Salomé
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Re: Salomé
Pareil ! je me souvenais avoir vu dans ma prime jeunesse un film qui m'avait particulièrement impressionné. J'ai retrouvé, c'était "Salomé" de Carmelo Benetom léo a écrit: Je cherchais une référence à un film que j'avais vu il y a longtemps
ArenSor- Messages : 3372
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ArenSor- Messages : 3372
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Re: Salomé
oh làlà, impressionnant...Très étrange, ce que cela évoque. Décidément ce personnage cristallise de sacrés noeuds. Enfin sa mère, dans ce cas. Brrrrrr
Dans un genre tout autre, j'ai croisé petite , sans doute pour la première fois, Salomé, avec ce film et cette scène : (1984, Christopher Franck "l'année des méduses" )
Nadine- Messages : 4861
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Autre Salomé
Dans le fil « Salomé », je pense qu’il faut évoquer Cranach l’ancien, avec ses portraits de cette dernière et de Judith, thème de la décollation qui l’a visiblement hanté. Il inspira Michel Leiris dans L’Age d’homme, autobiographie onirico-poétique où le fantasme de la mythique châtreuse (Judith) fait pendant à celui de Lucrèce, victime de la violence :
« Je ne conçois guère l'amour autrement que dans le tourment et dans les larmes; rien ne m'émeut ni ne me sollicite autant qu'une femme qui pleure (Lucrèce), si ce n'est une Judith avec des yeux à tout assassiner. »
Leiris est un auteur primordial pour moi. Je recommanderais la lecture de :
• Aurora, son seul roman (dommage !; voir https://trajetslitteraires.wordpress.com/2014/06/03/michel-leiris-aurora-descente-dans-lestomac-de-chronos/),
• La Règle du jeu (quatre tomes : Biffures, Fourbis, Fibrilles et Frêle Bruit), magistrale autobiographie sur le fond comme dans la forme (il fut surréaliste avant d’être ethnographe), sur laquelle il aurait travaillé trente-cinq années : le langage, sa hantise du temps qui passe et de la mort, l’amour, les voyages, l’art… Dans la même veine et postérieurs, lire Le ruban au cou d'Olympia, et À cor et à cri.
• L'Afrique fantôme, historiographie (et aussi journal intime) d’une mission ethnographique avec Marcel Griaule, de Dakar à Djibouti en passant par les Dogons du Mali (1931-1933). À ce propos, je conseille la lecture de Dieu d’eau ‒ entretiens avec Ogotemmêli, de Griaule (d’ailleurs maintenant disponible en PDF sur le net).
Voir entr’autres http://authologies.free.fr/leiris.htm pour une petite introduction pertinente à ces ouvrages. Il y a beaucoup à lire de et dire sur cet auteur, comme pour son ami Georges Bataille, ou Henry Michaux, cet autre contemporain (si j’en relis prochainement, peut-être).
Leiris est un écrivain assez nombriliste (dans sa démarche au moins), mais il atteint sans peine à l’universel (il est d’ailleurs impossible d’être purement objectif en écriture, l’auteur ne peut disparaître totalement de son œuvre ‒ ce ne serait plus de la littérature, il n’y aurait pas de style ‒, et si cela peut être un… objectif !, il reste irréalisable [pour un auteur humain ; sans pertinence pour un robot nègre ‒ ghostwriter, hein !]) :
« Ce que j'y ai appris surtout [en Afrique et psychanalyses] c'est que, même à travers les manifestations à première vue les plus hétéroclites, l’on se trouve toujours identique à soi-même, qu’il y a une unité dans une vie et que tout se ramène, quoi qu’on fasse, à une petite constellation de choses qu’on tend à reproduire, sous des formes diverses, un nombre illimité de fois. »
Michel Leiris, « L’Âge d’homme »
« Ce n'est qu'en fonction de moi-même et parce que je daigne accorder quelque attention à leur existence que les choses sont. […] Ainsi je me promène au milieu des phénomènes comme au centre d'une île que je traîne avec moi [… »
Michel Leiris, « Aurora »
« Mais n’est-il pas humiliant pour nous, qui nous disons civilisés et prétendons à la culture, d’être avant tout sensibles aux dissemblances et, dominés par le choc de première vue, la surprise, l’inévitable dépaysement, de nous y attacher bien plus qu’aux ressemblances ? »
Michel Leiris, « L’Abyssinie intime », in « Zébrage »
« Peut-être est-ce quand les mots, au lieu d’être en position servile de traducteurs, deviennent générateurs d’idées qu’on passe de la parole au chant. »
« Dans l’inqualifiable brouillard de ces confins de fin de nuit et de petit matin [… »
Michel Leiris, « À cor et à cri », « Chanter »
Je crains d’avoir digressé loin de Salomé… mais c’était un bon point de départ !
