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Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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Marco Lodoli

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Message par Bédoulène Lun 5 Déc - 9:45

Marco Lodoli
Né en 1956


ecriture - Marco Lodoli Imgmar10


Marco Lodoli est né à Rome en 1956, où il vit et enseigne dans un lycée de banlieue.

Entré en littérature par la poésie, il s’est lancé dans le roman avec succès, a écrit des nouvelles, des chansons et des articles dans La Repubblica.

En 1986, il a reçu le prix Mondello « première œuvre » pour son roman Chronique d’un siècle qui s’enfuit.

Collaborant régulièrement au quotidien La Repubblica, il rédige des chroniques de société, souvent à propos de la jeunesse, à partir de son expérience d’enseignant, ou encore des textes sur Rome, qui ont été regroupés dans le recueil Îles : guide vagabond de Rome.

Il est également critique de cinéma pour l’hebdomadaire Diario.

Oeuvres traduites en français :

Chronique d'un siècle qui s'enfuit
Boccacce (grimaces)
guide vagabond de Rome
Les Prétendants
Les Promesses
Grand cirque déglingue





ecriture - Marco Lodoli 31mixn10

Les Prétendants

subjuguée par l’écriture de Lodoli, la tournure des phrases, les métaphores étonnantes, étranges, la poésie, le chant des mots même quand il s’agit d’évoquer la Mort.

Les trois histoires,  se déroulant dans la ville éternelle, qui composent le livre : La nuit, le Vent, les Fleurs  sont toutes de noir vêtues ; la mort  à petits pas , suit les personnages, discrète pour ne pas les heurter. Constantino, Luca, Tito emportés sur le tapis roulant de la vie ne peuvent plus retenir leur destin, ni le diriger, chacun à son « maître » ; le Fou pour l’un, le romancier pour l’autre et le Poète pour le dernier. Ils sont piégés, mais ils ont accepté d’entrer dans le piège.
Dans les plus  tristes destins l’amour et l’amitié volent leur  part à la mort.

Ces histoires sont absurdes, mais  les mots et les pensées pour les conter sont magiques, et il ne faut point en révéler le contenu sous peine d’abolir le charme. Ne pas oublier aussi Rome partenaire des personnages.

La première histoire m’a un peu déroutée, mise mal à l’aise, j’ai pensé abandonner le livre malgré l’attrait de l’écriture.

« En amont du fleuve, vers le nord, la ville devient plus clairsemée, moins dense. Seules quelques personnes sont restées sur les berges pour saluer les amants, l’obélisque du Foro Italico ressemble à la barrière levée d’un passage à niveau désaffecté : Constantino et Serena le franchissent en un effort ultime. Mais elle est trop loin la source, un filet d’eau entre des montagnes dont on distingue même pas les sommets, et qui n’existe peut-être que dans le paysage du cœur. »


Bien m’a pris de persister, la seconde histoire « le vent » m’a emportée dans son souffle. Et Lodoli lui-même se met en jeu et en peine, c’est le Maître, mais à regarder vivre ses personnages il ne les maîtrise  plus.

«Quand l’esprit carbure, il s’emballe tout seul, il récupère les vieilleries dissimulées dans les recoins habituels, il récite jusqu’à la nausée ce qu’il sait et qui ne lui sert à rien. Il passe du vernis incolore et il répète avec application, le même geste, obstinément, deux, trois, dix mille couches de vernis incolore, l’une sur l’autre, aller et retour sur l’enduit de façade. »

« J’ai dans l’idée que Dieu est un fichu commerçant, un vieux renard pour tout dire : nous lui achetons la vie à prix d’or, traite après traite, jour après jour, nous nous épuisons pour lui donner un sens et une valeur et puis nous la lui restituons pour pas un rond dans un râle. »


Les fleurs :  C’est  après des années de patience à regarder cette fenêtre qui luit la nuit que Tito prendra possession du   destin qui lui était annoncé, lequel était   niché la-haut  au dernier étage de la maison.  Il aura un ami Aurelio,  une femme Morella, tous deux des blessés de la vie et une bande de chiens errants pour compagnons.

