Stéphane Mallarmé
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Stéphane Mallarmé
(1842-1898)
source : musée MallarméEtienne Mallarmé, dit Stéphane, naît à Paris le 18 mars 1842 dans une famille de fonctionnaires. Il passe une enfance assombrie par la disparition de sa mère en 1847 et de sa sœur Maria en 1857.
Il écrit ses premiers essais poétiques à l’âge de 15 ans, influencé par Victor Hugo, Théophile Gautier, puis Charles Baudelaire. Ayant appris l’anglais « pour mieux lire Poe », il obtient son certificat d’aptitude à l’enseignement de cette langue et devient professeur en 1863. Malgré tout, il ne connaît guère d’épanouissement dans son métier d’enseignant et trouve dans la poésie un moyen d’évasion.
Il publie ses premiers poèmes en 1862. L’année suivante, il se marie avec Marie Gerhard, une jeune gouvernante allemande rencontrée à Sens. Leur fille, Geneviève, naît en 1864. Pendant ses premières années d’enseignement en province, Stéphane Mallarmé traverse une période d’intense création à laquelle succède une phase de doute aigu. Entre 1863 et 1866, il rédige ses poèmes les plus connus : Brise marine, L’Azur, Les Fleurs, Hérodiade (inachevé), une première version de L’Après-midi d’un faune… Un choix de poèmes publiés dans Le Parnasse contemporain en 1866 l’amène à une première reconnaissance.
En 1871, Stéphane Mallarmé est nommé à Paris et enseigne en particulier au Lycée Fontanes, actuel Lycée Condorcet. L’année 1871 marque également la naissance de son second enfant, Anatole qui décèdera à l’âge de 8 ans.
Le poète se rapproche des milieux littéraires et artistiques de la capitale. En 1873, il rencontre le peintre Edouard Manet avec qui il se lie d’amitié. L’artiste illustrera la traduction de Mallarmé du Corbeau de Poe et L’Après-midi d’un faune. Cette proximité avec Manet lui ouvre les réseaux impressionnistes. Des liens amicaux se créent, notamment avec Berthe Morisot et sa fille Julie Manet, dont Mallarmé devient tuteur à la mort de ses parents.
Mallarmé gagne une nouvelle reconnaissance grâce à l’article que lui consacre Paul Verlaine dans Les Poètes Maudits et surtout grâce à la parution d’A Rebours de Joris-Karl Huysmans en 1884. (Le personnage principal du roman est un fervent admirateur de Mallarmé)
Malgré son désir de se tenir à l’écart de toute école, le poète est alors considéré comme le Maître du Symbolisme, alors en plein développement.
En 1892 paraît Vers et Prose, recueil de ses principales poésies. Sollicité de toutes parts, Mallarmé collabore à de nombreuses revues.
À partir de 1883, Mallarmé réunit à l’occasion des « mardis littéraires » organisés dans son appartement rue de Rome, l’élite intellectuelle et artistique de son temps. Il devient un nœud de la vie littéraire de l’époque. Sa renommée dépasse désormais les frontières de la France et le consacre dans les différents cénacles artistiques, au-delà des seuls poètes.
Durant cette période, Mallarmé entre également en contact avec les Nabis : Pierre Bonnard, Ker-Xavier Roussel, Maurice Denis et surtout Edouard Vuillard, dernier peintre remarqué par le poète. L’effervescence autour de Mallarmé est le reflet de cette fin de siècle. Elle témoigne de la vivacité et du dynamisme des milieux littéraires et artistiques, pour lesquels Mallarmé fait figure d’inspirateur jusqu’à sa mort et au-delà.
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- Biographie:
Étienne Mallarmé, dit Stéphane, naît à Paris le 18 mars 1842 (12 rue Laferrière, 2ème arrondissement). Son père est fonctionnaire, "sous-chef à l'administration de l'Enregistrement et des Domaines".Autobiographie a écrit:Mes familles paternelle et maternelle présentaient, depuis la Révolution, une suite ininterrompue de fonctionnaires dans l'Administration et l'Enregistrement.
Il passe une enfance parisienne, assombrie par la disparition de sa mère en 1847, au retour d'un voyage en Italie.
Son père, Numa Mallarmé, se remarie en 1852.
Lettre de Mme Desmolins, tante maternelle du futur poète, à une cousine (1852):
Stéphane est très gentil en ce moment [...] s'il n'est pas très studieux, au moins il est bon [...].
Fin septembre 1852, Mallarmé est inscrit dans une pension, confessionnelle, à Passy.
1853: Lettre de Mme Desmolins à une amie: [...] Stéphane n'est encore que bien médiocre écolier [...].
1854: Changement de pension, pour un établissement neuf et huppé, aristocratique, où il paraît se morfondre. Le 20 septembre nous avons trace de son premier exercice littéraire connu, une narration, l'Ange gardien.
1855: L'élève Mallarmé entame sa mutation scolaire et empoche six accessits.
Printemps 1856: Nouveau changement d'établissement scolaire, il est inscrit au lycée de Sens, pensionnaire toujours.
3ème accessit de composition française, 1er accessit de version grecque.
1857: Décès de sa sœur Maria.
1858: Cantate pour la première communion. Il accumule quelques accessits dans les domaines littéraires, puis est admis, interne toujours, en rhétorique.
Mallarmé affirme qu'une centaine de cahiers contenant ses premiers pas littéraires ont été confisqués par les enseignants et les surveillants lors de sa scolarité, probablement jetés ou brûlés.
Il ne paraît toutefois pas y attacher la moindre importance, même si ce gisement potentiel continue d'agiter les imaginations des biographes, mallarméens de tout poil et simples amateurs de poésie de base.Autobiographie a écrit:[...]j'ai longtemps essayé dans cent petits cahiers de vers qui m'ont toujours été confisqués, si j'ai bonne mémoire.
1859: Année compliquée par la maladie (graves douleurs rhumatismales et maux de têtes récurrents). Un long poème en deux parties: Sa fosse est creusée. Sa fosse est fermée. Brillante année du point de vue scolaire, à l'issue de laquelle Mallarmé cumule prix et accessits.
1860: Il est reçu bachelier, assez brillamment. Son père, des suites d'une chute, devient impotent. Court de ressources, Mallarmé est engagé comme surnuméraire chez un receveur.
1861: Mallarmé propose à Catulle Mendès une chronique dans la parution de celui-ci "Bals masqués", qui se solde par un refus de la part de Mendès.
