Des Choses à lire
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Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Mar 19 Mar - 8:38

101 résultats trouvés pour xixesiecle

Edgar Allan Poe

Derniers Contes

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire Dernie10

Ces contes sont traduits par Félix Rabbe, à la suite de ceux qui l’ont été par Baudelaire.
Le duc de l'Omelette
Mort d’un ortolan mal préparé, le duc affronte sa Majesté « Baal-Zebub, prince de la Mouche ».

Le mille et deuxième conte de Schéhérazade
Graciée, Schéhérazade poursuit avec un nouveau conte sur les aventures de Sinbad le marin, prodiges inspirés de merveilles découvertes par la science (de l’époque de Poe), curiosités naturelles, mythiques ou scientifiques il est vrai souvent bizarres ; le sultan les considère comme d’ineptes mensonges, et la fait étrangler.

Mellonta Tauta
Le 1 avril 2848, la passagère d’un dirigeable au long cours évoque les errances de ses savants ancêtres avec une vue défaillante de l’Histoire passée. Ainsi, les Américains sont devenus les Amriccans, et Bacon, Hogg :
« Le mot Baconienne, vous devez le savoir, fut un adjectif inventé comme équivalent à Hoggienne, comme plus euphonique et plus noble. »

Cette histoire loufoque est en rapport avec l’essai cosmogonique Eureka.

Comment s'écrit un article à la Blackwood
Satire d’un magazine de ce nom, sous forme de conseils didactiques et cocasses sur comment rédiger un article à sensation qui soit suffisamment abscons, érudit d’apparence, et farci de citations en langues étrangères, suivi d’un exemple parodique bourré de contresens.

La filouterie considérée comme science exacte
Quelques exemples pleins d’habileté et d’humour.

L'homme d'affaires
Ou l’ordre et la méthode versus le génie, une démonstration de petites escroqueries bouffonnes.

L'ensevelissement prématuré
Témoignage d’épouvante d’un narrateur sujet à la catalepsie.

Bon-Bon
Pierre Bon-Bon était un restaurateur et métaphysicien rouennais qui fut visité par le diable, lequel refusa son âme.

La Cryptographie
Petite présentation de la cryptographie, une des passions de Poe, qui en fit une démonstration dans Le Scarabée d'or.

Du principe poétique
Essai sur la poésie, qui d’entrée pointe cette particularité qui m’a paru pertinente : un poème ne peut être que relativement bref, afin de maintenir son effet. Par contre, sa vue dépréciative « qu'un poème peut pécher par excès de brièveté » m’a parue erronée. Sinon, d’un florilège d’auteurs de langue anglaise, ce que retire surtout Poe, c’est que la poésie est élévation. À noter aussi son attention toute baudelairienne aux senteurs.

Quelques secrets de la prison du magazine
Du sort des auteurs subsistant difficilement, sous la coupe des éditeurs et rédacteurs de magazines.

Souvent dans la veine des Histoires grotesques et sérieuses mais pas que, ces textes disparates m’ont paru dans l’ensemble assez mineurs ; mais ils attestent des différents sujets et genres abordés par Poe, et surtout de l’aspect novateur de son œuvre (érudition scientifique, science-fiction, humour, épouvante, poésie, etc.).

\Mots-clés : #fantastique #nouvelle #xixesiecle
par Tristram
le Dim 24 Sep - 12:28
 
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Sujet: Edgar Allan Poe
Réponses: 17
Vues: 780

Jules Verne

Aventure de trois Russes et de trois Anglais

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire Aventu12

Janvier 1854, Mokoum et William Emery, un chasseur bushman et un astronome attaché à l’observatoire du Cap, accompagnent la mission du colonel Everest et de Mathieu Strux en Afrique australe, comprenant trois savants anglais et autant de russes venus d’Europe afin d’y mesurer un arc de méridien, afin que cette commission internationale participe à la détermination du mètre, mesure universelle. William sympathise avec le jeune Michel Zorn, le distrait Nicolas Palander est un mathématicien toujours plongé dans ses calculs, et sir John Murray s’intéresse surtout à la chasse. C’est d’abord le portage de leur chaloupe à vapeur, le Queen and Tzar, au-dessus des chutes de Morgheda sur le fleuve Orange, puis le départ dans le désert de Kalahari (en fait le veld, plaine de savane herbeuse ou arbustive) afin d’y commencer les triangulations de géodésie. Ils suivent peu ou prou l’expédition de Livingstone vers le Zambèze.
Comme toujours avec Verne, c’est didactique (tant en géométrie que sur l’époque de « la science militante »), et aventureux (affrontement de crocodiles, de lions, etc.).
Le foreloper est le guide indigène, celui qui ouvre la marche de la caravane, sans doute du néerlandais « coureur en avant ».
Confrontés à une forêt qui exacerbe la rivalité des deux chefs d’expédition, Mathieu Strux et le Colonel Everest, Mokoum aura l’idée de l’incendier.
Puis ils apprennent que la guerre de 1854 a éclaté, qui oppose notamment Anglais et Russes : cela détermine la séparation de l’expédition en deux parties.
Recette d’époque (et locale) pour « buffles des prairies, ces Bokolokolos des Bétjuanas, qui mesurent quatre mètres du museau à la queue, et deux mètres du sabot à l’épaule. » :
« Les indigènes préparèrent cette viande de manière à la conserver presque indéfiniment, à la mode pemmicane, qui est si utilement employée par les Indiens du nord. Les Européens suivirent avec intérêt cette opération culinaire, à laquelle ils montrèrent d’abord quelque répugnance. La viande de buffle, après avoir été découpée en tranches minces et séchées au soleil, fut serrée dans une peau tannée, puis frappée à coups de fléaux qui la réduisirent en fragments presque impalpables. Ce n’était plus alors qu’une poudre de viande, de la chair pulvérisée. Cette poussière, enfermée dans des sacs de peau et très-tassée, fut ensuite humectée de la graisse bouillante qui avait été recueillie sur l’animal lui-même. À cette graisse, un peu suiffeuse, il faut l’avouer, les cuisiniers africains ajoutèrent de la moelle fine, et quelques baies d’arbustes dont le principe saccharin devait, il semble, jurer avec les éléments azotés de la viande. Puis, cet ensemble fut mélangé, trituré, battu de manière à fournir par le refroidissement un tourteau dont la dureté égalait celle de la pierre. »

Effets de la foudre :
« William Emery fut renversé, comme mort. Les deux matelots, éblouis un instant, se précipitèrent vers lui. Très-heureusement, le jeune astronome avait été épargné par la foudre. Par un de ces effets presque inexplicables, que présentent certains cas de foudroiement, le fluide avait pour ainsi dire glissé autour de lui, en l’enveloppant d’une nappe électrique ; mais son passage était dûment attesté par la fusion qu’il avait opérée des pointes de fer d’un compas que William Emery tenait à la main.
Le jeune homme, relevé par ses matelots, revint promptement à lui. Mais il n’avait été ni la seule ni la plus éprouvée victime de ce coup de tonnerre. Auprès du poteau dressé sur le monticule, deux indigènes gisaient sans vie, à vingt pas l’un de l’autre. L’un, dont le système vital avait été complètement désorganisé par l’action mécanique de la foudre, gardait sous ses vêtements intacts un corps noir comme du charbon. L’autre, frappé au crâne par le météore atmosphérique, avait été tué raide.
Ainsi donc, ces trois hommes, – les deux indigènes et William Emery, – venaient de subir simultanément le choc d’un seul éclair à triple dard. Phénomène rare, mais quelquefois observé, de cette trisection d’un éclair, dont l’écartement angulaire est souvent considérable. »

Puis c’est un nuage de sauterelles, le manque d’eau et de fourrage dans le désert, et les Russes retrouvés aux prises avec des pillards makololos. Les Européens, retranchés au sommet du mont Scorzef, au bord du lac Ngami, parviennent à achever leurs minutieuses observations. Des chacmas, ou babouins cynocéphales, dérobent les précieux registres à Palander, mais ils sont recouvrés, et les résultats de leurs mesures sont confirmés. Ils atteignent les chutes Victoria et descendent sans encombre le Zambèze, après dix-huit mois d’épreuves.
Ce roman remue tout un imaginaire qui va de L’odyssée de l’African Queen de Forester à Mason & Dixon de Pynchon : une lecture de jeunesse, même sur le tard !

\Mots-clés : #aventure #science #voyage #xixesiecle
par Tristram
le Lun 7 Aoû - 17:02
 
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Sujet: Jules Verne
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H.G. Wells

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L'Homme invisible (1898)

Lecture ou relecture improvisée sur de vagues souvenirs du bonhomme en costume et lunettes noires par dessus son visage bandé. Un peu déçu par la forme (et la traduction ?) pas vraiment intense. Bien qu'on se prenne presque d'affection pour cet étrange personnage au mauvais caractère et malgré les péripéties, j'ai trouvé l'ensemble un peu terne.

Reste le dépaysement et cette vision "à l'envers" du scientifique poussé par des motivations qui ne sont pas toutes les meilleures que ce soit avant ou après sa terrible expérience... c'est le moins que l'on puisse dire.

Moralité et regard critique donc mais des trucs vieillots (dont un personnage de juif).


Mots-clés : #sciencefiction #xixesiecle
par animal
le Mar 1 Nov - 17:41
 
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Mark Twain

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A la dure

J'aurais mis le temps pour revenir partager quelques mots sur ce livre, et si je vais faire court ce sera néanmoins de bon coeur.

Pour faire injsutement synthétique qu'ai je trouvé dans ce livre :

- une lecture divertissante, pleine d'humour
- un mélange de récit de voyage et d'aventure
- un stupéfiant panorama d'images des mythes américains

De la ruée vers l'or à Hawaii, San Francisco, de galeries de personnages en péripéties improbables, c'est baignés de bonne humeur que l'on voyage au fil de ce journal. Et les images fortes que l'on parcourt sont d'étonnants échos à nos visions de films si ce n'est d'actualités et d'étrangetés d'outre atlantique.

Le ton y est pour beaucoup mais la matière vaut le détour. Super lecture avec des moments incroyables !

