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La date/heure actuelle est Mar 19 Mar - 11:28

29 résultats trouvés pour terrorisme

Hubert Haddad

Opium Poppy

Tag terrorisme sur Des Choses à lire Opium_10

Camir, Centre d’accueil des mineurs isolés et réfugiés : Alam l’Afghan de onze-douze ans est parmi les autres (dont Diwani, rescapée tutsie), et doit apprendre une nouvelle langue, une société autre.
« Grands et petits, ceux du Mali et du Congo, ceux du Pakistan, les Kurdes d’Anatolie, les réfugiés blêmes du Caucase, tous les élèves se dressent d’un seul bond, comme affranchis d’une chape d’indignité, et recouvrent dans les couloirs les allures flottantes du désarroi. »

Kandahar :
« Mais elles voulaient apprendre à lire et à calculer. Chaque jour, elles repartaient gaiement au lycée. Un matin, des garçons en moto leur ont coupé le chemin. Ils ont soulevé leurs voiles. Avec des pistolets à eau, comme pour jouer, ils ont arrosé leurs visages. Alam griffe la purée de sa fourchette. Il soupçonne avec effroi un vague lien entre son assiette et les dérives de son esprit. Les belles jeunes filles, il les imagine tête nue, les cheveux brûlés, la face sanguinolente et déformée comme un derrière de singe. Le vitriol efface d’un coup la rosée miraculeuse des visages. Il n’y a plus personne dans la maison du souvenir… »

Alam est en fait l’Évanoui (Alam le Borgne est son frère aîné) ; il a vécu au village de montagne, puis en ville.
« Sa vie jusque-là s’était partagée entre les maigres pâtures, les champs de pavots et son village à l’aspect de ruines exhumées ; tant que les insurgés se terraient dans leurs repaires, l’appel du muezzin et la traite des brebis suffisaient à rythmer les jours. »

Parvenu en France, il s’évade du Camir dans Paris, et côtoie les divers sans-abris et migrants.
« On part découragé, en lâche ou en héros, dans l’illusion d’une autre vie, mais il n’y a pas d’issue. L’exil est une prison. »

Une belle description des ruines urbaines de la zone des Vignes où se réfugient les marginaux, souvent délinquants.
« Une glaciale impression de déshérence s’étend sur cette zone où le piéton ne s’aventure qu’une fois fourvoyé, croyant couper les distances entre le canal de l’Ourcq, les gares à jamais hantées de Drancy et de Bobigny, et l’immense champ de morts de Pantin où les allées ont des noms d’arbre. Nulle part, serait-ce dans les pires îlots de La Courneuve ou de Clichy, la solitude n’arbore un tel aspect de coupe-gorge sans issue. »

Retour sur son enfance (récit alterné entre l’Afghanistan et la France, ses passé et présent), qui a lieu après la première prise de pouvoir des talibans.
Son frère ainé a rejoint le Djihad ; l’Évanoui le retrouvera par hasard, deviendra enfant-soldat, et le tuera comme on l’en enjoint car il aurait trahi, et parce qu’il lui apprend être de ceux qui ont vitriolé Malalaï, sa voisine qui fréquentait l’école et son seul rayon de bonheur.
« On égorgeait et massacrait sans haine, comme les moutons de l’Aïd el-Kebir, par sacrifice de soumission à la loi. Dieu se chargeait de remplacer les fils des hommes morts à la guerre par des béliers et des chèvres couchés sur le flanc gauche aux portes du paradis, dans la gloire de l’au-delà. »

Les talibans ont entraîné l’Évanoui au combat et au martyre.
« Ce dernier était plutôt disposé au sacrifice. Lorsque les balles remplacent les mots, l’instinct de vie s’étiole avec l’espérance. Le spectacle continu des corps en souffrance, des amputés, des exécutés pour l’exemple tourne vite à la farce. »

« Rien n’échappe à la violence ; le monde n’existe plus. On égorge l’agneau et l’enfant d’un même geste. Dès qu’une femme rit trop fort ou danse avec un autre, on l’attache et l’assomme de pierres aiguës. Chaque homme est trahi par son ombre. Une hallucination guide des somnambules aux mains sanglantes d’un cœur arraché à l’autre. »

Gravement blessé, l’Évanoui a été pris en charge par la coalition occidentale et le Croissant rouge dans un camp de réfugiés dont il s’enfuit. Au terme d’un périple via l’Iran, la Turquie puis la Bulgarie ou la Macédoine et l’Italie, il atteint Paris où il est plus ou moins recueilli par Yuko le Kosovar, caïd des trafics de drogue et d’armes du squat, qui le protège plus ou moins, ainsi que Poppy la junkie.
Rendu saisissant de l’existence de réfugiés en France, et dans leur pays d’origine, ainsi que d’une jeunesse "perdue".

\Mots-clés : #contemporain #enfance #exil #guerre #immigration #jeunesse #social #terrorisme #traditions #xxesiecle
par Tristram
le Lun 5 Fév - 10:19
 
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Sujet: Hubert Haddad
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Hubert Haddad

Palestine

Tag terrorisme sur Des Choses à lire Palest10

Par un concours de circonstances imprévues, un soldat israélien est capturé par un commando palestinien à l’insu de Tsahal et survit (et en prime il a perdu la mémoire). Il est recueilli par Asmahane, une aveugle, et sa fille Falastìn ; il ressemble au fils et frère disparu, et elles le font passer pour lui.
Devenu Nessim, il erre dans Hébron et alentour, vivant l’abjecte oppression israélienne, ce qui donne un panorama assez approfondi de la condition palestinienne, avec des points de vue arabes mais aussi juifs (et un rejet assez consensuel des « internationaux »). Une étrange attirance mutuelle lie Nessim et Falastìn. Recueilli dans une faction combattante, grâce à un passeport israélien (le sien !) Nessim-Cham se rend à Jérusalem, où il est muni d’une ceinture explosive.
« Tu détisses chaque nuit le temps passé pour garder l’âge de ton amour, tu es comme la reine qui défait son métier. Personne ne reviendra, mais tu restes pareille à ton souvenir. Tes yeux usés de larmes ne voient plus que l’image ancienne… »

« Dans la lumière verticale, les champs d’oliviers ont un tremblement argenté évoquant une source répandue à l’infini. L’ombre manque à midi, sauf sous les arbres séculaires aux petites feuilles d’émeraude et d’argent, innombrables clochettes de lumière au vent soudain et qui tamisent le soleil mieux qu’une ombrelle de lin. À l’est d’Hébron, du côté des colonies et au sommet des collines, ils ont presque tous été arrachés, par milliers, mis en pièces ou confisqués, sous prétexte d’expropriation, de travaux, de châtiment. »

« C’est écrit, ma fille. L’occupant se retirera dans un proche avenir pour ne pas être occupé à son tour. Simple question de démographie. »

Ayant un peu fréquenté Israël, Cisjordanie et bande de Gaza, j’ai retrouvé dans ce livre cette Histoire en marche de nos jours, une colonisation qui ne cache même pas son nom. Et le destin de Nessim-Cham souligne peut-être le déchirement de peuples pourtant si proches, où la répression humiliante mène à la haine qui conduit aux pires extrémités.

\Mots-clés : #actualité #colonisation #conflitisraelopalestinien #contemporain #guerre #politique #segregation #terrorisme #violence #xxesiecle
par Tristram
le Ven 26 Mai - 12:48
 
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Sujet: Hubert Haddad
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Jean-Marie Blas de Roblès

Dans l'épaisseur de la chair

Tag terrorisme sur Des Choses à lire Dans_l16

Le roman commence par un passage qui développe heureusement la superstition des marins, ici des pêcheurs à la palangrotte sur un pointu méditerranéen, Manuel Cortès, plus de quatre-vingt-dix ans, et son fils, le narrateur. Ce dernier veut recueillir les souvenirs paternels pour en faire un livre. Et c’est accroché au plat-bord de l’embarcation dont il est tombé, seul en mer, qu’il commence le récit de la famille, des Espagnols ayant immigré au XIXe en Algérie pour fuir sécheresse et misère : des pieds-noirs :
« Le problème est d’autant plus complexe que pas un seul des Européens qui ont peuplé l’Algérie ne s’est jamais nommé ainsi. Il faut attendre les derniers mois de la guerre d’indépendance pour que le terme apparaisse, d’abord en France pour stigmatiser l’attitude des colons face aux indigènes, puis comme étendard de détresse pour les rapatriés. Il en va des pieds-noirs comme des Byzantins, ils n’ont existé en tant que tels qu’une fois leur monde disparu. »

À Bel-Abbès, ou « Biscuit-ville », Juan est le père de Manuel, antisémite comme en Espagne après la Reconquista, et « n’ayant que des amis juifs »… Ce sont bientôt les premiers pogroms, et la montée du fascisme à l’époque de Franco, Mussolini et Hitler.
« En Algérie, comme ailleurs, le fascisme avait réussi à scinder la population en deux camps farouchement opposés. »

« Le Petit Oranais, journal destiné "à tous les aryens de l’Europe et de l’univers", venait d’être condamné par les tribunaux à retirer sa manchette permanente depuis 1930, un appel au meurtre inspiré de Martin Luther : "Il faut mettre le soufre, la poix, et s’il se peut le feu de l’enfer aux synagogues et aux écoles juives, détruire les maisons des Juifs, s’emparer de leurs capitaux et les chasser en pleine campagne comme des chiens enragés." On remplaça sans problème cette diatribe par une simple croix gammée, et le journal augmenta ses ventes. »

Est évoquée toute l’Histoire depuis la conquête française, qui suit le modèle romain.
« Bugeaud l’a clamé sur tous les tons sans être entendu : "Il n’est pas dans la nature d’un peuple guerrier, fanatique et constitué comme le sont les Arabes, de se résigner en peu de temps à la domination chrétienne. Les indigènes chercheront souvent à secouer le joug, comme ils l’ont fait sous tous les conquérants qui nous ont précédés. Leur antipathie pour nous et notre religion durera des siècles." »

« Cela peut sembler incroyable aujourd’hui, et pourtant c’est ainsi que les choses sont advenues : les militaires français ont conquis l’Algérie dans une nébulosité romaine, oubliant que le songe où ils se coulaient finirait, comme toujours, et comme c’était écrit noir sur blanc dans les livres qui les guidaient, par se transformer en épouvante. D’emblée, et par admiration pour ceux-là mêmes qui avaient conquis la Gaule et gommé si âprement la singularité de ses innombrables tribus, les Français ont effacé celle de leurs adversaires : ils n’ont pas combattu des Ouled Brahim, des Ouled N’har, des Beni Ameur, des Beni Menasser, des Beni Raten, des Beni Snassen, des Bou’aïch, des Flissa, des Gharaba, des Hachem, des Hadjoutes, des El Ouffia, des Ouled Nail, des Ouled Riah, des Zaouaoua, des Ouled Kosseir, des Awrigh, mais des fantômes de Numides, de Gétules, de Maures et de Carthaginois. Des indigènes, des autochtones, des sauvages. »