Mallarmé patiente jusqu'en 1862 pour publier un premier article (sur les poésies parisiennes), dans Le Papillon.
Cette publication imprime pour la première fois un poème qui soit signé Mallarmé, Placet, en février, et, dès mars, la revue L'Artiste publie à son tour deux poèmes.
Il commence à se constituer un petit entregent grâce à la fréquentation des rédactions de ces parutions, Henry Cazalis, Henri Regnault, en surcroît d'une rencontre déterminante et un peu plus ancienne effectuée au lycée de Sens avec Emmanuel des Essarts.
Il courtise Maria Gerhard, "une gentille allemande" selon Mallarmé alors, qui deviendra par la suite Madame Mallarmé.
1863: Il entre dans sa majorité, perd son père et épouse Maria.
Mallarmé traduit Edgar Poe, et obtient un certificat d'aptitude pour l'enseignement de l'anglais.
Dans la foulée, il est nommé suppléant à Tournon (Ardèche), et chargé de cours d'anglais.
1864: Des Essarts vient à Tournon, une correspondance débute avec Théodore de Banville, Mallarmé rencontre Frédéric Mistral en Avignon. Naissance de Françoise, Geneviève, Stéphanie au foyer des Mallarmé, 19 rue Bourbon à Tournon. Mallarmé travaille à l'automne à Hérodiade.
1865: Année de grande activité, les liens se tissent, depuis Tournon, avec des pointures littéraires aussi en vogue que Villiers de l'Isle-Adam, de Banville, Aloysius Bertrand... En juin il commence Le faune. L'enseignement le mène, ponctuellement, à Besançon, Toulon, Avignon, Paris...
1867: Depuis Avignon il fait paraître des Poëmes en prose, et continue à essuyer, depuis deux ans, des refus pour la représentation de son Faune. Mallarmé commence à se (re)lier sérieusement aux Parnassiens, en particulier José-Marie de Heredia et Charles Leconte de Lisle. Embryon de correspondance postale avec Verlaine, qui deviendra plus fournie les années suivantes.
1869: Ennuis d'argent et crise de vocation, il fait même le vœu de ne plus toucher à une plume jusqu'à Pâques. Il semble en sortir dès mars en envoyant Hérodiade au Parnasse Contemporain, la revue-pass qui délivre la possibilité de notoriété poétique alors.
1871: Naissance d'Anatole Mallarmé. Stéphane tente diverses démarches pour obtenir un poste de bibliothécaire à Paris ou à proximité. Il finit par obtenir, en septembre, un emploi de chargé de cours d'anglais au prestigieux Lycée Fontanes (futur Condorcet). Installation des Mallarmé à Paris (29 rue de Moscou).
1872: Verlaine prie Mallarmé de venir le voir tous les mercredis rue Nicolet. L'Art Libre, de Bruxelles, effectue une nouvelle publication de cinq d'entre les Poëmes en prose. Le 1er juin, lors d'un des fameux dîners des "Vilains Bonshommes", il fait la rencontre de Rimbaud. En août, à l'occasion d'un voyage à Londres, nouvelle rencontre prestigieuse (mais nettement plus déterminante), celle de John Payne
Une certaine forme de reconnaissance naît, grâce à l'un de ses pairs, poète primitif un peu oublié de nos jours (mais, promis, nous en reparlerons sur Des Choses à lire), et ami de longue date: Albert Glatigny, qui publie une Lettre à Stéphane Mallarmé. Glatigny décèdera l'année suivante, à 34 ans.
1873: Mallarmé fait la connaissance de Manet, et reçoit à Paris la visite de John Payne. Projet, avec Catulle Mendès, d'une association internationale des poètes.
1874: rencontre de Zola, chez Manet. Refus de L'Après-Midi d'un Faune, version encore remaniée, au Parnasse Contemporain. La Dernière Mode, dans laquelle il est fortement investi comme directeur, commence à paraître.
1875: Il abandonne La Dernière Mode. Sa traduction de Le Corbeau, d'Edgar Poe, paraît. Il fait la connaissance, à Londres, du poète Arthur O'Shaughnessy, avec lequel il correspondra longtemps.
1877: Nouvelles traductions d'Edgar Poe par Mallarmé, dont certaines paraissent dans La République des Lettres, de son ami Catulle Mendès.
1878: Maladie du petit Anatole Mallarmé.
1879: Décès d'Anatole Mallarmé.
1880: Publication des Dieux Antiques. Mallarmé commence à mieux se lier avec Joris-Karl Huysmans.
1883: Mort de Manet. En juillet le gouvernement nomme Mallarmé officier d'Académie. Verlaine permet à Mallarmé d'accéder à la notoriété qui lui fut refusée par le Parnasse, en l'incluant parmi Les Poëtes Maudits, qui paraît en novembre-décembre, puisque seuls trois poètes font l'objet d'une longue notice: Tristan Corbières, Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé.
Débuts des mardis. Leçons de littérature pour jeunes gens, une quinzaine de places disponibles, on s'y inscrit à l'année moyennant une somme modique. Des jeunes gens, inconnus ? Pas pour longtemps, pour certains d'entre eux.
En guise de disciples, rien moins que des Paul Claudel, Claude Debussy, André Gide, Oscar Wilde, Alfred Jarry, Paul Valéry, James Whistler...et nombre d'autres mardistes se massèrent autour de la table ronde en bois de style Louis XVI, dans l’appartement des Mallarmé, rue de Moscou, des années durant.
1884: Nommé professeur au lycée Janson de Sailly.
1885: Professeur au collège Rollin. Lettre de Jules Laforgue à Mallarmé, depuis Coblence, et lettre autobiographique de Mallarmé à Verlaine en vue d'une édition des Poëtes Maudits.
1886: Au sommaire de la toute nouvelle revue La Vogue, Mallarmé, Villiers, Verlaine, Rimbaud.
1887: Contrat pour une édition populaire de L'Après-Midi d'un Faune. Publication des Poésies.
1888: Traduction de Tan O'Clock de son ami Whistler. Amitiés toujours, il compte, en plus, celle d'Octave Mirbeau. Décembre, il envoie, pour avis, sa traduction des Poëmes d'Edgar Poe à Verlaine.
1890: Conférences en Belgique sur Villiers de L'Isle-Adam.
1891: Première visite de Paul Valéry à Mallarmé.
