Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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Ian McEwan

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Message par Tristram Dim 22 Mar - 20:52

Sous les draps et autres nouvelles

social - Ian McEwan - Page 2 Sous_l10


Géométrie dans l’espace
Petit conte acerbe comme de Bierce, avec l’humour de Coe, l’ironie de Roth (Philip), à la limite du sarcasme (et avec une petite pointe sordide, voire trash) ; cette remarque est valable pour l’ensemble du recueil !
« À Melton Mowbray en 1875, lors d’une vente publique d’objets "rares et précieux", mon arrière-grand-père, accompagné de son ami M., s’était porté acquéreur du pénis d’un certain capitaine Nicholls, mort en 1873, à la prison de Horsemonger. »

« J’imaginais tous les endroits par où il était passé : Le Cap, Boston, Jérusalem, voyageant dans l’obscurité fétide des culottes de cuir du capitaine Nicholls, émergeant à l’occasion dans la lumière éblouissante du soleil afin d’émettre un jet d’urine dans quelque lieu public fort fréquenté. Je pensais aussi à toutes les choses qu’il avait touchées, toutes les molécules, les mains aventureuses du capitaine Nicholls dans la solitude sans amour des longues nuits en mer, la moiteur des parois vaginales de jeunes filles ou de vieilles prostituées, dont les molécules doivent exister encore, fine poussière balayée par les vents du Cheapside jusqu’au Leicestershire. »
L’histoire porte aussi sur la découverte du « plan sans surface »…

Économie familiale
Une initiation sexuelle guidée par un aîné maladroit, avec une déviation insane, traitée sur le mode burlesque.
« Toutefois, arrivé sur le palier, le sang étant descendu de la tête au bas-ventre, au sens propre du terme, ou comme eût dit Jane Austen, étant moi-même passé de la raison aux sentiments, au moment donc où je reprenais mon souffle en posant ma main moite sur le bouton de la porte, j’étais résolu à violer ma sœur. »
Le dernier jour de l’été
Un jeune garçon vit dans la communauté que son aîné a constitué après le décès de leurs parents. Les rapports humains sont très finement observés dans ce récit poignant, jusqu’au drame final.

Bande à part
Une brève pochade, où j’ai vu une piquante satire d’un théâtre contemporain si épris de représentation d’un monde dont il est déconnecté qu’il en est devenu ridicule.

Papillons
Aperçu de l’intérieur d’un désaxé dans le monde pervers d’une banlieue londonienne désolée, parvenue à l’atrocité banalisée.

Conversation avec un homme-armoire
Aperçu de l’intérieur d’un jeune homme maintenu dans l’enfance par une mère abusive, puis jeté dans le monde, et qui voudrait retourner en enfance. (M’a ramentu L’homme-boîte de Kôbô Abé).

Premier amour, derniers rites
Une étrange histoire d’amour dont une rate grosse ne réchappera pas, mais une anguille si.

Masques
Encore une mère abusive, ici de substitution et de plus actrice déchue, qui manipule un jeune garçon. Cette fois dans un texte plus développé, au ton moins percutant mais tout aussi efficace.

Pornographie
Il travaille dans le sex-shop de son frère, et trompe deux infirmières l’une avec l’autre, leur transmettant sa MST ‒ et elles se vengent.

Réflexions d’un singe captif
Le simiesque amant délaissé de l’auteure d’un seul roman (parlant de la stérilité féminine) narre les vains efforts de cette dernière pour en produire un second ; le ton est ampoulé, comme on imagine le style du best-seller en question. Hilarant !
« Comme se dit intérieurement Moira Sillito, l’héroïne du premier roman de Sally Klee, pendant l’enterrement de son mari : "Tout change." La douce, la péremptoire mais finalement tragique Moira est-elle consciente de démarquer le poète Yeats ? »

« Sally Klee et moi dégustons notre café dans un "silence riche de promesses". C’est du moins ainsi que Moira et son mari, Daniel, jeune cadre brillant dans une entreprise locale d’embouteillage, sirotent leur thé en digérant l’information selon laquelle aucune raison médicale ne leur interdit de procréer ensemble. »
Morte jouissance
Qu’un homme tombe amoureux d’un mannequin, l’idée n’est peut-être pas neuve (voir Les boutiques de cannelle de Bruno Schulz), mais n’a sûrement jamais été menée jusqu’à un tel accomplissement !

