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Message par Bédoulène Mar 21 Aoû - 23:47

d'accord pour certaines choses cul-cul ou nunuche mais il y a beaucoup de réalisme dans les films de Pagnol

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Message par Aventin Ven 26 Oct - 13:33

Cœurs, passions, caractères

Jean Giono  - Page 4 Giono10
Roman ou récit(s), ou plutôt portraits, paru post-mortem en 1982 et, selon toute vraisemblance, inachevé.
Une centaine de pages divisées en "caractères" (une trentaine de pages) et "cœurs, passions, caractères" pour le reste.  
L'ensemble de ces pages a pu être composé au fil de sa vie, puis fixé, sans plus de précisions, dans leur forme retenue pour la parution, entre 1960 et 1970 - année du décès de Giono.

Années 1920: jeune employé du Comptoir d'Escompte de Marseille, Giono parcourait la campagne en tentant de placer des "démarches-titres" (placements), une partie de son travail consistait à remplir des fiches avec tous les renseignements utiles à un banquier (surface financière, endettement, besoins, projets...).
Dans le même temps, le romancier naissant en profitait pour consigner à part, pour un hypothétique usage propre, les diverses observations, de l'ordre de la possible matière romanesque sans utilité bancaire, que rencontres et lieux traversés lui inspiraient.

Extrait, à noter le mañana castillan transcrit en "magnana":
Honorato a écrit:Sa science du monde est si parfaite qu'elle ne peut pas s'appeler science: c'est un pauvre bougre. Il ajuste les unes sur les autres des pierres sans mortier, il en construit des serpentements de murs de plusieurs kilomètres de long, et tout cet ensemble (auquel il ajoute, jour après jour, de magnana en magnana) épouse les flexuosités du sol et forme un tout cohérent, inébranlable, maintenu en place par le seul rayonnement d'une intelligence. Il passe de l'utilité à la beauté sans faire le détour par la métaphysique.

Spoiler:


Mots-clés : #lieu #portrait
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Message par Aventin Dim 16 Déc - 19:08

Prélude de Pan

Jean Giono  - Page 4 Przolu10


Nouvelle parue dans le recueil assez hétéroclite Solitude de la pitié, les nouvelles y sont courtes ou très courtes.

Elles furent écrites entre 1925 et 1932, publiées séparément dans diverses revues qui retouchèrent plus ou moins titres et textes, de là le malaise, ou le mal-être, que Giono conservera toujours envers les maisons d'éditions et "ceux qui publient" de façon générale.

Les dix-sept pages de Prélude de Pan furent publiées pour la première fois par Henri Pourrat dans la revue l'Almanach des champs, en novembre 1929. Précision: on peut trouver ce texte aujourd'hui tiré à part dans les fameux Folio - 2€ (couverture ci-dessus), sans acquérir le recueil Solitude de la pitié.

Le sujet:
Quelques signes avant-coureurs auxquels on ne prête pas attention précèdent une fête annuelle de petit village montagnard. Alors que la fête débute dans un des deux cafés du village, entre un "étrange étranger" qui intime l'ordre à un bûcheron de cesser de traumatiser un animal (une colombe) qu'il a capturée et désailée...

 Nouvelle que j'ai très très souvent relue - je n'ai pas le compte exact de mes relectures. On y trouve sur dix-sept pages tout un condensé de Giono:
D'abord, et le titre l'indique ainsi que l'histoire proprement dite (mais je ne dévoile pas !):
 On le sait épris de culture grecque classique, et même fin connaisseur - Prélude de Pan est un autre de ces renvois, ou clins d'œil, à la culture grecque antique, et dès lors peut se situer non loin de l'inclassable "Naissance de l'Odyssée" , et pas seulement parce que ces textes se suivent d'assez près dans sa biographie (ils se suivent d'autant plus qu'on sait que Giono travaillait sur plusieurs livres à la fois).
Oui c'est bien le Pan dont le nom a donné, en langue française, le mot panique.
Et il y a -ne pas en dire plus !- un rendu assez bacchique dans ces pages.