« Impossible d’en sortir, tant que ne seront pas détruites les machines infernales qui entretiennent ces répétitions. »

Dans l’Histoire plus récente, le régime de Vichy « réserva les emplois de la fonction publique aux seuls Français "nés de père français" », et fit « réexaminer toutes les naturalisations d’étrangers, avec menace d’invalider celles qui ne seraient pas conformes aux intérêts de la France. Ces dispositions, qui visaient surtout les Juifs sans les nommer, impliquaient l’interdiction de poursuivre des études universitaires. »
« Exclu du lycée Lamoricière, André Bénichou, le professeur de philo de Manuel, en fut réduit à créer un cours privé dans son appartement. C’est à cette occasion qu’il recruta Albert Camus, lui-même écarté de l’enseignement public à cause de sa tuberculose. Et je comprends mieux, tout à coup, pourquoi l’enfant de Mondovi, coincé à Oran, s’y était mis à écrire La Peste. »

Manuel se tourne vers la pharmacie, puis la médecine, s’engage pendant la Seconde Guerre, et devient chirurgien dans un tabor de goumiers du corps expéditionnaire français en Campanie.
« Sur le moment, j’aurais préféré l’entendre dire qu’il avait choisi la guerre « pour délivrer la France » ou « combattre le nazisme ». Mais non. Il s’était presque fâché de mon insistance : Je n’ai jamais songé à délivrer qui que ce soit, ni ressenti d’animosité particulière contre les Allemands ou les Italiens. Pour moi, c’était l’aventure et la haine des pétainistes, point final. »

« Quand le tabor se déplaçait d’un lieu de bataille à un autre, les goumiers transportaient en convoi ce qu’ils avaient volé dans les fermes environnantes, moutons et chèvres surtout, et à dos de mulet la quincaillerie de chandeliers et de ciboires qu’ils pensaient pouvoir ramener chez eux. Ils n’avançaient que chargés de leurs trophées, dans un désordre brinquebalant et coloré d’armée antique. […]
Les autorités militaires offrant cinq cents francs par prisonnier capturé, les goumiers s’en firent une spécialité. Et comme certains GI ne rechignaient pas à les leur racheter au prix fort pour s’attribuer l’honneur d’un fait d’armes, il y eut même une bourse clandestine avec valeurs et cotations selon le grade des captifs : un capitaine ou un Oberstleutnant rapportait près de deux mille francs à son heureux tuteur ! »

« Officiellement, la circulaire d’avril 1943 du général Bradley était très explicite sur ce point : pour maintenir le moral de l’armée il ne fallait plus parler de troubles psychologiques, ni même de shell shock, la mystérieuse « obusite » des tranchées, mais d’« épuisement ». Dans l’armée française, c’était beaucoup plus simple : faute de service psychiatrique – le premier n’apparaîtrait que durant la bataille des Vosges – il n’y avait aucun cas recensé de traumatisme neurologique. Des suicidés, des mutilations volontaires, oui, bien sûr, des désertions, des simulateurs, des bons à rien de tirailleurs ou de goumiers paralysés par les djnouns, incapables de courage physique et moral, ça arrivait régulièrement, des couards qu’il fallait bien passer par les armes lorsqu’ils refusaient de retourner au combat, mais des cinglés, jamais. Pas chez nous. Pas chez des Français qui avaient à reconquérir l’honneur perdu lors de la débâcle.
Mon père m’a raconté l’histoire d’un sous-officier qu’il avait vu se mettre à courir vers l’arrière au début d’une attaque et ne s’était plus arrêté durant des kilomètres, jusqu’à se réfugier à Naples où on l’avait retrouvé deux semaines plus tard. Et de ceux-là, aussi, faisant les morts comme des cafards au premier coup d’obus. J’ai pour ces derniers une grande compassion, tant je retrouve l’attitude qui m’est la plus naturelle dans mes cauchemars de fin du monde. Faire le mort, quitte à se barbouiller le visage du sang d’un autre, et attendre, attendre que ça passe et ce moment où l’on se relèvera vivant, quels que soient les comptes à rendre par la suite.
Sommes-nous si peu à détester la guerre, au lieu de secrètement la désirer ? »

S’accrochant toujours à sa barque, le narrateur médite.
« Dès qu’on se mêle de raconter, le réel se plie aux exigences de la langue : il n’est qu’une pure fiction que l’écriture invente et recompose. »

Heidegger, le perroquet que le narrateur a laissé au Brésil et devenu « une sorte de conscience extérieure qui me dirait des choses tout en dedans », renvoie à Là où les tigres sont chez eux.
« Heidegger a beau dire qu’il s’agit d’une coïncidence dénuée d’intérêt, je ne peux m’empêcher d’en éprouver un vertige désagréable, celui d’un temps circulaire, itératif, où reviendraient à intervalles fixes les mêmes fulgurances, les mêmes conjonctures énigmatiques. »

Ayant suivi des cours de philosophie (tout comme Manuel qui « s’inscrivit en philosophie à la fac d’Alger »), Blas de Roblès cite Wole Soyinka (sans le nommer) :
« Le tigre ne proclame pas sa tigritude, soupire Heidegger, il fonce sur sa proie et la dévore. »

En contrepartie de leur courage de combattants, les troupes coloniales commettent de nombreuses exactions, du pillage aux violences sur les civils.
« Plus qu’une sordide décompensation de soldats épargnés par la mort, le viol a toujours été une véritable arme de guerre. »

Le roman est fort digressif (d’ailleurs la citation liminaire est de Sterne). Le narrateur qui marine et s’épuise évoque des jeux d’échecs, fait de curieux projets, met en cause Vasarely…
Après la bataille du monastère de Monte Cassino, la troupe suit le « bellâtre de Marigny » (Jean de Lattre de Tassigny) dans le débarquement en Provence, puis c’est la bataille des Vosges, et l’Ardenne.
À propos du film Indigènes, différent sur l’interprétation des faits.
À peine l’Allemagne a-t-elle capitulé, Manuel est envoyé avec la Légion et les spahis qui répriment une insurrection à Sétif, « un vrai massacre » qui tourne vite à l’expédition punitive (une centaine de morts chez les Européens, plusieurs milliers chez les indigènes). Blessé, il part suivre ses études de médecine à Paris, puis se marie par amour avec une Espagnole pauvre, mésalliance à l’encontre de l’entre-soi de mise dans les différentes communautés.
« Les « indigènes », au vrai, c’était comme les oiseaux dans le film d’Alfred Hitchcock, ils faisaient partie du paysage. »

« Après Sétif, la tragédie n’a plus qu’à débiter les strophes et antistrophes du malheur. Une mécanique fatale, avec ses assassinats, ses trahisons, ses dilemmes insensés, sa longue chaîne de souffrances et de ressentiment. »

Les attentats du FLN commencent comme naît Thomas, le narrateur, qui aborde ses souvenirs d’enfance.
« …] le portrait que je trace de mon père en me fiant au seul recours de ma mémoire est moins fidèle, je m’en aperçois, moins réel que les fictions inventées ou reconstruites pour rendre compte de sa vie avant ma naissance. »

OAS et fellaghas divisent irréconciliablement Arabes et colons. De Gaulle parvient au pouvoir, et tout le monde croit encore que la situation va s’arranger, jusqu’à l’évacuation, l’exode, l’exil. Mauvais accueil en métropole, et reconstruction d’une vie brisée, Manuel devant renoncer à la chirurgie pour être médecin généraliste.
Histoire étonnante des cartes d’Opicino de Canistris :
« À la question « qui suis-je ? », qui sum ego, il répond tu es egoceros, la bête à corne, le bouc libidineux, le rhinocéros de toi-même.
Il n’est pas fou, il me ressemble comme deux gouttes d’eau ; il nous ressemble à tous, encombrés que nous sommes de nos frayeurs intimes et du combat que nous menons contre l’absurdité de vivre. »

Regret d’une colonisation ratée…
« Ce qu’il veut dire, je crois, c’est qu’il y aurait eu là-bas une chance de réussir quelque chose comme la romanisation de la Gaule, ou l’européanisation de l’Amérique du Nord, et que les gouvernements français l’avaient ratée. Par manque d’humanisme, de démocratie, de vision égalitaire, par manque d’intelligence, surtout, et parce qu’ils étaient l’émanation constante des « vrais colons » – douze mille en 1957, parmi lesquels trois cents riches et une dizaine plus riches à eux dix que tous les autres ensemble – dont la rapacité n’avait d’égal que le mépris absolu des indigènes et des petits Blancs qu’ils utilisaient comme main-d’œuvre pour leurs profits. »

… mais :
« Si les indigènes musulmans ont été les Indiens de la France, ce sont des Indiens qui auraient finalement, heureusement, et contre toute attente, repoussé à la mer leurs agresseurs.
Un western inversé, en somme, bien difficile à regarder jusqu’à la fin pour des Européens habitués à contempler en Technicolor la mythologie de leur seule domination. »

« La France s’est dédouanée de l’Algérie française en fustigeant ceux-là mêmes qui ont essayé tant bien que mal de faire exister cette chimère. Les pieds-noirs sont les boucs émissaires du forfait colonialiste.
Manuel ne voit pas, si profonde est la blessure, que ce poison terrasse à la fois ceux qui l’absorbent et ceux qui l’administrent. La meule a tourné d’un cran, l’écrasant au passage, sans même s’apercevoir de sa présence.
Il y aura un dernier pied-noir, comme il y a eu un dernier des Mohicans. »

Clairement narré, et regroupé en petits chapitres, ce qui rend la lecture fort agréable. Par exemple, le 240ème in extenso :
« Rejoindre le front des Vosges dans un camion de bauxite, sauter sur une mine à Mulhouse, et se retrouver médecin des gueules rouges à Brignoles, en compagnie d’un confrère alsacien ! Qu’est-ce qui est à l’œuvre dans ce genre de conjonction ? Quels sont les dieux fourbes qui manipulent ainsi nos destinées ? Projet : S’occuper de ce que Charles Fort appelait des « coïncidences exagérées ». Montrer ce qu’elles révèlent de terreur archaïque devant l’inintelligibilité du monde, de poésie latente aussi, et quasi biologique, dans notre obstination à préférer n’importe quel déterminisme au sentiment d’avoir été jetés à l’existence comme on jette, dit-on, un prisonnier aux chiens. »

Les parties du roman sont titrées d’après les cartes italiennes de la crapette, « bâtons, épées, coupes et deniers ».
Il y a une grande part d’autobiographie dans ce roman dense, qui aborde nombre de sujets.
Beaucoup d’aspects sont abordés, comme le savoureux parler nord-africain en voie de disparition (ainsi que son humour), et pendant qu’on y est la cuisine, soubressade, longanisse, morcilla
Et le dénouement est inattendu !

