Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Sam 27 Avr 2024 - 14:08

123 résultats trouvés pour fantastique

Franz Hellens

Herbes méchantes et autres contes insolites

Tag fantastique sur Des Choses à lire Herbes10

Quinze nouvelles, parfois originales par le thème, toujours écrites dans un français châtié.
Incipit du bref texte éponyme, où les morts préfèrent à un écrasant tombeau la végétation de la fosse commune :
« Il n’y a ni bêtes méchantes ni herbes méchantes ; il n’y a que méchantes gens, méchants yeux, méchantes langues, humaine méchanceté, d’un pôle à l’autre.
La société végétale n’est mal faite qu’à l’égard et à l’égal de l’homme. Comment une herbe poussant en terre pourrait-elle être méchante ? Parce qu’elle dérange l’ordre du parterre, un ordre dont elle n’a aucune idée ? Son ordre à elle est de vivre dans l’ordre de la nature, que l’homme civilisé veut ignorer. L’ordre du parterre, c’est la loi du sécateur, la tyrannie du tuteur, pour le plaisir de l’œil humain, la satisfaction de sa vanité. Ainsi le troupeau s’aligne, mordu à l’oreille par le chien de garde. Le rosier est le chien de garde du jardin, qui n’a pas encore trouvé sa proie à déchirer de ses épines. »


\Mots-clés : #fantastique #nouvelle
par Tristram
le Ven 9 Fév 2024 - 11:33
 
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Sujet: Franz Hellens
Réponses: 5
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Leo Perutz

Le Miracle du manguier – Une histoire invraisemblable

Tag fantastique sur Des Choses à lire Le_mir10

Le Dr Kircheisen, toxicologue, est appelé par le baron Vogh au chevet de son jardinier indien, Ulam Singh, empoisonné par un serpent, le « tik paluga » (on trouve le tic palanga chez Littré). « Le baron fou », champion d’alpinisme, se révèle être un vieillard perclus d’artériosclérose ; sa fille, Gretl, conserve « la tendre ingénuité d’une âme d’enfant », et le docteur en est séduit.
Ils affrontent trois autres tik paluga dans la jungle indienne autour d’un manguier dans la serre tropicale du baron, qui presse le médecin d’utiliser le sérum Karasin, son invention, qui rendrait une heure de conscience au malade avant qu’il n’en meure.
Le baron et sa fille retrouvent leur forme première, lui jeune et elle enfant. Ulam Singh était un sadhu capable de faire croître et vieillir en une seule nuit une plante ou un animal.
« — En Inde, dans la ville d’Allahabad, fit soudain le baron, on m’a servi à déjeuner des cailles qui avaient quatre semaines et qui pourtant avaient vu plusieurs centaines de fois se lever et se coucher le soleil. Elles avaient la chair tendre des jeunes bêtes, bien qu’elles fussent très vieilles et engraissées par l’âge…
— Comment est-ce possible ? demanda le Dr Kircheisen.
— Les cailles se nourrissent toujours à un moment précis de la journée, au lever du soleil. Les Indiens tirent parti de cette caractéristique. Ils enferment dans une cave sombre les cailles qui doivent être engraissées. Lorsqu’on ouvre les portes et que la lumière du jour pénètre dans la cave, les stupides bêtes croient que c’est le matin et se mettent à carcailler et à manger. Au début, on répète l’opération deux fois par jour, ensuite plus souvent et pour finir presque chaque heure. De cette manière, les cailles vieillissent et engraissent prématurément. Elles croient avoir vécu leur temps lorsqu’elles sentent le couteau de cuisine sur leur gorge et se laissent faire, contentes de leur sort. Quel sens cela aurait-il de se demander, pour ces volatiles, quand exactement ils sont sortis de leur coquille ? Ils ne savent pas si, entre le lever et le coucher du soleil, toute une journée ou un simple intervalle de quelques minutes s’est écoulé. »

Un fantastique qui ramentoit Raymond Roussel, Maurice Leblanc et consorts, avec cette attraction pour le monde exotique découvert à l’époque (livre paru en 1916), ici l’Inde.

\Mots-clés : #fantastique
par Tristram
le Mar 16 Jan 2024 - 10:17
 
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Sujet: Leo Perutz
Réponses: 27
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Michel de Ghelderode

Sortilèges et autres contes crépusculaires

Tag fantastique sur Des Choses à lire Sortil10

L'Écrivain public
Le narrateur visite la figure de cire de Pilatus, écrivain public qui pratique la « Discrétion d’honneur » (j’entends qu’il se flatte sur son honneur de ne rien divulguer des confidences qu’il ne livre qu’au papier). Il lui confie ses tristes souvenirs, lui parlant et bientôt par la pensée. Puis tous deux souffrent de la chaleur estivale, lui reclus dans sa chambre, et le mannequin à l’ombre. Le gardien du béguinage lui apprend qu’il n’a cessé de visiter les lieux, écrivant à la place de ce dernier.

Le Diable à Londres
Une rencontre, dans l’ennui de l’immonde Londres, du diable en prestidigitateur méphistophélique.
« La vie des autres ne m’intéresse pas et je présume que la mienne ne doit intéresser personne. C’est pourquoi j’évitais de me lier avec mon semblable, ce qui n’est pas difficile en terre anglaise. »

Le Jardin malade
Le narrateur s’installe avec son chien au rez-de-chaussée d’une vieille bâtisse, déjà habitée à l’étage par une discrète dame en gris. Son logis est imprégné d’une odeur de moisi médicamenteux et donne sur un jardin à la fois luxuriant et maladif. C’est l’emplacement d’un ancien cimetière conventuel, où vit un démoniaque chat cadavéreux. Celui-ci surveille une petite fille monstrueuse, à cause de laquelle lui et le chien s’affrontent.

L'Amateur de reliques
Joute avec un antiquaire à propos d’un ciboire profané.

Rhotomago
« Parmi les objets bizarres, inusités, qui encombrent ma chambre, se voit un assez joli bocal ancien, en verre de Bohême, empli d’une eau émeraudine et dont l’ouverture est couverte d’un parchemin. Il contient une sorte de menaçant insecte tout en griffes et antennes, de verre aussi et d’un rouge brillant. À le regarder de plus près, on remarque qu’en cet insecte se précise une forme humaine, à laquelle les antennes et les griffes confèrent un aspect diabolique. Le bocal contient un petit diable. Et pour que nul n’en ignore, une main a tracé jadis d’une encre décolorée l’état civil et la profession du ci-devant diable, sur le parchemin qui l’emprisonne : Je m’appelle Rhotomago, je monte, je descends et je dis l’avenir de Madame !… »

Ce diabolique ludion trouvera son maître, sur un mode facétieux.

Sortilèges
Dédiée à Ensor, cette nouvelle raconte l’arrivée d’un narrateur névrotique à l’abord d’une ville au bord de la mer (apparemment Ostende) en temps de carnaval. Ayant réchappé à son suicide grâce à un « apparu », il fuit les sortilèges des masques-méduses à l’issue de leur débauche.

Voler la mort
« La Mort vient comme un voleur ! »

Ou comment l’amitié vraie peut se révéler au seuil de la mort qui veut vous enlever.

Nuestra señora de la Soledad
Éloge presque mystique de la solitude.

Brouillard
Un narrateur accoutumé à s’entendre appeler par son nom subit une fébrile hallucination par une nuit de brouillard. Une personne qu’il avait décidée morte il y a vingt ans l’est effectivement devenue.

Un crépuscule
« …] un ciel bizarre, en creux, d’une fantaisie préhistorique, et fait d’une accumulation de grottes gazeuses. Et la lumière, une froide et baveuse lumière à couper au couteau, bouillonnait de ces poches nuageuses ; une lumière de teinte vénéneuse lentement éjaculée… Cela me parut l’invention d’un peintre fou ou possédé. La découverte de ce ciel catastrophique réveilla mon oppression en même temps que le sentiment de l’imminent malheur qui menaçait la Terre et l’espèce pullullant sur ses croûtes. Je ne pouvais me résoudre à y voir un crépuscule à son instant critique, un orgasme lumineux. Mon esprit autant que mon regard récusait ce ciel impossible, parce qu’il réverbérait par inversion les entrailles du globe et ses abominables flux, et encore, si j’ose écrire, parce que ce phénomène météorique m’apparaissait comme une monstrueuse erreur de la nature… Et je cachai mes yeux irrités. »

Le narrateur se réfugie dans une église, sans doute Saint-Nicolas de Bruxelles, qui s’enfonce dans le sol. Puis elle resurgit.
« Le monde ne finissait pas ; le monde odorait charnellement, après le déluge. Et j’allai avec les troupeaux chantants et si fatalement beaux, sous les projecteurs lunaires, déporté vers les abattoirs cruels, où sont sacrifiées les bêtes, dont le sang coule à torrents pour apaiser, on ne sait, la colère des dieux, ou la faim des hommes… »

Tu fus pendu
Jef, le patron de l’auberge La Petite Potence, est aussi antiquaire, et possède une pie parlante.
« En sa présence et dans sa maison, j’oubliais le Temps, ce Temps qu’il méprisait et ignorait, car céans, les horloges marquaient des heures folles ou s’arrêtaient sans motif. »

Dans un vocabulaire très riche, j’ai découvert le terme de « mauclair », apparemment la pièce de bois rapportée qui vient couvrir le joint formé par deux vantaux en masquant le système de fermeture (mot usité dans les Flandres).

L'Odeur du sapin
Un acariâtre asthmatique vit seul avec sa « meskenne » (peut-être une déformation de l’ancien français "meschine", pour une domestique), gentiment appelée Péché Mortel. Il reçoit la visite d’un puant nautonier à l’œil de poisson, et ils jouent une inéluctable partie d’échecs.
« Bois prédestiné, monsieur. Le sapin, si humble, dont on fait des planches de cercueil et des planches d’échiquier – deux objets qui vous mettent en contact avec l’infini… »

Le style de ces contes d’horreur et d’humour m’a ramentu Barbey d’Aurevilly, bien sûr Jean Ray, voire Bruno Schulz et ses mannequins, mais aussi l’angoisse de Maupassant.