Mots-clés : #aventure #humour #lieu #voyage #xixesiecle
par animal
le Dim 9 Oct - 13:04
 
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Claude Tillier

Mon oncle Benjamin

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Le récit commence par des considérations fort mélancoliques sur l’existence humaine, en contraste vif avec la suite, plus légère et surtout humoristique.
« Ce que vous appelez la couche végétale de ce globe, c’est mille et mille linceuls superposés l’un sur l’autre par les générations. »

Clamecy, au milieu du XVIIIe : Benjamin Rathery est le grand-oncle du narrateur qui rapporte quelques épisodes de la vie de ce dernier.
C’est l’histoire d’un jeune médecin (nombre de renvois à la médecine comme escroquerie ou science pour le moins incertaine), bon vivant (à crédit), élevé par sa sœur chez qui il vit dorénavant, et qui veut le forcer à se marier. Benjamin aime le vin, et banqueter dans la société de ses pairs ; il est cependant attentif aux humbles : par exemple, il ne fait pas payer les pauvres. Ce roman picaresque est aussi le prétexte d’attaques frontales contre la noblesse par privilège royal, la guerre, le clergé.
Une étonnante péripétie est celle où Benjamin se fait passer pour « M. le Juif-Errant » dans un village de naïfs ; on constate au passage qu’aucun antisémitisme ne semble exister à l’époque.
J’ai trouvé l’histoire datée avec ses poncifs sur l’ivrognerie rabelaisienne, ripaille et paillardise, mais une certaine philosophie de la vie s’en dégage cependant.
« Un autre que mon oncle eût déploré son sort sur tous les tons de l’élégie ; mais l’âme de ce grand homme était inaccessible aux atteintes de la fortune. »

« Pour lui le passé n’était rien et l’avenir n’était pas encore quelque chose. Il comparait le passé à une bouteille vide, et l’avenir à un poulet prêt à être mis à la broche. »

J’ai revu le film qui en a été tiré par Édouard Molinaro, et qui est aussi daté…

\Mots-clés : #humour #xixesiecle
par Tristram
le Sam 16 Juil - 11:40
 
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Sujet: Claude Tillier
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Théophile Gautier

Le Capitaine Fracasse

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Il est parfois risqué de s’aventurer des décennies plus tard dans un ouvrage découvert dans l’enfance – certainement dans une version « adaptée » - et qu’on avait adoré.
Pas de suspens : la relecture du « Capitaine Fracasse » m’a à nouveau ensorcelé ! Pour d’autres raisons, mais aussi de semblables (Ah, le personnage du Matamore, navré, perdu dans la neige !)
Le capitaine Fracasse, c’est le Matamore, la Capitan, le Scaramouche de la Commedia dell’arte, croqué par Jacques Calot et Abraham Bosse, héros du « Roman comique » de Scarron et de « L’Illusion comique » de Corneille, mais singulièrement transformé, non plus vantard mais modeste, non plus peureux mais courageux. C’est le baron de Sigognac.

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Inspiré de ses illustres devanciers, Corneille et Scarron, mais également très influencé par Rabelais, « Le Capitaine Fracasse » est un roman de cape et d’épée qui se passe sous le règne de Louis XIII et qui met en scène une troupe de comédiens. Théophile Gautier y fait preuve d’une qualité d’écriture exceptionnelle, alliant à la perfection le fantastique et le merveilleux. En particulier, les descriptions, souvent très développées, utilisent un vocabulaire précis, d’une grande richesse, avec parfois une touche de préciosité (on sent venir le courant symboliste !)  

Les premiers chapitres décrivant le château de la misère sont de petits bijoux :
« Les ronces, aux ergots épineux, se croisaient d’un bord à l’autre des sentiers et vous accrochaient au passage pour vous empêcher d’aller plus loin et vous dérober ce mystère de tristesse et de désolation. La solitude n’aime pas être surprise en déshabillé et sème autour d’elle toutes sortes d’obstacles. »


« Cinq ou six chaises recouvertes de velours qui avait pu jadis être incarnadin, mais que les années et l’usage rendaient d’un roux pisseux, laissaient échapper leur bourre par les déchirures de l’étoffe et boitaient sur des pieds impairs comme des vers scazons ou des soudards éclopés s’en retournant chez eux après la bataille. A moins d’être un esprit, il n’eût point été prudent de s’y asseoir, et, sans doute, ces sièges ne servaient que lorsque le conciliabule des ancêtres sortis de leurs cadres venaient prendre place à la table inoccupée, et devant un souper imaginaire causaient entre eux de la décadence de la famille pendant les longues nuits d’hiver si favorables aux agapes des spectres. »

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Les habitants du château : le baron de Sigognac, son serviteur Pierre, le cheval Bayard, le chien Miraud et le chat Belzebuth, sont tout aussi pittoresques :
« Un vieux chat noir, maigre, pelé comme un manchon hors d’usage et dont le poil tombé laissait voir par places la peau bleuâtre, était assis sur son derrière aussi près du feu que cela était possible sans se griller les moustaches, et fixait sur la marmite ses prunelles vertes traversées d’une pupille en forme d’I avec un air de surveillance intéressée. Ses oreilles avaient été coupées au ras de la tête et sa queue au ras de l’échine, ce qui lui donnait la mine de ces chimères japonaises qu’on place dans les cabinets, parmi les autres curiosités, ou bien encore de ces animaux fantastiques à qui les sorcières, allant au sabbat, confient le soin d’écumer le chaudron ou bouillent leurs philtres. »


Il en est de même des comédiens
« Eclairée par ce rayon, une assez grotesque figure se dessina sur le fond d’ombre ; un crâne couleur de beurre rance luisait sous la lumière et la pluie. Des cheveux gris plaqués aux tempes, un nez cardinalisé de purée septembrale, tout fleuri de bubelettes s’épanouissant en bulbes entre deux petits yeux vairons recouverts de sourcils très épais et bizarrement noirs, des joues flasques, martelées de tons vineux et traversées de fibrilles rouges, une bouche lippue d’ivrogne et de satyre, un menton à verrue où s’implantaient quelques poils revêches et durs comme des crins de vergette, composaient un ensemble de physionomie digne d’être sculptée en mascaron sous la corniche du Pont-Neuf. […] Cette tête de fantoche, servie sur une fraise de blancheur équivoque, surmontait un corps perdu dans une souquenille noire qui saluait en arc de cercle avec une affectation de politesse exagérée. »


Belles descriptions de tavernes, ainsi le Radis couronné » :
Quand Jacquemin Lampourde entra au « Radis couronné », le plus triomphant vacarme régnait dans l’établissement. Des gaillards à mine truculente, tendant leurs pots vides, frappaient sur les tables des coups de poing à tuer des bœufs et qui faisaient trembler les suifs emmanchés dans des martinets de fer. D’autres criaient « tope et masse » en répondant à des rasades. Ceux-ci accompagnaient une chanson bachique, hurlée en cœur avec des voix aussi lamentablement fausses que celles des chiens hurlant à la lune, d’un cliquetis de couteau sur les côtes de leurs verres et d’un remuement d’assiettes tournées en meule. Ceux-là inquiétaient la pudeur des Maritornes, qui, les bras élevés au-dessus de la foule, portaient des plats de victuailles fumantes et ne pouvaient se défendre contre leurs galantes entreprises, tenant plus à conserver leur plat que leur vertu. Quelques-uns pétunaient dans de longues pipes de Hollande et s’amusaient à souffler de la fumée par les naseaux. »


Ou d’auberges :
« Passez-moi la muscade ! disait l’un ! un peu de cannelle, s’écriait l’autre ! Par ici les quatre épices ! remettez du sel dans la boîte ! les clous de girofle ! du laurier ! une barde de lard, s’il vous plaît, bien mince ! soufflez ce fourneau ; il ne va pas ! éteignez cet autre, il va trop et tout brûlera comme châtaignes oubliées en la poêle ! versez du jus dans ce coulis ! allongez-moi ce roux, car il épaissit ! battez-moi ces blancs d’œufs en père fouetteur, ils ne moussent pas ! saupoudrez-moi ce jambonneau de chapelure ! tirez de la broche cet oison, il est à point ! encore cinq ou six tours pour cette poularde ! vite, vite, enlevez le bœuf ! il faut qu’il soit saignant. Laissez le veau et les poulets :
Les veaux mal cuits, les poulets crus
Font les cimetières bossus
Retenez cela, galopin. N’est pas rôtisseur qui veut. C’est un don du ciel. Portez ce potage à la reine au numéro 6. Qui a demandé des cailles au gratin ? Dressez vivement ce râble de lièvre piqué ! »


Dernier extrait : Isabelle découvre des armures dans le château de Vallombreuse
« … elle aperçut deux figures armées de pied en cap, qui se tenaient immobiles en sentinelle de chaque côté du chambranle, les gantelets croisés sur la garde de grandes épées ayant la pointe fichée en terre ; les cribles de leurs casques représentant des faces d’oiseaux hideux, dont les trous simulaient les prunelles, et le nasal le bec ; sur les cimiers se hérissaient comme des ailes irritées et palpitantes des lamelles de fer ciselées en pennes ; le ventre du plastron frappé d’une paillette lumineuse se bombait d’une façon étrange, comme soulevé par une respiration profonde ; des genouillères et des cubitières jaillissait une pointe d’acier recourbée en façon de serre d’aigle, et le bout des pédieux s’allongeait en griffe. »



Mots-clés : #aventure #humour #xixesiecle
par ArenSor
le Lun 30 Mai - 16:19
 
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Sujet: Théophile Gautier
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Carl Jonas Love Almqvist

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire Sara11




Sara et Albert vont en bateau

Il est toujours étonnnant de rencontrer un esprit libre. Libre au point d'être très en avance sur son époque et sur son pays.
Libre au point d'être un objet de scandale par ses écrits et ses prises de position.
Et notamment dans Sara, dont l'héroine est une féministe, une féministe douce mais ferme.
Qui ne réclame rien moins que l'autonomie financière pour la femme, le refus du mariage et de l'enfantement.
Bref des thèses encore non résolues aujourd'hui.
Et le roman date de 1839.

Ainsi Sara avance t-elle dans la vie, hardiment et joyeusement.
Lorsqu'elle rencontre Albert, lors d'un voyage en bateau à partir de Stokholm, puis en voiture à cheval vers le Nord de la Suède, c'est le coup de foudre réciproque.
Mais Albert, lui, est un homme de son temps, un sergent en congé.
Sara sait bien qu'elle avance sur un terrain miné, mais elle est intelligente, habile et jolie. C'est ainsi d'abord qu'elle séduit Albert.
Elle  avance, à pas comptés, mais résolument. C'est elle la maitresse du jeu.
Les dialogue entre Sara et Albert sont vraiment drôles et réjouissants.
Animés d'une fraicheur quasiment adolescente. Ces deux-là sont merveilleusement romantiques.
Peut être meme, Sara l'est elle d'avantage. Elle qui envisage de préserver l'amour en évitant les pièges que sont le temps, la promiscuité, la dépendance et la déperdition des sentiments.

Ce qui fait le prix de ce roman, c'est le style, clair et convainquant. Jamais didactique et tout à fait plaisant dans la description des paysages vus au cours  du voyage sentimental.

On peut penser que dans la pensée d'Almqvist, il y a un rêve de bonheur pour tous, accessible pourvu que les hommes se laissent aller à la générosité et à l'altruisme. Sachant que la vie est si brève.
Mais ce n'est pas gagné ! Rousseau avant Almqvist avait aussi rêvé.

Voilà donc un roman délicieux. Et qui, sous ses apparences sentimentales soulève des problèmes de société non encore résolus.


