Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

La date/heure actuelle est Dim 28 Avr - 12:50

37 résultats trouvés pour absurde

Dino Buzzati

Le Désert des Tartares

Tag absurde sur Des Choses à lire Le_dzo11

Incipit :
« Ce fut un matin de septembre que Giovanni Drogo, qui venait d'être promu officier, quitta la ville pour se rendre au fort Bastiani, sa première affectation. »

Il n’éprouve pas l’enthousiasme attendu. La distance semble extensible jusqu’au fort qui « n'a jamais servi à rien », placé sur « un bout de frontière morte », face au légendaire désert des Tartares, comme le lui apprend le capitaine Ortiz, qu’il rencontre en chemin. Le fort lui apparaît enfin, rien moins qu’hospitalier. Sa première impression est celle d’un lieu de « renoncement ». Le désert septentrional n’est qu’une étendue de cailloux, qui donne à Drogo une impression de déjà-vu ; le lointain est dérobé par une brume où certains ont cru apercevoir autre chose. Drogo se sent seul ; dès son arrivée il a voulu repartir, ne pas rester captif du fort. Le sergent-major Tronk, vingt-deux ans de service au fort, lui détaille le système absurde des mots de passe.
« Dans ce fort, le formalisme militaire semblait avoir créé un chef-d’œuvre insensé. Des centaines d'hommes pour garder un col par lequel ne passerait personne. »

« Les soldats étaient semblables à des statues, leurs visages militairement inexpressifs. Non, ils ne se préparaient certes pas aux monotones tours de garde ; avec ces regards de héros, on eût certes dit qu'ils allaient attendre l'ennemi. »

Il a consenti de rester quatre mois au fort, craignant d’y perdre ses jeunes années.
« …] cette nuit-là justement, commençait pour lui l'irréparable fuite du temps. »

« Alors, on sent que quelque chose est changé, le soleil ne semble plus immobile, il se déplace rapidement ; hélas ! on n'a pas le temps de le regarder que, déjà, il se précipite vers les confins de l'horizon, on s'aperçoit que les nuages ne sont plus immobiles dans les golfes azurés du ciel, mais qu'ils fuient, se chevauchant l'un l'autre, telle est leur hâte ; on comprend que le temps passe et qu'il faudra bien qu'un jour la route prenne fin. »

Les occupants du fort semblent y rester malgré eux ; le vieux colonel Filimore qui le commande :
« Il s'est mis en tête que le fort est très important et que quelque chose doit arriver. »

« C'est du désert du Nord que devait leur venir leur chance, l'aventure, l'heure miraculeuse qui sonne une fois au moins pour chacun. À cause de cette vague éventualité qui, avec le temps, semblait se faire toujours plus incertaine, des hommes faits consumaient ici la meilleure part de leur vie. »

Drogo, au terme des quatre mois, décide subitement de rester dans le fort qui lui paraît immense, dans l’attente.
« …] il, y avait déjà en lui la torpeur des habitudes, la vanité militaire, l'amour domestique pour les murs quotidiens. Au rythme monotone du service, quatre mois avaient suffi pour l'engluer. »

« Toutes ces choses étaient désormais devenues siennes et les quitter lui eût fait de la peine. Drogo, pourtant, ne savait pas cela, il ne soupçonnait pas l'effort que lui eût coûté son départ, ni que la vie du fort engloutissait les jours l'un après l'autre, des jours tous pareils, avec une vitesse vertigineuse. Hier et avant-hier étaient semblables, il n'était plus capable de les distinguer l'un de l'autre ; un événement vieux de trois jours ou de vingt jours finissait par lui sembler également lointain. Ainsi, se déroulait à son insu la fuite du temps. »

« Un pressentiment – ou bien était-ce seulement un espoir ? – de choses nobles et grandes l'avait fait rester là, mais ce pouvait aussi être seulement un ajournement, rien au fond n'était perdu. Il avait tellement de temps devant lui. Tout ce que la vie avait de bon semblait l'attendre. Quel besoin y avait-il de se hâter ? Les femmes, elles-mêmes, ces aimables et lointaines créatures, il se les représentait comme un bonheur certain, que lui promettait formellement le cours naturel de la vie. »

« C'était l'heure de l'espoir, et il se redisait les héroïques faits d'armes qui probablement ne se réaliseraient jamais, mais qui servaient pourtant à donner le courage de vivre. Parfois, il se contentait de beaucoup moins, il renonçait à être le seul héros, il renonçait à la blessure, il renonçait même au roi qui le félicitait. Au fond, une simple bataille lui eût suffi, une seule bataille, mais sérieuse, charger en grande tenue et pouvoir sourire en se précipitant vers les visages fermés des ennemis. Une bataille, et ensuite, peut-être, il eût été content toute sa vie. »

Un cheval apparaît devant la Nouvelle Redoute (position avancée qui seule permet de découvrir l’étendue du désert, dont seul un « petit triangle » est visible du fort à cause des montagnes qui se trouvent devant), et un soldat va le prendre, croyant que c’est le sien ; il est abattu en revenant, car il ignorait le mot de passe. Puis apparaît une troupe armée, et le colonel Filimore doute de voir se réaliser son vieil espoir ; effectivement, ce n’est qu’une expédition destinée à délimiter la zone frontière non encore reconnue. Le lieutenant Angustina, ami de Drogo qui en avait eu un rêve prémonitoire, meurt par bravade lors de la compétition pour un sommet : il est perçu comme un héros.
Drogo bénéficie d’une permission de quatre mois, pendant laquelle il est déçu, et se sent devenu étranger à la vie qui continue sans lui.
« Drogo savait qu’il aimait encore Maria et qu’il aimait aussi le monde où elle vivait : mais toutes les choses qui alimentaient sa vie d’autrefois étaient devenues lointaines, un monde étranger où sa place avait été aisément occupée. Et ce monde, il le considérait désormais du dehors, encore qu’avec regret ; y rentrer l’eût mis mal à l’aise. Des visages nouveaux, des habitudes différentes, des plaisanteries nouvelles, de nouvelles façons de palier auxquelles il n’était pas habitué : ce n’était plus là sa vie, il avait pris une autre route, revenir en arrière serait stupide et vain. »

Drogo considère comme une injustice le fait qu’on ne lui ait pas signalé qu’il devait faire une demande pour bénéficier d’une mutation, et retourne au service du fort ; il s’interroge sur son avenir.
« S’il n’était qu’un homme quelconque à qui ne revient, de droit, qu’un médiocre destin ? »

Au fort, l’effectif est diminué de moitié, l’état-major ne croyant plus à une menace venue du Nord, et la garnison n’y croit plus non plus après les fausses alertes.
« Il semblait évident que les espoirs de jadis, les illusions guerrières, l’attente de l’ennemi du Nord, n’avaient été qu’un prétexte pour donner un sens à la vie. Maintenant qu’il y avait la possibilité de retourner à la vie civile, ces histoires paraissaient des rêves d’enfants, personne ne voulait admettre y avoir cru, et l’on n’hésitait plus à en faire des gorges chaudes. Ce qui importait, c’était de s’en aller. »

Drogo réalise qu’en fait il n’a jamais eu le choix de partir selon son gré, comme on le lui avait promis. Il lui semble que le cours du temps s’accélère, et une sourde inquiétude l’habite comme le renoncement aux « grandes espérances » se généralise.
« Depuis quelque temps, en effet, une angoisse qu’il ne parvenait pas à définir le poursuivait sans trêve : l’impression qu’il n’arriverait pas à temps, l’impression que quelque chose d’important allait se produire et le prendrait à l’improviste. »

