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Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

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Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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Message par Bédoulène Dim 1 Avr - 15:30

anagramme a écrit: "Par les quatre horizons qui crucifient le Monde,
par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe,  par ceux qui sont sans pieds,
par ceux qui sont sans mains,
par le malade que l'on opère et qui geint
et par le juste mis au rang des assassins :
Je vous salue, Marie."

(Francis Jammes)

mis en musique par Brassens !

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Message par Ana Dim 1 Avr - 15:31

@anagramme : un grand merci pour cette découverte (de circonstance en plus !).

"couvre d'alléluias la bouche des vallées" : j'adore cette image
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Message par anagramme Dim 1 Avr - 16:08

Bédoulène a écrit:
anagramme a écrit: "Par les quatre horizons qui crucifient le Monde,
par tous ceux dont la chair se déchire ou succombe,  par ceux qui sont sans pieds,
par ceux qui sont sans mains,
par le malade que l'on opère et qui geint
et par le juste mis au rang des assassins :
Je vous salue, Marie."

(Francis Jammes)

mis en musique par Brassens !

oui, Bédoulène, je connais, j'apprécie beaucoup et Jammes et Brassens...
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Message par anagramme Lun 2 Avr - 13:14

@Ana : si cela t'interesse, ces deux extraits font partie du Rosaire dans le livre de Jammes Clairières dans le ciel.
Un autre livre que je conseille de Jammes est De l'Angélus de l'aube à l'Angélus du soir, mais dans les deux cas, ce ne sont pas que des poèmes religieux Wink
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Message par Ana Lun 2 Avr - 15:23

D'accord, merci beaucoup je me renseignerai sunny
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Message par Quasimodo Lun 2 Avr - 15:25

Moi aussi Poésie - Page 9 3933839410
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Message par Ana Lun 2 Avr - 17:31

Merci @anagramme.
J'ai découvert un très beau poème aujourd'hui :

Francis Jammes - "Clairières dans le ciel" a écrit: Une goutte de pluie frappe une feuille sèche,
lentement, longuement, et c’est toujours la même
goutte, et au même endroit, qui frappe et s’y entête…

Une larme de toi frappe mon pauvre cœur,
lentement, longuement, et la même douleur
résonne, au même endroit, obstinée comme l’heure.

La feuille aura raison de la goutte de pluie.
Le cœur aura raison de ta larme qui vrille :
car sous la feuille et sous le cœur, il y a le vide.

Merci, tu m'as ravie.
J'aime beaucoup les poèmes sur la pluie, que ce soit le fameux de Verlaine, ou un moins connu de Jean Richepin :

Jean Richepin - "La chanson des gueux" a écrit:Ce que dit la pluie

M'a dit la pluie : Écoute
Ce que chante ma goutte,
Ma goutte au chant perlé.
Et la goutte qui chante
M'a dis ce chant perlé :
Je ne suis pas méchante,
Je fais mûrir le blé.

Ne sois pas triste mine
J'en veux à la famine.
Si tu tiens à ta chair,
Bénis l'eau qui t'ennuie
Et qui glace ta chair ;
Car c'est grâce à la pluie
Que le pain n'est pas cher.

Le ciel toujours superbe
Serait la soif à l'herbe
Et la mort aux épis.
Quand la moisson est rare
Et le blé sans épis,
La paysan avare
Te dit : Crève, eh ! tant pis !

Mais quand avril se brouille,
Que son ciel est de rouille,
Et qu'il pleut comme il faut,
Le paysan bonasse
Dit à sa femme : il faut,
Lui remplir sa besace,
Lui remplir jusqu'en haut.

M'a dit la pluie : Écoute
Ce que chante ma goutte,
Ma goutte au chant perlé.
Et la goutte qui chante
M'a dit ce chant perlé
Je ne suis pas méchante,
Je fais mûrir le blé.