1892: Il écrit à Berthe Morisot: "Je travaille et m'applique à vieillir". Les Mardis de la rue de Rome, qu'il avait lancés neuf ans plus tôt, ont un succès quasi-universel, en tous cas une notoriété déflagrante, dépassant largement le cadre des Lettres francophones. Selon Paul Valéry: "Personne n'a parlé comme lui" (Mallarmé).
1894: Mallarmé est "admis à la retraite" de l'Enseignement en janvier. Il part pour Londres en février, donne fin février et début mars des conférences à Oxford et Cambridge.
1896: Décès de Verlaine en janvier, et élection à la fin du même mois de Mallarmé comme "Prince des poètes".
1897: Banquet d'honneur Stéphane Mallarmé, de jeunes disciples lui remettent un album de vers écrits en son honneur. Parmi lesdits jeunes disciples, on trouve des présentes ou futures pointures de l'envergure de Pierre Louÿs, Paul Claudel, Émile Verhaeren, Paul Valéry, etc...
Mallarmé retravaille Hérodiade.
1898: Décès à Valvins le 9 septembre. Inhumation le 11 au cimetière de Samoreau.
Bibliographie:
Scies (1862) : plaquette de huit feuillets - considérée comme sans valeur littéraire et à peu près introuvable.
La Dernière Mode (1874) : sous-titrée "Gazette du Monde et de la Famille", parution destinée aux dames "libres et riches" (9 numéros parus).
En fait, tout, absolument tout, était de Mallarmé dans cette revue, paraissant deux dimanches par mois, il y usait de masques, pseudonymes et pseudo-titres. Lettre à Verlaine, dans Autobiographie:
J'ai dû faire, dans des moments de gêne, ou pour acheter de ruineux canots, des besognes propres et voilà tout (Dieux Antiques, Mots Anglais) dont il sied de ne pas parler; mais, à part cela, des concessions aux nécessités comme aux plaisirs n'ont pas été fréquentes.
Si, à un moment pourtant, désespérant du despotique bouquin lâché de moi-même, j'ai, après quelques articles colportés d'ici et de là, tenté de rédiger tout seul toilettes, bijoux, mobiliers et jusqu'aux théâtres et menus de dîner, dont les huit ou dix numéros parus servent encore quand je les dévêts de leur poussière à me faire longtemps rêver.
Brise Marine (1865)
Don du Poème (1865)
L'Après-midi d'un faune (1876)
Préface au Vathek de William Beckford (1876)
Les Mots anglais, collection Petite Philologie à l'usage des classes et du monde (1877)
Les Dieux antiques (1880)
Album de vers et de prose (1887)
Pages (1891)
Oxford, Cambridge, la musique et les lettres (1895)
Divagations (1897)
Publications posthumes
Poésies (1899), dont Sonnet en X
Un coup de dés jamais n'abolira le hasard
Vers de circonstance
Igitur
Thèmes anglais pour toutes les grammaires, préface de Paul Valéry
Pour un tombeau d'Anatole
Les poèmes en prose de Stéphane Mallarmé
Dialogue. 1893-1897 (avec Francis Jammes)
Nursery Rhymes, recueil
Traductions de l'anglais
Le Corbeau d'Edgar Poe (The Raven), avec illustrations par Édouard Manet, 1875.
L'Étoile des fées de Mme W.C. Elphinstone Hope, 1881.
Poèmes d'Edgar Poe, avec illustrations par Édouard Manet, 1888.
Le Ten O'Clock de M. Whistler, 1888.
La Valentine de James Abbott McNeill Whistler, 1888.
Contes indiens de Mary Summer, 1893
Correspondance
Lettres à Méry Laurent
(Et diverses éditions nouvelles, remaniées, repensées, complétées, augmentées, commentées ou contractées des Poèmes d'Edgard Poe dans la traduction de Mallarmé, des Poésies, des Thèmes Anglais à usage d'enseignement, d'Un coup de dés jamais n'abolira le hasard, d'Éventail, des Poèmes en prose, de Divagations, etc...)
Que dire ?
Poète parcimonieux, exquis, en un mot: rare.
Autobiographie a écrit:[...] j'ai toujours rêvé et tenté autre chose, avec une patience d'alchimiste, prêt à y sacrifier toute vanité et toute satisfaction, comme on brûlait jadis son mobilier et les poutres de son toit pour alimenter le Grand-Œuvre.
S'il faut une odieuse généralité, la grande cohérence de Stéphane Mallarmé est de ne s'être jamais départi d'un stylisme en recherche de pureté formelle.
Ôter aux mots la gangue du vulgaire née de l'usage quotidien, afin d'atteindre au sublime. D'où ces jonchées d'ellipses, ce recours à l'hermétisme, et, bien entendu, ce symbolisme - Mallarmé est, à raison, considéré comme le chef de file du mouvement symboliste dans les Lettres françaises.
Jauger son apport au vers français est tâche ardue de spécialistes, peut-être pas encore épuisée - mais enfin, rendons-nous juste compte, même très vaguement, de son ampleur.
Sa prose non littéraire livre elle aussi quelques saveurs de choix.
Dans ses ouvrages pédagogiques (ils sont délicieux), et les articles écrits pour "La Dernière Mode" (n'hésitez pas à flâner dans ceux-ci dans les "œuvres complètes") -dans des exercices purement techniques donc- demeure un raffinement palpable, ainsi qu'un tutoiement de la ligne à ne pas franchir en matière de syntaxe.
Pour autant, tout n'est pas similarité sous sa plume lorsqu'il endosse l'habit littéraire, et rien ou si peu n'est rattachable à un plus petit dénominateur commun entre l'extraordinaire et futuriste Un coup de dés jamais n'abolira le hasard, ceux d'entre ses sonnets à situer dans le voisinage du Parnasse, et L'Après-Midi d'un Faune, par exemple, etc...
On le dit tranquille, posé, placide, allure d'un notable IIIème République naissante.
Du maintien, quelqu'un de très comme-il-faut, pas d'alcoolisme, pas de drogues, pas de liaisons, pas de frasques, pas de manies, doué pour la paternité, une épouse aimante, des amis (et des disciples) de choix.
De part le professorat, pas d'obligation de vivre de sa plume, ce qui donne, quoiqu'on en dise, beaucoup de liberté.
Mais enfin, gardez-vous de considérer que Stéphane Mallarmé, comme quelques malveillants vous l'ont peut-être inculqué, serait caricaturable en baudruche lisse et léchée emplie d'hélium et de gaz rares de haute atmosphère, ou encore en fantaisie de bon goût, rose-thé entourée de bolduc dans un décor Napoléon-III, à sa place en un discret en-vue au-dessus du porte-ombrelle. Ceux-là sont passés complètement à côté.
