Franz Kafka
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Re: Franz Kafka
Dans les procès romains, où le ministère public avait un rôle limité, la calomnie représentait pour l'administration de la justice une menace tellement grave que les faux accusateurs devaient porter une marque sur le front comme punition : la lettre K (l'initiale de Kalumniator). Il revient à Davide Stimili d'avoir su montrer l'importance de ce fait pour toute interprétation du Procès de Kafka, que l'incipit représente sans la moindre réserve comme un procès calomnieux (« Il fallait bien que quelqu'un ait calomnié Joseph K. puisqu'il fut arrêté un beau matin, alors qu'il n'avait rien fait de mal »). La lettre K., selon Stimili, qui rappelle que Kafka avait étudié l'histoire du droit romain alors qu'il se préparait à être conseiller légal, n'est donc pas l'initiale de Kafka, selon une opinion commune qui remonte à Max Brod, mais celle de la calomnie.
Invité- Invité
Re: Franz Kafka
Il s’agit du corpus des 149 lettres de Kafka à Milena, elle à Vienne et lui à Prague.
La perte des lettres de Jesenská est déplorable, car Kafka leur répond constamment en les commentant. Les deux correspondent donc, mais assez rapidement leurs échanges prennent un tour plus intime – quoique le mari de Milena ne semblât pas être remis en question, pas plus que les ex-fiancées de Franz, tout aussi librement évoquées.Editions Nous a écrit:Milena Jesenská (1896-1944) : traductrice, journaliste, elle a 24 ans lorsqu’elle devient la voix tchèque de Kafka. Aucune des lettres qu’elle lui a écrites ne nous est hélas parvenue, soit qu’elles aient été brûlées par leur destinataire, soit qu’elles aient disparu lors de l’entrée des troupes allemandes à Prague en 1939. Résistante, sa vie aventureuse et tragique se terminera dans le camp de concentration de Ravensbrück.
Constantes dans cette correspondance sous forme de monologue tourmenté, la judéité de Kafka, son insomnie et surtout sa peur/angoisse, ainsi que la maladie (chez les deux).
Kafka parle de sa « non-musicalité », déclarant qu’il ne comprend pas la musique. Il émet (avec humour) le souhait d’être l'armoire de la chambre de Milena, qui la contemple tous les jours. Il répète « malgré tout ». Il évoque l’histoire de Casanova aux Plombs, captif à ras de l’eau de la lagune où grouillent les rats en lesquels il se métamorphose.« …] (si je pouvais dormir comme je sombre dans l'angoisse je ne vivrais plus) [… »
« Ensuite : ce qu'il doit en advenir plus tard, ce n'est pas le sujet, la seule certitude est que je ne peux vivre loin de toi autrement qu'en approuvant totalement la peur, en l'approuvant plus encore qu'elle ne le veut elle-même, et je le fais sans contrainte, avec délices, je me répands en elle.