Sous les draps
Écrivain, divorcé, il reçoit sa fille, et la copine de celle-ci ; la situation n’est pas inédite dans ce recueil, et c’est toujours… trouble.

Psychopolis
Un Anglais à Los Angeles : après la société anglaise, l’états-unienne n’est pas non plus épargnée.

L’écriture précise de Ian McEwan évoque sans porter de jugement des individus marginaux coincés dans la société (british) par la parentèle, le sexe, la vie commune. Il est généralement spirituel, souvent leste, provocateur voire choquant, mais toujours humain me semble-t-il.

Mots-clés : #nouvelle

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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Bédoulène Dim 22 Mar - 23:07

mùerci Tristram ; j'y penserai j'ai apprécié les deux livres lus

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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia



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Message par Tristram Lun 10 Aoû - 13:13

Amsterdam

social - Ian McEwan - Page 2 Amster10

« Deux anciens amants de Molly Lane attendaient à l’extérieur de la chapelle du crématorium, le dos tourné à la bise de février. Ils s’étaient déjà tout dit, mais ils le répétaient. »
Tandis qu’on incinère Molly, morte dans la déchéance physique et intellectuelle, ses ex poursuivent leur existence : Clive Linley le compositeur,
« Ici, Clive s’autorisait hardiment un emprunt à certains essais rédigés par un collègue de Noam Chomsky, inédits et hautement spéculatifs, qu’il avait eu l’occasion de lire alors qu’il passait des vacances au cap Cod dans la maison de l’auteur : de même que notre capacité exclusivement humaine à apprendre le langage, notre aptitude à percevoir les rythmes, les mélodies et les harmonies agréables était inscrite dans les gènes. Les anthropologues avaient relevé l’existence de ces trois éléments dans toutes les cultures musicales. »
…et son ami Vernon Halliday, directeur de rédaction, mais aussi Julian Garmony, ministre des Affaires étrangères pressenti comme premier ministre, xénophobe partisan de la peine de mort, et encore le morose George Lane, riche éditeur pour « public crédule » et ex-mari de Molly.
George met dans les mains de Vernon des photos, prises par Molly, de Julian en travesti, et Clive juge immoral de les employer pour discréditer ce dernier.
Occasion de revisiter la sordide insanité de la presse pour un Ian McEwan d’une implacabilité n’ayant d’égale que sa précision chirurgicale envers un milieu où les retournements de veste ne sont comparables qu’à ceux des politiques :
« Le chargé des nécros, Manny Skelton, sortit en crabe du placard qui lui servait de bureau et il fourra quelques feuillets dans la main de Vernon. Il devait s’agir du papier qu’on lui avait demandé de préparer au cas où Garmony se flinguerait. »

« À la demande de Vernon, le directeur du service de la Diffusion confirma que les derniers chiffres étaient les meilleurs depuis dix-sept ans. »
Entre-temps, Clive a trouvé l’inspiration lors d’une randonnée en montagne, négligeant de s’inquiéter du sort d’une femme aux prises avec qui s’avérera être un violeur…
J’ai trouvé passionnantes les observations sur le travail de création musicale :
« À présent, les textures se multipliaient tandis que d’autres instruments entraient successivement dans la conspiration du trombone, que la dissonance gagnait telle une contagion et que de petites pointes dures – les variations qui ne conduiraient nulle part — jaillissaient comme des étincelles se rejoignant parfois pour donner les premières indications de la muraille de son en mouvement, au raz de marée qui commençait à se soulever et qui bientôt recouvrirait tout sur son passage, avant de se fracasser sur le soubassement de la tonalité initiale. »
Novella de 1998 qui, résonnant familièrement post-Brexit, épingle impeccablement les travers de notre société occidentale.
Décidément, Ian McEwan sait écrire, même s'il trempe sa plume dans le fiel !