« Je n’aurais jamais imaginé que mon existence puisse changer. C’était une existence à ma taille, du prêt-à-porter qu’il ne fallait ni  agrandir, ni rétrécir. En été, pourtant, quand j’allais nager le soir dans le lac, je pensais que ce puts obscur était, à sa manière, relié à la mer, qu’une veine d’eau s’écoulait souterrainement jusqu’à l’océan pour y faire flotter les navires, les corps de femmes, les cadavres, les dauphins. Alors je pissais, je larguais un peu de ma chaleur, je la laissais voyager. »

« La musique d’un orgue s’est engouffrée telle la bise dans l’église, les notes gerçaient. »

« Le fleuve courait devant nous gonflé d’eau, aussi livide qu’un noyé »

Conclusion de Tito
« Je sens que la tristesse est une insulte faite à la vie, qu’elle est un résidu d’orgueil qui veut imposer son pourquoi à ce qui n’a pas de pourquoi. Je sais qu’il me serait impossible d’expliquer tout cela à quelqu’un, je n’aurais pas les mots pour me faire comprendre, je pourrais seulement dire : « c’est ainsi, c’est monstrueux, et je ne désire pas qu’il en soit autrement. »


J’espère que ces extraits vous inciteront à la lecture de ce livre.



"message rapatrié"



mots-clés : #fantastique #nouvelle


Dernière édition par Bédoulène le Dim 20 Aoû - 11:37, édité 3 fois

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Message par bix_229 Mer 7 Déc - 18:24

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LES  PRETENDANTS. - P.O.L. Traduction de Louise Boudonnat

"A quoi sert la poésie ? A maintenir en vie ce que la vie nous promet en vain."

Noir est la couleur de Lodoli et  les courts romans qui forment une trilogie romanesque n'échappent pas à la règle. Meme quand l'action ne se passe pas la nuit.
Autre point commun, Rome. Ses places, ses rues et ses ruelles, ses venelles, ses faubourgs.
Jamais peut-être, depuis  Pasolini, Rome n'avait servi de matière littéraire avec autant d'intensité.

Les personnages aussi ont des points communs. Costantino, Luca et Tito, les  protagonistes de La Nuit, Le Vent, Les Fleurs sont des anti héros, des vélléitaires, des chasseurs de chimères.
Ils cherchent, ils prétendent à l'impossible. Rien de moins.

Prétendre, c'est aussi vouloir, désirer, et c'est ce qu'ils font au nom de leur volonté, de leurs exigences intérieures tout autant que de leur crédulité.
Ils poursuivent ainsi leur chemin à l'aveugle. Jamais en ligne droite mais par des chemins de traverse.

Leur logique est celle du rêve. De leurs rêves. Une logique qui nie l'absurdité de la vie et qui tend à la remplacer.
Dans leur errance, ils associent parfois à leur recherche  des gens de rencontre qui deviennent aussitot tout aussi chimériques. Dans Le Vent, Lodoli lui-même intervient, mais il est aussitot dépassé par la situation et ses personnages qui exigent de lui qu'il les guide. En vain.
Ces histoires, les siennes, n'ont vraiment "ni queue ni tête" !

Ils s'imaginent parfois que quelqu'un les observe, les épie dans l'ombre, sans nom et sans visage.
Qu'il les manipule comme des pantins, et qui les laisse à leur fatale perplexité.

Tout cela, histoire, personnages ne seraient rien ou sinon un assemblage grotesque, s'il n' y avait le style de Lodoli, tour à tour lyrique, imagé, métaphorique, onirique.
Et d'un humour bien à lui.

En fin de compte, ces trois histoires m'ont rappelé les contes de l' enfance. Des histoires qui nous faisaient extraordinairement peur et plaisir à la fois. Qui incendiaient notre imagination et se fixaient dans notre mémoire.

Et c'est ainsi que nous cheminons à travers les livres, à la recherche d'une enfance perdue et que nous recherchons. Inconsolés à n'en plus finir.

Rapatrié. Ah mes écrivains italiens, exilés injustement...
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Message par bix_229 Dim 6 Déc - 17:57

ecriture - Marco Lodoli Lodoli10

Marco Lodoli
Boccacce. - L' Arbre vengeur

"Io sono uno che non sa che fare,
fa le boccacce ai cani nelle macchine."

"Moi je suis quelqu' un qui, quand il ne sait quoi faire,
fait des grimaces aux chiens enfermés dans les voitures."

Federeco Fellini

En quelques très courtes nouvelles, Lodoli règle son compte à la bétise, à la vanité, à ceux qui font
les importants, jouent les  mouches du coche, les surdimensionnés de l' ego.
Un condensé joyeux et sarcastique qui vise le milieu meme où il vit et oeuvre.
A savoir, l' éditeur, l' universitaire, le traducteur, le critique, le libraire... Et l' avant-garde, les Prix
littéraires, le service de presse, le porno...

