Szymborska Wisława
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Szymborska Wisława
Sa première syllabe appartient déjà au passé.
Quand je prononce le mot Silence,
je le détruis.
Quand je prononce le mot Rien,
Je crée une chose qui ne tiendrait dans aucun néant.
(Trois mots étranges, 1996, traduction Piotr Kaminski).
"La dame discrète, effacée, plus éloignée que son ombre, s’est éclipsée à Cracovie, le mercredi 1er février 2012, des suites d’un cancer à la gorge. Peu d’échos, aucune vague, ne se sont manifestés pour la saluer. Le rideau du temple, celui du monde et de la finance n’a pas été déchiré, ni même un peu froissé. Une vieille dame dont les seules actions furent poétiques, cela pèse très peu maintenant.
Aucun bon esprit n’a célébré celle qui fut prix Nobel de littérature en 1996.
Cela ne lui attira pas plus de lecteurs ni en Pologne, ni en France. Et pourtant ses paroles étaient presque populaires. Il s’agissait presque de langage parlé, sans lyrisme débordant, sans métaphores exaltées."
Esprits nomades
Poétesse polonaise, Wisława Szymborska a fait des études de de littératire et de sociologie. Membre du parti ouvrier unifié polonais (communiste) au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, elle s'en éloigne au cours des années 1950 en fréquentant certains milieux dissidents, comme ceux de la revue Kultura, éditée à Paris. Elle quitte finalement le parti en 1966. Elle a d'ailleurs rejeté ses textes de jeunesse, trop asujettis, selon elle, aux impératifs du réalisme socialiste.
Ses ouvrages à venir : "Sel" (1962), "Mille Consolations" (1967), "Poèmes" (1970) et "Tarsus et autres poèmes" (1976) montrent l'étendu de son registre, mêlant plusieurs considérations philosophiques à un humour raffiné dans l'évocation détaillée et lucide du quotidien. Le recueil considéré comme son chef-d'œuvre est "Cas où", paru en 1972, qui entraîne la consécration littéraire dans son pays.
Son œuvre est particulièrement connue et appréciée en Allemagne où elle reçoit le Prix Goethe en 1991. Elle a par ailleurs traduit en polonais de nombreux ouvrages français de l'époque baroque, notamment des extraits d'Agrippa d'Aubigné.
En 1996, elle reçoit le prix Nobel, décerné « pour une poésie qui, avec une précision ironique, permet au contexte historique et biologique de se manifester en fragments de vérité humaine. ». Cette reconnaissance a permis de mettre en lumière, sur le plan international, une œuvre poétique relativement méconnue en dehors de la scène germano-polonaise.
Ouvrages traduits en français :
_ Dans le fleuve d'Héraclite (bilingue polonais-français), Maison de la poésie du Pas-de-Calais
_ De la mort sans exagérer, Fayard, 1996 (choix de poèmes de 1962 à 1993)
_ Je ne sais quelles gens, 1997 (incluant le discours prononcé devant l'Académie Nobel et des extraits de Sel (Sól) - L'Appel au Yeti (Wołanie do Yeti) - Cent blagues (Sto pociech) - Le Cas où (Wszelki wypadek) - Un Grand Nombre (Wielka liczba) - Les Gens sur le pont (Ludzie na moście) - La Fin et le Commencement (Koniec i początek) - Vue avec un grain de sable (Widok z ziarnkiem piasku) )
Dernière édition par bix_229 le Lun 7 Aoû - 18:04, édité 2 fois
bix_229- Messages : 15439
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Re: Szymborska Wisława
Une voix bouleversante avec les mots de tout le monde.
Apparemment.
Et c'est là tout le mystère et la beauté de la poésie. B
Conversation avec la pierre
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je veux pénétrer dans ton intérieur,
y jeter un coup d'œil,
te respirer à fond.
Je suis fermée à double tour.
Même brisée en mille morceaux
nous serons encore fermés.
Même broyés en poussière
nous ne laisserons entrer personne.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je viens par pure curiosité.
La vie en est l'unique occasion.
Je tiens à me promener dans ton palais,
avant de visiter la feuille et la goutte d'eau.