Condensé de Giono encore parce qu'on est toujours dans le registre rural et montagnard, terrien, mieux: tellurique.
Ensuite parce qu'on est en plein dans cette veine du réalisme magique dont nous avons parlé sur ce forum à propos de bien d'autres auteurs (Nabokov, Marcel Aymé, Asturias, etc, etc...).

Condensé de Giono par la charge poétique, et par la qualité des suggestions, du non-dit mais laissé deviner, et toujours par l'extrême soin de la mise en relief des situations (le procédé littéraire).

Du Giono, aussi, par l'instrument de musique et son rôle, il y a si souvent si ce n'est presque toujours un instrument de musique chez Giono, et c'est rarement juste un objet anodin du décor, mais quelque chose qui déclenche, quelque chose de décisif.
Comme la guitare dans Naissance de l'Odyssée, dans Le chant du monde et dans Les grands chemins, la "monica" dans Un de Baumugnes,  l'accordéon dans Ivan Ivanovitch Kossiakoff et ici dans Prélude de Pan, le piston dans L'iris de Suse, etc j'en oublie très certainement beaucoup !

Extrait:

Il pointa lentement son index vers Antoine et il lui dit:
"Va chercher ton accordéon".
Comme ça.

Et c'était, autour, le grand silence de tous, sauf dehors, où la fête continuait à mugir comme une grosse vache. Et, pour moi qui était là, je peux vous dire, c'était exactement comme si j'avais eu la bouche pleine de ciment en train de durcir, et pour les autres ça devait être pareil, et pour Boniface aussi. Personne ne fit un geste, même pas des lèvres. Il y avait sur nous tout le poids de la terre.
On entendait au-dessus du café le pas d'Antoine qui allait chercher son accordéon dans sa chambre, puis ce fut son pas dans l'escalier, puis le voilà.
Il était là, avec l'instrument entre les mains. Il était prêt. Il attendait le commandement.
"Joue", lui dit l'homme.
Alors il commença à jouer. Alors, ceux qui étaient près de la porte virent arriver les nuages.

Le gros Boniface laissa retomber lentement son bras. Et en ce même moment il levait la jambe, doucement, dans la cadence et l'harmonie de la musique qui était plus douce qu'un vent de mai. Pourtant ce que l'Antoine était en train de jouer c'était toujours la chose habituelle: le Mio dolce amore et sa salade de chansons qu'il inventait; mais ça avait pris une autre allure...
Puis, Boniface leva l'autre jambe, et il arrondit ses bras, et il se dandina de la hanche, puis il bougea les épaules, puis sa barbe se mit à flotter dans le mouvement. Il dansait.
Il dansait là, en face de l'homme qui ne le quittait pas des yeux. Il dansait comme en luttant, contre son gré, à gestes encore gluants. C'était comme la naissance du danser. Puis, petit à petit, toute sa mécanique d'os et de muscles, huilée de musique prit sa vitesse, et il se mit à tressauter en éperdu en soufflant des han, han, profonds. Ses pieds battaient le plancher de bois; il se levait sous ses pieds une poussière qui fumait jusqu'à la hauteur des genoux.

On était là, comme écrasés, à regarder. Pour moi, je n'étais plus maître ni de mes bras, ni de mes jambes, ni de tout mon corps sauf ma tête. Elle, elle était libre; elle avait tout le loisir de voir monter l'ombre de l'orage, d'entendre siffler le vent du malheur. Pour les autres, je crois, c'était la même chose. Je me souviens. On avait été tous empaquetés ensemble par la même force. Le plus terrible, c'était cette tête toute libre, qui se rendait compte de tout.    






Rénové d'un message sur Parfum du 30 mars 2014, nouvelle qui m'est à ce point virale que j'ai dû ajouter trois ou quatre lecture depuis...


mots-clés : #fantastique #nouvelle #ruralité
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Message par Aventin Dim 16 Déc - 19:08

L'Esclave
(primitivement La Daimone au side-car)

Jean Giono  - Page 4 Side_c10
Side-car Harley-Davidson, 1920.