\Mots-clés : #fantastique #nouvelle
par Tristram
le Dim 7 Jan 2024 - 10:26
 
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André Pieyre de Mandiargues

Soleil des loups– Récits érotiques et fantastiques

Tag fantastique sur Des Choses à lire Soleil10

Recueil de cinq nouvelles, L’archéologue, Clorinde, Le pain rouge, L’étudiante, L’opéra des falaises et La vision capitale, du genre fantastique, empreints d’érotisme (et d’onirisme). Le second et le troisième sont des variations à la Gulliver.
Laborieuse préciosité qui a perdu de son charme pour moi :
« Les livres vieux sont à qui vraiment les aime une métropole sévère et bariolée que le désir boursoufle en maints délicieux couloirs fleurant, ainsi que de vénitiennes mercerie, le cuir de mouton et la cire dont on frotte les peaux, mais où se perdra tout de suite le connaisseur, malgré l’érudition qui guide sa quête, ou peut-être précisément à cause de celle-là, s’il se hasarde entre les sombres parois bâties de maroquin à nerfs d’un pont des soupirs qui ne mène qu’aux nécropoles hantées des jésuites ; et pourtant je sais qu’il est aussi des rialtos de vélin dentelé d’or qui ouvrent derrière leurs gardes de papier vert pomme un jardin féerique où librement escaladent le ciel les plus audacieux balcons d’où se pencha jamais un visage humain. »

« Il se fait, même à l’intérieur des bassins, un clapotis qui pousse au-dessus de la surface une quantité de petites langues d’eau, comme des palmettes grises, dont la pointe s’effrange en sel tout de suite plaqué sur la façade des caboulots riverains où il attaque la peinture et sur le visage des passants qu’il givre à la cime du poil. Les fers anciens et les chaînes du pont tournant s’engrènent avec des cris de perroquets ; perpétuellement aussi grince quelque drague à rejeter la vase envahissante, et c’est une odeur d’huître morte que d’un soudain coup de pelle l’engin rouillé vous fourre jusqu’au fond de la gorge. »


\Mots-clés : #fantastique #nouvelle #reve
par Tristram
le Mer 15 Nov 2023 - 11:26
 
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Sujet: André Pieyre de Mandiargues
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Franz Hellens

Mélusine ou la robe de saphir

Tag fantastique sur Des Choses à lire Mzolus10

Le narrateur accompagne Mélusine en Afrique (en fait il la suit, car elle est toujours devant), et la première péripétie de leur pérégrination est la découverte d’une cathédrale dans le désert, qu’ils tentent vainement d’escalader.
« Elle porte une robe bleue, d'une seule pièce, taillée dans le saphir et dont la forme simple flotte et s'allonge avec des plis ciselés. Sa tête brune oscille sur un cou souple, ses bras sont deux clartés de marbre qui ondulent et, comme toujours, elle est heureuse de marcher, car elle est la lumière et le mouvement. »

Beaucoup de renvois ou au moins de rapprochements s’effectuant dans la sphère artistique ; ainsi, évocation d’un tableau de Modigliani ?
« À terre, dans un tub à bord roulé, une femme prenait son bain. Son corps jaune et luisant était composé de pièces cimentées. Sur les épaules rondes et trapues la tête était figurée par un simple ovale incliné, dont l'équilibre, doublé par celui de l'image réfléchie dans le bassin, semblait tenir à cet appareil de forces symétriques. Au nid de l'aisselle du bras qu'elle tenait replié, le sein était marqué par un cône souligné d'un trait noir ; l'autre bras, relevé, soutenait le casque d'une pesante chevelure où la main semblait prise. Comme la baigneuse posait un genou dans l'eau, le ventre bombait entre le torse et la cuisse son hémisphère, où l'œil creux du nombril semblait rêver.
Surprise par notre entrée, comme Suzanne au bain, elle ne bougeait pas. Pourtant elle ne paraissait nullement embarrassée ; bien qu'ils fussent absents du visage, je me figurais ses grands yeux en amandes qui nous regardaient sans cligner, son nez taillé en triangle et ses lèvres d'une finesse aristocratique idéale. S'il s'était dressé soudain, le corps apparemment inerte se serait grandi jusqu'au plafond et ses rondeurs puissantes comme par miracle se seraient assouplies dans la plus parfaite harmonie. »

Une curieuse scène de mécanique, où des humains imitent des machines, leurs « maîtres » :
« Plus on avançait vers le fond de la salle et plus la vitesse des machines s'accélérait. Les bielles tournaient avec une feinte maladresse dont la reproduction exacte accusait bientôt une étonnante sûreté. Des cylindres métalliques, des cubes, des sphères et des losanges s'élevaient, avançaient, s'arrêtaient tout d'un coup, retombaient morcelés, s'enchevêtraient sans se troubler, formant un dessin mille fois rompu et renoué, d'une harmonie indestructible, sans cesse renouvelée. Chaque machine figurait en même temps le nombre et l'unité. Leurs formes nettement découpées offraient des rondeurs et des aspérités qui s'emboîtaient dans une rumeur de chocs et de murmures. »

Entr’autres influences (telle celle d’Hoffmann et ses chats), il m’a semblé reconnaître une image de Poe :
« Mais je n'apercevais que les plis des murs inconsistants. »

Le monde moderne est présent avec la technique (assez futuriste pour l’époque), et le narrateur (plutôt gauche, et jaloux des personnages qu’ils rencontrent – Nilrem, Locharlochi, Torpied-Mada, qui sont peut-être de connivence, ou le même ingénieur qui subtilisa la robe de Mélusine pour en faire le saphir au chaton de sa bague) se montre plus terre-à-terre et rationnel que Mélusine, mouvement et lumière, vertige et caprice, qui le lui reproche (et se détache progressivement de lui).
« Le bourdonnement de la ville, comme d'une scie mécanique se déroulant sous nos fenêtres, parvenait jusqu'à nous. Une abeille qui entrait le couvrit un moment tout entier. »

Le narrateur projette un Comité de la cathédrale afin de l’étudier, mais Mélusine le dissout ; de même, sa tentative de recouvrer le saphir avec l’aide du détective Œil-de-Dieu échoue grotesquement.
« Mon rêve est comme une pelote de velours où viennent se planter les impressions de la route. »

Le bain de Mélusine, qui semble y trouver sa nature de sirène :
« La salle s'enfermait dans une intimité étroite. Un paradis en cube, isolé du monde, cadenassé de volupté. Le nu y régnait comme un marbre portant des fruits mûrs. Je regardai les seins mouillés de Mélusine, ses épaules émergeant des cheveux répandus, les courbes tendres de ses bras. À hauteur de ceinture, la surface de l'eau partageait son corps blanc. On l'eût dit tranché par une fine lame de verre séparant deux fractions divergentes ; car, si le haut du corps s'affirmait en masses définies et sûres, les jambes et le ventre au contraire avaient l'air de s'évanouir, entraînées par l'eau vague.
Au plafond, les gouttes durcies ressemblaient à des clous de cristal. Le torse de Mélusine pivotait sur sa base instable, on pouvait toucher la chair, mais les cuisses et le ventre demeuraient la part du liquide. Seules s'animaient les mains librement et commandaient à l'eau. »

Onirique et surréaliste (j’ai songé à la Nadja de Breton), cette fantasmagorie où surgissent nombre de spectacles (cirque, fête foraine, etc.) m’a ramentu Raymond Roussel, qui l’a peut-être inspirée. Cela m’a aussi évoqué Jacques Abeille, et bien d’autres auteurs de la veine de l’enchantement merveilleux, même si son rendu fabuleux renouvelle la légende de façon originale.

\Mots-clés : #aventure #fantastique #reve
par Tristram
le Sam 11 Nov 2023 - 12:03
 
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Sujet: Franz Hellens
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Edgar Allan Poe

Derniers Contes

Tag fantastique sur Des Choses à lire Dernie10

Ces contes sont traduits par Félix Rabbe, à la suite de ceux qui l’ont été par Baudelaire.
Le duc de l'Omelette
Mort d’un ortolan mal préparé, le duc affronte sa Majesté « Baal-Zebub, prince de la Mouche ».

Le mille et deuxième conte de Schéhérazade
Graciée, Schéhérazade poursuit avec un nouveau conte sur les aventures de Sinbad le marin, prodiges inspirés de merveilles découvertes par la science (de l’époque de Poe), curiosités naturelles, mythiques ou scientifiques il est vrai souvent bizarres ; le sultan les considère comme d’ineptes mensonges, et la fait étrangler.

Mellonta Tauta
Le 1 avril 2848, la passagère d’un dirigeable au long cours évoque les errances de ses savants ancêtres avec une vue défaillante de l’Histoire passée. Ainsi, les Américains sont devenus les Amriccans, et Bacon, Hogg :
« Le mot Baconienne, vous devez le savoir, fut un adjectif inventé comme équivalent à Hoggienne, comme plus euphonique et plus noble. »

Cette histoire loufoque est en rapport avec l’essai cosmogonique Eureka.

Comment s'écrit un article à la Blackwood
Satire d’un magazine de ce nom, sous forme de conseils didactiques et cocasses sur comment rédiger un article à sensation qui soit suffisamment abscons, érudit d’apparence, et farci de citations en langues étrangères, suivi d’un exemple parodique bourré de contresens.

La filouterie considérée comme science exacte
Quelques exemples pleins d’habileté et d’humour.

L'homme d'affaires
Ou l’ordre et la méthode versus le génie, une démonstration de petites escroqueries bouffonnes.

L'ensevelissement prématuré
Témoignage d’épouvante d’un narrateur sujet à la catalepsie.

Bon-Bon
Pierre Bon-Bon était un restaurateur et métaphysicien rouennais qui fut visité par le diable, lequel refusa son âme.

La Cryptographie
Petite présentation de la cryptographie, une des passions de Poe, qui en fit une démonstration dans Le Scarabée d'or.

Du principe poétique
Essai sur la poésie, qui d’entrée pointe cette particularité qui m’a paru pertinente : un poème ne peut être que relativement bref, afin de maintenir son effet. Par contre, sa vue dépréciative « qu'un poème peut pécher par excès de brièveté » m’a parue erronée. Sinon, d’un florilège d’auteurs de langue anglaise, ce que retire surtout Poe, c’est que la poésie est élévation. À noter aussi son attention toute baudelairienne aux senteurs.

Quelques secrets de la prison du magazine
Du sort des auteurs subsistant difficilement, sous la coupe des éditeurs et rédacteurs de magazines.

Souvent dans la veine des Histoires grotesques et sérieuses mais pas que, ces textes disparates m’ont paru dans l’ensemble assez mineurs ; mais ils attestent des différents sujets et genres abordés par Poe, et surtout de l’aspect novateur de son œuvre (érudition scientifique, science-fiction, humour, épouvante, poésie, etc.).

\Mots-clés : #fantastique #nouvelle #xixesiecle
par Tristram
le Dim 24 Sep 2023 - 12:28
 
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Guy Vaes

Octobre long dimanche

Tag fantastique sur Des Choses à lire Octobr10

Le jeune Laurent Cartenas, qui a perdu Régine Cœursévère, revient à Vagrèze où son oncle est mort ; il y retrouve Irène, son amante de jardinier du domaine.
« Là, sur le mur du fond, entre un porte-manteau de bois de cerf et un baromètre à flèche d’or, un miroir s’arrondissait. Un petit miroir à cadre d’ivoire dont la réflexion avait beaucoup diminué. On y distinguait néanmoins une perspective repliée comme les ailes d’un oiseau. »

« N’avait-il pas consenti depuis toujours à sa plus secrète aspiration : se fondre dans une connaissance sensuelle du monde qui, en réalité, ne serait qu’une forme consciente du sommeil ? »

Après cette première partie, dans la seconde, beaucoup plus développée, Laurent est montré dans son existence de secrétaire dans une agence de publicité, en relation avec ses amis Géo et Régis, et son amie Jessica. Ceux-ci se détournent de plus en plus de lui, qui apparemment disparaît de leur vie, devenant un « mort-vivant ».
« Mais était-il encore temps de se guérir de sa plus vieille manie : celle de se regarder vivre et d’y prendre plaisir ? »

Laurent perd son emploi (et son logement), puis, attiré par Régine, « l’Égyptienne », s’inscrit au cours d’anglais qu’elle suit à l’institut Vercel.
« Un jour, cependant, l’habitude diluerait ce profil, ou bien le dégoût d’un bonheur rectiligne ; alors le jeune homme se demanda si, même à supposer que Régine devînt sa maîtresse, il ne valait pas mieux s’accoutumer dès ce soir à l’idée de la perdre. »

Outre de telles observations psychologiques, le récit accumule les allusions au genre fantastique, s’autoréférençant.
« Peut-être a-t-il été enlevé à ce monde par une mort qui ne vous conduit pas au cimetière ? »

L’illustration de couverture de la première édition, chez Passé Présent, reprend ce passage du chapitre II, V :
« Vers le milieu de la rue, sur le trottoir où marchait Laurent, se dressait une étroite façade de couleur gingembre, dont la peinture écaillée imitait les érosions lunaires ; un balcon de bois vert, surmonté d’une crête de fer forgé, y dessinait une proue de caravelle qui émergeait d’une eau verticale. »