Je n'ai pas beaucoup de temps pour tout cela.
Ma mortalité devrait t'émouvoir.
Je suis bien obligée de garder mon sérieux.
Va-t’en, je n'ai pas de zygomatiques.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
On me dit qu'il y a en toi des salles grandes et vides,
jamais vues, aux beautés qui s'épanouissent en vain,
sourdes, où aucun pas ne retentit jamais.
Avoue maintenant que tu n'en sais pas davantage.
je veux bien, mais de place il n'y en a guère.
Belles, peut-être, mais hors d'atteinte
de tes six misérables sens.
Tu peux me connaître, mais m'éprouver jamais.
Toute mon apparence te regarde en face,
mais ce qui est intérieur te tourne à jamais le dos.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
je ne cherche pas en toi un refuge pour l'éternité.
Je ne suis pas malheureuse.
Je ne suis pas sans abri.
Le monde qui est le mien mérite qu'on y retourne.
Je te promets d'entrer et sortir les mains vides,
et pour preuve de ma présence véritable en ton sein
je n'avancerai que des paroles
auxquelles personne n'ajoutera foi.
Il te manque le sens du partage.
Aucun sens ne remplace le sens du partage.
Même la vue affûtée jusqu'à l'éblouissement
ne te serait d'aucun secours sans le partage.
Tu n'entres pas, tu n'as que le désir de ce sens,
que son germe, son image.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Je ne puis attendre deux mille siècles
pour pénétrer sous ton toit.
va voir la feuille, elle t'en dira de même.
ou la goutte d'eau qui le confirmera.
Tu peux même t'adresser à un cheveu de ta tête
Je sens monter en moi un grand éclat de rire,
un rire immense, que je ne sais pas rire.
- C'est moi, laisse-moi entrer.
Traducteur Piotr Kaminski
Poésie/Fayard
mots-clés : #poésie
bix_229- Messages : 15439
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Re: Szymborska Wisława
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21645
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Re: Szymborska Wisława
Dans les wagons plombés
Des prénoms traversent la contrée,
Mais jusqu'où ils voyageront,
Si un jour ils en descendront,
Je n'en sais, je ne vous dirai rien.
Prénom Nathan cogne contre la cloison,
prénom Isaac hurle et chante sa folie,
prénom Sarah pour deux gouttes d'eau supplie,
puisque se meurt de soif le prénom Aaron.
Ne saute pas dans le vide, prénom David.
Ce prénom te flétrit pour la vie,
Ce prénom on ne le donne à personne,
C'est trop lourd à porter par ici.
Que ton fils porte un nom slave et blond,
Car ici, chaque cheveu on recense
Car ici on sépare le bon grain de l'ivraie
D'après tes paupières et d'après ton prénom.
Ne saute pas. Que ton fils s'appelle Lech.
Ne saute pas, Ce n'est pas encore l'heure.
Ne saute pas. La nuit rit aux éclats,
Et ricanent les wagons sur la voie.
Un nuage humain passe sur le pays,
Grand nuage, et une larme pour toute pluie,
Petite pluie, rien qu'une larme, quelle sécheresse.
Et les rails dans le noir disparaissent.
C'est comme ça - fait la roue. Pas de clairière.
C'est comme ça - train de cris à travers bois.
C'est comme ça - dans la nuit, je l'entends.
C'est comme ça - le silence cogne le silence.
(1957) Fleuve d’Héraclite, traducteur Christophe Jezewski et Isabelle Macor-Filarska.
bix_229- Messages : 15439
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Re: Szymborska Wisława
Il n’est pas de débauche pire que la pensée.
C’est une sale graine qui sème à tout vent,
sur nos plates-bandes faites pour des marguerites.
Il n’y a rien de sacré pour ces coquins qui pensent.
Désignations osées des choses par leur nom,
licencieuses analyses, grivoises synthèses,
chasse dévergondée aux faits tout nus,
tripatouillage obscène des sujets délicats,
le frai des opinions, voilà ce qui les allume.
En plein jour, ou alors sous le couvert de la nuit,
accouplements, triolismes, ou alors tous en rond.
Peu leur importe l’âge et le sexe des partenaires.