Le lieutenant Simeoni a observé avec sa longue-vue personnelle des taches et des lumières en bordure de la brume septentrionale ; il pense qu’il s’agit des travaux d’une route qui s’approche. Mais l’état-major interdit les longues-vues non réglementaires (celles dont dispose l'armée sont médiocres), et son espoir est retiré à Drogo.
« Cependant, le temps passait, toujours plus rapide ; son rythme silencieux scande la vie, on ne peut s’arrêter même un seul instant, même pas pour jeter un coup d’œil en arrière. « Arrête ! Arrête ! » voudrait-on crier, mais on se rend compte que c’est inutile. Tout s’enfuit, les hommes, les saisons, les nuages ; et il est inutile de s'agripper aux pierres, de se cramponner au sommet d’un quelconque rocher, les doigts fatigués se desserrent, les bras retombent inertes, on est toujours entraîné dans ce fleuve qui semble lent, mais qui ne s’arrête jamais.
De jour en jour, Drogo sentait augmenter cette mystérieuse désagrégation, et en vain cherchait-il à s’y opposer. Dans la vie uniforme du fort, les points de repère lui faisaient défaut et les heures lui échappaient avant qu’il eût réussi à les compter. »

« Peu à peu, sa confiance diminuait. Il est difficile de croire à quelque chose quand on est seul et que l’on ne peut en parler avec personne. Juste à cette époque, Drogo s’aperçut à quel point les hommes restent toujours séparés l’un de l’autre, malgré l’affection qu’ils peuvent se porter ; il s’aperçut que, si quelqu’un souffre, sa douleur lui appartient en propre, nul ne peut l’en décharger si légèrement que ce soit ; il s’aperçut que, si quelqu’un souffre, autrui ne souffre pas pour cela, même si son amour est grand, et c’est cela qui fait la solitude de la vie. »

Cependant, quinze ans plus tard, la route est parvenue à proximité des remparts.
« Hélas ! il ne ressent pas de grand changement, le temps a fui si rapidement que son âme n’a pas réussi à vieillir. Et l’angoisse obscure des heures qui passent a beau se faire chaque jour plus grande, Drogo s’obstine dans l’illusion que ce qui est important n’est pas encore commencé. Giovanni attend, patiemment, son heure qui n’est jamais venue, il ne pense pas que le futur s’est terriblement raccourci, que ce n’est plus comme jadis quand le temps à venir pouvait lui sembler une immense période, une richesse inépuisable que l’on ne risquait rien à gaspiller. »

« Non, physiquement, Drogo n’est pas diminué, s’il voulait recommencer à faire du cheval et à grimper à toute vitesse les escaliers, il en serait parfaitement capable, mais ce n’est pas là ce qui importe. Ce qui est grave, c’est qu’il n’en éprouve plus l’envie, c’est qu’après le déjeuner il préfère faire une petite sieste au soleil plutôt que de se promener sur le plateau pierreux. C’est cela qui compte, cela seul marque le passage des années. »

La scène initiale de la rencontre avec Ortiz se rejoue – mais cette fois ce n’est plus lui le néophyte.
« Et à quarante ans passés, sans avoir rien fait de bon, sans enfants, vraiment seul au monde, Giovanni regardait autour de lui avec effroi, sentant décliner son propre destin. »

Ortiz part à la retraite.
« Maintenant, dit Drogo, la vie va changer pour moi. Je voudrais bien partir, moi aussi. J’ai presque envie de donner ma démission.
- Tu es encore jeune ! dit Ortiz. Ce serait une idiotie, tu as encore le temps !
- Le temps de quoi faire ?
- La guerre. Tu verras, avant deux ans...
Ortiz disait cela, mais en lui-même il espérait le contraire : en réalité, il souhaitait que Drogo s’en allât comme lui, sans avoir eu sa grande chance ; cela lui eût semblé une chose injuste. (Et pourtant, il avait de l’amitié pour Drogo et lui voulait tout le bien du monde.) […]
Et, bien que telles fussent ses paroles, ce qu’il pensait au fond de lui-même était tout autre : absurde, inattaqué par les années, se maintenait en lui, depuis sa jeunesse, cet obscur pressentiment de choses fatales, une profonde certitude que ce que la vie avait de bon n’avait pas encore commencé. »

Plus de trente ans après son arrivée, Drogo est directement sous les ordres du nouveau commandant du fort, le lieutenant-colonel Simeoni, lorsqu’il tombe malade. Les forces armées du Nord s’approchent, et il est renvoyé en ville : en ce qui le concerne, il est trop tard pour « moissonner de la gloire ». Plus seul que jamais, il se prépare à affronter la mort avec courage dans une chambre d’auberge de passage.
L’existence de Drogo se résume à une seule attente, un seul espoir, qui est, assez absurdement, la bataille, la guerre, cette sorte de finalité du soldat (livre paru en 1940).
Dans une langue simple, claire, factuelle, "plate", apparemment au premier degré, ce texte obsédant et emblématique n’a pas perdu de sa puissance depuis ma lointaine première lecture.
Et merci à Fancioulle pour m’avoir suggéré cette relecture !

\Mots-clés : #absurde
par Tristram
le Sam 14 Jan - 12:12
 
Rechercher dans: Écrivains Italiens et Grecs
Sujet: Dino Buzzati
Réponses: 20
Vues: 5339

Edwin Abbott Abbott

Flatland

Tag absurde sur Des Choses à lire Flatla10

Dans ce monde à deux dimensions, toutes les figures géométriques se résument "de profil" à une ligne. Les habitants (à part les femmes qui ne sont que des « Lignes Droites ») sont des figures qui s’hiérarchisent des anguleux triangles irréguliers au cercle en passant par les polygones.
« Si les Triangles extrêmement pointus de nos Soldats sont redoutables, on n'aura aucune peine à en déduire que nos Femmes sont plus terribles encore. Car si le Soldat est un coin à fendre, la Femme étant, pour ainsi dire, toute en pointe, du moins aux deux extrémités, est un aiguillon. Ajoutez à cela le pouvoir de se rendre pratiquement invisible à volonté, et vous en conclurez qu'à Flatland une Femelle est une créature avec laquelle il ne fait pas bon plaisanter. »

« Dans certains États, une Loi complémentaire interdit aux Femmes, sous peine de mort, de se tenir ou de marcher dans un lieu public sans remuer constamment de droite à gauche la partie postérieure de leur individu afin d'avertir de leur présence ceux qui se trouvent derrière elles ; d'autres obligent les Femmes, quand elles voyagent, à se faire suivre d'un de leurs fils, d'un domestique ou de leur mari ; d'autres encore leur imposent une réclusion totale à l'intérieur de leur foyer, sauf à l'occasion des fêtes religieuses. »

« Il ne faut donc évidemment pas irriter une Femme tant qu'elle est en état de se retourner. Quand on la tient dans ses appartements, qui sont conçus de façon à lui ôter cette faculté, on peut dire et faire ce qu'on veut ; car elle est alors réduite à une totale impuissance et ne se rappellera plus dans quelques minutes l'incident au sujet duquel elle vous menace actuellement de mort, ni les promesses que vous aurez peut-être jugé nécessaire de lui faire pour apaiser sa furie. »

« Au moins pouvons-nous, cependant, admirer cette sage disposition qui, en interdisant tout espoir aux Femmes, les a également privées de mémoire pour se rappeler et de pensée pour prévoir les chagrins et les humiliations qui sont à la fois une nécessité de leur existence et la base de notre constitution à Flatland. »

Si la femme est l’être au bas de l’échelle, elle est suivie par le soldat.
« …] et un grand nombre d'entre eux, n'ayant même pas assez d'intelligence pour être employés à faire la guerre, sont consacrés par les États au service de l'éducation. »