Il faut peut-être ranger ça dans les auteurs francophones ?
« Je ne conçois guère l'amour autrement que dans le tourment et dans les larmes; rien ne m'émeut ni ne me sollicite autant qu'une femme qui pleure (Lucrèce), si ce n'est une Judith avec des yeux à tout assassiner. »
Leiris est un auteur primordial pour moi. Je recommanderais la lecture de :
• Aurora, son seul roman (dommage !; voir https://trajetslitteraires.wordpress.com/2014/06/03/michel-leiris-aurora-descente-dans-lestomac-de-chronos/),
• La Règle du jeu (quatre tomes : Biffures, Fourbis, Fibrilles et Frêle Bruit), magistrale autobiographie sur le fond comme dans la forme (il fut surréaliste avant d’être ethnographe), sur laquelle il aurait travaillé trente-cinq années : le langage, sa hantise du temps qui passe et de la mort, l’amour, les voyages, l’art… Dans la même veine et postérieurs, lire Le ruban au cou d'Olympia, et À cor et à cri.
• L'Afrique fantôme, historiographie (et aussi journal intime) d’une mission ethnographique avec Marcel Griaule, de Dakar à Djibouti en passant par les Dogons du Mali (1931-1933). À ce propos, je conseille la lecture de Dieu d’eau ‒ entretiens avec Ogotemmêli, de Griaule (d’ailleurs maintenant disponible en PDF sur le net).
Voir entr’autres http://authologies.free.fr/leiris.htm pour une petite introduction pertinente à ces ouvrages. Il y a beaucoup à lire de et dire sur cet auteur, comme pour son ami Georges Bataille, ou Henry Michaux, cet autre contemporain (si j’en relis prochainement, peut-être).
Leiris est un écrivain assez nombriliste (dans sa démarche au moins), mais il atteint sans peine à l’universel (il est d’ailleurs impossible d’être purement objectif en écriture, l’auteur ne peut disparaître totalement de son œuvre ‒ ce ne serait plus de la littérature, il n’y aurait pas de style ‒, et si cela peut être un… objectif !, il reste irréalisable [pour un auteur humain ; sans pertinence pour un robot nègre ‒ ghostwriter, hein !]) :
« Ce que j'y ai appris surtout [en Afrique et psychanalyses] c'est que, même à travers les manifestations à première vue les plus hétéroclites, l’on se trouve toujours identique à soi-même, qu’il y a une unité dans une vie et que tout se ramène, quoi qu’on fasse, à une petite constellation de choses qu’on tend à reproduire, sous des formes diverses, un nombre illimité de fois. »
Michel Leiris, « L’Âge d’homme »
« Ce n'est qu'en fonction de moi-même et parce que je daigne accorder quelque attention à leur existence que les choses sont. […] Ainsi je me promène au milieu des phénomènes comme au centre d'une île que je traîne avec moi [… »
Michel Leiris, « Aurora »
« Mais n’est-il pas humiliant pour nous, qui nous disons civilisés et prétendons à la culture, d’être avant tout sensibles aux dissemblances et, dominés par le choc de première vue, la surprise, l’inévitable dépaysement, de nous y attacher bien plus qu’aux ressemblances ? »
Michel Leiris, « L’Abyssinie intime », in « Zébrage »
« Peut-être est-ce quand les mots, au lieu d’être en position servile de traducteurs, deviennent générateurs d’idées qu’on passe de la parole au chant. »
« Dans l’inqualifiable brouillard de ces confins de fin de nuit et de petit matin [… »
Michel Leiris, « À cor et à cri », « Chanter »
Je crains d’avoir digressé loin de Salomé… mais c’était un bon point de départ !