Plume hermétique et elliptique disais-je, donc, par déterminisme, peu accessible, novatrice, malmenant la syntaxe autant que faire se peut, c'est-à-dire en allant plus loin que nul ne l'avait fait avant.
De fait on éprouve les plus vives difficultés à saisir parfois cette écriture, tellement cette bille de mercure qu'est Mallarmé nous roule placidement dans la paume mais disparaît à la première pression exercée.
A la recherche du Livre à écrire, et pour lequel il prône la pleine possession de [ses] moyens, contrepied total au rimbaldien "dérèglement complet de tous les sens", mot d'ordre des décadentistes, dont ses amis Paul Verlaine et Charles Cros.
Le Livre sublime, laissant là les recettes et les écoles, au-delà de toute explication, de toute méthodologie, au seuil de l'inintelligible, au delà de toute science, de toute théologie, de toute philosophie, de tout l'amas des connaissances humaines.
Seul le poète serait armé pour y atteindre.
Est-ce là chimère, ou boussole, direction indiquée à ce que le meilleur de la poésie du XXème et, à présent du XXIème, ambitionne ?
De sorte que l'exercice consistant à présenter cet auteur en quelques lignes introductives à format de forum en y mettant un peu d'avis qui fût mien est inatteignable. Mais sachez du moins que Mallarmé affole mon altimètre.
Que penser de la netteté de ses manuscrits ?
Du fait de ne pas renier les toasts et autres vers de circonstances, de son goût pour l'ornement illustratif (en sus de la collaboration occasionnelle de peintres à ses parutions, il passait des heures dans les imprimeries à la recherche de la typographie idoine) ?
Ce qui pourrait passer pour un à-côté secondaire, ou pour un bric-à-brac dénué de sens, est plutôt à classer dans la recherche du symbole (du symbole du symbolisme, n'est-ce pas), la quête de pureté dans l'art des Lettres.
Ainsi ces éventails calligraphiés (ci-dessous celui de Mademoiselle Mallarmé), au japonisme serein:
Tableau généralement attribué à Berthe Morisot, mais un doute subsiste et il pourrait être de Julie Morisot (fille de Berthe Morisot et d'Édouard Manet).
Dernière édition par Aventin le Ven 13 Jan - 19:07, édité 1 fois
Aventin- Messages : 1985
Date d'inscription : 10/12/2016
Re: Stéphane Mallarmé
Illustration pour la première édition de L'Après-Midi d'un Faune, Édouard Manet 1876.
- Spoiler:
Le Faune
Églogue
Ces nymphes, je les veux perpétuer.
Si clair,
Leur incarnat léger, qu'il voltige dans l'air
Assoupi de sommeils touffus.
Aimai-je un rêve ?
Mon doute, amas de nuit ancienne, s'achève
En maint rameau subtil, qui, demeuré les vrais
Bois mêmes, prouve, hélas ! que bien seul je m'offrais
Pour triomphe la faute idéale de roses.
Réfléchissons...
ou si les femmes dont tu gloses
Figurent un souhait de tes sens fabuleux !
Faune, l'illusion s'échappe des yeux bleus
Et froids, comme une source en pleurs, de la plus chaste :
Mais, l'autre tout soupirs, dis-tu qu'elle contraste
Comme brise du jour chaude dans ta toison ?
Que non ! par l'immobile et lasse pâmoison
Suffoquant de chaleurs le matin frais s'il lutte,
Ne murmure point d'eau que ne verse ma flûte
Au bosquet arrosé d'accords ; et le seul vent
Hors des deux tuyaux prompt à s'exhaler avant
Qu'il disperse le son dans une pluie aride,
C'est, à l'horizon pas remué d'une ride
Le visible et serein souffle artificiel
De l'inspiration, qui regagne le ciel.
O bords siciliens d'un calme marécage
Qu'à l'envi de soleils ma vanité saccage
Tacite sous les fleurs d'étincelles, CONTEZ
« Que je coupais ici les creux roseaux domptés
« Par le talent ; quand, sur l'or glauque de lointaines
« Verdures dédiant leur vigne à des fontaines,
« Ondoie une blancheur animale au repos :
« Et qu'au prélude lent où naissent les pipeaux
« Ce vol de cygnes, non ! de naïades se sauve
« Ou plonge... »
Inerte, tout brûle dans l'heure fauve
Sans marquer par quel art ensemble détala
Trop d'hymen souhaité de qui cherche le la :
Alors m'éveillerai-je à la ferveur première,
Droit et seul, sous un flot antique de lumière,
Lys ! et l'un de vous tous pour l'ingénuité.
Autre que ce doux rien par leur lèvre ébruité,
Le baiser, qui tout bas des perfides assure,
Mon sein, vierge de preuve, atteste une morsure
Mystérieuse, due à quelque auguste dent ;
Mais, bast ! arcane tel élut pour confident
Le jonc vaste et jumeau dont sous l'azur on joue :
Qui, détournant à soi le trouble de la joue,
Rêve, dans un solo long, que nous amusions
La beauté d'alentour par des confusions
Fausses entre elle-même et notre chant crédule ;
Et de faire aussi haut que l'amour se module
Évanouir du songe ordinaire de dos
Ou de flanc pur suivis avec mes regards clos,
Une sonore, vaine et monotone ligne.
Tâche donc, instrument des fuites, ô maligne
Syrinx, de refleurir aux lacs où tu m'attends !
Moi, de ma rumeur fier, je vais parler longtemps
Des déesses ; et par d'idolâtres peintures
A leur ombre enlever encore des ceintures :
Ainsi, quand des raisins j'ai sucé la clarté,
Pour bannir un regret par ma feinte écarté,
Rieur, j'élève au ciel d'été la grappe vide
Et, soufflant dans ses peaux lumineuses, avide
D'ivresse, jusqu'au soir je regarde au travers.
Ô nymphes, regonflons des SOUVENIRS divers.
« Mon œil, trouant le joncs, dardait chaque encolure
« Immortelle, qui noie en l'onde sa brûlure
« Avec un cri de rage au ciel de la forêt ;
« Et le splendide bain de cheveux disparaît
« Dans les clartés et les frissons, ô pierreries !
