se retourne maintenant contre les sabbasectateurs. » Jakób s’enfuie en Turquie, s’y convertit à l’islam.
« La fin du monde semble proche, avec l’avènement d’une nouvelle catastrophe, la plus douloureuse de toutes car ce sont les proches qui font souffrir les proches. Comment est-il possible que Dieu nous soumette à une épreuve aussi déchirante, puisque ce ne sont plus les Cosaques ou les Tatares sauvages qui en veulent à notre vie, mais les nôtres, nos voisins, ceux dont les parents fréquentèrent la yeshivah avec nous ! »
L’argumentateur bavard qu’est Nahman est aussi un peu le lecteur, ou l’auteure :
« Il ne faut pas croire tout ce que raconte Nahman et encore moins tout ce qu’il écrit. Il a tendance à exagérer et à s’enthousiasmer. Il voit partout des signes, il trouve partout des liens. Ce qui arrive ne lui suffit jamais, il voudrait que ce qui se passe ait un sens céleste et définitif. Que cela ait des suites pour l’avenir, que la moindre cause soit d’une grande conséquence. »
« Asher retint la leçon : les gens ont un besoin intense de se sentir meilleurs que les autres. Peu importe qui ils sont, ils doivent trouver quelqu’un qui est moins bien qu’eux. Qui est meilleur, qui est moins bien, cela dépend de nombreuses données aléatoires. Ceux qui ont des yeux clairs pensent avec condescendance à ceux qui en ont de sombres. À leur tour, ces derniers les prennent de haut. Ceux qui habitent près de la forêt se sentent supérieurs à ceux qui habitent au bord des étangs, et inversement. Les paysans toisent les Juifs avec mépris, les Juifs considèrent d’un air hautain les paysans. Les citadins s’estiment supérieurs aux villageois et ceux-ci les tiennent pour moins bien qu’eux.
N’est-ce pas ce qui soude le genre humain ? Autrui nous serait-il nécessaire rien que pour nous apporter la joie de lui être supérieur ? »
Elżbieta Drużbacka, poétesse qui correspond avec le révérend père Chmielowski, grand citateur :
« Or, paroles et tableaux doivent être souples et ambigus, ils doivent avoir quelque chose de tremblé et porter de nombreuses significations. […]
Néanmoins, j’ai le sentiment que Vous prenez conseil auprès des défunts. Ces livres cités et compilés rappellent le pillage des tombes. Les faits, quant à eux, deviennent rapidement caducs et perdent de leur actualité. Est-il possible de décrire notre vie sans tenir compte des faits, en ne s’appuyant que sur ce que l’on voit et ressent, sur des détails, des sentiments ?
Je m’efforce de regarder le monde avec mes propres yeux et de parler avec ma langue et non pas celle d’autrui. »
Ienta, sur la peau de laquelle se forme une rosée, puis des flocons de neige cristalline, est mise à l’abri dans une caverne en forme d’Aleph, la première lettre.
Le charismatique Jakób et les siens reviennent en Pologne, y négocient leur adhésion au christianisme grâce à Moliwda notamment, un peu par calcul ou vengeance, projetant d’obtenir des terres, de s’acheter des titres de noblesse. Ils pratiquent plus ou moins l’amour libre dans leur communauté des biens à Iwanie, sur le Dniestr. Jakób enseigne, notamment que le Messie sera une Demoiselle (la Shekhina, la Vierge). C’est l’année de la comète, et l’atmosphère est de fin des temps ; l’image des anges qui vont bientôt rouler le monde comme un tapis renvoie je pense au Livre de l'Apocalypse.
Se tient à la cathédrale de de Lwów la disputation entre talmudistes et schismatiques, au cours de laquelle les premiers sont accusés par les seconds de s’abreuver de sang chrétien (cette accusation, pourtant démentie par le Vatican, reviendra fréquemment contre les Juifs). Suit une « foire aux prénoms chrétiens ». Puis les apostats se font baptiser, avec des parrains et marraines de la noblesse pour les plus éminents ; ils croient que le nouveau Messie leur donnera l’immortalité sur terre. Une épidémie (de choléra apparemment) se répand, vraisemblablement introduite par les nombreux pérégrins, « puritains », arrivants qui vivent dans la rue ; le mire Asher Rubine la combat avec les connaissances de l’époque. Les convertis atteignent Lublin, où Reb Mordke meurt, suivi par Herszełe. Encore un aparté de Nahman (dorénavant Piotr Jakóbowski) :
« Nous étions de nouveau différents. C’était ce qu’il fallait. Être étranger à quelque chose d’attirant, à quoi l’on pourrait prendre goût, qui apparaît comme une douceur. Il est alors bon de ne pas comprendre la langue, de ne pas connaître les usages et de glisser tel un esprit entre ces Autres qui vous sont lointains et indistincts. Une sagesse particulière s’éveille alors en vous, elle vous permet de deviner, de saisir au vol des questions qui ne sont en rien évidentes. Vous viennent également une acuité et une certaine vivacité d’esprit. L’être qui est un étranger gagne un nouveau point de vue, il devient nolens volens un sage. Qui nous a tous persuadés que rester entre soi, parmi les siens, est si bien et si merveilleux ? Seul l’étranger comprend vraiment ce qu’est le monde. »
Selon Reb Mordke, qui explicite ainsi la gématrie (fort utilisée, notamment par Nahman : forme d'exégèse kabbaliste pratiquée en additionnant la valeur numérique des lettres et des phrases afin d’interpréter les textes sacrés) :
« Voilà pourquoi Dieu créa les lettres de l’alphabet, pour que nous ayons la possibilité de lui raconter Sa Création. »
Le « Maître », Jakób, est arrêté et questionné par l’Église, qui le croit coupable de se faire passer pour le Messie, et ses adeptes de la Havurah déposent contre lui, y compris Moliwda, son traducteur. Jakób est emmené dans un monastère-forteresse écarté, à Jasna Góra ; les siens, réfugiés à Varsovie, parviennent enfin à le joindre, qui apprend le polonais et adore la Madone.
Le Kvorîm mestn, l’arpentage des tombes :
« Les femmes parcourent les cimetières avec un cordon qu’elles rouleront en boule pour ensuite l’utiliser par petits bouts comme mèches de chandelles. […]
Ienta, elle aussi, arpentait autrefois les tombes, persuadée que tel était le devoir de toute femme, qu’elle devait s’assurer de la place qui restait pour les morts – et s’il y en avait encore, avant que de nouveaux vivants viennent au monde. Une sorte de comptabilité à la charge des femmes ; d’ailleurs, pour ce qui est de compter, elles sont toujours les meilleures.
Mais pourquoi mesurer les sépultures et les cimetières, alors qu’il n’y a pas de morts dans les tombeaux ? Ienta ne le sait que maintenant, jadis elle a noyé dans le suif des milliers de mèches. Les caveaux nous sont complètement inutiles, parce que les morts les ignorent et qu’ils traînent dans l’univers : ils sont partout. Ienta les voit en permanence comme à travers du verre, puisque, le voudrait-elle le plus intensément, elle ne peut pas les rejoindre. Où sont-ils ? C’est difficile à dire. Ils regardent le monde à travers de petites vitres en quelque sorte et ils en attendent toujours quelque chose. Ienta cherche à comprendre ce que signifient leurs grimaces, leurs gestes, et, finalement, elle sait : les défunts voudraient qu’on parle d’eux, c’est de cela qu’ils sont avides, c’est cela qui les nourrit. Ils veulent l’attention des vivants. »
Chana meurt, est enterrée dans la caverne que Jakób a dit être celle des origines. La forteresse, défendue par les Confédérés, est assiégée par les Russes, qui la prennent et libèrent Jakób.
Józef Frank et sa fille Ewa-Awacza quittent la Pologne pour la Moravie, d’abord accueillis par des parents, les Dobruszka de Prossnitz. À Brünn, sa Cour est constituée de jeunes gens (qu’il entraîne comme un régiment de hussards), dont Mosze, alias Thomas von Schönfeld, un parent porté sur la littérature et la franc-maçonnerie ; Jakób vit fastueusement de l’argent drainé chez les adeptes de Varsovie et d’ailleurs. Il considère sa fille comme une reine, qu’il attouche à l’occasion (il tète aussi certaines femmes pour prendre soin de sa santé, apparie les couples à sa convenance, en et hors mariage). L’empereur Joseph II d’Autriche leur fait visiter sa Wunderkamera à Vienne :
« Frank et sa fille sont des gens de partout et de nulle part. L’avenir de l’humanité. »
Ewa devient (temporairement) l’amante de l’empereur tandis que l’impératrice Marie-Thérèse reçoit le père dont l’objectif est d’obtenir des terres pour les vrai-croyants, cette fois en Valachie.
« Ces temps sont exceptionnels et la Havurah, elle aussi, doit être exceptionnelle. Ses membres doivent vivre ensemble, s’unir entre eux et pas avec des étrangers, pour que se crée une grande famille. Dans cette famille, les uns en seront le pivot, les autres vont se mouvoir tout autour librement. Ils doivent considérer leurs biens comme communs, seulement confiés en gestion à certaines personnes, et celui qui en a le plus doit partager avec ceux qui ont moins. Il en était ainsi à Iwanie et il doit en être ainsi ici. Toujours. Tant qu’ils partageront ce qu’ils ont, ils pourront exister comme une Havurah, une Fraternité, et rester un mystère pour ceux qui n’en sont pas. Ce secret doit être gardé à tout prix. Moins les autres en savent à leur sujet, mieux c’est. On inventera sur leur compte des choses inouïes ; eh bien, parfait, qu’on invente ! En revanche, à l’extérieur, il ne faut jamais que la loi soit transgressée, que les usages humains du dehors soient bafoués. […]
– Nous avons deux objectifs, poursuit Jakób. Le premier est d’arriver au Daat, au savoir par lequel nous obtiendrons la vie éternelle, et nous nous arracherons ainsi à l’emprisonnement de ce monde. Nous pouvons le faire d’une manière plus primaire : avoir un endroit à nous sur cette terre, un pays dans lequel nous appliquerons nos propres lois. Dans la mesure où le monde aspire à la guerre et s’arme, l’ordre ancien s’est déjà effondré. Nous devons nous joindre à cette confusion pour en tirer quelque chose pour nous. Aussi, ne regardez pas avec méfiance mes hussards et mes étendards. Celui qui a des drapeaux et une armée, serait-elle des plus modestes, est considéré comme un vrai détenteur du pouvoir en ce monde. »
« Ienta observe tout cela parce qu’une similitude survient qui attire son attention. La ligne du temps connaît des moments très semblables les uns des autres. Ses fils ont leurs nœuds et leurs boucles, une symétrie revient régulièrement, quelque chose se répète, comme si tout était régenté par des refrains et des thèmes, cela se remarque non sans causer un certain trouble. Un tel ordre est embarrassant pour l’esprit, on ne sait qu’en faire. Le chaos semble toujours plus familier aux hommes, plus sécurisant, autant que le désordre que l’on a dans son tiroir. Or, là, maintenant, à Prossnitz, il en est comme à Rohatyn vingt-sept ans plus tôt, en ce jour mémorable où Ienta ne mourut pas complètement. »
Casanova entretient Ewa d’alchimie, que Thomas promeut auprès de Jakób : la Cour manque d’argent, qui s’occupe à interpréter ses rêves.
Asher Rubine, médecin et lunettier, est arrivé à Vienne, où on entend parler des Lumières, Aufklärung :
« "L’univers soit réel soit intelligible a une infinité de points de vue sous lesquels il peut être représenté, & le nombre des systèmes possibles de la connoissance humaine est aussi grand que celui de ces points de vue", lit-il en traduction allemande. La phrase est d’un certain Diderot, dont il a feuilleté récemment avec admiration l’Encyclopédie. »
Sa fille :
« Gertruda remarque aussitôt, avec pertinence, que là où quelque chose est très éclairé une ombre apparaît, un obscurcissement donc. Plus la lumière est intense, plus l’ombre est profonde. Oui, voilà qui est inquiétant. »
Pour le baron Dobrucki et les siens, c’est la ruine, et l’exil à Offenbach-sur-le-Main, où Frank tombe malade, et meurt.
« Tandis que le Maître parle ainsi, Antoni Czerniawski observe les visages dans l’assemblée. Les aînés écoutent avec attention, ils hochent la tête comme s’ils savaient cela depuis longtemps et que, maintenant, la confirmation leur en était donnée. Eux sont habitués à ce que tout ce que dit Jakób soit la vérité. Or, celle-ci est comme la pâte enroulée du sękacz, elle a plusieurs couches qui se superposent les unes aux autres, parfois absorbent la précédente et d’autres fois sont absorbées. La vérité peut s’exprimer par de nombreux récits parce qu’elle est semblable à ce jardin où sont entrés les sages qui tous l’ont vu différemment. »
Sont ensuite évoqués les descendants des principaux personnages, et finalement un groupe de juifs fuyant la déportation pendant la Seconde Guerre mondiale dans la caverne où Ienta « se transforme lentement en cristal ».