Il faut peut-être ranger ça dans les auteurs francophones ?
Tristram- Messages : 15621
Date d'inscription : 09/12/2016
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Localisation : Guyane
Re: Salomé
Quelques peintures de Salomé datant d'avant le milieu du XIXème siècle
Hans Memling
Il s'agit des détails de panneaux du Retable des deux Saints Jean peint en 1479
On voit ici la danse de Salomé au moment du festin d'Hérode et la tête du Saint déposé sur un plateau
La représentation de Salomé est celle d'une jeune fille pudique et fragile, obéissant au désir de sa mère et la tête de Siant Jean-Baptiste par le calme qui s'y répand évoque sa sainteté.
Et bien sûr, Lucas Cranach l'Ancien, évoqué par Tristram. Un peintre de l'obsession, qui a peint et repeint certains thèmes bibliques ou non (Adam et Eve, Judith et Holopherne, Loth et ses filles...) et qui s'est assez tardivement intéressé à la figure de Salomé dont il donne quelques représentations.
1531, Le festin d'Hérode
1533, Le festin d'Hérode
1539, Le banquet d'Hérode
date non connue, Salomé avec la tête de Saint Jean Baptiste
shanidar- Messages : 1592
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Re: Salomé
Shanidar a écrit:Un peintre de l'obsession
Oui, et c'est plusieurs représentations de Judith avec la tête d'Holopherne qu'on lui doit (voir par exemple https://fr.wikipedia.org/wiki/Lucas_Cranach_l'Ancien ou Pinterest).
Je ne m'étais pas encore rendu compte du nombre de ses tableaux sur ce même thème, et cette itération obsessionnelle m'apparaît fascinante en juxtaposant toutes ces variations. L'Ancien a eu de la chance que Freud ne soit pas encore là...
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15621
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Re: Salomé
Autre déclinaison de ce thème (très en vogue à l'époque romantique) : la Salomé d'Oscar Wilde, tragédie en un acte (écrite en français, avec la première à Paris alors que l'auteur était en prison en Angleterre, où la pièce fut interdite pendant près de quarante ans).
On y trouve la danse des sept voiles, reprise du mythe d'Ishtar descendant aux enfers, et avant-coureuse du strip-tease.
Hérodiade, la maman de Salomé, peut-être même l'instigatrice de la décollation du futur saint (précurseur du Christ) a également beaucoup inspiré les artistes, dont Flaubert (Hérodias, dans Trois contes) ou Mallarmé (poème éponyme).
On y trouve la danse des sept voiles, reprise du mythe d'Ishtar descendant aux enfers, et avant-coureuse du strip-tease.
Hérodiade, la maman de Salomé, peut-être même l'instigatrice de la décollation du futur saint (précurseur du Christ) a également beaucoup inspiré les artistes, dont Flaubert (Hérodias, dans Trois contes) ou Mallarmé (poème éponyme).
« Et ce fut clos par une théorie de tableaux vivants, des nudités pudiques comme des végétaux, en graduellement eurythmiques symboles, à travers les calvaires de l’Esthétique. »
Jules Laforgue, « Moralités légendaires », « Salomé », III
_________________
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Tristram- Messages : 15621
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Re: Salomé
Magnifique; l'illustration d'Aubrey Beardsley !