Dans Œuvres romanesques complètes, I, nrf Gallimard collection La Pléiade 1971. Nouvelle, 23 pages environ.
Date de publication initiale octobre 1933, dans la revue Marianne, écrit en 1924, puis quelques retouches ultérieures (en octobre 1925 vraisemblablement).

Le thème:
Jean Duvauchelle, employé de banque, s'en va pour sa promenade, toujours la même chaque lundi. Alors qu'il atteint le plus éloigné de sa promenade, un side-car Harley-Davidson s'arrête juste devant lui, en panne...


Giono a beaucoup utilisé son vécu, son expérience d'employé au Comptoir National d'Escompte pour peindre Duvauchelle qui, au reste, se prénomme Jean comme lui. L'autre personnage principal, Ginette, est de l'ordre d'une Apparition.
Jusqu'à un certain point, la fée au side-car n'est-elle pas une allégorie du succès littéraire qui tire Giono de la banque pour l'emmener vers des ailleurs grisants ?

Nouvelle plutôt cocasse, un soupçon de burlesque additionné de théâtralité même, tout à fait digeste et recommandable, se lit sourire aux lèvres.  

Durant de longues années, quand Duvauchelle se remémorait ces évènements, l'impulsion irrésistible qui le jeta dans le side-car, la confession de la jeune femme dans la bise, au col de l'arbre et toutes les heures de cette journée, ses orteils se crispaient, des frissons couraient dans ses reins et il en avait pour quatre bonnes heures d'insomnie. Plus il réfléchissait, plus il voyait dans son aventure des coins mystérieux, des phrases-fées comme une intrusion soudaine de magie dans sa calme vie réfléchie. Il se souvenait surtout d'Elle et de l'allure qu'elle avait au moment où, précise, s'imposa à son cerveau désordonné la notion d'un bureau bien clos où l'on l'attendait, où il avait mission d'ouvrir et de garder un coffre-fort et dont il s'éloignait à toute allure, emporté par une démone d'or et de cuir.

Courbée sur le guidon qu'elle étreignait maintenant à mains nues - ces mains pointues comme des sorbets à la vanille - nuque dans les épaules, mâchoires serrées, menton en avant, elle entrait dans l'air frais, dure comme un pommeau de dague. Un rubis alourdissait son petit doigt.


Dernière édition par Aventin le Lun 17 Déc - 15:09, édité 1 fois
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Message par Tristram Dim 16 Déc - 19:56

Je reviens sur Prélude de Pan et le commentaire éclairant d'Aventin :
https://www.dailymotion.com/video/xtyfzn
Le même extrait est interprété, ainsi que :
« ...] la pâte du grand pain du malheur qu’il était en train de pétrir. »
Quel pouvoir d'évocation chez Giono ! Toute la puissance païenne de la métaphore.

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Message par Bédoulène Dim 16 Déc - 23:41

merci Aventin, je vais céder à l'envie !

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Message par Aventin Lun 17 Déc - 15:17

NB pour les mots-clefs (je n'y pense jamais), en ce qui concerne Prélude de Pan il est possible sinon souhaitable d'ajouter "fantastique", à défaut de "réalisme magique", s'il y a en stock.

Pour ce qui concerne L'Esclave / La daimone au side-car, je faisais référence aux instruments de musique chez Giono, dans cette nouvelle, agrippez-vous bien au side-car, l'instrument est une viole:

Laissez-vous aller:
Cette viole, soutachée d'or, avec son innocent gorgerin tyrolien, était sûrement un de ces vieux génies hypocondres qui tracassent les faibles fées.
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Message par Bédoulène Lun 17 Déc - 18:39

ajouté fantastique

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Message par Tristram Lun 17 Déc - 21:18

Je viens de relire les deux premiers textes de Solitude de la pitié, donc la nouvelle éponyme, ou l'isolement de la valeur d'entraide dans la société, et le fameux, le formidable Prélude de Pan, la nature quand elle se déchaîne, comme dans les Batailles dans la montagne qui vont suivre, ou dans La Grande Peur dans la montagne de Ramuz.