« Si Ienta professa jamais une religion – après toutes les constructions que ses ancêtres et ses contemporains élaborèrent dans leurs têtes –, la religion des Morts est maintenant devenue la sienne, avec leurs tentatives si imparfaites, jamais abouties, avortées, de réparer le monde. »
Il n’y a malheureusement pas dans cette édition de lexique (qui pourrait aider les goyim : "nations", les gentils ou non-Juifs) :
Torah : Pentateuque, cinq premiers livres de la Bible
Talmud : "étude, instruction", livre qui contient la loi orale, la doctrine, la morale et les traditions des juifs.
Kabbale : "tradition reçue", mystique juive permettant de s’approcher de Dieu par l’étude symbolique des textes sacrés
Zohar : Sepher ha-Zohar (Livre de la Splendeur), œuvre maîtresse de la Kabbale, exégèse ésotérique de la Torah et du Talmud
Bar Mitsvah : rite initiatique à la majorité du juif
Beth Midrash : "maison d’apprentissage", lieu d’étude de la Torah
Havurah : confrérie ou cercle d'études et de prières en marge de la synagogue
Shekhina : "demeure", présence de Dieu parmi son peuple, le peuple d’Israël, ou immanence divine dans le monde ; ici, aussi féminité, rapprochée de la Vierge.
matzevah : "monument", pierre tombale
yeshivah : centre d'étude de la Torah et du Talmud
mezouzah : "linteau", objet de culte juif apposé au chambranle de l’entrée d’une demeure
dibbouk : "attachement", esprit ou démon qui habite le corps d'un individu auquel il reste attaché (et peut être exorcisé)
tefillins : phylactères
teraphim : idole, fétiche
hakham : "sage", une sorte d’expert, de guide
devekut : " réalisation et action de la dévotion à Dieu ", proximité à Dieu lors de la méditation profonde, extatique
herem : anathème, excommunication (cf. je pense l’arabe haram, chose interdite et sacrée)
mikveh : bain rituel utilisé pour l'ablution nécessaire aux rites de pureté familiale
L’article Wikipédia peut aussi aider à se retrouver entre les nombreux personnages historiques du livre.
Les détails de la vie ordinaire (nourriture, boissons, vêtements), souvent pittoresques, donne sa chair à ce long roman qui aurait pu être fastidieux avec son foisonnement de personnages et de péripéties, et surtout les nombreuses spéculations herméneutiques et métaphysiques. Le rendu est captivant de ce monde plurilingue et multiculturel, tourmenté par l’eschatologie, où commerçants et mystiques font circuler marchandises et idées au travers des négoces et disputations : un bel exemple de diversité humaine, fructueuse en échanges et inventivité. Il permet en outre d’éclairer les causes de l’antisémitisme, du complotisme, des sectarismes et gouroutismes divers…
À la lecture de ce roman à la fois historique et de fiction, j’ai pensé à Márquez, à Umberto Eco, et aussi à Borges.
\Mots-clés : #antisémitisme #communautejuive #contemythe #historique #identite #minoriteethnique #philosophique #politique #religion #social #spiritualité #traditions #universdulivre #voyage
- le Mer 6 Nov - 14:35
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- Sujet: Olga Tokarczuk
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Francis Carco
Jésus-la-CailleÀ Montmartre au début des années 1900, Jésus-la-Caille se désole que son compagnon, Bambou, un jeune gigolo (prostitué, « truqueur ») comme lui, ait été arrêté par les bourres. A-t-il été vendu par le retors Pépé-la-Vache, soupçonné d’être une bourrique (mouchard) ? Ou par M. Dominique, le Corse, ancien trompette des Bataillons d’Afrique, souteneur et braqueur ? Jésus-la-Caille (un jésus est un jeune garçon prostitué) séduit Fernande, la gosse de ce dernier, et bientôt les deux vivent en couple. Puis elle le quitte pour la Vache, qui l’a « à la bonne depuis longtemps », et vient de faire prendre le Corse par la police. La Caille se met avec la Puce, lui aussi « mince voyou », et jeune frère de Bambou. Fernande quitte la Vache et son exil à Belleville ; elle est séduite par Loupé, un autre petit môme cambrioleur.
Aperçu de la pègre parisienne, des chanteurs des carrefours, des fiacres, du « Moulin de la Galette, où fréquentent indistinctement trottins et gigolettes, calicots valseurs, barbillons, rapins et curieux. » Un monde foisonnant, profitant des « pantes » ("bourgeois" et autres touristes) mais harcelé par les bourres, inventif et novateur tant pour la langue que pour les mœurs.
Mélange curieux d’argot (aujourd’hui vieilli, comme les savoureuses « doutances », ou moins intelligible, comme « égnollé », une forme d’ennuyé) dans les dialogues, de phrases désarticulées, bizarrement construites, et d’ellipses, qui font qu’on ne saisit pas exactement ces portraits de la Caille et Fernande (topos de la prostituée qui a besoin qu’un homme la domine).
« Il ne pensait point que, rencontrant Pépé-la-Vache, il n’aurait pas pu ne pas se trahir. Au contraire, il pensait que, ne le rencontrant nulle part, c’était lui, la Vache, qui se trahissait. »
« Hélas ! elle savait bien qu’une femme adore toujours celui qui la domine... Il y avait au Moulin-Rouge des amies qui vivaient ensemble. Elles n’étaient pas heureuses. Il y avait des couples étranges qui riaient pour des niaiseries. Ils n’étaient pas heureux... Cela se voyait à l’air soucieux que prenaient leurs visages, par moments. Leurs regards le disaient aux gens qui passaient et qui enviaient leur gaieté factice. Et ceux qui s’accoudent au bar, ceux qui fument et baissent les yeux, ceux qui boivent pour s’étourdir, ceux qui suivent une femme dans le promenoir, ceux qui marchent toute la nuit à travers les rues ? Ils n’étaient pas heureux non plus... Fernande en avait connu qui, dans la chambre où ils se trouvaient ensemble, parlaient de choses mystérieuses et ridicules, ou qui se taisaient, qui la payaient, la regardaient... Sous leurs allures, perçait toujours la même angoisse. Personne n’en était affranchi. Les petites traînées du boulevard cherchaient à noyer leur tristesse dans l’éther. Elles n’avaient pas la force de recommencer, chaque jour, une existence inutile, et les morphinomanes, les opiomanes, chacune avec son vice et ses chagrins, affirmaient leur mépris, toutes les nuits plus amer, du lendemain. »
« Elle l’avait aimé pour sa faiblesse et pour son apparente douceur. Elle l’aima pour sa lâcheté. Il savait la faire odieusement souffrir et quand, à bout de moyens, il en arrivait maintenant à la battre, Fernande montrait une telle passivité qu’il s’acharnait à la rouer de coups. Elle ne se révoltait jamais. Il la quittait ensuite, car il l’aurait tuée. Sa violence l’effrayait. Il redoutait aussi de se laisser emporter par le plaisir de la battre. Plus que l’amour, l’habitude des coups est capable d’enchaîner deux êtres et la Caille voulait pouvoir rompre à son aise. Il se rappelait les propos de Titine et de Gueule d’Amour.
— Ça casse toujours avec une gonzesse... »
\Mots-clés : #criminalite #prostitution #sexualité #social
- le Mer 11 Sep - 21:58
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- Sujet: Francis Carco
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Georges Simenon
L’Ombre chinoiseDerrière les façades de la place des Vosges, on trouve la réussite sociale, mais pas que. Au-delà de l’ombre d’une cour obscure, le propriétaire d’une affaire qui a réussi est retrouvé assassiné ; mais d’autres locataires vivent mesquinement, s’épiant dans une aigreur proche de la folie… De même, à l'Hôtel Pigalle, certains pensionnaires ignorent qu’ils avoisinent d’autres auxquels ils sont indirectement liés. La victime avait testé pour « ses trois femmes », celle d’un premier mariage, celle du second, et sa maîtresse.
Comme dit par Animal dans ses commentaires de lecture et relecture de ce polar, Maigret constitue le « trait d'union entre ces mondes » ; sa sympathie vient pour le défunt dont il découvre progressivement la personnalité, mais aussi pour sa maîtresse – autre victime. Drame de famille, affaire d’intérêts, où Maigret est présenté comme particulièrement massif, mais aussi observateur, empathique, et seul sourire du roman.
\Mots-clés : #polar #social
- le Sam 6 Juil - 13:09
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- Sujet: Georges Simenon
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André Leroi-Gourhan
Un voyage chez les AïnousArlette Leroi-Gourhan présente leur mission ethnographique, elle et son mari André, pendant l'été 1938 à l’île du Hokkaïdo la plus au nord, durant laquelle ils ont étudiés les Aïnous ; c’est une mise en forme de leurs notes, photos et dessins, dont l’exploitation fut compromise par la Seconde Guerre (livre édité en 1989).
Les Aïnous, dont à l’époque les anthropologues ne pouvaient situer ni les origines, ni la langue, uniquement orale, sont caractérisés par un type caucasien et fort pileux (les femmes portent des moustaches tatouées).
« Contrairement à ce qui est usage au Japon, ici, seules les femmes sont tatouées ; les marques s’ajoutent et se superposent au fil des années. »
Pas de céramique (art oublié), fer importé du Japon, mais important travail du bois.
« Presque tous ces objets de bois portent au moins une marque par incision. Sans cette incision, l’objet serait privé d’âme. Chacun de ces signes est celui d’une famille patrilinéaire ; il ne peut-être vendu ni échangé, mais éventuellement être offert en cadeau en cas de décès ou d’adoption. Et c’est ainsi que, dans la société aïnoue, chaque adolescent apprend à graver avec la même attention qu’il s’entraîne à manier l’arc. »
« Les Aïnous sont le seul peuple au monde à posséder des relève-moustaches. Cet objet s’avère un des plus importants de leur civilisation parce qu’il est à la fois rituel, traditionnel, familial et personnel. […]
Durant les rituels importants, il convient, avec une seule main, d’approcher la coupe des lèvres, tout en maintenant du relève-moustaches l’ensemble des poils car, aucun de ceux-ci ne doit entrer en contact avec la boisson des Dieux. »
Rapprochements entre les pratiques de ces « Primitifs » avec celle des hommes préhistoriques :
« Nous nous trouvons ici exactement devant le même problème que celui qui est posé par l’art paléolithique occidental. Pourquoi certains animaux faisant partie intégrante de la vie quotidienne ne sont-ils que peu ou pas représentés ?
Ainsi les loups qui, en hordes serrées, suivaient les troupeaux de rennes de nos Magdaléniens, sont-ils pratiquement absents des peintures ou gravures rupestres. Or, ces loups sont également privés d’évocation graphique chez les Aïnous alors qu’ils hantent les forêts et se risquent jusqu’aux abords des villages.
Les deux cultures présentent donc un fait identique : pour elles existent deux mondes différents et il n’y a pas toujours de lien direct – visible par nous – entre les images et les animaux, bons ou mauvais, faisant partie du quotidien des hommes. »
Les Inaos sont des bâtons sacrés décorés de copeaux, à l’origine anthropomorphes, offerts aux Kamouis, génies des lieux.
« L’important est que chaque forme, chaque frisure corresponde à un certain Kamoui et à une demande spécifique : guérison, chasse… »
Les Aïnous pêchent, notamment le saumon (et la baleine autrefois), et chassent, dont l’ours. Le bébé rendu orphelin est alors ramené au village, où il sera allaité par une femme, puis sacrifié devenu adulte. L’ours est considéré comme un pendant de l’homme.
Les Aïnous auraient pour ancêtre la culture Jomon, chasseurs-cueilleurs-pêcheurs mésolithiques d’origine aryenne, qui pratiquaient la céramique ; leur culture était déjà en voie de disparition à l’époque où les Leroi-Gourhan les ont étudiés.
\Mots-clés : #essai #historique #minoriteethnique #social #spiritualité #temoignage #traditions
- le Mar 25 Juin - 8:11
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Murielle Magellan
Sujet Marie travaille comme serveuse dans un bar, elle a un bac-pro en chaudronnerie, mais elle a préféré cet emploi. Faut dire qu'elle soutient son père, financièrement et physiquement. Tous les jours elle va s'occuper en partie (avec une bonne) de son père hypocondriague convaincu.