Une chanson, douce et dure, en forme de leçon.
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Message par Ana Lun 2 Avr - 17:37

@Quasimodo a écrit:Moi aussi Poésie - Page 9 3933839410

Je te recommande ce site : http://www.unjourunpoeme.fr/auteurs/jammes-francis

J'aime ces adresses qui fourmillent de poèmes. Mais, par moment, j'apprécie davantage l'ambiance plus intimiste et instructive de ce genre d'endroit : http://xtream.online.fr/Prevert/

Quels beaux poèmes que ceux de Prévert !
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Message par bix_229 Lun 2 Avr - 18:22

PIEDRA NEGRA SOBRE UNA PIEDRA BLANCA




Me moriré en París con aguacero,

un día del cual tengo ya el recuerdo.

Me moriré en París ?y no me corro?

tal vez un jueves, como es hoy, de otoño.




Jueves será, porque hoy, jueves, que proso

estos versos, los húmeros me he puesto

a la mala y, jamás como hoy, me he vuelto,

con todo mi camino, a verme solo.




César Vallejo ha muerto, le pegaban

todos sin que él les haga nada;

le daban duro con un palo y duro




también con una soga; son testigos

los días jueves y los huesos húmeros,

la soledad, la lluvia, los caminos...




PIERRE NOIRE SUR PIERRE BLANCHE




Je mourrai à Paris, un jour d'averse,

un jour dont j'ai déjà le souvenir.

Je mourrai à Paris - je n'en ai pas honte -

peut-être un jeudi d'automne, comme aujourd'hui.




Un jeudi, oui; car aujourd'hui, jeudi, où j'aligne

ces vers, tant bien que mal j'ai endossé mes humérus,

et jamais comme aujourd'hui, je n'ai essayé,

après tout mon chemin, de me voir seul.




César Vallejo est mort, tous le frappaient

tous sans qu'il ne leur fasse rien ;

et tous cognaient dur avec un bâton et dur




encore avec une corde; en sont témoins

les jours jeudis et les os humérus,

la solitude, la pluie, les chemins...


Cesar Vallejo


Traduction François Maspero

In "Esprits nomades"



"Parmi les poètes de la littérature contemporaine d'Amérique latine, le nom de Vallejo est l'un des plus prestigieux. S'il n'a pas eu la chance d'obtenir la gloire internationale d'une Gabriela Mistral ou d'un Pablo Neruda, ce poète péruvien n'en doit pas moins être mis au rang des plus grands. Peu à peu déprise de la mélodie moderniste, sa voix a su éclater en accents insolites et bouleversants pour dénoncer la mort, le malheur, l'injustice ou pour clamer l'amour, la solidarité, l'espérance de l'âme. La grandeur de Vallejo est d'avoir pu assumer jusqu'à l'agonie et recréer en poésie à la fois son propre destin et le destin des opprimés, fussent-ils indiens, russes ou espagnols."

Notice biographique : Encyclopaedia Universalis
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Message par Quasimodo Mar 3 Avr - 12:02

Merci beaucoup Ana, je vais voir Smile
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Message par Bédoulène Mar 3 Avr - 14:39

merci Anagramme, je viens de voir ces poèmes qui me plaisent bien

J’aime l’âne

J’aime l’âne si doux
marchant le long des houx.

Il prend garde aux abeilles
et bouge ses oreilles ;

et il porte les pauvres
et des sacs remplis d’orge.

Il va, près des fossés,
d’un petit pas cassé.

Mon amie le croit bête
parce qu’il est poète.

Il réfléchit toujours.
Ses yeux sont en velours.

Jeune fille au doux cœur,
tu n’as pas sa douceur :

car il est devant Dieu
l’âne doux du ciel bleu.

Et il reste à l’étable,
fatigué, misérable,

ayant bien fatigué
ses pauvres petits pieds.

Il a fait son devoir
du matin jusqu’au soir.

Qu’as-tu fait jeune fille ?
Tu as tiré l’aiguille...

Mais l’âne s’est blessé :
la mouche l’a piqué.

Il a tant travaillé
que ça vous fait pitié.

Qu’as-tu mangé petite ?
— T’as mangé des cerises.

L’âne n’a pas eu d’orge,
car le maître est trop pauvre.

Il a sucé la corde,
puis a dormi dans l’ombre...

La corde de ton cœur
n’a pas cette douceur.

Il est l’âne si doux
marchant le long des houx.