Mots-clés : #amitié #social

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Message par Bédoulène Lun 10 Aoû - 23:21

merci Tristram c'est bien tentant ton commentaire !

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Message par Tristram Sam 20 Mar - 21:12

Expiation

social - Ian McEwan - Page 2 Cvt_ex10

Les personnages principaux sont longuement présentés, chacun finement observé de l’intérieur, rendus avec précision et justesse, membres d’un cercle familial de l'aristocratie anglaise des années trente, avec notamment Briony et l’imagination de ses treize ans.
« Mais, naturellement, tout cela n’était qu’elle − créé par elle et pour elle, et maintenant qu’elle était de retour dans le monde, non celui qu’elle pouvait fabriquer, mais celui qui l’avait faite, elle se sentait rapetisser sous le ciel du crépuscule. »
C’est elle qui accusera Robbie, brillant fils de domestique auquel son père paie ses études et amoureux de sa sœur Cecilia, d’avoir violé sa jeune cousine. Suite à des malentendus et à une idée préconçue, elle s’enferre dans cette dénonciation abusive dont les mécanismes sont démontés de façon remarquable.
« Elle fut interrogée sans relâche et, tandis qu’elle se répétait, on fit peser sur elle l’obligation d’être cohérente. Ce qu’elle avait dit, elle devait le redire. De minimes divergences lui attiraient de légers froncements de sourcils entendus, ou un certain degré de froideur, une baisse de sympathie. Elle devint soucieuse de faire plaisir, et apprit vite que les moindres réserves qu’elle aurait pu ajouter interrompraient le processus qu’elle avait elle-même mis en train. […]
Ils restaient impassibles quand il lui arrivait d’hésiter, et la ramenaient avec fermeté à ses premières déclarations. N’était-elle donc qu’une petite idiote, sous-entendaient leurs façons, qui avait fait perdre du temps à tout le monde ? Et ils avaient une attitude stricte quant au visuel. Il y avait assez de lumière, fut-il établi, en raison des étoiles, et parce que la couverture de nuages renvoyait les éclairages de la ville la plus proche. Soit elle avait vu, soit elle n’avait pas vu. Il n’y avait rien entre les deux ; sans en dire autant, leur brusquerie le suggérait. C’était à ces moments-là, lorsqu’elle sentait leur froideur, qu’elle revenait en arrière pour ranimer son ardeur première et se répétait : Je l’ai vu. Je sais que c’était lui. Alors elle avait le sentiment réconfortant de confirmer ce qu’ils savaient déjà. »

« Oui, elle n’était qu’une enfant. Mais tous les enfants n’expédient pas un homme en prison à cause d’un mensonge. Tous les enfants ne sont pas aussi déterminés et malveillants, ne restent pas aussi cohérents avec le temps, sans jamais aucune hésitation, jamais aucun doute. »
A sa sortie de prison, Robbie vivra la retraite de Dunkerque en 1940, tandis que Cecilia et Briony, ayant quitté leur famille et ne se fréquentant pas plus, sont infirmières ; c’est l’occasion d’une peinture historique apparemment bien documentée.
Que Briony écrive permet à l’auteur de commenter son choix vis-à-vis de celui de Virginia Woolf : « votre intrigue nécessite une armature », et à l’écrivain de transposer sa culpabilité, tout en imaginant la fin de l’histoire…
Pour être traditionnelle, la forme est fort intelligible, la structure nette et le style brillant – caractéristiques d’Ian McEwan.
« À quel point la culpabilité raffinait-elle les façons de se torturer, enfilant les perles du détail en une boucle sans fin, un chapelet à égrener pour la vie ! »

Mais en tant que réalité légale, d’après ce que m’en ont dit mes différents éditeurs au fil des ans, mes mémoires judiciaires ne pourront jamais être publiés du vivant de mes complices. On ne peut diffamer que soi-même ou les morts. »

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Message par Tristram Dim 6 Fév - 11:35