Régine (qui méprise le fantastique, parle de « fable » et résiste à Laurent) :
« Le soir, nous dinions en tête-à-tête au salon, puis nous allions nous balader dans le jardin. Mon fiancé était un affreux bourgeois, il adorait une existence où l’aujourd’hui confirme la veille. »

Laurent évoque l’auteur Randolf Agee, et a des velléités d’écriture ; puis il rencontre Peterssen, un maquettiste, à Évreuze, sa (fictive) ville d’origine.
« À chaque nouvelle plongée dans son passé, celui-ci modifiait sa physionomie ; aussi ce temps mort offrait-il les mêmes propriétés que l’avenir : il devenait malléable en se décomposant. »

Peterssen (avec qui Laurent se découvre des affinités) :
« Je ne puis me persuader que mourir se fasse sans notre consentement. »

Laurent, qui emménage dans un nouvel appartement, s’est écarté de Régine.
« Mais, pour l’instant, il s’était fermé à tout contact extérieur, comme s’il craignait qu’en prenant congé de soi l’on eût dérobé sa phrase, son obsédante petite phrase. Car la découverte de celle-ci ne contenait pas seulement un arrêt de mort : elle sous-entendait qu’il n’avait pas seulement perdu de sa logique, qu’il était conscient du mécanisme de son destin et pourrait, à condition de se montrer énergique, naviguer peut-être à contre-courant. Maigre garantie de lucidité, sans doute, mais dont il n’eût voulu se débarrasser sous aucun prétexte. »

Sa nouvelle voisine, Frédérique Jussiaux, qui a un rapport ambivalent avec le Christ :
« Elle désigna le crucifix. Écrasé contre le mur, il caricaturait une libellule aux ailes racornies, un dieu-insecte attentif à ne pas bouger. Il devait être le seul objet au monde que le regard de la femme atteignît d’emblée, sans que rien ne s’interposât entre elle et lui. L’invisible point de mire, était-ce le thaumaturge décharné ? »

« Avez-vous déjà songé que la conscience pouvait s’éveiller dans un objet, à l’improviste ? […] Je veux dire, reprit-elle en épousant avec prudence ce qu’elle entrevoyait, je veux dire que la matière qu’on emploie pour créer un objet demeure étrangère à sa forme. C’est un morceau de nature supplicié. Le meuble qui s’use, perd son vernis et se démantèle, redevient bois, fragment d’arbre mort. Ainsi en va-t-il pour chaque objet, ainsi retourne-t-il à ses origines. »

Régine s’est noyée, et Laurent part à Vagrèze pour faire valoir ses droits à l’héritage, comme débute la brève troisième partie.
« Octobre verrait le premier anniversaire de sa vie de jeune mort. »

Là Laurent se trouve sous l’emprise des réminiscences du jardinier disparu, Hugo, qu’il remplace auprès de la servante, Irène. Toujours passif, il oscille de plus en plus entre angoisse et complaisance.
« Car n’était-il pas vécu plus qu’il ne vivait ? »

Claude, son cousin qui hérite du domaine :
« La ressemblance des jours ne lui garantissait-elle pas une éternité à mesure d’homme, un temps si long que l’angoisse de mourir devenait anachronique ? »

Entre introspection existentielle sur l’échec personnel et réalisme magique ou inquiétante étrangeté, c’est avec un style châtié que Guy Vaes nous immerge dans cette histoire orphique. Dürrenmatt, Julien Green et Henry James me sont venus à l’esprit au cours de cette lecture.

\Mots-clés : #fantastique #mort
par Tristram
le Dim 30 Juil 2023 - 12:45
 
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Sujet: Guy Vaes
Réponses: 6
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Matthew Gregory Lewis

Le Moine

Tag fantastique sur Des Choses à lire Le-moi10

M.G. Lewis a rédigé ce premier roman à l’âge de 21 ans, en 1796.. Roman qui a rapidement trouvé son public et reste le plus connu de l’auteur.
L’action se passe en Espagne, plus précisément à Madrid, où le Capucin Ambrosio enflamme les fidèles par la qualité et la fougue de ses sermons. Ambrosio, le parfait, le saint, l’exemple de la ville s’avère être un prétentieux rigoriste que le jeune Rosario alias Mathilde va mener peu à peu à la débauche et au crime. Deux couples contrariés accompagnent le déroulement du récit qui associent retrouvailles, coïncidences comme c’est souvent le cas dans la littérature de l’époque. On peut penser à La Religieuse de Diderot pour la critique virulente du monde monastique, en particulier féminin où l’on enferme les jeunes filles mais Lewis y introduit le satanisme, le goût macabre des cimetières, les histoires sentimentales, ce qui en fait un des symboles du roman gothique anglais.
Un roman qui se lit avec plaisir. Il m'a été difficile de lâcher le livre que j'avais découvert il y déjà bien longtemps. Aucun cynisme et même une morale humaniste adressée à la supérieure du monastère qui a condamné Agnès enceinte à mourir à petits feux :

« Madame, être indulgente pour la conduite d’autrui, n’est pas une vertu moindre que d’être sévère avec la vôtre.


Naïveté, sincérité ou volonté de contourner la censure avec laquelle l’auteur a dû transiger pour sa deuxième édition. Il est difficile de trancher.


\Mots-clés : #fantastique #religion
par Pinky
le Mer 26 Juil 2023 - 16:24
 
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Sujet: Matthew Gregory Lewis
Réponses: 2
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Amos Tutuola

L'ivrogne dans la brousse

Tag fantastique sur Des Choses à lire Tutuola

Le malafoutier (récolteur de vin de palme, qui incise le haut du palmier pour recueillir la sève) de Père-Des-Dieux-Qui-Peut-Tout-Faire-En-Ce-Monde, le narrateur, est mort dans une chute, et son employeur part à sa recherche, car il a besoin de ses services. Il voyage dans la brousse, de villes en villages, et nous raconte les péripéties de ses pérégrinations. Dans ce conte, il capture la Mort au filet, trouve femme en la sauvant du « gentleman complet » (un crâne qui emprunte des membres pour aller au marché dans un beau corps), etc., dans un monde rempli d’esprits et de métamorphoses, chez les « êtres étranges ».
« Ces êtres mystérieux ne font rien comme les autres, par exemple, comme nous l’avons vu, si quelqu’un d’entre eux veut grimper à un arbre, il commence d’abord par grimper à l’échelle avant de la poser contre cet arbre ; mieux, il y a un terrain plat à côté de leur ville, mais ils ont construit leurs maisons sur les pentes d’une colline abrupte, alors toutes les maisons penchent de côté comme si elles allaient tomber, et leurs enfants dégringolent tout le temps des maisons, mais les parents ne s’en soucient pas autrement ; aucun d’entre eux ne se lave jamais, mais ils lavent leurs animaux domestiques ; eux-mêmes, ils s’habillent de feuilles, mais ils ont des vêtements somptueux pour leurs animaux domestiques, et ils leur coupent les ongles, mais leurs ongles à eux, ils les coupent une fois tous les cent ans, et même nous en voyons beaucoup qui couchent sur le toit de leurs maisons, et ils disent qu’ils ne peuvent utiliser les maisons qu’ils ont construites de leurs mains autrement qu’en dormant dessus. »

L’humour est omniprésent (lui et sa femme font « personnellement connaissance de Rire »), et le héros féticheur père des dieux est souvent dans de mauvaises postures pleines d’autodérision. Ce comique bon-enfant contribue à l’aspect à la fois onirique et familier du récit (la traduction de Raymond Queneau y est peut-être aussi pour quelque chose).
« Ainsi nous pouvons aller à travers cette forêt aussi loin que nous le pouvons. »

« Après ça, je me mets à lui ouvrir l’estomac avec mon couteau, puis nous sortons de son estomac avec nos bagages, etc. Et voilà comment nous avons été délivrés de l’Affamé, mais je ne pourrais le décrire complètement ici, parce qu’il était quatre heures du matin et, à cette heure-là, on n’y voit pas très clair. Bref, nous le quittons sains et saufs et nous en remercions Dieu. »

C’est aussi une sorte de chronique traditionnelle du passé (légendaire),
« Il y avait toutes sortes de créatures étonnantes dans le vieux temps. »

… une épopée qui rappellerait l’Odyssée et les travaux d’Hercule, mais aussi Rabelais (notamment le Quart Livre), tout un imaginaire collectif (peut-être à rattacher à l’analogisme selon Descola, et/ou à notre Moyen Âge), sans que je connaisse la part d’inspiration de notre culture dans ce livre.
« Tout nous avait bien plu dans cette Île-Spectre et nous nous y trouvions très bien, mais il nous restait encore bien des travaux à accomplir. »

L’aspect enseignement allégorique de la fable n’est pas absent (les amis qui se détournent quand il n’a plus rien à offrir), ni celui du mythe initiatique et sacrificiel (cf. l’histoire des « Rouges »). Sans vouloir évoquer des allusions ésotériques, il est certain que nombre de références yoruba doivent nous échapper (qu’en est-il ainsi de « marcher à reculons », qui est récurrent ?).
« Trois êtres bienveillants nous délivrent de nos ennuis. Ce sont : tambour, chant et danse »

J’ai eu le grand plaisir de retrouver la verve populaire truculente caractéristique de l’Afrique centrale et occidentale, trop absente de ses romans.
« D’abord, avant d’entrer dans l’arbre blanc, nous « vendons notre mort » à quelqu’un qui se trouvait à la porte, pour le prix de 7 925 francs, et nous « louons notre peur » à quelqu’un qui se trouvait aussi à la porte avec un intérêt de 3 500 F par mois, comme ça nous n’avions plus à nous soucier de la mort et nous n’avions plus désormais peur de rien. »

On retrouve les éléments typiques de ces sociétés : palabres, gris-gris, famine. Autre particularité distinctive, la familiarité avec la mort, qui n’est pas une fin :
« Alors il nous demande si, en arrivant là, nous étions encore vivants ou morts. Nous lui répondons que nous étions toujours vivants et que nous n’étions pas des morts. »

« Moi-même, je savais bien que les morts ne peuvent vivre avec les vivants, j’avais observé leurs façons et elles ne correspondaient pas du tout aux nôtres. »

Cela m’a ramentu Juan Rulfo, et il me semble qu’il y a une vision proche du réalisme magique chez Tutuola.
Les tribulations du couple en route vers « la mystérieuse Ville-des-Morts » où se trouve le malafoutier donnent lieu à des séjours prolongés dans certains lieux, et encore plus de rencontres étonnantes, comme « le Valet-Invisible ou Donnant-Donnant », « chef de tous les êtres de la Brousse ».
La légèreté de ton est marquante, comme avec ce fardeau qui se révèlera être ce qu’il paraît :
« En le mettant sur ma tête, je trouve que c’était exactement comme le cadavre d’un homme, il était très lourd, mais je pouvais le porter facilement. »

Voilà qui donne grande envie d’en connaître plus sur cette culture que je n’ai pu qu’effleurer.
« Et ainsi toutes nos épreuves, tous nos ennuis et de nombreuses années de voyage n’avaient rapporté qu’un œuf, c’est-à-dire aboutissaient à un œuf. »


\Mots-clés : #aventure #contemythe #fantastique #humour #mort #voyage
par Tristram
le Lun 22 Mai 2023 - 12:19
 
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Sujet: Amos Tutuola
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Corinne Morel Darleux