J’ai le cœur ulcéré :
ce mot-là te plairait.

Dis-moi donc, ma chérie,
si je pleure ou je ris ?

Va trouver le vieil âne,
et dis-lui que mon âme

est sur les grands chemins,
comme lui le matin.

Demande-lui, chérie,
si je pleure ou je ris ?

Je doute qu’il réponde :
il marchera dans l’ombre,

crevé par la douceur,
sur le chemin en fleurs.


merci Bix !

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Message par Ana Mar 3 Avr - 14:48

Magnifique !
Il me rappelle un poème de La légende des Siècles de Hugo. Il fait frémir à première lecture :

LE CRAPAUD

Que savons-nous ? qui donc connaît le fond des choses ?
Le couchant rayonnait dans les nuages roses ;
C'était la fin d'un jour d'orage, et l'occident
Changeait l'ondée en flamme en son brasier ardent ;
Près d'une ornière, au bord d'une flaque de pluie,
Un crapaud regardait le ciel, bête éblouie ;
Grave, il songeait ; l'horreur contemplait la splendeur.
(Oh ! pourquoi la souffrance et pourquoi la laideur ?
Hélas ! le bas-empire est couvert d'Augustules,
Les Césars de forfaits, les crapauds de pustules,
Comme le pré de fleurs et le ciel de soleils !)
Les feuilles s'empourpraient dans les arbres vermeils ;
L'eau miroitait, mêlée à l'herbe, dans l'ornière ;
Le soir se déployait ainsi qu'une bannière ;
L'oiseau baissait la voix dans le jour affaibli ;
Tout s'apaisait, dans l'air, sur l'onde ; et, plein d'oubli,
Le crapaud, sans effroi, sans honte, sans colère,
Doux, regardait la grande auréole solaire.
Peut-être le maudit se sentait-il béni ;
Pas de bête qui n'ait un reflet d'infini ;
Pas de prunelle abjecte et vile que ne touche
L'éclair d'en haut, parfois tendre et parfois farouche ;
Pas de monstre chétif, louche, impur, chassieux,
Qui n'ait l'immensité des astres dans les yeux.

Un homme qui passait vit la hideuse bête,
Et, frémissant, lui mit son talon sur la tête ;
C'etait un prêtre ayant un livre qu'il lisait ;
Puis une femme, avec une fleur au corset,
Vint et lui creva l'oeil du bout de son ombrelle ;
Et le prêtre était vieux, et la femme était belle.
Vinrent quatre écoliers, sereins comme le ciel.
-J'étais enfant, j'étais petit, j'étais cruel ;-
Tout homme sur la terre, où l'âme erre asservie,
Peut commencer ainsi le récit de sa vie.
On a le jeu, l'ivresse et l'aube dans les yeux,
On a sa mère, on est des écoliers joyeux,
De petits hommes gais, respirant l'atmosphère
A pleins poumons, aimés, libres, contents ; que faire,
Sinon de torturer quelque être malheureux ?
Le crapaud se traînait au fond du chemin creux.
C'était l'heure où des champs les profondeurs s'azurent.
Fauve, il cherchait la nuit ; les enfants l'aperçurent
Et crièrent :-Tuons ce vilain animal,
Et, puisqu'il est si laid, faisons-lui bien du mal !-
Et chacun d'eux, riant,-l'enfant rit quand il tue,-
Se mit à le piquer d'une branche pointue,
Élargissant le trou de l'oeil crevé, blessant
Les blessures, ravis, applaudis du passant ;
Car les passants riaient ; et l'ombre sépulcrale