Mots-clés : #amour #conditionfeminine #xixesiecle
par bix_229
le Lun 25 Oct - 21:20
 
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Sujet: Carl Jonas Love Almqvist
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Jules Verne

Voyages et Aventures du capitaine Hatteras

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire Voyage16

1860 : le Forward, mystérieux brick à voile et à vapeur, prend la mer de Liverpool vers une destination inconnue, mais certainement polaire : est-il parti « à la recherche de ce passage du nord-ouest, dont la découverte eût singulièrement abrégé les voies de communication entre les deux mondes » ? Qui serait son invisible capitaine ? Il s’agit du capitaine Hatteras, audacieux navigateur britannique déterminé à atteindre le pôle Nord ; c'est une incarnation de la volonté.
« – Infranchissables ! s’écria Hatteras avec véhémence, il n’y a pas d’obstacles infranchissables, il y a des volontés plus ou moins énergiques, voilà tout ! »

Et les difficultés vont se multiplier, tant humaines (insoumission de l’équipage, disparition du stock de charbon escompté) que naturelles (glaces, tempêtes, scorbut, etc.). Le bâtiment sera contraint d’hiverner au « pôle du froid », l’endroit le plus glacial du globe.
« La trahison a brisé vos plans ; vous avez pu lutter contre les obstacles de la nature et les renverser, non contre la perfidie et la faiblesse des hommes [… »

À la figure de l’opiniâtre, de l’intransigeant capitaine Hatteras est adossée celle du docteur Clawbonny, savant toujours optimiste et gai. Ce dernier est d’ailleurs peut-être le personnage principal du roman, tant son ingéniosité, basée sur un grand savoir, lui permet de sortir ses compagnons des mésaventures ; ainsi de sa connaissance de la castramétation, si utile pour protéger une « snow-house » de l’attaque des ours blancs…
« – Mes amis, je ne sais que ce que m’ont appris les autres, et, quand j’aurai parlé, vous serez aussi instruits que moi. »

Toujours didactique, Verne retrace minutieusement l’histoire de l’exploration arctique comme les caractéristiques physiques de la géographie boréale. Il emploie le vocabulaire anglais s’y rapportant de près ou de loin, comme teetotaler, abstinent complet de boissons alcooliques, blink (ou plus précisément ice-blink), blancheur de l’horizon par réverbération de la glace dans l’atmosphère, et frost-rime, curieuse redondance pléonastique du givre, sans oublier les hummocks qui soulèvent les ice-fields et le pack − en fait Verne parle franglais !
« …] l’eau menaçait à chaque instant de manquer devant la proue du Forward, et s’il venait à être nipped, il lui serait difficile de s’en tirer. »

Il a aussi recours au lexique de la marine, qui m’emmène toujours nez au vent, mais déroute souvent car les termes ont pris des significations différentes :
• Ranger la terre, la côte, ranger un bâtiment, en parlant d’un navire, naviguer au plus près du rivage, d’un autre navire. (Académie)
• Conserve : bâtiment qui fait route avec un autre, pour le secourir ou pour être secouru par lui à l’occasion. Dans la tempête, notre frégate avait perdu sa conserve. Loc. adv. De conserve, se dit de deux ou plusieurs bâtiments qui font route ensemble. Ces deux avisos naviguent de conserve, vont de conserve, sont de conserve. Fig. Agir de conserve, d’accord avec quelqu’un. (Académie)
• Dépasser un câble, une manœuvre, les mâts : les amener sur le pont (TLFi)
Typiquement, Verne semble vouloir mettre dans son livre tout ce qui concerne le sujet, ici la navigation et l’exploration polaire (thèmes qu’il aborde cependant dans de nombreux ouvrages ; dans le genre, j’ai tout particulièrement apprécié Un capitaine de quinze ans, Le pays des fourrures, La Jangada et Le superbe Orénoque).
Un autre grand leitmotiv du livre, c’est le chauvinisme anglais, jusqu’au nationalisme inflexible lorsque le capitaine Altamont, rescapé d’un bateau américain, sera secouru par l’équipage du Forward.
L’aspect discours scientifique des livres de Verne ne doit pas faire oublier que, parfois, ses convictions ont été démenties depuis.
« C’est la loi générale de la nature qui rend insalubres et stériles les contrées où nous ne vivons pas comme celles où nous ne vivons plus. Sachez-le bien, c’est l’homme qui fait lui-même son pays, par sa présence, par ses habitudes, par son industrie, je dirai plus, par son haleine ; il modifie peu à peu les exhalaisons du sol et les conditions atmosphériques, et il assainit par cela même qu’il respire ! »

Les phénomènes naturels sont décrits comme si l’auteur (ou le lecteur) y était allé, tel ici celui de la neige rouge (que Verne attribue à des champignons, alors qu’il s’agit d’algues) :
« Le phénomène, quoique expliqué, n’en était pas moins étrange ; la couleur rouge est peu répandue par larges étendues dans la nature ; la réverbération des rayons du soleil sur ce tapis de pourpre produisait des effets bizarres ; elle donnait aux objets environnants, aux rochers, aux hommes, aux animaux, une teinte enflammée, comme s’ils eussent été éclairés par un brasier intérieur, et lorsque cette neige se fondait, il semblait que des ruisseaux de sang vinssent à couler jusque sous les pieds des voyageurs. »

La fin du roman est manifestement imprégnée de la lecture de Les Aventures d'Arthur Gordon Pym de Nantucket, d’Edgar Allan Poe ; c’est un envol de l’imaginaire (et de l'inconscient), qui abandonne l’esprit rationnel maintenu jusque-là.

\Mots-clés : #aventure #voyage #xixesiecle
par Tristram
le Dim 17 Oct - 13:24
 
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Mark Twain

La vie sur le Mississippi
(Tomes 1 & 2)

Tag xixesiecle sur Des Choses à lire La_vie14

« Il me restait trente dollars ; j’allais partir et terminer l’exploration de l’Amazone ; ce fut là toute la réflexion que j’accordai à cette question. Je n’ai jamais été très bon en ce qui concerne les détails. J’ai bouclé ma valise et j’ai pris un billet pour New Orleans sur un vieux rafiot, le Paul Jones. Pour seize dollars, j’ai bénéficié pratiquement pour moi tout seul des splendeurs dévastées et ternies de son salon principal, car cette créature avait du mal à attirer l’œil des voyageurs plus avisés. »

Le jeune Mark Twain renonce à explorer l’Amazonie lorsque Mr. Bixby, fameux pilote de bateau à roues à aubes sur le Mississippi, accepte de lui apprendre à naviguer sur le long fleuve qui le fait rêver depuis son enfance : mémoriser tous ses amers et sondages, d’ailleurs changeants au fil du temps, afin d’être capable de savoir en toute circonstance où il est (y compris de nuit).
« Il était évident que je devais apprendre la forme du fleuve de toutes les manières possibles et imaginables – à l’envers, par le mauvais bout, du dedans vers l’extérieur, de l’avant vers l’arrière, et "en travers" –, et puis qu’il me fallait savoir aussi quoi faire les nuits de brouillard, lorsqu’il n’avait pas la moindre forme. »

« Lorsque j’eus appris le nom et la position de chaque caractéristique visible du fleuve ; lorsque j’eus si bien maîtrisé sa forme que j’aurais pu fermer les yeux et en suivre le cours de Saint Louis à New Orleans ; lorsque je sus lire la surface de l’eau comme on lit les nouvelles dans le journal du matin ; et lorsque, enfin, j’eus entraîné ma mémoire peu douée à conserver précieusement une quantité infinie de sondages et de repères de traversée et à les tenir bien solidement, j’estimai que mon éducation était terminée. »

Mais il lui reste à apprendre les « couloirs » lors des crues, et bien d’autres choses sur le monde fascinant du grand fleuve, comme naviguer dans la fumée de bagasse...
« On a du mal à comprendre à quel point il est extraordinaire de connaître chaque petit détail de douze cents miles de fleuve et ce avec une exactitude absolue. »

Ce parcours mnémotechnique rappelle l'art de mémoire ou méthode des lieux, et le fonctionnement de la mémoire elle-même, comme on commence à l’expliquer de nos jours.
Ce livre est aussi un témoignage sur le monde méconnu du Mississippi au milieu du XIXe, un récit souvent autobiographique, un recueil d’aventures et d’anecdotes "parlantes", qui rendent ses habitués, des mariniers des radeaux de bois aux voyageurs de Saint Louis à New Orleans en passant par les planteurs, « nègres », « israélites », bûcherons, Indiens, mais aussi un compte rendu historique (dès la présence française dans les débuts d’exploration) et géographique (des considérations géologiques comme le fleuve devenant de moins en moins long, des « raccourcis » court-circuitant ses méandres, à une sorte de guide touristique vantant les nouvelles villes).
Tout un peuple est décrit, pittoresque et violent, avide de modernité, caractérisé par le dynamisme tant des laborieux que des escrocs.
« Le missionnaire passe après le whisky – je veux dire, il arrive après que le whisky est arrivé ; puis l’immigrant pauvre débarque, avec hache, houe et fusil ; puis le marchand ; puis la ruée mélangée ; puis le joueur, le desperado, le voleur de grands chemins et tous leurs frères et sœurs dans le péché ; et puis le petit malin qui a récupéré une ancienne concession couvrant tout le territoire ; cela attire la tribu des avocats ; le comité de vigilance amène l’entrepreneur des pompes funèbres. Tous ces intérêts font venir le journal ; le journal lance la politique, et le chemin de fer ; tout le monde s’y met, et on construit une église et une prison – et voilà, la civilisation est établie pour toujours dans la région. Mais le whisky, voyez-vous, était le chariot de tête, dans cette œuvre bienfaisante. C’est toujours le cas. »

Les pilotes formaient une aristocratie ne le cédant à personne, y compris aux capitaines ; ils incarnent peut-être le mythe états-unien à l’époque.
« …] un pilote, à cette époque-là, était le seul être humain au monde qui fût libre et entièrement indépendant. »

L’alias de « Mark Twain », « ("deux brasses de fond") – le cri par lequel le sondeur prévenait le pilote de la menace de hauts-fonds » − serait lié à son apprentissage du courage, ou au pseudonyme d’un certain capitaine Isaiah Sellers.
Nombre de digressions savoureuses, l’humour typique de l’auteur, participent de la faconde des personnages rencontrés, menteurs fabuleux et superstitieux à l’inventivité (et l’exagération, y compris dans les jurons) d’une délectable imagination.
« − Je ne vous raconterai pas d’histoires, expliqua-t-il ; il m’a dit un jour un mensonge si monstrueux que ça m’a fait gonfler l’oreille gauche. Elle est devenue si grosse qu’elle m’a caché la vue ; elle est restée comme ça pendant des mois et les gens venaient de miles à la ronde pour me voir m’éventer avec. »

« Lorsque je tombe sur un personnage bien dessiné dans une fiction ou une biographie, j’y trouve généralement un vif intérêt, parce que je l’ai connu avant – je l’ai rencontré sur le fleuve. »

J’ai beaucoup apprécié comme l’auteur facétieux est prodigue en parenthèses sans frein ni mesure, et comme son ton de conversation met en abyme l’esprit typiquement "sudiste" des oralités rapportées : là où le souvenir et sa relation enflent pour devenir fiction.
Mark Twain ayant dû abandonner son métier de pilote lors de la guerre, il revient sur le Mississippi vingt et un ans plus tard, en 1882 ; les changements sont immenses. Il reprend ses notes de voyage et réunit une importante documentation pour étayer son reportage fantaisiste, l’épopée du légendaire Mississippi avec sa boue, ses naufrages, voie commerciale devenue désuète et dont les digues ne contiennent pas toujours les débordements.
« La navigation à vapeur sur le Mississippi est née aux alentours de 1812 ; trente ans plus tard, elle avait pris de formidables proportions et en moins de trente ans encore, elle était morte ! »