Fancioulle- Messages : 215
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Re: Salomé
Il y a aussi les poème de Banville et d'Apollinaire :
La Danseuse
Salomé, déjà près d'accomplir son dessein,
Sous ses riches paillons et ses robes fleuries
Songeait, l'oeil enchanté par les orfèvreries
Du riant coutelas vermeil et du bassin.
Sa chevelure éparse et tombant sur son sein,
La Danseuse au front brun, parmi ses rêveries,
Regardait le soleil mettre des pierreries
Dans les caprices d'or au fantasque dessin,
Mêlant la chrysoprase et son fauve incendie
Au saphir, où le ciel azuré s'irradie,
Et le sang des rubis aux pleurs du diamant,
Comme c'est votre joie, ô fragiles poupées !
Car vous avez toujours aimé naïvement
Les joujoux flamboyants et les têtes coupées.
Salomé
Pour que sourie encore une fois Jean-Baptiste
Sire je danserais mieux que les séraphins
Ma mère dites-moi pourquoi vous êtes triste
En robe de comtesse à côté du Dauphin
Mon coeur battait battait très fort à sa parole
Quand je dansais dans le fenouil en écoutant
Et je brodais des lys sur une banderole
Destinée à flotter au bout de son bâton
Et pour qui voulez-vous qu'à présent je la brode
Son bâton refleurit sur les bords du Jourdain
Et tous les lys quand vos soldats ô roi Hérode
L'emmenèrent se sont flétris dans mon jardin
Venez tous avec moi là-bas sous les quinconces
Ne pleure pas ô joli fou du roi
Prends cette tête au lieu de ta marotte et danse
N'y touchez pas son front ma mère est déjà froid
Sire marchez devant trabants marchez derrière
Nous creuserons un trou et l'y enterrerons
Nous planterons des fleurs et danserons en rond
Jusqu'à l'heure où j'aurai perdu ma jarretière
Le roi sa tabatière
L'infante son rosaire
Fancioulle- Messages : 215
Date d'inscription : 04/12/2016
Age : 30
Localisation : çà et là
Re: Salomé
Banville / Sullien a écrit:Comme c'est votre joie, ô fragiles poupées !
Car vous avez toujours aimé naïvement
Les joujoux flamboyants et les têtes coupées.
Charmant !
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Tristram- Messages : 15621
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Localisation : Guyane
Re: Salomé
Un superbe poème, en effet ! On entend presque le "Soleil cou coupé" d'Apollinaire !Tristram a écrit:Banville / Sullien a écrit:Comme c'est votre joie, ô fragiles poupées !
Car vous avez toujours aimé naïvement
Les joujoux flamboyants et les têtes coupées.
Charmant !
Fancioulle- Messages : 215
Date d'inscription : 04/12/2016
Age : 30
Localisation : çà et là
Re: Salomé
Apollinaire/ Sullien a écrit:Soleil cou coupé
Une des plus belles images de soleil couchant que je connaisse...
_________________
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Tristram- Messages : 15621
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 67
Localisation : Guyane
Re: Salomé
Pour revenir à ce que dit Tristram sur la vague et la vogue de Salomé à partir de 1840, il faut sans doute y voir l'engouement irrésistible des artistes européens pour l'Orient. La Femme Fatale prend alors les couleurs et les ors des courtisanes orientales, fardées de khôl et presque dévêtues. La mode est au voyage en Orient (Nerval, Flaubert accompagné de Du Camp, Delacroix -dès 1832-, etc.).
Et le grand vide laissé par les récits bibliques à propos de Salomé (on y revient...) permet aux artistes de libérer leur imagination des carcans de la tradition. Tout est à raconter avec Salomé d'autant plus qu'elle permet de mélanger les genres, du théâtre à la danse, du chant au poème en passant par le conte. Elle est sans doute l'une des figures les plus idéales de l'époque parce qu'elle allie en un même élan la pureté de sa jeunesse, cette espèce d'innocence de la jeune nubile et en même temps la ferveur sanguinaire de la femme libre, inventive et sauvage ; celle qui effraie, celle qui attire.
