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Marcel Proust

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Message par shanidar Mar 3 Jan - 11:21

Marcel Proust
(1871-1922)

Marcel Proust Marcel12

Obscur écrivain français dont le style, en raison peut-être de ses problèmes respiratoires, fut quelque chose d'éminemment allongé,  il déplut à Gide, qui déconseilla de l'éditer. Il avait tort Gide, puisque le livre de Marcel Proust n'est que le premier opus d'une recherche qui durera toute sa vie et s'écrivit à l'encre noire de sa suffocation de 1907 à sa mort en 1922.

Marcel aime sa maman, le thé et les madeleines, les familles huppées et les plages normandes. Il aime les duchesses, les princes et les peintres mondains. Il passe son temps à courir après lui (le temps) et surtout à tenter de se souvenir du temps d'avant et des noms de pays. Il a peut-être croisé la figure tutélaire de Félicien Marbœuf dont on croit savoir grâce à J.Y. Jouannais qu'il lui donna quelques conseils pour parfaire son Grand-Œuvre, lequel par l'ampleur de sa prose appelle au plus grand des respects.

En 1919, sans doute parce qu'il ne l'avait pas eu à la publication de son premier volume ou parce qu'il est devenu un poulain de l'écurie Gallimard, Proust obtient l'admiration de ses pairs et le prix Goncourt pour A l'ombre des jeunes filles en fleurs.


Je n'ai pas d'autres racontars dans mon escarcelle à propos de Marcel le reclus, Marcel l'essoufflé dont les lignes sinueuses ne semblent jamais vouloir cesser. A moins qu'on aime lire la presse People et qu'on puisse alors s'interroger sur la rumeur selon laquelle Marcel était épris de son chauffeur Albert, qu'il féminisa en Albertine et dont il fit une prisonnière, une disparue et la figure toujours furtive, toujours jalouse car jamais totalement dicible de l'amour entre hommes. Mais j'imagine que ces élucubrations, ses fantaisies n'excitent ici personne.

(source : bibi-shanidar)

Bibliographie

À la recherche du temps perdu

1913 Du côté de chez Swann : Page 1
 Partie 1 : Combray
 Partie 2 : Un amour de Swann  
 Partie 3 : Noms de pays : le nom

1918 À l'ombre des jeunes filles en fleurs :  Page 1
 Partie 1 : Autour de Mme Swann
 Partie 2 : Noms de pays : le pays

1921-1922 Le Côté de Guermantes I et II : Page 1
1922-1923 Sodome et Gomorrhe I et II  
1923 La Prisonnière,  
1925 Albertine disparue 
1927 Le Temps retrouvé

1954 : Contre Ste-Beuve : Page 1
1971 - Jean Santeuil : Page 1

màj le 2/11/2017
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Message par shanidar Mar 3 Jan - 11:27

Du côté de chez Swann, est sans doute (mais je n'ai pas encore lu toute la Recherche) le plus séduisant des volumes. Le lecteur y découvre l'enfance protégée et pourtant pleine d'angoisses du narrateur, il pourra lire des pages absolument sublimes sur une promenade en calèche et la découverte d'un clocher de village et des images inoubliables concernant les angoisses enfantines et nocturnes. La seconde partie qui met en scène les amours compliquées de Swann, lequel aime en-dessous de sa classe et s'éprend d'une 'comédienne' dévoile le talent de Proust pour disséquer les sentiments, les étudier à la loupe et observer la manière dont l'entourage répond. On découvre également le salon 'bourgeois' des Verdurin et le peintre Elstir dont on reparlera. L'ensemble forme un roman d'apprentissage et d'écoute intérieure qui reflète déjà tout ce qui sera développé (ou presque) dans les volumes suivants : le temps, le souvenir, la solitude, le désir d'entrer dans le 'grand monde', le désir 'd'en être', la jalousie, la bienséance, les jeux mondains.

A l'ombre des jeunes filles en fleurs, dure un peu plus longtemps que la ritournelle de Dave. Ce lourd volume raconte les vacances au bord de l'eau, sur une côte normande dont les falaises accueillent les longues après-midi oisives. Le narrateur un peu trop vieux pour faire partie d'une bande de filles, s'ennuie beaucoup et pour se désennuyer décide de tomber amoureux. Mais de laquelle ? Il hésite, il cherche, attend, tergiverse… Parfois son nouvel ami Saint-Loup l'emmène avec lui et lui fait découvrir les casernes. Sa grand-mère, une femme incroyablement aristocratique, noble, impeccable, lui permet de fréquenter le 'monde' et on retrouve avec bonheur à la fin du volume la présence stylée du peintre Elstir.

Du côté de Guermantes. Le plus aristocratiques des volumes puisque notre jeune narrateur va enfin entrer dans le 'monde', rencontrer des princes et des duchesses, se frotter aux mondanités de son temps et découvrir peu à peu les mystères qui tissent les liens entre les protagonistes. Il découvre aussi que finalement on s'ennuie presque autant chez les nobles que chez les bourgeois et que l'esprit n'est pas toujours là où l'on pense. J'ai beaucoup aimé la manière dont Proust rend compte de la beauté et de l'importance des femmes dans ce monde-là.

Sodome et Gomorhe. Pour moi le moins réussi des romans de la Recherche. Le plus bavard. On y retrouve un narrateur en vacances (mais quand travaille-t-il en fait ?) qui prend le train pour aller s'encanailler chez les Verdurin. Le lecteur assiste à une sorte de collision des temps, entre l'ère industrielle et l'ancienne noblesse, entre le nouveau rapport à la vitesse qui déferle et balaye les derniers efforts de la cavalerie (le train, la voiture et le rapide avancement de la bourgeoisie empruntant les habits de l'aristocratie, habits qu'elle ne voudra pas rendre).