« J'accours ; quand, à mes pieds, s'entrejoignent (meurtries
« De la langueur goûtée à ce mal d'être deux)
« Des dormeuses parmi leurs seuls bras hasardeux ;
« Je les ravis, sans les désenlacer, et vole
« A ce massif, haï par l'ombrage frivole,
« De roses tarissant tout parfum au soleil,
« Où notre ébat au jour consumé soit pareil. »
Je t'adore, courroux des vierges, ô délice
Farouche du sacré fardeau nu qui se glisse
Pour fuir ma lèvre en feu buvant, comme un éclair
Tressaille ! la frayeur secrète de la chair :
Des pieds de l'inhumaine au cœur de la timide
Qui délaisse à la fois une innocence, humide
De larmes folles ou de moins tristes vapeurs.
« Mon crime, c'est d'avoir, gai de vaincre ces peurs
« Traîtresses, divisé la touffe échevelée
« De baisers que les dieux gardaient si bien mêlée :
« Car, à peine j'allais cacher un rire ardent
« Sous les replis heureux d'une seule (gardant
« Par un doigt simple, afin que sa candeur de plume
« Se teignît à l'émoi de sa sœur qui s'allume,
« La petite, naïve et ne rougissant pas : )
« Que de mes bras, défaits par de vagues trépas,
« Cette proie, à jamais ingrate se délivre
« Sans pitié du sanglot dont j'étais encore ivre. »
Tant pis ! vers le bonheur d'autres m'entraîneront
Par leur tresse nouée aux cornes de mon front :
Tu sais, ma passion, que, pourpre et déjà mûre,
Chaque grenade éclate et d'abeilles murmure ;
Et notre sang, épris de qui le va saisir,
Coule pour tout l'essaim éternel du désir.
A l'heure où ce bois d'or et de cendres se teinte
Une fête s'exalte en la feuillée éteinte :
Etna ! c'est parmi toi visité de Vénus
Sur ta lave posant tes talons ingénus,
Quand tonne une somme triste ou s'épuise la flamme.
Je tiens la reine !
Ô sûr châtiment...
Non, mais l'âme
De paroles vacante et ce corps alourdi
Tard succombent au fier silence de midi :
Sans plus il faut dormir en l'oubli du blasphème,
Sur le sable altéré gisant et comme j'aime
Ouvrir ma bouche à l'astre efficace des vins !
Couple, adieu ; je vais voir l'ombre que tu devins.
(NB: J'utilise le spoiler en général pour mon pénible commentaire, mais exception cette fois-ci, faisons l'inverse, la raison en est la longueur du
Et d'ailleurs autre spoiler derechef, l'histoire de cette églogue mérite d'être contée, mais sans doute nombre d'entre vous la connaissent-ils déjà.
- Histoire du Faune:
- Considéré comme composé à Tournon en juin 1865, il y eut assez de remaniements postérieurs sur ce texte pour qu'on soit prudent et incertain sur la datation, le texte ayant de surcroît dévié de sa trajectoire initiale pour parvenir à une nouvelle destination.
A l'origine était Impression d'un Faune, puis Monologue d'un faune.
Il s'agissait d'une courte pièce à vocation scénique, en deux actes, genre alors très en vogue. Banville, qui atteignait à de considérables succès dans cet exercice, avait conseillé à Mallarmé de s'y essayer, lui laissant entendre la possibilité que son texte fut monté et joué.
Le Monologue comporte donc des indications scéniques très précises.
"J'ai laissé Hérodiade pour de cruels hivers", écrit Mallarmé à Cazalis. En effet, l'inspiration pour Hérodiade ne lui vient qu'à l'automne avancé, tandis qu'il lui faut le printemps finissant pour travailler au Faune !
Mais, de refus motivés en empêchements-prétextes, le Monologue ne sera jamais joué, ni publié.
Dix années passent.
À la demande du Comité du Parnasse, Mallarmé envoie L'Après-Midi d'un Faune au jury dudit comité, aux fins de publication dans le Parnasse Contemporain, revue-ascenseur direct pour la notoriété. Refus.
Pour une fois, et c'est peut-être le seul témoignage d'un tel état chez Mallarmé que nous ayons, le si policé, si courtois, si maître de soi élégant versificateur est à la limite du grinçant, et laisse la colère le gagner, il écrit à son ami Catulle Mendès:Autre chose, mes vers sont refusés par comité du Parnasse; mais n'en parlez qu'en souriant et comme d'une probabilité ridicule, parce que c'est ainsi que j'ai accueilli moi-même l'énoncé de ce fait. Si j'avais autrement pris la chose et si elle se vérifiait, je me croirais obligé d'aller gifler les trois juges, quels qu'ils soient; et de leur flanquer mon pied quelque part [...]
Or, qui étaient ces trois juges ? Théodore de Banville, entièrement favorable, Charles Leconte de Lisle, qui argue du talent reconnu de Mallarmé et assène qu'on lui a demandé ces vers, qu'on est allé le chercher, et...Anatole France inébranlablement opposé. Le même Anatole France qui refuse, lors de cette réunion du Comité, des vers envoyés par Verlaine, comme étant, je cite: "les plus mauvais que je connaisse". C'était ni plus ni moins que quelques uns d'entre les poèmes du futur recueil "Sagesse" !
Mallarmé fait paraître, sous forme d'églogue cette fois-ci, son Faune. En plaquette luxueuse, faible tirage à 200 exemplaires, illustrations de Manet, la bagatelle de trois papiers utilisés (Hollande, Chine et Japon), reliée en cordonnets de soie rose et noire, couverture de feutre blanc du Japon frappée d'or, un ex-libris l'orne, ainsi qu'un frontispice hors-texte, deux illustrations, un fleuron et un cul-de-lampe encadrent le poème !Stéphane Mallarmé a écrit:Une des premières plaquettes coûteuses et sacs à bonbons mais de rêves et un peu orientaux [...].
Tout ceci est bien énigmatique, nous ne disposons pas de certitudes quant à la mutation du texte initial, ni d'aucune étape par lesquelles il a pu passer, s'il y en a eu. Dix années de maturation, chez Mallarmé, c'est très inhabituel. Claude Debussy entreprend de composer le "Prélude à l'Après-Midi d'un Faune".