Exemples :
"Dans la plus grande librairie de la ville, le grand écrivain vient juste de terminer son beau et grand discours.

Il a cité Goethe et Homère, Pétrarque et Cervantes, et aussi quelques chanteurs et un film d' action pour donner un peu de brio à sa causerie.
D' ailleurs il n' y avait pas de quoi s' asseoir et il faut et dans ce cas-là, etre un orateur brillant pour que les gens n' aient pas des fourmis dans les jambes. Comme d' habitude, en vingt minutes, l' écrivain a conquis l' assemblée.
Il a été cultivé et sympathique, modeste et original, humain et plus qu' humain. Il a fait comprendre ce qu' il fallait comprendre, c' est à dire qu'  à partir de ce soir la voie de la vérité passe par son nouveau livre, Bleuité.
Ceux qui veulent améliorer leur existence doivent le lire, le souligner, l' absorber à fond : et avant toute chose l' acheter."

Signatures, p. 19

Dinamo Cosi est un écrivain avant-gardiste. Après trente ans de labeur, le livre est là.

"Aujourd' hui il est chauve, il est seul, il boite et il a de la gengivite : mais il est toujours super intelligent et rien n' est à son gout.
Son roman est un pastiche dément : des mots en faux étrusque, lombard, vocabulaires techniques, jurons, formules mathématiques, bredouillements, pages blanches, hurlements, termes volés à la publicité et aux peintures des chiottes, slogans politiques, reves, rots, dialectes, prières...
Son roman fait mille huit cent sept pages et Dieu sait combien Dinamo Cosi y a fait de coupes.
Après un rendez-vous raté à la RAI, il est fatigué et ne se sent pas très bien et s' assied sur un banc.

Dinamo se relève et tente de retraverser la rue, pour revenir à la RAI et se faire mieux expliquer.

Une Fiat Bravo le prend de plein fouet et éparpille les feuilles de son roman dans la rue.

Dinamo Cosi reste quinze jours à l' hopital entre la vie et la mort, ensuite il est déclaré hors de danger, et il meurt."
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Message par Bédoulène Lun 7 Déc - 14:17

merci Bix je ne doute pas du plaisir de cette lecture ! j'ai les promesses et grand cirque déglingué dans ma pal

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Message par Tristram Mar 2 Jan - 11:20

Les Prétendants – La Nuit – Le Vent – Les Fleurs

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Trilogie romanesque :
La Nuit
« L’histoire est à son commencement et elle a déjà un pied dans la tombe ; entre les deux, cela flotte incertain, l’être cherche, s’égare et, en attendant, fait un pas en avant. »
Costantino rêve d’amour (ou, plus exactement, désire toujours), et s’active à livrer en mobylette dans Rome les lettres et colis clandestins ordonnés par le Fou (un mystérieux "maître" qui joue de la trompette), sous la surveillance de Fedele et Ottavio, prénoms invariables même lorsque l’un d’eux meurt en service.
« Parfois le jeune Costantino s’extirpait de la grande pelote urbaine, il s’asseyait sur un muret en haut d’une colline et, comme s’il était sur le bord d’une assiette monumentale, il comparait vaguement amusé les trajectoires entre les êtres à des fils de spaghettis, enchevêtrés au milieu d’une sauce aussi écarlate que le sang, cuisinés al dente ou trop cuits, et sur le point d’être dévorés. »
Puis, ayant fauté (il cherche à comprendre le sens de l’existence), Costantino est muté comme jardinier d’un jardin écarté. Enfin, il s’éprend de Serena, une sorte de sirène carnivore captive d’une piscine ; tous deux seront tués par les Fedele et Ottavio, et flottent au fil du Tibre.
« Et ton existence ne change pas parce que tu redoutes que le temps triomphe de tout. »

« La vie s’enroule, comme une bande de gaze sur une plaie sanglante. »
Dans ce texte aux allures de parabole (avec évidemment le jardin d’Éden), j’ai pensé pêle-mêle à Paul Auster, Boris Vian, Tabucchi et Calvino – mais de cette palette est issue une œuvre originale.