Un jour elle rencontre Alexandre, ils se plaisent, mais cela ne dure pas car le jeune homme s'aperçoit que le niveau social et surtout intellectuel de Marie n'est pas le sien, lui pense devenir scénariste de cinéma, il ne pense qu'aux films de Truffaut, alors quand il demande à Marie si elle a vu "le dernier métro" devant sa négation, il est sur qu'il ne doit pas continuer leur relation.
Quand Marie lui fait face et demande des explications à son absence, elle se sent humiliée par ses propos et le pousse, mais Marie ne sent pas sa force et Alexandre chute en force et se blesse, sur ce passe des policiers qui interviennent et Marie se défend contre eux qui l'emmènent.
Au tribunal le juge, en qui elle reconnait un client du bar, la condamne à une amende et du sursis.
Marie doit créditer sa banque et quand elle fait ses comptes, elle comprend qu'il lui faut 850 euros, sinon c'est le retrait bancaire et elle ne peut se le permettre. Qui pourrait lui prêter une telle somme ?
Alors elle prend une décision, et ose demander au Juge Gérard Doutremont de lui accorder un prêt. Après réflexion et qu'il ait reconnu "le cas Leroy" le juge accepte ; en contre partie, elle le conduira au tribunal et le raccompagnera chez lui tous les jours jusqu'à épuration de sa dette.
Au fil des jours Marie prend connaissance du caractère du juge, de son quotidien et tous deux s' apprennent. Le juge, aux questions de Marie, sur tout et n'importe quoi lui répond "cherche" ; c'est ainsi que Marie va obtenir des connaissances. Un jour il lui offre "le Code pénal", elle ne sait qu'en faire et ne comprend pas toujours le sens des phrases, mais les sentences que le juge lance souvent font qu'elle se dit que tout doit être dans ce livre.
Après le retour de sa soeur aînée avec une amie et une soirée passée avec elles, Marie est conduite devant Alexandre parce que Victoria sa soeur exige que le jeune homme s'excuse auprès de Marie pour ses propos humiliants ; comme il s'inquiète de l'attitude des deux j. femmes et de Marie donc il connait la vigueur, il s'exécute et Marie lui dit qu'elle a vu "le dernier métro", elle sait qui est Truffaut. Devant cette surprise il lui demande pardon, mais tous deux sont contrevenants vis à vis de la justice car ils ne devaient plus jamais avoir de contacts.
Victoria et Inge décident Marie de tout quitter et de partir avec elles, pour "soi-disant" travailler chez Emmaüs, mais en cours de route Marie fait demi-tour et retourne chez elle, elle arrivera quelques minutes de retard devant la maison du juge. Ce dernier s'aperçoit un jour que les textos que reçoit Marie sont d'Alexandre, il lui fait une scène et lui offre ses derniers jours de chauffeur ; il est très déçu de cette trahison.
Marie a appris par sa soeur que le juge avait eu son permis de conduire retiré pour avoir conduit alcoolisé, elle lui jette à la figure quand il l'insulte. Elle se demande quelques jours après que faire de son temps libéré, après réflexion, certainement pas ce qu'elle faisait dans sa vie d'avant le juge. Elle voit le code pénal toujours sur sa table basse et décide de faire des études, elle se renseigne.
Elle affronte le juge l'obligeant à l'écouter, quand il comprend qu'elle va étudier et qu'elle a choisi le Droit, il pleure. Marie l'inscrit dans une auto-école pour repasser le permis. Ils conviennent que Marie qui travaillera sur un bateau et étudiera par correspondance et lui resteront en contact, qu'il suivra ses études et l'aidera s'il le faut. Elle le raccompagne donc une dernière fois et le serre dans ses bras, il lui a dit qu'elle était "son point d'orgue".
De très intéressants et forts dialogues, de beaux portraits des personnages.
j'ai vraiment beaucoup apprécié ce livre, mais j'ai des soucis d'ordi, donc des extraits plus tard
\Mots-clés : #justice #mondedutravail #social
- le Jeu 9 Mai - 20:58
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- Sujet: Murielle Magellan
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Philip Roth
Pastorale américaineLe romancier Nathan Zuckerman, la soixantaine, est contacté par l’idole de son enfance à Newark, Seymour Levov, « le Suédois », une star sportive, un Juif comme lui et son aîné de quelques années. Seymour est l’image-même de la réussite états-unienne, familiale, sociale, professionnelle. À ce propos, il a repris l’entreprise de son père, et dit avoir dû délocaliser son usine à regret, après les émeutes raciales de Newark de 1967, à cause de la situation sociale (violence et insécurité), pour former une main-d’œuvre compétente à l’étranger (ce qui constitue la succession inverse des faits telle qu’elle est souvent présentée). Seymour est vu comme un brave, gentil conformiste, dans le prolongement de sa jeunesse de « héros de lycée », « notre Kennedy ». Mais Nathan doit revoir son jugement :
« Le fait est que comprendre les autres n’est pas la règle, dans la vie. L’histoire de la vie, c’est de se tromper sur leur compte, encore et encore, encore et toujours, avec acharnement et, après y avoir bien réfléchi, se tromper à nouveau. C’est même comme ça qu’on sait qu’on est vivant : on se trompe. »
Jerry, le frère de Seymour, apprend à Nathan que ce dernier vient de mourir d’un cancer, et surtout qu’il était dévasté par l’attentat à la bombe perpétré par sa fille de seize ans en 1968 contre la guerre au Vietnam.
« Or survient la fille perdue, la fille en cavale, cette Américaine de la quatrième génération censée reproduire en plus parfait encore l’image de son père, lui-même image du sien en plus parfait et ainsi de suite… survient la fille en colère, la malgracieuse, qui crache sur son monde et se fiche éperdument de prendre sa place dans la lignée Levov en pleine ascension sociale, sa fille, enfin, qui le débusque comme un fugitif, qui le pousse la première dans la transhumance d’une tout autre Amérique ; sa fille et ces années soixante qui font voler en éclats le type d’utopie qui lui est cher, à lui. Voilà la mort rouge qui contamine le château du Suédois, et personne n’en réchappe. Voilà sa fille qui l’exile de sa pastorale américaine tant désirée pour le précipiter dans un univers hostile qui en est le parfait contraire, dans la fureur, la violence, le désespoir d’un chaos infernal qui n’appartient qu’à l’Amérique. […]
Qui est fait pour la tragédie et la souffrance absurde ? Personne. La tragédie de l’homme qui n’était pas fait pour la tragédie, c’est la tragédie de tout homme. »
Meredith, dite Merry Levov, fait l’objet d’une « étiologie » (notamment psychiatrique) de son bégaiement de jeune adolescente révoltée qui se tourne vers l’extrémisme. Alors qu'elle est en cavale après l’attentat qu’elle a perpétré, Rita Cohen, qui s’avère être une terroriste communiste, prend contact avec Seymour.
Roth rend le calvaire de Seymour, lui si raisonnable, responsable.
« Telle est la vie extérieure, qu’il mène autant que faire se peut sans changement apparent. Mais elle se double d’une vie intérieure, d’une vie intérieure morbide, hantée par des obsessions tyranniques, des pulsions refoulées, des espoirs superstitieux, des imaginations effroyables, des conversations fantasmées, des questions insolubles. De nuit en nuit, insomnies, autopunition. Solitude colossale. […]
Et au quotidien rien à faire, sinon assumer cette imposture, continuer de vivre sous son identité, avec l’ignominie de se faire passer pour l’homme idéal. »
« S’il avait pu de nouveau fonctionner comme tout un chacun, redevenir tel qu’en lui-même, au lieu d’être ce charlatan à la sincérité schizophrène, lisse dehors, tourmenté dedans, stable aux yeux d’autrui, et pourtant le dos au mur en son for intérieur, puisque son personnage social détendu, souriant et factice servait de linceul au Suédois enterré vivant. S’il avait pu, si peu que ce fût, recouvrer son existence cohérente, indivise, qui lui avait donné son assurance physique, sa liberté d’allure avant d’engendrer une meurtrière présumée. »
Il décrit aussi la dépression de sa femme Dawn, une Irlandaise, ex-Miss New Jersey, musicienne, éleveuse de bétail, qui en est venue à le rendre responsable du drame ; il expose le métier de la ganterie transmis par son père à Seymour, ainsi que les valeurs de travail et d’excellence.
Puis Seymour retrouve Merry, devenue une adepte jaïn (« l’ahimsa, le respect systématique de la vie »), clandestine vivant dans des conditions sordides ; la terroriste a perdu son bégaiement, peut-être en se voilant pour ne pas tuer de petites vies. Fabricant des bombes, elle est la responsable directe de quatre morts (et a été victime de deux viols).
C’est tout le rêve américain fracassé qui est brossé, aboutissant dans la violence à une sorte de nihilisme dans un terrible conflit de génération.
« Trois générations. Toutes en ascension sociale. Le travail, l’épargne, la réussite. Trois générations en extase devant l’Amérique. Trois générations pour se fondre dans un peuple. Et maintenant, avec la quatrième, anéantissement des espoirs. Vandalisation totale de leur monde. »
« Il avait fait du mieux qu’un parent pouvait faire — il avait écouté tant et plus, alors même qu’il se retenait de toutes ses forces pour ne pas se lever de table et s’en aller en attendant qu’elle ait craché son venin. »
« Toujours dans la peau d’un personnage. Ce qui avait commencé de manière assez anodine du temps qu’elle jouait les Audrey Hepburn avait donc conduit en dix ans à ce mythe exotique de l’abnégation ? D’abord la niaise abnégation au nom du Peuple, maintenant la niaise abnégation de l’âme parachevée. Phase suivante, le crucifix de grand-mère Dwyer ? Est-ce qu’on allait revenir à l’abnégation suprême de l’éternelle chandelle et du Sacré-Cœur ? On était toujours dans l’irréalité grandiose, dans l’abstraction la plus lointaine — on ne s’occupait jamais de sa petite personne, alors là, jamais de la vie. Quelle imposture, quelle horreur inhumaine, cette abnégation ! »
« Tuer Conlon [le médecin victime collatérale de sa première bombe] n’avait fait que confirmer son ardeur de révolutionnaire idéaliste, qui n’hésitait pas à adopter les moyens, même impitoyables, de détruire un système injuste. »
Nombre de personnalités politiques états-uniennes sont évoquées, mais aussi Frantz Fanon, comme "influenceurs" de Merry. Jerry rabroue son frère à cause de son attitude envers le « monstre ». Puis Dawn décide de se refaire chirurgicalement une beauté, et de quitter la résidence rurale traditionnelle qui plaisait tant à Seymour (pleine de souvenirs) pour une maison lumineuse conçue par un architecte wasp (avec lequel elle trompe son mari – mais ce dernier a aussi fauté, avec Jessie, l’orthophoniste de Merry, qui accueillit celle-ci après son départ…). Cette confrontation avec ces amis, les Bill et Jessie Orcutt, les Barry et Marcia Umanoff, d’une certaine aristocratie ou élite intellectuelle établies, révèle (outre un fabuleux jeu de masques) un autre aspect social des États-Unis de la seconde moitié du XXe (et qui éclaire toujours la société contemporaine).
Des phrases comme celle-ci, en début de paragraphe, font d’avance sourire si on connaît un peu Roth :
« Au dîner la conversation roula sur le Watergate et sur Gorge profonde. »
Lou, le bavard père de Seymour, vieux has been, a des propos, certes décousus, mais pas forcément incohérents (il soutient aussi le fait que les délocalisations ont commencé avant les problèmes raciaux).
« C’est pas les syndicats à eux tout seuls qui nous ont cassés, cela dit. Les syndicats ont rien compris, mais certains industriels non plus. “Je veux pas payer ces fils de putes cinq cents de plus”, et le gars qui dit ça roule en Cadillac et passe l’hiver en Floride. Non, y a beaucoup d’industriels qui ont pas su réagir. Mais les syndicats n’ont jamais compris la concurrence d’outre-mer et, à mon avis, ils ont bel et bien accéléré la ruine de l’industrie du gant par leur intransigeance : on ne pouvait plus faire de bénéfices. »
Bill Orcutt :
« La permissivité. La perversion drapée dans les voiles de l’idéologie. La contestation perpétuelle. »
Roth évite de donner directement son avis en forçant le trait avec humour, en rapportant des points de vue erronés, des pensées attribuées à un personnage par le biais d’un autre (notamment son alter ego Zuckerman). Difficile de donner un résumé de ce livre sans être partial ; dans ce roman fouillé, qui compte près de 600 pages, Roth lance son lecteur sur de nombreuses pistes, le mène si bien qu’il le déroute souvent. Demeure cependant le constat d’un échec social, sociétal, voire civilisationnel d’une culture en pointe du monde occidental.