Debussy raconte:Mallarmé vint chez moi, fatidique et orné d'un plaid écossais. Après avoir écouté [Debussy au piano], il resta silencieux pendant un long moment et me dit: "Je ne m'attendais pas à quelque chose de pareil ! Cette musique prolonge l'émotion de mon poëme et en situe le décor plus passionnément que la couleur"
Mallarmé dut assister aussi à la première audition (ce fut, d'ailleurs, un succès) et adresse à Debussy:[...] Votre illustration de L'Après-Midi d'un Faune, qui ne présenterait de dissonances avec mon texte, sinon qu'aller plus loin, vraiment, dans la nostalgie et la lumière, avec finesse, avec malaise, avec richesse.
Pour finir, Nijinski en 1912 ajoutera une chorégraphie, ainsi la boucle est-elle bouclée entre le Monologue et L'après-midi, la dimension scénique, actée, musicale et kinesthésique de la genèse est retrouvée.
L'emploi de rimes plates étonne un peu, à mon humble avis les rimes croisées avaient toute leur place dans cet entre-lacis de sensations, mais il faut bien convenir qu'au final l'ensemble parvient à un coulé-flûté impeccable.
Selon Francis Jammes:
Leçons Poétiques a écrit:La clarté de ce poëme est aveuglante. La syntaxe des vingt-deux premiers vers est la plus pure et la plus exacte qu'un écrivain ait jamais édifiée. Mais on ne distingue rien à première vue, et, si l'on analyse ensuite, la masse à nouveau se perd dans le détail, qu'il faudra encore dégager.
Sur le sens en général, nous sommes dans le songe, demi-éveillé sans doute, d'un faune. Celui-ci voit ou entrevoit des fleurs (des roses) se balancer, leur incarnat se mire dans l'eau bleue (très impressionniste à imaginer comme scène, ne trouvez-vous pas ?) dont la fraîcheur matinale dialogue en lutte avec la chaleur générale qui nimbe l'ensemble. Le murmure de ce coin de nature se mêle aux notes de la flûte, elle-même issue des joncs du lieu. L'ensemble de ces perceptions, ou sensations, donne au faune l'impression d'étreindre des nymphes, sur fond d'éléments contrastants accentuant le rendu, tels le froid et le chaud, la flûte et le bruissement de la nature, l'azur et l'ombre, le sanglot passionné et le soupir chaste.
Aux Bords siciliens (qui étaient des glaïeuls dans le Monologue), interpellés, personnifiés, il est demander de raconter en un terme CONTER mis en majuscule, reste peut-être des indications scéniques du Monologue. S'ensuit une strophe que j'appréhende très mal, à dire vrai je ne trouve pas l'harmonie agréable (rime -détala -cherche le la), et l'énigmatique (je le trouve incompréhensible) vers: Lys ! et l'un de vous tous pour l'ingénuité même si le point d'exclamation et la césure immédiate mettent en exergue à merveille le Droit et seul du vers précédent:
« Ou plonge... »
Inerte, tout brûle dans l'heure fauve
Sans marquer par quel art ensemble détala
Trop d'hymen souhaité de qui cherche le la :
Alors m'éveillerai-je à la ferveur première,
Droit et seul, sous un flot antique de lumière,
Lys ! et l'un de vous tous pour l'ingénuité.
Puis l'intrigante morsure du passage suivant, très sensuel et orné d'une injonction musicale (par le thème de la flûte double).
Il aboutit à la demande faite aux nymphes de regonfler les souvenirs (de leur captivité).
Là une dimension scénique à plusieurs entrants affleure.
Le soliloque, à nouveau, comme après l'impérieux CONTEZ ! lancé aux "bords siciliens" tend-il à s'estomper ?
Ou bien tout ceci, qui n'est que songe après tout, demeure-t-il suggéré ?
Sur une hypothétique traduction à la scène, à l'évidence l'on introduit là des personnages.
Etc... (poème trop long pour une dissection)
Juste, en passant sur l'ensemble du poème, des enjambements nombreux. Autre caractéristique: énormément d'emploi de "e" s'élidant en fin de vers (rimes féminines). Les vers s'accumulent, mais sans effet pudding ou pièce montée. On a l'impression (est-ce l'impression de l'impressionisme ?) que Mallarmé soumet l'alexandrin à ses possibilités, avec des césures quelque peu audacieuses parfois, ou encore par des rythmes peu courants - voir par exemple un vers comme:
On est incontestablement un peu au delà du Parnasse, bien sûr dans la forme, mais, c'est ce que je tente de suggérer, aussi dans la technique du vers, même si un ("le" ?) maître en poésie de Mallarmé (Banville) avait tenté quelques fortes expérimentations. L'on songe à Verlaine, peut-être pris à son mot (d'ordre !), dans cet extrait de Jadis et Naguère (composé en 1874):
- Extrait de Jadis et Naguère:
- Ô qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d'un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?
De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée
Vers d'autres cieux à d'autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure
Eparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...
Et tout le reste est littérature.
D'une façon générale, outre la nouveauté formelle, ce parti pris musical, gestuel, ce mode de publication pas du tout grand public, ainsi que (je le crois du moins) les revers et les attentes qui émaillèrent la venue de ce poème, sa notoriété au long cours depuis sont l'exact pendant de l'incompréhension qu'il suscité dans la monde des Lettres à l'époque où il parut.
Sculpture de Paul Gauguin, L’Après-midi d’un faune, 1892.
mots-clés : #poésie
Dernière édition par Aventin le Ven 13 Jan - 19:17, édité 1 fois
Aventin- Messages : 1985
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Re: Stéphane Mallarmé
«CONTRE UN POÈTE PARISIEN»
À Emmanuel des Essarts.
Souvent la vision du Poète me frappe :
Ange à cuirasse fauve, il a pour volupté
L'éclair du glaive, ou, blanc songeur, il a la chape,
La mitre byzantine et le bâton sculpté.
Dante, au laurier amer, dans un linceul se drape,
Un linceul fait de nuit et de sérénité :
Anacréon, tout nu, rit et baise une grappe
Sans songer que la vigne a des feuilles, l'été.
Pailletés d'astres, fous d'azur, les grands bohèmes,
Dans les éclairs vermeils de leur gai tambourin,
Passent, fantasquement coiffés de romarin.
Mais j'aime peu voir, Muse, ô reine des poèmes,
Dont la toison nimbée a l'air d'un ostensoir,
Un poète qui polke avec un habit noir.