Samedi

social - Ian McEwan - Page 2 Captur77

Se référer également au juste commentaire de Topocl !
Henry Perowne est un neurochirurgien de près de cinquante ans en ce début de siècle, à l’annonce de la guerre d’Irak ou seconde guerre du Golfe, et ce roman rend compte d’un samedi de février à Londres. Il assiste au passage d’un avion avec un réacteur en feu, tel une comète (acte terroriste ?), et se rend à sa séance hebdomadaire de squash ; un accrochage de voitures le plonge dans la violence. Outre des descriptions cliniques de chirurgie du cerveau, nous faisons la rencontre de sa femme Rosalind, juriste, de son fils Théo, bluesman, de sa fille Daisy, poète comme son beau-père John Grammaticus, ou encore de sa mère, frappée par Alzheimer.
« C’est une femme qui a consacré toute son existence au ménage, à cirer, épousseter, aspirer et ranger, routine quotidienne qui représentait autrefois la norme et à laquelle seuls se plient aujourd’hui les patients atteints de troubles obsessionnels compulsifs. »
Ce roman, qui explore les questions du destin et de l’explication religieuse ou pas de notre monde, constitue aussi un instantané de notre société occidentale à cette époque, notamment en Angleterre.
« La plupart des gens adoptent une vision pragmatique – l’obligation de balayer les rues pour gagner sa vie apparaît comme un simple manque de chance. Notre époque n’est pas visionnaire. Les rues doivent être propres. Que les moins chanceux retroussent leurs manches. »

« Il faudra que ces bâtiments aient été rasés en grand nombre pour qu’on puisse commencer à les regretter. »
Le personnage de sa fille permet des considérations sur la littérature.
« L’idée de Daisy selon laquelle l’homme aurait un besoin "vital" qu’on lui raconte des histoires n’a aucun fondement. Il en est la preuve vivante. »

« Le premier vers d’un poème peut suffire à provoquer chez lui des signes de fatigue oculaire. Les romans et les films vous projettent au rythme haletant de la modernité dans le passé ou dans l’avenir, enjambant les journées, les mois, les années, voire les générations. Or la poésie, pour parvenir à ses épiphanies, se tient en équilibre sur la tête d’épingle du moment présent. Les ralentissements ou les pauses nécessaires à la lecture et à la compréhension d’un poème s’apparentent à l’acquisition d’un savoir-faire aussi désuet que la construction d’un mur en pierre sèche ou la pêche à la ligne. »

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Message par topocl Dim 6 Fév - 21:49

Commentaire factuel, donc, a priori, ton cœur ne s’est pas emballé?

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Message par Tristram Dim 6 Fév - 22:04

C'est une lecture très intéressante, mais pas au nombre des indispensables.

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Message par topocl Lun 7 Fév - 9:36

Tu estimes lire combien de livres indispensables dans l'année?

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Message par Tristram Lun 7 Fév - 10:23

Peu, de moins en moins en pourcentage plus je lis. Par contre, il m'arrive plus souvent que rarement de mettre le doigt sur quelque chose d'intéressant dans un livre qui autrement me touchait relativement peu _ des extraits d'œuvres mineures!

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Message par Tristram Dim 13 Mar - 12:57

Sur la plage de Chesil

social - Ian McEwan - Page 2 Bm_20_11

Edward Mayhew et Florence Ponting, deux jeunes mariés encore vierges le soir de leur mariage dans la suite nuptiale d’un hôtel donnant sur la plage de Chesil, Dorset, dans le début des années 60. Quoiqu’amoureuse, elle est révulsée à la perspective des rapports sexuels.
La soirée commence assez mal.
« Ce n’était pas une période faste dans l’histoire de la cuisine anglaise, mais personne ne s’en souciait vraiment, sauf les visiteurs étrangers. Le dîner de noces commença, comme tant d’autres à l’époque, par une tranche de melon décorée d’une unique cerise confite. Dans le couloir, des plats en argent sur leurs chauffe-plats contenaient des tranches de rôti de bœuf dont la cuisson remontait à plusieurs heures, figées dans une épaisse sauce brune, des légumes bouillis et des pommes de terre bleuâtres. Le vin était français, même si l’étiquette, ornée d’une hirondelle solitaire s’envolant à tire-d’aile, ne mentionnait aucune appellation précise. »
McEwan revient sur l’histoire personnelle des deux jouvenceaux, lui d’un milieu modeste avec une mère « mentalement dérangée », passionné d’histoire et de lecture, elle de musique classique et tout particulièrement de violon. Tous deux avaient hâte de s’émanciper, « dans une sorte d’antichambre, attendant avec impatience que [leur] vraie vie commence ». La psychologie adolescente est remarquablement décrite, et on peut constater qu’il existe des invariants jusqu’à nos jours.
« L’URSS se battait et s’était toujours battue pour la libération des peuples opprimés, contre le fascisme et les ravages d’un capitalisme insatiable. »
La séance nuptiale : elle s’efforce, culpabilisée, de complaire à son mari, mais c’est le drame. Outre l’analyse très pointue des caractères, ce bref roman explicite la tragédie de l’ignorance avant la révolution sexuelle, source de malentendu et de gâchis.
Voir, toujours dans monde anglo-saxon, mais aussi français : https://www.franceculture.fr/emissions/et-maintenant/et-maintenant-du-mardi-08-mars-2022