Dernière édition par shanidar le Mar 3 Jan - 16:54, édité 1 fois
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Message par topocl Mar 3 Jan - 11:37

Ah! Proust, je m'étais promis d'aller plus loin! mais j'en suis restée là:

Du côté de chez Swann  

Marcel Proust Proust10

Ca y est, je l'ai fait ! Tâche éternellement remise, enfin abordée grâce à un été pluvieux et un peu désœuvré.
Qu'en retirer ?
D'abord l'impression qu'il est un peu surfait de parler de  Du côté de chez Swann . Comme si je commentais une œuvre tentaculaire après la lecture de son seul premier chapitre - et non pas un roman autonome. S'il sait se suffire à lui-même,  Du côté de chez Swann n'en est pas moins manifestement le terreau sur lequel vont s'épanouir les six volumes suivants de A la Recherche du Temps Perdu. D'où, un petit sentiment d'incomplétude , mais dont je ne suis pas sûre cependant qu'il suffise à me mener au bout de l’œuvre.

Oui, c'est beau, très beau, superbement écrit (c'est un peu ridicule de dire ça de Proust, je sais), et malgré les longues phrases, les propositions emmêlées, les appositions, les virgules accolées, beaucoup plus facile à lire que ce que beaucoup redoutent. Cette logorrhée poétique a un souffle, que la souvent lassante répétition des comparaisons et des anaphores ne suffit pas à étouffer. Mais il a aussi un arrière-goût de vague qui fait rage, qui monte et retombe et reprend pour ne jamais cesser, un flux et reflux qui revient incessamment, qui m'a souvent submergée, m'a fait choisir la pause et le repli pour éviter de boire la tasse.

Ce style omniprésent  est l'outil que Proust  a choisi pour traduire l’envahissement du souvenir, la complexité des âmes, l'exaltation de l'amour.  C'est un très fin observateur, Proust. Pas le moindre frémissement des âmes ne lui échappe. Et ce frémissement, il en saisit la naissance, l’accroissement, l’épanouissement, les variations, les retours et le déclin. Avec une perspicacité qui ne laisse rien passer, vraiment rien, et réexplique au cas où vous n'auriez pas compris.

Les cœurs se pâment, un peu à vide d'ailleurs, et Proust avec eux, qui s'intéresse peu aux événements mais à la douce palpitation des âmes,  à la complexité des psychologies, aux ambiances sclérosées, à l'échauffement suranné des émotions. C'est un foisonnement de pathétique au sein d'un gouffre d'inexistence. Il ne se passe rien chez ces petits bourgeois provinciaux pris dans leur carcan de conventions, de cancanneries et d'habitudes, il ne se passe rien chez ces salonnards vaguement ridicules, aussi naïfs que calculateurs, il ne se passe rien dans ce beau monde  creux et tape-à l’œil. De vagues histoires de madeleines, de  baiser maternel, de cattleyas, de petites vacheries mêlées à des amours malheureuses où l'on est transporté et où l'on se languit... tellement chevaleresques et dérisoires...

Proust porte un œil nostalgique sur le sentimentalisme passionné de ses personnages, sur cet adolescent un peu bêta qui vit des moments  à la fois  primordiaux et insignifiants. Mais cet œil est aussi férocement acerbe, il ne pardonne rien, et finalement il m'a gênée,  je l'ai trouvé sans pitié, voire condescendant, sans tendresse vraie pour ses personnages dont la décortication obsessionnelle (explications, démonstration, précisions, justifications et ré-explication) a tué ma compassion.
Et à côté de l' »intrigue », ce goût  du détail au-delà du détail s'applique aussi aux digressions, souvent attachées à des références à la culture classique. Je dois avouer que j’ai alors pas mal sauté.

Mon ennui intermittent a  fait une large place à des sentiments d'amusement, d'admiration et d’irritation. C'est donc une impression très mélangée qui en ressort.

(commentaire récupéré)

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Message par Mordicus Mar 3 Jan - 13:20


Essayé. Pas pu.
Il n'aura même pas l'honneur que j'ai fait à Balzac.

Marcel, tu me saoules, t'as pas idée.

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Message par Invité Mer 11 Jan - 15:53

Je reviendrai faire un tour quand j'aurai fini de lire La Recherche, là c'est compliqué d'en dire quelques mots. J'en suis à commencer Sodome et Gomorrhe, donc peu ou prou à la moitié du périple littéraire ...

Pour le moment, à choisir, j'aurais une préférence pour Combray et pour A l'ombre des jeunes filles en fleurs, mais le tout est toujours très bon. C'est d'une densité herculéenne.
Me concernant, tout n'est pas toujours passionnant au niveau du contenu, mais la forme est tellement magnifiée qu'il y a forcément des pépites, des passages inouïs !

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Message par Quasimodo Dim 15 Jan - 15:45

C'est chouette de lire vos avis !

Pour répondre à la présentation de Shanidar, je crois que A l'ombre des jeunes filles en fleurs a eu le Goncourt grâce au soutien de Léon Daudet, qui a fait le forcing. Proust a donc été récompensé ... devant Adès et Josipovici, Le livre de Goha le simple, que je viens de m'offrir. Curieux de le lire, celui-là.

topocl a écrit:D'abord l'impression qu'il est un peu surfait de parler de  Du côté de chez Swann . Comme si je commentais une œuvre tentaculaire après la lecture de son seul premier chapitre - et non pas un roman autonome.

Très juste, voilà pourquoi je ne m'y risque pas ...