\Mots-clés : #antisémitisme #biographie #colonisation #deuxiemeguerre #enfance #exil #guerredalgérie #historique #identite #immigration #insurrection #politique #racisme #relationenfantparent #segregation #social #terrorisme #traditions #xxesiecle
par Tristram
le Ven 31 Mar - 12:56
 
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Sujet: Jean-Marie Blas de Roblès
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Jacques Perret

Bande à part

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Jacques Perret se souvenait de sa captivité dans Le Caporal épinglé, ici c’est du maquis.
« Enfin, nous appartenions à l’O. R. A. ; d’autres se disaient affiliés à l’A. S., aux F. T. P., à ru. B. N. G. F., à la B. N. C. I., et un petit nombre se flattait bizarrement d’appartenir à l’I. S., ou Intelligence Service. Tout cela faisait un certain nombre de sociétés plus ou moins batailleuses, farfelues ou cafardes, spécialisées dans l’invention des traîtres, le châtiment martial, la lutte contre les Allemands, la foire d’empoigne, le sabotage, le scalp des ribaudes, l’arrachement des effigies du Maréchal. Un mélange traditionnel d’idéal et de rapine, sans oublier les délicats plaisirs du hors-la-loi avec les merveilleuses latitudes du bandit d’honneur. Peu importe, je n’ai pas du tout l’intention de faire la balance des mérites et méfaits du maquis. Je ne suis qu’un témoin minuscule et anecdotique, exclusivement solidaire de la petite troupe où je comptais, et parfaitement indifférent aux intérêts cafouilleux des autres bandes. Et là même où j’eus emploi, je travaillais clandestinement pour la gloire d’un petit nombre de fantômes. Après avoir cherché vainement pour quel vivant Bayard j’aurais pu honnêtement servir, mon secret plaisir fut de prêter mon bras à quelques ombres choisies comme Pharamond, Charette, Louis le Gros ou Gaston de Foix. Avec les copains, bien entendu, les copains affiliés à l’immémorial copinage de la piétaille. Le meilleur, le franc butin de ce genre d’aventure, c’est le souvenir des copains. »

Portrait des zigotos, dont l’adjudant :
« Tabaraud était souvent allumé, mais presque toujours il s’agissait d’une excitation naturelle, indépendante des tournées de vin blanc et due à la fermentation des petites idées anaérobies qui conspiraient sans relâche dans les replis de son âme. La vie intérieure de Tabaraud n’était jamais en repos. Il faisait justement une causerie éducative sur la trahison, d’où il semblait ressortir que sans trahison la terre serait une morne planète. Son éloquence était faite de galimatias gendarmique rehaussé d’une diction jacobine, mais il n’était pas prolixe et ne parlait jamais pour l’innocent plaisir de parler. En trois mots convenablement timbrés, il installait une présomption de drame au milieu d’une candide belote. Non seulement il ne pouvait supporter l’insouciance, mais il avait peine à y croire et tout ce qui était limpide était suspect ou provocant. Son approche faisait baisser la pression atmosphérique et soulevait la lie dans les tonneaux : un gonfleur d’angoisse, une levure à cailler les foules indécises, un bâtard ombrageux du désordre et de la peur. Pourtant naïf lui-même, presque innocent et comme irresponsable du terrible pouvoir qui lui était échu. Pour héler les gens sur la route, il disait volontiers : hé, l’ami ! ce qui avait un petit cachet vieillot et fraternel, mais l’ami en avait le dos glacé. Je dis tout de suite qu’à l’épreuve du feu l’âme de Tabaraud semblait se décanter progressivement. Brouillon, inquiet et même nocif à l’approche du péril, il se révélait assez ferme et lucide quand la bagarre lui tombait dessus. »

Mais le vrai portrait, c’est celui de Ramos, personnage haut en couleur et difficile à résumer, notamment insomniaque, sensible aux signes, bavard sibyllin, grand buveur et individualiste – Ramos et sa mort.
« – La terre, il faut veiller dessus et dormir dessous. »

« Maintenant je peux y aller, je me dis que le mort explique le vif, je rassemble mes croquis et je fais le portrait de Ramos, non seulement comme je l’ai vu mais comme je le revois. »

Le maquis est quelque chose d’assez brouillon, qui vit sur le pays (et comprend des « nordafes » ou « sarrasins » : des Kabyles) :
« Si notre formation avait été provisoirement hors du jeu, elle avait quand même démontré son existence et d’autres, mieux servies par la chance ou mieux conduites, avaient réussi quelques jolis coups si bien que l’ennemi en se retirant pouvait avoir la consolation de ne s’être pas dérangé pour rien ; et nous la satisfaction d’avoir retenu loin de l’Atlantique une division bien portante au prix d’une centaine de tués et d’une vingtaine de villages incendiés. Pour savoir si c’est un prix fort ou avantageux il faudrait avoir des barèmes que je n’ai jamais eus sous les yeux. »

« Tout le jour il avait fait beau, chaud, et le loriot avait longtemps chanté pendant que nous somnolions. Le chant du loriot a joué de bonne heure un rôle important dans ma vie car nous l’avions adopté entre gamins de la famille pour signal de reconnaissance. En vérité cette modulation limpide et flûtée, ces trois notes liquides et graves dans les cimes chaudes de la forêt, m’impressionne toujours comme un signal personnel de l’oiseau mystique m’invitant à la paresse ineffable. Où que je sois, en quelque équipage et compagnie, si le merle d’or vient à siffler j’entends bien que sa vocalise est une mise en garde contre la vanité des entreprises humaines et je m’en laisse conter par une rengaine qui dure probablement depuis le quatrième jour de la création. Angélique ou malin, je ne sais encore, l’exquis chanteur d’à-quoi-bon choisit avec astuce les heures méridiennes de l’été pour me convier à l’indolence métaphysique, au mépris des œuvres, au quiétisme le plus sommaire et je n’ai pas toujours sous la main les tambours qu’il faudrait pour couvrir son ramage. Enfin, nous étions étendus sur la mousse et, faisant suite au loriot, Ramos avait pris la parole pour nous conter à voix douce et chantante une histoire d’amour compliquée de querelles syndicales où se greffait un épisode technique de wagonnet de chantier avec de longues parenthèses sur la fidélité conjugale et des aperçus généreux sur la condition du mineur boiseur par rapport à la vertu des ancêtres et à la bonne foi des gouvernements, soit une de ces rhapsodies ramosiques où l’utilitaire et le contingent ne sont plus que hochets dérisoires pour la récréation de l’homme libre et dégoiseur à crédit. Tout cela pour vous montrer que l’annonce de coup de main jeta un froid. »

« Notre tâche était maintenant de houspiller les derniers convois de la retraite en attendant l’arrivée des troupes alliées. Déjà nous allions dans les campagnes avec plus d’assurance et, de jour en jour, il se confirmait que nous passions de la condition inquiète et précaire de l’insurgé à l’état plus reposant d’auxiliaire d’une armée victorieuse. Entre autres signes, on remarquait une affluence de candidats au maquis, l’établissement de contrats d’engagements et l’arrivée dans les compagnies d’un certain nombre d’officiers en quête d’emploi. Leur faire grief d’avoir attendu serait stupide. On attend par veulerie certes, mais aussi par flemme ou par devoir et, personnellement, j’ai passé une assez jolie part de ma vie à attendre pour connaître toutes les justifications de l’attente. Il va de soi que l’honneur autant que l’humeur puisse commander aux uns le choix rapide, aux autres l’expectative et nous savons que la fortune d’un pays est aussi bien dans les hommes qui savent attendre.
Évidemment, je ne parle pas des tard-venus de basse politique, des grands faquins et petits crasseux qui commençaient à s’ébrouer sur nos derrières et ménageaient leur fortune en lançant des pierres aux captifs, ni des durdedurs à mirlitraillette qui depuis peu se propageaient en lieux sûrs sur les ailes des automobiles pour annoncer le règne de la justice et de l’honneur. »

Le style est extrêmement travaillé, denséifié : les extraits sont représentatifs, le récit est toujours du même ton.
Le témoignage sur la Résistance est surtout marqué d'une modestie du dérisoire, sans aucune déférence ; l'essentiel dans ce livre me paraît surtout être le témoignage sur la piétaille, les copains disparus.

\Mots-clés : #amitié #autobiographie #deuxiemeguerre #terrorisme #xxesiecle
par Tristram
le Mar 7 Fév - 11:53
 
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Sujet: Jacques Perret
Réponses: 21
Vues: 2424

Antonio Lobo Antunes

Traité des passions de l'âme

Tag terrorisme sur Des Choses à lire Traitz10

Le Juge d’instruction a été sommé de convaincre l’Homme, un membre d'une organisation terroriste, de renseigner la justice.
« Vous ne trouvez pas que c'est une aide généreuse, a-t-il demandé à l'Homme en lui tournant le dos et en lui présentant sous son costume des omoplates maigres d'ange inachevé. »

Le père du juge était le pauvre fermier (alcoolique) du grand-père du détenu, et les souvenirs de leur enfance commune s’entremêlent à leurs pensées tandis qu’ils s’entretiennent, en viennent à l’évoquer en se chamaillant, perturbant l’interrogatoire en s’y mélangeant inextricablement. Délirante, fantasmagorique et même farcesque, parfois nauséabonde, cette féroce peinture de mœurs dans un Portugal, un Lisbonne apparemment en ruine, est rendue dans une baroque profusion de détails.
« La villa, avec son toit d'ardoises noires, dégringolait comme une construction de dominos depuis les deux ou trois derniers hivers : le revêtement des angles se détachait par grandes plaques molles, une des vérandas en ruine inclinait ses planches vers les broussailles de la clôture, les rideaux se déchiraient à travers les losanges des fenêtres, les feux de navigation des fantômes défunts qui dérivaient de fenêtre en fenêtre devenaient de plus en plus dispersés et faibles et la musique titubait en hésitant sur les dénivellations des notes au bord d'une agonie douloureuse. Le gazon dévorait la clôture, maintenant complètement démolie, qui séparait la villa du bâtiment de l'école, les chats s'y recherchaient dans la frénésie du rut. Des oiseaux avec des pupilles démentes sortaient des fenêtres du vestibule dans un volettement de pages de dictionnaire et une silhouette claire se montrait de temps en temps à un appui de fenêtre pour contempler le fouillis de giroflées avec l'étonnement des statues de porcelaine. »

