Andreï Makine
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Re: Andreï Makine
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21642
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Andreï Makine
Il m’a appris à être celui que je n’étais pas. » c'est ainsi que commence le narrateur en évoquant son ami arménien Vardan avec lequel il découvrira un peu de l'âme du "royaume d'Arménie" dans ces familles ayant migré du Caucase en Sibérie - dans le quartier appelé "le Bout du diable" - où les hommes de leur peuple sont emprisonnés dans l'ancien monastère, pour "complot anti-soviétique", alors que l'"empire communiste" est finissant.
S'ils sont devenus amis alors que le narrateur qui séjourne en l'orphelinat le protège contre d'autres adolescents, parce qu'il a la force, parce que la violence il connait et sait y faire face, mais c'est bien Vardan, malgré sa "maladie arménienne" qui est le plus mature, le plus sage.
Les deux adolescents ont leur refuge, un cube dont Vardan a ouvert un passage et dans lequel ils refont le monde à une autre dimension, celle où l'on peut apercevoir la ville, les gens à travers les lames de bois.
Un jour qu'une prostituée est insultée, ivre et à terre Vardan l'aide à se relever et l'accompagne en sureté sous les yeux abasourdis et écoeurés du narrateur.
"« Si on peut faire ça à une femme… enfin, accepter qu’elle n’ait que cela à vivre, alors pourquoi continuer tout ce cirque ? »
C’était la première fois de ma vie qu’un pareil jugement, inouï dans sa force radicale, s’exprimait : la douleur d’une femme, sa souffrance – admise et tolérée par les autres –, condamnait la totalité de notre monde !"
et plus encore : "Cette façon de penser m’abasourdit par son intransigeance folle et, pourtant, refuser d’admettre la noyade dans la détresse vécue par une seule personne allait m’apparaître, avec l’âge, comme l’unique critère véritable pour évaluer la justesse et la sincérité des plus belles professions de foi humanistes. Une pierre de touche pour chaque projet messianique, pour chaque parole évoquant, « en général », la fraternité et le partage
C'est lors de ses nombreuses visites chez Chamiram, la mère de Vardan que ceux-ci dévoilent au narrateur un peu du passé de leur vie en Arménie et quelques impensables et douloureux secrets. Mais malgré cela il règne une chaleureuse atmosphère dans ce logement démuni mais que Chamiram s'oblige à décorer et où le narrateur reçoit amitié et s'évade de l'orphelinat.
Des révélations données ou entendues le narrateur s'interroge sur le peuple, l'ethnie à laquelle son ami appartient.
"Et c’est là, ne parvenant plus à retenir ma curiosité, que je lui demandai, un peu abruptement :
« Mais toi, tu… te sens plutôt arménien ou… juste soviétique, comme nous tous. Enfin, tu crois appartenir à quel peuple ? »"
"Soudain, il me répondit et ses paroles se mêlèrent au bruissement du vent dans les branches des saules, au ruissellement de l’eau.
« Moi ? Je ne sais pas… Je dois être juste celui-là, personne d’autre. Regarde… »
Je me penchai, comme lui, sur le garde-fou et, dans le mouvement gris-bleu du courant, je vis le reflet de son visage, très familier et méconnaissable au milieu de ces lamelles d’or que le vent, remuant les branches des saules, projetait sous le pont.
« Oui, je ne suis que cela… », répéta-t-il, devançant ce que je m’apprêtais à rétorquer sur un ton de dispute moqueuse.
Ainsi, me donna-t-il le temps de comprendre qu’il avait raison. Il était ce reflet sur la mouvante surface du courant – « dans une autre dimension d’existence », comme disait Ronine"
C'est avec sagesse et optimisme, malgré leur extrême position, que Vardan initie le narrateur.
"Désemparé par cet aveu, ravalé de justesse, je déclarai en exagérant une note d’aigreur :
« C’est triste… Toutes ces belles choses qui vont disparaître ! Tu te souviens de la cafetière qu’avait Chamiram. Elle l’a vendue aussi, c’est ça ? »
Vardan, alité, se releva sur son coude et me regarda avec une étrange sérénité. Sa voix donna un écho presque joyeux à mon constat désespéré."
« Non, rien ne disparaîtra ! Tu vois, toi-même tu te souviens encore de la cafetière de Chamiram et, donc, de ces heures que nous passions ensemble. Ce temps est toujours dans ta mémoire et c’est l’essentiel… "
et encore : "« Tiens, le mont Ararat, le sommet sacré des Arméniens, il est en Turquie, à présent. Nous l’avons perdu mais… En fait, ne pas l’avoir nous le rend encore plus cher. C’est ça le vrai choix : posséder ou rêver. Moi, je préfère le rêve. »"
A la suite d'une évasion la police arrive en force dans le quartier "du Bout du diable", notre narrateur n'a pas le temps de s'échapper, il est arrêté et passe une semaine dans une cellule. A sa sortie les arméniens sont repartis chez eux, les procès concernant les hommes sont finis.