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Message par Aventin Mer 19 Déc - 18:01

Tristram a écrit:Je viens de relire les deux premiers textes de Solitude de la pitié, donc la nouvelle éponyme, ou l'isolement de la valeur d'entraide dans la société, et le fameux, le formidable Prélude de Pan, la nature quand elle se déchaîne, comme dans les Batailles dans la montagne qui vont suivre, ou dans La Grande Peur dans la montagne de Ramuz.

Pour un mauvais jeu de mots, en effet quand il montre ces déchaînements surnaturels, Giono est Panthéiste... Cool
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Message par Tristram Mer 19 Déc - 19:08

Mais est-ce un jeu de mots, ce grand Tout !

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Message par Tristram Lun 15 Juil - 16:28

A propos de panthéisme, voici un article sensible sur "le dernier Pindare" (vraisemblablement pour le maniement de la métaphore) :
http://michel-terestchenko.blogspot.com/2019/07/la-maison-de-jean-giono.html?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+MichelTerestchenko+%28MICHEL+TERESTCHENKO%29

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Message par Bédoulène Lun 15 Juil - 22:40

Tristram lien de l'article de Golsan cité par un lecteur https://www.persee.fr/doc/mots_0243-6450_1998_num_54_1_2329

Je pense que lui seul sait !

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Message par Tristram Mar 16 Juil - 0:00

Merci Bédoulène. Bref, on reproche à Giono d'avoir été admiré par les Allemands, les vichystes, les pétainistes et les collaborationnistes ; d'avoir prôné la paix et le retour à la terre, conspué le progrès moderne et aimé la nature ; d'avoir été réactionnaire et passéiste _ ou précurseur ! A propos, la fin de l'article est d'une bêtise rare (Beauvoir et l'éternel retour antirévolutionnaire, Giono changeant de registre après-guerre par "prudence").
Rien de précis donc, pas de preuve ; peut-être s'en battait-il l’œil... et, avec le recul, ces chicaneries pinaillantes et vétilleuses, ces ergotages effarouchés et revanchouillards méritent-ils plus ?

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Message par Bédoulène Mar 16 Juil - 8:03

je continuerai évidemment à le lire, ce sera ma réponse ! Smile

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Message par Tristram Ven 8 Nov - 13:08

Cœurs, passions, caractères

Jean Giono  - Page 4 Giono10

Dans ces textes fragmentaires et publiés posthumément, on découvre avec un plaisir troublé de beaux portraits de personnages plus ou moins associés à des paysages, des projets de romans qui ne verront jamais le jour. Mais c’est toujours la même plume, la même inventivité jubilatoire qu’on retrouve. L’astuce qui relie ces personnages, c’est qu’il s’agit des « fiches » d’un escroc qui réunit les renseignements sur eux et leurs ascendants en vue de leur refourguer des placements (Giono utilise son expérience à la banque). Ce regard malin sur les plus nantis des campagnes, qui ne néglige pas les dessous politiques, est l’occasion d’un humour savoureux, parfois cruel.
« Un pays qui lui convient, c'est l'Amérique. Il est difficile de concilier le sentiment de répulsion qui l'éloigne de Guy Mollet (pour des souvenirs d'école primaire) et son admiration sans réserves pour un pays dont la séduction est faite précisément de ce qu'il est une grande école primaire. C'est qu'il y voit une sorte de poujadisme supérieur et à l'échelon international. Il y a aussi le fait que, tout en considérant comme émané de l'Olympe le moindre chèque libellé en dollars, il peut dire "ce sont des enfants" à propos de l'Indochine, l'affaire de Suez, le Maroc, Cuba, le Laos, le Congo, la politique algérienne, la Tunisie, etc. »
Sont présentées des variantes (comme dans La Pléiade), qui illustrent comme le bonheur de l’expression est savamment distillé, condensé.
C’est en essayant d’en extraire une phrase qu’on mesure comme ces brefs croquis sont tissés serré, unis d’une résonance interne qui rend difficile d’en détacher un morceau : les traits se répondent comme une métaphore qu’on filerait.
« En remontant dans son arbre généalogique, on ne trouve que branches rongées de toutes les chenilles philosophiques de l'univers, tronc ébranlé par les vents cosmiques, rameaux brisés par les orages, mais poussant obstinément au vert. »  