Les classes inférieures se reconnaissent par le « Toucher » des angles, les supérieures par « l'art de la Connaissance Visuelle », une subtile reconnaissance des variations d’ombre et de lumière ; « L'Irrégularité de Figure » est anormale, et les déviants qui ne peuvent être soignés sont généralement exterminés, quoiqu’elle suscite parfois le génie.
Le narrateur, un Carré, nous raconte comment eut lieu une « Sédition Chromatique » ou révolte des Couleurs, au cours de laquelle les classes inférieures tentèrent d’imposer une coloration des individus selon leur forme, puis nous entretient des « Cercles ou Prêtres » qui les dirigent selon la doctrine que « quelque déviation par rapport à la Régularité parfaite » est déficiente ou faute, basée sur le principe « la Configuration fait l'homme ».
« …] ne faisant rien eux-mêmes, ils sont la Cause de tout ce qui vaut la peine d'être fait et qui est fait par les autres. »

Dans la seconde partie, Autres mondes, il rêve de « Lineland, le Pays de la Ligne », « les Petites Lignes étant des Hommes et les Points des Femmes » ; la reproduction y est assurée par le biais de l’ouïe, grâce aux voix, celle de la bouche et celle de derrière.
« Hors de son Monde, ou de sa Ligne, tout se réduisait à un vide absolu ; non pas même à un vide, car le vide sous-entend l'Espace ; disons plutôt que rien n'existait. »

Puis il reçoit la visite d’un Étranger de l’Espace, c'est-à-dire du Pays des Trois Dimensions, qui met le doigt sur le paradoxe de Flatland :
« Mais le fait même qu'une Ligne soit visible implique qu'elle possède encore une autre Dimension ? »

C’est une Sphère, un solide, qui tente de lui expliquer, puis l’emmène dans Spaceland – où, à peine rencontré un Cube, le Carré s’enquiert de la Quatrième Dimension…
Il découvre aussi « Pointland, le Pays du Point où il n'y a pas du tout de Dimensions », où le seul résident jouit comme un Dieu « dans l'ignorance de son omniprésence et de son omniscience ».
Puis, emprisonné pour avoir voulu répandre l’Évangile de la Troisième Dimension en Flatland, il rédige ce récit.

\Mots-clés : #absurde #lieu #politique #religion #satirique #science #social
par Tristram
le Jeu 17 Nov - 11:30
 
Rechercher dans: Écrivains européens de langues anglaise et gaéliques
Sujet: Edwin Abbott Abbott
Réponses: 2
Vues: 283

Albert Camus

Albert Camus et Francis Ponge, Correspondance 1941-1957

Tag absurde sur Des Choses à lire Corres10

Intéressants échanges entre la théorie de l’absurde de Camus et sa sorte de mise en pratique chez Ponge, objectivisme et/ou objectivité appliqués par l’expression elle-même.
Au début, c’est l’occupation, peu évoquée par les deux résistants ; Le Mythe de Sisyphe, L'Étranger et Le Parti pris des choses (première édition) viennent de paraître.
Cette correspondance est attachante en ce qu’on y découvre l’homme Ponge et ses idées politiques, ordinairement cachés derrière son œuvre, et qu’on approche plus familièrement les idées de Camus, avec sa volonté de vérité.
Mais notez que le problème de l’expression n’est si utile pour vous que parce que vous l’identifiez à celui de la connaissance (page 22 du Bois de pins : « Mais mon dessein est autre : c’est la connaissance du Bois de Pins »). Pour vous, dans une certaine mesure, trouver le mot juste, c’est pénétrer un peu plus au cœur des choses. Et si votre recherche est absurde, c’est dans la mesure où vous ne pouvez trouver que des mots justes et jamais le Mot-Juste ; comme la recherche absurde parvient à se saisir de vérités et jamais de la Vérité. Il y a ainsi, dans tout être qui s’exprime, la nostalgie de l’unité profonde de l’univers, la nostalgie de la parole qui résumerait tout (quelque chose comme « Aum », la syllabe sacrée des hindous), du verbe enfin qui illumine. Je crois ainsi qu’en réalité le problème du langage est d’abord un problème métaphysique, et que c’est comme tel qu’il est voué à l’échec. Il exige lui aussi un choix total, un « tout ou rien ». Vous avez choisi le vertige du relatif, selon la logique absurde. Mais la nostalgie du maître-mot, de la parole absolue, transparaît dans tout ce que vous faites.
Camus, 27 janvier 1943


\Mots-clés : #absurde #correspondances
par Tristram
le Mar 4 Oct - 13:19
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Albert Camus
Réponses: 32
Vues: 2493

Juan Carlos Onetti

La Vie brève

Tag absurde sur Des Choses à lire La_vie15

Buenos Aires au printemps : le narrateur, Juan Maria Brausen, écoute leur nouvelle voisine, la Queca, qui reçoit beaucoup d’hommes ; il songe à son épouse, Gertrudis, que le chirurgien ampute d’un sein, et au scénario qu’il a promis à son ami Julio Stein (son supérieur dans l’agence de publicité où il travaille, qui vit avec Miriam, ou Mami, une chanteuse sur le retour).
« Mon idée tenait toute dans la personne du médecin, que je nommai Díaz Grey », dans Santa Maria, ville de province au bord d’un fleuve, où il est passé une fois. Triste et préoccupé, il essaie d’écrire pour lutter contre son désespoir.
« Dans le cabinet de Díaz Grey-Brausen entrerait en souriant Gertrudis-Elena Sala [… »

Tandis que Gertrudis tente de surmonter sa mutilation, puis s’absente pour séjourner chez sa mère, il essaie d’imaginer la suite de l’histoire de Díaz Grey, et le mari de la séduisante Elena à laquelle le médecin délivre de la morphine. Il se présente chez sa voisine, la Queca, sous le nom d’Arte et se fait casser la figure par une de ses accointances, Ernesto ; Lagos, le mari d’Elena, les lance sur la piste d’Oscar Owen, un gigolo anglais qui partagea leur vie. Bientôt, renvoyé de son emploi et subsistant de son indemnité de licenciement, Brausen fréquente assidûment la Queca, « chienne saoule » qui rit et répète « Le monde est fou ». Il la méprise et la bat, jusqu’à ce qu’Ernesto la tue ; Brausen organise la fuite du meurtrier et part avec lui, vers Santa Maria. Apparaît Raquel, la sœur cadette de Gertrudis, personnage vaguement annoncé de loin, venue de Montevideo où Brausen la séduisit lorsqu’il y vivait, de même que Gertrudis qui s’y est retirée, autre pôle géographique du roman où il alla avec la Queca. Parallèlement, Díaz Grey continue de vivre dans sa ville imaginaire (Elena s’est suicidée), Santa Maria (où il a sa statue équestre de général…) ; la fusion réel et fiction s’installe et s’accroît, si bien qu’on ne sait pas toujours ce qui appartient à la réalité objective, au passé ou à l’imagination qui se dédoublent. Le thème de « choisir une vie nouvelle » est récurrent. La vie est brève est une chanson, une discrète récurrence aussi. Il y a également un caméo de l’auteur, « l’homme à tête d’enterrement ». Le roman se termine dans l’ambigüité du Carnaval.
Le livre est surtout riche en méditations existentielles sur les souvenirs, les femmes, soi, une renaissance, un sens aux choses, la solitude et le désarroi, ancrés dans le quotidien par la prégnance des odeurs.
« C’est peut-être ce qu’on comprend avec l’âge, peu à peu, sans s’en rendre compte. Nos os le savent peut-être et quand nous sommes résolus et désespérés, au bord du grand mur qui nous emprisonne et qu’il serait aisé de sauter si c’était possible ; quand nous sommes presque prêts à admettre que, finalement, seul le moi a de l’importance car il est l’unique chose qui nous ait été indiscutablement confiée ; quand nous entrevoyons que seul notre propre salut peut être un impératif moral, qu’il est le seul élément moral ; quand nous réussissons à respirer par une lézarde imprévue l’air natal qui vibre et appelle de l’autre côté du mur, à imaginer l’allégresse, le mépris et l’aisance ; alors peut-être sentons-nous peser, comme un squelette de plomb, cette conviction que tout malentendu est supportable jusqu’à la mort, hormis celui que nous parvenons à découvrir en dehors de nos circonstances personnelles, en dehors des responsabilités que nous pouvons rejeter, attribuer ou détourner. »

J’ai pensé à Cortázar, à Sábato et à Camus.