La nostalgie est perceptible dans cette litanie des transformations, tant dans la nature que chez les hommes (malgré le progrès, notamment industriel, permis par le chemin de fer, cet adversaire vainqueur du fleuve).
« Beaver Dam Rock était au beau milieu du fleuve maintenant, y faisant une prodigieuse "marque" ; avant, il était près de la rive et les bateaux qui descendaient passaient à l’extérieur. Une grosse île qui était située au milieu du fleuve s’est retirée vers la rive côté Missouri, et les bateaux ne s’en approchent plus du tout. L’île appelée Jacket Pattern est réduite à un petit morceau triangulaire, à présent, et elle est promise à une prochaine destruction. Goose Island a complètement disparu, à l’exception d’un petit bout de la taille d’un vapeur. Le dangereux « Cimetière », dont nous franchissions les épaves sans nombre si lentement et avec de telles précautions, est loin du chenal désormais, et il n’est plus la terreur de personne. L’une des deux îles que l’on nommait jadis les Two Sisters n’existe plus ; l’autre, qui se trouvait près de la rive côté Illinois, est maintenant côté Missouri, à un mile de là ; elle est solidement reliée au rivage, et il faut un œil perçant pour voir où est la soudure – et pourtant, elle appartient encore au territoire de l’Illinois, et les gens qui y vivent doivent franchir le fleuve en bac et payer les routes et les taxes de l’Illinois : étrange état de choses ! »

La nature est dépeinte.
« Je me suis réveillé pour le quart de quatre heures, tous les matins, car on ne voit jamais trop de levers de soleil sur le Mississippi. Ils sont enchanteurs. D’abord, il y a l’éloquence du silence ; car un calme profond pèse sur tout. Puis il y a l’obsédante sensation de solitude, d’isolement, d’éloignement des soucis et du remue-ménage du monde. L’aube arrive à pas de loup ; les murs solides de la sombre forêt s’adoucissent en grisonnant, et de vastes espaces du fleuve s’ouvrent et se dévoilent ; l’eau est lisse comme du verre, émet de petites volutes spectrales de brume blanche, il n’y a pas le moindre souffle de vent, pas un mouvement de feuille ; la tranquillité est profonde et infiniment satisfaisante. Puis un oiseau se met à chanter, un autre l’imite, et bientôt les gazouillis se transforment en une joyeuse orgie musicale. Vous n’apercevez aucun de ces oiseaux ; vous vous déplacez seulement dans une atmosphère de chansons qui semble chanter d’elle-même. Quand la lumière est devenue un petit peu plus forte, vous avez l’un des plus beaux et des plus harmonieux spectacles imaginables. Vous avez le vert intense des feuillages serrés et touffus à côté de vous ; vous le voyez pâlir, une nuance après l’autre, devant vous ; au-dessus du prochain cap en saillie, à environ un mile ou plus, la couleur s’est éclaircie jusqu’au vert jeune et tendre du printemps ; le cap suivant, plus loin, a presque perdu la sienne, et à des miles sous l’horizon celui d’après dort sur l’eau, simple buée imprécise, et on le distingue à peine sur le ciel qui le domine et qui l’entoure. Et toute cette étendue de fleuve est un miroir, et s’y peignent les reflets ombreux des feuillages et des rives arrondies et des caps qui s’éloignent ; eh bien, cela est de toute beauté ; doux et riche et beau ; et quand le soleil est complètement levé, et qu’il distribue une touche de rose ici et une poudre dorée un peu plus loin et une brume pourpre là où elle produira le meilleur effet, vous estimez que vous avez vu quelque chose dont il vaudra la peine de se souvenir. »

Voici une recommandation pour éviter les enterrements à New Orleans, le sous-sol étant gorgé d’eau :
« Vous pouvez brûler une personne pour quatre ou cinq dollars ; et fabriquer assez de savon avec ses cendres pour payer la note. Si c’est quelqu’un de normal quant au volume, vous pouvez même faire un profit grâce à lui. J’ai estimé la chose sur soixante-quatre sujets qui m’ont rendu visite chez moi, et que je connais personnellement et intimement, et j’en ai conclu que tous paieraient la dépense, et que quarante-trois d’entre eux généreraient un profit. Moi-même je serai capable de laisser quelque chose, si je ne tombe pas en dessous de la moyenne. »

À noter que le risque d’épidémie évoqué par Mark Twain à propos de l’ensevelissement de cadavres (hors épidémie en cours) n’est pas avéré, comme un certain nombre d’autres faits rapportés (texte édité pour la première fois en 1883).

Ce livre constitue un excellent complément aux romans plus connus de Twain, sans que l’esprit en soit fort différent. Et ceux qui ont assez fréquenté un fleuve (que ce soit le Danube, le Nil, la Mana ou la Loire) comprendront cet amour tendrement passionné pour le Mississippi.

\Mots-clés : #essai #temoignage #voyage #xixesiecle
par Tristram
le Dim 10 Oct - 0:25
 
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Herman Melville

Vareuse-Blanche

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Roman très largement autobiographique, narré sur le ton du récit, 540 pages environ, titre original: White-Jacket; or, The World in a Man-of-War. Parution originale: 1850.
Les faits sont inspirés de ce que Melville vécut lui-même comme matelot à bord de la frégate United-States, qui l'avait embarqué à Tahiti, en 1840.



1843. Un marin embarqué à bord de l'"Insubmersible" (Neversink), frégate de guerre US, peut-être à Callao (Pérou) -c'est sous-jacent mais non dit- a besoin de vêtements chauds en prévision du Cap-Horn et de la navigation dans les mers du sud. Le commis aux vivres, après trois années en mer, est dans l'impossibilité de lui fournir une vareuse ou un surtout, n'en ayant plus en stock. Le marin s'en fabrique une dans une espèce de chemise, blanche, qu'il double à l'intérieur grâce à toutes les guenilles et bouts d'étoffe qui lui tombent sous la main, à la Arlequin en somme, et en profite pour munir son vêtement de tout un tas de poches discrètes voire secrètes.

En peu de temps ce marin (personnage narré au "je" par Melville), qui est un gabier -presque membre d'une "élite", donc, dans l'ordre des matelots à bord- y gagne le surnom de White-Jacket:
Vareuse-Blanche.

Même si l'on est convaincu, avant même d'entreprendre la lecture, de la dureté excessive et de l'injustice qui règnent alors à bord d'une frégate militaire de la Navy, on ne s'attend pas forcément à un tel brûlot.
Melville, publiant ce récit, sait que tout engagement dans la marine militaire lui sera impossible après un tel livre, et que, même pour la marine marchande, il vaudra mieux avoir affaire à quelqu'un qui n'en a jamais entendu parler, à l'heure de l'enrôlement. Si Melville, en avertissement liminaire, se défend que les faits, les caractères et les noms aient quelque rapport que ce soit avec sa propre expérience, le simple fait que le récit paraisse sous son nom suffit...

C'est donc un ouvrage qu'on peut qualifier d'engagé.
Melville parvient à y glisser une petite touche d'humour, qui soutient l'intérêt du lecteur il faut le dire, la distance au-delà des 500 pages serait-elle digeste si l'on avait juste affaire à un pensum ?
Là est tout le point: soutenir l'attention du lecteur, d'accord, mais le but reste d'édifier l'opinion [américaine du milieu du XIXème] afin de déclencher un éveil des consciences, menant à une amélioration du sort des matelots dans la marine militaire américaine: Être prêt à recevoir cela tel quel en tant que lecteur français du XXIème, est-ce une gageure ?

Je ne le crois pas: ce qui fait l'acuité de cet ouvrage aujourd'hui va bien au-delà de l'aspect testimonial pour érudits ou historiens spécialisés; car il s'agit de l'homme.
Et les univers carcéraux bâtis pour la plus grande efficacité, où l'humain est foulé, avili, où la justice élémentaire passe après subsistent, sous d'autres formes, parfois tellement abstraites qu'on ne se rend même pas compte qu'il y a encagement; du moins est-ce là ma conviction, ma grille de lecture si ce terme n'est pas trop pompeux.  

Chapitre 34, Quelques effets désastreux du fouet a écrit: Voici d'abord l'un des arguments présentés par les officiers de marine en faveur des châtiments corporels: ceux-ci peuvent être infligés sur-le-champ, on ne perd pas un temps précieux, et dès que le prisonnier a remis sa chemise, tout est terminé. Si l'on y substituait un autre mode de punition, cela occasionnerait sûrement une grande perte de temps et bien des complications, outre que l'on ferait naître chez le coupable un sentiment exagéré de son importance.

 Si absurde - et même pire - que cela puisse paraître, tout ceci est vrai; et si vous partez des mêmes prémisses que ces officiers, vous devez admettre qu'ils présentent un argument irréfutable. Mais en s'appuyant sur ce principe, les capitaines infligent le fouet - qui est toujours à la portée de la main - pour presque tous les degrés de culpabilité. En ce qui concerne les délits qui ne relèvent pas d'une cour martiale, on ne fait pratiquement pas de discrimination. La chose se passe comme pour les lois pénales qui étaient en vigueur en Angleterre il y a une soixantaine d'années: à cette époque le code déclarait que cent soixante délits différents étaient passibles de la peine capitale, et l'on pendait la servante qui n'avait chipé qu'une montre, à côté du meurtrier qui avait assassiné toute une famille.
 En cas de faute vénielle il est d'usage, dans la marine, de sévir en supprimant sa ration de grog au délinquant pendant un jour ou une semaine. Et comme la plupart des matelots sont très attachés à leur gnôle, ils considèrent que cette privation est un châtiment sévère. On les entend parfois dire: "J'aimerais mieux perdre le souffle plutôt que mon grog !"

  Il existe quelques matelots sobres qui préfèreraient volontiers toucher le prix du tafia, au lieu de le boire, comme la loi le permet; mais la pensée qu'ils sont alors susceptibles de recevoir le fouet au lieu d'être privés de grog, s'ils ont commis un délit insignifiant, les en dissuade trop souvent. Il y a là un très sérieux obstacle à la cause de la tempérance dans la marine.

Mais dans bien des cas, même la privation de rhum n'exempe pas un matelot prudent de la honte du châtiment; en effet, outre l'administration solennelle du "chat" sur le passavant pour les fautes ordinaires, il peut de voir infliger des coups de "garcette", ou "gourdin", un bout de "quarantenier" appliqué à l'aveuglette - sans dévêtir le coupable - n'importe quand et n'importe où, sur un simple clin d'œil du capitaine. Par ordre formel de cet officier, la plupart des seconds-maîtres de manœuvre transportent une garcette lovée dans le fond de leur coiffure, toute prête à être appliquée à tout moment au premier déliquant venu. Cette coutume était en usage à bord de l'Insubmersible. Et jusqu'à l'époque toute récente du président Polk, et à l'intervention officielle de l'historien Bancroft, ministre de la Marine, il était courant que les officiers de quart administrent à leur guise cette punition à un marin, en dépit de l'ordonnace réservant le droit du fouet aux capitaines et aux cours martiales.

Et il est arrivé plus d'une fois qu'un simple lieutenant, pris d'une soudaine colère, ou peut-être sous l'empire de la boisson, ou furieux de sentir que les marins ne l'aimaient guère ou le haïssaient, inflige à toute une bordée de quart -comprenant deux cent cinquante hommes-, au fort de la nuit, l'outrage de la garcette.    
 
 




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par Aventin
le Dim 5 Sep - 22:30
 
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Saint Pol Roux (alias Paul-Pierre Roux)

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Les Sabliers


À Georges Ancey.