\Mots-clés : #amour #education #psychologique #sexualité #social #xxesiecle

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Message par Tristram Lun 13 Fév - 11:07

Opération Sweet Tooth

social - Ian McEwan - Page 2 Opzora10

Au début des années soixante-dix, la jeune et belle Serena Frome, lectrice compulsive (et qui raconte son histoire des années plus tard), est approchée à Cambridge par Tony Canning, un professeur d’histoire dont elle devient l’amante, et qui la forme afin d’être recrutée par le MI5 (service de renseignement en charge de la sécurité intérieure du Royaume-Uni).
Petite remarque en passant sur les débuts de la discrimination dite positive :
« L’université de Cambridge affichait sa volonté d’« ouvrir ses portes aux principes d’égalité du monde moderne ». Avec mon triple handicap – un lycée provincial, le fait d’être une fille, une discipline exclusivement masculine –, j’étais certaine d’être admise. »
C’est l’époque de la libération (notamment sexuelle), du terrorisme de l’IRA, pendant la guerre froide avec l’Union soviétique.
« Une atmosphère d’insurrection, de décadence et de laisser-aller flottait dans l’air. »
Serena est embauchée comme sous-officier adjoint, c'est-à-dire petite secrétaire dans la grande administration fonctionnaire, et chichement rétribuée.
« Je ne donne pas ces détails pour me faire plaindre, mais à la manière de Jane Austen dont j’avais dévoré les romans à Cambridge. Comment peut-on comprendre la vie intérieure d’un personnage, réel ou fictif, sans connaître l’état de ses finances ? »

