Citation du jour

La vie est un court exil.
Platon

« Savoir ce qui est vrai ou faux dans ton cas, je m’en fous. C’est pas comme dans un roman ou dans un film où ce qui compte, c’est de découvrir ce qui est vrai. »
Russell Banks, « Lointain souvenir de la peau », quatrième partie, V

« Le sourire aujourd’hui est un don si exceptionnel que nous ne le concevons qu’adressé à des personnes que nous estimons beaucoup. Sourire à quelqu’un que nous ne connaissons pas, ou que nous connaissons à peine, dénote une sensibilité surannée qu’il convient de regarder avec circonspection. On ne gaspille pas les sourires. »
Carlos Drummond de Andrade Conversation extraordinaire avec une dame de ma connaissance
(1951 _ c'est pas d'aujourd'hui)

Rien n'est plus dangereux au monde que la véritable ignorance et la stupidité consciencieuse.
Martin Luther King

Du reste, chaque liqueur correspondait, selon lui, comme goût, au son d'un instrument. Le curaçao sec, par exemple, à la clarinette dont le chant est aigrelet et velouté; le kummel au hautbois dont le timbre sonore nasille; la menthe et l'anisette, à la flûte, tout à la fois sucrée et poivrée, piaulante et douce; tandis que, pour compléter l'orchestre, le kirsch sonne furieusement de la trompette; le gin et le whisky emportent le palais avec leurs stridents éclats de pistons et de trombones, l'eau de vie de marc fulmine avec les assourdissants vacarmes des tubas, pendant que roulent les coups de tonnerre de la cymbale et de la caisse frappés à tour de bras, dans la peau de la bouche, par les rakis de Chio et les mastics !

Huysmans, A rebours

ça me plait bien !

Il est difficile de dissocier Fernando Pessoa du développement de sa pensée et de ce qui le fait tendre vers la contrée de la prose même s'il en revient inéluctablement à la condition du poète.

J'ai moi-même raté mon rendez-vous avec la philosophie et Fernando Pessoa m'aide à confirmer cette intuition. De la même manière qu'Henri Michaux m'a aidé à trancher mon parti-pris en faveur des flâneries urbaines par rapport aux récits de voyage, Fernando Pessoa m'aide à trancher ce noeud gordien dans ma quête, non pas sans polémique...

Aussi bien la philosophie du philosophe que celle du poète sont des questions de tempérament, mais alors que le tempérament du philosophe est intellectuel, celui du poète est émotionnel; or ce qui est intellectuel est essentiellement individuel, et ce qui est émotionnel est essentiellement collectif, aussi est-ce représentatif, quand cela survient chez un individu, de la collectivité à laquelle il appartient. C'est donc la philosophie du poète, et non celle du philosophe, qui représente l'âme de la race à laquelle il appartient.

Fernando Pessoa, Chronique de la vie qui passe, p. 211

Outre les bémols que nous pourrions soulever sur la conception de la race au sens ethnique, je pense que la voie de l'essai littéraire offre une voie mitoyenne à celle entre les philosophes et les littéraires - dont les poètes qui coulent de source dans l'interstice qui lie ces deux genres d'écriture. Je dois quand même indiquer que j'assume quelques divergences de fond avec des poètes qui considèrent la philosophie comme partie prenante de leur démarche. Nous sommes le produit de nos époques et des sociétés dans lesquelles nous évoluons, et je suis moi-même conscient d'assumer un double héritage national par mon appartenance à la communauté sourde et à la société québécoise. Oui, nous pouvons parler dans un certain sens d'une nation sourde dans la mesure où les communautés sourdes du monde entier se réfèrent à la langue des signes comme constitutive de leur identité, nationale à défaut de dire mieux. Je fais la distinction entre la nation constituée par l'action des États et le produit de l'imaginaire national.

"or ce qui est intellectuel est essentiellement individuel, et ce qui est émotionnel est essentiellement collectif,"

??

J'avoue qu'il y a une dichotomie entre les deux assertions si on se réfère à la figure de l'intellectuel-le engagé-e, Bédou, mais le paradigme moderne et le cadre conceptuel de cette définition en est venu à évoluer, et l'intellectuel-le est souvent vu-e aujourd'hui comme un-e spécialiste dans un domaine en particulier et non plus un intellectuel-le engagé-e. En cela, je pense que Fernando Pessoa a devancé l'évolution qui témoigne de cette assertion dans une conception dominante véhiculée au sein des médias et des milieux scientifiques. De Sartre à Foucault, il y a déjà une évolution dans le modèle.