Le narrateur ne reverra plus son ami arménien mais il apprendra sa mort par une lettre de Chamiram, accompagné du stylet que Vardan a demandé à sa mère de lui transmettre.
De longues années après le narrateur retourne sur le lieu de sa jeunesse, qui est entièrement transformé, victime du progrès, il est devenu comme ailleurs un lieu de surconsommation sur invitation de la publicité, la technologie a pris le dessus sur le vivant ; le quartier du "Bout du monde" n'existe plus, les habitations ont été remplacées par des cottages, bref ne reste que les souvenirs.
"Pourtant, cette modernité-là qui se prétendait unie par la connexion de tout et de tous s’enfermait, en réalité, dans une surdité progressive. Surtout, au regard de ce que Vardan m’avait montré, un jour, à travers les visées de notre cube de contreplaqué : cette main derrière les barreaux de fer – un prisonnier qui essayait d’ouvrir une petite fenêtre étroite de sa cellule. Brièvement, nous entrâmes avec lui dans une communion que la « connectivité » la plus sophistiquée n’atteindra jamais. Nous pensions à cet homme, en écoutant le frôlement d’un vol d’oiseaux migrateurs : peut-être, comme nous, vivait-il la liberté de leurs grandes ailes que le couchant colorait de mauve"
autres extraits :
"Commissaire politique dans l’armée, pendant la guerre, il avait vécu des centaines de ces attaques meurtrières où sa fonction et sa carte de communiste l’obligeaient à s’extirper de la tranchée avant les autres et à hurler pour couvrir le bruit des explosions : « Pour la Patrie ! Pour Staline ! », tout en brandissant un pistolet plus ou moins inutile dans l’air saturé de balles et d’obus.
« Finalement, c’est ce bras levé qu’un éclat m’a arraché… Comme pour me punir d’acclamer Staline. Mais tout le monde criait cela à l’époque… »
La vraie punition vint plus tard quand, trois ans après la fin de la guerre, ce professeur de mathématiques avait été accusé de répandre le venin du « cosmopolitisme sans racines » dans la matière qu’il enseignait."
"Quelque temps plus tard, un oisillon en sortit et fut nourri du pain mâchouillé puis de grains ramassés dans la forêt. Un jour, il vola – d’abord, d’un grabat à l’autre, puis à travers la baraque et enfin, s’échappant dehors, il dépassa les lignes des barbelés et le surplomb sinistre des miradors, se perdant dans l’éblouissement bleu au-dessus de la taïga…
L’homme au nez balafré murmura la fin de son récit : « Je me dis parfois que c’était peut-être ça, la seule vraie victoire de ma vie. »"
"Nous quittâmes notre refuge. Dehors, un soleil bas, très rouge,
nous aveugla. Avant de descendre le talus couvert de ronces et de barbelés,
Sarven murmura avec tristesse :
« Tu sais, il y a chez nous un proverbe qui dit : “Honteux de ce
qu’il voit dans la journée, le soleil se couche en rougissant.” Ce serait bien
si les hommes en faisaient autant. »"
Une excellente lecture. C'est un petit livre mais rempli d'humanité !
C'est d'identité qu'il est question avec en fond, le génocide arménien, la deuxième guerre, le totalitarisme stalinien avec la prison et les camps.
je poursuivrai avec l'auteur.
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Bédoulène- Messages : 21642
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Re: Andreï Makine
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15927
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Re: Andreï Makine
A la limite entre enfance et adolescence, dans les années 70, le narrateur, orphelin vivait en Sibérie. Chacun était encore marqué par les exactions staliniennes, et continuait à vivre avec la menace des camps, de l’arbitraire, de la répression, dans une violence relationnelle incontrôlée. Dans cet univers à la dureté étouffante, il fait connaissance d’un jeune garçon arménien, exilé dans ses terres avec sa famille pour soutenir des arméniens incarcérés à proximité. Vardan l’initie au drame du génocide arménien, est fascinant par sa beauté, sa fragilité d’enfant malade, sa solidité humaniste et marquera durablement le narrateur qui se penche des années après sur cet épisode de son passé.
Ah… les amitiés adolescentes et leur exigence, leur intransigeance, leur fascination, leur pureté !!!
Et bien une fois de plus je vais jouer ma PLE ( Petite Lectrice Emmerdante – avec majuscules s’il vous plaît). J’ai trouvé ce livre terriblement pathétique, car trop c’est trop : cette famille parfaitement humaine et tolérante dans son exil et sa misère, cette beauté de tous les gestes, des sentiments, des décors, ce discours perpétuellement philosophique sur routes les lèvres, ce style emphatique, cette symbolique répétée….