Assis sur la plage solitaire du Toulinguet où viennent s’agenouiller les haquenées de l’Océan, je méditais, après la chute de l’empereur des Coupes de Thulé.

Devant, hérissée d’un dernier vol où se pêlemêlaient guilloux, mouettes, gaudes, hirondelles de mer et perroquets japonais sans queue, l’Île ; à ma droite, derrière le fort, la Pointe Saint-Mathieu avec ses ruines ecclésiastiques ; à ma gauche, devinées, des pierres et des pierres donnant un frisson d’Éternité à poil, la Tribune, le Lord-Maire, le Dante, les Tas de Pois, le Château de Dinan, le Cap de la Chèvre, la Pointe du Raz, l’Île de Sein…

Je comparais douze cormorans alignés sur un écueil à une phrase de Poe traduite en alexandrin par Baudelaire ou Mallarmé, – lorsque des crissements singuliers venant de Camaret m’intriguèrent la nuque et me firent sursaillir.

Plusieurs théories d’êtres bizarres descendaient le versant : espèces de sauterelles aux membres de bois et corps de verre.

Plus proches, je reconnus des Sabliers.

De toutes dimensions :

Sept, menus comme les fœtus de cinq mois, marquant l’heure ;

Sept, mignons comme les nourrissons, marquant le jour ;

Sept, petits comme les communiants, marquant la semaine ;

Sept, grands comme les adolescents, marquant le mois ;

Sept, hauts comme les titans, marquant I’année ;

Sept, colossaux comme les clochers de cathédrale, marquant le lustre ;

Un, enfin, le dernier, incommensurable comme le génie, marquant le siècle.



– « Hélas ! glapirent les Sabliers. Disgraciés déjà par l’invasion des damoiselles de chêne au nombril d’or, irrévocablement perdus depuis les décrets impies, nous pourrissions dans les moustiers branlants de l’angélique Pays des Coiffes ; inutiles désormais loin des reclus qui nous vinrent ici remplir, nous revenons, accomplie notre destinée, à cette plage si sabuleuse depuis le départ des vandales, et notre guide fut la soif de reposer au lieu natal. »



Je compris que nul ne rendrait à ces oubliés le pieux service si le poète ne daignait.

Aussi, commençant par les moindres, je me mis en devoir de vider sur la grève, les Sabliers l’un après l’autre.

À cet office nous restâmes des heures, des jours, des semaines, des mois, des années, des lustres…



J’avais entrepris le dernier Sablier, le séculaire, lorsque l’invisible faulx du Temps me détacha l’âme du corps.

Les pêcheurs de Kerbonn trouvèrent mon cadavre sur lequel flottait une longue barbe blanche.

Et j’avais l’âge que j’aurai, ô mes Héritiers, le jour de mon décès.



Camaret, à Pen-hat, août 1892.



D'abord publié dans Les Reposoirs de la procession, tome premier, Paris, Mercure de France, 1893, puis repris dans La Rose et les épines du chemin, Paris, Mercure de France, 1901.
Se trouve aujourd'hui dans le nrf Gallimard La Rose et les épines du chemin (Les Reposoirs de la procession I) édition 1997.



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par Aventin
le Mer 11 Aoû - 19:36
 
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Sujet: Saint Pol Roux (alias Paul-Pierre Roux)
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Saint Pol Roux (alias Paul-Pierre Roux)

Saint Pol Roux ? Un délicieux oublié, succulent auteur de poèmes en prose, bien "né" en poésie chez Mallarmé...
Vous demandez le programme ? Il est vaste et ambitieux:
"Idéoréalisme. Plasticiser l'idée [...] Concrétiser l'absolu [...] Accoucher l'inconnu [...]"



_________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________


La Carafe d'eau pure

À Jules Renard.


Sur la table d’un bouge noir où l’on va boire du vin rouge.



Tout est sombre et turpide entre ces quatre murs.

La mamelle de cristal, seule, affirme la merveille de son eau candide.

A-t-elle absorbé la lumière plénière de céans qu’elle brille ainsi, comme tombée de l’annulaire d’un archange ?

Dès le seuil de la sentine sa vue m’a suggéré le sac d’argent sage que lègue à sa louche filleule une ingénue marraine ayant cousu toute la vie.

Voici que s’évoque une Phryné d’innocence, jaillie d’un puits afin d’aveugler les Buveurs de sa franchise.

En effet, j’observe que la crapule appréhende la vierge…

Il se fait comme une crainte d’elle…

Les ronces des prunelles glissent en tangentes sournoises sur sa panse…

Le crabe des mains, soucieuses d’amender leur gêne, va cueillir les flacons couleur de sang…

Mais la Carafe, aucun ne la butine.

Quelle est donc sa farouche vertu ?

Viendrait-elle, cette eau, des yeux de vos victimes, Buveurs, et redoutez-vous que s’y reflètent vos remords, ou bien ne voulez-vous que soient éteints les brasiers vils de vos tempes canailles ?



Et je crus voir leur Conscience sur la table du bouge noir où l’on va boire du vin rouge !




Boulevard de La Chapelle, 1889.




In Les Féeries intérieures, Paris, Mercure de France, 1907.



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par Aventin
le Mer 11 Aoû - 19:21
 
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Jules Verne

Hector Servadac

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Le capitaine Hector Servadac et son « brosseur » (ordonnance), Ben-Zouf de la butte Montmartre (comme son surnom ne l’indique pas), servent en Algérie, près de l'embouchure du Chéliff. Suite à un cataclysme catastrophique, un nouveau système cosmographique remplace celui que nous connaissons : le soleil se lève à l’ouest et se couche à l’est, « la durée du jour n'est plus que de six heures », « l'intensité de la pesanteur a diminué » ; leur région se résume dorénavant à une île, qu’ils baptisent Gourbi. Embarqués sur la goélette du comte Timascheff, commandée par le lieutenant Procope, ils partent à la recherche de l’Afrique disparue. Lors d’une circumnavigation sur que ce qui reste de la Méditerranée, ils découvrent Gibraltar à la place de Corfou, et réalisent que le sphéroïde terrestre qui les porte est beaucoup plus réduit que la terre, s’étendant sur 29 degrés de longitude au lieu de 360 : ils sont sur un astéroïde :
« − C'est, reprit Procope, d'admettre qu'un fragment s'est détaché de la terre, emportant une portion de l'atmosphère avec lui, et qu'il parcourt le monde solaire en suivant une orbite qui n'est plus l'orbite terrestre. »

« Il est incontestable que nous venons de faire le tour de ce qui reste du monde ! »

Cette mer est limitée par une étrange falaise d’aspect métallique.
« De l'ancienne terre, il ne restait que l'île Gourbi, plus quatre îlots : Gibraltar, occupé par les Anglais, Ceuta, abandonné par les Espagnols, Madalena, où la petite Italienne avait été recueillie, et le tombeau de saint Louis, sur la rive tunisienne. Autour de ces points respectés, s'étendait la mer Gallienne, comprenant environ la moitié de l'ancienne Méditerranée, et à laquelle des falaises rocheuses, de substance et d'origine inconnues, faisaient un cadre infranchissable. »

L'île Gourbi étant la seule terre d’envergure, et partant le seul territoire de subsistance pour les oiseaux, ceux-ci le ravagent, ce qui occasionne une de ces listes dont Verne use avec bonheur :
« Chemin faisant, le capitaine Servadac et ses compagnons dirigèrent une mousquetade nourrie contre le nuage d'oiseaux qui se développait au-dessus de leur tête. Il y avait là plusieurs milliers de canards sauvages, de pilets, de bécassines, d'alouettes, de corbeaux, d'hirondelles, etc., auxquels se mêlaient des oiseaux de mer, macreuses, mauves et goélands, et du gibier de plume, cailles, perdrix, bécasses, etc. Chaque coup de fusil portait, et les volatiles tombaient par douzaines. Ce n'était pas une chasse, mais une extermination de bandes pillardes. »

Leur astre s’éloignant du soleil, la température chute rapidement, et les rescapés s’installent dans le réseau caverneux d’un volcan où, canalisée, la lave pourvoit à leurs besoins en chauffage.
La grande question demeure : l’orbite du corps céleste qui les porte est-elle hyperbolique, parabolique ou elliptique (dans ce dernier cas, ils retourneront vers la terre). Palmyrin Rosette, astronome ayant également survécu, leur révèle qu’ils sont emportés par une comète, qu’il a nommée Gallia, et qui devrait rejoindre la terre au bout de deux ans (terrestres) : cours de cométographie qui m’a paru encore valable, et on mesure comme Verne s’adresse à un jeune lectorat (d’élèves ayant déjà un bon niveau scientifique).
Après maintes péripéties, la comète revient à son périhélie, et nos héros vont « se glisser avec l'atmosphère gallienne dans l'atmosphère terrestre »… en montgolfière !

Malgré un côté cocardier très daté (guerres et colonies), j’ai retrouvé cet esprit qui peut-être m’a plus formé que je ne l’aurais cru lors de mes lectures enfantines.
« Le caractère aventureux du capitaine Servadac étant donné, on accordera sans peine qu'il ne se montrât point définitivement abasourdi de tant d'événements extraordinaires. Seulement, moins indifférent que Ben-Zouf, il aimait assez à savoir le pourquoi des choses. L'effet lui importait peu, mais à cette condition que la cause lui fût connue. À l'entendre, être tué par un boulet de canon n'était rien, du moment que l'on savait en vertu de quelles lois de balistique et par quelle trajectoire il vous arrivait en pleine poitrine. Telle était sa manière d'envisager les faits de ce monde. Aussi, après s'être préoccupé, autant que le comportait son tempérament, des conséquences du phénomène qui s'était produit, il ne songeait plus guère qu'à en découvrir la cause. »

Cet aspect patriotique et martial est curieusement mis en abyme et moqué dans le personnage de Ben-Zouf – et l’humour aussi a vieilli…
Les stéréotypes, notamment racistes, sont systématiques quant aux nationalités et « races » :
« Petit, malingre, les yeux vifs mais faux, le nez busqué, la barbiche jaunâtre, la chevelure inculte, les pieds grands, les mains longues et crochues, il offrait ce type si connu du juif allemand, reconnaissable entre tous. C'était l'usurier souple d'échine, plat de cœur, rogneur d'écus et tondeur d'œufs. L'argent devait attirer un pareil être comme l'aimant attire le fer, et, si ce Schylock fût parvenu à se faire payer de son débiteur, il en eût certainement revendu la chair au détail. D'ailleurs, quoiqu'il fût juif d'origine, il se faisait mahométan dans les provinces mahométanes, lorsque son profit l'exigeait, chrétien au besoin en face d'un catholique, et il se fût fait païen pour gagner davantage. »

De même que sa phraséologie, le roman de Verne constitue d’ailleurs un document sur le XIXe ; livre paru en 1877, il commence par une provocation en duel (Servadak et Timascheff à propos d’une veuve convoitée), coutume fréquente à l'époque.
Évidemment, une certaine culture scientifique, surtout astronomique et physique, est recommandée chez le lecteur. C’est un trésor de géographie, d’histoire, de géologie, de botanique, etc., de techniques comme la marine, la géométrie, météorologie, etc. − et de vocabulaire ; il y a un côté didactique, mais attrayant pour certains : c’est extraordinaire, mais pas incompréhensible ; exemples :
« En un mot, dans la "bobine Rosette", la "nervosité", – que l'on accepte pour un instant ce mot barbare, – était emmagasinée à une très haute tension, comme l'électricité l'est dans la bobine Rhumkorff. »

(Belle métaphore du tempérament du professeur Palmyrin Rosette, comparé à un générateur de haute fréquence par induction, à une époque où « nervosité » est un néologisme récent…)
« À peine d'étroites criques s'ouvraient-elles çà et là. Pas une aiguade ne se voyait, à laquelle un navire pût faire sa provision d'eau. Partout se développaient ces larges rades foraines qui sont découvertes sur trois points du compas. »

(Une rade foraine est ouverte aux vents et aux vagues du large, d’après Le Grand Robert.)
Je ne connaissais pas la « mer saharienne », un projet que Verne développera dans son roman L'Invasion de la mer, voir aussi https://sciencepost.fr/au-xixe-siecle-il-y-eut-un-projet-de-creation-dune-mer-dans-le-desert-du-sahara/.
Verne use même du latin ; ainsi, « Orbe fracto, spes illoesa » se traduirait par « Même si tout est perdu, je garde espoir ».
Moins célèbre que d’autres, ce roman présente une grande fantaisie tout en étant exemplaire du regard scientifique qui caractérise Verne : parti de l’hypothèse possible d’un arrachement d’écorce terrestre suite à la collision avec une comète, il élabore un scénario mêlant effets plausibles et peu vraisemblables.
J’ai repensé à Cyrano de Bergerac, à son L'autre monde qui aurait pu inspirer Verne s’il l’a lu.