« C’était une organisation bureaucratique et les retards s’additionnaient comme par décret. »
À point nommé est cité un extrait du discours d’acceptation du prix Nobel 1970 de Soljenitsyne (« héros » de Serena) :
« Malheur à la nation dont la littérature est bousculée par les interventions du pouvoir. »
Un collègue dont elle s’éprend, Maximilian Greatorex, lui fait proposer une mission particulière.
« L’IRD [le département de recherche de renseignements au ministère des Affaires étrangères] travaille avec le MI6 [service de renseignements extérieurs du Royaume-Uni] et avec nous depuis des années, entretenant des liens avec des écrivains, des journaux, des maisons d’édition. Sur son lit de mort, George Orwell lui a donné le nom de trente-huit compagnons de route communistes. L’IRD a également permis la traduction en dix-huit langues de La ferme des animaux, et a beaucoup contribué au succès de 1984. »
McEwan cite aussi Koestler dans cet épisode, qui peut mériter d’être approfondi par une recherche sur internet.
« L’idée est de concentrer nos efforts sur de jeunes auteurs dignes d’intérêt, principalement des universitaires et des journalistes en début de carrière, le moment où ils ont besoin d’une aide financière. En général, ils ont envie d’écrire un livre et il leur faudrait un congé qui les libère d’un travail prenant. Nous avons pensé qu’il serait intéressant d’ajouter un romancier à la liste... »
Thomas Haley a été choisi comme recrue possible, écrivain prometteur dont les articles atlantistes semblent correspondre aux vues du MI5, et Serena, quant à elle choisie pour ses goûts littéraires, doit s’en charger. Pour évaluer leur auteur, elle lit ses nouvelles (mises en abyme dans le roman, dont une portant sur un étrange amour pour un mannequin de vitrine).
« Cette année-là, je mis au rancart après les avoir testés les auteurs conseillés par mes amies sophistiquées de Cambridge : Borges, Barth, Pynchon, Cortazar et Gaddis. Aucun Anglais parmi eux, notai-je, ni aucune femme, blanche ou de couleur. Je ressemblais aux gens de la génération de mes parents, qui, non contents de détester l’odeur de l’ail, se méfiaient de tous ceux qui en consommaient. »
Éclairage piquant sur la vision anglaise de l’Europe (roman publié en 2012) :
« L’an dernier, ils essayaient de convaincre la gauche qu’on doit rejoindre l’Europe. Ridicule. Dieu merci, on leur enlève l’Irlande du Nord. »
Serena, qui a convaincu Tom (et est devenue son amante) apprend que Canning, qui l’avait astucieusement plaquée, s’était retiré pour mourir d’un cancer ; puis qu’il avait fourni des renseignements à l’Union Soviétique.
Tom, qui croit profiter des fonds d’une fondation philanthrope, travaille à son premier roman, en fait une novella d’anticipation post-apocalyptique dans le genre de Ballard. C’est la crise énergétique, les grèves, et une atmosphère de dépression et de déclin imprègne la société.
« Pourquoi recourir à une opération secrète ? Il a soupiré en hochant la tête avec commisération. Il fallait que je comprenne que n’importe quelle institution, n’importe quel organisme finit par devenir une sorte d’empire autonome, agressif, n’obéissant qu’à sa logique propre, obsédé par sa survie et la nécessité d’accroître son territoire. Un processus aussi aveugle et inexorable qu’une réaction chimique. »

« L’opération Mincemeat a réussi parce que l’inventivité et l’imagination ont pris le pas sur l’intelligence. Pitoyable par comparaison, l’opération Sweet Tooth, ce signe avant-coureur de la déchéance, a inversé le processus et a échoué, parce que l’intelligence a voulu brider l’inventivité. »
(L’opération Mincemeat est une intoxe réussie de l’état-major allemand, persuadé d’avoir saisi des documents confidentiels sur le projet d'invasion des Alliés dans le sud de l’Europe.)
Ce livre montre la manipulation, par autrui et aussi par ses propres libido et soif de reconnaissance, évidemment mises à profit par le(s) manipulateur(s) ; il ne manque pas d’aborder la manipulation de l’opinion publique par la propagande.
C’est aussi « la trahison à l’œuvre, la tienne et la mienne », de Serena qui ne peut pas sortir de son mensonge de départ à Tom, à qui Max, par dépit vengeur, explique son rôle : les deux se mentent, lui pour l’utiliser dans son nouveau roman – celui que nous lisons.
On trouve beaucoup de choses, souvent passionnantes, dans ce roman très habilement construit.

\Mots-clés : #amour #espionnage #politique #revolutionculturelle #social #UniversDuLivre #xxesiecle

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Message par Bédoulène Lun 13 Fév - 13:24

c'est noté Tristram

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social - Ian McEwan - Page 2 Empty Re: Ian McEwan

Message par topocl Lun 13 Fév - 13:29

J'ai remonté le fil et j'admire ta constance à épuiser sa bibliographie social - Ian McEwan - Page 2 2681357395

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Message par Tristram Lun 13 Fév - 13:35

C'est que j'aime bien le lire ! Je ne suis pourtant pas accro à ce genre, loin de là, mais c'est bien écrit !