Couvrait ce noir martyr qui n'a pas même un râle,
Et le sang, sang affreux, de toutes parts coulait
Sur ce pauvre être ayant pour crime d'être laid ;
Il fuyait ; il avait une patte arrachée ;
Un enfant le frappait d'une pelle ébréchée ;
Et chaque coup faisait écumer ce proscrit
Qui, même quand le jour sur sa tête sourit,
Même sous le grand ciel, rampe au fond d'une cave ;
Et les enfants disaient : Est-il méchant ! il bave !
Son front saignait ; son oeil pendait ; dans le genêt
Et la ronce, effroyable à voir, il cheminait ;
On eût dit qu'il sortait de quelque affreuse serre.
Oh ! la sombre action, empirer la misère !
Ajouter de l'horreur à la difformité !
Disloqué, de cailloux en cailloux cahoté,
Il respirait toujours ; sans abri, sans asile,
Il rampait ; on eût dit que la mort, difficile,
Le trouvait si hideux qu'elle le refusait ;
Les enfants le voulaient saisir dans un lacet,
Mais il leur échappa, glissant le long des haies ;
L'ornière était béante, il y traîna ses plaies
Et s'y plongea sanglant, brisé, le crâne ouvert,
Sentant quelque fraîcheur dans ce cloaque vert,
Lavant la cruauté de l'homme en cette boue ;
Et les enfants, avec le printemps sur la joue,
Blonds,charmants, ne s'étaient jamais tant divertis.

Tous parlaient à la fois, et les grands aux petits
Criaient : Viens voir ! dis donc, Adolphe, dis donc, Pierre,
Allons pour l'achever prendre une grosse pierre !
Tous ensemble, sur l'être au hasard exécré,
Ils fixaient leurs regards, et le désespéré
Regardait s'incliner sur lui ces fronts horribles.
-Hélas ! ayons des buts, mais n'ayons pas de cibles ;
Quand nous visons un point de l'horizon humain,
Ayons la vie, et non la mort, dans notre main.-
Tous les yeux poursuivaient le crapaud dans la vase ;
C'était de la fureur et c'était de l'extase ;
Un des enfants revint, apportant un pavé
Pesant, mais pour le mal aisément soulevé,
Et dit :-Nous allons voir comment cela va faire.-
Or, en ce même instant, juste à ce point de terre,
Le hasard amenait un chariot très lourd
Traîné par un vieux âne écloppé, maigre et sourd ;
Cet âne harassé, boiteux et lamentable,
Après un jour de marche approchait de l'étable ;
Il roulait la charrette et portait un panier ;
Chaque pas qu'il faisait semblait l'avant-dernier ;
Cette bête marchait, battue, exténuée ;
Les coups l'enveloppaient ainsi qu'une nuée ;
Il avait dans ses yeux voilés d'une vapeur
Cette stupidité qui peut-être est stupeur ;

Et l'ornière était creuse, et si pleine de boue
Et d'un versant si dur, que chaque tour de roue
Était comme un lugubre et rauque arrachement ;
Et l'âne allait geignant et l'ânier blasphémant ;
La route descendait et poussait la bourrique ;
L'âne songeait, passif, sous le fouet, sous la trique,
Dans une profondeur où l'homme ne va pas.
Les enfants, entendant cette roue et ce pas,
Se tournèrent bruyants et virent la charrette :
-Ne mets pas le pavé sur le crapaud. Arrête !
Crièrent-ils. Vois-tu, la voiture descend
Et va passer dessus, c'est bien plus amusant.
Tous regardaient.
Soudain, avançant dans l'ornière
Où le monstre attendait sa torture dernière,
L'âne vit le crapaud, et, triste,-hélas ! penché
Sur un plus triste,-lourd, rompu, morne, écorché,
Il sembla le flairer avec sa tête basse ;
Ce forçat, ce damné, ce patient, fit grâce ;
Il rassembla sa force éteinte, et, roidissant
Sa chaîne et son licou sur ses muscles en sang,
Résistant à l'ânier qui lui criait : Avance !
Maîtrisant du fardeau l'affreuse connivence,
Avec sa lassitude acceptant le combat,
Tirant le chariot et soulevant le bât,
Hagard il détourna la roue inexorable,