Les gravures de Beardsley sont d'ailleurs des illustrations intéressantes à cet égard, puisqu'elle se détache nettement de l'aspect biblique, religieux de l'histoire pour se concentrer sur l'aspect effrayant de Salomé.
Le noir et blanc ne faisant que redoubler l'aspect étrange et morbide des représentations.
Et le grand vide laissé par les récits bibliques à propos de Salomé (on y revient...) permet aux artistes de libérer leur imagination des carcans de la tradition. Tout est à raconter avec Salomé d'autant plus qu'elle permet de mélanger les genres, du théâtre à la danse, du chant au poème en passant par le conte. Elle est sans doute l'une des figures les plus idéales de l'époque parce qu'elle allie en un même élan la pureté de sa jeunesse, cette espèce d'innocence de la jeune nubile et en même temps la ferveur sanguinaire de la femme libre, inventive et sauvage ; celle qui effraie, celle qui attire.
Les gravures de Beardsley sont d'ailleurs des illustrations intéressantes à cet égard, puisqu'elle se détache nettement de l'aspect biblique, religieux de l'histoire pour se concentrer sur l'aspect effrayant de Salomé.
Le noir et blanc ne faisant que redoubler l'aspect étrange et morbide des représentations.
shanidar- Messages : 1592
Date d'inscription : 02/12/2016
Re: Salomé
N.B. : si certains sont intéressés par le mythe d'Ishtar descendant aux enfers et déposant un à un les sept effets qui l'habillent, j'en parlerais volontiers.
shanidar- Messages : 1592
Date d'inscription : 02/12/2016
Re: Salomé
Shanidar a écrit:N.B. : si certains sont intéressés par le mythe d'Ishtar descendant aux enfers et déposant un à un les sept effets qui l'habillent, j'en parlerais volontiers.
S'il te plaît !
_________________
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Tristram- Messages : 15621
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 67
Localisation : Guyane
Re: Salomé
Bien vu shanidar Je pense que dans l'approche du thème de Salomé au 19e siècle, il y a deux tendances qui se conjuguent (effet à double détente comme les bonbons kisscool ). Celle de l'orientalisme et un courant symboliste, très fort dans les dernières décennies du siècle et qui accentue les caractères érotiques, voire pervers, à grand renfort de préciosité. La description du tableau de Moreau par Huysmans est révélatrice, sans parler de Wilde, Beardsley.shanidar a écrit:Pour revenir à ce que dit Tristram sur la vague et la vogue de Salomé à partir de 1840, il faut sans doute y voir l'engouement irrésistible des artistes européens pour l'Orient. La Femme Fatale prend alors les couleurs et les ors des courtisanes orientales, fardées de khôl et presque dévêtues. La mode est au voyage en Orient (Nerval, Flaubert accompagné de Du Camp, Delacroix -dès 1832-, etc.).
Et le grand vide laissé par les récits bibliques à propos de Salomé (on y revient...) permet aux artistes de libérer leur imagination des carcans de la tradition. Tout est à raconter avec Salomé d'autant plus qu'elle permet de mélanger les genres, du théâtre à la danse, du chant au poème en passant par le conte. Elle est sans doute l'une des figures les plus idéales de l'époque parce qu'elle allie en un même élan la pureté de sa jeunesse, cette espèce d'innocence de la jeune nubile et en même temps la ferveur sanguinaire de la femme libre, inventive et sauvage ; celle qui effraie, celle qui attire.