\Mots-clés : #aventure #catastrophenaturelle #sciencefiction #science #xixesiecle
par Tristram
le Mer 28 Juil - 22:47
 
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George Eliot

Middlemarch

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Un rien, et tout bascule, tous changent de place dans ce microcosme de la société prévictorienne : Middlemarch. Les uns tombent en disgrâce ou en banqueroute, les autres sauvent les apparences dans cette petite ville où la vie est rythmée par les mariages et les enterrements, les alliances et les exclusions mondaines ou politiques. Un rien qui est à la fois tout chez George Eliot, à la fois décisif et incisif, se glissant dans ces mille pages pour les rendre si curieusement prenantes. Cela consiste à décrire des attitudes, des intentions ou impulsions ; des personnages qui, parfois, ne soupçonnent pas les mobiles plus ou moins refoulés qui les font agir.

Une ronde des caractères où se déploie doucement la finesse d’analyse de George Eliot, avec son ironie tranquille, enveloppée d’une placidité qui ferait presque oublier son côté mordant, discret, sous le trop grand amour qu’elle porte à certains de ses personnages (Dorothea, par exemple…), lorsque le dénouement d’une intrigue étouffe un peu la subtilité psychologique. Mais c’est un grand roman, et Proust ne s’y est pas trompé.


\Mots-clés : #amour #conditionfeminine #lieu #psychologique #xixesiecle
par Dreep
le Jeu 24 Juin - 19:34
 
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Herman Melville

Le Grand Escroc
Titre original: The Confidence-Man, his Masquerade

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Roman, 1857, 400 pages environ.


Un vapeur d'une taille certaine, empli de passagers, descend en cabotage le Mississippi. Une affiche placardée près de la cabine du capitaine prévient ces passagers d'être sur leurs gardes, en raison de la présence d'un escroc à bord.
Ce sera la seule allusion à ce capitaine (et si l'escroc c'était lui ?).
Ces passagers rencontrent, sous des dehors de hasard, un caractère principal assez ambigü, peut-être unique, peut-être multiple, en tous cas insaisissable (parce que ne se laissant pas démasquer).

Le roman est articulé en tableaux ou scènes parfois enchaînées, parfois non. Il est d'une très grande richesse et d'une indiscutable modernité.
Tout repose sur la confiance dans le rapport imposé par l'escroc, mais, d'une certaine manière (ce qui est particulièrement moderne), sur le degré de confiance que nous-mêmes mettons dans les situations narrées, c'est-à-dire que nous sommes aussi, nous lecteurs, confrontés.
Il y a de la satire allégorique mais aussi métaphysique dans l'ouvrage.


L'abord d'une foultitude de sujets variés intimes ou universels, prégnants, fait défilé ou farandole, étourdit le lecteur.
Sujets tels le bien, la charité -bien sûr la confiance - la morale -ce qu'on appelle aujourd'hui l'éthique - le cynisme, la philanthropie, la misanthropie, le matérialisme, le réalisme, la théologie, l'amitié, l'économie sont par ex. autant d'accroches dont se sert le -ou les- grand(s) escroc(s) à bord.

À noter qu'il n'escroque pas toujours pour de l'argent, comme s'il poursuivait des desseins plus mystérieux (le diable n'a pas tenté Adam et Ève pour de l'argent, est-il dit, en substance, quelque part dans le roman).


Alors, un ouvrage remarquable et méconnu ?
Oui, si l'on veut.
Pourtant, pourtant...
Ce fut un échec complet, tant auprès de la critique que du public, et l'auteur, cinglé de plein fouet -sans doute parce qu'il avait "mis" énormément de lui, de temps, de réflexion, de matière dans ce livre-là- se retirera plus ou moins de la vie littéraire pour épouser une autre carrière, nettement moins en vue.

C'est aussi un ouvrage roboratif, un peu trop riche comme l'on dit d'un mets ultra-calorifique.
Si, en effet, le lecteur est étourdi, grisé par le déroulé, le côté incessant, il solliciterait parfois volontiers un tempo un peu moins enlevé, une pause.
Enfin peut-être Melville eût-il gagné à davantage de concision, de dépouillement, quelque chose de plus ramassé (avis au potentiel lecteur: s'engager dans ces pages est une entreprise d'une certaine haleine, pas seulement en raison du nombre de pages).

Et puis:
Je n'ai pas trouvé ce si fort alliage, que je prise tant chez Melville, entre la force et la grâce dans l'écriture (mais il est vrai qu'avec Melville, qui m'a tant transporté et que je porte volontiers au pinacle, je suis si peu indulgent): alliage dont sont sertis Benito Cereno, Moi et ma cheminée, Moby Dick, Bartleby et tant d'autres...

Mais malgré tout ce Grand Escroc, pour mitigé que je puisse paraître, reste un livre tout à fait à recommander.



Mots-clés : #absurde #amitié #contemythe #social #voyage #xixesiecle
par Aventin
le Jeu 24 Juin - 17:03
 
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Sujet: Herman Melville
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Honoré de Balzac

Un début dans la vie

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Roman, paru en feuilleton en 1842 sous le titre Le Danger des mystifications puis parution augmentée en 1844 sous le titre définitif. Inséré dans les Scènes de la vie privée de La Comédie Humaine.

Très plaisante études de mœurs, croquignolesque et fort théâtrale. Aux alentours des années 1825, un voyage en diligence -qu'on appelait coucou- se révèle extrêmement déterminant pour les destins futurs des protagonistes-passagers.
Sujet fourni à Balzac par sa sœur Laure Surville, auteur d'une petite nouvelle intitulée Un voyage en coucou, pointant les conséquences des bavardages imprudents qui s'y déroulent parfois.
On peut lire Un voyage en coucou ici.

Les inconséquences sont ici terribles, outrées bien sûr, mais enfin on mord volontiers dans ce bon Balzac bien troussé, quelle que soit la fin, capillotractée et peu crédible, même pas nécessaire pour une morale que l'Ogre de la Littérature a cru bon de ne pas insérer, en renvoi dos à dos des caractères: bref, on a vu l'auteur mieux clore.  
Mais ce sera le seul léger grief sur ce petit roman (par sa taille), rondement mené, car, en revanche l'entame, très fournie et nouée comme à l'accoutumée, s'avère fort preste et de belle tenue, et le corpus qui suit tient largement en haleine.

Peut-être même Balzac s'est-il bien amusé (?), je veux dire par là que ça sonne léger, loin des accouchements présumés dans la douleur qui parsèment son parcours.
Pas mal de souvenirs, de réminiscences aussi: parce que le trajet de Paris à L'Isle-d'Adam dans une vieillerie de diligence de seconde classe, Balzac l'a effectué un paquet de fois, pour aller visiter son ami de Villers-La-Faye.
Quant à la vie (malgré tout minable) d'Oscar Husson, dans une Étude de Notaire, c'est celle de Balzac jeune, entre 1818 et 1820.
Idem le séjour en Afrique dans l'armée, c'est du vécu proche, par son gendre Surville, mari de Laure Balzac, instigatrice du roman...
(NB: je pense qu'on doit pouvoir ajouter et cœtera)  

Toutes ces destinées entrecroisées, qui nous font dire "à quoi ça tient ?", ces trahisons, ces espoirs, ces chutes, ces rédemptions, ces carrefours de vie et ces chemins-faisant, ça reste quand même la belle marque de la fabrique balzacienne.

Le comte avait mis un pantalon blanc et des bottes fines, un gilet blanc et un habit noir sur lequel brillait, à droite, le crachat des GrandCroix de la Légion d’Honneur ; à gauche, à une boutonnière pendait la Toison d’Or au bout d’une chaîne d’or. Le cordon bleu ressortait vivement sur le gilet. Il avait lui-même arrangé ses cheveux, et s’était sans doute harnaché ainsi pour faire à Margueron les honneurs de Presles, et peut-être pour faire agir sur ce bonhomme les prestiges de la grandeur.
– Eh ! bien, monsieur, dit le comte en restant assis et laissant Moreau debout, nous ne pouvons donc pas conclure avec Margueron ?
– En ce moment il vendrait sa ferme trop cher.
– Mais pourquoi ne viendrait-il pas ? dit le comte en affectant un air rêveur.
– Il est malade, monseigneur...
– Vous en êtes sûr ?
– J’y suis allé...
– Monsieur, dit le comte en prenant un air sévère qui fut terrible, que feriez-vous à un homme de confiance qui vous verrait panser un mal que vous voudriez tenir secret, s’il allait en rire chez une gourgandine ?
– Je le rouerais de coups.
– Et si vous aperceviez en outre qu’il trompe votre confiance et vous vole ?
– Je tâcherais de le surprendre et je l’enverrais aux galères.
– Écoutez, monsieur Moreau ! vous avez sans doute parlé de mes infirmités chez madame Clapart, et vous avez ri chez elle, avec elle, de mon amour pour la comtesse de Sérisy, car le petit Husson instruisait d’une foule de circonstances relatives à mes traitements les voyageurs d’une voiture publique, ce matin, en ma présence, et Dieu sait en quel langage !
Il osait calomnier ma femme. Enfin, j’ai appris de la bouche même du père Léger, qui revenait de Paris dans la voiture de Pierrotin, le plan formé par le notaire de Beaumont, par vous et par lui, relativement aux Moulineaux. Si vous êtes allé chez monsieur Margueron, ce fut pour lui dire de faire le malade, il l’est si peu que je l’attends à dîner, et qu’il va venir. Eh ! bien, monsieur, je vous pardonnais d’avoir deux cent cinquante mille francs de fortune, gagnés en dix-sept ans...
Je comprends cela. Vous m’eussiez chaque fois demandé ce que vous me preniez, ou ce qui vous était offert, je vous l’aurais donné: vous êtes père de famille. Vous avez été, dans votre indélicatesse, meilleur qu’un autre, je le crois...
Mais vous qui savez mes travaux accomplis pour le pays, pour la France, vous qui m’avez vu passant des cent et quelques nuits pour l’Empereur, ou travaillant des dix-huit heures par jour pendant des trimestres entiers, vous qui connaissez combien j’aime madame de Sérisy, avoir bavardé là-dessus devant un enfant, avoir livré mes secrets, mes affections à la risée d’une madame Husson...
– Monseigneur...
– C’est impardonnable. Blesser un homme dans ses intérêts, ce n’est rien; mais l’attaquer dans son cœur ?... Oh ! vous ne savez pas ce que vous avez fait !
Le comte se mit la tête dans les mains et resta silencieux pendant un moment.
– Je vous laisse ce que vous avez, reprit-il, et je vous oublierai. Par dignité, pour moi, pour votre propre honneur, nous nous quitterons décemment, car je me souviens en ce moment de ce que votre père a fait pour le mien.
Vous vous entendrez, et bien, avec monsieur de Reybert qui vous succède.
Soyez, comme moi, calme.
Ne vous donnez pas en spectacle aux sots. Surtout, pas de galvaudages ni de chipoteries. Si vous n’avez plus ma confiance, tâchez de garder le décorum des gens riches.