Dans cette villa vit le père de l’Homme (« António Antunes »), violoniste fou caché par ses parents-parents depuis la mort de sa mère…
Évocation de ses complices, « le Curé, l'Étudiant, l'Artiste, la Propriétaire de la maison de repos, l'Employé de banque », cellule marxiste enchaînant les sanglants assassinats mal ciblés. L’action se passe apparemment après la chute de Salazar, mais ce n’est pas toujours évident.
Le Monsieur de la Brigade spéciale annonce à Zé, le Magistrat, qu’il va servir d’appât pour les terroristes, actuellement occupés à éliminer les (faux) repentis et les infiltrés (c’est aussi un roman de trahisons croisées, de violence aveugle) ; l’Homme a rejoint la bande, renseignant la police qui lui a promis une exfiltration au Brésil.
Ce Monsieur, souvent occuper à reluquer la pédicure d’en face, ne dépare pas dans la galerie de grotesques salopards lubriques et corrompus issus de l’armée (exemple de la narration alternée).
« J'ai rangé ma serviette, mon canif en nacre, mon trousseau de clés et l'argent dans mon pantalon à côté d'une photo d'elle prise à Malaga l'été précédent et entourée d'un cadre en cuir à l'époque où elle s'était avisée de s'enticher d'un architecte italien à qui j'avais dû casser un coude pour le persuader poliment de rentrer bien tranquillement dans le pays de ses aïeux, et je me suis installé sur le pouf pour me battre avec mes lacets qui me désobéissent quand j'aurais le plus besoin qu'ils se défassent et avec mes souliers qui augmentent de taille comme ceux des clowns de cirque et qui m'obligent à avancer sur le parquet en levant exagérément les genoux, à l'instar des hommes-grenouilles chaussés de palmes qui se déplacent sur la plage comme s'ils évitaient à chaque pas des monticules de bouse invisible semés sur le sable par des vaches inexistantes. »
Petitesse de tous, qui vont et viennent entre le présent et le passé, souvent leurs souvenirs d’enfance.
En compagnie du cadavre de l’Artiste abattu par la police, les piètres terroristes retranchés dans un appartement avec leur quincaillerie achetée à des trafiquants africains tentent un attentat risible contre le Juge et la Judiciaire : du grand cirque.
« Les fruits du verger luisaient dans l'obscurité, des chandeliers sans but se promenaient derrière les stores de la villa, la constellation de Brandoa clignotait derrière les contours de la porcherie. Le chauffeur, la cuisinière, ma mère et moi, a pensé le Magistrat, nous glissions tous les quatre sur des racines, dans des rigoles d'irrigation, sur des pierres, des arbustes, des briques qui traînaient par terre, nous avons descendu mon père qui exhalait des vapeurs d'alambic, nous l'avons couché sur le lit que ma mère a recouvert de la nappe du dîner pour qu'il ne salisse pas les draps avec la boue de ses bottes et, un quart d'heure plus tard, après avoir enterré la chienne dans ce qui fut une plate-bande d'oignons et qui se transformait peu à peu en un parterre de mauvaises herbes, le chauffeur est revenu flanqué du pharmacien, dont la petite moustache filiforme semblait dessinée au crayon sur la lèvre supérieure, qui a examiné les pupilles de mon père avec une lanterne docte tout en lorgnant à la dérobée les jambes des bonnes, il a tâté sa carotide pour s'assurer du flux du sang, il a administré des coups de marteau sur ses rotules avec le bord de la main pour vérifier ses réflexes, il a souri à la cuisinière en se nettoyant les gencives avec la langue et il a annoncé à ma mère en projetant des ovales plus clairs sur les murs avec sa lampe, Pour moi, ça ne fait aucun doute, il a avalé son bulletin de naissance, si vous voulez, emmenez-le à l'hôpital Saint-Joseph par acquit de conscience, il faut qu'un médecin délivre le certificat de décès.
– Je lui ai fait comprendre que je le mettais dans un avion pour le Brésil, le type m'a pris au sérieux et c'est sur cette base qu'il a collaboré avec nous, a dit le Magistrat en regardant le Monsieur en face pour la première fois. Je lui ai affirmé qu'il n'aurait pas d'ennuis, et si vos hommes de main le descendent en arguant de la légitime défense ou de tout autre prétexte, je vous jure que je ferai un foin terrible dans les journaux.
– Mort ? s'est étonné le chauffeur en collant son oreille contre la bouche du fermier, puis se redressant et dansant sur ses souliers pointus vers le pharmacien qui examinait avec sa lampe la grimace jalouse de la cuisinière et les nichons des servantes. C'est drôle ça, j'ai vu des morts tant et plus quand je travaillais à la Miséricorde mais c'est bien le premier que j'entends ronfler.
– On se change, on prend une douche froide, on se met sur son trente et un, et après le dîner on se tire à Pedralvas, a proposé l'Homme qui se cramponnait au cèdre en essayant de se tenir sur ses genoux et ses chevilles gélatineuses. (Sa tête lui faisait mal comme une blessure ouverte, ses intestins semblaient sur le point d'expulser un hérisson par l'anus, le visage flou du Juge d'instruction le regardait derrière une rangée de narcisses.) Moi je me porte comme un charme, je pourrais aller jusqu'à Leiria au pas de course. »

L’Homme est en fuite, cerné par les forces armées (très présentes, ainsi que l’empreinte de la guerre d’Angola), et il appelle son ami d’enfance...
« Nous avons passé notre vie à nous faire mutuellement des crocs-en-jambe et quand des soldats encerclent votre maison, qui se souvient de son enfance ? »

Mais l’enfance revient toujours, avec le leitmotiv des cigognes. La justice impuissante et la révolte inepte sont en quelque sorte renvoyées dos à dos, s’engloutissant dans la violence brute, et l’état de fait ne change guère (après la révolution des Œillets).

\Mots-clés : #corruption #Enfance #famille #justice #politique #regimeautoritaire #terrorisme #trahison #violence #xxesiecle
par Tristram
le Mar 27 Déc - 11:37
 
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Sujet: Antonio Lobo Antunes
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John Le Carré

Un homme très recherché

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Peu après le 11 septembre, Issa Karpov, le mystérieux fils tchétchène d’un colonel de l’Armée rouge décédé, arrive clandestinement à Hambourg (port cosmopolite qui abrita une cellule islamiste impliquée dans l’attentat) ; il a été torturé en Russie et en Turquie, et prétend étudier la médecine, envoyé par Allah. Annabel Richter, une jeune avocate idéaliste de gauche, le met en rapport avec Tommy Brue, un banquier dont le père a créé un compte d’argent blanchi pour son père, associé à la mafia et au massacre des musulmans russes ; les services secrets s’intéressent à lui.
« En fac de droit, on discutait beaucoup de la primauté de la loi sur la vie. C’est un principe fondamental qui traverse toute l’histoire de l’Allemagne : la loi n’est pas faite pour protéger la vie, mais pour l’étouffer. Nous l’avons appliqué aux Juifs. Adapté à l’Amérique d’aujourd’hui, ce même principe autorise la torture et l’enlèvement politique. »

À son habitude, Le Carré dépeint de beaux portraits de ses personnages (notamment des agents secrets), ainsi qu'un contexte géopolitique international occulte, et crédible.
« S’il existe en ce monde des gens prédestinés à l’espionnage, Bachmann était de ceux-là. Rejeton polyglotte d’une extravagante Germano-Ukrainienne ayant contracté une série de mariages mixtes, unique officier de son service censé n’avoir rien réussi à l’école si ce n’est se faire renvoyer définitivement du lycée, avant l’âge de trente ans Bachmann avait bourlingué sur toutes les mers du globe, fait du trekking dans l’Hindou Kouch et de la prison en Colombie, et écrit un roman impubliable d’un millier de pages.
Pourtant, au fil de ces expériences invraisemblables, il avait découvert son patriotisme et sa vraie vocation, d’abord en tant qu’auxiliaire irrégulier d’un lointain avant-poste allemand, puis en tant qu’agent expatrié sans couverture diplomatique à Varsovie pour sa connaissance du polonais, à Aden, Beyrouth, Bagdad et Mogadiscio pour son arabe, et enfin à Berlin pour ses péchés, condamné à y végéter après avoir engendré un scandale quasi épique dont seuls quelques détails avaient atteint le moulin à ragots : un excès de zèle, dirent les rumeurs, une tentative de chantage malavisée, un suicide, un ambassadeur allemand rappelé en hâte. »

Sont particulièrement intéressants les discours manipulateurs des agents de renseignement et surtout des officiers traitants.
« Pas étonnant qu’elle n’arrive pas à dormir. Il lui suffisait de poser la tête sur l’oreiller pour revivre avec un réalisme criant ses nombreuses et diverses prestations de la journée. Ai-je outré mon intérêt pour le bébé malade de la standardiste du Sanctuaire ? Quelle image ai-je projetée quand Ursula a suggéré qu’il était temps pour moi de prendre des vacances ? Et pourquoi l’a-t-elle suggéré d’ailleurs, alors que je me terre derrière ma porte close pour donner l’impression que je remplis diligemment mes fonctions ? Et pourquoi en suis-je venue à me considérer comme le légendaire papillon d’Australie dont le battement d’ailes peut déclencher un tremblement de terre à l’autre bout de la planète ? »

« …] malgré tous les fabuleux joujoux d’espions high-tech qu’ils avaient en magasin, malgré tous les codes magiques qu’ils décryptaient et toutes les conversations suspectes qu’ils interceptaient et toutes les déductions brillantes qu’ils sortaient d’une pochette-surprise concernant les structures organisationnelles de l’ennemi ou l’absence desdites, malgré toutes les luttes intestines qu’ils se livraient, malgré tous les journalistes soumis qui se disputaient l’honneur d’échanger leurs scoops douteux contre des fuites calculées et un peu d’argent de poche, au bout du compte, ce sont toujours l’imam humilié, le messager secret malheureux en amour, le vénal chercheur travaillant pour la Défense pakistanaise, l’officier subalterne iranien oublié dans la promotion, l’agent dormant solitaire fatigué de dormir seul, qui à eux tous fournissent les renseignements concrets sans lesquels tout le reste n’est que du grain à moudre pour les manipulateurs de vérité, idéologues et politopathes qui mènent le monde à sa perte. »

« Nous ne sommes pas des policiers, nous sommes des espions. Nous n’arrêtons pas nos cibles. Nous les travaillons et nous les redirigeons contre des cibles plus importantes. Quand nous identifions un réseau, nous l’observons, nous l’écoutons, nous le pénétrons et nous en prenons peu à peu le contrôle. Les arrestations ont un impact négatif. Elles détruisent des acquis précieux. Elles nous renvoient à la case départ, elles nous obligent à chercher un autre réseau qui serait même deux fois moins bien que celui qu’on vient de foutre en l’air. »

Le Dr Abdullah est un érudit installé en Allemagne qui « représente beaucoup de grandes organisations caritatives musulmanes », et il est pressenti pour répartir pieusement l’argent « impur » de l’héritage d’Issa, car c’est un homme de bien – mais peut-être y a-t-il chez lui ne serait-ce que 5 % de mal ?
Cette histoire fait intervenir les services secrets allemands, anglais et américains, avec leurs guerres intestines, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme islamique, jusqu'au triomphe final des États-Unis et de leur puissant système de non-droit.
Le suspense m’est paru particulièrement bien mené. Je renvoie aux subtils commentaires de Marie et Shanidar.