\Mots-clés : #absurde #amour #ecriture
par Tristram
le Ven 18 Mar - 11:08
 
Rechercher dans: Écrivains d'Amérique Centrale, du Sud et des Caraïbes
Sujet: Juan Carlos Onetti
Réponses: 2
Vues: 344

Robert Pinget

Graal Flibuste

Tag absurde sur Des Choses à lire Graal_10

Récit picaresque conté par épisodes parfois peu liés les uns aux autres, où le narrateur voyage avec son cocher Brindon dans une carriole tirée par le cheval Clotho, dans un pays fantastique qui rappellerait l’imaginaire poétique de Vian (voire celui d’Audiberti), et au bestiaire digne de Michaux (la flore est tout aussi originale, et parfois elle se croise avec la faune en curieuses métamorphoses).
« Les vergedouces. Ce sont des cactées sans épines, lisses et très proliférantes. Elles forment des arbustes qui le matin, pour être gros comme des framboisiers, seront vers seize heures de la dimension d'un cèdre. Au premier souffle du large, vers dix-neuf heures, les sels marins attaquent la pulpe délicate qu'ils rongent incontinent et l'arbre n'est plus qu'un squelette, puis qu'un petit tas de fibres.
Les pavots-chiens. Plantes dangereuses parce qu'elles s'attaquent à l'homme. Nous les avons vues de loin, massées sur une colline qu'elles teintent de pourpre et d'hyacinte. Elles aboient au passage de la chair fraîche.
[…]
Les vire-ceintures. On a baptisé ainsi l'andréosylphe pompareuse, mais la raison m'en échappe. Oblongue et formée d'un seul pétale, la corolle s'évase par le haut comme une collerette qui, frottée d'un brin d'herbe, rend le son le plus mélodieux qui soit. Un musicien habile sur un bouquet de vire-ceintures pourrait jouer la gamme. »

« Une légende veut que Graal Flibuste, protecteur des banques, ait maudit tout être vivant qui foulerait le sol du sanctuaire. »

La généalogie de Graal Flibuste constitue une mythologie loufoque (quoique pas plus que certains avatars latins, grecs ou sud-américains).
« Calott épousa l'une des Éphémères, la noire Myo, qui lui donna pour fils le nain Rzwek, inventeur des céphalées et des eczémas ; une légende transarcidoine lui attribue le meurtre de la lune, qui, depuis, n'a plus de lumière propre. »

Donc association de cocasse et de poésie :
« Devant chaque stalle, une tablette de verre où étaient posés le gobelet et la brosse à dents. L'hygiène dentaire de la vache a des répercussions sensibles sur sa capacité laitière. Notre guide voulut bien nous confier que les ruminantes n'étaient pas encore en mesure de se donner ces soins elles-mêmes. »

« J'ai vu des paysans teindre leurs bœufs selon la couleur du temps avant de partir aux labours ; zinzolin par temps d'orage, jonquille ou azur par beau fixe, puce ou mouche écrasée par temps de pluie, s'en vont vers le sillon les majestueux attelages. »

On croise déjà monsieur Songe, et il paraît que les différents romans de Pinget appartiennent au même univers, où se retrouvent certains personnages.
Un temps, c’est une intrigue du genre polar qui occupe le narrateur et Brindon, « Le mystère Dunu ».
« Le mystère Dunu nous intriguait chacun, à des degrés divers puisque Brindon en savait moins que son maître, mais nous occupait tous deux et de la sorte prenait corps en dépit des circonstances, presque en dépit de lui-même. Ainsi se créent ou se recréent, de par l'attention d'individus fort éloignés les uns des autres mais animés de la même passion, ce que l'on pourrait appeler des nœuds circonstanciels de temps ou de lieux, des complexes comme de matière spirituelle brute, inexplorée, disponible, toute chargée de puissance et prête à donner naissance à quelque prodigieuse invention ; mais cette force n'est que chimère, elle a toutes les apparences de la vie, elle en emprunte d'inédites au besoin, faisant apparaître entre les divers possibles des relations mystérieuses, donnant du relief à certains impondérables, sans pour cela participer du seul mystère qui soit : le réel. De même nous nous efforçons dans notre chambre de construire pour le futur un bonheur idéal, nous avons l'impression de le tenir à force de veilles et d'efforts, il ne peut échapper qu'à notre inattention et de celle-ci nous évitons la moindre seconde, nous tenant pour ainsi dire sur le qui-vive ; et parce que peut-être à plusieurs milles de là quelque rêveur agit de même, le fameux lien circonstanciel se crée et nous remplit de l'intime persuasion que nous sommes sur le point d'aboutir. Or nous nous retrouverons cent ans plus tard dans la même chambre et les mains vides pour avoir oublié d'ouvrir notre porte et de descendre dans la rue où nous attendait peut-être la fortune. »

Une certaine amertume ou angoisse transpire parfois, comme un cauchemar qui sourdrait du rêve.
« Ma mère, lorsque nous étions enfants, nous contait pour nous endormir comment elle s'y était prise pour assassiner notre père. »

Il me semble que c’est écrit au gré de l’inspiration, sans unique fil conducteur, ou plutôt sans vraie intrigue générale ; d’ailleurs le roman s’achèvera sans réel dénouement, et je ne crois guère qu'on puisse y trouver quelque message métaphysique ou moral (quoique)…
« Vous craignez vos désirs, et ce qui en retarde l'assouvissement vous est un réconfort.
− Autrement dit, je suis un lâche ?
− Certainement. »


\Mots-clés : #absurde #aventure #contemythe #fantastique
par Tristram
le Ven 30 Juil - 18:59
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Robert Pinget
Réponses: 33
Vues: 2358

Éric Chevillard

Mourir m’enrhume

Tag absurde sur Des Choses à lire Mourir10

Monsieur Théo, quatre-vingts ans, agonise en râlant ses derniers mots.
Ses ronchonnades et délires (souvent animaliers) ramentoivent un peu la prose de Régis Jauffret (et de plus loin celle de Céline, le surréalisme, une poésie entre Prévert et Vian). J’ai aussi songé, thème oblige, à la trilogie de Beckett, L'Innommable, Molloy et Malone meurt. Mais avec humour, parfois macabre. Également une belle palette lexicale. Outre l’inventivité jaillissante, on sent une écriture besognée.
« Je pourrais certes choisir d’afficher le même flegme en toutes circonstances, un fauve, Lisette, l’abbé, mais le paralytique qui opte pour l’impassibilité en rajoute un peu, j’exècre le cabotinage. Mourir est suffisamment théâtral. »

« De vieilles femmes félicitent la fille du défunt... charmant, mignon, tout à fait vous, le même nez, frappante ressemblance, et comme il est sage, hi hi, ils ne devraient pas grandir, allaitez-le vous-même... Les vieilles lui offrent chacune un petit pull-over en crochet et se replient en désordre chez la voisine gifler un nouveau-né avec une branche de buis... croyez-moi, il est plus heureux là où il est, voyez comme il a l’air serein et réfléchi, vrai, il en a fini avec la souffrance maintenant, hi hi, si on peut quelque chose pour vous... »

« De mes pieds, aucune nouvelle. Ils m’étaient plus chers que toute autre partie de mon corps, larges et plats, traînards, en retard sur ma silhouette, rétifs à la cueillette comme à l’empoignade, et pourtant, de quels bouquets, de quelles fourrures auraient-ils pu couvrir les femmes ! Ils préféraient se brûler aux orties, étendre l’incendie aux pâquerettes, ou peser sur la queue des couleuvres jusqu’à ce que tout se démaille (je peux mourir). Je sais déjà qu’ils ne participeront pas à l’étreinte avide du cadavre, ce geste déplacé de tout le corps qui n’a de sens qu’au-dessus des tables desservies et couvertes de miettes, un geste de semeur repentant qui voudrait récupérer son grain, mais trop tard... Il faudrait lancer les mourants à la poursuite des libellules, du trille des rossignols, ou les employer à dompter les girafes, à compter les Chinois, à ramasser les perles des colliers brisés, car les femmes hésiteront à se mettre à quatre pattes, c’est humain, tant qu’il restera des biches. »

Premier livre publié d’Éric Chevillard, pas son meilleur, mais promet !