ArenSor- Messages : 3372
Date d'inscription : 02/12/2016
Localisation : Rue du Nadir-aux-Pommes
Re: Salomé
Oui, ArenSor, Tristram parlait du romantisme mais je pense en effet que le symbolisme a eu plus d'influence sur le développement du mythe. Je ne sais pas si Maeterlinck appartenait au courant symboliste, je crois que oui, mais il semblerait que Wilde se soit beaucoup inspiré de son travail, de son recours à la métaphore pour écrire Salomé.
shanidar- Messages : 1592
Date d'inscription : 02/12/2016
Re: Salomé
Jules Laforgue, dans Les Moralités légendaires, a été inspiré par Salomé, et signe ce texte, potache, emphatique, totalement orientalisant, mais bien sa veine.
Lui aussi était fort impressionné par le travail de Gustave Moreau et sans doute a-t-il cherché à coucher quelque chose qui serait dans le goût de la peinture de Moreau sur papier.
Sinon des reliques de Saint Jean Baptiste, il y en a à Saint Jean d'Angély (Charente-Maritime), précisions ici, l'auteur nous semble très dubitatif, elles faisaient l'objet d'un pèlerinage dans des temps anciens, m'a-t-on assuré.
On y trouve aussi ce beau vitrail, avec la tête du Baptiste sur un plateau d'argent et, en fond, la ripaille qui continue de plus belle.
Lui aussi était fort impressionné par le travail de Gustave Moreau et sans doute a-t-il cherché à coucher quelque chose qui serait dans le goût de la peinture de Moreau sur papier.
Sinon des reliques de Saint Jean Baptiste, il y en a à Saint Jean d'Angély (Charente-Maritime), précisions ici, l'auteur nous semble très dubitatif, elles faisaient l'objet d'un pèlerinage dans des temps anciens, m'a-t-on assuré.
On y trouve aussi ce beau vitrail, avec la tête du Baptiste sur un plateau d'argent et, en fond, la ripaille qui continue de plus belle.
Aventin- Messages : 1984
Date d'inscription : 10/12/2016
Re: Salomé
shanidar a écrit:
- Spoiler:
Les Pères de l'Eglise :
Bas-relief cathédrale de Rouen
Ils sont deux à avoir remodelé l'histoire de Salomé, pour lui donner son aspect de femme fatale, de danseuse perverse et dépravée, de femme diabolique, incarnation de la lubricité et du vice. Deux à avoir extrait Salomé de son image de 'jeune fille' à peine nubile, à peine sortie de l'enfance et soumise aux désirs les plus cruels de sa mère et à la lubricité de son beau-père. Et pour quoi ? Pour l'édification des croyants et en particulier des jeunes filles…
Jean Chrysostome dans deux textes (l'Homélie sur l'Evangile de Matthieu et l'Homélie sur l'Evangile de Marc datant du début du Vème siècle de notre ère). Dans ces deux textes, Jean Chrysostome donne un nombre étonnant de détails sur le festin organisé par Hérodiade, son discours cherche surtout à mettre en garde les jeunes filles (en particulier les jeunes vierges) contre deux tentations : l'impudeur du corps (illustrée par la danse) et la volonté de séduire (Hérode pourrait presque passer pour une victime). D'autant que l'érotisme du corps trouve sa fin dans le sang, le crime, l'assassinat d'un saint homme, bon et juste. Il faut reconnaitre que tout n'est pas porté au préjudice de Salomé et qu'Hérodias est largement mêlée à l'horreur du crime. Mais Jean Chrysostome est le premier a insisté sur le rôle de Salomé, sur sa culpabilité, sur le fait qu'une jeune fille doit savoir se tenir, ne pas mettre en avant son corps, ne pas chercher à séduire, ne pas tenter (d'ailleurs Jean Chrysostome a également écrit un Traité sur la virginité, qui doit amplement revenir sur ce discours moralisateur).