J'aime beaucoup ton commentaire. La seule différence, c'est que je n'ai pas ressenti d'agacement, je me suis laissé bercer. Comme la plupart du temps, ce qui n'est pas toujours très bon.

topocl a écrit:Mais cet œil est aussi férocement acerbe, il ne pardonne rien, et finalement il m'a gênée,  je l'ai trouvé sans pitié, voire condescendant, sans tendresse vraie pour ses personnages dont la décortication obsessionnelle (explications, démonstration, précisions, justifications et ré-explication) a tué ma compassion.

Voilà le seul point où je ne suis qu'à moitié d'accord. S'il ne passe rien à ses personnages, c'est peut-être à cause de l'ennui et de l'irritation que lui fait éprouver le souvenir des modèles. Ou peut-être que lorsqu'il reconnaît, chez un de ses personnages, un défaut qu'il croit partager avec lui, il se sent l'obligation de le mettre à nu, d'en montrer tout le ridicule. Comme un homme qui a horreur des "postures", des gens superficiels, mais qui ne peut pas s'empêcher d'avoir ses propres manies, ses propres préjugés, et qui le sait trop bien.

Et puis, encore, le narrateur (celui qui raconte, pas l'enfant), quel âge a-t-il ? On ne sait pas encore ce qu'il va devenir. Quand il émet un jugement sur une personne, est-ce que c'est un jugement de l'enfant, contemporain des évènements qu'il raconte, ou un regard rétrospectif de l'adulte ? Si c'est l'enfant, on peut imaginer qu'il changera; si c'est l'adulte, alors, peut-être qu'on comprend dans la suite s'il est vraiment devenu aigri, et pourquoi.

Désolé, c'est un peu confus ...
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Message par Aventin Mer 18 Jan - 15:24

shanidar a écrit:
Marcel Proust
(1871-1922)

Marcel Proust Marcel12

Obscur écrivain français dont le style, en raison peut-être de ses problèmes respiratoires, fut quelque chose d'éminemment allongé,  il déplut à Gide, qui déconseilla de l'éditer. Il avait tort Gide, puisque le livre de Marcel Proust n'est que le premier opus d'une recherche qui durera toute sa vie et s'écrivit à l'encre noire de sa suffocation de 1907 à sa mort en 1922.

Marcel aime sa maman, le thé et les madeleines, les familles huppées et les plages normandes. Il aime les duchesses, les princes et les peintres mondains. Il passe son temps à courir après lui (le temps) et surtout à tenter de se souvenir du temps d'avant et des noms de pays. Il a peut-être croisé la figure tutélaire de Félicien Marbœuf dont on croit savoir grâce à J.Y. Jouannais qu'il lui donna quelques conseils pour parfaire son Grand-Œuvre, lequel par l'ampleur de sa prose appelle au plus grand des respects.

En 1919, sans doute parce qu'il ne l'avait pas eu à la publication de son premier volume ou parce qu'il est devenu un poulain de l'écurie Gallimard, Proust obtient l'admiration de ses pairs et le prix Goncourt pour A l'ombre des jeunes filles en fleurs.


Je n'ai pas d'autres racontars dans mon escarcelle à propos de Marcel le reclus, Marcel l'essoufflé dont les lignes sinueuses ne semblent jamais vouloir cesser. A moins qu'on aime lire la presse People et qu'on puisse alors s'interroger sur la rumeur selon laquelle Marcel était épris de son chauffeur Albert, qu'il féminisa en Albertine et dont il fit une prisonnière, une disparue et la figure toujours furtive, toujours jalouse car jamais totalement dicible de l'amour entre hommes. Mais j'imagine que ces élucubrations, ses fantaisies n'excitent ici personne.
(source : bibi-shanidar)
Wow Shocked , t'as oublié fusionnel avec sa maman  Laughing .

shanidar a écrit:
(source : bibi-shanidar)

Bibliographie

À la recherche du temps perdu

1913 Du côté de chez Swann,
Partie 1 : Combray
Partie 2 : Un amour de Swann  
Partie 3 : Noms de pays : le nom
1918 À l'ombre des jeunes filles en fleurs,
Partie 1 : Autour de Mme Swann
Partie 2 : Noms de pays : le pays
1921-1922 Le Côté de Guermantes I et II,
1922-1923 Sodome et Gomorrhe I et II,  
1923 La Prisonnière,  
1925 Albertine disparue,  
1927 Le Temps retrouvé,

Là en revanche, je crains d'être dans l'obligation de rapatrier du commentaire de notre ex-forum, et Jean Santeuil, Contre Sainte-Beuve, Les Plaisirs et les Jours, etc..., c'est du Proust-laid Marcel Proust 1155189403  ?
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Message par shanidar Mer 18 Jan - 15:35

Ah ! Enfin quelqu'un qui me lit !
Je peux ajouter tout le reste à la bibliographie (j'avais fait ma feignasse et je vois que je suis démasquée !)
Rapatrions ! Rapatrions !
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Message par Aventin Mer 18 Jan - 16:47

Concrètement, je suis arrivé en phase classe terminale sans doute pétri de connaissances diverses, ce qui remonte à un temps que les moins de...oui, bon ça va, hein, on se tait au fond !, mais il me restait à apprendre à lire, écrire et compter: compter il y a des machines pour cela, écrire je ne sais toujours pas faire, en revanche j'ai appris à lire, cette année de mes 18 ans et de mon bac, grâce à "La recherche..." dont je me suis alors fadé, goulûment, les douze premiers tomes.

N'ayant nulle lecture de Proust en cours (parce que, voyez-vous, le tome II de Jean Santeuil, je viens de le lire à la césure des deux forums, mais il va falloir une deuxième, troisième ou une quatrième fois si ce n'est plus avant d'oser en parler (maladroitement sans aucun doute), je l'ai trouvé un ton en-dessous du volume I.
Bon cet ampoulé préambule pour vous asséner que je copie-colle mes gâchis d'espace forumistique de naguère.