La sauvagière

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La narratrice raconte comme elle fut cuisinière dans une brasserie, puis réceptionniste dans un hôtel.
« L’hôtel, comme la brasserie, formait une voie de délestage sur laquelle les clients pouvaient se décharger de toutes les nécessités matérielles du quotidien. Cuisiner, faire les courses, la vaisselle, ranger, nettoyer… nous étions leur délivrance ; nous étions leur domesticité. »

« Petit à petit, j’avais simplifié ma vie, réduit mes possessions et rendu superficielles toutes mes relations. Je voulais me détacher, que personne ne dépende de moi et ne plus rendre de compte à qui que ce soit. »

Elle est excédée par le bruit, la ville, la société.
« L’infinie litanie des gestes quotidiens m’obsédait. »

Puis, fuyant cette société abusive, elle a un accident de moto – et se réveille dans une étrange sauvagière (c’est le lieu où l’on se retire, à l’écart dans la nature ; Bosco l’évoque dans Le Mas Théotime, début du chapitre XII). Stella et Jeanne l’y soignent comme dans un cocon, puis elle participe aux travaux de culture pour subvenir à leurs besoins, au rythme des saisons et en communion avec la nature, en pleine autarcie dans cette maison forestière d’un vallon de montagne. Des bestioles imperceptibles habitent avec elles. Stella a une « crise clastique », puis disparaît. La narratrice reçoit des messages par flashs d’un mystérieux « messager » ; puis elle surprend Jeanne « en plein mulotage » : bondir sur une proie et la mordre, comme un renard ; à son tour, la chasseresse rousse ne revient pas.
Restée seule, elle vit une « fugue de l’esprit » :
« Je ne contrôlais pas vraiment mes déplacements aériens. Je me laissais guider par les émotions que je percevais, fuyant les effrois et recherchant la joie. J’en trouvai la forme la plus accomplie dans la chaleur de cinq petites lueurs orangées, blotties les unes contre les autres. Elles étaient si délicates que j’avais failli passer à côté. Profondément assoupies, elles n’étaient traversées que de légers frémissements qu’on ne sentait dictés par aucun conflit, aucune fuite à anticiper. On sentait là une disposition à l’effacement des signes même de la vie. J’attribuai cet abandon du souffle et du cœur à une tribu de loirs ou de marmottons en profonde léthargie. Et j’eus soudain désespérément envie de les rejoindre et d’éprouver le doux sentiment d’un collectif endormi. Mais j’étais déjà en train de réintégrer mon corps. Violemment frustrée et tout autant épuisée, je tombai à mon tour dans un sommeil dont émanait une faible lueur nacrée.
Ce fut la première nuit où la petite animale me rejoignit. Je me réveillai le lendemain avec une impression de naissance en moi, le souvenir de caresses dans ma main et d’un vif chaud blotti contre mes côtes. »

Jeanne la renarde revient un moment. Quant à la narratrice, très attentive à ses sensations plus ou moins troublantes, après le confort utérin de ses couvertures elle succombe à l’attrait d’une souille de sangliers.
L’aspect irréel est clairement établi (il y a deux lunes, par exemple), on est peut-être dans le futur, suite à un cataclysme majeur. J’ai pensé à Le Mur invisible de Marlen Haushofer.
« L’idée que le monde dehors a peut-être disparu n’en finit pas de me tracasser. »

L’atmosphère est onirique, ou peut-être davantage celle d’un imaginaire débridé. Le constat sur notre société et notre rapport à l’environnement débouche sur un monde fantastique, ou plutôt fantasmatique, un rêve d’harmonie et de sororité, sensuel et sensible. Outre le rapport à l’animalité, j’ai surtout été frappé par l’inclination au repli sur soi, une sorte de tropisme du nid, de littérature du terrier, voire de la bauge…
L’extrait suivant ramentoit Pierres et L’écriture des pierres, de Roger Caillois :
« J’explorai toutes les fissures des murs et arpentai chaque zone d’ombre en tentant d’y déceler des miniatures, comme sur les pierres de rêve, ces pièces de marbre veiné venues de Chine qui invitent à entrer dans le paysage. »


\Mots-clés : #fantastique #nature #social
par Tristram
le Jeu 6 Avr 2023 - 13:04
 
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Sujet: Corinne Morel Darleux
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Jean Ray

Le Livre des fantômes

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Recueil de nouvelles écrites dans le style typique de Ray, avec le soin des détails, recherché et archaïsant, recréant une atmosphère oscillant entre Angleterre et Allemagne, en passant bien sûr par les Flandres. Et toujours un vocabulaire fort riche ; d’ailleurs des extraits de ce livre illustrent des définitions des dictionnaires, comme Le Grand Robert ou le Wiktionnaire. L’influence de Dickens notamment est marquante, mais les feintes liminaires de renvois érudits étalées afin de créditer les fictions rappellent Lovecraft.
Le premier texte, Mon fantôme à moi (L’homme au foulard rouge) pourrait bien être autobiographique…
Mention spéciale pour L’histoire de Marshall Grove, qui met en pratique l’exergue tirée de Scheerbart :
« Ce fou de Glaucus, bien qu’il ne voulût lui être agréable, lui donna des briques, du bois et du ciment, en disant : « fais ta maison toi-même et comme elle te plaira. » En faisant comme lui, en donnant tout ce qu’il faut pour composer une histoire, sans la faire moi-même, au lieu d’en achever une, j’en aurais écrit cent, mille, plus peut-être, autant que j’aurais trouvé de gens pour la lire. »

Ray narre le début de l’histoire de façon conventionnelle, donne d’insolites notes afférentes, en reprend brièvement le cours qui devient fantastique, et laisse le soin au lecteur de la compléter…
Lecteur qui est souvent apostrophé directement, ce qui est dans le ton de conversation de contes relatés au coin du feu.
Ces contes évoquent souvent le mystère de la mort, comme dans La vérité sur l’oncle Timotheus. Dans ce texte, le narrateur, un assez triste sire à ce qui transparaît de lui dans sa narration, discute avec la mort, qui a décidé de faire de lui son adjoint :
« Un jour, je lui ai dit brusquement :
— Et Dieu ?
Il a répondu doucement :
— Il faut dire les Dieux, car ils sont nombreux. Ils meurent, car ils ont le Temps contre eux.
— Mais le Temps ?
— Quand tu en auras la connaissance, il n’y aura plus aucun mystère pour toi dans la Création. Mais bien avant, nous aurons à nous occuper de ces Dieux, quels qu’ils soient. Ils nous craignent beaucoup, car nous n’avons aucune espérance à leur donner. »

Cet extrait m’a ramentu le thème de Malpertuis.
Dans Rues est exploré « le potentiel de certaines rues » à donner le pressentiment d’un drame éloigné dans le temps, passé, mais aussi futur.
« Or, voici qu’une des petites maisons bourgeoises avait été transformée en une pâtisserie de bonne mine. Ah ! quel amour d’officine sucrée ! Un lustre à pendeloques de cristal jetait l’arc-en-ciel par poignées sur un comptoir blanc où trônaient les vastes pièces montées d’antan, aux remblais de nougat brun. Sur les étagères s’alignaient les théories des bocaux en casque à mèche, bourrés de croquignoles, de darioles au beurre, de meringues amandines. Une pyramide de petits fours au massepain m’attira. »

Des histoires assez traditionnelles, presque "classiques", et de grande qualité littéraire. Avec ces fantômes, est généralement évoqué « le visage vert de la peur ».
Suit un bref roman, Saint-Judas-de-la-Nuit, sur le thème d’un grimoire de magie noire disparu, qui fait d’ailleurs référence à une nouvelle du recueil, Maison à vendre. Structure fort travaillée, in medias res entrecoupé d’« interférences » – et d’évocations culinaires...

\Mots-clés : #fantastique #mort
par Tristram
le Mar 14 Mar 2023 - 11:33
 
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Sujet: Jean Ray
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Henri Bosco

Le Récif

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Le petit-fils de Didier-Markos de Moneval-Yssel, qui a hérité de sa demeure « aux confins de Camargue », publie le cahier où son aïeul raconte son aventure dans l’île grecque de Paros. Selon l’arrangement de son ami Manoulakis, il réside chez les Kariatidès, face au Récif. Une chapelle dédiée à Saint-Élie s’y élève, objet d’une malédiction qu’on attend de Markos de l’élucider en y rallumant les trois lampes ancestrales.
Nuit et mer, leurs profondeurs ; aussi les étoiles, et les phosphorescences sous-marines. Attente, songes, ombres inquiétantes, mystère ésotérique de la Bête, d’un demi-dieu « inavouable » de l’Antiquité en sommeil. Énigmatique coexistence des fois chrétienne et païenne.
Dans le prolongement des précédentes œuvres de Bosco :
« Office singulier qui me rappelait cette bizarre liturgie familiale célébrée jadis par les Balesta, mes parents, pour apaiser l’Anonyme Puissance qui exerçait pour eux et malgré eux une aveugle et cruelle justice contre les moindres ennemis de leur Maison, même s’ils avaient été pardonnés. On l’appelait le « don ». »

Un fantôme/ créature sort de la mer pour lui parler.
« "Gardez le silence !…" Sur quoi ?…
Je n’ai pas obéi.
Les vivants parlent. Je suis sorti vivant de ce drame, et je parle. »

Mais il ne garde aucun souvenir de sa descente aux abîmes, dans ses songes et les sortilèges, et c’est Manoulakis qui racontera son retour.
« Car, sous le mouvement des illusions qui s’élèvent des songes, ces songes que vous aviez faits, vos paroles nous envoûtaient, comme vous aviez été envoûté vous-même par ces dieux qui voulaient remonter sur la terre parce qu’ils étaient encore à demi vivants, mais qui peut-être, depuis lors ont fini par mourir au fond des mers. Et vous seul pouviez les sauver. Ils vous l’ont dit. »

Puis son descendant, Jérôme, part à Paros enquêter sur la noyade de son aïeul, et témoigne.
« Mettez-vous bien dans l’esprit cependant, qu’on ne trouve la sûreté, qu’on n’arrive au salut qu’au-dessus des abîmes. Notre vie, la vraie vie de l’homme — se vit en tragédie. Nous n’y sommes pour rien, nous avons une âme. Il suffit de savoir prier. »

Étrange famille Kariatidès, notamment « le petit Dïakos et l’étrange Eudoxie », de même la branche Mavromichalis sur Naxos : personnages de tragédie grecque !
Ressouvenir du même thème traité par Jean Ray dans Malpertuis, par Lovecraft dans une large partie de son œuvre, et incidemment évoqué par Giono.
Aussi appris ce que sont les claparèdes : de l'occitan clapareda, plaine caillouteuse, dérivé de clap/clapa (masculin et féminin) désignant l'éclat de roche, le caillou, le bloc rocheux. Il s'agit de terrains pierreux, difficiles à travailler, très souvent arides (Wikipédia).