Au vu de son commentaire, ce n'est pas Topocl qui me contredira comme je recommande la lecture de ce livre.
\Mots-clés : #culpabilité #historique #humour #mondedutravail #politique #portrait #psychologique #relationenfantparent #satirique #social #solitude #terrorisme #xxesiecle
- le Sam 27 Avr - 13:38
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Eugène Dabit
Un Mort tout neufAlbert Singer est mort dans la nuit, à Belleville, en ce début d’année 1933. Mais c’est dans le lit de Paula, sa maîtresse, une actrice italienne, qu’est décédé ce rentier de cinquante-deux ans.
C’est l’entre-deux-guerres :
« Et aussi, tous ces bruits qui courent, comme en 1914. »
Avec le ton du constat, Eugène Dabit déroule sur quatre jours la réaction des proches du défunt, d’abord stupéfaction et douleur, puis assez vite les intérêts familiaux et personnels prennent le dessus, alimentés par le doute à propos de Paula que devait épouser Albert, après leur récente rencontre via les petites annonces.
« Alors que Ferdinand et Gaston, s’ils bougent, disent un mot, c’est pour évoquer Albert. C’est la mort qui leur souffle presque chaque parole, qui commande à chacun de leurs gestes, elle qui a pris pour vivre la forme d’Albert. »
La famille fouille dans ses papiers, son courrier, sa vie privée. Sa sœur Lucienne, son neveu Gaston sont plus sincèrement émus. Guère de croyants dans la famille : enterrement civil, dans le caveau d’un de ses frères, qui s’avère trop étroit.
« – Et moi, pour entrer, comment je ferai ? demande le gros Édouard. »
\Mots-clés : #famille #mort #social #xxesiecle
- le Sam 13 Avr - 17:58
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Dennis Lehane
Un dernier verre avant la guerreÀ Dorchester, quartier de Boston (USA), Pat (Patrick Kenzie), le narrateur, s’occupe de recherche de personnes disparues avec Angie (Angela Gennaro), sa meilleure amie, amoureuse de son mari Phil, qui la tabasse (et lui le tabasse à l’occasion). Pat est le fils du « Héros », un pompier célèbre, mais violent à la maison. L’enquête porte sur Jenna Angeline, une femme de ménage noire qui serait disparue avec des documents confidentiels du sénateur Sterling Mulkern, relatifs à un projet de loi contre le terrorisme de rue.
« Les gens comme Mulkern ont l’habitude de créer les faits par eux-mêmes, puis de mettre les autres, à savoir nous, au courant. »
Pat est en photo dans le journal, comme son père jadis, quand Jenna est abattue dans ses bras. Puis c’est la guerre des gangs entre le mari de Jenna (qui l’a fait tuer) et son fils.
« Nous avons traversé South Boston – Southie pour quiconque n’est ni un touriste ni un présentateur de journal – en longeant des chapelets de petits immeubles à deux étages miteux, serrés comme une rangée de toilettes chimiques à un concert rock. Southie me sidère. Une bonne portion en est pauvre, surpeuplée, implacablement négligée. Les cités de D Street craignent autant que tout ce qu’on peut trouver dans le Bronx : sales, mal éclairées, grouillant de loubards en colère, les cheveux en brosse, qui traînent dans les rues avec une soif de sang et des battes de baseball. Il y a quelques années, pendant un défilé de la Saint-Patrick, un môme très irlandais avec un trèfle sur son teeshirt s’y est hasardé. Il est tombé sur une bande d’autres mômes irlandais qui avaient eux aussi des trèfles sur leurs teeshirts. La seule différence entre son teeshirt et les leurs, c’est que le sien disait « Dorchester » en vert au-dessus du trèfle, et les leurs disaient « Southie ». Les mômes de D Street ont supprimé la différence en balançant le môme d’un toit. »
Polar musculeux, typiquement états-unien dans sa fascination pour la violence, mais traitant du racisme avec des aperçus intéressants sur sa prégnance et ses subtiles ramifications. Reste que c'est assez pâle, surtout après une lecture de Faulkner.
\Mots-clés : #corruption #criminalite #discrimination #polar #racisme #social #violence
- le Mer 10 Avr - 12:40
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Donald Ray Pollock
Knockemstiff
Knockemstiff dans l’Ohio, c’est la ville où l’auteur a grandi et travaillé (dans l’usine à papier) avant de rejoindre l’Université.
La dénomination de cette ville est expliquée par l’un de ses habitants à un visiteur de passage :
Dispute entre deux femmes qui se seraient crêpé le chignon pour un homme, juste devant l’église. Légende ou pas ce nom image la ville.
Knockemstiff est une ville de pauvres dans une Amérique riche. Alors tous ont des rêves d’avenir meilleur mais curieusement peu souhaitent quitter ce lieu et surtout ceux vivant dans le Val.
Combien de violence, physique et/ou verbale ; de tentatives de se sortir de cette vie, par le vol, la drogue, la sexualité. La voiture apparaît souvent comme l’élément de richesse et même si l’on n’arrive pas à payer le loyer, à se nourrir correctement, on emprunte pour se pavaner avec une Mustang, par exemple.
Les enfants voient, subissent et même si dans leur jeunesse ils espèrent, ils se retrouvent adultes dans une désespérante situation, le malheur semble générationnel.
Au fil des années la ville se délabre, comme leur vie, les quelques magasins sont fermés comme l’est leur avenir.
L’écriture sensitive reflète le parler des gens - de la grossièreté, insultes, menaces - ; s'y ajoutent les drogues et l’alcool pour oublier.
Il semble que la « mortadelle » soit très prisée ; à cause du prix accessible ?
Donc tout est sombre, désespérant et malgré le dégout qu'inspirent certains personnages ou situations leur sort est pitoyable.
Des extraits significatifs :
Daniel
le vieux a surpris son monde en sortant le long couteau tout en poussant son fils sur une chaise.
– Tu bouges d’un chouïa, putain, je te scalpe comme un Indien, il lui a dit en saisissant une longue mèche brune dans son poing, avant de se mettre à la scier au ras du crâne
Tout l’été, Daniel avait rêvé de descendre du car de ramassage scolaire après Labor Day 1 avec les cheveux aux épaules. La scène était aussi claire et frappante qu’un film dans sa tête, et maintenant le vieux lui avait pris tout ça.
Chez Théo – Teddy –
À part les capsules noires qu’elle obtenait des fois de sa sœur Wanda, la peur semblait la seule chose qui pouvait réveiller ma mère, la rendre à la vie. Et parce que je voulais tellement la rendre heureuse, j’étais devenu maître dans l’art de lui foutre les foies. Albert DeSalvo était son cinglé préféré, et elle avait sa photo collée au scotch dans son placard de chambre. Des fois, si elle avait eu une vraiment sale journée, j’allais dehors et je fendais un des écrans moustiquaires avec un couteau, ensuite j’entrais chez elle et je lui nouais un nœud savant autour du cou avec un de ses collants, tout en avouant que c’était moi le vrai Boston Strangler.
Frankie le balafré vole l’argent – héritage de sa grand-mère – de Toddy
Sa dernière pensée avant de tourner de l’œil c’était qu’il allait retrouver sa grand-mère. Mais au bout d’un moment il est revenu à lui, couché sur le ventre par terre dans une mare de sang, son jean baissé jusqu’aux chevilles. Il s’est remis sur le dos pour cracher sa dent. Frankie était debout au-dessus de lui, en train de s’essuyer la pine avec un chiffon. En soulevant les hanches pour remonter son pantalon, Todd s’est mis à sourire.
– Qu’est-ce qui te fait sourire comme ça, sale tantouze ? a fait Frankie.
Et il a frappé Todd en plein visage avec le talon de sa chaussure.
Géraldine la fille qui se promène avec dans son sac des poissons panés qu’elle offre.
Del a placé Veena doucement sur le canapé et sorti la dernière couche d’une boîte de Pampers. Là, au fond du carton, se trouvait une petite réserve de poissons panés enveloppés dans une serviette en papier graisseuse. Il regardait les miettes brunes sans y croire. Geraldine n’avait pas touché à un poisson pané depuis qu’il était devenu son tuteur légal ; ça faisait partie de leur arrangement. Il a torché Veena, lui a saupoudré du talc sur les plaques d’irritation qu’elle avait entre ses cuisses dodues. En regardant sa fille, Del a soudain ressenti une grande peine l’assaillir. Il était à genoux, sur le point de demander pardon au bébé, quand il a entendu sa femme débouler dans le couloir et claquer la porte de la chambre. Le boucan a fait sursauter père et fille, l’une encore rose d’innocence, l’autre coupable de mille transgressions.
Bernie
Je ne réponds pas. Les gars dans la Camaro m’ont vu mater la fille, et l’un d’eux se met à imiter Jerry, faisant la grimace et laissant tomber la tête contre sa poitrine. La fille rigole toujours, mais maintenant elle rabaisse son haut. Et j’ai beau savoir qu’il y a deux ans Jerry aurait été avec eux à se moquer du demeuré, je tire le frein à main et j’extirpe mon gros cul de la voiture. Je reste là debout un moment à rabaisser ma chemise par-dessus mon ventre blanc, et à me demander ce que je suis supposé faire maintenant ; mais juste comme je vais me dégonfler, un des gars crie « Porky », et un autre se met à grouiner « Oink, oink ». Je respire un grand coup, marche jusqu’à leur voiture et commence à coller des coups de lattes dans la portière. Croyez-moi, j’ai beau être un gros lard, quand le chauffeur saute de la voiture – un grand serin avec des grandes dents et du fil barbelé tatoué autour de ses bras fluets –, je l’étends d’un seul punch. Je n’ai jamais frappé personne aussi fort de ma vie, même pas Delbert Anderson
Le voleur marié à Dee
Ma tête était en vacances permanentes, mes nerfs, des petits grumeaux de lait moussant. L’Oxy remplissait des trous en moi que j’avais jamais soupçonnés vides. C’était, du moins pour les premiers mois, une façon épatante d’être invalide. Je me sentais béni des dieux.
En réalité, pourtant, ma vie était maintenant sur la pente. Sous l’influence de l’Oxy, j’ai perdu jusqu’à l’ambition de voler le bien des autres. Tex s’est trouvé un autre partenaire, et la banque a repris la Monte Carlo. Heureusement, on avait gardé la Pinto en secours. Une fois ma lune de miel aux opiacés terminée, on s’est retrouvés à louer une caravane qui prenait l’eau et sentait le moisi en bordure de Knockemstiff, le val où j’ai grandi. J’avais beau m’être juré un million de fois de ne jamais y retourner, je n’ai pas tenu ma promesse, comme pour tous les autres serments que j’ai faits avant mon accident.
\Mots-clés : #addiction #misere #nouvelle #social #viequotidienne #violence
- le Mer 27 Mar - 10:09
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Natasha Brown
Après des études de mathématiques à Cambridge University, Natasha Brown a travaillé pendant une dizaine d’années dans le secteur bancaire.
Son premier roman, "Assemblage", est encensé dès sa sortie par la critique et les libraires du Royaume-Uni, puis traduit dans le monde entier. Natasha Brown est aujourd’hui considérée comme le grand espoir des lettres britanniques.
Source : Grasset
2023 : Assemblage
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Bonjour à tous !
Nouveau fil, nouvelle auteure :
Découvrir l’âge adulte en pleine crise économique. Rester serviable dans un monde brutal et hostile. Sortir, étudier à "Oxbridge", débuter une carrière. Faire tout ce qu’il faut, comme il faut. Acheter un appartement. Acheter des œuvres d’art. Acheter du bonheur. Et surtout, baisser les yeux. Rester discrète. Continuer comme si de rien n’était.
La narratrice d’Assemblage est une femme britannique noire. Elle se prépare à assister à une somptueuse garden-party dans la propriété familiale de son petit ami, située au cœur de la campagne anglaise. C’est l’occasion pour elle d’examiner toutes les facettes de sa personnalité qu’elle a soigneusement assemblées pour passer inaperçue. Mais alors que les minutes défilent et que son avenir semble se dessiner malgré elle, une question la saisit : est-il encore temps de tout recommencer ?
Le premier roman de Natasha Brown a été une véritable déflagration dans le paysage littéraire britannique. « Virtuose » (the Guardian), « tranchant comme un diamant » (The Observer), Assemblage raconte le destin d’une jeune femme et son combat intime pour la liberté.