Le texte des deux homélies faisant référence à Salomé est facilement trouvable sur le net et cela vaut la peine d'y jeter un regard car on voit alors non pas un discours pesé mais plutôt le déferlement d'une indignation, un saint qui ne mâche pas ses mots et qui tient absolument à défendre la pureté des jeunes filles. Un texte virulent, abrasif, qui condamne et se clame comme une vérité absolue.
Deux condamnations se dessinent donc dans le discours de Jean Chrysostome : Salomé est coupable en gros de lubricité, d'attentat à la pudeur et devient une séductrice nocive, sa danse se terminant dans le sang d'un saint.
Il faut reconnaitre que les textes des Evangiles sont assez crus (en particulier celui de Marc), pas une seule seconde Hérodias n'hésite, elle demande la tête de saint Jean-Baptiste, pas une seule seconde Salomé ne s'inquiète de cette demande, elle file et retourne immédiatement au festin pour demander sur-le-champ la tête du saint.
Augustin d'Hippone (le fameux Saint Augustin 354-430) livre deux sermons qui condamne violemment le crime de Salomé (il va même jusqu'à lui inventer un châtiment) ; à la lecture des deux sermons, j'ai été très surprise de voir à quel point, partant d'un détail, Augustin d'Hippone fait preuve d'imagination :
Aussitôt elle se tord pour décrire des circuits insensés ; elle tourne avec la rapidité d'un tourbillon ; on la voit parfois se pencher d'un côté jusqu'à terre, et parfois renverser sa tête et se pencher en arrière et, à l'aide de son léger vêtement, trahir ses formes voluptueuses. Extrait du XVème sermon sur la décollation de saint Jean-Baptiste
Il faut rapprocher ce texte de celui de Flaubert, qui reprend presque mot pour mot les circonvolutions de la danseuse pour décrire sa Salomé. On sait que Flaubert se documentait énormément pour écrire ses textes, et je pense qu'il a eu connaissance des sermons de Saint Augustin
Et dans le XVIème sermon, l'imagination fertile d'Augustin d'Hippone poursuit :
Sous sa tunique légère, la jeune fille apparait dans une sorte de nudité : car pour exécuter sa danse, elle s'est inspirée d'une pensée diabolique : elle a voulu que la couleur de son vêtement simulât parfaitement la teinte de ses chairs. Tantôt elle se courbe de côté et présente son flanc aux yeux des spectateurs ; tantôt en présence de ces hommes, elle fait parade de ses seins que l'étreinte des embrassements qu'elle a reçus a fortement déprimés.
Au passage les deux Pères égratignent la danse, rituel maléfique, sans doute une résurgence païenne des bacchanales antiques, des danses rituelles en l'honneur de dieux oubliés.
A moins d'être fou, il faut être sous l'influence de la boisson pour danser. Saint Augustin.
Et cette affirmation non dénuée d'une certaine étrangeté de Jean Chrysostome :
Car le démon se trouve partout où il y a de la danse. Dieu ne nous a pas donné des pieds pour un usage si honteux, mais pour marcher avec modestie. Il ne nous les a pas donné pour sauter comme font les chameaux (car les chameaux ne sont pas beaux à voir lorsqu'ils dansent, et les femmes encore moins), mais pour avoir place dans le chœur des anges. (…) Les danses sont les jeux des démons.
Juste un petit retour là-dessus. Saint Augustin enseigne aussi ceci
Sermon 293, 4 ; PL 38, 1329 a écrit: « Jean était la lampe »
Par la volonté de Dieu, l'homme envoyé pour rendre témoignage au Christ est lui-même si grand dans la grâce, qu'on pouvait le prendre pour le Christ. En effet, « parmi les enfants des femmes, dit le Christ lui-même, il n'en a pas surgi de plus grand que Jean Baptiste » (Mt 11,11). Si personne parmi les hommes n'est plus grand que cet homme, celui qui le dépasse est plus qu'un homme. Grand témoignage que le Christ se rend à lui-même ! Mais à des yeux malades et infirmes, le jour témoigne difficilement de lui-même ; les yeux malades le redoutent, ils ne supportent que la lumière d'une lampe. Voilà pourquoi le Jour, avant de paraître, s'est fait précéder d'une lampe ; cette lumière envoyée dans les cœurs fidèles confondra les cœurs infidèles.