Tu as raison de me faire des reproches au nom de la peur sur ma conduite à Vienne, mais elle est vraiment étrange, je ne connais pas ses lois internes, je ne connais que sa main sur ma gorge et c'est vraiment la chose la plus effroyable que j'ai jamais vécue ou puisse vivre. »
Ce qu’il pense de l’administration résonne aves son œuvre :« On est accroupi en haut et donc le dos en prend un coup, et les pieds eux aussi sont pris de crampes, et on a peur et pourtant on n'a rien d'autre à faire que de contempler les gros rats sombres et ils vous aveuglent au milieu de la nuit et finalement on ne sait plus si on est encore assis en haut ou déjà en bas, on siffle et on ouvre la petite gueule avec toutes ses dents. »
J’ai trouvé des accents baudelairiens à ses affres, assez masochistes et morbides.« Penses-y Milena, le bureau n'est pas une quelconque, arbitraire et bête institution (il l'est aussi et en excès, mais ce n'est pas là la question, d'ailleurs il est plus fantastique que bête) mais c'est ma vie jusqu'à aujourd'hui, je peux m'en arracher, c'est certain, et ce ne serait peut-être pas mal du tout, mais jusqu'à maintenant c'est tout simplement ma vie, je peux faire à peu près n'importe quoi, travailler moins que n'importe qui (je le fais), bousiller le travail (je le fais), faire quand même l'important (je le fais) accepter tranquillement comme mon dû le plus aimable traitement de faveur qui soit concevable au bureau, mais mentir, pour soudainement partir comme un homme libre, alors que je ne suis qu'un fonctionnaire en activité, partir là où "rien d'autre" ne m'appelle que l'évident battement de cœur, bon je ne peux pas mentir comme cela. »
Aussi la frappante montée de l’antisémitisme.« Je ne peux pas écouter en même temps les terribles voix intérieures et vous écouter vous, mais je peux écouter celles-ci et vous le confier, à vous comme à personne d'autre en ce monde. »
« …] l'amour c'est que tu es le couteau avec lequel je fouille en moi. »
« Oui, la torture est très importante pour moi, je ne m'occupe de rien d'autre que d'être torturé et de torturer. Pourquoi ? Pour une raison semblable à celle de Perkins [personnage de tortionnaire dans le roman Jimmy Higgins d'Upton Sinclair] et pareillement irréfléchie, mécanique et respectueuse de la tradition ; en fait pour apprendre la parole maudite de la bouche maudite. »
« Je suis maintenant toutes les après-midis dans les rues et je baigne dans la haine des Juifs. "Prašivé plemeno" ["race galeuse", en tchèque] voilà comment j'ai entendu nommer les Juifs. N'est-ce pas tout naturel de quitter le lieu [Prague, novembre 1920] où l'on vous hait tellement (nul besoin pour cela de sionisme ou du sentiment d'appartenance à un peuple) ? L'héroïsme qui consiste à rester là est celui des blattes qu'on ne peut pas non plus éliminer de la salle de bains. »
\Mots-clés : #correspondances
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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15922
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Re: Franz Kafka
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21622
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Re: Franz Kafka
On connaît approximativement la date de composition de Préparatifs de noce à la campagne : vers 1908 ― Kafka a alors vingt-cinq ans ― c’est, de toute son œuvre littéraire, le texte le plus ancien. Quelques feuillets qui esquissent une narration jamais achevée, un « roman » selon Vialatte qui contient le germe d’une nouvelle publiée en 1915 : La Métamorphose. Ce germe se manifeste au détour d’une page, d’une pensée de Raban : jeune homme manquant de courage, de résolution à l’idée d’une noce qui se prépare pour lui. Les états d’âme ? D’amour il n’est pas question… d’ennui, si, mais plutôt en pointillé, comme si Raban ne se l’avouait qu’à contrecœur. En fait, tout le texte est conçu comme une sorte de trêve, même si Raban s’avance ― à reculons ― vers ces hostilités nuptiales. Trêve durant laquelle il observe le mouvement sans fin de la rue, les passants continuellement affairés sous une pluie battante (très belle description) trêve durant laquelle il observe son corps pressé et mouillé dans la foule. Préparatifs de noce à la campagne est un brouillon, mais il est jouissif d’y reconnaître les traits si bien esquissés, les traits caractéristiques du personnage Kafkaïen. Il peut aussi servir d’entrée en matière pour ceux qui n’ont jamais lu Kafka, et puis ils peuvent pourquoi pas lire La Métamorphose ensuite.
Dreep- Messages : 1539
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Re: Franz Kafka
Une bonne part donc (et sans surprise) de l'auteur dans le texte ?!Dreep a écrit:Raban s’avance ― à reculons ― vers ces hostilités nuptiales.