Leurs yeux brillent, leurs joues s’enflamment.
L’ami entraîne l’ami dans la déchéance.
Filles indignes pourrissent leur propre père.
La petite sœur jetée dans le stupre par son frère.
Ils affectionnent d’autres fruits
de l’arbre des connaissances interdites,
que les fesses roses qu’on voit dans les magazines,
toute cette pornographie simplette, en fin de compte.
Les livres qui les excitent ne sont guère illustrés,
et pour toute distraction n’arborent que ces phrases
très spéciales, marquées à l’ongle, ou au crayon.
Pure horreur! Dans quelles positions,
avec quelle simplicité scabreuse,
un esprit parvient à en féconder un autre !
Jusqu’au Kamasutra qui ignore ces postures.
Lors de ces saillies le thé seul est en chaleur.
On reste sur sa chaise, en remuant les lèvres.
On ne croise jamais que ces deux jambes à soi.
De cette manière un pied touche le sol
tandis que l’autre ballotte librement dans l’air.
De temps à autre seulement
quelqu’un se lève et va à la fenêtre
et, par un trou dans le rideau
mate la rue.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Szymborska Wisława
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Bédoulène- Messages : 21645
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Re: Szymborska Wisława
Pas tout le monde.
Pas la majorité, mais une minorité.
Hormis les écoliers qui le doivent, et les poètes eux-mêmes.
Ca doit faire dans les deux sur mille.
Certains aiment.
Mais on aime aussi le potage aux vermicelles.
On aime les compliments et la couleur bleu clair.
On aime un vieux foulard.
On aime avoir raison.
On aime flatter un chien.
La poésie, mais qu’est-ce donc que la poésie ?
Plus d’une réponse brûlante a déjà été donnée.
Et moi je n’en sais rien.
Je n’en sais rien et je m’y accroche comme à une rampe de salut.
schabrieres.wordpress.com
bix_229- Messages : 15439
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Re: Szymborska Wisława
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Bédoulène- Messages : 21645
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Szymborska Wisława
Que le hasard m'excuse de le dire nécessité,
et qu'elle-même m'excuse si malgré tout j'ai tort.
Que le bonheur supporte que je le prenne sans façons.
Que les morts me pardonnent ces souvenirs fanés.
Et le temps, les univers manqués par seconde.
Pardon à l'amour ancien si le nouveau est premier.
Guerres lointaines, permettez ces fleurs dans le salon.
Plaies ouvertes, excusez mes égratignures.
Que les clameurs montant des abîmes pardonnent ce menuet.
Et les gens dans les gares - mon sommeil matinal.
Sois indulgent, espoir harcelé, laisse-moi rire parfois.
Oubliez, déserts, que je n'accoure avec une cuillerée d'eau.
Et toi, vieil épervier, toujours dans la même cage
fixant depuis des lustres le même point dans l'espace
veuille bien m'absoudre encore, fusses-tu empaillé.
Pardon à l'arbre abattu pour les quatre pieds de la table.
Pardon aux grandes questions pour les petites réponses.
Vérité, ne fais point trop attention à moi.
Gravité, j'implore ta miséricorde.
Souffre, mystère de l'être, que j'arrache des fils à ta robe.
Ne m'en tiens pas rigueur, âme, de ne t'avoir trop souvent.
Que me pardonne le tout de ne pouvoir être partout.
Que me pardonnent tous de ne pouvoir être chacun.
Je sais: tant que je vis, je n'ai aucune excuse,
car je me fais ainsi obstacle à moi-même.
Pardonne-moi, langue, d'emprunter des mots pathétiques
et de faire l'impossible pour qu'ils paraissent légers.
bix_229- Messages : 15439
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Localisation : Lauragais
Re: Szymborska Wisława
LES AVEUGLES
Un poète lit ses poèmes à des aveugles.
Il ne pensait pas que ce serait si difficile.
Sa voix se trouble.
Ses mains tremblent.
Il ressent comment chaque phrase
est soumise à l’épreuve des ténèbres.
Le poème doit se débrouiller tout seul,
sans lumières, sans couleurs.