\Mots-clés : #fantastique #initiatique #merlacriviere
par Tristram
le Dim 18 Déc 2022 - 11:46
 
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Sujet: Henri Bosco
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Jorge Luis Borges

Fictions

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Le jardin aux sentiers qui bifurquent
Dans le prologue de cette première partie, Borges évoque plaisamment la genèse de la foudroyante concision de ses textes brefs, synopsis de livres non écrits :
« Délire laborieux et appauvrissant que de composer de vastes livres, de développer en cinq cents pages une idée que l’on peut très bien exposer oralement en quelques minutes. Mieux vaut feindre que ces livres existent déjà, et en offrir un résumé, un commentaire. »

Tlön, Uqbar, Orbis Tertius
Illustration exemplaire de cette proposition liminaire, cette histoire commence comme Bioy Casarès et Borges découvrent un exemplaire d’une encyclopédie comportant un article interpolé concernant Uqbar, une énigmatique contrée inconnue. Chez Borges, le livre n’est jamais loin (constante qu’on retrouve chez Lovecraft) ; il découvre incidemment un tome d’une encyclopédie d’Uqbar, fruit d’une mystérieuse organisation – ce procédé lui permet d’évoquer succinctement un monde utopique, univers idéal et métaphorique, esquissé en matière de philosophie, de linguistique, de géométrie, de littérature, et surtout de métaphysique portant sur le temps et l’espace. Hypothèses paradoxales qui fécondent l’imaginaire :
« Une des écoles de Tlön en arrive à nier le temps ; elle raisonne ainsi : le présent est indéfini, le futur n’a de réalité qu’en tant qu’espoir présent, le passé n’a de réalité qu’en tant que souvenir présent. Une autre école déclare que tout le temps est déjà révolu et que notre vie est à peine le souvenir ou le reflet crépusculaire, et sans doute faussé et mutilé, d’un processus irrécupérable. »

« Dans les régions les plus anciennes de Tlön, le dédoublement d’objets perdus n’est pas rare. Deux personnes cherchent un crayon ; la première le trouve et ne dit rien ; la seconde trouve un deuxième crayon non moins réel, mais plus conforme à son attente. Ces objets secondaires s’appellent hrönir et sont, quoique de forme disgracieuse, un peu plus longs. […]
Dans Tlön les choses se dédoublent ; elles ont aussi une propension à s’effacer et à perdre leurs détails quand les gens les oublient. Classique est l’exemple d’un seuil qui subsista tant qu’un mendiant s’y rendit et que l’on perdit de vue à la mort de celui-ci. Parfois des oiseaux, un cheval, ont sauvé les ruines d’un amphithéâtre. »

Il suffit de parcourir l’article Wikipédia consacré à ce texte pour mesurer tout ce qu’il contient (notamment en germe).

L’approche d’Almotasim
Borges nous présente le « premier roman policier écrit par un natif de Bombay City », une quête aventureuse en Inde :
« On entrevoit déjà le sujet général : l’insatiable recherche d’une âme à travers les reflets délicats qu’elle a laissés sur d’autres âmes : d’abord la trace ténue d’un sourire ou d’un mot ; vers la fin, les splendeurs diverses et croissantes de la raison, de l’imagination et du bien. À mesure que les hommes interrogés ont connu de plus près Almotasim, leur portion de divinité est plus grande ; il est entendu cependant qu’ils ne sont que des miroirs. »

Pierre Ménard, auteur du Quichotte
Comme le texte précédent, une parodie de critique littéraire (Borges est toujours facétieux) :
« Il ne voulait pas composer un autre Quichotte – ce qui est facile – mais le Quichotte. Inutile d’ajouter qu’il n’envisagea jamais une transcription mécanique de l’original ; il ne se proposait pas de le copier. Son admirable ambition était de reproduire quelques pages qui coïncideraient – mot à mot et ligne à ligne — avec celles de Miguel de Cervantès. »

Confidence de l’écrivain nîmois sur la genèse de son projet :
« Mon souvenir général du Quichotte, simplifié par l’oubli et l’indifférence, peut très bien être équivalent à la vague image antérieure d’un livre non écrit. »

Les ruines circulaires
« Le dessein qui le guidait n’était pas impossible, bien que surnaturel. Il voulait rêver un homme : il voulait le rêver avec une intégrité minutieuse et l’imposer à la réalité. »

N’être qu’apparence, rêve d’un rêveur, cf. Le Rêve du papillon, de Tchouang-Tseu… L’énoncé est particulièrement dense, caractéristique borgésienne qui me ravit.

La loterie à Babylone
« Désormais, les acheteurs de rectangles numérotés avaient la double chance de gagner une certaine somme ou de payer une amende parfois considérable. »

La bibliothèque de Babel
« L’univers (que d’autres appellent la Bibliothèque) [… »

« …] la Bibliothèque est une sphère dont le centre véritable est un hexagone quelconque, et dont la circonférence est inaccessible. »

« …] il n’y a pas, dans la vaste Bibliothèque, deux livres identiques. De ces prémisses incontroversables il déduisit que la Bibliothèque est totale, et que ses étagères consignent toutes les combinaisons possibles des vingt et quelques symboles orthographiques (nombre, quoique très vaste, non infini), c’est-à-dire tout ce qu’il est possible d’exprimer, dans toutes les langues. Tout : l’histoire minutieuse de l’avenir, les autobiographies des archanges, le catalogue fidèle de la Bibliothèque, des milliers et des milliers de catalogues mensongers, la démonstration de la fausseté de ces catalogues, la démonstration de la fausseté du catalogue véritable, l’évangile gnostique de Basilide, le commentaire de cet évangile, le commentaire du commentaire de cet évangile, le récit véridique de ta mort, la traduction de chaque livre en toutes les langues, les interpolations de chaque livre dans tous les livres. »

Examen de l’œuvre d’Herbert Quain
Encore une présentation bibliographique (« des notes sur des livres imaginaires » comme il est spécifié dans le prologue), prétexte à un catalogue de synopsis.

Le jardin aux sentiers qui bifurquent
C’est le nom du livre-labyrinthe (mis en abyme dans une histoire policière et d’espionnage) :
« Dans toutes les fictions, chaque fois que diverses possibilités se présentent, l’homme en adopte une et élimine les autres ; dans la fiction du presque inextricable Ts’ui Pên, il les adopte toutes simultanément. Il crée ainsi divers avenirs, divers temps qui prolifèrent aussi et bifurquent. De là, les contradictions du roman. »

Artifices
Funes ou la mémoire

Irénée Funes est un Uruguayen dont la perception et la mémoire devinrent infaillibles lorsqu’il fut rendu infirme par un cheval.

La forme de l’épée
Cicatrice d’une infamie…

Thème du traître et du héros
Toujours en Irlande pendant la lutte contre l’Angleterre, la mort shakespearienne d’un traître héroïque.

La mort et la boussole
Enquête de Lönnrot (à la Dupin) sur l’assassinat d’un talmudiste, apparemment en rapport avec le « Tetragrammaton », « Nom Absolu » de Dieu. Le « problème des morts symétriques et périodiques » se révèle en fait un traquenard.

Le miracle secret
Affres d’un juif condamné à mort par les Allemands entrés dans Prague ; Dieu lui accorde un sursis d’un an pour terminer son drame en vers – stase où il travaille de mémoire.
« Il découvrit que les cacophonies pénibles qui avaient tant alarmé Flaubert sont de pures superstitions visuelles : des faiblesses et des inconvénients du mot écrit, non du mot sonore… »

Trois versions de Judas
Article sur un certain Nils Runeberg qui publia la thèse que Judas fit le sacrifice nécessaire de son âme – et que c’est lui l’incarnation divine.
« Il commence habilement par détacher la superfluité de l’acte de Judas. Il fait observer (comme Robertson) que pour identifier un maître qui prêchait journellement à la synagogue et qui faisait des miracles devant des foules de milliers d’hommes, point n’était besoin de la trahison d’un apôtre. Cependant, elle eut lieu. Il est intolérable de supposer une erreur dans l’Écriture ; il est non moins intolérable d’admettre un fait fortuit dans le plus précieux événement de l’histoire du monde. Ergo, la trahison de Judas n’a pas été fortuite ; elle fut un fait préfixé qui a sa place mystérieuse dans l’économie de la rédemption. »

La fin
Martin Fierro le gaucho meurt en duel au couteau contre le frère du nègre qu’il a tué.
« Il existe une heure de la soirée où la prairie va dire quelque chose. Elle ne le dit jamais. Peut-être le dit-elle infiniment et nous ne l’entendons pas, ou nous l’entendons, mais ce quelque chose est intraduisible comme une musique… »

La secte du Phénix
Ses adeptes ne sont ni les gitans ni les juifs, et son secret est dans leur rite.

Le Sud
Juan Dahlmann (petit-fils d’un bibliothécaire et d’un héros militaire), à peine rétabli d’une septicémie due à une blessure au front, part pour son estancia dans le Sud en lisant les Mille et Une Nuits, lorsqu’il est provoqué pour un duel au couteau, dont il ne sait pas se servir, acceptant sa mort à l’hôpital, suite à une distorsion temporelle.
« Aveugle pour les fautes, le destin peut être implacable pour les moindres distractions. »

Labyrinthes, jeux de miroirs et rêves – toujours aussi vertigineux à la relecture !

\Mots-clés : #fantastique
par Tristram
le Dim 11 Déc 2022 - 10:53
 
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Sujet: Jorge Luis Borges
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Selva Almada

Ce n'est pas un fleuve

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Trois hommes, Enero Rey, Negro et le jeune Tilo, pêchent près d’une île du fleuve, et remontent une grande raie. Les deux premiers étaient amis avec Eusebio, le père de Tilo ; c’est Eusebio qui les emmena chez son parrain, Gutiérrez, un guérisseur, lorsqu’Enero rêva du « Noyé ».
« Parfois les rêves sont des échos du futur. »

Par allers-retours entre passé et présent on comprend par bribes qu’Eusebio s’est noyé lors d’une partie de pêche sur cette même île.
« Tilo prend ses affaires et part seul. Après la colline, une langue d’eau serpente entre les herbes hautes et les solanums en fleur. Il est dix heures du matin et le soleil tape sur son dos nu. Chaque fois qu’il va sur l’île, son père lui manque. C’est sûrement qu’il reste quelque chose des gens à l’endroit où ils meurent. Il y a beaucoup de photos où on les voit ensemble en train de pêcher. Chaque fois qu’il y allait, il l’emmenait avec lui. La dernière fois, par un pur hasard, il ne l’avait pas accompagné. »

Le style est sobre, laconique, qui entretient une atmosphère de menace.
« Putain.
Dit Negro.
Putain.
Il répète. »

Aguirre est un des habitants de l’île, cet autre monde qu’ils connaissent bien.
« Et là encore : ce n’est pas un fleuve, c’est ce fleuve-là. »

Chaque fleuve est en effet un personnage particulier (comme le rappelle Giono dans Le chant du monde) …
« Les yeux de Negro s’habituent peu à peu et il distingue, là, devant lui, un camatí accroché à la branche d’un arbre, comme une tête suspendue par les cheveux. »

Ce qu’est un camatí me reste mystérieux…
Deux jeunes filles de l’île, Mariela et Lucy (Luisina), proposent aux trois hommes de se retrouver à un bal. Mais « elles ne sont plus », elles sont mortes dans un accident de la route en revenant justement d’un bal sur le « continent ». Leur mère, Siomara, sœur d’Aguirre, qui exprime son amertume par le feu, les attend toujours.
« Faire un feu, c’était sa manière de se libérer de la rage, de la faire sortir de sa poitrine, comme si elle leur disait : regardez comme ma colère peut être grande, attention, elle peut vous atteindre. Une fois, elle a bien failli les atteindre. »

Aguirre, outré qu’ils aient rejeté la raie à l’eau, organise la punition des pêcheurs ; avec d’autres îliens, ils brûlent leur campement et les tabassent au bal.
C’est une même nuit qu’eut lieu la partie de pêche où disparut Eusebio, qui venait d’apprendre que Diana Maciel, mère de Tilo, avait couché avec Negro (et aussi avec Enero).
Mariela et Lucy guident Enero, Negro et Tilo jusqu’à leur campement, avant d’aller rejoindre leur mère chez elles.
Curieuse novella qui mêle tranches de vie (machiste) et fantastique… Réalisme magique ?