Mots-clés : #xixesiecle
par Aventin
le Jeu 10 Juin - 19:20
 
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Sujet: Honoré de Balzac
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Honoré de Balzac

La maison du chat qui pelote

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Cette maison d'un autre siècle abrite en son rez-de-chaussée le magasin du drapier : Monsieur Guillaume, digne successeur de Mr Chevrel dont il a épousé la fille.

Or depuis plusieurs jours un passant s'arrête pour regarder attentivement la vieille maison, son regard est le plus souvent dirigé vers une fenêtre du 3ème étage ; celle de la chambre de mademoiselle Augustine. Tentant d'apercevoir l'objet de son désir.

Mais dans la vitrine du magasin un objet a toute son attention, un tableau dont la vue l'amuse mais aussi le navre. Sentiments que l'on comprend car ce passant est un jeune peintre qui a été primé ; il revient d'un long séjour en Italie.

"Au milieu de cette large poutre mignardement sculptée se trouvait un antique tableau représentant un chat qui pelotait. Cette toile causait la gaieté du jeune homme. Mais il faut dire que le plus spirituel des peintres modernes n’inventerait pas de charge si comique. L’animal tenait dans une de ses pattes de devant une raquette aussi grande que lui, et se dressait sur ses pattes de derrière pour mirer une énorme balle que lui renvoyait un gentilhomme en habit brodé. Dessin, couleurs, accessoires, tout était traité de manière à faire croire que l’artiste avait voulu se moquer du marchand et des passants. En altérant cette peinture naïve, le temps l’avait rendue encore plus grotesque par quelques incertitudes qui devaient inquiéter de consciencieux flâneurs. Ainsi la queue mouchetée du chat était découpée de telle sorte qu’on pouvait la prendre pour un spectateur, tant la queue des chats de nos ancêtres était grosse, haute et fournie. "

Augustine et Théodore se rencontrent lors de l'exposition de ce dernier, ils correspondent et se retrouvent en rusant. Après des concessions,  (bien évidemment les règles et valeurs de la famille Guillaume doivent être respectées et diffèrent totalement de la société dont Théodore fait partie) et grâce à l'intervention d'une cousine des Guillaume le mariage entre Augustine et le peintre - Théodore de Sommervieux - a lieu.

Dans la première année, la beauté et l'amour d'Augustine suffisent à Théodore, mais intellectuellement et socialement la jeune femme ne s'adapte pas à la société de son époux et cela lassera le jeune peintre.
Malgré ses efforts, son envie de plaire à son mari, elle ne sera jamais à ses yeux à la hauteur de sa classe ; le mariage n'apparait plus à Augustine que comme difficilement vivable. Une ultime tentative de sa part auprès  la Duchesse de Carigliano, adulée par son mari, et malgré ses judicieux conseils, ne fera que précipiter la fin.


Je pense que cet échec peut s'illustrer dans les deux tableaux dont le style et la technique s'opposent : celui représentant "le chat qui pelote" et le portait couronné d'Augustine fait par Théodore.

C'est un drame de la différence de classes.

L'ambiance feutrée et restreinte de la maison Guillaume, son éducation ne pouvaient permettre à Augustine d'évoluer vers une autre société et notamment celle de Théodore et son monde qui ne lui pardonnait pas son extraction.




Extraits :

" les deux toiles furent exposées. La scène d’intérieur fit une révolution dans la peinture. Elle donna naissance à ces tableaux de genre dont la prodigieuse quantité importée à toutes nos expositions, pourrait faire croire qu’ils s’obtiennent par des procédés purement mécaniques. Quant au portrait, il est peu d’artistes qui ne gardent le souvenir de cette toile vivante à laquelle le public, quelquefois juste en masse, laissa la couronne que Girodet y plaça lui-même. Les deux tableaux furent entourés d’une foule immense. On s’y tua, comme disent les femmes. Des spéculateurs, des grands seigneurs couvrirent ces deux toiles de doubles napoléons, l’artiste refusa obstinément de les vendre, et refusa d’en faire des copies."

"Un soir, elle fut frappée d’une pensée qui vint illuminer ses ténébreux chagrins comme un rayon céleste. Cette idée ne pouvait sourire qu’à un cœur aussi pur, aussi vertueux que l’était le sien. Elle résolut d’aller chez la duchesse de Carigliano, non pas pour lui redemander le cœur de son mari, mais pour s’y instruire des artifices qui le lui avaient enlevé ; mais pour intéresser à la mère des enfants de son ami cette orgueilleuse femme du monde ; mais pour la fléchir et la rendre complice de son bonheur à venir comme elle était l’instrument de son malheur présent"



Mots-clés : #amour #famille #relationdecouple #xixesiecle
par Bédoulène
le Ven 28 Mai - 13:43
 
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Sujet: Honoré de Balzac
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Ahmadou Kourouma

Allah n’est pas obligé

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« Je décide le titre définitif et complet de mon blablabla est Allah n’est pas obligé d’être juste dans toutes ses choses ici-bas. Voilà. Je commence à conter mes salades. »

Après cet incipit, Birahima, un jeune garçon de Togobala (Guinée ; mais la précision géographique a peu d’importance, c’est l’ensemble de l’Afrique occidentale qui peut convenir comme théâtre de ces tribulations) commence à raconter sa vie dans un français laborieux (et savoureux), s’aidant de dictionnaires et d’un lexique de français d'Afrique ; Kourouma donne entre parenthèses la définition des mots peu courants, et c’est peut-être parce que ce texte fut écrit à la demande d’anciens enfants-soldats d’Afrique de l’Est.
« Ces dictionnaires me servent à chercher les gros mots, à vérifier les gros mots et surtout à les expliquer. Il faut expliquer parce que mon blablabla est à lire par toute sorte de gens : des toubabs (toubab signifie blanc) colons, des noirs indigènes sauvages d’Afrique et des francophones de tout gabarit (gabarit signifie genre). Le Larousse et le Petit Robert me permettent de chercher, de vérifier et d’expliquer les gros mots du français de France aux noirs nègres indigènes d’Afrique. L’Inventaire des particularités lexicales du français d’Afrique explique les gros mots africains aux toubabs français de France. Le dictionnaire Harrap’s explique les gros mots pidgin à tout francophone qui ne comprend rien de rien au pidgin. »

« (Au village, quand quelque chose n’a pas d’importance, on dit qu’il ne vaut pas le pet d’une vieille grand-mère. Je l’ai expliqué une fois déjà, je l’explique encore.) »

Birahima est élevé par sa mère infirme puis, devenu orphelin, surtout par la rue : « j’étais un enfant sans peur ni reproche ».
Le principal leitmotiv dans l'aire musulmane, c’est bien sûr que tout dépend d’Allah, qu’il faut célébrer avec fatalisme – mais l’antienne varierait peu sous d’autres cieux monothéistes.
« Les sacrifices, c’est pas forcé que toujours Allah et les mânes des ancêtres les acceptent. Allah fait ce qu’il veut ; il n’est pas obligé d’accéder (accéder signifie donner son accord) à toutes les prières des pauvres humains. Les mânes font ce qu’ils veulent ; ils ne sont pas obligés d’accéder à toutes les chiaderies des prieurs. »

Parti rejoindre sa tante au Liberia avec Yacouba, féticheur et « multiplicateur de billets de banque », il devient enfant-soldat, small-soldier, dans le camp du colonel Papa le bon, une sorte de prêtre inféodé à Taylor, « avec la soutane, les galons, les grigris en dessous, le kalach et la canne pontificale » (nombreux sont les personnages religieux, d'obédience « œcuménique », souvent féminins, qui encadrent les factions).
« La sœur Hadja Gabrielle Aminata était tiers musulmane, tiers catholique et tiers fétichiste. »

Tableau bien documenté de l’horreur délirante de « la guerre tribale » (civile), d’abord au Liberia puis en Sierra Leone, sans concession pour les dirigeants de la sous-région et « leurs troupes d’interposition qui ne s’interposent pas », la diaspora libanaise, les associations de chasseurs traditionnels, et la communauté internationale.
« Comparé à Taylor, Compaoré le dictateur du Burkina, Houphouët-Boigny le dictateur de Côte-d’Ivoire et Kadhafi le dictateur de Libye sont des gens bien, des gens apparemment bien. Pourquoi apportent-ils des aides importantes à un fieffé menteur, à un fieffé voleur, à un bandit de grand chemin comme Taylor pour que Taylor devienne le chef d’un État ? Pourquoi ? Pourquoi ? De deux choses l’une : ou ils sont malhonnêtes comme Taylor, ou c’est ce qu’on appelle la grande politique dans l’Afrique des dictatures barbares et liberticides des pères des nations. (Liberticide, qui tue la liberté d’après mon Larousse.) »

« (la Conférence nationale, c’est la grande foire politique qu’on a organisée dans tous les pays africains vers 1994, au cours de laquelle chacun a raconté ce qui lui passait par la tête). »

Témoignage précis sur le système :
« La première fois que j’ai pris du hasch, j’ai dégueulé comme un chien malade. Puis c’est venu petit à petit et, rapidement, ça m’a donné la force d’un grand. Faforo (bangala du père) ! »

« Le camp était limité par des crânes humains hissés sur des pieux comme tous les casernements de la guerre tribale. »

Épisodes terribles, comme celui de la méthode « Pas de bras, pas d’élections » :
« On procéda aux "manches courtes" et aux "manches longues". Les "manches courtes", c’est quand on ampute les avant-bras du patient au coude ; les « manches longues", c’est lorsqu’on ampute les deux bras au poignet. Les amputations furent générales, sans exception et sans pitié. Quand une femme se présentait avec son enfant au dos, la femme était amputée et son bébé aussi, quel que soit l’âge du nourrisson. Autant amputer les citoyens bébés car ce sont de futurs électeurs. »