Le Vent
« C’est lui, enfin, je l’aperçois, je soupçonnais sa présence depuis pas mal temps : ce n’est qu’une pâle enseigne dans la nuit, le vague chuchotement d’une fable, une silhouette nébuleuse. »
La narrateur-auteur imagine Luca qui fait le taxi entre Rome et l’aéroport avec sa Fiat 850 décapotable, et a recueilli un Martien agonisant venu de la Lune. Il rêve qu’avec les autres personnages ils sont élèves travaillant à un devoir à l’école. Un de ses clients :
« Quelqu’un, quelque chose, faisait l’expérience de la vie à travers lui. »
Et enfin il comprend :
« Cela faisait des pages et des pages qu’il soupçonnait ma présence, me redoutait, et enfin maintenant il m’aperçoit derrière ses paupières, tels une pâle enseigne dans la nuit, le vague chuchotement d’une fable, une silhouette nébuleuse. »
… Et rend visite à Marco Lodoli. Il plaide contre la mort du Martien, et tous deux rejoignent les autres personnages pour lutter contre la mort – qu’ils emmènent sous les traits d’une jeune fille.
« Il vous a certainement exposé sa théorie, il soutient que l’univers est un commerce, que les choses changent d’endroit et de valeur dans un continuel mouvement de troc, que Dieu lui-même est un marchand : le plus roublard. Moi qui suis veilleur de nuit, j’ai pas mal de temps libre, alors je me suis penché sur la question et j’ai fini par simplifier le concept de Tibullo : l’univers est un perpétuel pillage et Dieu est un voleur. »
Ce deuxième roman, fantaisie oniro-métaphysique où les pigeons morts tombent du ciel, m’a un temps lassé par ce qui m’a paru être des longueurs, jusqu’au thème pirandellien des quémandages des « créatures de papier » de l’écrivain.

Les Fleurs
Tito, un ancien employé de poste, a quitté son village pour être poète à Rome, ayant été contacté par un mystérieux éditeur d’une revue littéraire disparue, La Tanière. Il y rencontre Aurelio, un unijambiste qui s’attache à lui (comme de nombreux chiens errants), puis Morella, qui dit l’avenir (sans grand succès).
« La revue était entièrement écrite par la même personne, ça je m’en souviens bien. Elle était en italien, mais on avait l’impression que c’était une autre langue, l’impression de quelqu’un qui s’adresse à toi en rêve et dont tu ne saisis pas les mots, alors tu dis, parle plus fort, je ne comprends pas, plus fort, mais il n’y a rien à faire, tu entends les mots, ils te sont destinés, mais tu es incapable de les mettre dans le bon ordre pour les rendre intelligibles, et la peur te réveille en sursaut. »

« Parfois pourtant j’avais le sentiment que cela défilait de toute éternité à l’intérieur d’une lanterne magique, que les images se répétaient en boucle, se transformant juste ce qu’il fallait pour ne pas dévoiler l’illusion ; que les jardins, les marbres, l’effervescence, les corps des fontaines et des êtres le long des rues dissimulaient quelque chose d’irréel, comme si la brillance de leurs contours émanait d’une lumière artificielle, et que le vide fût leur substance.
Mes pensées se répétaient elles aussi dans la lanterne, l’une après l’autre, analogues et en dehors de ma volonté, avec toujours ces mêmes questions qui revenaient : qu’est-ce qui m’a conduit jusqu’ici ? Qu’est-ce qu’il y a à apprendre, et qui me l’enseignera ? Qu’est ce que je dois écrire, et pourquoi ? La vie est-elle belle, ou absurde ? Et surtout : qui suis-je désormais, et jusqu’à quand devrai-je péniblement m’interroger ? »
Petits boulots en attendant, Tito (qui a été un chien) est un temps employé des pompes funèbres (assez étranges) ; il se marie avec Morella, qui en devient folle.
« Mais ma vie a pris malgré moi un tour différent, elle répond, semble-t-il, à quelque chose, mais j’ignore encore la question. »