\Mots-clés : #absurde
par Tristram
le Mer 21 Juil - 14:07
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Éric Chevillard
Réponses: 114
Vues: 7762

Herman Melville

Le Grand Escroc
Titre original: The Confidence-Man, his Masquerade

Tag absurde sur Des Choses à lire Le_gra10

Roman, 1857, 400 pages environ.


Un vapeur d'une taille certaine, empli de passagers, descend en cabotage le Mississippi. Une affiche placardée près de la cabine du capitaine prévient ces passagers d'être sur leurs gardes, en raison de la présence d'un escroc à bord.
Ce sera la seule allusion à ce capitaine (et si l'escroc c'était lui ?).
Ces passagers rencontrent, sous des dehors de hasard, un caractère principal assez ambigü, peut-être unique, peut-être multiple, en tous cas insaisissable (parce que ne se laissant pas démasquer).

Le roman est articulé en tableaux ou scènes parfois enchaînées, parfois non. Il est d'une très grande richesse et d'une indiscutable modernité.
Tout repose sur la confiance dans le rapport imposé par l'escroc, mais, d'une certaine manière (ce qui est particulièrement moderne), sur le degré de confiance que nous-mêmes mettons dans les situations narrées, c'est-à-dire que nous sommes aussi, nous lecteurs, confrontés.
Il y a de la satire allégorique mais aussi métaphysique dans l'ouvrage.


L'abord d'une foultitude de sujets variés intimes ou universels, prégnants, fait défilé ou farandole, étourdit le lecteur.
Sujets tels le bien, la charité -bien sûr la confiance - la morale -ce qu'on appelle aujourd'hui l'éthique - le cynisme, la philanthropie, la misanthropie, le matérialisme, le réalisme, la théologie, l'amitié, l'économie sont par ex. autant d'accroches dont se sert le -ou les- grand(s) escroc(s) à bord.

À noter qu'il n'escroque pas toujours pour de l'argent, comme s'il poursuivait des desseins plus mystérieux (le diable n'a pas tenté Adam et Ève pour de l'argent, est-il dit, en substance, quelque part dans le roman).


Alors, un ouvrage remarquable et méconnu ?
Oui, si l'on veut.
Pourtant, pourtant...
Ce fut un échec complet, tant auprès de la critique que du public, et l'auteur, cinglé de plein fouet -sans doute parce qu'il avait "mis" énormément de lui, de temps, de réflexion, de matière dans ce livre-là- se retirera plus ou moins de la vie littéraire pour épouser une autre carrière, nettement moins en vue.

C'est aussi un ouvrage roboratif, un peu trop riche comme l'on dit d'un mets ultra-calorifique.
Si, en effet, le lecteur est étourdi, grisé par le déroulé, le côté incessant, il solliciterait parfois volontiers un tempo un peu moins enlevé, une pause.
Enfin peut-être Melville eût-il gagné à davantage de concision, de dépouillement, quelque chose de plus ramassé (avis au potentiel lecteur: s'engager dans ces pages est une entreprise d'une certaine haleine, pas seulement en raison du nombre de pages).

Et puis:
Je n'ai pas trouvé ce si fort alliage, que je prise tant chez Melville, entre la force et la grâce dans l'écriture (mais il est vrai qu'avec Melville, qui m'a tant transporté et que je porte volontiers au pinacle, je suis si peu indulgent): alliage dont sont sertis Benito Cereno, Moi et ma cheminée, Moby Dick, Bartleby et tant d'autres...

Mais malgré tout ce Grand Escroc, pour mitigé que je puisse paraître, reste un livre tout à fait à recommander.



Mots-clés : #absurde #amitié #contemythe #social #voyage #xixesiecle
par Aventin
le Jeu 24 Juin - 17:03
 
Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
Sujet: Herman Melville
Réponses: 75
Vues: 5064

César Aira

Le congrès de littérature

Tag absurde sur Des Choses à lire Le_con11

Le narrateur, César, est écrivain et vit de traductions ; il se rend au congrès de littérature dans la ville de Merida, Venezuela, pour profiter gratuitement du séjour avec piscine, mais surtout pour prélever une cellule d’un « Génie » afin de la cloner :
« Le "Savant fou", bien entendu, c’est moi. Identifier le Génie peut s’avérer plus problématique, mais inutile de se perdre en conjectures : il s’agit de Carlos Fuentes. »

En guise de préambule, il a résolu l’énigme du fil de Macuto, et en lecteur perspicace je gardais cette péripétie à l’esprit en attendant de la voir reparaître, explicitée et/ou incluse dans le puzzle de l’intrigue générale – sans succès, ou plus vraisemblablement ça m’a échappé…
Ce « prologue » donne cette définition de l’unicité individuelle :
« Le fait est (je vais tenter de l’expliquer) que chaque esprit se constitue en accord avec la somme totale de ses expériences, de ses souvenirs et de ses connaissances, et que l’accumulation très personnelle de toutes ces données, qui font qu’il est ce qu’il est, le rend unique. »

« La qualité unique d’un intellectuel peut être saisie, tout simplement, dans la conjonction de ses lectures. »

Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’ensemble est foutraque (si ce mot peut avoir une acception particulière à cet auteur ; j'ai quand même songé à Raymond Roussel). On perçoit néanmoins qu’il s’agit d’une sorte de parabole de l’imaginaire littéraire, un exercice pratique en étonnante démonstration de cette créativité.
« L’idée (très typique de ma part, au point que je crois que c’est l’idée que je me fais de la littérature) avait été de créer quelque chose d’équivalent à ces figures à la fois réalistes et impossibles, comme le Belvédère d’Escher, qui paraissent praticables sur le dessin mais que l’on ne pourrait pas construire parce qu’elles ne sont qu’une illusion de perspective. »

Le déroulement est conçu et présenté comme des permutations de strates de signification (là aussi j’ai certainement pas tout compris).
« Voici venu le moment de réaliser un autre déplacement de niveau, une nouvelle "traduction". »

Étant agréablement sensible aux références aux concepts scientifiques dans les romans, je fus gâté : ça me fait rêver en me donnant une excuse pour ne pas saisir grand’chose. Quand c’est si brillant, crédule assumé je suis ébloui, et ne pas saisir tout me dérange peu.
« Il y a toujours quelque chose de réel dans ce qui se produit, c’est inévitable. »

« La génétique est la genèse de la diversité. Mais s’il n’existe personne sur qui la diversité puisse se déplier, celle-ci revient sur elle-même, elle s’enroule sur sa particularité générale et c’est ainsi que naît l’imagination. »

« Il n’y a qu’avec le minimalisme que l’on peut obtenir l’asymétrie qui à mes yeux est la fleur de l’art ; en compliquant, il est inévitable que se mettent en place des symétries lourdes, vulgaires et tape-à-l’œil. »

Peut-être mon César Aira préféré !