Marcel Proust Produc29

Jean Santeuil
Compilation post-mortem d'un roman inachevé, 1952, 1032 pages, en trois volumes chez nrf - Gallimard.

Le premier ouvrage de Marcel Proust, Les Plaisirs et les Jours, un recueil de poèmes en prose et de nouvelles, paraît de manière confidentielle en 1896.

Il commence alors la rédaction de son premier roman, Jean Santeuil, mais l'abandonne en 1900 (projet trop vaste ?), après quoi ces feuillets, oubliés, furent déterrés rue Déhodencq par un tout fraîchement agrégé, M. Bernard de Fallois (qui dégottera aussi "Contre Sainte-Beuve", publié en 1954, rien que ça... !), sur des indications données par André Maurois.

L'Académicien André Maurois fut le premier biographe sérieux de Marcel Proust, signant À la recherche de Marcel Proust, en 1949, à la fois étude et biographie littéraire, ce fut la seule oasis dans le désert de la recherche proustienne jusqu'aux années 1960 - à mesurer à l'aune des empilements des thèses, biographies, études, prétextes-à-publier en tous genres qui sortent, en flots ininterrompus et plus que jamais de nos jours, à propos de ce désormais géant officiel des lettres francophones qu'est devenu Marcel Proust.

Je vous encourage, à ce propos, si vous êtes intrigués par le fait que les ouvrages de Marcel Proust durent attendre longtemps dans l'ombre (non, pas des jeunes filles en fleur), à lirecette remarquable entrevue, pour comprendre qu'"à la recherche..." était confinée, quasi transmise sous le manteau: à peine croyable, non ?

Spoiler:

Ci-dessous l'exergue à part de l'introduction, de Proust lui-même, aussi brève que le projet est ample:


    Puis-je appeler ce livre un roman ? C'est moins peut-être et bien plus, l'essence même de ma vie recueillie sans rien y mêler, dans ces heures de déchirure où elle découle. Ce livre n'a jamais été fait, il a été récolté.  




 

   A connaître et à conserver quand on aime cet incroyable auteur. C'est ce que sous-entend aussi Tadié (en préface chez Quarto), qui rappelle que les proustomanes ne la connaissent pas beaucoup.

          


Bref, disais-je, je recommence à moins que je ne continue:


Jean Santeuil, volume I
(300 pages environ)


J'ai aimé ce volume I, sincèrement au-dessus de ce à quoi je m'attendais, et dire que j'ai longtemps différé d'accoster à Jean Santeuil de crainte envers ma proustophilie, humble, benoîte, mais constante !

C'est un drôle d'assemblage qu'a cousu là Bernard de Fallois, et c'était sûrement moins aisé qu'il ne le laisse entendre, par modestie sans doute, dans l'entrevue dont je donne le lien plus haut.

L'histoire -si on peut l'appeler ainsi- débute en introduction innomée en Bretagne, deux jeunes gens, piqués de littérature, tournent autour d'un maître vieillissant ("C., l'écrivain vivant que quelques-uns de mes amis et moi placions alors avant tous les autres" - 2ème page), quelques pages assez plaisantes bien que tournant autour du pot, histoire sans doute de bien caractériser le C. en question. Après la mort de C., Marcel Proust et son comparse sont les dépositaires d'un roman non publié de C., qu'il leur avait de surcroît lu et commenté auparavant, et le publient: ainsi Proust s'affranchit du "je" narratif, en cela Jean Santeuil est plutôt une exception dans ses écrits.  
Cabot, ou jeune facétieux, Proust va même jusqu'à se fendre d'un:

 Nous savions par lui, et à n'en pas douter, que les choses qu'il écrivait étaient des histoires rigoureusement vraies. Il s'en excusait en disant qu'il n'avait aucune invention et ne pouvait écrire que ce qu'il avait personnellement senti (...)

qui, au demeurant, est totalement vrai rapporté à "à la recherche...", et prémonitoire en ce qui concerne le sort du roman Jean Santeuil, exhumé longtemps après son décès !

Trois parties, inégales en taille, composent ce volume I. La première nous montre Jean Santeuil alias Marcel Proust enfant parisien (des beaux quartiers), peu à signaler excepté le passage somptueux des amours enfantines envers la petite Marie Kossichef.  

La troisième est plus axée sur le Proust adolescent, collégien, qu'on trouve déjà à la fin de la première partie (une enjambée au-dessus de la deuxième partie, en somme). La naissance du mondain, aussi l'évocation appuyée de son professeur (un peu son maître, au moins son mentor en matière de littérature et de philosophie), ses premiers amis de jeune homme, l'affirmation de sa vocation (quoiqu'elle reste imprécise), quelques portraits dont un plutôt incongru d'un ami, à la tribune de l'Assemblée Nationale, à propos du génocide arménien si je comprends bien (qu'est-ce que ce saut par dessus les années fait là ?), et l'amené (qui vaut annonce) de sa rupture d'avec ses parents.


Mais ma préférée et de loin, la seule que je relis déjà in extenso une fois le volume achevé, est la deuxième partie.
C'est là, à ce qu'il me semble, que la plume du grand Proust perce le plus sous celle du jeune Marcel, de cela on peut discuter, n'ayant pas la prétention d'avoir tous les volumes d'"à la recherche..." en tête, loin de là !
Il se peut juste que les correspondances, la poétique générale, le sens introspectif, me paraissent, en mon imparfait du subjectif, déjà atteindre des altitudes rares.
Sans toutefois que Proust n'ose encore ces métaphores savamment amenées d'un adverbe ou d'un adjectif anodin dans les lignes qui précédent, et aboutissent à ce fameux brio de funambule de la phrase-paragraphe, bâtie paradoxalement avec la solidité et tout l'art d'un maître-maçon de cathédrale, qui firent l'unicité de son style.