Laissant derrière lui vivre ce misérable ;
Puis, sous un coup de fouet, il reprit son chemin.
Alors, lâchant la pierre échappée à sa main,
Un des enfants-celui qui conte cette histoire-
Sous la voûte infinie à la fois bleue et noire,
Entendit une voix qui lui disait : Sois bon !
Bonté de l'idiot ! diamant du charbon !
Sainte énigme ! lumière auguste des ténèbres !
Les célestes n'ont rien de plus que les funèbres,
Si les funèbres, groupe aveugle et châtié,
Songent, et, n'ayant pas la joie, ont la pitié.
O spectacle sacré ! l'ombre secourant l'ombre,
L'âme obscure venant en aide à l'âme sombre,
Le stupide, attendri, sur l'affreux se penchant,
Le damné bon faisant rêver l'élu méchant !
L'animal avançant lorsque l'homme recule !
Dans la sérénité du pâle crépuscule,
La brute par moments pense et sent qu'elle est soeur
De la mystérieuse et profonde douceur ;
Il suffit qu'un éclair de grâce brille en elle
Pour qu'elle soit égale à l'étoile éternelle :
Le baudet qui, rentrant le soir, surchargé, las,
Mourant, sentant saigner ses pauvres sabots plats,
Fait quelques pas de plus, s'écarte et se dérange
Pour ne pas écraser un crapaud dans la fange,

Cet âne abject, souillé, meurtri sous le bâton,
Est plus saint que Socrate et plus grand que Platon.
Tu cherches, philosophe ? O penseur, tu médites ?
Veux-tu trouver le vrai sous nos brumes maudites ?
Crois, pleure, abîme-toi dans l'insondable amour !
Quiconque est bon voit clair dans l'obscur carrefour ;
Quiconque est bon habite un coin du ciel. O sage,
La bonté, qui du monde éclaire le visage,
La bonté, ce regard du matin ingénu,
La bonté, pur rayon qui chauffe l'inconnu,
Instinct qui dans la nuit et dans la souffrance aime,
Est le trait d'union ineffable et suprême
Qui joint, dans l'ombre, hélas ! si lugubre souvent,
Le grand ignorant, l'âne, à Dieu, le grand savant.


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Message par Bédoulène Mar 3 Avr - 19:07

là tu me mets la larme à l'oeil Ana !

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Message par Ana Mer 4 Avr - 20:22

@bédoulène : le poème le plus poignant du recueil à mon sens (et le plus cruel surtout). Métaphoriquement, le crapaud est à l'image du poète incompris et défiguré (Hugo) et l'âne dans la posture du philosophe qui l'épargne grâce à sa sagesse. Il sait reconnaître sa valeur et se reconnaître aussi en lui car il souffre et trime sous le joug qu'on lui impose. Il connaît la souffrance, contrairement à l'enfance insouciante.

Mais, même en ayant cette conception en tête, chaque nouvelle lecture me fait voir le crapaud assassiné et l'âne qui possède l'intelligence du coeur.
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Message par Tristram Mer 4 Avr - 20:28

Et on ne peut qu'évoquer
Amour du prochain

Qui a vu le crapaud traverser une rue ?
C’est un tout petit homme : une poupée n’est pas plus minuscule.
Il se traîne sur les genoux : il a honte, on dirait… ? Non !
Il est rhumatisant. Une jambe reste en arrière, il la ramène !

Où va-t-il ainsi ? Il sort de l’égout, pauvre clown.
Personne n’a remarqué ce crapaud dans la rue.
Jadis personne ne me remarquait dans la rue.
Maintenant les enfants se moquent de mon étoile jaune.
Heureux crapaud ! Tu n’as pas l’étoile jaune.

Max Jacob

_________________
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Message par Ana Mer 4 Avr - 20:45

@Tristram : magnifique parallèle. Merci !
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Message par anagramme Mer 4 Avr - 22:41

Les ânes sontune thématique fréquente chez Jammes : le poème le plus célèbre est Prière d'aller au paradis avec les ânes