\Mots-clés : #absurde #creationartistique
par Tristram
le Sam 8 Mai - 16:15
 
Rechercher dans: Écrivains d'Amérique Centrale, du Sud et des Caraïbes
Sujet: César Aira
Réponses: 32
Vues: 2569

Valère Novarina

Le Jeu des Ombres

Tag absurde sur Des Choses à lire Le_jeu11

Le Jeu c’est celui avec les mots (aussi en latin)…
« LA BOUCHE HÉLAS.
Avis aux Huminiâtres, aux Huminiacés ! Psaumes aux Théosaures, aux Penseurs Perpendiculaires, aux Anthropo-bisphoriques – et urbains de la même farine ! »

« LE CLAVIER.
Déchroniquons-le ! Mourons-y ! Tuons-le ! Mourons-y !
LE PHRASÉ.
Démourissons-le avant que nous y fûmes. »

… et les Ombres ce sont les morts, dans l’enfer mythologique de la Rome antique principalement (Hécate, Pluton, surtout Orphée et Eurydice), mais aussi le Dieu biblique, et même Mahomet chevauchant le Bourak.
« ORPHÉE.
"Les mots sont devenus dans les langues humaines comme autant de morts qui enterrent des morts, et qui souvent même enterrent des vivants. Ainsi l’homme s’enterre-t-il lui-même journellement avec ses propres mots altérés qui ont perdu tous leurs sens. Ainsi enterre-t-il journellement et continuellement la parole." »

Le discours est souvent de tendance métaphysique (le temps et l’espace, le jour/ lumière et la nuit).
« Je vais tracer au compas
La limite qui est invisible
Entre naître… et n’être pas
Entre n’être… et naître pas. »

« LE CONTRE-CHANTRE.
Tous les hommes sont des écriteaux égaux : homme et emmoh : égal est l’homme, légal le mot.
LE CHANTRE.
La parole est aux hennissements !
FLIPOTE.
Ôtez l’espace du lieu : rien ne reste. Prenez le temps, enlevez-lui chaque moment : l’instant est là. Ôtez-lui le mot : le temps file à vau-l’eau. »

« La nature est un jeu d’énergies, une phrase dite et respirée par toute la création, par toutes les créatures vivant ensemble : d’un souffle, en un geste pluriel, d’un seul tenant. Comme une donnée : l’apparition de tout. »

On pense tout de suite à Michaux, puis à Jarry, Audiberti, entr’autres.
Cette pièce est a minima une comédie bouffonne (avec des personnages comme l’Ambulancier Charon, Marcel-Moi-Même, etc.), où explose l’inventivité jubilatoire de Valère Novarina concernant la parole, du verbe, du langage.
« ANTIPERSONNE I.
Ce qui fait extrêmement peur, ce n’est pas le chaos d’ici, ni l’infini, ni le labyrinthe, ni la chair, ni le mystère de la matière – mais le rangement absolu de tout et l’apparition soudain de l’univers dans une langue ordonnée.
Ce n’est pas le chaos de la matière qui fait peur, c’est d’entendre un ordre dedans ; ce n’est pas une chose qui s’entend par la vue – puisque tout est désordre à voir, mais une chose que l’on entend dans l’ordre du souffle. Dans l’architecture du langage, nous entendons un ordre dans le langage. »

« Conclusion : Ceux qui ont tagué "La mort est nulle" au bord du canal de l’Ourcq ont bien fait.
Nous ne sommes pas du tout faits pour ça. Ce n’est pas une fin pour nous. Nous sommes dévorés par elle mais nous ne sommes pas ses sujets. »

Apparaissent une multitude de figures humaines ou mythologiques, dont de nombreux animaux, et des machines ; l’Huissier de Grâce annonce régulièrement l’entrée de nouveaux personnages, parfois en longues listes extraordinaires, comme celle qui clôt la pièce.
« L’HUISSIER DE GRÂCE.
Entrent Les Phases, Les Phrases, Les Ombres, Les Nombres, Les Âmes et Les Enfants Pariétaux. »

Des personnes réelles en font partie, dont nombre appartiennent au monde du spectacle.
« PIERRE BERTIN.
Je traversais ma mort à temps plein, et de plein jour comme en pleine nuit. Telles étaient mes scènes, qui n’avaient pas encore eu lieu à c’t’époque-là.
On ne voit ici dans la nuit noire plus que la nudité vraie de la lumière : sa force est écrasante tant elle se répand. Cependant le sol était là – et je continuais à vivre uniquement pour me venger d’exister. »

Il y a aussi des allusions littéraires, comme à Molière (Le vivant malgré lui, Le mort imaginaire), et une curieuse récurrence du chiffre huit, (qui rime avec nuit dans presque toutes les langues) et onze.
On retrouve la Dame autocéphale et le Valet de Carreau évoqués par Louvaluna dans sa lecture de L'Opérette imaginaire ; démonstration par l’inverse de ma méthode de lecture chronologique des auteurs, j’ai malencontreusement abordé Novarina par sa dernière pièce…

\Mots-clés : #absurde #contemythe #mort #philosophique #spiritualité #théâtre
par Tristram
le Mar 4 Mai - 20:35
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Valère Novarina
Réponses: 19
Vues: 1213

Julio Cortázar

Un certain Lucas

Tag absurde sur Des Choses à lire Un_cer10

Recueil de textes brefs, la plupart tournant autour d’un certain Lucas : absurde, fantastique, humour, poésie, rêve (et même cauchemar), questionnement métaphysique, invention (y compris de mots), autobiographie aussi sans doute ; Cronopes et Fameux vient à l’esprit, sans être surpassé. J’ai surtout pensé à Un certain Plume, de Michaux, qui pourrait être un modèle, et en tout cas participe du même esprit.

\Mots-clés : #absurde #fantastique #nouvelle
par Tristram
le Mer 14 Avr - 14:06
 
Rechercher dans: Écrivains d'Amérique Centrale, du Sud et des Caraïbes
Sujet: Julio Cortázar
Réponses: 47
Vues: 3798

Joaquim Maria Machado de Assis

Mémoires posthumes de Brás Cubas

Tag absurde sur Des Choses à lire Mzomoi10

D’entrée, Machado de Assis se place sous l’égide de Sterne et Xavier de Maistre, et les digressions empreintes d’humour qui suivent en attestent. Le narrateur est un Carioca qui se présente en effet non pas comme « à proprement parler, un auteur défunt, mais un défunt auteur »… Un ascendant du Pedro Páramo de Rulfo, mais l’analogie s’arrête là (quoique l'auteur soit vraisemblablement une des sources du réalisme magique). Brás Cubas nous raconte comment il est mort d’une idée fixe, « l’invention d’un médicament sublime, un emplâtre “anti-hypocondriaque” »… « l’amour de la renommée, l’emplâtre Brás Cubas. »
« Peut-être le lecteur sera-t-il surpris de la franchise avec laquelle j’expose et mets en lumière ma médiocrité ; qu’il n’oublie pas que la franchise est la première qualité d’un défunt. »

« Mais c’est cela justement qui fait de nous [les morts] les maîtres de la terre, c’est ce pouvoir de faire revivre le passé, afin de toucher du doigt l’instabilité de nos impressions et la vanité de nos affections. Laisse Pascal affirmer que l’homme est un roseau pensant. Non ; l’homme est un erratum pensant, cela oui. Chaque âge de la vie est une édition, qui corrige l’édition antérieure, et qui sera corrigée elle-même, jusqu’à l’édition définitive, que l’éditeur distribue gratuitement aux vers. »