Cette partie se déroule entièrement en Normandie, à Illiers, aujourd'hui Illiers-Combray en souvenir de Marcel Proust (Illiers étant Combray dans "à la recherche..."), et que Proust nomme ici Etreuilles, avec plus qu'un indice à la page 195, où il est question de pays d'Illiers, et à la page 228, où l'on parle d'Illiersois pour désigner les habitants d'Etreuilles (ça n'aurait pas passé le bon à tirer si la copie avait été visée par l'auteur, mais, du moins, ça a l'avantage de supprimer toute équivoque, au cas improbable où il eût pu y en avoir, quant au lieu d'inspiration réel !).


On trouve, par exemple, un bel éclairage de sens à donner sur les asperges, (voir le tableau d'Edouard Manet, "Les Asperges"), ça faisait donc un sacré bout de temps que Proust affinait ça.

Mais je parle, je parle, ça suffit, assez !
Un petit échantillonnage, axé jardin et plus précisément le chapitre Le jardin des oublis, histoire de ne pas disperser tous azimuts cantonnons-nous à des extraits ramassés, proche dans le livre, mais d'autres thèmes de cette partie valent autant, il me semble que là nous tenons vraiment du Marcel Proust un peu plus qu'en devenir ou en gestation.

Commençons par les asperges, que je viens de vous mettre quelque peu à la bouche, notez les quelques répétitions -comme "espace", "vues", pas toujours mélodieuses, on est dans le raw material, certes, mais déjà fort travaillé.
Voyez le remarquable cheminement d'entrée dans le propos des asparagaceae et aussi la finale, la porte de sortie du paragraphe.
Chapitre le jardin des oublis a écrit:
   Plus haut que le manège du soleil, il y avait un lieu mystérieux, après qu'on avait passé près d'un bassin d'où l'eau descendait alimenter des pompes, et au fond duquel les tuyaux apparents et croisés avaient déjà cessé d'être une œuvre de l'homme, tandis qu'au fond des eaux qu'elle verdissait la délicieuse gaine verdâtre de mille invisibles mousses aquatiques les enveloppait, se mêlant, se nouant les unes aux autres parfois si fort qu'ils avaient failli les crever et à un endroit l'avaient tout à fait infléchi: c'était au sommet du parc, immense espace plat, qu'on appelait "le plant d'asperges", espace assez nu habituellement comme le lieu de tous les prodiges quand ils ne sont pas encore accomplis, et qui au mois de juin quand il venait pour l'Ascension apparaissait aux yeux de Jean foisonnant de dix mille délicieuses asperges qui s'y dressaient en liberté comme si elles ne seraient pas, peut-être le soir même, servies dans son assiette, à jamais déracinées, chaudes, molles et pourtant encore telles qu'il les avait vues. Ou plutôt il les avaient vues. Ou plutôt il les avait vues vivantes, telles qu'elles lui avaient été servies, hautes et minces, quelques-unes plus grasses, dures et roses, puis bleuâtres avec une molle tête verte bouclée. Au bout du plant d'asperges était une porte solidement verrouillée qu'on ouvrait souvent pour la promenade de cinq heures. Alors c'était à l'infini les champs de luzerne, où tremblait de temps en temps au vent un coquelicot.


On trouve aussi une allégorie du bourdon, tout comme dans le très célèbre passage du début de Sodome et Gomorrhe (allégorie se ramenant à l'accouplement Jupien-Charlus), mais ici dans un registre différent, on sent, comme pour les asperges, combien certains passages éclatants et notoires d'"à la recherche..." ont été portés, soupesés, travaillés de très longue date par Proust.

   Aux parties mêmes de ces petites chapelles pourtant en plein air où étaient amassées presque avec exagération les branches d'aubépine fleuries sur toute leur longueur d'un vrai fourré de fleurs blanches, l'odeur d'aubépine était si forte qu'on en était presque affolé, et bien que ce dôme des arbres fît de l'ombre et qu'il fît un silence recueilli, dans lequel on pouvait entendre le gros bourdon noir dire ses oraisons dans le tabernacle des églantines d'où on n'apercevait plus que son dos noir, les rayons du soleil entraient, comme dans une chapelle dont la fenêtre n'est pas vitraillée.

Marcel Proust 95827211

L'épine rose, alias l'aubépine rose

   Dès les premières années de vacances à Etreuilles quand de ses yeux pas observateurs, de son esprit paresseux, il ne distinguait rien dans la nature au printemps et ne ressentait qu'une sensation confuse qui lui faisait ôter son paletot, désirer se promener, boire de la crème dans les fermes, s'asseoir à l'ombre, tremper ses mains dans l'eau du canal, Jean avait, entre toutes les fleurs qu'il avait devant lui sans les voir et sans les aimer, élu l'épine rose, pour laquelle il avait un amour spécial, dont il se faisait une idée définie, dont il réclamait au jardinier une branche pour emporter dans sa chambre, et que, sitôt aperçue au fond d'un jardin ou le long d'une haie, il s'arrêtait à regarder et à désirer. Était-ce qu'ayant vu auparavant de l'épine blanche, la vue d'une épine rose dont les fleurs ne sont plus simples mais composées le frappa à la fois de ces deux prestiges de l'analogie t de la différence qui ont tant de pouvoir sur notre esprit ? Mais pourtant il avait peut-être vu des églantines avant de voir des roses et n'aima jamais beaucoup les unes ni les autres. Est-ce qu'avec cette épine blanche et épine rose s'associa le souvenir de ce fromage à la crème blanc qui, un jour qu'il y avait écrasé des fraises devint rose, du rose à peu près de l'épine rose, et resta pour lui la chose délicieuse qu'il jouissait le plus à manger et qu'il réclamait tous les jours à la cuisinière ? Peut-être cette ressemblance l'aida-t-elle à remarquer l'épine rose et à l'aimer et en conserva-t-elle le goût dans un impérissable souvenir de gourmandise, de jours chauds, et de bonne santé. Est-ce d'un jour où il était malade, et où sa mère entra en disant: "C'est le jardinier qui a coupé ces branches d'épines roses" et le lui posa sur son lit, et seul devant cette branche qui souriait par toutes ses fleurs et répandait dans sa chambre l'odeur des chemins où il aurait aimé courir, fut-elle distinguée comme pour elle-même et aimée ce jour-là où elle était chargée pour lui de la gloire et de la beauté de tout le reste, qu'elle semblait lui apporter dans l'odeur de ses branches et la rougeur de ses fleurs roses ?  