Dangereuse expérience pour les étoiles du poème,
l’aube, l’arc-en-ciel, l’inconsistance des nuages,
la lumière des néons, le clair de lune
le scintillement argenté du poisson dans l’eau.
le vol silencieux de l’aigle dans ses hauteurs.
Le poète lit - il est trop tard pour ne pas lire -
un enfant au pull jaune dans une prairie verte,
les innombrales toits rouges au fond de la vallée
le tourbillon des numéros sur le maillot des joueurs
une femme infiniment nue par la fente d’un porte.
Il voudrait bien taire - mais c’est impossible -
la saints alignés sur le porche de la cathédrale,
les gestes d’adieu échangés par la fenêtre d’un train,
les verres du microscope, le chatoiement d’une bague
le cinéma, les miroirs, les portraits dans l’album.
Mais les aveugles ont beaucoup de gentillesse,
de tact et d’indulgence.
Ils écoutent, sourient, et applaudissent.
Il y en a même un qui vient trouver le poète
une livre à la main ouvert à l’envers
pour lui demander un autographe invisible.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Szymborska Wisława
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Bédoulène- Messages : 21645
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Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Szymborska Wisława
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
Date d'inscription : 04/12/2016
Age : 43
Localisation : Montréal
Re: Szymborska Wisława
Poésie affranchie de tout problème formel, aimablement ouverte vers son lecteur, elle lui révèle des abîmes métaphysiques souvent traités sur le mode de la plaisanterie apparente, du faux étonnement, où l’extrême sensibilité se pare de distanciation et d’ironie – parfois grinçante, jamais amère. « Poésie philosophique » disent les spécialistes, donnant pour preuve cette thèse de philosophie qui prenait pour thème une de ses œuvres (« Conversation avec la pierre »). S’il est vrai qu’elle cherche parfois ses sujets dans la métaphysique, son style demeure d’une étonnante et trompeuse simplicité (« Pardonne-moi, langue, d’emprunter des mots pathétiques – Et de faire l’impossible pour qu’ils soient légers ») sur laquelle plus d’un exégète, plus d’un traducteur se sont cassé les dents. Préserver, dans la traduction, l’équilibre entre le sublime et le trivial, dont Szymborska joue en grande virtuose, est un défi. » – Piotr Kaminski
J’INVENTE LE MONDE
J’invente le monde, une édition
nouvelle, revue et corrigée,
à faire rire les idiots,
pleurer les mélancoliques,
à faire peigner les chauves,
et siffler dans un violon.
En voici donc un chapitre :
Langues des Bêtes et des Plantes.
Pour chacune des espèces
un dictionnaire s’invente.
Il suffit de dire bonjour
au poisson, et aussitôt
toi, poisson et tous les autres
bien accrochés à la vie.
Depuis l’aube pressenti,
et par les mots révélé,
voyez l’impromptu des forêts !
Des chouettes l’épique maintien !
De la taupe les sentences
composées, quand nous, on pense
qu’elle ne fait que roupiller.
Le temps (le chapitre deux)
jouit du droit d’ingérence
dans tout, que ce soit bien ou mal.
Cependant – lui qui ronge la pierre,
qui déplace océans et rivières
et assiste à la ronde des étoiles,
ne pourra disposer d’aucun droit
sur les corps des amants, car trop nus,
trop étreints, car leurs âmes affolées
s’agitent comme des moineaux.
Seuls, au nom de justice poétique,
les voyous subiront le grand âge.
Mais alors – tout le monde sera jeune !
La souffrance (voir le chapitre trois)
ne fera plus subir ses outrages,
et la mort
ne viendra que lorsque tu dors.
Tes rêves seront comme suit :
qu’il n’est plus requis qu’on respire,
que l’absence de souffle
est un air de musique,
que tu n’es qu’une petit étincelle,
et que tu t’éteins en mesure.
Nulle autre mort. Plus douloureuses
furent les épines d’une rose
et ton effroi plus pénétrant
à voir tomber un pétale.
Nul autre monde. Ne vivre qu’ainsi.
Et ne mourir qu’ainsi.
Pour le reste, c’est du Bach
provisoirement joué
sur une scie.