Dans ce récit teinté d’oralité et d’autres caractéristiques de la narration africaine, Birahima fait souvent l’oraison funèbre d’enfants-soldats tués, occasion de raconter leur histoire et la façon dont ils furent recrutés.
Partout recommencés, les grigris, les kalach, la corruption, l’anarchie, des « rebelles » aux coupeurs de route et « autres fretins de petits bandits », comme les « sobels » : « C’est-à-dire des soldats dans la journée et des rebelles (bandits pillards) dans la nuit », jusqu’à la sauvagerie extrême.
« Dans les guerres tribales, un peu de chair humaine est nécessaire. Ça rend le cœur dur et dur et ça protège contre les balles. »

« J’ai voulu devenir un petit lycaon de la révolution. C’étaient les enfants-soldats chargés des tâches inhumaines. Des tâches aussi dures que de mettre une abeille dans les yeux d’un patient, dit un proverbe des nègres noirs indigènes et sauvages. […]
"Eh bè, les lycaons, c’est les chiens sauvages qui chassent en bandes. Ça bouffe tout ; père, mère, tout et tout. Quand ça a fini de se partager une victime, chaque lycaon se retire pour se nettoyer. Celui qui revient avec du sang sur le pelage, seulement une goutte de sang, est considéré comme blessé et est aussitôt bouffé sur place par les autres. Voilà ce que c’est. C’est pigé ? Ça n’a pas pitié." »

Yacouba et Birahima, le grigriman et l’enfant-soldat, sont ballotés d'une péripétie à l'autre ; mais chaque flambée de violence est une aubaine pour eux, un regain de prospérité dans un monde en ruine.
« En ce temps-là, les Africains noirs indigènes sauvages étaient encore cons. Ils ne comprenaient rien à rien : ils donnaient à manger et à loger à tous les étrangers qui arrivaient au village. »

Finalement j’ai trouvé peu de romanciers africains qui m’aient convaincu ; mais Ahmadou Kourouma sait transmettre une bonne partie de l’esprit caractéristique de l’Afrique occidentale, notamment celui de la Côte d’Ivoire.
J’ai beau avoir vécu dans les parages et connaître les évènements, j’ai été frappé par le rendu des faits : c’est un livre d’une grande puissance. Heureusement qu’il a été écrit par un Noir, un Africain, parce que d’une autre couleur, d’une autre origine, il aurait été vilipendé, surtout à notre époque de chasse gardée de la parole.
Me reste à lire la suite et fin de ce récit, Quand on refuse on dit non, chronique du retour de Birahima en Côte d’Ivoire.

\Mots-clés : #aventure #enfance #guerre #historique #independance #politique #racisme #Religion #temoignage #traditions #violence #xixesiecle
par Tristram
le Ven 14 Mai - 20:35
 
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Sujet: Ahmadou Kourouma
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Honoré de Balzac

Albert Savarus
Mai 1842, figure parmi les Scènes de la vie privée, études de mœurs de La Comédie Humaine.

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Vue de Besançon, 1838.


Besançon, la Restauration, sa citadelle, sa porte noire, sa vieille ville en fer à cheval sur un méandre du Doubs.
Balzac en fait férocement la capitale de l'anti-Progrès, mais aussi de la non-légèreté, de la non-frivolité, avec en guise du haut du pavé une bourgeoisie et une noblesse qui se détestent, s'évitent, et un seul terrain d'accord: le fait de repousser les étrangers, traduisez: les non-bisontins.

Justement arrive par la malle-poste un de ceux-ci, un avocat trentenaire et inconnu, Albert Savaron, qui, sans se mêler le moins du monde à la société locale, va vite se faire, professionnellement parlant, un nom.
Pendant ce temps-là, dans le salon huppé des de Rupt de Wasterville, un certain Amédée de Souyas tente de se placer et d'épouser Philomène de Wasterville, héritière de la fortune, du nom et du titre, notamment en brillant auprès de la mère.
Or Philomène est en guerre contre sa mère, dévote et, donc, pro-de Souyas, tandis qu'elle cultive une proximité avec son père, inoccupé, falot.
Mais Philomène s'éprend en secret du mystérieux avocat, découvre que celui-ci est lié par serment amoureux à une duchesse italienne, laquelle a épousé un prince âgé, plutôt en fin de vie...

Le mystérieux avocat devient l'ambitieux avocat, la jeune oie blanche devient une intrigante destructrice...

Un Balzac mineur ?
Oui, je crois que je peux entendre ça - uniquement d'ailleurs parce que c'est parfois proféré; néanmoins de ces cent pages émane un je-ne-sais-quoi de croquignolet, qui fait que tout à l'opposé ce Balzac somme toute assez ramassé, presque condensé, fait partie de ceux qu'on peut vraiment recommander, peut-être surtout au lecteur pressé, ou à celui qui a parcouru à vives enjambées les points culminants de La comédie humaine, négligeant les antécimes et pointes secondaires.

La technique narrative, avec ses insertions d'une nouvelle signée d'un personnage (Albert), quelques lettres et correspondances d'Albert, et -pour une fois !- un nombre raisonnable de caractères est très digeste, le suspense, l'issue, assez difficile à prévoir jusqu'au terme de l'ouvrage, lequel est assez prenant, vivement mené à plume preste, en tous cas.

Mais ce n'est pas tout: Il y a du Balzac qui saigne authentiquement dans ces pages.
Elles sont écrites en sublimant une douleur, celle du violent trouble semé par la célèbre lettre de Madame Hanska reçue le 22 février 1842, qui lui annonçait à la fois la mort de son mari, le comte Hanski et aussi le terme mis à leur liaison, laquelle durait depuis 9 ans.
Balzac en fut terrassé, sombrait unilatéralement son grand amour mais aussi, de façon plus terre-à-terre, la perspective d'un mariage, disons, tombant à pic pour ses affaires (il était fort endetté), les Hanski disposant d'une fortune de premier ordre: il y a tellement de Balzac dans Albert et tellement de Madame Hanska dans la duchesse italienne que je ne crois vraiment pas que ce soit un roman de second plan...

L’abbé de Grancey quitta Savarus en lui lançant un regard fin par lequel il semblait se rire de la politique compacte du jeune athlète, tout en admirant sa résolution.

– Ah ! j’aurai jeté mon père dans un procès ! ah ! j’aurai tant fait pour l’introduire ici ! se disait Philomène du haut du kiosque en regardant l’avocat dans son cabinet, le lendemain de la conférence entre Albert et l’abbé de Grancey, dont le résultat lui fut dit par son père. J’aurai commis des péchés mortels, et tu ne viendrais pas dans le salon de l’hôtel de Rupt, et je n’entendrais pas ta voix si riche ? Tu mets des conditions à ton concours quand les Watteville et les Rupt le demandent !… Eh ! bien, Dieu le sait, je me contentais de ces petits bonheurs : te voir, t’entendre, aller aux Rouxey avec toi pour me les faire consacrer par ta présence. Je ne voulais pas davantage… Mais maintenant je serai ta femme !… Oui, oui, regarde ses portraits, examine ses salons, sa chambre, les quatre faces de sa villa, les points de vue de ses jardins. Tu attends sa statue ! je la rendrai de marbre elle-même pour toi !… Cette femme n’aime pas d’ailleurs. Les arts, les sciences, les lettres, le chant, la musique, lui ont pris la moitié de ses sens et de son intelligence. Elle est vieille d’ailleurs, elle a plus de trente ans, et mon Albert serait malheureux !

– Qu’avez-vous donc à rester là, Philomène ? lui dit sa mère en venant troubler les réflexions de sa fille. Monsieur de Soulas est au salon, et il remarquait votre attitude qui, certes, annonçait plus de pensées qu’on ne doit en avoir à votre âge.

– Monsieur de Soulas est ennemi de la pensée ? demanda-t-elle.

– Vous pensiez donc ? dit madame de Watteville.

– Mais oui, maman.


\Mots-clés : #amour #jalousie #xixesiecle
par Aventin
le Dim 18 Avr - 0:35
 
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Sujet: Honoré de Balzac
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Vénus Khoury-Ghata

La fiancée était à dos d'âne

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Roman, paru au Mercure de France en 2013, 150 pages environ.


Le chemin de vie de Yudah, petite fille de la tribu juive des nomades Qurayzas, du sud algérien.
Un vieux rabbin ne payant pas de mine, après deux jours de traversée dans le désert avec son âne, rejoint cette tribu qui l'attend depuis un mois, afin qu'il désigne une jeune fille pour que celle-ci soit donnée en quatrième épouse à Abdelkader, l'émir unificateur, dans le but de garantir ainsi la sauvegarde, la protection de la peuplade.

Le choix se porte sur Yudah, treize ou quatorze ans. Elle part en croupe sur le vieil âne du rabbin, avec sa très maigre dot, et rejoint le camp de tentes d'Abdelkader, lequel n'est pas là, mais à la guerre, en "opérations extérieures" dirait-on aujourd'hui.  
Personne ne se soucie trop d'elle.
Le rabbin savait-il que la défaite suivie de l'exil d'Abdelkader étaient sur le point d'être consommés ?

Voilà Yudah partie en déportation, avec les gens, la "Smala" d'Abdelkader en France, sur l'une des deux îles de Lérins, tandis qu'Abdelkader et sa garde sont engeôlés ailleurs (à Toulon), ce qui nous permet de dater l'épisode (mai 1843), notre chère Vénus Khoury-Ghata ayant soigneusement omis de nous donner le moindre repère de date, ou de lieu précis.
Ce fut l'occasion aussi pour moi de relire tout un pan d'histoire, dont il ne subsistait que de vagues brumes scolaires extrêmement lointaines: Abdelkader et Bugeaud.
Mais Yudah, absolument toute seule et différente, n'a toujours pas rencontré Abdelkader, et les déportés la rejettent en son altérité judaïque, personne ne croit trop à son histoire...

La pinède se vide de jour en jour. Une épidémie de typhoïde tue sans discernement grands et petits. Maigres et vêtus de guenilles, les enfants non contaminés jouent en silence. Uun garçonnet de trois ans traîne un coq avec une ficelle comme si c'était un chien. À califourchon sur la branche d'un marronnier, un autre croque les bogues, un troisième mange les feuilles. Les bouches noires et les griffures sur les visages ne sont pas dues à une maladie mais aux mûres cueillies à travers les barbelès. Les fumées âcres qui s'échappent des marmites ne cachent pas leur contenu: les os des moutons mangés par les nantis du fort. Même vues de loin, les femmes portent la détresse sur leur visage. Les veuves balaient le sol devant leur tente avec des gestes lents et lourds alors que les autres font danser la poussière.


La suite, presque à accents baroques parfois, pâtit un peu d'un rentre-dedans un peu trop systématisé. Le final en particulier aurait gagné au dépouillement, à la sourdine, au lieu d'un amoncellement un peu extravagant, convoquer l'Histoire au service de la petite histoire, certes, mais la parcimonie, la sobriété, loin de rendre le roman aride, l'auraient élevé - ce n'est que mon humble avis.

Sinon, sans dévoiler; vous vous en doutez, il y a toujours cette histoire d'une jeune fille -une enfant, une adolescente- qui va vers son destin de l'autre côté de la Méditerranée, un thème transversal à l'œuvre romanesque de Mme Khoury-Ghata - un peu aussi à son œuvre poétique.      

\Mots-clés : #conditionfeminine #historique #minoriteethnique #xixesiecle
par Aventin
le Mar 6 Avr - 17:49
 
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Sujet: Vénus Khoury-Ghata
Réponses: 27
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