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Tristram- Messages : 15922
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Re: Franz Kafka
Dreep- Messages : 1539
Date d'inscription : 08/12/2016
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Re: Franz Kafka
Aussi son incapacité à vivre avec quelqu'un.« J'avais espéré satisfaire un peu mon amour pour elle en lui donnant mon bouquet, c'était complètement inutile. Cela n'est possible que par la littérature ou le coït. Je n'écris pas cela parce que je l'ignorais, mais parce qu'il est peut-être bon de mettre fréquemment les avertissements par écrit. »
Franz Kafka, « Journaux », 5 novembre 1911
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Tristram- Messages : 15922
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Re: Franz Kafka
J'ai récemment fait une folie en achetant les 4 tomes de la collection susmentionnée et ai décidé de la lire dans l'ordre proposé : soit tout d'abord les textes publiés, la plupart contre son gré et avec réticence (sacré Max Brod) de son vivant.
Nous commençons bien entendu Observation, qui est un véritable bijou.
Je pense que pour pleinement apprécier l'oeuvre de Kafka, il faut être sur la même longueur d'onde que lui. Avoir les mêmes préoccupations que lui. Avoir ressenti et vécu les mêmes choses que lui.
Je me suis reconnu dans tous ces petits textes.
La solitude qui nous ronge.*
La solitude qui nous pousse à aller vers les autres, action qui augmente cette solitude car l'autre n'est pas comme nous, l'autre ne nous comprend pas, l'autre ne voit pas ce que nous voyons et ne ressens pas ce que nous ressentons.*
La Volonté de se battre jusqu'au bout, même si nous savons que cela est en vain, même si nous savons que cela renforcera notre solitude, car notre vision du monde et de la vie n'est quasiment pas partagée.*
Mes questionnements sur ma place dans ce monde et de mon utilité. Questionnements qui se renforcent une fois les mondanités et obligations professionnelles terminées et quand nous nous retrouvons face à soi-même, une fois seul dans son appartement.*
La fugacité de la Vie, où, quand nous nous retournons sur notre vie, nous voyons que le Néant, que rien ne pourra le changer et que c'est perdu à tout jamais.*
J'avais déjà lu quelques textes de Kafka, que j'ai relu après Observation (je viens d'achever la Métamorphose), et je trouve que ce petit recueil m'a offert une nouvelle clé de lecture de l'oeuvre de Kafka. Mon ressenti est différent et mes interprétations de l'Homme de Chauffe, de la Sentence et de la Métamorphose en sont radicalement changées.
Observation m'a même fait quitter, je pense définitivement, le monde roséen, que je trouve désormais insipide.
Même si Diadorim gardera indéfiniment une énorme place dans mon coeur.
Probable délire psychosomatique de ma part, mais depuis que j'ai entamé cette longue lecture, j'ai des problèmes respiratoires ! (C'est long pour un RDV chez un pneumologue dis donc...).
Je vous conseille vivement ce petit recueil.
*Rassurez-vous, je suis loin d'être dépressif et encore moins suicidaire.
ZeBebelo- Messages : 36
Date d'inscription : 27/06/2022
Localisation : En transit
Re: Franz Kafka
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Bédoulène- Messages : 21622
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Franz Kafka
Comme évoqué dans mon précédent message ici, je me reconnais parfaitement dans les écrits de Kafka.
Et, à part le fait que je n'ai aucune récrimination envers mon père, je pense avoir les mêmes questions existentielles et les mêmes tiraillements psychiques que lui.
J'ai dû lire plus de la moitié du Tome I. Je me suis arrêté à Blumfeld, un célibataire plus très jeune pour l'instant.
Une des constantes, c'est la bipolarité de l'être :
- Le célibataire qui rêverait ne plus l'être mais qui sait pertinemment que partager sa vie briserait la routine qu'il s'est forgé au fil du temps. Kafka affirmait/pensait qu'une vie conjugale l'empêcherait d'écrire par exemple. Activité primordiale pour lui.