– Wisława Szymborska, Appel à Yeti (1957)
Louvaluna- Messages : 1682
Date d'inscription : 19/03/2017
Re: Szymborska Wisława
abstrait ou enrubanné ou bavard.
Et qui l'est parfois...
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Szymborska Wisława
Voilà que tombe sur ma main une goutte de pluie,
répandue par le Gange et le Nil.
Élévation du givre des moustaches d’un phoque,
fruit des cruches cassées dans les villes d’Ys et Tyr.
Sur la pointe de mon index
la Caspienne est une mer ouverte,
et le Pacifique coule dans le lit de la Rudawa,
la même qui, en petit nuage, suvola
Paris en mille sept cent soixante-quatre
le sept mai à trois heures du matin.
La bouche n’y suffirait pour décliner
tous tes noms ondoyants, eau.
Il faudrait te trouver un nom dans toutes les langues
en prononçant ensemble toutes leurs voyelles
et se taire en même temps – au nom d’un lac
qui, lui, n’a jamais pu gagner un nom quelconque,
et qui n’existe point sur terre, comme au ciel
n’existe cette étoile qui s’y refléterait.
Un qui se noie, un autre, à l’agonie, t’implore.
C’était il y a longtemps, et c’était hier.
Maisons tu éteignais, maisons tu emportais
comme des arbres, et forêts comme des villes.
Dans les fonds baptismaux, baignoires des courtisanes,
sur les langues et sur les linceuls.
Grignotant les rochers, allaitant l’arc-en-ciel.
Sueur et rosée des pyramides, des lilas.
Que c’est léger, tout ça, dans une goutte de pluie.
Combien est délicat sur moi le toucher du monde.
Quoi – quand – où que se soit passé,
restera gravé dans l’eau de babel.
– Wisława Szymborska, Sel (1962)
Louvaluna- Messages : 1682
Date d'inscription : 19/03/2017
Re: Szymborska Wisława
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Bédoulène- Messages : 21645
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Szymborska Wisława
Mourir. Il ne faut pas faire cela à un chat.
Que peut-il faire dans un appartement vide ?
Grimper aux murs ?
Se frotter contre les meubles ?
Apparemment rien n’a changé
et pourtant rien n’est pareil.
Rien n’a été déplacé
et pourtant rien n’est en place.
Et le soir, pas de lampe allumée.
Un bruit de pas dans l’escalier
mais ce n’est pas le bon.
Une main met le poisson dans l’assiette
mais ce n’est pas la bonne.
Quelque chose ne commence pas
à l’heure habituelle,
quelque chose ne se passe pas
comme cela devrait.
Quelqu’un était là depuis toujours
et soudain n’est plus
s’obstinant à rester disparu.
On a fureté dans les armoires
fouillé les étagères
on s’est faufilé sous le tapis pour vérifier.
On a même bravé l’interdit en allant au bureau
et en mettant les papiers en désordre
Que faire maintenant ?
Dormir et attendre.
Attendre qu’il revienne
s’il ose.
Et lui faire savoir qu’on ne fait pas ça à un chat.
On avancera vers lui
l’air détaché, un peu hautain
en faisant semblant de ne pas le voir.
On marchera très lentement
la patte boudeuse
et surtout, pas un bond, pas un ronron,
du moins au début.
Traduit du polonais par Aaron de Najran
In : Esprits nomades
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Szymborska Wisława
jamais rien ne se reproduit,
nous sommes nés sans bon usage
et sans routine mourrons surpris.
à l’école de l’univers,
jamais nous ne redoublerons
aucun été aucun hiver.
pas une nuit pareille à l’autre,
ni deux baisers tout identiques,
ni deux regards de l’un à l’autre.
dire ton nom à haute voix,
ce fut pour moi comme une rose
par la croisée tombant sur moi.
mais j’ai collé ma face au mur.
Rose? A quoi ressemble une rose?
Est-ce une fleur ou une pierre dure?
à ces peurs vaines te mêles-tu?
Tu es là et dois passer,
ce sera beau de n’être plus.
nous cherchons une entente sûre,
malgré nos grandes différences
ainsi que deux gouttes d’eau pure.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
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