\Mots-clés : #contemporain #discrimination #espionnage #immigration #justice #minoriteethnique #politique #psychologique #religion #terrorisme #xxesiecle
par Tristram
le Ven 21 Oct - 13:04
 
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Sujet: John Le Carré
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Etgar Keret

Sept années de bonheur

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Ces chroniques intimes, parues en 2013 en Israël, réunissent des ressentis et réflexions d’un habitant d’un pays menacé en permanence, et sa condition particulière, notamment lors de ses nombreux voyages à l’étranger. Significativement, la première évoque comme, ayant amené sa femme pour accoucher dans un hôpital, y affluent les victimes d’un attentat terroriste de plus. Mais c’est aussi un regard plus vaste sur cette société ; ainsi sa sœur est convertie à l’orthodoxie.
« En France, un réceptionniste nous dit, à moi et à l’écrivain arabe israélien Sayed Kashua, que si ça ne tenait qu’à lui, l’hôtel ne recevrait pas les juifs. Après quoi il me fallut passer le reste de la soirée à entendre Sayed râler : comme si ça ne suffisait pas d’avoir subi l’occupation sioniste pendant quarante-deux ans, il lui fallait maintenant supporter l’insulte d’être pris pour un juif. »

Beaucoup de choses sur les taxis, son fils, son père, et aussi La maison étroite, « une maison qui aurait les proportions de mes nouvelles : aussi minimaliste et petite que possible », qu’un architecte lui construit à Varsovie. Sur trois niveaux, elle est prévue dans une « faille » entre deux immeubles :
« Ma mère regarda l’image simulée pendant une fraction de seconde. À ma grande surprise, elle reconnut immédiatement la rue ; l’étroite maison serait construite, par le plus grand des hasards, à l’endroit précis où un pont reliait le petit ghetto au grand. Quand ma mère rapportait en fraude de quoi nourrir ses parents, elle devait franchir une barrière à cet endroit, gardée par un peloton de nazis. Elle savait qu’en se faisant surprendre avec une miche de pain elle serait exécutée sur-le-champ. »

Seule rescapée de sa famille, son père lui avait demandé de vivre pour faire survivre leur nom.
Voici l’extrait qui m’a conduit à lire ce livre (et constitue une bonne réponse possible dans le dossier La littérature c’est koi, notée par Bix en son temps) :
« L’écrivain n’est ni un saint ni un tsadik [(homme) juste, en hébreu] ni un prophète montant la garde ; il n’est rien qu'un pécheur comme un autre doté d’une conscience à peine plus aiguisée et d’un langage un peu plus précis dont il sert pour décrire l’inconcevable réalité de notre monde. Il n’invente pas un seul sentiment, pas une seule pensée ‒ tout cela existait longtemps avant lui. Il ne vaut pas mieux que ses lecteurs, pas du tout ‒ il est parfois bien pire ‒, et c'est ce qu’il faut. Si l'écrivain était un ange, l'abîme qui le séparerait de nous serait si vaste que ses écrits ne nous seraient pas assez proches pour nous toucher. Mais parce qu'il est ici, à nos côtés, enfoui jusqu'au cou dans la boue et l'ordure, il est celui qui plus que quiconque peut nous faire partager tout ce qui se passe dans son esprit, dans les zones éclairées et, plus encore, dans les recoins sombres. »


\Mots-clés : #antisémitisme #autobiographie #communautejuive #conflitisraelopalestinien #contemporain #ecriture #terrorisme #viequotidienne
par Tristram
le Jeu 19 Mai - 12:45
 
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Sujet: Etgar Keret
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Adrian McKinty

Une terre si froide

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Voici le premier polar historique d’Adrian McKinty mettant en scène l’inspecteur Sean Duffy, et son originalité tient évidemment à ce personnage de catholique dans un quartier protestant, au cœur de la guerre civile en Irlande du Nord. Du coup je manque des références (sans parler des marques de fringues et du showbiz). C’est le même procédé qu’a employé Philip Kerr, mais ici la part est belle à la violence, épicée d’ironie et d’humour noir, voire même de cynisme.
C’est donc une sorte de regard-témoignage sur cette région où la violence est quotidienne, attentats et meurtres s’appelant l’un l’autre, aussi sous forme de misère, de rackett, de corruption, également une contrée où l’homosexualité est illégale, de même que l’avortement. Mais, comme de coutume, le terroriste de l'un est toujours le héros de l'autre.
Évidemment le conflit est central, basé sur la révolte indépendantiste vis-à-vis de l’Angleterre et la réunification éventuelle avec l’Éire, démultiplié par les antagonismes confessionnaux et la profusion des petits chefs et clans de guerre.
« − Il n’y a aucune différence entre le militant type de l’IRA et celui de l’UVF. Les marqueurs sont toujours les mêmes : issu de la classe ouvrière, pauvre, père généralement alcoolique ou absent. On voit ça tout le temps. Les profils psychosociaux sont identiques à part que l’un s’identifie comme protestant et l’autre comme catholique. Beaucoup viennent d’ailleurs de familles mixtes sur le plan religieux, comme Bobby Sands. Ils représentent souvent le noyau dur et essaient de s’affirmer en face de leurs coreligionnaires. »

Dans l’Ulster à feu et à sang, on reste quand même au Royaume-Uni de Thatcher et du mariage de Lady Di avec Charles, héritier du trône britannique.
« Le monde peut partir totalement à vau-l’eau, le mariage royal a lieu dans deux mois et c’est tout ce qui compte. »

« Les Anglais ont toujours excellé à verser de l’huile sur le feu lorsqu’une situation difficile se présentait en Irlande. Que ce soit pendant le soulèvement de Pâques 1916 ou, plus récemment, du Bloody Sunday, durant toute la période de l’Internement aussi, ils ont toujours fourni de formidables outils de propagande pour les mouvements radicaux. […]
L’élection de Bobby Sands au Parlement, puis sa mort au bout de soixante-six jours de grève de la faim, ont constitué les événements médiatiques de cette décennie et les recruteurs de l’IRA doivent aujourd’hui refuser des centaines de jeunes volontaires, hommes et femmes désireux de rejoindre leurs rangs. »

Une curieuse notation de psychologie collective sera réitérée :
« − L’Irlande du Nord n’a jamais connu de tueur en série, m’oppose-t-il.
− C’est vrai. Quiconque ayant ce genre de dispositions aurait pu rejoindre un camp ou l’autre. Torturer et tuer à loisir tout en défendant la "cause". »

« L’Irlande du Nord n’est pas un terreau pour les tueurs en série. En Irlande, si on a des envies de tuer, on rejoint les paramilitaires pour assouvir ses penchants sociopathes. »

Le livre est conçu d’une seule pièce, sans séparation par chapitres ; le style est par périodes syncopé, ou plutôt laconique, déstructuré.
Un curieux fil de mythologie gréco-romaine court tout au long du roman, qui relève la présence toujours notoire du latin dans la langue anglaise (ce qui n’est pas pour indifférer le latiniste contrarié que je suis). Et cela nous permet d’entendre un officier du MI5 citer Horace, Ars poetica, 25 :
« Brevis esse laboro, obscurus fio » (Quand je travaille à être bref, je deviens obscur.)

Sinon, toutes les qualités d’un bon polar, y compris suspense et singularité des péripéties et dénouement.

\Mots-clés : #criminalite #historique #insurrection #polar #politique #terrorisme #violence #xxesiecle
par Tristram
le Sam 23 Oct - 14:47
 
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Sujet: Adrian McKinty
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Graham Greene

Un Américain bien tranquille

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Le narrateur, Fowler, est un correspondant de presse britannique faisant le reportage de la guerre des Français à Saigon (ce que Greene fit également) ; il est présent depuis des années, se drogue à l’opium et n’envisage pas de jamais quitter le Viet-nam.
« Mes confrères journalistes se faisaient appeler correspondants, je préférais le titre de reporter. J’écrivais ce que je voyais, je n’agissais pas, et avoir une opinion est encore une façon d’agir. »

Son ami Pyle, « un Américain bien tranquille », jeune attaché à la Mission d’aide économique, aussi « chargé de missions spéciales » est retrouvé mort. Phuong, qui fut sa compagne avant de le quitter pour Pyle, revient vivre avec lui.
C’est un aperçu de la guerre contre le Viet-Minh au milieu des « armées privées », comme celle du général Thé (phénomène qu’on reverra souvent, et pas qu’en Lybie) :
« Ce pays était en proie aux barons rebelles : on aurait dit l’Europe du Moyen Âge. »

Il y a aussi un regard intéressant sur les Vietnamiens (et Vietnamiennes) et les Occidentaux à l’époque, la religion syncrétique caodaïste, le travail de journaliste forcément limité par le pouvoir militaire qui contrôle l’information et censure. Même un personnage secondaire comme Vigot, officier de la Sûreté française expert du 421 et de Pascal, devient attachant et caractéristique. Il y a aussi de l’action violente (la nuit dans la tour de guet), du témoignage de guerre…
Mais le thème principal est l’étude psychologique de l’étrange duo Fowler-Pyle ; si le premier est plutôt désabusé et cynique, Pyle est plus naïf et « innocent » (image étonnante a priori, que j’ai également gardée de nombre d’États-Uniens rencontrés lors de mes séjours outre-mer).
« Un homme devient digne de confiance, dit solennellement Pyle, quand on a confiance en lui. »

Cela n’empêche pas cet idéaliste d’œuvrer à la surrection d’une « Troisième Force » afin que la démocratie affronte victorieusement le communisme, et qu’importent les explosifs placés dans la foule. (Greene semble considérer que la guerre d’Indochine n’était pas essentiellement « coloniale ».)
Ce bref roman qui commence par la fin devrait ne pas présenter beaucoup d’intérêt dû au suspense, mais le lecteur comprend que c’est le contraire d’une maladresse lorsqu’il parvient au renversement final : Fowler, qui se targuait d’être et de vouloir rester non « engagé », y viendra à son tour...

\Mots-clés : #colonisation #complotisme #espionnage #guerreduvietnam #politique #psychologique #terrorisme
par Tristram
le Mer 30 Juin - 15:46
 
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Sujet: Graham Greene
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Joseph Conrad

Sous les yeux de l'Occident

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Roman, titre original: Under Western Eyes, paru en langue originale en 1911, 350 pages environ

Spoiler:


Un roman de Conrad de plus composé avec une gestation et un accouchement dans la douleur - deux ans et demi de labeur avec des périodes de plusieurs semaines sans parvenir à aligner deux mots, puis un manuscrit-fleuve de 1350 pages à peu près, retaillé façon bonzaï, puis ré-écrit, calibré pour une parution en feuilleton, et, au bout, Conrad tombe malade et sans le sou, ce qui obéra les dernières révisions et corrections, puis le roman fait un bide à la parution...

[Encore un] grand Conrad, pourtant.
Pessimiste dans sa vision de l'humanité (comme d'habitude), et enfourchant un dada déjà rencontré chez lui (le thème du devoir et de la faute, est-ce assez Lord Jim ?). "Sous les yeux de l'occident" certes, mais Conrad n'a pas la dent moins dure envers la Suisse démocratique qu'envers la Russie tsariste, ni non plus envers l'empire britannique, lequel apparaît sous les traits du narrateur (NB: le "je" d'écriture n'est pas Conrad).  