Pamphlet du concept tant fantasmé d'un système structurel et omnipotent bien implanté en Angleterre , intellection des chimères des luttes pour une ascension sociale, diatribe de l'exclusion sexiste des élites obsédées par la domination, blâme pour ce racisme distingué des classes racées anglo-saxonnes, mise en lumière des illusions perdues se débattant de la noyade dans un tourbillon de clairvoyance, Assemblage, c'est la version façon puzzle d'une vie préfabriquée pièce après pièce qu'on ampute de chacune d'elle afin de mieux déconstruire la perversité du dogmatisme tronqué, de notre constitution docile à endosser l'uniforme pour un rôle modelé à l'avance par un pouvoir financier, de la perte d'identité accueillie les bras ouverts tant que la promotion sociale nous déballe toutes ses faveurs aux dépends des filiations qui nous relient aux notres, à fortiori, à soi-même.
Assemblage, c'est aussi l'analyse d'une destruction mentale et physique délivrée par les phrases assassines et concises de la narratrice anglaise, noire , proche portrait de l'auteure Natasha Brown, une incursion dans le dépassement de soi pour simplement exister dans une angleterre où les parvenus politicards de la bonne société qui ne se sont jamais mouillés pointent les noirs comme des problèmes à résoudre, une expédition sous haute tension dans les arcanes de la finance au sein desquelles l'humain reste un profit net exploité en toute transparence , dénigré si noir.
Assemblage, plus que tout, est un flot de pensée lourd de sens, une clameur de la censure et du silence, un contre rendu éloquent des restes du colonialisme, une admonition sévère à la société britannique, le tout desservi par une plume trempée dans du vitriol.
Abrupt et corrosif, ce premier roman est un pavé dans la Tamise qu'il faut apprivoiser, déroutant dès les premières pages par la complexité de la narration décousue et des digressions, la trame se remet sur les rails, defilent alors à toute allure les explosions simultanées des mots percutants, la déflagration émise par les constats carbonise alors les corps et les âmes, à l'image de la narratrice engloutie et ravagée par ce flot devastateur emprisonnant la moindre de ses émotions dans les méandres de son identité contestée.
Des arrangements avec l'Histoire, c'est en accepter la centralité, l'individualité de ceux qui n'existent véritablement que dans la délimitation de leur condition face à une silhouette noire, se débarrasser de ses revendications pour gagner une legitimité et faire perdurer la valse lente et orchestique du déni en bonne société.
Se désincarner. Feindre d'être assimilée. Laisser monter la vague de la bienveillance feinte. Trimer pour n'être jamais ancrée, sans appartenance.
Peut-on en terminer ?
En terminer. Une fois pour toute.
Un roman à l'architecture monumentale, imposant et brillant.
Extraits :
"Pas de temps, en octobre, pour autre chose que le beurre de cacahuète, les feux de signalisation et les esclaves libérés. Ça vous fait perdre le nord, ça vous empêche de vous forger une identité. La vie dans un endroit où l'on vous dit sans cesse de partir, sans savoir, sans rien connaître à rien. Sans histoire.
Après la guerre, l'Empire qui s'émiettait est retourné chercher ses sujets coloniaux. Pas de soldats ce coup-ci : des infirmières, des infirmiers pour porter à bout de bras un service de santé chancelant. Enoch Powell en personne est allé à la Barbade pour nous implorer: venez. Et nous sommes venus et nous avons édifié, nous avons réparé, nous avons soigné, cuisiné, nettoyé. Nous avons payé des impôts, payé des loyers exorbitants aux rares propriétaires qui voulaient bien de nous. On nous haïssait. Le National Front poursuivait, incendiait, poignardait éradiquait. Churchill mettait sur pied les détachements spéciaux pour nous sortir du pays. Pour une Angleterre blanche. Enoch, autrefois recruteur intrépide, mettait à présent en garde, des rivières ensanglantées si nous restions. Promulgation de nouvelles lois, révocations de nos droits.
Pourtant certains ont survécu. On réussi, qui c'est comment, à mettre un peu de côté sur leur maigres salaires. Assez, en fin de compte, pour permettre à femme, mari et enfant de passer d'une pièce unique louée dans une maison que se partageaient 5 familles à un petit pavillon bien à eux. Vraiment à eux. Et une éthique, une mentalité, une détermination a vu le jour à cette époque et persiste encore. Une quête acharnée, sans compromis. "
" Sois la meilleure. Travaille plus, travaille mieux. Dépasse toutes les attentes. Mais aussi, sois invisible, imperceptible. Ne mets personne mal à l'aise. Ne gêne personne. N'existe qu'au négatif, dans l'espace alentour. ne t'insère pas dans le courant de l'Histoire. Ne te fais pas remarquer.
deviens de l'air.
Ouvre les yeux. "
\Mots-clés : #identite #racisme #social
- le Lun 18 Mar - 9:45
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Hubert Haddad
Opium PoppyCamir, Centre d’accueil des mineurs isolés et réfugiés : Alam l’Afghan de onze-douze ans est parmi les autres (dont Diwani, rescapée tutsie), et doit apprendre une nouvelle langue, une société autre.
« Grands et petits, ceux du Mali et du Congo, ceux du Pakistan, les Kurdes d’Anatolie, les réfugiés blêmes du Caucase, tous les élèves se dressent d’un seul bond, comme affranchis d’une chape d’indignité, et recouvrent dans les couloirs les allures flottantes du désarroi. »
Kandahar :
« Mais elles voulaient apprendre à lire et à calculer. Chaque jour, elles repartaient gaiement au lycée. Un matin, des garçons en moto leur ont coupé le chemin. Ils ont soulevé leurs voiles. Avec des pistolets à eau, comme pour jouer, ils ont arrosé leurs visages. Alam griffe la purée de sa fourchette. Il soupçonne avec effroi un vague lien entre son assiette et les dérives de son esprit. Les belles jeunes filles, il les imagine tête nue, les cheveux brûlés, la face sanguinolente et déformée comme un derrière de singe. Le vitriol efface d’un coup la rosée miraculeuse des visages. Il n’y a plus personne dans la maison du souvenir… »
Alam est en fait l’Évanoui (Alam le Borgne est son frère aîné) ; il a vécu au village de montagne, puis en ville.
« Sa vie jusque-là s’était partagée entre les maigres pâtures, les champs de pavots et son village à l’aspect de ruines exhumées ; tant que les insurgés se terraient dans leurs repaires, l’appel du muezzin et la traite des brebis suffisaient à rythmer les jours. »
Parvenu en France, il s’évade du Camir dans Paris, et côtoie les divers sans-abris et migrants.
« On part découragé, en lâche ou en héros, dans l’illusion d’une autre vie, mais il n’y a pas d’issue. L’exil est une prison. »
Une belle description des ruines urbaines de la zone des Vignes où se réfugient les marginaux, souvent délinquants.
« Une glaciale impression de déshérence s’étend sur cette zone où le piéton ne s’aventure qu’une fois fourvoyé, croyant couper les distances entre le canal de l’Ourcq, les gares à jamais hantées de Drancy et de Bobigny, et l’immense champ de morts de Pantin où les allées ont des noms d’arbre. Nulle part, serait-ce dans les pires îlots de La Courneuve ou de Clichy, la solitude n’arbore un tel aspect de coupe-gorge sans issue. »
Retour sur son enfance (récit alterné entre l’Afghanistan et la France, ses passé et présent), qui a lieu après la première prise de pouvoir des talibans.
Son frère ainé a rejoint le Djihad ; l’Évanoui le retrouvera par hasard, deviendra enfant-soldat, et le tuera comme on l’en enjoint car il aurait trahi, et parce qu’il lui apprend être de ceux qui ont vitriolé Malalaï, sa voisine qui fréquentait l’école et son seul rayon de bonheur.
« On égorgeait et massacrait sans haine, comme les moutons de l’Aïd el-Kebir, par sacrifice de soumission à la loi. Dieu se chargeait de remplacer les fils des hommes morts à la guerre par des béliers et des chèvres couchés sur le flanc gauche aux portes du paradis, dans la gloire de l’au-delà. »
Les talibans ont entraîné l’Évanoui au combat et au martyre.
« Ce dernier était plutôt disposé au sacrifice. Lorsque les balles remplacent les mots, l’instinct de vie s’étiole avec l’espérance. Le spectacle continu des corps en souffrance, des amputés, des exécutés pour l’exemple tourne vite à la farce. »
« Rien n’échappe à la violence ; le monde n’existe plus. On égorge l’agneau et l’enfant d’un même geste. Dès qu’une femme rit trop fort ou danse avec un autre, on l’attache et l’assomme de pierres aiguës. Chaque homme est trahi par son ombre. Une hallucination guide des somnambules aux mains sanglantes d’un cœur arraché à l’autre. »
Gravement blessé, l’Évanoui a été pris en charge par la coalition occidentale et le Croissant rouge dans un camp de réfugiés dont il s’enfuit. Au terme d’un périple via l’Iran, la Turquie puis la Bulgarie ou la Macédoine et l’Italie, il atteint Paris où il est plus ou moins recueilli par Yuko le Kosovar, caïd des trafics de drogue et d’armes du squat, qui le protège plus ou moins, ainsi que Poppy la junkie.
Rendu saisissant de l’existence de réfugiés en France, et dans leur pays d’origine, ainsi que d’une jeunesse "perdue".
\Mots-clés : #contemporain #enfance #exil #guerre #immigration #jeunesse #social #terrorisme #traditions #xxesiecle
- le Lun 5 Fév - 10:19
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Martin Walser
RessacHelmut Halm est convié pour quatre mois comme professeur d’allemand en Californie par son ami, le « géant » Rainer Mersjohann, poète et chairman à la Washington University d’Oakland (ils ne se sont pas vus depuis leurs études).
On vient de diagnostiquer un cancer incurable à la mère de sa femme, Sabine.
« Ou bien le visage de Sabine avait rétréci, ou bien ses yeux s’étaient agrandis. Son visage s’était arrêté comme une montre. »
Helmut et Sabine partent pour Berkeley avec une de leurs filles, Lena, qui émerge à peine d’un échec sentimental. Helmut est enthousiasmé par la clarté, le climat, le paysage, la société, le campus (et une de ses étudiantes, Fran). Son monologue dialogué avec lui-même tient la plus grande part du livre.
« Il y avait à présent partout des étudiants allongés dans la verdure, on aurait dit des statues. Quand, ayant brouté des heures d’affilée, les vaches s’installent pour ruminer, elles ressemblent à ces entassements de divinités. Tranquillité méridienne du campus, rendue plus profonde encore par les cloches sonnant au campanile. »
« Il regardait aussi longtemps que possible chacun des êtres qu’il rencontrait. »
Helmut se baigne dans l’océan, et se fait drosser par une déferlante (le ressac est terme qui revient fréquemment, de même que les références aux couples avec une grande différence d’âge entre les partenaires, et les miroirs où il n’aime pas se voir).
« Le bord de la falaise n’était marqué ni par des grillages ni par des panneaux, mais par le museau des voitures. Les gens étaient installés derrière les vitres, une boîte de fer-blanc à la main, et ils regardaient cet océan et buvaient le contenu de leur boîte. Et, comme ils restaient tous dans leur voiture pour admirer le Pacifique, on avait l’impression que les voitures, elles aussi, admiraient l’océan. Halm se rendait compte que son saisissement était plus lié au spectacle de ces gens contemplant l’océan qu’à celui de l’océan lui-même. Sabine ne quitta pas la chaussée, ne s’arrêta pas avec la Volvo à un ou deux mètres de l’abîme. Ils descendirent, s’avancèrent jusqu’au bord, regardèrent l’océan et les spectateurs. Les gens assis dans les voitures ne regardaient que l’océan. Voilà les vrais dévots, songea Halm. »
Rainer se révèle peu à peu alcoolique et teinté de paranoïa, en conflit avec son épouse Elissa ; il travaille à « La Compréhension des textes de Schubert ». Helmut (qui s’est vu refuser son ouvrage sur Nietzsche, et se penche dorénavant sur Heine), a régulièrement affaire à sa secrétaire, Carol, qui semble bien renseignée sur lui (elle est l’épouse de Kirk Elrod, romancier auteur d’Inspiration Inn, dont un résumé nous est donné).
Sabine doit retourner en Allemagne au chevet de son père, Lena se consacre entièrement à sa nouvelle amie, Elissa. Helmut est toujours plus poursuivi par Fran que l’inverse, et pourtant une rumeur de harcèlement le concerne bientôt), si bien qu’on se demande jusqu’à quel point il n’est pas victime d’un fantasme amoureux sans réciprocité ; parallèlement, il joue quotidiennement avec une petite chatte sauvage qu’il amadoue peu à peu. Rainer se suicide, qui forçait sa femme à des confidences sur ses expériences extraconjugales, et apparemment voulait la tuer, dans son sentiment de justice… Helmut danse avec Fran, ils tombent et se blessent. Il rentre comme convenu en Allemagne avec Lena. Une lettre de Carol lui apprend que Fran est morte, tombée d’une falaise dans le ressac. Son vieux chien Otto est tué par une voiture, il commence à se confier à Sabine.