- Le solitaire qui temporise le plus possible avant de rentrer chez lui pour ne pas se retrouver seul mais qui ne supporte pas les mondanités ou que quelqu'un le perturbe une fois dans son cocon.
- La partie de notre être tournée vers l'Avenir, rongée par celle qui regarde que le temps passé et le Passé perdu...
L'autre, c'est le regard des autres et l'isolement qui en découle.
- Se sentir incompris ou ne pas comprendre l'environnement dans lequel où se trouve.
- Se penser différent des autres, vouloir faire l'effort de s'intégrer mais se dire "à quoi bon ?".
- Très en avance sur son temps, Kafka se plaint aussi que la Société, mais aussi le cercle familial, nous imposent certaines choses et si nous sommes pas dans le moule, on apparaît comme une anomalie. Ou si, à contrecoeur, nous rentrons dans le moule, nous nous considérons comme une anomalie et traitre à notre propre personne.
J'ai beaucoup aimé Observations, la Métamorphose, Devant la Loi (publié du vivant de Kafka mais faisant partie du Procès), Chacal et Arabes, Un message impérial, Rapport pour une Académie, Un virtuose de la faim et Souvenirs du chemin de fer de Kalda.
Par contre, je suis assez d'accord avec Kundera. Brod n'aurait pas dû tout publier... Notamment les textes incomplets ou pas revus par Kafka. Ce n'est pas lui rendre service...
ZeBebelo- Messages : 36
Date d'inscription : 27/06/2022
Localisation : En transit
Re: Franz Kafka
Maintenant, avoir tout publié permet de faire de Kafka un sujet d'étude, un "phare" pour beaucoup (notamment écrivains), et de regretter qu'il n'ait pas pu achever davantage de son œuvre.
Je crois que son journal et sa correspondance apportent beaucoup (comme pour d'autres, tel que Flaubert), surtout sur le moteur de l'écriture, phénomène essentiellement solitaire.
Exemple dans les lettres à Milena :
« Ne dites pas que deux heures de vie valent vraiment plus que deux pages d'écriture, l'écriture est plus pauvre mais plus claire. »
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Tristram- Messages : 15922
Date d'inscription : 09/12/2016
Age : 68
Localisation : Guyane
Re: Franz Kafka
J'ai cru comprendre que Kafka n'écrivait pas pour être lu et encore moins publié.
Le peu qu'il a publié, c'est Brod qui le lui a arraché.
Il prenait plaisir à lire à voix haute ses écrits à son entourage. Notamment ses soeurs.
D'ailleurs, il aurait très mal vécu la réflexion d'un de ses oncles qui serait tombé par hasard sur l'un de ses écrits...
Ecrire, c'était pour lui une catharsis. Et votre citation le confirme car il retirait un grand bienfait d'une session d'écriture réussie.
Un autre fait marquant. On nous rapporte que lors des séances de lecture de ses textes, plutôt sombres, l'atmosphère était plus à la rigolade qu'autre chose. A se demander si on le comprend vraiment.
ZeBebelo- Messages : 36
Date d'inscription : 27/06/2022
Localisation : En transit
Re: Franz Kafka
Il ne serait pas le seul écrivain à répugner à être publié, ou tout au moins à hésiter à le faire. L'écriture est couramment intime, voire considérée comme à garder secrète ; c'est souvent une démarche personnelle, solitaire.
Oui, j'ai lu en effet (où ? il a tant été écrit sur lui...) que son œuvre pouvait être considérée par lui-même comme facétieuse, ou burlesque. Il y a possibilité d'un humour, certes grinçant, une forme d'autodérision, de rire carnavalesque, de la farce et du grotesque dans le regard introspectif ; la vision qu'on en a, d'angoisse, d'obscurité, est peut-être effectivement à nuancer. Encore une fois, je pense à Flaubert.
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Tristram- Messages : 15922
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Re: Franz Kafka
ZeBebelo- Messages : 36
Date d'inscription : 27/06/2022
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