\Mots-clés : #fantastique #insularite #ruralité
par Tristram
le Mer 7 Déc 2022 - 12:15
 
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Hubert Haddad

L'Univers

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Ce roman-dictionnaire est agencé en une suite d’entrées :
« ALPHABET ¶ Mon avenir dépend de l’agencement de vingt-six lettres. Ce dictionnaire mélancolique ne sera peut-être qu’un lexique du néant, un petit glossaire des gouffres, mais j’aurai tenté les retrouvailles d’un monde perdu de la seule façon concevable pour moi qui n’ai plus ni centre ni parties. Ce que j’appréhende : un mélange obtus de concepts et d’images. Se repérer là-dedans. Un mot me renverra à un autre ; les choses se lieront objectivement, selon l’ordre alphabétique qui me permettra, malgré les lésions ou l’égarement, de revenir à ce savoir. Ce cahier sera donc une sorte de conquête du dedans par le dehors. J’arracherai de cette confusion une figure peu à peu, les contours d’une figure ; et j’accoucherai enfin de moi-même. Oui, je serai mon propre Pygmalion. »

On découvre progressivement un narrateur, marin venu d’un archipel du Pacifique qui essaie de « mettre de la cohérence dans ses souvenirs », dans une « réalité multiple, éclatée », foisonnante de mythologie et de symbolique, d’astrophysique et de cosmogonie ; la quête de son identité, « tentative désespérée d’autobiographie », prend la forme de notes reprises lors de chacune de ses périodes de « cohérence mnésique d’un quart d’heure à vingt minutes ». Cette clause préliminaire d’une mémoire intermittente par phases de durée si réduite met à rude épreuve la crédulité consentie du lecteur, car il serait difficile de parcourir un tel texte dans ce laps de temps… mais admettons le processus du recueil de réminiscences associé aux termes listés dans un répertoire d’articles.
« La plus profonde blessure est celle qui touche à la mémoire. »

À noter aussi que la mise en ordre de ces fractions de temps et d’espace ne respecte évidemment pas l’ordre chronologique, puisqu’il s’agit de retrouver le fil des causalités : la lecture fera donc des allers-retours aléatoires dans le temps – a priori...
Dans ce « travail » émergent tour à tour et dans le désordre l’Altmühl et le château ruiné de Banhiul en Bavière, Esther, qui se révèle être sa mère, israélite d’origine polonaise échappée aux camps de concentration grâce à un officier allemand, le baron von Dunguen, qui la confie à son cousin Balthus, un vieux prêtre (beau personnage que celui qui l’initie à l’astronomie avant de devenir aveugle, respectant sa religion en doutant peut-être de la sienne après l’Holocauste, au sortir de l’hypnose collective) et Lockie Dor sa belle gouvernante sourde. Réapparaissent fréquemment d’autres lieux et personnes, comme la tour de l’îlot d’Aigremore, ancien phare aménagé en observatoire météorologique, sa liaison avec la contorsionniste Anémone Duprez (« la femme-caméléon »), ses condisciples Haseinklein (« L’ange au bec-de-lièvre », « fils de héros nazi » métaphysicien, qui massacre Virginie Coulpe), et De Harciny lors d’études à Nuremberg et Bruxelles (ainsi que le mélomane Flotille, « l’exobiologiste aux bretelles d’or »), son service sur l’aviso allemand désarmé Nichtberg (avec son aspirant, Ulghanf, adepte de « suggestologie »), le vieux cargo mixte Roll-Tanger et la goélette Aglaé – aussi une prostituée aimée, qui lui donne la photo de l’archipel ; ce dernier, avec l’Abora son menaçant volcan, les requins bleus du lagon, « les Blancs de l’île-mère et les indigènes des îles boisées », son compagnon Lami le radioastronome et son chien Hubble, « un nègre-pie » sculpteur d’arbres dans sa forêt totémique, le contrebandier Jacob, petit-fils bossu d’un bagnard chevauchant Maître Aliboran l’âne, Angor, pirate capitaine de l’Argus, Mahalia la sauvageonne qu’il a recueilli et devenue son amante, Requiem, Asiate borgne devin et conseiller du gouverneur, l’arbitraire paranoïaque Rubi O.Sessé, un despote caricatural – on n’en est qu’au cinquième du livre, et toujours s’étoffera et se précisera l’univers du narrateur.
« Le bossu était en somme un camelot des mers, vague regrattier des songes, plus pourvoyeur que messager, Mercure aux ailerons ossifiés sur l’épaule. »

Autres récurrences significatives, l’oubli, le somnambulisme, la recherche d’un contact extraterrestre, l’Allemagne vaincue près la Seconde Guerre mondiale, des statues (notamment tombées du ciel), la vodka verte, la relation entre expansion/inflation/dispersion et gravitation/attraction/accrétion dans le cosmos, assujétissements et liberté, dualité et unité, la Vénus d’Arcturus (une mystérieuse constellation intime), le professeur Rubio Zwitter, qui traite son « amnaphasmie », syndrome rare d’"amnésie fantôme", « hypermnésie spasmodique », « de type écliptique ».
La structure fragmentaire ne permet qu’une lecture discontinue, mais une certaine continuité est souvent perceptible d’une bribe à l’autre, traçant un récit narratif qui reconstitue peu à peu la mémoire éparpillée du sujet, à la recherche de son identité et du nom de celle qu’il aime.
Le séquençage en courts paragraphes à la fois déroute le lecteur et facilite sa lecture.
Cahier de notes éparses qui sont parfois des épisodes d’aventure vécues (quelquefois reprises plus loin), de brefs contes, des esquisses narratives laissées ouvertes, des notations scientifiques (principalement de mécaniques céleste et quantique), des anecdotes historiques, des réflexions philosophico-métaphysiques, des hypothèses métaphoriques qui interrogent la réalité, elles émaillent le développement de l’histoire, elle-même confondue à sa conception, à la fois genèse cosmique et littéraire, création totalisante de l’univers et du livre.
« Le philtre de Tristan et Yseult dure-t-il par-delà la vie ? Une idée absurde me vient : écrire un livre pour ramener au monde l’être perdu, pour le ramener réellement. Un livre, en somme, pour inventer la réalité. Tout en lui devrait avoir l’étoffe inimitable des sensations. À vrai dire, il serait cette étoffe même à force d’intensité et de style. »

« Quelqu’un m’a soutenu une théorie affolante, équations à l’appui, qui tendrait à prouver que l’observation est créatrice de son objet, que l’atome n’existait pas avant qu’on l’imaginât. Et donc que l’univers ne serait que la mesure approximative des facultés humaines les plus abouties. Il se disait persuadé qu’on trouvera inévitablement ce qui est recherché avec assez de pugnacité intellectuelle. La particule inversant d’une nanoseconde la flèche du temps, par exemple. »

(Dans l’article ATOME ¶, cette « théorie » semble inspirée du principe d’incertitude de Heisenberg.)
« ATTENTE ¶ Il n’y a pas d’autre nom à notre perception du temps ; c’est la durée qui prend conscience d’elle-même. »

« AUTOSCOPIE ¶ Les psychiatres parlent d’hallucination spéculaire. En grec, scopias n’est que l’action d’observer, de s’auto-observer. Il est normal qu’on finisse par se dédoubler, par se considérer soi-même du point de vue du spectateur sur la scène simplifiée du regard. […] C’est notre condition que de tout dédoubler ; la culture, le langage humain, ne sont que l’exercice varié du double. »

« COPIE ¶ Comment s’expliquer la simultanéité non causale à distance dans la physique quantique ? Et dans la vie amoureuse ? Nous vivons peut-être dans la duplication en tout lieu, entourés d’une procession inépuisable de doubles. Dans ma solitude existe ici et là une copie intempestive de moi-même qui poursuivrait ma chimère, l’entretien d’un amour absolu que j’ignore ou qui échappe aujourd’hui à ma conscience, à ma vigilance trahie. »

« DEUX ¶ L’unité perdue, adverbe qui veut dire deux. Perdre serait se dédoubler. »

(La notion d’alter ego parcoure tout le livre ; le narrateur aurait-il eu un frère jumeau ? Lami serait-il lui-même ?)
« Le temps ne serait que la pensée des distances, la vitesse de la lumière. »

« Mon idée, peut-être indéfendable aujourd’hui, avance la simultanéité foudroyante de tous les moments et de tous les lieux d’une vie en regard d’un point tangentiel absolu situé à l’origine comme à la fin de toutes choses. Cette disparité, ce côté hoquetant et hasardeux des événements et des états de conscience dans le ressac de la mémoire, ne prouvent que notre infirmité de créature. »

« ÉVÉNEMENT ¶ Tout arrive, tout se produit, tout est événement, l’univers lui-même dans sa totalité. Mais tout, sur un autre plan, est aussi répétition. La femme que j’embrasse pour la première fois, même si je la perds aussitôt, m’enchaîne éternellement à elle. »

« HABITUDE ¶ La plupart des gens vivent cette aliénation quasi hypnotique des habitudes, à la fin système végétatif coextensif à la vie même, pathologie de la mémoire qui se sclérose en manies inconscientes. L’étymologie parle de manière d’être, d’habitus. Hormis mon goût pour la vodka, aujourd’hui brimé, je n’ai cessé de rompre avec l’automate, de rejeter l’espèce de mithridatisation de la nouveauté et du désir qui endort chacun dans la fadeur, sous les mauvais plis du quotidien. »

« HUMEUR ¶ On s’est tous dit un jour que l’univers n’était peut-être qu’une goutte de salive aux babines d’un chat, une dernière goutte de sang tombant de la tempe d’un suicidé, l’infinitésimale sécrétion d’une glande endocrine à l’origine des seins naissants d’une femelle sapajou, le tourbillon de plasma dans le conduit de l’urètre à la seconde précédant l’éjaculat d’un puceron. La géométrie n’est qu’une migraine d’insecte dans son espace mécanique. »

« HYPNOSE ¶ L’inhibition partielle du cortex qui conduit à l’hypnose – quand l’esprit se fixe sur un seul point, dans la méditation instrumentale par exemple, ou par les manœuvres d’un inhibiteur bien ou mal intentionné –, nous admettons sans mal qu’elle participe de la psychologie ordinaire. Quiconque veut persuader use de techniques d’hypnose, jeux des mains et du regard, focalisations de l’attention, usage sédatif de la répétition. Tous les hommes politiques, a fortiori les dictateurs, associent les artifices de la démagogie à la séduction hypnotique. Nous avons tous été plus ou moins victimes d’un lavage de cerveau organisé à travers les trois phases de toute éducation : un long isolement psychologique conduisant à la perte de personnalité, l’interrogatoire intensif provoquant la confusion et l’angoisse en même temps qu’un état de suggestibilité aigu, puis enfin la conversion aux valeurs de l’ennemi par le moyen d’une confession tous azimuts qui pousse le sujet à se soumettre corps et âme à ses tourmenteurs pour obtenir le pardon et accéder à la rédemption communautaire. En Allemagne, préparé par l’hygiénisme scout, l’esprit de revanche et le naturisme wagnérien, c’est tout un peuple qui aura subi la double contrainte de l’hypnose et du contrôle de la pensée. À la fin de la guerre, des millions d’Allemands en état de choc, abandonnés à leur inhibition, auront régressé dans l’angélisme ou la névrose obsessionnelle. »

« On sait que les champs électromagnétique et gravitationnel ne sont que deux états transitoires de l’univers, lesquels permettent la perception humaine. Si l’atome (la matière donc) n’existe qu’au moment où il change, tout le réel se profile sur les instants de changement, le monde sensible n’est qu’un froissement de l’éphémère sur fond de néant. »