« Trop ou trop peu citer, ou être cité — voilà à quoi se résume la vie intellectuelle. »
« Collecter des phrases de Heine. Pendant des semaines, uniquement collecter des phrases qui te fassent de l’effet. Puis relire sans cesse les phrases collectées, jusqu’au moment où tu devineras pourquoi ce sont justement ces phrases qui t’ont impressionné. Tout ce qu’il pouvait espérer, c’est que le titre, qu’il avait déjà dû communiquer à Rainer au téléphone, pourrait convenir. L'Émigration comme émancipation. »
« Il n’avait encore jamais pensé à la mort aussi nettement que maintenant, en ce moment précis. L’espace d’un instant, il lui avait été donné d’exacerber l’image de la mort. Le mouvement qui l’entraînait vers le bas avait été vraiment sensible. Plus sensible que jamais auparavant. Avant de contenir fût-ce une idée minime de ce qui se passera en réalité, il faut que cette image de la mort devienne des milliards de fois plus nette, plus violente, plus brutale. Il est impossible de s’en faire une image qui corresponde à la réalité. C’est la protection, la belle protection. L’effroi déclenché par l’extrême netteté de cette image de mouvement radical et impitoyable nous entraînant vers le bas demeurait un doux effroi. Avec la violence réelle, aucun dialogue ne sera plus possible. Il espère bien qu’il ne criera pas. Silencieuse, propre, rapide, voilà comment devrait être sa mort. Il dut détourner ses pensées de cette vision. Il fallait éviter de songer à l’instant infiniment long durant lequel le ressac l’avait roulé lui-même. Maintenant, il avait l’impression d’être paralysé, mais guéri. C’était fini. Trente ans. Il suffisait d’imaginer la chose une seule fois, et tout cessait, on était sauvé. »
« Depuis cette nuit-là, il était obsédé par l’idée que durant un acte S. non destiné à la reproduction, on n’était ni plus ni moins qu’un hamster sur son rouleau. On bougeait uniquement parce qu’il fallait faire quelque chose à quoi la nature attachait de l’importance. Mais, pour nous obliger à le faire réellement, tout est parfaitement bien organisé : les choses se passent comme si, au lieu de répondre à quelque mission, chacun obéissait à sa propre volonté. Comme si l’on ne souhaitait rien tant que cela. Comme s’il n’était rien qui nous fasse plus plaisir. Et l’on n’est cependant jamais qu’un fonctionnaire chargé de réaliser le programme. Halm avait l’impression de s’être fait posséder. Et tout ce méli-mélo de l’amour ! «... tel avalé, l’appât, exprès tendu pour mettre en rage qui l’a pris... ». Je voudrais bien qu’on m’explique en quoi l’esbroufe de l’acte S. se distingue de l’esbroufe d’un concours de tir. On fait des cartons en faisant semblant de croire qu’on tire sur des ours. »
« Le mieux à faire serait toujours de partir vers d’autres langues. En même temps que les mots pour le dire, on laisse le pire derrière soi. Il existe tant de langues. »
« [Le hameau de] Faulkner. C’était, dit-il, le livre qu’il lisait avec le plus de plaisir, sans le comprendre. Mais il reconnaissait que sans cesse, le besoin de comprendre revenait s’imposer. C’est qu’on a de la curiosité. »
J’ai été séduit par le style cursif, rempli d’ellipses et de raccourcis, fort musical, d’ailleurs noté (« presto agitato », etc.), composition qui va crescendo et decrescendo (le roman culmine ainsi dans une soirée de cartes entre hommes, où les « durs » se lâchent en buvant force « pisse d’étudiant », s’injurient et profèrent toutes les obscénités qu’ils ne peuvent employer en public).
Ce roman est une reprise du thème (couru) du professeur qui tombe amoureux d’une élève, également de ceux du milieu universitaire et de la confrontation Ancien et Nouveau Monde, revisités dans le flot des pensées du personnage principal.
\Mots-clés : #exil #social #xxesiecle
- le Ven 19 Jan - 12:06
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Ian McEwan
L'Enfant voléAngleterre, juste avant 1987 (date de parution du livre) : Kate, la fille de trois ans de Stephen Lewis, auteur à succès de livres pour enfants, est mystérieusement enlevée comme ils faisaient des courses. La dévastation du couple qu’il formait avec Julie est excellemment rendue.
« Il était père d’un enfant invisible. »
Charles Darke, son éditeur devenu un ami, s’est lancé dans la politique après une brillante carrière dans les affaires, choisissant cyniquement la droite au pouvoir.
Stephen rêvasse pendant les séances d’un comité gouvernemental en charge de la préparation d’un manuel de pédagogie (qui s’avèrera avoir écrit d’avance par les services du Premier ministre). Il voit en hallucination ses parents venus à bicyclette dans un pub avant sa naissance. Il leur rend visite, réchappe d’un accident de la circulation, répond à l’invitation de Charles et Thelma, son épouse enseignante en physique quantique, qui ont quitté la vie publique pour se retirer à la campagne (lui semble retombé en enfance). Puis Stephen retourne au whisky et aux émissions télévisées. Enfin il sort de sa catatonie et reprend des activités. Le Premier ministre l’invite, l’interroge sur Charles.
Charles, qui a rédigé le manuel pour ce dernier qui le désire, se laisse mourir de froid, déchiré entre son désir d’enfance et son existence sociale ambitieuse.
Stephen retrouve Julie qui, trois ans après la disparition de Kate, donne vie à un nouvel enfant.
« Tout l’art d’un mauvais gouvernement consistait à rompre le lien entre la politique adoptée dans le domaine public et le sens profond et instinctif de bonté et d’équité de l’individu. »
« Tous ces esprits prometteurs, cultivés, brûlants d’enthousiasme, après des études de littérature anglaise qui avaient inspiré leurs brefs slogans – L’énergie est une joie perpétuelle, à bas les contraintes, vive les étreintes –, tous avaient déferlé des bibliothèques au tournant des années soixante-dix, fermement résolus à entreprendre des voyages intérieurs, ou des voyages vers l’Orient dans des cars bariolés. Une fois le monde devenu moins vaste et plus sérieux, ils étaient rentrés au pays afin de se mettre au service de l’Éducation, carrière qui avait à présent perdu son envergure et son attrait ; les écoles étaient mises en vente sur le marché de l’investissement privé, et l’âge de scolarité obligatoire allait bientôt être abaissé. »
« Il donnait l’impression d’être raisonnable et tout à fait concerné, tout en préconisant la nécessité de laisser les pauvres se débrouiller tout seuls et d’encourager les riches. »
« Une minorité perturbatrice de l’humanité considérait tout voyage, aussi bref soit-il, comme l’occasion de faire de plaisantes rencontres. Il se trouvait des gens prêts à infliger des détails intimes à de parfaits inconnus. Des gens à éviter si vous faisiez partie de la majorité de ceux pour qui un voyage offre une opportunité de silence, de réflexion, de rêve. »
« Ils faisaient face à deux possibilités, de poids égal, en équilibre sur un pivot affilé. Dès l’instant où ils pencheraient en faveur de l’une, l’autre, tout en continuant à exister, disparaîtrait à tout jamais. Il pourrait se lever maintenant, et passer devant elle pour se rendre à la salle de bains en lui adressant un sourire plein d’affection. Il s’y enfermerait, sauvegardant son indépendance et sa fierté. Elle l’attendrait en bas, et ils reprendraient le fil de leur conversation prudente jusqu’à ce qu’il fût temps qu’il traverse le champ pour reprendre le train. Ou alors, il fallait risquer quelque chose, il voyait se déployer devant lui une vie différente dans laquelle son propre malheur pouvait redoubler ou disparaître. »
« Et il n’y avait pas de terrain plus propice aux spéculations péremptoirement maquillées en véritables faits que celui de l’éducation des enfants. »
Ce roman brillamment écrit part un peu dans tous les sens, mais vaut pour son regard sur la société (celle aussi des mendiants badgés), la politique (notamment thatchérienne) et même la science (surtout par rapport au temps), aussi par la psychologie des personnages (et l’humour de l’auteur).
\Mots-clés : #culpabilité #education #politique #psychologique #relationdecouple #social #xxesiecle
- le Mer 17 Jan - 11:23
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- Sujet: Ian McEwan
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Louise Erdrich
Love MedicineComme dans tout roman choral, il est difficile au lecteur de mémoriser les nombreux personnages (et ce malgré la présence d’une sorte d’arbre généalogique assez peu clair) – et encore plus difficile d’en rendre compte. De plus, il y a deux Nector, deux King, deux Henry… Mais ce mixte chaotique et profus d’enfants et de liaisons de parenté (avec ou sans mariage, catholique ou pas) est certainement volontaire chez Louise Erdrich.
À travers les interactions des membres de deux (ou trois) familles ayant des racines remontant jusqu’à six générations, c’est l’existence des Indiens de nos jours dans une réserve du Dakota du Nord qui est exposée, avec les drames de l’alcoolisme, du chômage, de la misère, de la prison, de la guerre du Vietnam, du désarroi entre Dieu, le Très-bas et les Manitous (Marie Lazarre Kashpaw) et la pure superstition (Lipsha Morrissey). C’est également une grande diversité d’attitudes individuelles, épisodes marquants de la vie des personnages présentés par eux-mêmes (tout en restant profondément rattachés à leurs histoires familiales et tribales). "Galerie de portraits hauts en couleur", ce poncif caractérise pourtant excellemment cette "fresque pittoresque"…
Ainsi, Moses Pillager, qui était nourrisson lors d’une épidémie :
« Ne voulant pas perdre son fils, elle décida de tromper les esprits en prétendant que Moses était déjà mort, un fantôme. Elle chanta son chant funèbre, bâtit sa tombe, déposa sur le sol la nourriture destinée aux esprits, lui enfila ses habits à l’envers. Sa famille parlait par-dessus sa tête. Personne ne prononçait jamais son vrai nom. Personne ne le voyait. Il était invisible, et il survécut. »
Moses devint windigo, se retira seul sur une île avec des chats, portant toujours ses habits à l’envers et marchant à reculons…
La joyeuse et vorace Lulu Nanapush Lamartine, qu’on pourrait désigner comme une femme facile, qui fait entrer « la beauté du monde » en elle avec constance et élève une ribambelle d’enfants, forme comme un pendant de Marie, opposition en miroir, et ces deux fortes personnalités font une image des femmes globalement plus puissante que celle des hommes.
« Elle déplia une courtepointe coupée et cousue dans des vêtements de laine trop déchirés pour être raccommodés. Chaque carré était maintenu en place avec un bout de fil noué. La courtepointe était marron, jaune moutarde, de tous les tons de vert. En la regardant, Marie reconnut le premier manteau qu’elle avait acheté à Gordie, une tache pâle, gris dur, et la couverture qu’il avait rapportée de l’armée. Il y avait l’écossais de la veste de son mari. Une grosse chemise. Une couverture de bébé à demi réduite en dentelle par les mites. Deux vieilles jambes de pantalon bleues. »
La situation tragique d’un peuple vaincu et en voie de déculturation reste bien sûr le thème nodal de ces destins croisés.
« Pour commencer, ils vous donnaient des terres qui ne valaient rien et puis ils vous les retiraient de sous les pieds. Ils vous prenaient vos gosses et leur fourraient la langue anglaise dans la bouche. Ils envoyaient votre frère en enfer, et vous le réexpédiaient totalement frit. Ils vous vendaient de la gnôle en échange de fourrures, et puis vous disaient de ne pas picoler. »
Dès ce premier roman, Louise Erdrich maîtrise l’art de la narration, tant en composition que dans le style, riche d’aperçus métaphoriques comme descriptifs. La traduction m’a paru bancale par endroits.
\Mots-clés : #amérindiens #discrimination #famille #identite #minoriteethnique #relationenfantparent #romanchoral #ruralité #social #temoignage #traditions #xxesiecle
- le Mer 20 Sep - 12:12
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Jean Baret
BonheurToshiba et Walmart (nommés d’après leurs sponsors) sont « chasseurs d’idées » dans la police au XXIIIe siècle. La consommation est obligatoire, et la publicité omniprésente, comme les IA, algorithmes et hologrammes.