Saint Pétersbourg, début XXème.
L'autocratie des Romanov, la police politique, le fait de se surveiller en permanence, de prendre toutes les précautions oratoires et comportementales.
Un jeune étudiant, Kirylo Sidorovitch Razumov pioche et bachotte afin de réussir ses études, qui promettent d'être brillantes. Il est orphelin, se soupçonne (c'est une quasi-certitude) bâtard d'un grand de la Cour qui se serait mésallié.
Solitaire, peu bavard, vie sobre.
Un soir, en rentrant chez lui, il y trouve Harlin, un étudiant qu'il connaît vaguement, qui lui déclare avoir commis un attentat terroriste, et le somme de faire pour lui une commission, ce qui bien évidemment compromet notre brillant étudiant, qui risque le pire s'il obtempère.
Que faire ?

Le roman se déroule ensuite en Suisse avant de faire un bref retour en Russie à la fin. Razumov, toujours solitaire mais à présent auréolé de prestige, est en exil dans le quartier russe de Genève, où ses fréquentations révolutionnaires ont pour lui un immense respect. Mais il rencontre la sœur et la mère de Harlin...



Après "tu ne connaîtras jamais les Mayas" d'Apollinaire, "tu ne connaîtras jamais les Russes" de Conrad ?

Roman brillant, dense, sur faux-rythme souvent, faisant passer le chaud et le froid. Les personnages sont campés fortement - et non juste crayonnés pro commoditate au service de l'histoire - et, roulement de caisse claire et coup de cymbales, Conrad -je le note !- nous gratifie (enfin) de quelques caractères féminins [réussis] - au moins quatre, mazette !

Conrad module à merveille l'intensité, joue à saute-chronologie, amène joliment les temps forts du roman, je ne vais pas trop en dire afin de ne pas déflorer l'histoire.
C'est un livre qui m'a laissé méditatif, qui "fait réfléchir" comme on dit bêtement communément.

Troisième partie, chapitre 2 a écrit: Il s'assit. Vus de près, les pommettes fardées, les rides, les petits sillons de chaque côté des lèvres trop rouges le stupéfièrent. Il fut accueilli gracieusement, par un sourire de tête de mort grimaçante:
- Il y a quelque temps que nous entendons parler de vous.

Il ne sut que dire et murmura des syllabes incohérentes. L'effet tête de mort disparut.
- Et savez-vous que tout le monde se plaint de votre réserve excessive ?

Razumov garda un instant le silence, réfléchissant à ce qu'il allait répondre.
- Je ne suis pas un homme d'action, voyez-vous, dit-il d'un air ténébreux, le regard levé vers le plafond.

 Piotr Ivanovitch attendait dans un silence menaçant, à côté de son fauteuil. Razumov se sentit légèrement nauséeux. Quels pouvaient être les liens qui unissaient ces deux êtres ?  Elle, semblable à un cadavre galvanisé issu des Contes d'Hoffman; lui, le prédicateur de l'évangile féministe dans le monde entier, et de plus un ultra-révolutionnaire ! Cette vieille momie peinte aux yeux insondables, et cet homme massif, déférent, au cou de taureau ? ... Qu'est-ce que c'était ? De la sorcellerie, de la fascination ? ..."C'est pour son argent, pensa-t-il. Elle possède des millions !"

les murs et le sol du salon étaient nus comme ceux d'une grange. Les quelques meubles qu'il contenait avaient été dénichés sous les combles et descendus sans même avoir été bien dépoussiérés. C'était le rebut laissé par la veuve du banquier. Les fenêtres, sans rideaux, avaient un aspect indigent, générateur d'insomnies. Deux d'entre elles étaient aveuglées par des stores fripés, d'un blanc jaunâtre. Tout ceci suggérait non la pauvreté mais une avarice sordide.




Mots-clés : #culpabilité #espionnage #exil #politique #regimeautoritaire #terrorisme #trahison #violence #xxesiecle
par Aventin
le Lun 15 Fév - 19:48
 
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Sujet: Joseph Conrad
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Mathias Enard

Rue des voleurs

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Le narrateur, Lakhdar, est un jeune Marocain quand même assez fortuné, ne serait-ce que parce qu’il lit (essentiellement des polars, Ibn Batouta et Casanova), sait parler plusieurs langues et utiliser un ordinateur ‒ et il aura la chance, lui, de voyager.
Le roman est composé de trois parties, « Détroits », « Barzakh » (pour les Musulmans passage – détroit ‒ entre ici-bas et l’au-delà), et « Rue des voleurs » ; Tanger, Algésiras, Barcelone ; mais partout « la misère, le sexe et la drogue ».
Ce qu’Enard rapporte correspond à ce que je connais de cette société arabo-musulmane, notamment la "misère sexuelle" (« l’incurable mélancolie des couilles ») et l’absence pour les jeunes de toute "activité intéressante" ou perspective d’avenir dans leur pays (constat généralisable à l’ensemble des sociétés "défavorisées"). C’est un éclairage perspicace sur les phénomènes de terrorisme islamique et de migration vers l’Occident : « la spirale de la bêtise » dans un monde hésitant entre révolte et résignation.
« D’après ce que m’expliquait le Cheikh Nouredine, l’idée était d’obtenir le plus possible d’élections libres et démocratiques pour prendre le pouvoir et ensuite, de l’intérieur, par la force conjointe du législatif et de la rue, islamiser les constitutions et les lois. »

« Il me semblait que la question pourquoi ? resterait à jamais sans réponse, même si c’était bien Bassam qui avait aidé à poser la bombe du Café Argan et planté un grand couteau dans le dos d’un Marocain de notre âge, même si je l’avais eu devant moi, s i je lui avais demandé pourquoi ? pour quoi faire ? il aurait haussé les épaules ; il aurait répondu pour Dieu, par haine des chrétiens, pour l’Islam, pour le Cheikh Nouredine, que sais-je, mais il mentirait, je savais qu’il mentirait et qu’il ignorait très certainement la raison de son acte qui, en fait, n’en avait aucune, pas plus qu’il n’y avait de cause au tabassage du bouquiniste, c’était comme ça, c’était dans l’air, la violence était dans l’air, ce vent soufflait ; il soufflait un peu partout et avait emporté Bassam dans la bêtise. »

« Je me suis souvenu des paroles du Cheikh Nouredine, provoquer l’affrontement, déclencher des représailles qui souffleraient sur les braises du monde, lanceraient les chiens les uns contre les autres, journalistes et écrivains en tête, qui se précipitaient pour comprendre et expliquer comme s’il y avait quelque chose de réellement intéressant dans les méandres paranoïaques des méninges si réduites de cette raclure dont même Al-Qaida n’avait pas voulu.
Mounir pensait que ces attentats étaient secrètement soutenus par l’extrême droite fasciste pour décupler la haine, la méfiance envers l’Islam et justifier les ratonnades à venir ; je me suis rappelé l’expression de Manchette dans je ne sais plus quel livre, c’était les deux mâchoires d’une même connerie. »

Aperçus inattendus sur différents petits boulots : saisie de texte « au kilomètre » pour numérisation, pompes funèbres pour émigrants clandestins à identifier en vue d’un rapatriement éventuel (ce dernier épisode étant l’occasion du remarquable personnage de M. Cruz et de son agonie).
Juste appréciation des conséquences du tourisme :
« …] et je me suis dit que le tourisme était une malédiction, comme le pétrole, un leurre, qui apportait fausse richesse, corruption et violence [
… »

« il n’y avait plus rien d’autre à faire pour Marrakech qu’investir du fric en campagnes publicitaires pour que revienne la manne perdue, même si on savait pertinemment que c’était cet argent du tourisme qui provoquait le sous-développement, la corruption et le néocolonialisme, comme à Barcelone, petit à petit, on sentait monter le ressentiment contre le fric de l’étranger, de l’intérieur ou de l’extérieur ; l’argent montait les pauvres les uns contre les autres, l’humiliation se changeait doucement en haine … »

Rien ne m’a vraiment enthousiasmé dans le style employé par Mathias Enard, qui tente de coller au langage de son personnage mais glisse parfois vers une certaine grandiloquence.

Mots-clés : #terrorisme
par Tristram
le Lun 19 Oct - 0:13
 
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Sujet: Mathias Enard
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Don DeLillo

Les Noms  

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Le milieu des expatriés états-uniens faisant du business dans des pays "instables", essentiellement au Moyen-Orient, mais aussi en Grèce, puis en Inde.
James Axton, le narrateur, est responsable d’évaluation des risques d’enlèvements (notamment terroristes) visant à rançonner les multinationales, ceci dans un grand groupe qui propose des polices d’assurance à celles-ci. Géopolitique orientée :
« Au cœur de l’histoire. Elle est dans l’air. Les événements relient tous ces pays. »

« C’est intéressant, la façon dont les Américains préfèrent la stratégie aux principes dans toutes les occasions, et continuent cependant à se croire innocents. »

« ‒ Les peuples blancs établissaient des empires. Les gens à la peau foncée déferlaient de l’Asie centrale. »

Travers de l’expat, touriste et acheteur de tapis :
« Être un touriste, c’est échapper aux responsabilités. Les erreurs et les échecs ne vous collent pas à la peau comme ils feraient normalement. On peut se laisser glisser à travers les langues et les continents, suspendre l’opération de solide réflexion. Le tourisme est la bêtise en marche. On s’attend à ce que vous soyez bête. Le mécanisme entier du pays d’accueil est réglé en fonction de la stupidité d’action du voyageur. On circule dans un état d’hébétude, les yeux rivés sur des cartes pliantes illisibles. On ne sait pas comment parler aux gens, comment se rendre d’un endroit à un autre, ce que représente l’argent, l’heure qu’il est, ce qu’il faut manger et comment le manger. La bêtise est la norme. On peut exister à ce niveau pendant des semaines et des mois sans se faire réprimander ni subir de conséquences. »

« Investissement, disait-elle. Comme il devenait malaisé de se les procurer, leur valeur ne pouvait qu’augmenter, et ils achetaient tout ce qu’ils pouvaient. La guerre, la révolution, les soulèvements ethniques. Valeur future, bénéfices futurs. Et en attendant, regardez comme ils sont ravissants. »

Aussi une réflexion sur le voyage aérien, l'archéologie, le divorce, le cinéma.
« Il y a le temps, et il y a le temps cinématographique. »

Et surtout une investigation sur une secte énigmatique, qui immole des victimes selon un rapport aux langues/ alphabets anciens, et leurs noms en correspondance avec les lieux.
« ‒ Le mot grec puxos. Arbre-boîte. Cela suggère le bois, bien sûr, et il est intéressant que le mot book anglais remonte au boek moyen hollandais, ou bouleau, et au boko germanique, bâton de bouleau sur lequel étaient gravées des runes. Qu’avons-nous donc ? Book, box, livre, boîte, symboles alphabétiques creusés dans le bois. Le manche en bois de hache ou de couteau sur lequel était gravé le nom de son possesseur en lettres runiques. »

« Le désert est une solution. Simple, inévitable. C’est comme une solution mathématique appliquée aux affaires de la planète. Les océans sont le subconscient du monde. Les déserts sont la prise de conscience, la solution claire et simple. […]
L’intention de sens ne compte pas. Le mot lui-même compte, et rien d’autre. […]
C’est le génie de l’alphabet. Simple, inévitable. Rien d’étonnant à ce qu’il soit apparu dans le désert. »

D’après la confession finale, le culte des tueurs pourrait être une sorte d’allégorie de la fascination morbide des Occidentaux pour un certain fanatisme occulte et meurtrier, venu de leur passé (les prêcheurs dans le cas du narrateur).
Le style adopté par DeLillo peut sembler inclure des longueurs, mais vaut notamment par d'adroits fondus enchaînés.