« PHÉNIX ¶ L’univers parvenu à un seuil d’expansion tel que la désintégration de la matière devient désintégration de l’espace-temps : le champ euclidien existe-t-il encore sans ces repères gravitationnels que sont le point et le centre ? Mais l’univers crée sa forme. L’annihilation de la masse équivaut à la disparition hors l’espace-temps. Disparu hors de lui-même, tout recommence. Tout recommence à l’instant de désintégration car l’absence d’espace recrée à tout instant le point zéro. Pourquoi, alors qu’on admet le concept magique d’inflation, voudrait-on que le Big Bang, pour se répéter, ait besoin de récupérer l’univers comme masse ? Toute matière naît d’un déséquilibre quantique et non d’une quantité au sens classique. L’éternel retour ne se négocie avec aucun dieu, ni aucune causalité. Tout renaîtra, tout ne cesse de renaître. Et l’instant n’est autre que les mille recommencements surimposés de l’univers à cet instant de ma conscience : une statue éternelle et instantanée à laquelle une infinité d’autres succéderont dans toutes les poses imaginables. »

« TECHNIQUE ¶ L’intelligence automatisée de la technique, vraie pensée d’esclave, a depuis longtemps perdu l’innocence de l’instrument. Un moyen n’est jamais gratuit puisqu’il résulte d’une intention. Il m’a toujours semblé que la science aurait pu emprunter d’autres directions, dissemblables, si notre morphologie, nos sens et nos désirs eussent été autres, qu’elle obéit à des tropismes inconscients afin de rejoindre et de magnifier, en comblant la distance entre rêve et réalité, l’imaginaire humain spécifique. Il m’arrive de penser que la téléphonie sans fil est venue dédouaner un phénomène occulte comme la télépathie par une sorte de fatalité. La technique nous sauve in extremis de l’irrationnel. À la fin, on pourrait créer Dieu, le bricoler plutôt, aboutir aux preuves objectives de son existence. Au fur et à mesure de sa progression, la technique invente le monde. Elle devient l’invention du monde (qu’elle remplacera sans doute un jour dans l’exil virtuel définitif). L’au-delà du quark et la valeur du spin, moment angulaire interne de la particule, voire de l’incertain graviton, surgissent comme par miracle à la croisée de la théorie et de la sophistication de l’instrument. Avec une conviction entière et des moyens adéquats, l’homme pourrait créer l’objet de son désir. Le rêve n’est qu’une étape. »

« THÉORIE ¶ Complice avec l’étymologie, voici un spectacle qu’on se donne. Plus les sciences exactes perdent pied, plus la théorie prospère. On pourrait même imaginer un nouveau genre qui concernerait scientifiques, philosophes, romanciers et schizophrènes : la théorie-fiction. »

« TRIBUNAL ¶ Je n’eus pas droit à un vrai jugement. Le Coroner après son enquête me livra à une sorte de greffier d’assises d’une corpulence éléphantesque qui semblait avoir dévoré jurés et magistrats avec tous les dossiers d’instruction. Deux gardes civils me poussèrent jusqu’à la prison. Aux pires heures de l’Inquisition, même les rats et les insectes avaient droit à un procès avec écritures, avocats et comparution de témoins. Pour convaincre les animaux nuisibles de collusion avec Satan, les tribunaux civils ou sacerdotaux multipliaient les audiences. Le juge Barthélemy de Chasseneuz, en Bourgogne, rédigea l’ordre d’accusation contre les hurebers, sauterelles venues de l’Inde qui dévastaient les vignes, et leur intima l’ordre de comparaître. Le vin étant un don de Dieu, les sauterelles péchaient contre lui. Et preuve que la loi primait l’arbitraire, une contestation de l’application du droit canon par le tribunal séculier entraîna des échanges d’arguties pendant des semaines. Un verdict de bannissement à l’encontre des sauterelles sera pour finir lu dans les vignobles par les juges en grande tenue. On connaît aussi maints procès de chenilles, sangsues, escargots, porcs, hannetons, lapins de garenne avec assignation officielle et protection de corps pendant le difficile trajet des campagnes à la ville où se tiennent les tribunaux. À Mayence, la défense parvint à faire relaxer les mouches comme mineures au moment des faits incriminés. On leur accorda un droit de séjour limité. Au Brésil, les fourmis d’un couvent franciscain furent accusées de vol caractérisé et jugées selon l’esprit de saint François : nos sœurs les fourmis furent convaincues de quitter le couvent. »

« Pour moi l’univers est fermé comme une bétonnière qui tournerait à vide. »

« Sigmund Freud avait tout motif de remplacer impitoyablement le mot amour par celui de transfert et de considérer la pensée comme un substitut hallucinatoire du désir. »

« VAGUE ¶ Dans quelle trappe suis-je tombé ? Rien ne m’occupe aujourd’hui que le mouvement des vagues. Cet ondoiement léger porte un liseré d’écume sur la grève. J’y vois comme une écriture renouvelée, ligne après ligne, d’un gris tremblé le long des côtes. »

À la moitié du livre, la belle Azralone répond trente-huit ans plus tard à son souhait d’enfant (un appel intersidéral à partir d’un poste à galène), foudroyante prise de contact avec Arcturus à trente-huit ans années-lumière ; au cours de ses observations astrales, il découvre la planète Katléïa, et prend place le personnage d’Adolf Manthauneim l’idiot du village fasciné par le nazisme, homme à tout faire et prodige de calcul mental. Au trois-quarts du livre, le narrateur est emprisonné à la maison d’arrêt d’Orlon (sur l’île Savante, où le bagne initial devint léproserie avant d’être la prison de l’archipel), accusé par le Coroner du meurtre de Lami dans la nuit de la Sainte-Ambroisie ; il va être pendu par le bourreau, M. Pantoire.
Ce texte est certes long – mais qui pourrait certifier que telle partie éventuellement "retranchable" n’y a pas sa place ? Et l’énigme n’en est que plus intrigante… J’ai tenté sans succès de faire un rapprochement (parmi beaucoup d’autres possibilités) entre le monde stellaire et le microcosme de l’archipel… un absorbant casse-tête !
Une pertinente mise en abyme : le narrateur enfant qui recompose le grand miroir brisé peu après la mort de sa mère…
« Tout devint puzzle bousculé pour moi, images d’images, mondes débâtis. Et c’est mon esprit qui s’étale aujourd’hui en morceaux. Saurai-je jamais en rapprocher l’unité et la forme ? »

J’ai particulièrement apprécié l’exploitation imaginative des récentes découvertes scientifiques, sources d’émerveillements dont il est trop rarement tiré parti en littérature ; c’est particulièrement vrai de la physique quantique, si difficile à se figurer.
Dictionnaire (ou encyclopédie) d’une vie, mémoire recomposée, constituée comme un puzzle par Haddad, qui ne perd jamais le fil conducteur dans les digressions qui n’en sont guère, jouant de registres allant du poétique à l’épique en passant par l’érotique, c’est une véritable « vision totale du monde » (Weltanschauung).
D’une lecture passionnante, ce fabuleux roman m’a ramentu (par moments et pour des motifs différents) certaines structures issues de l’OULIPO, Là où les tigres sont chez eux de Blas de Roblès ou même L'Encyclopédie du savoir relatif et absolu de Bernard Werber, aussi Marelle de Cortázar, Locus Solus de Raymond Roussel ainsi que les œuvres de Novalis et de Tournier, également les errances et naufrages d’Ulysse.
J’ai déjà lu Haddad dans Perdus dans un profond sommeil, lorsqu’en son temps je me suis intéressé au courant de la Nouvelle Fiction, découvrant ainsi Frédérick Tristan avec Les Égarés, La Cendre et la Foudre, Le fils de Babel, Le singe égal du ciel, Un monde comme ça, L’Énigme du Vatican), le sinologue Jean Levi avec Le coup du Hibou (sur les aspects du pouvoir), Georges-Olivier Châteaureynaud (Newton go home! et Au fond du paradis) et François Coupry (Le Rire du pharaon) ; il y a de nombreuses pépites dans ce courant (méconnu ?) qui fait la part belle à l’imaginaire en interrogeant son rapport au réel : il me faut l’exploiter davantage !

\Mots-clés : #aventure #contemythe #fantastique #identite
par Tristram
le Sam 12 Nov 2022 - 12:33
 
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Sujet: Hubert Haddad
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Iouri Bouïda

Tag fantastique sur Des Choses à lire 41te1v10

Une trentaine de nouvelles, plus ou moins courtes mais des plus intéressantes. La première (en guise de préface) donne son nom au livre.

Toutes ces histoires sont tristes, sombres, car le bonheur y est éphémère. Mais combien d’humanité dans ces nouvelles ; même les handicapés, les démunis, les abîmés de la vie y sont aimés. Une ambiance fantastique, le passé et le présent entrelacés.

La folie, la mort rôdent.

On retrouve dans ces nouvelles,  la rivière, le pont, la rue Semerka, la fabrique, la cantine tantôt blanche tantôt rouge, l’asile de fous, l’Orphelinat dans cette ville de Welhau, le sergent Liocha, la Pétardière qui sait et voit tout et d’autres.

Cette région, ancienne Prusse Orientale a été soit Allemande, soit Russe au gré des guerres, c’est le pays de l’auteur. Une région où circulent légendes et mythes. Et « Il » Dieu souvent présent quel que soit son « emploi ».

Juste quelques extraits pour la compréhension :  dans la première nouvelle donc deux adolescents violent les tombent pour voler des objets, bijoux, ils ouvrent donc la tombe de la « fiancée Prussienne »

«On dirait qu’elle est vivante ! articula Matras d’une telle voix qu’on aurait cru que sa langue était en coton. Elle fait tic-tac. »
« La jeune fille poussa un soupir et au même instant, la robe vaporeuse et la peau lisse se transformèrent en un nuage de poussière qui se déposa lentement le long de la colonne vertébrale noueuse. »
 (mythe de la poussière, fait de terre nous retombons en poussière)

« D’une orbite noire s’envola soudain un minuscule papillon »  (mythe du papillon qui est âme)

Eva-Eva : La magnifique  Eva est arrivée dans la ville avec les premiers colons russes. Tous les hommes étaient amoureux d’elle.

« Quelles ne furent pas notre surprise et notre indignation quand nous apprîmes qu’elle s’était mise en ménage avec le muet. Seigneur Hans ! Cet empoté aux longs bras dont même les Allemands se payaient la tête. » Dieu qui a créé les muets et les jolies femmes, est le seul à savoir.

Eva meurt par amour quand les allemands sont déportés, donc Hans.

Douriaguine peintre et professeur au collège ; sa fille se meurt, il ne l’a jamais aimé cette personne insipide, mais quand elle lui demande de venir la voir à l’hôpital il s’y rend 2 fois par jour. Ne sachant que dire il peint ; comme elle dit aimé le lilas il peindra des aquarelles de branches de lilas, tout un mur.

« C’est comme qui dirait l’arbre de la mort ! a fait Douriaguine d’une voix neutre. Tu comprends comme c’est affreux ? Je ne l’aimais pas. »

Le narrateur à qui Douriaguine a offert l’une des aquarelles dit qu’elle est accrochée au-dessus de son bureau depuis plus de trente ans.

La dernière nouvelle "Bouïda" (en guise de postface)

Bouïda parle de lui, de son nom ; de la signification d'un nom de son utilité ou pas,  de l'intérêt ou pas de  la connaissance de la personne en donnant des exemples :

"Ces connaissances ont parfois une certaine influence sur notre compréhension des sources ou des singularités de l'oeuvre d'un écrivain, mais au fond, elles ne servent à rien. Le véritable nom d'Homère, c'est 'l'Illiade".
Shakespeare s'appelle "le roi Lear", et Dostoïevski "Crime et Châtiment"...."