« Mon alliance, je ne l’avais plus, elle avait glissé Dieu sait quand. Elles devraient faire du bruit nos affaires quand nous les perdons, émettre une plainte, agiter une clochette, ne pas se laisser ensevelir par le monde comme des feuilles mortes. Elles devraient pouvoir dire : ramasse-moi, l’ami, je t’en prie, ne m’abandonne pas de la sorte. En revanche elles disparaissent sans crier gare, on les avait et on ne les a plus, et l’on reste là à se dire qu’on les retrouvera plus tard, que tout à l’heure on finira bien par mettre la main dessus. J’imagine une pièce où elles sont toutes réunies, amicalement, l’une à côté de l’autre : le stylo, l’alliance, l’écharpe, les clefs, et il y a là aussi des pensées et des noms oubliés, les phrases que j’ai eues des années durant dans la tête et puis qui se sont volatilisées.
Voilà ce que je me disais, tandis que le vent ébouriffait les cheveux de Morella, aussi courts et légers que du duvet.
Mais peut-être est-ce faux, je n’ai pas perdu les choses par inadvertance, par simple distraction, peut-être ai-je été forcé de m’en défaire une à une, et ce n’est pas de la nostalgie que j’éprouve, ce n’est pas du regret, mais un délicat sentiment de culpabilité pour les histoires que je n’ai pu porter avec moi jusqu’au bout. Aujourd’hui, avec les années, j’ai appris que pour comprendre il faut savoir renoncer à tout, même aux porte-bonheur et aux souvenirs, à l’enfance et aux émotions les plus douces, et aux désirs qui ne sont jamais en paix, et à l’amour qui n’offre jamais de paix, les laisser libres – et c’est peut-être le monde, l’endroit où toutes les choses égarées vivent amicalement en attendant d’être sauvées. »
Raconté par épisodes, certains felliniens, ce récit fantasque, polarisé par la mort et le destin aussi inéluctable qu’impénétrable, semble avoir été écrit au fil de la plume, quoique sans tirer à la ligne, et aurait éventuellement gagné à être resserré, un peu plus condensé. Je suis le premier à reconnaître le bien-fondé d’un lent développement, mais le risque de lasser le lecteur aurait pu être évité, alors que de nombreux passages méritent amplement la lecture.

Ce sont donc trois paraboles (un peu comme chez Calvino) sur les "prétentions" (à l’amour, à l’abolition de la mort, à l’accomplissement littéraire), c'est-à-dire une recherche de sens dans le rêve éveillé de l’existence temporelle (les songes y tiennent une grande place). La finitude humaine est perpétuellement rappelée tel un memento mori, et l’interrogation sur un être suprême manipulant et observant les hommes m’a paradoxalement ramentu l'aspect métaphysique des romans de Philip K. Dick.

\Mots-clés : #ecriture

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Message par Bédoulène Mar 2 Jan - 19:52

merci Tristram, les souvenirs remontent.

malgré quelques longueurs que tu notes, la lecture a été appréciée, non ?

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Message par Tristram Mar 2 Jan - 20:02

Oui, Lodoli est original et intéressant, j'en relirai !

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Message par Tristram Dim 17 Mar - 11:07

Les Promesses : Sorella – Italia – Vapore

ecriture - Marco Lodoli Les_pr10

Sorella
Sœur Amaranta est devenue religieuse par aspiration à la pureté, et est commise à la maternelle.
« J’ai choisi d’être sœur parce que je voulais croire à une forme de beauté, je n’ai que faire de l’argent et de la gloire, je veux bien plus, je veux que tout possède un sens et une grâce. »

« J’ai lu quelque part que le pape Pie XII était mort du hoquet. Aucun ange n’avait réussi à le libérer des spasmes qui enserraient sa poitrine. Comment Dieu pourrait-il exister ? Comment vais-je faire pour continuer ? »