Il n'était pas dénué d'humour :
VI - BOUTADES
1 À E. Germain-le-fol
ÉCLAT DE RIRE
Quand il eut par sa foudre annoncé son réveil,
Et quand à l'horizon, comme on voit le soleil
S'élever dans l'azur jeune et vierge de voiles,
Surgit du sein des flots son poème géant,*
Quand le peuple semait sous ses pieds des étoiles
Pour qu'il ne foulât pas notre triste néant
Quand les fleurs, les bravos pleuvaient, - splendide fête! -
Lors, Émile Germain fils du Chien Diogenès,
Les haillons à l'épaule et la boue à la tête,
De la foule à grands pas fend les flots étonnés,
Le saisit par la barbe et lui crache :
« Homme sombre,
« Dont la lune est l'amante et la bêtise est l'ombre,
« Jusques à quand ton encre et ta noire chanson
« Saliront-elles, dis, le papier, la raison?
« Vis, ténébreux! vis, Jean! vis, Visigoth! vis, diable..!
« Ne glace pas mon aile et t'achète un bâton
« Pour diriger tes pas au bord de l'insondable
« C'est un marais bourbeux, crapaud de l'infini!»
Le poète attendit que Germain eût fini,
À son aigle remit sa foudre formidable,
Puis, fixant un grillon qui chantait sur le sol,
Hugo lui répondit en souriant: «Ô fol!»
Novembre 1859
* Légende des siècles.
Je ne vois pas ce que j'aurais à dire d'autre, que de continuer à piocher dans son œuvre. Sa réputation n'est pas surévaluée à ce qu'il m'a semblé.
Dernière édition par Jack-Hubert Bukowski le Ven 13 Jan - 23:15, édité 1 fois
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
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Re: Stéphane Mallarmé
- Spoiler:
- en se presentant comme administrateur sur Parfum. Je pensais à elle, lors des discussions , parce qu'elle etait toujours tres diplomate sur les fils. Je lui ai donc écris "je dis : une fleur! et hors de ma voix etc" pour signifier l'absolu qu'elle incarnait .
Fin d'aparthé , voici la souche mère :
Un désir indéniable à mon temps est de séparer comme en vue d’attributions différentes le double état de la parole,
brut ou immédiat ici,
là essentiel.
Narrer, enseigner, même décrire, cela va
et encore qu’à chacun suffirait peut-être
pour échanger la pensée humaine, de prendre ou de mettre dans la main d’autrui
en silence
une pièce de monnaie,
l’emploi élémentaire du discours dessert l’universel reportage
dont, la littérature exceptée,
participe tout
entre les genres d’écrits contemporains.
À quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa presque disparition vibratoire
selon le jeu de la parole, cependant ;
si ce n’est pour qu’en émane, sans la gêne d’un proche ou concret rappel, la notion pure.
Je dis : une fleur ! et, hors de l’oubli où ma voix relègue aucun contour, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets.
Divagations (1897)
Nadine- Messages : 4882
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Age : 49
Re: Stéphane Mallarmé
Le langage signifie
quand, au lieu de copier la pensée, il se laisse faire et refaire par elle.
Il porte son sens
comme la trace d’un pas signifie le mouvement et l’effort d’un corps.
Distinguons l’usage empirique du langage déjà fait,
et l’usage créateur, dont le premier, d’ailleurs, ne peut être qu’un résultat.
Ce qui est parole au sens du langage empirique, - c’est-à-dire le rappel opportun d’un signe préétabli -, ne l’est pas au regard du langage authentique.
C’est, comme Mallarmé l’a dit, la pièce usée que l’on met en silence dans la main.
Au contraire la parole vraie, celle qui signifie,
qui rend présente « l’absente de tous bouquets » et délivre le sens captif dans la chose,
elle n’est, au regard de l’usage empirique, que silence,
puisqu’elle ne va pas jusqu’au nom commun.
Le langage est de soi oblique et autonome,
et, s’il lui arrive de signifier directement une pensée ou une chose,
ce n’est qu’un pouvoir second, dérivé de sa vie intérieure.
Comme le tisserand donc, l’écrivain travaille à l’envers : il n’a affaire qu’au langage, et c’est ainsi que soudain il se trouve environné de sens.
Nadine- Messages : 4882
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 49
Re: Stéphane Mallarmé
"You just made my day"
Nadine- Messages : 4882
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 49
Re: Stéphane Mallarmé
Je n'ai que peu lu Mallarmé, mais après un tel commentaire, je vais devoir m'y remettre !
Mallarmé a-t-il fréquenté les milieux ésotériques, occultes ?
Je suis en train de lire, à petites incursions, une monographie très intéressante sur le peintre Jean Delville (La contre histoire, de Daniel Guéguen), et en ce qui concerne les peintres, selon lui le terme symbolisme est un fourre-tout, il parle plutôt d'artistes initiés.
Invité- Invité
Re: Stéphane Mallarmé
J’y comprends que le lys, c’est le Faune qui se dresse, aussi ingénu que nous (serions) tou(te)s (les nymphes)…« Lys ! et l'un de vous tous pour l'ingénuité »
Autre chose de fascinant chez Mallarmé, c’est la croyance souvent affirmée que « …] tout, au monde, existe pour aboutir à un livre. » (« Le Livre, instrument spirituel », in « Quant au livre », 1895). Il retourne ainsi l’assertion biblique qui énonce que le Verbe est premier, et, comme pour lui le style prime sur le sens (symbolique), il trace du langage (poétique) une boucle qui se referme… c’est une belle finalité pour un écrivain (fin en soi, art pour l’art, etc.)… ça me fait aussi penser au rêve du « terme » qui engloberait tout l’univers…
Arturo a écrit:Mallarmé a-t-il fréquenté les milieux ésotériques, occultes ?
Pas que je sache, son hermétisme étant en fait le prix de la pureté musicale à laquelle il vise.
Comme chez Verlaine (Gainsbourg a aussi dit cela, cf. également l’analyse de Merleau Ponty ci-dessus), la sonorité précède le sens.
Je ne peux me retenir de citer (…) ce vers célèbre, qui sonne sans pareil :
« Aboli bibelot d'inanité sonore »
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15927
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Re: Stéphane Mallarmé
"Nommer un objet, c' est supprimer trois quarts de la puissance du poème qui est faite du
bonheur de deviner peu à peu ; le suggérer, voilà le reve.
Enquete sur l' évolution littéraire.
bix_229- Messages : 15439
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Re: Stéphane Mallarmé
Mais j'aime Debussy...
shanidar- Messages : 1592
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Re: Stéphane Mallarmé
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
[/i]
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21642
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Re: Stéphane Mallarmé
shanidar a écrit:Je ne comprends rien. Rien à ce que vous racontez. Rien aux poëmes cités. rien. Ah.