Marcel Proust 01808711

Le viorne obier, très probablement "les boules de neige".




(commentaire du 2 septembre 2016, rapatrié de "Parfum de livres")


Dernière édition par Aventin le Mer 18 Jan - 17:17, édité 1 fois
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Message par Aventin Mer 18 Jan - 16:58

Marcel Proust Image102


Contre Sainte-Beuve
Paru post-mortem en 1954, écrits de travail, fragments et brouillons compilés, datés de 1908 à 1910.

La problématique que fournit Proust n'est toujours ni tranchée, ni révolue.
Faut-il se familiariser avec la vie de l'auteur, ce qu'il dit hors de ses livres, ses connaissances, ses fréquentations, son milieu social, son enfance, ses ascendants et toutes les données d'enquêteur qu'on peut assembler sur sa personne, afin de cerner au mieux son oeuvre (c'était la façon de faire de Sainte-Beuve), et tenter de l'inscrire dans une démarche scientifique d'investigation (à relents se voulant positivistes, dans le cas de Sainte-Beuve, mais une des mises en évidence les plus audacieuses de Proust est le constat qu'elles virent parfois, concrètement, à la vile courtisanerie) ?

Sainte-Beuve fut le plus renommé d'entre les critiques littéraires français du XIXème siècle, et est peut-être d'ailleurs toujours aujourd'hui le critique littéraire français le plus notoire de tous les temps. Marcel Proust ne s'attaque pas à un second couteau, à un besogneux !
Au reste, un respect de la plume, et de la personne, de celui en face duquel il s'érige en contradicteur, transparaît dans ces pages: on reste, je crois, dans le ton gentilhomme.

Mais les points que soulèvent Proust vont très loin, peuvent même désarçonner tant ils remettent en question.
Ou bien rassurer si, comme moi, vous vous êtes fadé, plusieurs dizaines d'années durant, de longues analyses critiques très orientées.
De type, allez, par exemple, quelques exemples justes, il y en a d'autres, mettons:
freudien, ou marxiste, ou exégète-herméneutique, ou enquêteur à la Bureau Veritas de l'écrit littéraire, sur des livres que vous avez lu, cru percevoir, recevoir et comprendre avant que le regard-expert "savant" ne vous déroute, en prétendant vous laisser entrevoir la "vérité vraie" sur l'ouvrage, vous forçant même parfois, jusqu'à ce que votre cuir endurci vous rende moins poreux aux influences, à considérer que vous avez tout loupé de l'ouvrage puisque vous y avez vu tout autre chose: et comme eux "savent", la preuve, ou plutôt leurs preuves, ils les ont faites, ils sont bardés de titres...
Il est juste de souligner que d'autres, bien d'autres, d'écoles, de sensibilités très variées (de toutes, en fait), m'ont éclairé certains livres !  
 
Mon opinion, ce qui, en soi, n'a pas d'importance;
Il est tout de même non dénué d'intérêt, pour l'appréhension comme pour la compréhension (l'assimilation, si vous préférez) d'un texte de ne pas faire abstraction du contexte; en cela je ne suis pas suiveur de Proust jusqu'au bout.
Mais je réfute la construction de Charles-Augustin Sainte-Beuve, corrélée à de vieux rêves, de vaines tentatives de Paul Bourget et d'Hippolyte Taine à ce qu'il paraît.
Parce qu'ainsi, sa méthode appliquée laisse les auteurs très anciens (Grecs, Latins, etc...), ou ceux sur lesquels nous avons davantage de conjonctures, d'hypothèses que de certitudes (par exemple François Villon), sans parler des anonymes (la chanson de Rolland, etc...) au bord du chemin de la critique bien sûr, mais même de la réception lectorale. Veuillez m'excuser, je me racle la gorge bruyamment !

Et aussi, conduit à l'art, et là je suis tout à fait en phase avec l'argument de Proust, c'est que ces beaux messieurs positivistes ayant le sens du progrès et voulant que l'art puisse se trouver dans le champ de la démarche scientiste nous conduisent tout bonnement à considérer que les découvertes des uns servent aux suivants, qui partent du dernier point certain atteint par leurs prédécesseurs pour faire avancer l'art:
Il va de soi que les souvenirs, les mémoires du dernier footballeur porté aux nues ou de l'ultime participant-vedette à une émission de téléréalité partent du dernier point artistique atteint par Chateaubriand dans Les Mémoires d'Outre-Tombe et par Proust dans A la recherche du temps perdu !