« Notre bonne éducation ne nous interdit rien : elle prend les devants, elle empêche de réclamer et de vouloir. Elle sème l’impossibilité dans le cœur, et tout prend le chemin indiqué. »
Apparaît dans sa classe le petit Luca, un enfant adopté et taiseux qui lui demande une cigarette, puis de voler, enfin « un homme ». Elle rencontre Antonio, qui a tué un homme et est poursuivi par la mafia, et passe la nuit avec lui. Elle devient la nouvelle mère supérieure.
« Il faut savoir demander, il faut savoir prendre, il faut savoir donner. »
Italia
Italia, vingt ans, quitte « l’Institut » (où elle a appris à se résigner) pour entrer comme bonne chez les Marziali (« l’ingénieur » et Madame, qui s’ennuie) et leurs trois enfants, Marianna (qui ne pense qu’à courir les garçons), Tancredi (qui deviendra fasciste comme le fut son père) et Giovanni (qui écrira). Confidente de chacun, Italia s’occupe de la famille jusqu’à ce qu’elle disparaisse, et qu’elle en prenne en charge une autre.
« Nous sommes comme des tuyaux de vidange, me confiait-il au troisième verre, la vie nous traverse, et nous, quasi sans nous en rendre compte, nous la rejetons de l’autre côté, c’est tout ce que nous pouvons, ce n’est pas nous qui agissons, c’est la vie qui avance à travers nous, voilà comment ça marche. Que nous la salissions encore plus ou que nous la purifiions, la vie s’écoule à l’intérieur et s’en va ailleurs, elle nous oublie aussitôt, c’est comme ça, Italia, non ? »
Vapore
Incipit :
« Je m’appelle Maria Salviati, Marie Sauve-toi, j’ai soixante-douze ans, j’ai enseigné les sciences et un peu de biologie au collège, j’ai un fils, sans doute un mari, bien qu’il se soit évaporé dans le néant depuis trente ans [… »
À Gabriele, l’agent immobilier en charge de la vente de sa maison dans la campagne romaine, elle raconte les souvenirs de sa vie, Augusto son insouciant amour, qui fut Vapore le magicien et lui donna un fils, Pietro, depuis parti au Canada.
« Pietro avait les mêmes dispositions aventureuses que son père : il avait en horreur la résignation et la compromission. Augusto lui a transmis son sentiment d’unicité, cette attitude puérile à se croire singulier, à s’imaginer que sa propre vie est irremplaçable et qu’elle n’a jamais été vécue avant par personne. Si j’existe c’est parce que je dois ajouter ma petite touche au monde, même si elle n’est qu’une bizarre manière de porter un chapeau. Le conformisme sous toutes ses formes le déprimait autant qu’Augusto, il avait l’impression que c’était gâcher les dons reçus, enfouir les talents de la parabole. Jésus ou un de ses sbires pouvait un matin lui demander : qu’as-tu fait de tes idées, de tes caprices, de ton chapeau ? Tes désirs, où les as-tu enterrés ? Et en cela, je crois, ils étaient voués aux tourments, car chaque acte, chaque pensée devaient faire partie d’un grand roman, et la fin des romans est rarement enjouée. En vérité, ils n’étaient jamais en paix. »
Révolté contre toutes formes d’injustices, Pietro deviendra communiste.
« Quiconque croit avoir raison n’a pas encore compris que l’erreur est l’apanage de tous les hommes, marmonnait-il en souriant. […]
Car pour Augusto rien n’avait de sens, la vie roule, fait du bruit, de la poussière, s’acharne sans raison comme un marteau sur la pierre, la vie est juste une courte pantomime dont il faut rire sans trop de retenue. Pour Vapore le magicien, tout n’était que de la fumée. Mais pourquoi tu ne crois pas comme moi au marxisme, papa, pourquoi tu ne partages pas la peine des opprimés, des exploités, le mépris pour ceux qui tiennent toujours le couteau du côté du manche ? »

« Tu es bon, généreux, tu crois en la justice et trembles pour l’injustice, tu te bats pour que dans ce théâtre on joue une autre musique, où le bien triomphe et les salauds bouffent la poussière et leurs ignominies. Mais cela reste un petit théâtre, mon Pietro, une supercherie qu’il ne faut pas trop prendre au sérieux : à la fin le rideau tombe et quand il se rouvre on recommence la même fable avec d’autres acteurs qui déclament, se lamentent et espèrent, et puis par ici la sortie, au suivant. La vie ne doit pas trop nous demander, elle n’a pas le droit d’exiger qu’on croie absolument en elle pour finalement nous tourner le dos à jamais. Le monde n’est pas un lieu qui convient aux êtres humains, nous sommes dedans rêvant éternellement à autre chose, et autre chose n’existe pas. Dans ce cas, jouons notre infime partition du mieux que nous le pouvons, sans prétendre à rien, sans rancœur, Pietro, sans nulle rancœur, avant la dernière révérence et chapeau bas. »

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Message par Laurentides Dim 17 Mar - 18:01

Quelques mots après la lecture de la trilogie Les Promesses.

C'est étrange d'être hanté discrètement et continûment par un texte au fil des jours. Des voix éparses, des images tremblées, des impressions fugaces, des questions murmurées, toute une musique insistante comme vaporisée en soi...

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Message par Tristram Dim 17 Mar - 22:05

Oui, la quête métaphysique de sens est patente dans ces œuvres !

_________________
« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
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Message par Bédoulène Lun 18 Mar - 11:11

l'intérêt pour ceux qui sont oubliés, maltraités, incompris ; les aider, voire les aimer alors il y a les "anges"

_________________
“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia



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