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Message par Tristram Ven 5 Jan - 11:25

Un bonheur de rencontre

social - Ian McEwan - Page 2 Un_bon11


Un couple de touristes, Mary et Colin, dont la relation s’est refroidie, erre et s’égare dans une ville déroutante, qui peut être Venise.
« Mais ils se connaissaient l’un l’autre aussi bien qu’eux-mêmes, et cette intimité, comme un trop grand nombre de valises, les embarrassait perpétuellement ; ensemble, leurs déplacements étaient lents, maladroits, parsemés de compromis lugubres, attentifs aux moindres changements d’humeur, au colmatage des brèches. »

« Cela avait cessé d’être une grande passion. Ses plaisirs résidaient dans une amitié dépourvue d’urgence, dans la familiarité de ses rites et de ses processus, dans la sûreté et la précision avec lesquelles les membres et les corps s’adaptaient les uns aux autres, confortablement, comme un moulage retournant au moule. »

« Sans but précis, les visiteurs choisissaient un itinéraire comme ils auraient choisi une couleur, et la précision même de la manière dont ils se perdaient exprimait la somme de leurs choix successifs et dépendait de leur volonté. »
Ils font la rencontre d’un étrange Robert, puis de son épouse, Caroline, puis connaissent un regain de passion. Robert a une photo récente du beau Colin, et semble lui porter un intérêt homosexuel. Caroline confie à Mary que son mari jouit de la violenter, et qu’elle aussi en jouit, dans des rapports conduisant peu à peu vers la mort.
Elle drogue Mary, qui assiste à l’assassinat de Colin par le couple sadomasochiste.
Le style de McEwan est sobre et clair, ce qui souligne les bizarreries qui apparaissent progressivement dans son récit. Sa novella ramentoit celle de Thomas Mann, La Mort à Venise.
Une fois encore le titre passe-partout de la traduction me semble inadéquat ; l’original, The Comfort of Strangers, pourrait être traduit par "Le bien-être des étrangers", et rend davantage, par antiphrase ironique, le malaise (et l’horreur) des touristes.

\Mots-clés : #horreur #mort

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Message par Bédoulène Ven 5 Jan - 12:57

plutôt sombre donc !

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Message par Tristram Mer 17 Jan - 11:23

L'Enfant volé

social - Ian McEwan - Page 2 L_enfa10

Angleterre, juste avant 1987 (date de parution du livre) : Kate, la fille de trois ans de Stephen Lewis, auteur à succès de livres pour enfants, est mystérieusement enlevée comme ils faisaient des courses. La dévastation du couple qu’il formait avec Julie est excellemment rendue.
« Il était père d’un enfant invisible. »
Charles Darke, son éditeur devenu un ami, s’est lancé dans la politique après une brillante carrière dans les affaires, choisissant cyniquement la droite au pouvoir.
Stephen rêvasse pendant les séances d’un comité gouvernemental en charge de la préparation d’un manuel de pédagogie (qui s’avèrera avoir écrit d’avance par les services du Premier ministre). Il voit en hallucination ses parents venus à bicyclette dans un pub avant sa naissance. Il leur rend visite, réchappe d’un accident de la circulation, répond à l’invitation de Charles et Thelma, son épouse enseignante en physique quantique, qui ont quitté la vie publique pour se retirer à la campagne (lui semble retombé en enfance). Puis Stephen retourne au whisky et aux émissions télévisées. Enfin il sort de sa catatonie et reprend des activités. Le Premier ministre l’invite, l’interroge sur Charles.
Charles, qui a rédigé le manuel pour ce dernier qui le désire, se laisse mourir de froid, déchiré entre son désir d’enfance et son existence sociale ambitieuse.
Stephen retrouve Julie qui, trois ans après la disparition de Kate, donne vie à un nouvel enfant.
« Tout l’art d’un mauvais gouvernement consistait à rompre le lien entre la politique adoptée dans le domaine public et le sens profond et instinctif de bonté et d’équité de l’individu. »

« Tous ces esprits prometteurs, cultivés, brûlants d’enthousiasme, après des études de littérature anglaise qui avaient inspiré leurs brefs slogans – L’énergie est une joie perpétuelle, à bas les contraintes, vive les étreintes –, tous avaient déferlé des bibliothèques au tournant des années soixante-dix, fermement résolus à entreprendre des voyages intérieurs, ou des voyages vers l’Orient dans des cars bariolés. Une fois le monde devenu moins vaste et plus sérieux, ils étaient rentrés au pays afin de se mettre au service de l’Éducation, carrière qui avait à présent perdu son envergure et son attrait ; les écoles étaient mises en vente sur le marché de l’investissement privé, et l’âge de scolarité obligatoire allait bientôt être abaissé. »