« J'ai préparé une lampe pour mon Christ » dit David, le roi-prophète, dans un psaume (131,17). C'est Dieu qui parle par sa bouche : J'ai préparé Jean pour être le héraut du Sauveur, le précurseur du Juge qui doit venir, l'ami de l'Époux attendu. « J'ai préparé une lampe pour mon Christ. »
Il faut constamment garder en mémoire que, puisque nous allons fêter Noël cette fin de semaine, aucun des quatre évangiles ne donne la date de la naissance du Christ, et c'est arbitrairement que la date retenue correspond à celle de la fête du sol invictus, manière de christianiser une fête païenne. Cela permet aussi (je vais vite mais s'il y en a que ça intéresse, je peux développer) de renvoyer à une prophétie d'Isaïe, de surcroît le temps de l'Avent correspond à celui de l'attente, et, dans l'hémisphère nord qui était celui de la chrétienté d'alors, c'était aussi celui de l'attente (ou de latence si vous préférez) dans les travaux agricoles.
Il y a un autre cas que le Christ, c'est Jean le Baptiste. Sa fête correspond au solstice d'été pour exactement la même raison. A noter que, pour les saints, c'est la date anniversaire de leur mort qu'on commémore. Pour Jésus et le Baptiste, exception: c'est celle (fictive mais très chargée symboliquement) de leur naissance. Saint Augustin cite le verset de Matthieu 11,11 qui permet d'appréhender la grandeur du cousin du Christ, Jean-Baptiste, vous n'êtes pas sans savoir que la naissance de Jean fut, elle aussi, un miracle. Pour la chrétienté entière, et c'est valable pour chacune d'entre ses confessions, le Baptiste est le dernier Prophète.
L'ultime, celui, crucial, qui assure la transmission entre la tradition juive et la tradition chrétienne.
Là aussi je vais beaucoup trop vite, n'hésitez pas etc...
Dans ces conditions, comment voulez-vous qu'un exégète, un Docteur de l'Eglise comme Saint Augustin, et comme tous ceux qui l'ont précédé et suivi, peigne autrement les auteurs de ce qu'il faut bien appeler un lâche et abject crime de caprice ?
Aventin- Messages : 1984
Date d'inscription : 10/12/2016
Re: Salomé
Merci pour ces ajouts, Aventin ! J'ai un peu étudié de mon côté le culte de Mithra (le sol invictus) et je serais ravie de te voir développer cette histoire-là.
Je remarque par rapport au rôle de Jean-Baptiste dans l'histoire de l'avènement du Christ, que Wilde dans sa pièce reprend cet élément en faisant de Iokanaan un prophète dont les paroles obscures pour tous (mais totalement effrayantes pour Hérode qui lui prête une oreille attentive) ont besoin d'être décryptées pour être entendues. (On en reparlera sans doute, le personnage étant assez ahurissant par sa présence-absence surnaturelle -il est au fond d'une citerne et sa voix caverneuse prend une dimension d'outre-tombe).
Je remarque par rapport au rôle de Jean-Baptiste dans l'histoire de l'avènement du Christ, que Wilde dans sa pièce reprend cet élément en faisant de Iokanaan un prophète dont les paroles obscures pour tous (mais totalement effrayantes pour Hérode qui lui prête une oreille attentive) ont besoin d'être décryptées pour être entendues. (On en reparlera sans doute, le personnage étant assez ahurissant par sa présence-absence surnaturelle -il est au fond d'une citerne et sa voix caverneuse prend une dimension d'outre-tombe).
shanidar- Messages : 1592
Date d'inscription : 02/12/2016
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