« Il aime ça, quand dehors on entend la neige. Car il y a des gens qui prétendent qu'elle ne fait pas de bruit. C'est qu'ils ne savent pas écouter : il faut savoir et pouvoir. La vie vous y mène. »

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Message par Bédoulène Ven 8 Nov - 13:12

et chaque fois que je vous lis dans un commentaire j'ai envie d'y revenir à Giono (mais le temps ne s'achète pas et je suis déjà en débit avec lui)

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Message par Bédoulène Mar 3 Déc - 18:38

Jean Giono  - Page 4 Sm_c_u10

Un roi sans divertissement

L’histoire se déroule en 1843 et des années plus tard. Dans le Dauphiné, dans un village d’hommes et de bêtes, des vaches, d’hommes et de bois, la scierie, d’hommes et de tout ce qui fait le quotidien dans un village de montagnes. L’existence au gré des saisons.

« Ce qui est bon, c’est la voûte, c’est la chaleur des bêtes, c’est l’odeur des bêtes, c’est le bruit de la mâchoire qui mâche le foin ; c’est voir ces grands beaux ventres de bêtes paisibles. C’est ici, vraiment, que ça fait famille et humanité ; et père a laissé son fusil contre le bat-flanc, et mère caresse les cheveux de petite sœur.
(Et tant pis pour ceux qui ne comprennent pas et disent : Ce sont des rustres, des culs-terreux ». La vie se chargera de leur faire comprendre un jour ou l’autre. Elle ne manque pas d’assassins à foulards ; de découpeurs d’hiéroglyphes de sang ; d’hivers 1843 ; de saisons, de mois, de jours, d’heures, de minutes, de secondes, et même de centièmes de seconde à étiquette qui leur feront soudains non seulement le cul, mais l’esprit terreux. »


Mais l’hiver à partir de  1843  et les années suivantes marquera une empreinte effroyable dans le temps ; la disparition et le meurtre de plusieurs villageois.
Vint une compagnie de gendarme commandée par un certain Langlois, un homme qui par son attitude fut rapidement accepté par les habitants et tout particulièrement par « Saucisse » la propriétaire du Café de la route. Une à qui on ne la fait pas, une qui, comme lui, a vécu.

Frédéric II de la scierie découvre l’assassin, Langlois le tue ; accidentellement dit-il ! Mais lui qui a compris la motivation de l’assassin : le divertissement, ne vient-il par ces deux coups de feu de se divertir, lui aussi ? Il en paiera le prix d’une vie à laquelle il ne trouvera plus qu’ennuie, remord. A la fois victime et assassin il ne s'épargnera pas.

De retour plusieurs années après dans le village il s’interrogera sur « la marche du monde », sans découvrir les réponses à ses problèmes existentiels. Malgré le soutien d’un trio d’amis.

« Qu’est-ce qu’il y avait d’extraordinaire que Langlois aime à parler de la marche du monde ? Nous l’avons fait bien avant de nous promener sous les tilleuls.
J’ai vécu moi. J’en ai vu des vertes et des pas mûres. Je le sais que tout irait sur des roulettes, s’il y avait des roulettes. Mais il n’y a pas de roulettes. A l’endroit où il devrait y avoir des roulettes il y a des boulons. Il aimait parler avec ceux qui ne sont pas tombés de la dernière pluie. Et Mme Tim n’est pas tombée de la dernière pluie. »

Comme il a été face à face avec l’assassin, il sera face à face avec un loup, « un vieux routier », le Monsieur qu’il tuera, mais ce divertissement ne durera qu’un instant. Langlois place les hommes, sa stratégie, tous le suive, en confiance, ils le respectent.