Lorsqu'il faudra aller vers vous, ô mon Dieu, faites
que ce soit par un jour où la campagne en fête
poudroiera. Je désire, ainsi que je fis ici-bas,
choisir un chemin pour aller, comme il me plaira,
au Paradis, où sont en plein jour les étoiles.
Je prendrai mon bâton et sur la grande route
j'irai, et je dirai aux ânes, mes amis :
Je suis Francis Jammes et je vais au Paradis,
car il n'y a pas d'enfer au pays du Bon Dieu.
Je leur dirai : " Venez, doux amis du ciel bleu,
pauvres bêtes chéries qui, d'un brusque mouvement d'oreille,
chassez les mouches plates, les coups et les abeilles."
Que je Vous apparaisse au milieu de ces bêtes
que j'aime tant parce qu'elles baissent la tête
doucement, et s'arrêtent en joignant leurs petits pieds
d'une façon bien douce et qui vous fait pitié.
J'arriverai suivi de leurs milliers d'oreilles,
suivi de ceux qui portent au flanc des corbeilles,
de ceux traînant des voitures de saltimbanques
ou des voitures de plumeaux et de fer-blanc,
de ceux qui ont au dos des bidons bossués,
des ânesses pleines comme des outres, aux pas cassés,
de ceux à qui l'on met de petits pantalons
à cause des plaies bleues et suintantes que font
les mouches entêtées qui s'y groupent en ronds.
Mon Dieu, faites qu'avec ces ânes je Vous vienne.
Faites que, dans la paix, des anges nous conduisent
vers des ruisseaux touffus où tremblent des cerises
lisses comme la chair qui rit des jeunes filles,
et faites que, penché dans ce séjour des âmes,
sur vos divines eaux, je sois pareil aux ânes
qui mireront leur humble et douce pauvreté
à la limpidité de l'amour éternel.

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Message par Bédoulène Jeu 5 Avr - 0:14

merci pour vos choix de poèmes !

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Message par bix_229 Jeu 5 Avr - 0:15

L' EVEIL


Je me souviens des noirs matins du s
oleil...


Seigneur

j'ai vingt ans

Mes yeux aussi ont vingt ans

et cependant ils ne disent rien...


Seigneur

Ma vie s'est consumée en un instant

La dernière innocence s'en est allée

Maintenant c'est jamais pour toujours

ou simplement ce fut...


Comment ne pas me tuer dans un miroir

et disparaître et réapparaître dans la mer

où m'attend un grand bateau

avec toutes ses lumières allumées?


Comment puis-je me sortir les veines

et en faire une échelle

pour fuir à travers la nuit? ...


Mais mes bras veulent encore embrasser le monde

ils n’ont rien appris

il est trop tard....

(Fragments extraits du recueil  Les Aventures Perdues)




Site : Esprits nomades

Poésie - Page 9 Pizarn10


"Alejandra Pizarnik est née près de Buenos Aires le 29 avril 1936, à Avellaneda, dans une famille d’immigrants juifs de Galicie, arrivée en Argentine en 1934. Elle fait ses études sans vraiment trouver sa voie : de la faculté de Philosophie à celle des Lettres, de la faculté de journalisme à l’atelier de peinture de Juan Batlle Planas. Elle ne veut, elle ne peut qu’écrire. À 19 ans, elle publie son premier recueil de poèmes. Reconnue, admirée, amie de Jorge Luis Borges, Silvina Ocampo Bioy Casares, Olga Orozco, elle mène une vie littéraire et sociale intense, mais entrecoupée de hauts et de bas, et collabore à la fameuse revue SUR de Victoria Ocampo.
Entre 1960 et 1964, elle vit à Paris où elle est pigiste pour un journal espagnol et écrit dans plusieurs journaux et revues. Elle se lie d’amitié avec André Pieyre de Mandiargues, Octavio Paz, Julio Cortazar, Yves Bonnefoy, Henri Michaux… Elle traduit ses écrivains préférés : Artaud, Michaux, André Pieyre de Mandiargues, Breton, Éluard… Rentrée à Buenos Aires, sa vie se déroule entre les quatre murs de son petit appartement et les rues de la ville. Elle publie alors ses ouvrages les plus importants. En 1968, elle obtient une bourse Guggenheim et fait un bref séjour à New York. Après deux tentatives de suicide en 1970 et 1972 et un séjour à l'hôpital psychiatrique Pirovano de Buenos Aires, elle se donne la mort le 25 septembre 1972."

Chez Ypsilon, éditeur
bix_229
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Message par Quasimodo Jeu 5 Avr - 0:24

Je retiens ce nom, Bix.
Quasimodo
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