Bref, j’ai lu parce Tristram m’a ordonné de toujours finir mon assiette, que c’était court et que je voulais me faire mon opinion. Trois bonnes raisons, sans doute.
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Etre dans le vent, c'est l'histoire d'une feuille morte.
Flore Vasseur
topocl- Messages : 8546
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Re: Andreï Makine
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Tristram- Messages : 15927
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 68
Localisation : Guyane
Re: Andreï Makine
Première partie : Choutov, le « clown triste », « écrivain à audience modeste », est un ancien dissident russe dans la cinquantaine ; il vit à Ménilmontant avec la jeune Léa, qu’il a recueilli voilà plus de deux ans, et qui le quitte ; il décide de retourner trente ans après retrouver Iana, un amour à peine prononcé à l’époque.
C’est l’occasion d’une critique de la littérature contemporaine et de son intelligentsia par Andreï Makine, ou du moins par cet admirateur de Tchékhov.« …] agir en écrivain : vivre à l’écart de la situation pour ne pas en souffrir et pouvoir la décrire un jour. »
Curieusement, il semble y avoir eu une charge contre certains écrivains de l’Est, dont Kundera, qui aurait été supprimée (voir https://www.lemonde.fr/livres/article/2009/01/22/la-vie-d-un-homme-inconnu-l-homme-dont-la-patrie-etait-une-epoque_1144993_3260.html et https://www.lexpress.fr/culture/livre/la-vie-d-un-homme-inconnu_815396.html).« …] se comportait comme un héros d’un de ces romans psychologiques dont les auteurs étalent avec pédanterie leur science de l’âme humaine, le genre littéraire qu’il abhorrait. »
« Des petites dissertations de psychologie que les Français appellent "romans". »
Deuxième partie : Choutov retrouve Saint-Pétersbourg transfigurée dans le carnaval du tricentenaire de la ville, « Exorcisme collectif […] de cette comique révolution de Mai » après « la funeste parenthèse soviétique ».
Dans la résidence en cours d’aménagement d’Iana, qui regroupe « quatre appartements communautaires, et ça sur deux étages. Onze pièces à réunir, vingt-six personnes à recaser ! », demeure encore un vieillard en instance de départ en maison de retraite : Volski.« Arrivé sur la place du Palais, Choutov commence à percer le secret des changements. Un geyser d’énergies longtemps comprimées. La fièvre des nouvelles raisons d’être après la démence très raisonneuse de la dictature. »
Troisième partie : Volski, un jeune chanteur d’opéra plein d’avenir avec sa collègue Mila, voit leurs rêves brisés par la survenue de la Seconde Guerre mondiale. Survie dans Leningrad assiégée, bataille de Koursk pour lui en tant qu’artilleur tandis que Mila se prostitue pour nourrir les seize enfants perdus qu’elle a recueilli.
Quatrième partie : après-guerre, Volski et Mila vivent simplement, mais heureux, jusqu’à être envoyés dans des camps, victimes des purges du « Parti et de son Guide » pour, « démesure de l’absurde », avoir participé à la conservation des souvenirs du blocus…« La souffrance logique de la masse humaine et, soudain, cette souffrance singulière qu’aucune logique ne pouvait justifier. »
Le sort des enfants est particulièrement poignant.
Makine oppose la « vie si légère » du vieillard (sic) à celle de Iana et de ses proches, faite de vitesse, d’activité, de variété, de superficialité, d’abondance de biens.« Dans ces années, après les massacres staliniens et la saignée de la guerre, les orphelins étaient trop nombreux pour surprendre. Non, les orphelins qu’il voyait n’auraient pas dû se montrer : c’étaient des rebuts qu’habituellement on prenait la peine de cacher. Des enfants mutilés, des aliénés, des aveugles… Broyés par la guerre ou bien venus au monde dans un baraquement de camp. Trop faibles pour être envoyés dans une colonie de rééducation, trop dégradés pour en forger, dans un orphelinat ordinaire, de bons petits ouvriers. »
Cinquième partie : Choutov revient en France, puis retourne en Russie, vers ses « feuillages dorés ».
Finalement, ce que Makine évoque, lui aussi, ce sont les existences des "petites gens" négligées par l’Histoire.
Comme l’a déjà signalé Tom Léo, ce livre est très "russe", mais je l’ai malheureusement trouvé plus convenu que proche de Tchékhov… problème personnel (à la différence d'Eglantine) dans l’approche du sentiment(alisme) slave ?« Ce qu’il faudra écrire, c’est juste cela : ces "femmes inconnues" et ces "hommes inconnus" qui s’aimaient et dont la parole est restée muette. »
\Mots-clés : #deuxiemeguerre
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Tristram- Messages : 15927
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Re: Andreï Makine
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