« Il donnait l’impression d’être raisonnable et tout à fait concerné, tout en préconisant la nécessité de laisser les pauvres se débrouiller tout seuls et d’encourager les riches. »

« Une minorité perturbatrice de l’humanité considérait tout voyage, aussi bref soit-il, comme l’occasion de faire de plaisantes rencontres. Il se trouvait des gens prêts à infliger des détails intimes à de parfaits inconnus. Des gens à éviter si vous faisiez partie de la majorité de ceux pour qui un voyage offre une opportunité de silence, de réflexion, de rêve. »

« Ils faisaient face à deux possibilités, de poids égal, en équilibre sur un pivot affilé. Dès l’instant où ils pencheraient en faveur de l’une, l’autre, tout en continuant à exister, disparaîtrait à tout jamais. Il pourrait se lever maintenant, et passer devant elle pour se rendre à la salle de bains en lui adressant un sourire plein d’affection. Il s’y enfermerait, sauvegardant son indépendance et sa fierté. Elle l’attendrait en bas, et ils reprendraient le fil de leur conversation prudente jusqu’à ce qu’il fût temps qu’il traverse le champ pour reprendre le train. Ou alors, il fallait risquer quelque chose, il voyait se déployer devant lui une vie différente dans laquelle son propre malheur pouvait redoubler ou disparaître. »

« Et il n’y avait pas de terrain plus propice aux spéculations péremptoirement maquillées en véritables faits que celui de l’éducation des enfants. »
Ce roman brillamment écrit part un peu dans tous les sens, mais vaut pour son regard sur la société (celle aussi des mendiants badgés), la politique (notamment thatchérienne) et même la science (surtout par rapport au temps), aussi par la psychologie des personnages (et l’humour de l’auteur).

\Mots-clés : #culpabilité #education #politique #psychologique #relationdecouple #social #xxesiecle

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Message par Bédoulène Mer 17 Jan - 15:14

très tentant, je note

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Message par Avadoro Lun 11 Mar - 23:58

social - Ian McEwan - Page 2 41lgu810

Leçons

J'ai été emporté et passionné par ce dernier roman de Ian McEwan, qui marque par son ampleur romanesque et l'émouvante sérénité qui se dégage du récit.
Leçons est construit autour du parcours de vie de Roland Baines, des années 1940 jusqu'à la période contemporaine. Certains détails biographiques rejoignent ceux de l'auteur (l'année de naissance, une enfance en Libye...), et peuvent renforcer une sensation de justesse et d'écho personnel, mais McEwan saisit avant tout la singularité d'une existence jusque face à ses détours et traumatismes.

Deux évènements ont marqué Roland Baines et deviennent rapidement le fil rouge du récit : le premier est sa rencontre, à l'entrée de l'adolescence, avec sa professeure de piano Miriam Cornell, qui le maltraite puis le séduit jusqu'à l'entraîner dans une relation déséquilibrée et abusive. Ces souvenirs représentent en permanence une dimension perturbatrice qui fragilise des fondations, une conscience de soi et une confiance en l'autre.
Plusieurs décennies plus tard, c'est le brusque départ, sans laisser de traces, de sa femme Alissa Eberhardt alors que leur enfant, Lawrence, n'a que quelques mois. Au moment de la panique liée au nuage de Tchernobyl, cette disparition crée un vide qui précipite chez Roland des questionnements et un besoin de retourner vers le passé, de saisir ce qui a pu causer une sensation d'échec, de surplace et de solitude.

Ian McEwan développe avec patience et empathie les basculements et les regrets de Roland Baines. Il parvient surtout à saisir la beauté et l'intensité des instants vécus par un protagoniste, au-delà des frustrations et de la sensation de parfois être le spectateur de sa propre existence. Roland n'a pu devenir musicien professionnel ou poète, mais chaque moment, incarné par l'écriture, devient susceptible de dévoiler une richesse cachée, une sensibilité inattendue. Et en toile de fond, l'histoire récente de l'Europe apparait comme un miroir complexe et captivant de cette trajectoire individuelle.
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