Dans cette biographie ou récit posthume, il s’adresse directement au lecteur (comme déjà le Cervantès de Don Quichotte) :
« Comme les autres lecteurs, ses confrères, je pense qu’il préfère l’anecdote à la réflexion, en quoi il a bien raison. Nous y arriverons donc. Mais il ne faut pas oublier que ce livre est écrit sans hâte, avec le flegme d’un homme déjà délivré de la brièveté du siècle, œuvre éminemment philosophique, d’une philosophie inégale, tantôt sévère, tantôt plaisante, qui ne veut ni construire ni détruire, qui ne peut ni enflammer ni refroidir, qui est tout de même plus qu’un passe-temps et moins qu’un apostolat. »

« Je revins… Mais non, n’allongeons pas ce chapitre. Parfois je m’oublie à écrire et ma plume court, mangeant le papier, non sans préjudice pour moi, l’auteur. De longs chapitres conviennent mieux à des lecteurs d’esprit pesant, tandis que nous, nous ne sommes pas un public in-folio, mais in-douze : peu de texte, grandes marges, impression élégante, tranche dorée et vignettes…, vignettes surtout… Non, n’allongeons pas ce chapitre. »

« Que le lecteur ne s’irrite pas de cette confession. Je sais bien que, pour chatouiller les nerfs de son imagination, je devrais souffrir d’un profond désespoir, répandre quelques larmes et m’abstenir de déjeuner. Ce serait romanesque, mais ce ne serait pas biographique. La réalité pure est que je déjeunai comme les autres jours, soignant mon cœur avec les souvenirs de mon aventure et mon estomac avec les plats fins de M. Prudhon… »

Dans le même esprit, l’auteur-narrateur se commente en délectables apartés qui créent une connivence facétieuse avec le lecteur :
« Je ne me rappelle plus où j’en étais… Ah oui ! aux chemins inconnus. »

« Le manque d’à propos m’a encore fait perdre un chapitre. N’aurait-il pas mieux valu dire les choses tout uniment, sans tous ces heurts ? J’ai déjà comparé mon style à la démarche des ivrognes. »

« La fin du dernier chapitre m’a laissé si triste que je me sentirais capable de ne pas écrire celui-ci, de me reposer un peu, de purger mon esprit de la mélancolie qui l’embarrasse, avant de continuer. Mais non, je ne veux pas perdre de temps. »

Il m’a ramentu notamment Brantôme ; on pense également à des auteurs comme Voltaire (auquel il sera souvent fait référence plus loin) :
« Je songeai alors que les bottes étroites sont un des plus grands bonheurs de la terre, car, en faisant souffrir les pieds, elles donnent naissance au plaisir de se déchausser. »

Certains passages, parfaitement hors de propos, sont fort savoureux, tel le chapitre 21 : son baudet s’emballe et le jette à bas, il est sauvé par un muletier et décide de gratifier ce dernier d’une somme d’argent, dont le montant diminue rapidement comme il se remet de l’accident…
Suivant généralement le caprice du « trapèze de [s]on esprit », Brás Cubas regarde souvent ses chaussures, le bout de son nez ou une mouche, lors de médiations parfois amères. Il égrène ainsi quelques brèves observations à propos de l’enterrement de son père, puis conclut :
« Cela paraît un simple inventaire : ce sont des notes que j’avais prises pour un chapitre triste et banal, que je n’écrirai pas. »

Certaines phrases bien senties confient à l’aphorisme ou à l’apophtegme (parfois dans l’ombre de Shakespeare, de Calderón de la Barca et d’autres) :
« Jamais je n’ai cessé de penser en moi-même que notre petite épée est toujours plus grande pour nous que l’épée de Napoléon. »

« Sur le théâtre de la tragédie humaine, peut-être eût-il suffi d’un figurant de moins pour faire tomber la pièce. »

« Il y a des inventions qui se transforment ou disparaissent, les institutions elles-mêmes meurent : l’horloge est définitive et perpétuelle. Le dernier homme, au moment de quitter cette terre froide et dévastée, aura dans sa poche une montre, pour savoir l’heure exacte de sa mort. »

Et cette belle définition de l’aveuglement humain :
« …] ce phénomène, pas très rare sans doute, mais toujours curieux : l’imagination élevée au rang de conviction. »

Machado de Assis revient sur ce thème, lorsque le mari de son amante sacrifie son ambition à sa superstition. Justement, Brás Cubas nous raconte ses amours, « La belle Marcella », cupide ; Eugénia, « la fleur du bosquet » ; surtout Virgilia, femme de cet ami ; enfin Nhã-lolo, ou Eulalia. Il nous présente aussi Quincas Borba, philosophe théoricien de « l’Humanitisme » ; ce personnage est à l’origine vraisemblablement du roman éponyme ultérieur. De même, « L’aliéniste » de rencontre donnera une novella l’année suivante.

Ce roman assez court est fragmenté en 160 chapitres brefs, ce qui en rend la lecture agréable. Pour donner le ton, voici deux chapitres in extenso :
« 124
Intermède
Qu’y a-t-il entre la vie et la mort ? Un simple pont. Cependant, si je ne composais pas ce chapitre, le lecteur éprouverait une pénible secousse, assez préjudiciable à l’effet du livre. Sauter d’un portrait à une épitaphe est chose courante dans la vie réelle ; mais le lecteur ne se réfugie dans un livre que pour échapper à la vie. Je ne prétends pas que cette pensée soit de moi : je prétends qu’il y a en elle une dose de vérité et que, tout au moins, la forme en est pittoresque. Et je le répète : elle n’est pas de moi. »

« 136
Inutilité
Mais, ou je me trompe fort, ou je viens d’écrire un chapitre inutile. »

À la fois démonstration et fin en soi, l’histoire se dilue, badine, dans l’insignifiance humaine.
Un auteur à mon gré, que je regretterais de n’avoir pas découvert plus tôt !

\Mots-clés : #absurde #humour #xixesiecle
par Tristram
le Jeu 26 Nov - 23:26
 
Rechercher dans: Écrivains d'Amérique Centrale, du Sud et des Caraïbes
Sujet: Joaquim Maria Machado de Assis
Réponses: 6
Vues: 1373

Grégory Le Floch

De parcourir le monde et d'y rôder

Tag absurde sur Des Choses à lire De_par10

Un entêtement, une irritabilité continuelle qui, à défaut de donner corps à ce personnage sans identité dont on lit ici le parcours, caractérise la narration et le style de Grégory Le Floch de façon beaucoup plus équivoque. Personne n'écoute ce personnage (a-t-il d'ailleurs quelque chose à dire ?) qui cherche la signification d'un objet (puis deux, puis trois...) trouvé(s) par lui : tout comme ces objets, il est vide, et donc ouvert, réceptacle. Il écoute à défaut de parler, reçoit et catalyse toutes les idées et les tensions de ce monde bizarre et violent, un monde qui est de manière assez ou trop évidente le reflet du nôtre.

Tout arrive (ou tout peut arriver) quelquefois avec un sans-gêne désopilant, la plupart du temps avec une forme de gratuité que les références à l'actualité disculpent en partie. C'est aussi pour que le roman implose, avec toutes les interprétations, sur les évènements comme sur les mystérieux objets du personnage, des hypothèses et des idées provenant uniquement de ceux que le personnage croise sur sa route. Avec tout son appareillage de notes, cet épisode du personnage consultant un site web interactif, l'analogie entre le roman et internet serait toutefois un peu facile. Peu à peu, le personnage prend forme avec ses impressions et ses émotions : son ras-le-bol, son dégoût, sa tristesse et sa nostalgie prennent le dessus. Ces petites choses restées trop longtemps dans ses mains ou dans ses poches deviennent attachantes. La langue s'en ressent, dans un souffle poétique parfois hésitant, mais en tout cas très prometteur.