Mais j'aime Debussy...
Shanidar,
Dans mon cas, je cite surtout en lien avec des métaphores et des figures de style que j'apprécie des poètes. Aventin avait mentionné le motif du «fauve». Dans le premier extrait que je propose, j'ai dégoté un peu le poème qui écrivait en plus bref ce qui pouvait en retourner. Dans le deuxième extrait, on apprend que Mallarmé appréciait utiliser des tons propres à Victor Hugo, du moins s'y référer en soulignant certains motifs poétiques propres à Hugo. Ça semble évident de dire ça, mais je prends quand même le moment de le dire.
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
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Re: Stéphane Mallarmé
Tu rends les armes face à Mallarmé ?shanidar a écrit:Je ne comprends rien. Rien à ce que vous racontez. Rien aux poëmes cités. rien. Ah.
Mais j'aime Debussy...
Re: Stéphane Mallarmé
GrandGousierGuerin a écrit:Tu rends les armes face à Mallarmé ?shanidar a écrit:Je ne comprends rien. Rien à ce que vous racontez. Rien aux poëmes cités. rien. Ah.
Mais j'aime Debussy...
Disons, pour être très GGG, que face à lui je suis très mal armée !! mais la perche était plus que tendue, mon cher !
shanidar- Messages : 1592
Date d'inscription : 02/12/2016
Re: Stéphane Mallarmé
J'avoue manquer également de munition pour que ma contribution dépasse celle du trublionshanidar a écrit:GrandGousierGuerin a écrit:Tu rends les armes face à Mallarmé ?shanidar a écrit:Je ne comprends rien. Rien à ce que vous racontez. Rien aux poëmes cités. rien. Ah.
Mais j'aime Debussy...
Disons, pour être très GGG, que face à lui je suis très mal armée !! mais la perche était plus que tendue, mon cher !
Re: Stéphane Mallarmé
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Keep on keeping on...
Re: Stéphane Mallarmé
« La Nuit approbatrice allume les onyx
De ses ongles au pur Crime, lampadophore,
Du Soir aboli par le vespéral Phoenix
De qui la cendre n'a de cinéraire amphore
Sur des consoles, en le noir Salon : nul ptyx,
Insolite vaisseau d'inanité sonore,
Car le Maître est allé puiser de l'eau du Styx
Avec tous ses objets dont le Rêve s'honore.
Et selon la croisée au Nord vacante, un or
Néfaste incite pour son beau cadre une rixe
Faite d'un dieu que croit emporter une nixe
En l'obscurcissement de la glace, décor
De l'absence, sinon que sur la glace encor
De scintillations le septuor se fixe. »
Stéphane Mallarmé, « Sonnet allégorique de lui-même »
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15927
Date d'inscription : 09/12/2016
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Re: Stéphane Mallarmé
« Ses purs ongles très-haut dédiant leur onyx,
L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore
Sur les crédences, au salon vide : nul ptyx,
Aboli bibelot d'inanité sonore,
(Car le Maître est allé puiser des pleurs au Styx
Avec ce seul objet dont le Néant s'honore.)
Mais proche la croisée au nord vacante, un or
Agonise selon peut-être le décor
Des licornes ruant du feu contre une nixe,
Elle, défunte nue en le miroir, encor
Que, dans l'oubli fermé par le cadre, se fixe
De scintillations sitôt le septuor. »
Stéphane Mallarmé, « Ses purs ongles très-haut... »
_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram- Messages : 15927
Date d'inscription : 09/12/2016
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Localisation : Guyane
Re: Stéphane Mallarmé
3
«TOAST»
Comme un cherché de sa province
Sobre convive mais lecteur
Vous aimâtes que je revinsse
Très cher Monsieur le Directeur
Partager la joie élargie
Jusqu’à m’admettre dans leur rang
De ceux couronnant une orgie
Sans la fève ni le hareng
Aussi je tends
avec le rire
- Écume sur ce vin dispos -
Qui ne saurait se circonscrire
Entre la lèvre et des pipeaux
À vous dont un regard me coupe
La louange
haut notre coupe
Dernière édition par Jack-Hubert Bukowski le Ven 27 Jan - 8:05, édité 1 fois
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
Date d'inscription : 04/12/2016
Age : 43
Localisation : Montréal
Re: Stéphane Mallarmé
Extrait de «Crise de vers» a écrit:[…]
La littérature ici subit une exquise crise, fondamentale.
Qui accorde à cette fonction une place ou la première, reconnaît, là, le fait d'actualité: on assiste, comme finale d'un siècle, pas ainsi que ce fut dans le dernier, à des bouleversements; mais, hors de la place publique, à une inquiétude du voile dans le temple avec des plis significatifs et un peu sa déchirure.
[…]
Le vers, je crois, avec respect attendit que le géant qui l'identifiait à sa main tenace et plus ferme toujours de forgeron, vînt à manquer; pour, lui, se rompre. Toute la langue, ajustée à la métrique, y recouvrant ses coupes vitales, s'évade, selon une libre disjonction aux mille éléments simples; et, je l'indiquerai, pas sans similitude avec la multiplicité des cris d'une orchestration, qui reste verbale.
La variation date de là: quoique en dessous et d'avance inopinément préparée par Verlaine, si fluide, revenu à de primitives épellations.
Témoin de cette aventure, où l'on me voulut un rôle plus efficace quoiqu'il ne convient à personne, j'y dirigeai, au moins, mon fervent intérêt; et il se fait temps d'en parler, préférablement à distance ainsi que ce fut presque anonyme.
[…]
L'œuvre pure implique la disparition élocutoire du poëte, qui cède l'initiative aux mots, par le heurt de leur inégalité mobilisés; ils s'allument de reflets réciproques comme une virtuelle traînée de feux sur des pierreries, remplaçant la respiration perceptible en l'ancien souffle lyrique ou la direction personnelle enthousiaste de la phrase.
[…]
A quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole, cependant; si ce n'est pour qu'en émane, sans la gêne d'un proche ou concret rappel, la notion pure.
[…]
Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étranger à la langue et comme incantatoire, achève cet isolement de la parole: niant, d'un trait souverain, le hasard demeuré aux termes malgré l'artifice de leur retrempe alternée en le sens et la sonorité, et vous cause cette surprise de n'avoir ouï jamais tel fragment ordinaire d'élocution, en même temps que la réminiscence de l'objet nommé baigne dans une neuve atmosphère.
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
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