« Il ne s’agissait plus de louvards. On avait affaire à quelqu’un qui ne s’embarrassait pas de figurer ou non dans les fables de La Fontaine. C’était du travail de vieux routier. Et même de vieux routier qui a quelqu’un à nourrir. »


***

L’auteur décrit une Nature complice, avec ces hommes que, comme l’assassin, comme Langlois la vie n’assouvit pas.

« Les forêts, assises sur les gradins de l’amphithéâtre des montagnes, dans leur grande toilette sacerdotale, n’osaient plus bouger. Cette virtuosité de beauté hypnotisait comme l’œil des serpents ou le sang des oies sauvages sur la neige. Et, tout le long des routes qui montaient ou descendaient vers elle, s’alignait la procession des érables ensanglantés comme des bouchers. »

Si les tilleuls portent leur ombre douce sur les promeneurs, sur les vieillards, le hêtre lui porte le mal.

De beaux portraits, celui de Saucisse notamment, avec son langage imagé et franc.

« Celle qui sortit du Café de la route était, sans contestation possible, un ouvrier de premier ordre dans son métier de femme. […] Non pas qu’elle ait eu la bêtise de se déguiser en jeunesse ; je parle de métier bien fait. Elle avait gardé son âge, elle avait gardé ses épaisses rondeurs ; elle n’avait pas essayé de se corseter à la martyre ni de truquer quoi que ce soit. Elle avait simplement tiré profit de ce qu’elle avait. Ce qui est la marque des bons ouvriers. Et quel profit ! «

La prestance de Langlois et son caractère

« Mais, avec Langlois, il n’était pas nécessaire d’être belle, ni d’être jeune, ni d’être riche pour être quelqu’un ; il suffisait d’être avec lui. »

" Il était toujours au même endroit. Planté. Il regardait à ses pieds le sang de l’oie. "

« Et il y eut, au fond du jardin, l’énorme éclaboussement d’or qui éclaira la nuit pendant une seconde. C’était la tête de Langlois qui prenait, enfin, les dimensions de l’Univers. »


Et quelle écriture ! à lire ne serait-ce que pour l’écriture.

Je n’ai pu lâcher le livre, j’étais là-haut, dans le village, dans le bois, dans l’hiver…………….

Merci Nadine pour ta proposition.


Autres extraits, mais je pourrais en citer des pages…………

« A une certaine époque, il y a plus de trente ans, le banc de pierre, sous les tilleuls, était plein de vieillards qui savaient vieillir. »

« Les louvards se le tinrent pour dit. Ils étaient d’ailleurs de taille à pister sur de longues distances ; ils se contentèrent, au départ et au retour de leurs chasses, de venir jusqu’à la lisière des bois injurier longuement le village. »

« A l’époque du Café de la route elle avait un visage d’homme, maintenant elle avait un visage de notaire. […] elle guettait la marche des lois du temps dans Delphine. […] Delphine, par ce visage de comptable assermenté, était à chaque instant obligée de connaître le solde qui lui restait en caisse. »


Dernière édition par Bédoulène le Mar 3 Déc - 18:51, édité 2 fois

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Message par Quasimodo Mar 3 Déc - 18:45

Tu me rappelles de superbes impressions de lecture ! Dire que c'est le seul Giono que j'aie lu…

Les extraits sont splendides. Il faut de toute urgence que j'y revienne, à celui là ou à un autre.
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Message par Tristram Mar 3 Déc - 19:00

Merci Bédoulène, justement je voulais revenir à ces personnages si vrais qu'on ne trouve pas dans la réalité (sauf sous quelques rares plumes). Je viens de lire des nouvelles de Yourcenar, et je les range près des livres de Giono, car ils s'apparentent par l'authenticité des émotions, le génie du merveilleux et leur style superbe, tout en étant fort typés et originaux.

Quasimodo a écrit:Dire que c'est le seul Giono que j'aie lu…
Qu'attends-tu ?! Quelle lacune _ et quelles perspectives de lecteur !

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