Je ne souscris pas à la lettre de cette définition, Bédoulène, mais je lui oppose une doxa consciente, tout en étant conscient des limites et des récifs dans lesquels on s'engouffre si on est trop intellectuel-le tout en étant poète-sse...

une citation à faire fuir ou enfouir des envies de lecture sous des années d'attente.

Vraiment, Animal? En fait, l'oeuvre pessoenne est protéiforme. Il est difficile de la réduire à quelque chose. Tout autant des livres comme Lisbonne et Chronique de la vie qui passe peuvent être des versants de pensées plus concrètes, je pense que la poésie et son Journal de l'intranquillité est comment dire, quelque chose qui va bien plus loin, bien plus en profondeur que ce qui est évoqué. Fernando Pessoa s'est adonné aux commentaires de l'actualité et il y a des choses qui viennent, d'autres qui paraissent surannées, mais ce n'est pas le cas dans son oeuvre poétique. Sa pensée est profonde et très sentie dans sa démarche de poète.

C'est ce que ça a de clivant par rapport à l'individu qui me dérange et toujours l'ombre de ce  gros coup de pelle de "l'émotionnel", comme si la poésie concourait elle aussi à priver une partie de l'humanité du droit à l'émotion. La dichotomie est assez brutale je trouve entre intellectuel (et donc individuel donc égoïste ?) et émotionnel (donc collectif donc généreux ?). Je trouve la dichotomie simpliste.

Pour revenir à cette idée première de ce qui aurait tendance à cliver entre individuel et émotionnel, j'expliquais à ce sujet en m'adressant à Bédoulène que la définition de l'intellectuel-le a beaucoup changé depuis cette optique de l'intellectuel-le engagé-e. J'ajouterai à ce propos qu'au Québec, nous avons une conception intime de ce qu'est un-e intellectuel-le était aux temps où les politiques tel-le-s que René Lévesque et Pierre Elliott Trudeau se retrouvaient dans les cercles intellectuels de l'époque, comme par exemple à Cité libre. Nous mettions beaucoup d'emphase sur la définition d'un-e intellectuel-le qui prenait position sur les questions de l'actualité. Cette conception avait tendance à donner une latitude aux intellectuel-le-s qui touchaient à de nombreux domaines d'étude, s'imprégnaient et connectaient avec les objets d'étude de manière à ce qu'ils-elles soient en contact avec leurs émotions. Il y avait aussi une dimension avec laquelle ils connectaient avec l'âme du peuple - en parlant de R.L. et P.E.T. -, ce qui n'est pas étranger à la constitution de l'essai comme pensée.

Donc, non, je ne considère pas être étranger ce que tu formules comme objections de principe, Animal. Un-e intellectuel-le engagé-e est par définition plus près de ses émotions que dans l'intellect pur. À cette époque, il y a eu un âge d'or où la liberté d'expression ou plus précisément une plus grande possibilité de tribunes qu'on accordait aux intellectuel-le-s. Aujourd'hui, ce n'est plus vraiment ça et on revient un peu à cette formule dichotomique du savant et du politique de Max Weber. Il y a plus de concours pour les spécialisations et la connaissance dite de pointe. Alors tout ça devient à peu de chose près désincarné.

Néanmoins, je pense qu'en citant, l'occasion était bonne pour revenir sur les notions de l'intellectuel-le et de la poésie en général. Avant d'être arrivés au bout de leur parcours artistique, les Fernando Pessoa et Jorge Luis Borges ont passé par des phases intellectuelles, essayistiques et occupaient un espace dans les chroniques de leur époque. Pour peu que l'art en vienne à se sublimer, il faut parfois mettre de côté certaines formulations et pensées plus intellectuelles. Il faut aussi se poser les questions essentielles, et je pense que cette citation portait à débat.

on retombe donc toujours sur la même hiérarchie, et donc séparation discutable...

Pour la chasse aux lions : vous achetez un tamis et vous allez dans le désert. Là, vous passez tout le désert au tamis. Quand le sable est passé, il reste les lions.
Alphonse Allais

« Malheureusement, la psychologie des foules suit des lois invariables : on aboutit toujours à une domination des éléments les plus stupides et les plus agressifs. »
Michel Houellebecq, « La fête »

j'aime bien ce fil

Je n'aime pas la bonté des autres, elle est une borne à mon égoïsme.
Citation de Henri de Régnier ; L'égoïste est celui qui ne pense pas à moi (2015)

«Défie-toi du calme présent, un instant bouleverse la mer.»
Sénèque ; Lettres à Lucilius - Vers 64 ap. J.-C.