Plaisanterie à part, ça ne tient pas. L'art n'est pas une science positive et rien de la démarche scientiste appliquée n'est calquable, désolé. Proust a beau jeu de souligner que le point du ressort créatif reste entier et renouvelé, là il joue sur du velours:
Bien sûr, Homère n'est pas moindre qu'un bouquin de 2014 propulsé à grands coups de com' avec trois mots d'éloge de cinq critiques de médias mainstream, et écrit avec un point tous les huit mots, beaucoup de dialogues et peu de narration, à trois temps de conjugaison, puisque l'éditeur le destine à une carrière de support vendable en scénario de téléfilm "incontournable", rêvant à la série, si l'hameçon et l'appât...(NB: ceci est une illustration, bien sûr qu'il parait de très bons ouvrages en ce moment, et je n'ai pas de doute sérieux pour demain)    


L'ouvrage commence par une préface de Proust, dont la première phrase dépose à elle toute seule la critique dite savante, elle est plus qu'iconoclaste, elle sent carrément le fagot, et aujourd'hui autant ou même plus (je pense plus) qu'hier, jugez:
"Chaque jour j'attache moins de prix à l'intelligence".  

Voilà pour la partie problématique, sachez que le livre va plus loin, Proust nous confie au passage un peu de son regard sur d'autres artistes. Surtout sur trois d'entre eux, un que Sainte-Beuve a complètement ignoré, Gérard de Nerval, bien que le chapitre soit visiblement non achevé (il manque un développement final, conclusif, dirait-on).
Donc ce chapitre (c'est le IX, intitulé Gérard de Nerval) c'est Proust lisant Gérard de Nerval -je sais combien de nombreux Parfumés sont d'inconditionnels Nervaliens, comme moi, et annonce: vous allez ronronner et rouvrir derechef quelques pages de Sylvie !

Les deux autres auteurs ?
Charles Baudelaire, outre de superbes citations, et d'infiniment réjouissants commentaires de vers, Proust tend là à une limite en particulier de Sainte-Beuve, l'"ami" de Baudelaire qui ne l'a pas défendu quand il en avait un besoin urgent. Sainte-Beuve qui sopalinait allègrement sur des demi-sels d'écrivains mondains, des salonnards oubliés, mais qui prenait de haut le poète au bout du rouleau, criblé de dettes et traîné devant les tribunaux, tout en étant parfaitement conscient de la valeur exceptionnelle de ses vers.
Il me semble qu'on trouve par moment dans la critique envers Sainte-Beuve comme un premier jet, un matériau brut, qui fournira bien plus tard l'esquisse de salon littéraire, ses charmes et ses limites, ses injustices, que sera le salon d'Odette Verdurin, dans "A la recherche du temps perdu".

Honoré de Balzac, Est peut-être encore plus intéressant comme sujet traité par Proust que les pages consacrées à Nerval et Baudelaire. Parce qu'autant Proust est conquis par Nerval et Baudelaire, autant son enthousiasme de lecteur est moindre pour Balzac. Aussi parce que le chapitre semble bel et bien achevé, formalisé, calibré.
Proust relève avec beaucoup d'à-propos le fait que Sainte-Beuve soit passé complètement au travers de l'oeuvre -pourtant colossale- de Balzac. Il n'a rien compris des innovations de celui-ci, ni de la transposition de la technique picturale (Balzac était mieux qu'un amateur éclairé, un fou de peinture) à la technique littéraire, ni au fait que Balzac lui-même flirtait toujours à la limite du monde de ses romans et de sa vie réelle, ceux-ci s'entrecroisant dangereusement pour lui sans doute, mais là est une des raisons pour lesquelles l'oeuvre de Balzac a encore un tel éclat aujourd'hui, une force en elle, si spécifique.  

Pêle-mêle traversent aussi le livre, es-qualité d'auteurs du goût de Marcel Proust, parfois juste cités, parfois développés, Chateaubriand (j'en ai touché un mot ici, un René Boysleve bien oublié de nos jours, Henri de Régnier (pas mieux dans l'oubli !), Jean Racine, Musset, Boileau, Francis Jammes, Lamartine, Hugo, Stendhal (beaucoup !), Tolstoï, Pascal, John Ruskin, Vigny, Leconte de Lisle, Homère, Maurice Maeterlinck, Molière, Mallarmé, Virgile, Flaubert (beaucoup aussi !). De quoi constituer un petit viatique pour itinéraire de proustiens en mal de prolongements, de sources (mais la démarche serait quelque peu Sainte-Beuvienne !).  

Ce sont aussi des peintres.
"lustrant d'ombres de vastes étendues de marbre comme dans Véronèse, donnant ainsi la leçon contraire de la leçon de Chardin":

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Marcel Proust 0203-011


Ou encore des fleurs de Jan Van Huysum:
Marcel Proust 0257-010


Proust a un interlocuteur lors de cet essai, une présence, tant en personnage de ses souvenirs que pour donner la réplique, celle-ci fût-elle le plus souvent silencieuse (mais pas toujours).
C'est sa mère, à qui il voue un amour fusionnel, qui traverse le livre en figure votive, pourrait-on dire. Elle rayonne, en particulier, dans les chapitres L'article dans Le Figaro, Le rayon de soleil sur le balcon, Conversation avec Maman.

Son frère est évoqué, à l'enfance, de bien jolies pages de départ "dramatique" de vacances, qui n'auront pas de correspondance ultérieure dans "A la recherche du temps perdu" (ou bien je les ai oublié, ce qui est fort possible !) enfin son père est une silhouette qu'on ne distingue pas sur la ligne d'horizon.

Marcel Proust 56859410
"Et les belles lignes de son visage juif, tout empreint de douceur chrétienne et de courage janséniste, en faisaient Esther elle-même..."