""J'espère qu'on ne m'accusera pas de prétention et d'orgueil, je n'ai choisi mon nom, uniquement mon destin. Mais il ne restera qu'un nom, bien que seul le destin signifie quelque chose."


*****

Quelle belle écriture, poétique, légère, avec une touche d'humour malgré la sombreur des thèmes.

Lisez ses nouvelles !


\Mots-clés : #amour #fantastique #mort #nouvelle #pathologie
par Bédoulène
le Mar 18 Oct 2022 - 10:34
 
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Sujet: Iouri Bouïda
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Alberto Manguel

Un retour

Tag fantastique sur Des Choses à lire Un_ret10

Néstor Andrés Fabris est un Argentin antiquaire à Rome qui, convié par son filleul (qu’il n’a jamais rencontré) à son mariage, retourne à Buenos Aires après trente années d’exil, ville qu’il a quittée suite à une manifestation estudiantine rudement réprimée, abandonnant ainsi Marta, la mère de son filleul. Il erre dans la ville, évoquant le passé, rencontrant des amis d’alors, dans une atmosphère déroutante, de plus en plus étrange, comme il retrouve de moins en moins son chemin. De nombreuses allusions à l’antiquité sont présentes dans le texte, comme avec le livre Le Passé, de Norberto Grossman, son ancien professeur qui, devenu conducteur d’un bus vide, le mène dans une visite du genre de celle d’Énée ou Dante aux enfers.
« C'est la raison pour laquelle, à mon sens, le passé n'est qu'une construction de la mémoire en quête de permanence, construction que nous prenons pour quelque chose d'immuable. »

Cette novella, ou même nouvelle, allie culture classique et fantastique aux thèmes de l’exil et de la culpabilité.

\Mots-clés : #culpabilité #exil #fantastique #identite #jeunesse #regimeautoritaire
par Tristram
le Lun 3 Oct 2022 - 13:23
 
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Sujet: Alberto Manguel
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Akiyuki Nosaka

Le Dessin au sable et l’Apparition vengeresse qui mit fin au sortilège

Tag fantastique sur Des Choses à lire Le_des10

Dans l’ère Edo (début XIXe), Senkichi-des-lavoirs-aux-morts vit des dépouilles récupérées sur les défunts ; il recueille une pélerine, Tomi, belle jeune fille à la recherche de son père, Yoshinosuke, dont pour se faire reconnaître Koto sa mère mourante lui donna un dessin de sable (poudres de coquillages colorés sur un papier encollé) :
« Par tous ses replis secrets d’où perlait une sève qui ruisselait en multiples filetis limpides, la vulve donnait l’impression d’épancher l’amour éternel de Koto, de pleurer son affliction pour un Yoshinosuke qu’elle n’avait finalement jamais pu revoir. »

« La trace de sa liqueur reportée sur le papier, elle la saupoudra de sable mêlé du sang qu’elle venait de cracher, reproduisant du même coup, avec une vivante fidélité, son propre sexe : "Il te conduira jusqu’à lui. »

Mais très vite Senkichi médite de profiter de cette aubaine ; sa femme O-Den étrangle Tomi et, apprêtée par O-Roku l’avorteuse, la propose contre rémunération à cinq impuissants pour qu’ils retrouvent leur ardeur en dépucelant et abusant le cadavre. Le premier est Awajiya, celui qui ruina sa famille et força sa mère à l’épouser ; le second est Bonten le devin, qui fit croire à Koto que Yoshinosuke était mort ; le troisième est le voleur Tokuji le démon-pire-que-la-peste, qui déroba le signe de reconnaissance que Yoshinosuke avait laissé à Koto ; le quatrième est le maquereau Kanta, qui vendit cette dernière à un lupanar ; le dernier, Yoshinosuke, son père, sera finalement écarté car le cadavre est en trop mauvais état. En fait ce dernier donne naissance à une petite fille − qui bientôt tète le membre de Senkichi, jusqu’à ce qu’il en meure. Devenu nécrophile, Awajiya trépasse, enlacé à un squelette de femme : c’est la fille de Tomi, malédiction qui se venge un à un des violeurs de sa mère au moyen de dessins au sable.
C’est extrêmement bien documenté (et exotique), comme de coutume chez Nosaka ; ici, peut-être en facétieux contrepoint à l’horreur :
« La boutique de cosmétiques que tenait l’épouse de Tokuji le démon jouissait d’une renommée générale en ville, grâce surtout à sa "crème de beauté", un produit maison, mélange de jus de poire, de peau blanche d’œuf, de rosée prélevée sur des chrysanthèmes et de lessive. S’en frotter redonnait une belle fraîcheur au teint, au point qu’elle faisait à présent délaisser comme vulgaires les autres fards, carmins et poudres de riz, et que tout le monde se l’arrachait, depuis les courtisanes et geishas jusqu’aux filles de bourgeois et épouses de guerriers. La boutique, qui, cela va sans dire, offrait en outre un choix complet de sachets de son, de fiente de rossignol, de graines de chrysanthème, de fard d’Ise au mercure, de "poudre de terre" bon marché, ne désemplissait pas et résonnait du matin au soir de joyeuses voix féminines. »

Je ne connais pas de danse macabre de la mort et du sexe approchant celle-ci en littérature (même si j’ai pensé à Maupassant, et à d’autres auteurs japonais, comme Tanizaki ou Akutagawa) – merci Pinky pour la découverte !

\Mots-clés : #erotisme #fantastique #mort
par Tristram
le Sam 10 Sep 2022 - 13:09
 
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Sujet: Akiyuki Nosaka
Réponses: 28
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Adolfo Bioy Casares

Nouvelles démesurées

Tag fantastique sur Des Choses à lire Nouvel14

Dix nouvelles :
Plan pour une fuite à Carmelo :
Variation sur le thème de la recherche de l’immortalité, l’eugénisme et le géronticide.

Masques vénitiens :
Poursuite d’une femme aimée à Venise, pendant le carnaval.

Nouvelle démesurée :
Le docteur Haeckel – le célèbre théoricien évolutionniste ? −, voulant « rendre la jeunesse » à un patient, Le Bœuf, l’a transformé en géant par excès de croissance…
On y apprend notamment comment un Argentin fait face à une avalanche de neige en Europe :
« Une énorme masse blanche percuta violemment le côté droit de mon véhicule, le secoua et le projeta contre le flanc de la montagne. Un choc identique sur le côté gauche m’aurait précipité dans le vide. J’accélérai. Grâce aux chaînes, la voiture se rééquilibra et reprit sa route. Je n’eus pas le courage de m’arrêter et d’élucider le mystère. »

L'horloger de Faust :
Olinden, un autre malaimé, vend deux fois son âme au diable, et aussi au Dr Sepulveda, pour « retarder [son] horloge biologique ».

Le Noumène :
Ou le funeste cinématographe de M. Canter…

Trio :
Trois nuits, trois femmes, et le Dr Herrera.
« La franchise les conduisit de fil en aiguille à la rupture et à la séparation. »

« Je poursuis un but presque impossible, mais je m’efforce de croire que nous nous reconnaîtrons, si je la croise, par une sorte de révélation mutuelle, car l’entente entre un homme et une femme est parfois aussi unique que les individus. »

Un voyage inattendu :
Le nationalisme xénophobe du colonel Rossi et la dérive des continents.

Le chemin des Indes :
Orgueil national à propos de l’inventeur de la lotion triomphatrice de la calvitie. On retrouve le ton des ouvrages écrits an collaboration avec Borges.

La chambre sans fenêtres :
Rencontre de la limite de l’Univers dans Berlin-Est.

Le rat, ou une clé pour le comportement :
Sous la forme d’une brève pièce de théâtre, un drame qui demeure ouvert.

Toujours aussi intelligent, cultivé en sciences et philosophie − et abscons !

\Mots-clés : #fantastique #nouvelle
par Tristram
le Ven 5 Aoû 2022 - 11:55
 
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Sujet: Adolfo Bioy Casares
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Jacques Abeille

Les Mers perdues, illustrations de François Schuiten

Tag fantastique sur Des Choses à lire Les_me10

Le narrateur est recruté pour tenir le journal de voyage d’une expédition vers l’est, au-delà des contrées reconquises, avec un dessinateur, une belle géologue et leur guide, un chasseur de grand gibier (et un groupe de natifs du désert, les Hulains, pisteurs et domestiques).
Aux confins des terres connues, ils parviennent à un rivage, puis à des installations industrielles gigantesques et des mines abandonnées (où le chasseur disparaît).
« Le délire technicien fonctionnait en circuit fermé. Les richesses arrachées au sous-sol, pour leur plus grande part, étaient réinvesties dans leur transformation en moyens supplémentaires d’exploitation de la nature jusqu’à épuisement de toutes les ressources. »

Puis c’est ensuite une mystérieuse tour sculptée dans une aiguille rocheuse, le désert, enfin une légendaire cité en ruine où des géants de pierre sont incomplètement sortis de terre (croissance qui renvoie aux Jardins statuaires du premier volume du cycle des contrées) jusqu’à s'être figés et s’ébouler partiellement.
« Disons donc que tout minéral comporte une structure intime qui peut livrer, pour ainsi dire, l’histoire ou le sens de sa gestation. »

Suit l’exploration d’un immense promontoire taillé en forme d’ours dressé et creusé de passages débouchant sur l’extérieur, premier de nombreux colosses vandalisés, enlaidis, « le spectacle figé dans la pierre d’un combat sans merci entre les œuvres humaines et le surgissement des statues ».
« Nous nous avancions sur de vastes avenues que bordaient d’immenses édifices dressés à de telles hauteurs que leurs sommets se perdaient dans les nuées. Comme le premier monument que nous avions visité, ces immeubles ne comportaient nul aménagement habitable. Ils constituaient seulement un cauchemardesque décor plein, taraudé de galeries obscures et de rampes servant à dégager le matériau rejeté par le façonnage de vaines et fausses modénatures. »

« Je me garderai bien de rapporter dans le journal de l’expédition le sentiment profond qui me porte à croire que ces éruptions minérales furent, d’une manière que je ne puis concevoir et en des temps très lointains, vivantes comme une indécision de la terre entre des règnes encore mal différenciés. Comme si la terre dans ses intentions obscures n’avait pas toujours accepté les lois de la nature, alors que nous, les hommes, sommes restés aveugles aux signes qu’elle nous adressait. »

« …] la coutume de crever la peau des statues en y découpant des baies aveugles afin que leur élan vital fût dispersé et leur intériorité privée de tout ressort. De plus, en imposant en creux la marque de leurs méfaits sur le paysage qui les entoure, les hommes, depuis des temps fort reculés, se sont assurés que perdurerait la honte qui est le vrai chemin de la barbarie. »

Viennent ensuite des statues monumentales d’hommes-léopards surmontés de pylônes électriques qui les blessèrent, encore des rivages, des forteresses, et la révélation par les Hulains du mythe originel des éleveurs de statues à partir de semences des géants de roche.
C’est une quête aux visions fortement graphiques, idoine pour un rêve de pierre, et propre à inspirer l’illustrateur (qui rappelle les gravures de Vivant Denon dans son Voyage dans la basse et la haute Égypte, ou les aquarelles ultérieures de David Roberts).
« …] ce lieu de la pensée où les cristallisations du songe épousent la pure rigueur des mathématiques. »


\Mots-clés : #aventure #contemythe #fantastique #voyage
par Tristram
le Dim 17 Avr 2022 - 13:24
 
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Sujet: Jacques Abeille
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