« Toshiba entre dans sa Pontiac et roule vers la Zone Urbaine 1, traversant une forêt d’hologrammes publicitaires d’une densité qui l’étouffe. Il n’a jamais réalisé à quel point il est entouré d’hologrammes. Il y en a des grands, des petits, des bruyants, des silencieux, des colorés, des noir et blanc, des grotesques, des sérieux, des interactifs, des agressifs, il y en a au niveau du sol, sur les murs des tours, dans le ciel, en haut, en bas, sur les côtés, des mobiles qui suivent son véhicule, des fixes qu’il traverse comme des fantômes, des effrayants, des émouvants, des intriguants, et tous tentent d’attirer son attention, de capter son temps de cerveau disponible. »
« Les panneaux surplombant les façades des magasins ouverts jour et nuit clignotent agressivement pour attirer le chaland. Il y a des panneaux rédigés dans sa langue, mais aussi en mandarin, en arabe, en russe, en latin, en grec, en uzbek, en runes nordiques, en farsi, en hébreu, en sumérien, en puxian, et il se dit que la tour de Babel s’est effondrée et qu’ils vivent dans ses ruines. »
« – Ben, le fait que travailler est nécessaire pour qu’on ait un pouvoir d’achat suffisant, mais que travailler ne nous laisse pas assez de temps pour consommer !
– Ah… Ouais en effet… Tout est une question d’équilibre. Consommer, c’est aussi donner du travail aux autres. Te faire plaisir en t’achetant tout ce que tu veux, c’est la garantie d’un taux de chômage faible. »
« Tous s’accordent à dire que la pauvreté n’est pas une fatalité, ni un bug du système, mais, au contraire, fait partie dudit système, et que l’ingéniosité sans limite de l’économie permet d’envisager une infinité de moyens de monétiser cette couche de la population. »
La société est fort diversifiée (et à la limite monstrueuse).
« Il y en a des grands, des petits, des jeunes, des vieux, des transhumains, des furry [humains transformés en animaux], des punks, des goths, des grunges, des zazous, des dandys, des homosexuels, des bisexuels, des transexuels, des cyborgs, des hommes d’affaires, des directeurs d’entreprise, des employés, des putes, des gigolos [… »
Il y aussi les surhumains, les bioroïdes [« clones de génies des siècles passés ou de ceux qui sont modifiés génétiquement dès la naissance »], les mutants, les Moreau [« formes de vie animales ayant été élevées à un niveau de conscience humaine par des modifications génétiques et des prothèses cybernétiques », en référence au roman de H. G. Wells], etc. L’emploi fréquent de listes accumulatives rend habilement compte de la pluralité des modes d’identités, mais aussi de la saturation émotive due à la pub et aux informations incessantes qui captent tout le temps de cerveau disponible. Cette société est encore noyée dans la routine (rendue par les répétitions dans l’emploi du temps quotidien des personnages) du travail productif et des loisirs (surtout des achats aussi pulsionnels qu’obligatoires), se conformant sans cesse aux injonctions au bonheur individuel, qui est considéré comme un droit.
Toshiba a un robot pour épouse (ou plutôt esclave, surtout sexuel).
« Il finit le questionnaire en se couchant. Il prend ses antidépresseurs, mais se sent déjà soulagé à l’idée que, dès demain, Silvia [son nouvel algorithme de gestion de vie] prendra le relais et répondra à tous les messages en souffrance [sur FaceHub]. Hal-Bert [son assistant personnel] est chargé de surveiller les messages entrants pour le prévenir directement en cas d’urgence extrême.
Il fait brutalement l’amour à sa femme, achète quelques produits, et se dit que Silvia pourrait aussi être programmée pour faire des achats à sa place, ce qui lui éviterait cette corvée. Il a envie de pleurer sans savoir pourquoi. Ses amis — ou peut-être les assistants personnels de ses amis — ne sauront jamais que ce n’est pas lui qui répond. Sa vie sociale va s’enrichir, elle va même, pour ainsi dire, se poursuivre sans lui, il pourrait bien ne plus jamais revoir personne sans que cela n’ait de conséquences pour les gens qui l’aiment. Alors, pourquoi pleurer ?
Son épouse tente de le réconforter, mais il préfère la gifler pour se soulager. Il la frappe sans retenue. Elle crie, mais ce soir il n’est pas d’humeur, alors il s’interrompt, la reprogramme rapidement pour qu’elle se taise, et reprend son tabassage en règle jusqu’à l’épuisement. Il s’endort dans ses bras, tandis que le visage en plastique de son épouse reprend lentement sa forme d’origine. »
Tout est monétisé : par exemple, Toshiba parie sur les résultats des conflits armés ; mais le spree killing (tuerie à la chaîne) est difficile à rentabiliser :
« Tandis que Minute Girl [présentatrice du talk show permanent dans les ascenseurs, où s’expriment des experts aux avis contradictoires] recueille les propos tout aussi décousus d’un copain de lycée du tueur, un spécialiste reconnaît que ces tueries adolescentes posent un vrai problème social, dans la mesure où personne n’a réussi à trouver comment monétiser ce mouvement. Il se félicite de ce que, heureusement, les paris, qui sont depuis longtemps libéralisés, permettent au moins aux citoyens de faire circuler quelques crédits en misant sur le nombre de victimes de la prochaine tuerie, le lieu où elle se déroulera, le profil du tueur, etc… Mais ça n’est pas suffisant. »
La violence est prégnante dans ce que l’"information" en continu présente, mais aussi dans la vie courante.
« Avec son bol d’insectes Weetabix, il [Toshiba] avale des antidépresseurs, des nooleptiques, des thymoleptiques, des régulateurs de l’humeur, des sédatifs, des antiépileptiques, des psychoanaleptiques, des nooanaleptiques, des thymoanaleptiques, de la dopamine, de la sérotonine, de l’endorphine, de l’ocytocine, de l’œstrogène et de la progestérone. »
Toshiba décède discrètement d’une surdose médicamenteuse, et est remplacé par un autre Toshiba.
Walmart est un surhumain bodybuilder qui s’administre quantité de pilules et d’injections pour doper son organisme (et aussi beaucoup d’alcool). Son enquête sur un Netrunner aboutit à un hub révolutionnaire où circulent des réflexions du philosophe Dany-Robert Dufour (ou plutôt sa pensée synthétisée par un émulateur), qui dénonce la nouvelle religion du Marché néolibéral.
« Les Netrunners vivent dans une surcouche sociétale dénommée Noosphère. Cette dernière est un agglomérat gigantesque d’open worlds persistants thématiques dans lesquels les Netrunners se retrouvent. […]
Ils se prétendent l’avenir de la société et considèrent les flatscans [terme péjoratif qui désigne chez les Netrunners tous ceux qui n’en sont pas] comme des reliques archaïques de l’ancien monde, celui des néotènes [ceux « à qui il manque quelque chose à la naissance »], celui où le corps, même sublimé par la technologie, est toujours une insupportable limitation à la toute-puissance de la volonté humaine. »
« Aujourd’hui, nous ne pensons plus, nous dépensons. Or, l’accroissement infini des services et des biens permis par les sciences a fini par rencontrer la finitude du monde, ce qui pose la question de la fin du monde. »
Dany-Robert Dufour vante dans une postface la « transposition visuelle » de ses thèses par Jean Baret (qui se revendique du « courant de l’anticipation sociale dont les deux maîtres étaient les Américains Brett Easton Ellis et Chuck Palahniuk, auteurs de dystopies contemporaines ou futures marquantes »). Il explicite aussi la notion de pléonexie, « (du grec pleon « plus » et de echein « avoir »), qui signifie le fait d’avoir plus, de vouloir-avoir-toujours-plus, et qui est victime dans notre civilisation d’húbris, c’est-à-dire de démesure.
« Puisque Bonheur nous fait passer à l’autre bout de l’histoire occidentale, à la flèche du temps, comme dit Jean Baret, où l’on s’est affranchis de cette prohibition, on y sent une lourde menace peser partout. Celle du châtiment, à la fois imminent et constamment différé, qui attend ces êtres post-beckettiens, libres et abandonnés de Dieu, en somme laissés à eux-mêmes et sans limite — nous —, essayant sans cesse, grâce aux technologies d’« augmentation » promises par les prothèses numériques, génétiques et chimiques, de sortir de leur condition d’homme, de femme, de mortel, d’assigné à résidence dans le temps et l’espace… »
J’ai aussi pensé à Aldous Huxley, George Orwell, Ray Bradbury, Margaret Atwood et Philip K. Dick à la lecture de ce roman d'anticipation dystopique, à l’inventivité singulière et à l’écriture congrue, qui pousse à son extrême le libéralisme de notre modèle socio-économique actuel.
\Mots-clés : #identite #romananticipation #satirique #social
- le Mar 12 Sep - 11:19
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- Sujet: Jean Baret
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David Lodge
Nouvelles du paradisBernard Walsh, prêtre défroqué et théologien (et aussi le narrateur, notamment lorsqu’il tient un journal, mais pas toujours), emmène son père de Rummidge (le Birmingham de Lodge – à rapprocher de celui de Coe ?) à Honolulu pour y rencontrer Ursula, la sœur de son père, avec qui ce dernier est en froid depuis son départ aux USA, suite à son mariage avec un GI : elle se meurt d’un cancer. À peine arrivés, « papa », individu assez pénible par ailleurs, se casse la hanche, renversé par la voiture de Yolande Miller alors qu’il traversait en regardant à gauche (travers britannique).
C’est l’occasion d’observer les voyages en avion (livre paru en 1991, et ça ne s’est pas amélioré) et le tourisme (là aussi c’est devenu pire), vu comme un rituel remplaçant la religion dans la quête du paradis selon Roger Sheldrake, un anthropologue qui se rend aux îles Hawaï afin de poursuivre ses recherches. C’est de nouveau Un tout petit monde, le microcosme des clients de Travelwise Tours à Waikiki (une jolie collection de personnages vus avec un œil satirique, comme la fille qui cherche tout au long de ses vacances « le Mec Bien »). Il y a aussi un point de vue anglais sur le système américain (carence des assurances sociales pour ceux qui n’ont pas beaucoup d’argent, pratique répandue des poursuites en justice par cupidité).
« Les Américains ont l’air d’adorer manger en marchant, comme les troupeaux qui pâturent. »
C’est encore l’opportunité de parler de ces îles loin de tout.
« Le paradis est ennuyeux, mais vous n’avez pas le droit de le dire. »
« L’histoire d’Hawaii est l’histoire d’une perte.
— Le paradis perdu ? ai-je demandé.
— Le paradis volé. Le paradis violé. Le paradis pourri. Le paradis acheté, développé, mis en paquets, le paradis vendu. »
« Les visiteurs défilaient le long des avenues Kalakaua et Kuhio en un va-et-vient incessant avec leurs T-shirts fantaisie, leurs bermudas et leurs petites poches de marsupiaux ; le soleil brillait et les palmiers se balançaient au gré des alizés, les notes nasillardes des guitares hawaiiennes s’échappaient des boutiques, et les visages avaient l’air assez sereins, mais, dans les yeux de chacun, on semblait lire cette question à demi formulée : bon, tout cela est charmant, mais c’est tout ce qu’il y a ? C’est vraiment tout ? »
Il est surtout question d’aborder la foi (et sa perte).
« On cesse de croire à une idée qui nous est chère bien avant de l’admettre au fond de soi. Certains ne l’admettent jamais. »
« Point n’est besoin d’aller très loin dans la philosophie de la religion pour découvrir qu’il est impossible de prouver qu’une proposition religieuse est juste ou fausse. Pour les rationalistes, les matérialistes, les positivistes, etc., c’est une raison suffisante pour refuser de considérer sérieusement le sujet dans sa totalité. Mais pour les croyants, un Dieu dont il n’est pas possible de prouver l’existence vaut bien un Dieu dont l’existence est avérée et vaut manifestement mieux que l’absence totale de Dieu, puisque sans Dieu il n’y a aucune réponse satisfaisante aux sempiternels problèmes du mal, du malheur, de la mort. La circularité du discours théologique qui utilise la révélation pour appréhender un Dieu dont on ne dispose d’aucune preuve de l’existence en dehors de la révélation (que Saint-Thomas d’Aquin repose en paix !) ne dérange pas le croyant, car le fait de croire n’entre pas en ligne de compte dans le jeu théologique, c’est l’arène dans laquelle se joue le jeu théologique. »
« La Bonne Nouvelle est celle qui annonce la vie éternelle, le paradis. Pour mes paroissiens, j’étais une sorte d’agent de voyages qui distribuait des billets, des contrats d’assurances, des brochures et leur garantissait le bonheur ultime. »
Le point de vue de Bernard permet à Lodge de présenter l’évolution au sein du christianisme, qui abandonne la croyance en la vie éternelle au paradis (ou en enfer) pour laisser la place à une sorte d’humanisme sur terre.