Un des plus grands intérêts de ce livre réside dans des prémisses, des paragraphes, des futures pages ou bien des personnages que Marcel Proust nous livre à l'état d'ébauches, et que nous retrouverons dans "A la recherche du temps perdu".
Ainsi dans le chapitre sommeil les femmes qui naissent d'une position de sa cuisse. Ou encore le cabinet qui sera le lieu de son éveil sexuel à l'adolescence, avec la fenêtre et la plante vivace grimpante, autant de "recherche du temps ou je lisais à la recherche du temps perdu" !
Bien sûr, vous trouverez l'itinéraire Proustien obligé, en premier lieu la Normandie de villégiature (et les deux côtés de Guermantes !), bien sûr Paris, bien sûr les flèches de la Cathédrale de Chartres, bien sûr Venise...
Ou encore le chapitre "La race maudite", très beau texte sur l'homosexualité dans un contexte début de XXième siècle parisien, qui éclora en toute splendeur dans les célèbres pages de l'accouplement entre Jupien et le Baron de Charlus, avec l'allégorie du bourdon et de la fleur.
Ici, le Baron de Charlus s'appelle le Marquis de Quercy, la fille de Swann (Gilberte de Saint-Loup) se nomme Melle de Cardaillec, Guermantes est déjà Guermantes (le lieu comme le nom de famille).

Allons-y pour une dernière problématique que pose ce livre:
Fallait-il le publier, sachant que Proust entendait n'être jugé que sur son oeuvre (argument massue qu'il oppose à la méthode Sainte-Beuve), et qu'il n'a pas cru bon de le faire paraître (était-ce, d'ailleurs, dans son esprit, un livre potentiel, c'est loin d'être sûr) ?

Il vivait cloîtré dans sa chambre capitonnée du Boulevard Hausmann, déconnecté même du jour et de la nuit, travaillant d'arrache-pied, tout entier centré sur son œuvre, dans une course contre la montre (contre la maladie et la mort), et n'a pu achever Le temps retrouvé.
Certainement ces papiers-là, ces fragments ne lui paraissaient pas primordiaux, ni même peut-être, qui sait, dignes du moindre intérêt.
Il est remarquable que la trahison, en somme, de leur publication nous livre une théorie sur l'art et la critique encore non tranchée de nos jours, en plus de quelques magnifiques pages.







(Rapatrié et condensé de deux messages des 22 et 23 novembre 2014, sur Parfum de livres)
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Message par Tristram Jeu 19 Jan - 1:46

Shanidar a écrit:Je peux ajouter tout le reste à la bibliographie
En ce qui me concerne, tu peux oublier ses commissions de jeunesse... (mais j'avais bien aimé ta bio light)

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Message par shanidar Jeu 19 Jan - 11:23

Ceci dit je reste persuadée que ses problèmes respiratoires et la peur de l'étouffement sont en partie 'responsables' de la longueur de ses phrases. Comme une revanche.
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Message par ArenSor Jeu 19 Jan - 18:57

Il a fait Prout Prout avant de faire Kaka (plaisanterie de potache dans la correspondance de G Perec)
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Message par Nadine Jeu 19 Jan - 19:07

shanidar a écrit:Ceci dit je reste persuadée que ses problèmes respiratoires et la peur de l'étouffement sont en partie 'responsables' de la longueur de ses phrases. Comme une revanche.

ArenSor a écrit:Il a fait Prout Prout avant de faire Kaka (plaisanterie de potache dans la correspondance de G Perec)

Je suis restée frappée, vers 20 ans, d'apprendre grâce à un ami féru d'anecdotes décalées très savantes que Proust empalait des rats au fer rouge, en guise de divertissement. Il avait trouvé le récit de cette anecdote dans un ouvrage sérieux. Si vous insistez je peux me renseigner sur la source...

Par ailleurs, j'ai lu un jour, sur le net, donc en un contexte moins savant ou en tous cas moins légitimé, que les syntaxes tarabiscotées pouvaient être une réaction à un sentiment de non reconnaissance dans l'enfance.
Sans avoir baigné en ces douleurs j'ai par contre mémoire d'avoir été peu crédible parfois, lorsque je laissais cours à l'enthousiasme enfantin.
C'était un article psychologisant. J'avais adoré apprendre ça et étais donc partante pour creuser la question de la névrose voir pire, mais je n'ai jamais retrouvé d'autres analyses psychiatro-chologiques de la chose.
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Message par Jack-Hubert Bukowski Jeu 19 Jan - 20:46

Il y a plusieurs écrivains qui ont leurs manies. Les tics et les pattes caractéristiques d'écriture en font partie. Sans souscrire totalement aux analyses pseudo-psychologiques, nous ne pouvons pas être totalement imperméables aux dynamiques d'ordre psychanalytiques. En lisant Annie Ernaux et en me souvenant du cas de Jean-Paul Sartre, je réalise que ces considérations comptent dans la vie des écrivains.
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Message par Nadine Jeu 19 Jan - 20:58

C'est certain.
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Message par Tristram Jeu 19 Jan - 21:17

Nadine a écrit:C'est certain.
Nabokov dit qu'il n'est pas d'accord (je le comprends, remarque, après Lolita...)

Que dit Freud sur les paperoles ?

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Message par shanidar Jeu 19 Jan - 21:24

Je crois que l'histoire des animaux maltraités se trouve dans la biographie de Tadié consacrée à Proust, mais Quasimodo nous en dira sans doute plus, je crois qu'il l'a achetée récemment !

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Message par Quasimodo Jeu 19 Jan - 22:09

Ha oui tiens, je viens de la recevoir. Si je mets la main dessus, je vous ramène l'extrait. (Quelle horreur cette histoire)
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Message par Nadine Ven 20 Jan - 19:24

On est des Ba--a-ds si on commence à fouiller les bios des auteurs...

Marcel Proust 1038959943 Marcel Proust 378699333

Bon on va dire que c'est juste parce que c'est proust..
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