« De son côté, Control Risks, qui se définit aussi comme "une société de conseil mondial spécialisé dans le risque et qui aide les organisations à réussir dans un monde instable", s'intéresse beaucoup à l'Afrique. Son site propose un "index risque-rendement" pour le continent et consacre un chapitre au "paysage de l'enlèvement contre rançon, et de l'extortion" en Afrique du Sud. »

https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/guinee-equatoriale/passage-en-revue-des-mercenaires-chiens-de-guerre-et-autres-societes-militaires-privees-presents-en-afrique_3749699.html du 20 décembre 2019

Mots-clés : #contemporain #mondialisation #religion #spiritualité #terrorisme #xxesiecle
par Tristram
le Ven 20 Déc - 20:56
 
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Sujet: Don DeLillo
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Edna O'Brien

La maison du splendide isolement :

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C'est la rencontre entre une vieille dame âgée, solitaire dont la vie n'a pas été toujours douce et un membre de l'IRA, tout autant solitaire, qui a payé très cher ses engagements et qui cherche à se cacher avant d'effectuer une opération.

Deux destins irlandais, deux êtres abandonnés, deux questionnements de vie...

Et les personnages secondaires, importants, qui nous donnent à comprendre le vécu de ce conflit qui a tant meurtri un peuple.


Après la lecture de Nuala O'Faolain, la rencontre avec l'écriture d'Edna O'Brien a été un choc : c'est le tranchant d'une lame de couteau, c'est violent, sans artifices.
Pas d'atermoiements, juste des vies malmenées, des couples déchirés, des pardons difficiles à trouver.

J'ai aimé et j'ai très envie de lire un autre de ses romans pour voir si on restera dans le même langage.


Mots-clés : {#}psychologique{/#} {#}terrorisme{/#}
par Invité
le Jeu 30 Mai - 21:11
 
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Alaa al-Aswany

L’immeuble Yacoubian

Tag terrorisme sur Des Choses à lire Bm_cvt12

Si on s’en tient au premier et au dernier chapitre, il s ‘agit d’un homme notable vieillissant, qui, voyant l’âge venir, emploie une jeune femme pour lui prodiguer de la compagnie et un peu plus. Et qui est si doux et si charmant qu’après avoir voulu le gruger, elle finit par l’aimer infiniment.

Mais au Caire la vie grouille et il ne s’agit pas de s’en tenir à une histoire intime et heureuse. L’immeuble Yacoubian, immeuble haussmannien qui réunit les riches dans ses étages et les pauvres sur sa terrasse, est un lieu de vie intense, jamais en pause,  où s’expriment toutes les déviances d’un pays marqué par la misère, la corruption, une religion égarée, des rapports sociaux gangrenés, un puritanisme mal caché par un libéralisme de mœurs qui n’est qu’apparent.

Dans ce roman choral, l’habile conteur Al Aswany fait se croiser et s’entrecroiser  le beau monde et les petites gens, les policiers ripous, les politiciens dépravés et les islamistes aveugles, les bourgeois sûrs du pouvoir de leur argent, les femmes manipulées, pelotées, achetées, les homosexuels réprouvés, tout un monde foisonnant qui illustre les dérives d’un pays, écartelé entre civilisation et régression,  à la fois révulsé et fasciné par l’Occident.



L'immeuble Yacoubian:
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Une terrasse:
Tag terrorisme sur Des Choses à lire Yac10


Mots-clés : #corruption #religion #romanchoral #terrorisme
par topocl
le Sam 25 Mai - 9:13
 
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Eric Plamondon

Oyana

Tag terrorisme sur Des Choses à lire 12310010


Originale : Français/Canada, 2019

Présentation de l’éditeur : a écrit:"S'il est difficile de vivre, il est bien plus malaisé d'expliquer sa vie." Elle a fait de son existence une digue pour retenir le passé. Jusqu'à la rupture. Elle est née au Pays basque et a vieilli à Montréal. Un soir de mai 2018, le hasard la ramène brutalement en arrière. Sans savoir encore jusqu'où les mots la mèneront, elle écrit à l'homme de sa vie pour tenter de s'expliquer et qu'il puisse comprendre. Il y a des choix qui changent des vies. Certains, plus définitivement que d'autres. Elle n'a que deux certitudes : elle s'appelle Oyana et l'ETA n'existe plus.


REMARQUES :
Après la découverte de Taqawan (voir en haut des commentaires) je voulais bien continuer dans l’univers, ou disons le style, Plamondon. Car il est apparemment typé : des chapitres courts avec ici une narratrice « Je » bien mise en avant par lettres, datées en Mai 2018 et formulées à son compagnon de 23 ans, Xavier, au Quebec. Et s’intercalent des points de vues par narrateur neutre soit sur sa vie à elle ou des chapitrettes sur divers sujets sur le pays Basque, son histoire, des traditions. Car cette Oyana a bien grandi au Pays Basque, né le jour même (mais sans le savoir) de la mort de son père biologique, militant de l’ETA et tué par des militaires après un attentat à la bombe en Décembre 1973. Elle grandit chez un père adoptif (et l’ignore) et sa mère et n’est pas autrement engagée dans la lutte indépendentiste des années 80, 90. Jusqu’au jour où, innocents, avec des amis ils sont pris en chasse par la police cherchant des militants. Un ami meurt… Et elle commence presque par protestation à s’intéresser alors pour la cause, s’engage et est impliqué dans une affaire avec issue fatale. Elle n’arrive pas à assumer. Bref : elle doit quitter le pays sous la menace de ne jamais revenir.

Et en ce Mai 2018, 23 années passées, elle apprend la dissolution de l’ETA ! Plus de dangers ? Fin de jouer à la cachette et à la fausse identité (rôle qu’elle a même tenu devant son compagnon!)? Elle décide de rentrer… Et s’approche par étapes.

Plamondon a bien trouvé un sujet qui seulement au premier abord semble loin du Canada : On pourrait rapprocher facilement les situations au Quebec et au Pays Basque avec leurs luttes indépendentistes, la question de la langue, les caractères propres etc. Il le fait dans son style de chapitres courts et intelligents. Ici il parle beaucoup à travers une narratrice et réussit bien pour un homme – il me semble – de « parler en femme ». Au-délà du ou des sujet(s) et son traitement, on retrouve aussi souvent des mots et expressions, des phrases étonnants, pleine de « sagesse » pour utiliser un mot souvent employé. Certaines tournures et explications sont simplement bien. On comprendra aussi le drame de cette femme qui vit avec des mensonges « reçus », et aussi « employées par alle-même ». Elle a menti alors pendant 23 ans à son compagnon ? Néccessaire ou pas : elle croit l’histoire finie, et pourtant… ?!

Découvrez vous-même : cet auteur est définitivement à suivre !

Mots-clés : #culpabilité #exil #independance #terrorisme
par tom léo
le Jeu 23 Mai - 19:36
 
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Sujet: Eric Plamondon
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Valérie Manteau

Calme et tranquille

Tag terrorisme sur Des Choses à lire 51hvd610

J’ai choisi ce livre sur le seul nom de son auteur, dont j’ai récemment aimé Le sillon, auquel j’avais trouvé un ton très personnel, une ardeur, une nécessité. J’ai sans doute aussi été séduite parce titre, Calme et tranquille et là je n’ai pas  été déçue : ce n’est absolument pas calme et tranquille.

Comme quoi, quand je ne cherche pas les livres sur le stress post-traumatique, ils viennent jusqu’à moi, même si c’est par le biais d’une espèce de publicité mensongère.

Cela commence avec le suicide de sa grand-mère, chose terrifiante, déboussolante. Pour se restructurer, se ressourcer, lasse des psys à côté du sujet, Valérie Manteau a ses copains de Charlie Hebdo, à commencer par Charb avec qui elle  développe un lien d’une proximité amicale réconfortante, qui ne manque pas de lui rappeler qu’on peut rire de tout, absolument tout,  et qui l’ encourage dans ses recherches littéraires inabouties sur le suicide.
Seulement, travailler à Charlie Hebdo en 2015, ce n’est pas forcément la  solution pour aider à faire un deuil compliqué…
Retrouver ensuite à Istanbul un ancien amant turc, dans un contexte d’élections consternantes en Turquie non plus d’ailleurs.
S’accrocher à son humour caustique ne suffit plus forcément.

À travers ces événements dramatiques, témoins d’une époque chaotique ou le (bon) sens se perd, Valérie Manteau réussit un auto-portrait  atypique : une jeune femme « libre, très libre », en  recherche d’expériences et d’humanité, emmenée à la dérive par la violence de la vie contemporaine.



mots-clés : #mort #terrorisme #violence
par topocl
le Jeu 14 Fév - 17:10
 
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Sujet: Valérie Manteau
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Philippe Lançon

Le lambeau

Tag terrorisme sur Des Choses à lire Proxy103

Je ne vivais ni le temps perdu, ni le temps retrouvé ; je vivais le temps interrompu.


Le lambeau est la version de Philippe Lançon sur un événement qui a  bouleversé sa vie, après avoir bouleversé toute une nation. La part intime de cet événement après lequel rien n’a plus été pareil : l’attentat de Charlie Hebdo où, si la France et le monde y ont perdu une naïveté, une légèreté,  Philippe Lançon a perdu ses amis, son visage et ses dernières illusions : il s’est perdu lui-même, « un événement qui, dans ma propre vie, mettait le reste entre parenthèses »

C’est une année de reconstruction, entre humilité et obstination, par un homme qui n'a pas pu parler ni manger pendant des mois.  Il s'y réinvente dans une prose qui est très loin d’être journalistique, mais au contraire profonde, brillante, littéraire pour tout dire.  Philippe Lançon n'a aucun souci de de l’universel (il n’y entre même pas): pas de revanche, pas de haine, pas de réflexion convenu sur le fanatisme…. dans une attitude qu’il ne juge même pas utile de justifier:le propos n’est pas là.