« Bien sûr, il y a encore beaucoup de chrétiens qui croient avec ferveur, même avec fanatisme, en un au-delà anthropomorphique, et il y en a encore beaucoup d’autres qui aimeraient y croire. Et il ne manque pas de pasteurs chrétiens pour les encourager dans ce sens avec chaleur, parfois avec sincérité, parfois aussi, comme les télévangélistes américains, pour des motifs plus douteux. Le fondamentalisme a profité précisément pour se développer du scepticisme eschatologique que véhiculait la théologie instituée, si bien que les formes du christianisme qui sont de nos jours les plus actives et les plus populaires sont aussi les plus indigentes sur le plan intellectuel. Cela semble être vrai pour d’autres grandes religions du monde. »
Ce roman mêle donc des aspects sociologique, géographique, historique, religieux, métaphysique, tout cela relevé d’humour et d'intertextualité (renvois notamment à des artistes anglais, comme W.B. Yeats).
\Mots-clés : #contemporain #fratrie #lieu #relationenfantparent #religion #social #spiritualité #voyage #xxesiecle
- le Mer 30 Aoû - 15:59
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Jonathan Coe
Le Cœur de l'AngleterreTroisième et dernier tome de la trilogie Les Enfants de Longbridge (paru bien après Bienvenue au club et Le Cercle fermé), sur la famille Trotter dans la seconde moitié du XXe, et ici au début du XXIe.
2010, le racisme est patent sous le couvert de la société multiculturelle épanouie. Août 2011 : émeutes et pillages de jeunes (la fracture est aussi générationnelle).
« On apercevait bien quelques émeutiers blancs et quelques policiers noirs, mais le face-à-face donnait l’impression écrasante d’un conflit racial. »
Le gouvernement considère qu’il s’agit de « débordements criminels, pas politiques ».
« Mais regardez plutôt comment ça a commencé. La police a abattu un Noir et refusé de communiquer avec sa famille sur les circonstances de sa mort. Une foule s’est rassemblée devant le commissariat pour protester et les choses ont tourné à l’aigre. Ce qui est en cause c’est le problème racial et les relations de pouvoir au sein de la communauté. Les gens se sentent victimes. On ne les écoute pas. »
Comme de coutume dans cette trilogie, Coe nous entraîne dans les arcanes de la politique (notamment grâce à Doug, journaliste positionné à gauche, qui semble porter l’opinion de Coe) ; mais on aborde aussi, avec le personnage de Sophie, le milieu universitaire, « cette manie de se polariser sur un sujet jusqu’à l’obsession en ignorant superbement le reste du monde », et celui de l’édition avec Philip et Benjamin.
Après la crise de 2008, David Cameron mène une politique d’austérité, et initie le référendum qui conduira au Brexit ; il recourt au nationalisme, mais la peur de l’immigration est prépondérante ; la désindustrialisation est passée par là. Et arrive Boris Johnson…
« Pourquoi est-ce que les journalistes aiment tant les questions hypothétiques ? Et qu’est-ce qui se passe si vous perdez ? Et qu’est-ce qui se passe si on quitte l’UE ? Qu’est-ce qui se passe si Donald Trump est élu président ? Vous vivez dans un monde imaginaire, vous autres. »
« Les gens vont voter comme ils votent toujours, c’est-à-dire avec leurs tripes. Cette campagne va se gagner avec des slogans, des accroches, à l’instinct et à l’émotion. Sans parler des préjugés [… »
Entretemps, Benjamin connaît un certain succès avec la publication du roman extrait de son énorme manuscrit, roman qui reprend son histoire avec Cicely (qui est partie seule en Australie soigner sa sclérose en plaques).
Côté social, le politiquement correct est présenté comme la cible de conservateurs âgés que rebutent la société multiculturelle ; en contrepoint est présenté le cas de Sophie, suspendue (et jetée en pâture aux réseaux sociaux) car (injustement) accusée de discrimination genrée par Coriandre, l’hargneuse fille de Doug.
Les retrouvailles de Benjamin et Charlie Chappell, clown pour goûters d’enfants en conflit avec son rival Duncan Field, sont l’occasion pour Coe de réitérer sa conception du destin :
« Benjamin comprenait qu’il voyait la vie comme une succession d’aléas qu’on ne pouvait ni prévenir ni maîtriser, si bien qu’il ne restait plus qu’à les accepter et tâcher d’en tirer parti autant que faire se pouvait. C’était une saine conception des choses mais qu’il n’avait jamais réussi à faire tout à fait sienne, pour sa part. »
C’est surtout la nostalgie et la désillusion qui percent dans cet après-Brexit, marqué par un exil en Europe pour quelques Trotter cherchant à échapper au passé.
\Mots-clés : #contemporain #famille #historique #nostalgie #politique #relationenfantparent #romanchoral #social #xxesiecle
- le Ven 25 Aoû - 17:27
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Philip Roth
IndignationÉtudiant pendant la guerre de Corée, le narrateur, Marcus Messner, a du mal à tenir à distance son père, un boucher kasher qui s’inquiète pour lui alors qu’il est sage et bûcheur : il quitte Newark pour l’Ohio. Motivé pour quitter la boucherie, il l’est aussi par le spectre de la conscription.
Il a dix-huit ans, et mourra à dix-neuf ; pour le moment, il découvre le sexe :
« Même maintenant (si « maintenant » peut encore vouloir dire quelque chose), au-delà de l’existence corporelle, vivant comme je le suis ici (si « ici » ou « je » veulent dire quelque chose), n’étant rien d’autre que mémoire (si « mémoire », à proprement parler, est ce milieu qui englobe tout et d’où mon « moi » tire sa subsistance), je continue à m’interroger sur les actions d’Olivia. Est-ce à cela que ça sert, l’éternité, à ruminer les menus détails de toute une vie ? Qui aurait pu imaginer qu’il faudrait se souvenir à jamais de chaque moment de sa vie jusque dans les moindres particularités ? Ou se peut-il que ce soit seulement le cas pour cette vie dans l’au-delà qui est la mienne, et que, tout comme chaque vie est unique, chaque vie dans l’au-delà le soit également, chacune étant comme l’empreinte digitale impérissable d’une vie dans l’au-delà différente de toutes les autres ? Je n’ai aucun moyen de le dire. Comme dans la vie, je connais seulement ce qui est et, dans la mort, ce qui est équivaut à ce qui fut. »
Olivia, de parents divorcés, a déjà tenté de se suicider, et paraît instable. Sans surprise, Roth dépeint sans fard le désarroi libidinal des jeunes gens soumis à la continence.
Juif athée, il est indigné par les sermons chrétiens assénés d’office « au cœur de l’Amérique profonde » (le Middle West, très traditionnel). Il est recadré par le doyen (intégriste) pour son manque d’intégration (lors d’un entretien où il cite Bertrand Russell).
Son père, de plus en plus catastrophiste (voire paranoïaque), est devenu irascible, et sa mère veut divorcer ; mais cette femme forte revient sur sa décision, si Marcus renonce à Olivia.
Rapprochement de l’abattage kasher des poulets et de la tentative de suicide d’Olivia :
« Ce que je veux dire, c’est ceci : que c’est cela qu’Olivia avait cherché à faire, se tuer selon les prescriptions kasher, en se vidant de son sang. Si elle avait réussi, si elle avait habilement mené sa tâche à bien d’un seul coup tranchant de la lame, elle se serait rendue kasher conformément à la loi rabbinique. La cicatrice révélatrice d’Olivia venait de sa tentative de meurtre rituel appliqué à elle-même. »
Olivia s’en va, victime de dépression ; Marcus, qui avait accepté d’être subrepticement remplacé aux offices obligatoires, sera renvoyé et perdra définitivement conscience dans le bain de sang coréen. Ce jeune homme qui avait et faisait tout pour réussir aura ce destin absurde pour n’avoir pas su « fermer sa grande gueule ».
Ce bref roman magistralement écrit est aussi parfaitement athée et anticlérical.
\Mots-clés : #guerre #jeunesse #relationenfantparent #religion #sexualité #social #xxesiecle
- le Mer 23 Aoû - 12:17
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Jonathan Coe
Le Cercle fermé(En complément au commentaire approfondi de Pinky.)
1999 (livre paru en 2004), Claire revient d’Italie en Angleterre après cinq ans d’absence, et se confie par écrit à sa sœur Miriam, disparue (c’est la suite de Bienvenue au club, où les mêmes personnages vivaient dans les années soixante-dix). Le portable est devenu inévitable :
« …] quantité de gens qui ne travaillent plus, qui ne fabriquent rien, ne vendent rien. Comme si c’était démodé. Les gens se contentent de se voir et de parler. Et quand ils ne se voient pas pour parler directement, ils sont généralement occupés à parler au téléphone. Et de quoi ils parlent ? Ils prennent rendez-vous pour se voir. Mais je me pose la question : quand enfin ils se voient, de quoi ils parlent ? »
Nous savons depuis que lorsque les gens se voient, ils parlent à d’autres, sur leur portable.
Intéressante mise en parallèle des vies de couple de Benjamin et Doug, qui parviennent à se ménager une vie privée digne d’un célibataire – non sans une autre présence féminine, à laquelle ils ne savent guère faire face, incapables de prendre une décision.
« C’est là un défaut pathologique du sexe masculin. Nous n’avons aucune loyauté, aucun sens du foyer, aucun instinct qui nous pousserait à protéger le nid : tous ces réflexes naturels et sains qui sont inhérents aux femmes. On est des ratés. Un homme, c’est une femme ratée. C’est aussi simple que ça. »
Les profonds changements dans la communication sont particulièrement approfondis :
« Donc, d’après vous, si je comprends bien, disait Paul, le discours politique est devenu un genre de champ de bataille où politiciens et journalistes s’affrontent jour après jour sur le sens des mots.
— Oui, parce que les politiciens font tellement attention à ce qu’ils disent, les déclarations politiques sont devenues tellement neutres que c’est aux journalistes qu’il incombe de créer du sens à partir des mots qu’on leur donne. Ce qui compte aujourd’hui, ce n’est plus ce que vous dites, vous autres, c’est la manière dont c’est interprété. »
« C’est très moderne, l’ironie, assura-t-elle. Très in. Vous voyez, vous n’avez plus besoin d’expliciter ce que vous voulez dire. En fait, vous n’avez même pas besoin de penser ce que vous dites. C’est toute la beauté de la chose. »
« Il y a quelques mois, par exemple, ils ont pris des photos d’un top model particulièrement rachitique pour un article de mode du supplément dominical, mais elle avait l’air tellement squelettique et mal en point qu’ils ont renoncé à les utiliser. Et puis la semaine dernière ils ont fini par les déterrer pour illustrer un article sur l’anorexie psychosomatique. Visiblement, ça ne leur posait aucun problème. »
« Oh, de nos jours, tout dépend de la manière dont c’est présenté par les médias, pas vrai ? À croire que tout dépend de ça. »
Le Cercle fermé est créé au sein de la Commission travailliste réfléchissant au financement privé du secteur public (on est sous Tony Blair) ; l’extrême droite commence à monter.
Benjamin est un personnage central ; écrivain et musicien (assez raté), il reflète peut-être un aspect (ironique) du projet romanesque de Coe.
« Ce serait satisfaisant, d’une certaine façon ; il y aurait là un peu de la symétrie qu’il passait tant de temps à traquer en vain dans la vie, le sentiment d’un cercle qui se referme... »
« Je suis un homme, blanc, d’âge moyen, de classe moyenne, un pur produit des écoles privées et de Cambridge. Le monde n’en a pas marre des gens comme moi ? Est-ce que je n’appartiens pas à un groupe qui a fait son temps ? Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux fermer notre gueule et laisser la place aux autres ? Est-ce que je me fais des illusions en croyant que ce que j’écris est important ? Est-ce que je me contente de remuer les cendres de ma petite vie et d’en gonfler artificiellement la portée en plaquant dessus des bouts de politique ? »
Puis c’est le 11 septembre 2001, et l’approche de la « guerre à l’Irak ».
« La guerre n’avait pas encore commencé, mais tout le monde en parlait comme si elle était inévitable, et on était forcément pour ou contre. À vrai dire, presque tout le monde était contre, semblait-il, à part les Américains, Tony Blair, la plupart de ses ministres, la plupart de ses députés et les conservateurs. Sinon, tout le monde trouvait que c’était une très mauvaise idée, et on ne comprenait pas pourquoi on en parlait soudain comme si c’était inévitable. »
Le compte à rebours des chapitres souligne le suspense des drames personnels de la petite communauté quadragénaire immergée dans cette fresque historique.
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- le Lun 21 Aoû - 13:08
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