Alors n’est-ce pas se regarder le nombril que de ne parler que de soi, de reconstituer au jour le jour, détail après détail, sans en lâcher aucun,  une lutte certes admirable mais ô combien personnelle ? Certains penseront cela. Pour ma part j’y ai surtout vu un partage dans une complète sincérité - qui n’empêche pas les jardins secrets. Voilà ce que c’est d'être un homme, cet homme-là, en lutte tel qu’il est, et est devenu, dans ses faiblesses et dans ses forces, tel qu’il nous le relate dans une impudique pudeur. Car ce livre à lui seul est un oxymore géant, une perpétuelle mise en confrontation de la nuance et de la subtilité, du sérieux et de l’humour, de l’homme et de l’enfant, de l’intellectuel virulent et du patient désarmé, du sachant et de l'ingénu.

C’est aussi un magnifique hommage à ceux qui l’ont aidé : les amis, la famille (dans une recomposition circonstancielle), bien sûr : les toujours-là et toujours-prêts. Mais aussi  les soignants, menés par Chloé, la chirurgienne charismatique, auprès desquels il a trouvé non seulement une technicité hors pair, mais aussi un nid protecteur et stimulant où se ressourcer, constituant pour lui une sorte de balai de dieux et de héros. Et les policiers qui l’ont sécurisé 24 heures sur 24, tout à la fois d’agresseurs potentiels que de ses visions de reviviscence terrorisantes (oui il le reconnaît lui-même un journaliste de Hara-kiri qui remercie ceux qu’il n’appelle plus des flics, c’est assez savoureux). Et puis, aussi Proust dont il lit et relit la mort de la grand-mère, Kafka écrivant à Milena, La Montagne magique de Mann et son enfermement cotonneux , Bach, et toutes ces lectures, ces films, ces musiques,  cette vie antérieure qu’il ne  reconnaît plus, dans ce grand chambardement de la personnalité, de la mémoire et de la cognition, mais qui fut nourrissante, affectivement culturellement, qui fait ce qu’il est quand même, et ce qu’il devient , et, alors même qu’il ne se connaît plus lui-même, lui donne un terreau comme tremplin.

« La réflexion sur ces choses n’apporte rien. C’est comme si l’on voulait s’efforcer de briser une seule des marmites de l’enfer, premièrement on échoue, et deuxièmement si on réussit, on es consumé par la masse embrasée qui s’en échappe, mais l’enfer reste intact dans sa magnificence. Il faut commencer autrement. En tout cas s’allonger dans un jardin et tirer de la maladie, surtout si elle n’en est pas vraiment une, le plus de douceurs possible. Il y a là beaucoup de douceurs. »Ces phrases [de Kafka] me servaient depuis lors de bréviaire, et même de viatique.


C’est un texte somptueux, par son humilité dans une démarche qui aurait vite pu être auto-promotionelle, auto-apitoyée, larmoyante, vainement égocentrique, et aussi par son écriture, sa richesse en humanité et en culture, son émotion et sa pensée.

Philippe Lançon apporte ici une réponse à cette question qui , peut-être, je ne sais pas, rôde parfois en vous : à quoi sert la littérature? N’est ce pas, entre autres, apporter une parole réfléchie, intense face à d’imbéciles agissements, à un monde qui se disloque, donner encore une petite foi en l’homme, fourmi agissante, pensante et créatrice face à l’obscurantisme obtus. Une preuve d'humanité résiliente, en quelque sorte.

j’ai senti de nouveau, mais avec une force inédite, qu’on mourrait un nombre incalculable de fois dans sa vie, des petites morts qui nous laissaient là, debout, pétrifiés, survivants, comme Robinson sur l’île qu’il n’a pas choisie, avec nos souvenirs pour bricoler la suite et nul Vendredi pour nous aider à la cultiver.



mots-clés : #autobiographie #identite #medecine #psychologique #terrorisme
par topocl
le Dim 6 Jan - 13:08
 
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Sujet: Philippe Lançon
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Fernando Aramburu

Patria

Tag terrorisme sur Des Choses à lire Patria10

On est au pays basque espagnol. Au village, beaucoup sont convaincus de la justesse du combat de l'ETA. Convaincus ?  Peut-être , peut-être faut-il séparer l'idée et les moyens, en tout cas il ne fait pas bon exprimer une opinion contraire, s'abstenir de manifester son approbation ou de payer l’impôt révolutionnaire. Cette loi de la terreur va séparer deux familles amies, l'une dont le père est assassiné, l'autre dont le fils a rejoint les rangs de la lutte armée. Le temps passe, les gens changent et l'ETA aussi et finit par déposer les armes. Ce n’est pas la fin de 'l’aventure ; chacun va devoir gérer l'empreinte du passé.

Aramburu réalise le tour de force d'être à la hauteur de son ambition, réaliser une vaste fresque historique,  croisée d'un roman familial, pour donner une image honnête, tout à la fois réfléchie et  et compassionnelle des drames qui ont parcouru le pays basque espagnol pendant 40 ans. Il en sort un riche récit romanesque, plein d'intelligence et de nuances, à la hauteur de la complexité d e la situation, avec des les personnages d'une belle présence, dans leurs petitesses comme dans leurs grandeurs, Malgré le choix d'un récit éclaté au niveau chronologique, relaté en 125 chapitres très courts mais d’une garde vivacité, il y a une belle cohérence tant qu niveau historique qu’individuel. Aramburu adopte un style plutôt amusé, malin, qui allège le tragique sans l'effacer.

C'est une intéressante réflexion sur le terrorisme, et le pardon possible, qui ne manquera pas d'enrichir la réflexion de la lectrice ou du lecteur en  nos temps tourmentés.


mots-clés : #culpabilité #famille #historique #terrorisme
par topocl
le Ven 23 Nov - 12:48
 
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Sujet: Fernando Aramburu
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Patrick Deville

Vais-je me réconcilier avec Patrick Deville?

Taba-Taba

Tag terrorisme sur Des Choses à lire Images52

Qu'est ce qui a fait Patrick Deville, ce petit garçon, cette "crevette", qui a vécu ses premières années derrière les murs du Lazaret de Mindin, en face de St Nazaire, cet hôpital psychiatrique où son père anime une troupe de théatre, éprouvant une étrange fascination-amitié pour un pensionnaire, "solitaire ténébreux", scandant sa solitude de l'obscure litanie taba-taba-taba/taba-taba-taba, alexandrin parfait adressé à l'adversité?

Est-ce sa famille dont il déroule un historique tout à la fois romanesque et scrupuleux, grâce aux 3 m3 des archives de cinq générations, léguées par la tante Monne, rescapées de combien de pertes et de hasards ? Journaux d'époque, correspondances, photographies, journaux intimes, répertoires, factures, courriers administratifs lui permettent, une année durant, d'organiser un grand jeu de piste à travers la France, au volant de sa Passat : il n’est pas du genre à se contenter de la paperasse, Deville, il veut retrouver les lieux, il veut voir, il veut sentir, il veut rêver. Il veut imaginer ces fantômes d'ancêtres se glissant dans les rues, pêchant dans les ruisseaux, échappant aux obus, se cachant au maquis...

Est-ce notre histoire française, ses guerres sans cesses enchaînées, ces der-des ders préparant la suivante,  dont le traumatisme se transmet au-delà des mots, trouvant son apogée dans les actes terroristes qui frappent nos territoires paysagers et intimes?

Est-ce l'histoire mondiale, de conquêtes en colonies, à la rencontre desquelles il s'envole en alternance avec son périple des campagnes et villes françaises (Wikipedia nous l'expliquant puisqu'il est directeur littéraire de la Maison des écrivains étrangers et des traducteurs de Saint-Nazaire, )?

C'est bien sûr tout cela qui l'a fait, fruit de tant de hasards qu'il aurait tout aussi bien pu ne jamais être là. C'est ce qui a fait cet esprit curieux, passionné, érudit, avide de détails inutiles qu'il rend indispensables, d'histoires et de souvenirs, de lectures et de voyages, organisés dans des digressions, des associations temporelles ou spatiales, livrés au lecteur dans un feu d’artifice  foisonnant : émotions,  noms célèbres ou inconnus,  citations, lieux, événements historiques ou intimes étroitement mêlés. Dans la luxuriance et l'emportement, rares sont les instants où l'on frôle la noyade face à ce déferlement.

Le récit emporte brillamment la gageure d'une ambition folle qui cherche à l'exhaustivité : décrire un homme, c'est décrire le monde. Et cet homme, amalgame de tant de choses, de tant de gens, de tant de lieux, de tant de siècles, cet homme lucide se veut optimiste quand le monde part en vrille: et alors, ce monde ne le fait-il pas depuis des siècles et des siècles? C'est par un charme fou, un humour malin, une fantaisie jamais épuisée, un sens du romanesque captivant, une attention à l'autre et un amour partagé que Patrick Deville donne sens à tant de sacrifices  dans les diverses boucheries des siècles passés.

Ici, la littérature,  modelant habilement réalité et fiction entremêlées (il parle de roman sans fiction), répond à nos interrogations essentielles, en quelque sorte. Arrivée éblouie au terme de ce roman universel et intime, je ne sais plus au final si la question est : qu’est ce qui a fait Patrick Deville, ou : qu'est ce qui fait le monde.


mots-clés : #autobiographie #famille #guerre #historique #terrorisme
par topocl
le Mer 6 Déc - 16:22
 
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Sujet: Patrick Deville
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Cyril Dion

Imago

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Encore un livre qui démontre qu'il ne suffit pas d'avoir de bonnes intentions et de bonnes idées pour faire un bon livre.

Cyril Dion entrecroise des destins, dont les éléments nous sont peu à peu révélés..
On part dans le contexte du conflit israélo-palestinien, avec une description époustouflante de la vie dans la zone de Gaza, de cette vie dans un territoire en quasi guerre perpétuelle,  gorgée de harcèlement, de discrimination, d'humiliations, d'incommodités quotidiennes, de bombes tombées à l'aveuglette et de ruines, qui fait naître une  haine aveugle chez les jeunes palestiniens, qui nourrit les vocations des terroristes. Deux frères l'un porté par la vengeance, l'autre par un esprit de tolérance (parmi les deux, l'un lit, l'autre pas, devinez lequel??)
En France, un responsable du "Fonds" chargé de négocier et d'administrer les fonds humanitaires, un homme arrogant mais fier de sa mission, aussi.
Et une femme  marquée par la vie, retirée à la campagne, portrait le plus inabouti.

C'est très intéressant au niveau informatif, très documenté et habilement détaillé. Les pages sur la vie dans la zone de Gaza, le contraste avec les rues du Caire et la vie parisienne, tout le début, en fait, j'ai beaucoup accroché.

Se développe malheureusement peu à peu malheureusement un scénario  "démonstratif" fait de liens familiaux occultes,  peu à peu révélés, mais "pleins de sens". Au passage, le bureaucrate vaniteux connaît comme une épiphanie assez ridicule en se confrontant à la réalité de la vie en Palestine. C'est beaucoup et il est difficile, malgré l'envie que j'en aurais eu,  de sauver ce roman qui veut monter la complexité des choses, mais s'appuie pour cela sur des procédés par trop grossiers.


mots-clés : #conflitisraelopalestinien #guerre #terrorisme
par topocl
le Lun 4 Déc - 10:58
 
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Sujet: Cyril Dion
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