Mots-clés : #absurde #contemporain #identite
par Dreep
le Jeu 5 Nov - 17:02
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Grégory Le Floch
Réponses: 3
Vues: 281

Richard Brautigan

Le monstre des Hawkline ‒ Western gothique

Tag absurde sur Des Choses à lire Le_mon10

Ça commence effectivement en western, et bascule dans le roman gothique… Comment dire ? nous manquons de pseudo-synonymes moins imprécis pour "décalé", "déjanté" et autres "foutraque" et "loufoque". C’est un burlesque et un absurde qui correspondent assez à ce que firent au cinéma au même moment les Monty Python, voire même un homologue du théâtre de l’absurde, dans la grande lignée du grotesque et du non-sens de la farce.
Deux tueurs professionnels sont engagés pour une mystérieuse mission dans « l’énorme maison jaune » de Miss Hawkline, à l’écart dans le désertique « Oregon de l’est »… et l’antagonisme de l’ombre et de la lumière des « Produits Chimiques » dans le cristallisoir du sous-sol renouvelle les genres avec force clins d’œil !
« Greer et Cameron étaient visiblement des hommes capables de se sortir de n’importe quelle situation avec le maximum d’effet pour le minimum d’effort.
Ils n’avaient l’air ni dur ni méchant. Ils ressemblaient plutôt au produit de la distillation de ces deux qualités. Ils semblaient vivre dans l’intimité de quelque chose que les autres ne pouvaient percevoir. Bref, ils ne manquaient pas de présence. On n’avait pas envie de se frotter à eux, même si Cameron passait son temps à compter, par exemple qu’il avait vomi dix-neuf fois entre Hawaii et San Francisco. Ils gagnaient leur vie à tuer les gens. »

« La route s’enfonçait dans la désolation des Dead Hills qui disparaissaient derrière eux pour réapparaître de nouveau. Tout était toujours pareil et tout était très tranquille.
Un instant Greer crut voir quelque chose de différent, mais il comprit qu’il s’était trompé. Ce qu’il avait vu était identique à ce qu’il voyait. Il avait cru que c’était plus petit, mais c’était en réalité exactement de la même taille que tout le reste. »

« Greer et Cameron contemplaient les sœurs Hawkline occupées à caresser en l’embrassant un porte-parapluies fait d’une patte d’éléphant, en l’appelant :
‒ Daddy ! Daddy !
C’est-à-dire :
‒ Papa ! Papa ! »

Malheureusement dans une traduction avec des maladresses… absurdes.

Mots-clés : #absurde #fantastique #humour
par Tristram
le Mer 14 Oct - 20:43
 
Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
Sujet: Richard Brautigan
Réponses: 56
Vues: 5351

Eugène Ionesco

La Cantatrice chauve

Tag absurde sur Des Choses à lire La_can11

« Il y a une chose que je ne comprends pas. Pourquoi à la rubrique de l’état civil, dans le journal, donne-t-on toujours l’âge des personnes décédées et jamais celui des nouveau-nés ? C’est un non-sens. »

Hymne célèbre à la bêtise et la conventionalité des conversations banales.
Ionesco dira justement, dans Notes et contre-notes :
« Les paroles seules comptent. Le reste est bavardage. »

C’est dans cette pièce que se trouve le fameux :
« Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux ! »


@Allumette, mon souvenir scolaire, c’est Rhinocéros !

Mots-clés : #absurde #théâtre
par Tristram
le Ven 9 Oct - 23:29
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Eugène Ionesco
Réponses: 15
Vues: 1465

Henri Michaux

Ailleurs
Voyage en Grande Garabagne - Au pays de la Magie - Ici, Poddema
(1936-1946)

Tag absurde sur Des Choses à lire Michau11

Ce triptyque assemble des voyages totalement imaginaires, écrits à la façon et sur le ton de récits-témoignages des grands voyageurs, sous forme de paragraphes souvent courts se succédant, offrant des évocations coq-à-l'âne qu'on ne peut s'empêcher de rapprocher, dans la conception du bâti -l'agencement-, de l'art pictural contemporain de l'époque d'écriture.  

L'ouvrage est généralement classé en poésie chez les éditeurs, libraires, documentalistes (etc.), je ne suis pas tout à fait sûr que cela soit pertinent.
Suggestion, en pâture à assaisonner: farce grinçante, ou encore fiction au sens Borgésien du terme ?

La courte préface de l'auteur (pas deux pages) nous donne tout de même l'ambition du projet, rien moins qu'anticipatrice-prophétique, un embarquement à la Wells-Orwell si l'on veut:
Préface a écrit:Certains lecteurs ont trouvé ces pays un peu étranges. Cela ne durera pas. Cette impression passe déjà.
  Il traduit aussi le Monde, celui qui voulait s'en échapper. Qui pourrait échapper ? Le vase est clos.
  Ces pays, on le constatera, sont en somme parfaitement naturels. On les retrouvera partout bientôt...
[...] Derrière ce qui est, ce qui a failli être, ce qui tendait à être, menaçait d'être, et qui entre des millions de "possibles" commençait à être, mais n'a pu parfaire son installation...


______________________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

Voyage en Grande Garabagne
(1936 - 110 pages environ)

Le plus étoffé, le plus patchwork aussi des trois récits. Lecture plutôt plaisante, l'ensemble est parfois teinté d'un surréalisme que l'auteur tend à dépasser peu à peu, digestion effectuée.
Ainsi, rarement il est vrai, Michaux n'hésite pas à créer de toutes pièces des mots pour l'occasion, entendant de la sorte (du moins n'est-ce pas une piste interprétative possible ??) ne pas se cantonner au signe-signifiant/signifié, lien commun de l'auteur au lecteur: Le signe-mot a, dès lors, valeur abstraite.
Un exemple:
Les Ématrus sont lichinés ou bien ils sont bohanés. C'est l'un ou l'autre. Ils cousent les rats qu'ils prennent avec des arzettes, et sans les tuer, les relâchent ainsi cousus, voués aux mouvements d'ensemble, à la misère, à la faim qui en résulte.
  Les Ématrus s'enivrent avec de la clouille.
Mais d'abord ils se terrent dans un tonneau ou dans un fossé, où ils sont trois ou quatre jours avant de reprendre connaissance.
  Naturellement imbéciles, amateurs de grosses plaisanteries, ils finissent parfaits narcindons.


__________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

Au pays de la Magie
(1941 - 70 pages environ)

Bien entendu, avec un tel titre, on s'attend à du merveilleux.
Il y en a.
Il n'y a que ça.
Mais, comme bien souvent il génère affres et malaise plutôt que tête dans les étoiles et bouche bée, le lecteur ressort plutôt boxé et nauséeux de cette évocation du pays de la Magie, ce qui est sans doute un but poursuivi par l'auteur.

Trois extraits, qui se suivent immédiatement dans le texte, histoire de ne pas rompre l'agencement en coq-à-l'âne (à noter le dégradé très patte-du-coloriste du premier extrait):
S'ils ont besoin d'eau, ils ne laisseront pas un nuage en l'air sans en tirer de la pluie. Je l'ai vu faire plus d'une fois. N'y aurait-il même aucun nuage en vue, pourvu qu'il existe une suffisante humidité dans l'atmosphère, ils vous feront bien vite apparaître un petit nuage, très clair d'abord, presque transparent, et qui devient ensuite moins clair, puis moins clair encore, puis blanc, puis d'un blanc lourd et rondelet, enfin gris, et vous le feront alors dégorger son eau sur le pré ou sur le verger qu'ils tenaient à arroser.

Je vis un jour un lézard au bord d'un champ qu'il traversait avec quelque peine. Gros comme le bras, il laissa une ornière de près d'un demi-mètre de profondeur, comme s'il avait pesé non quelques livres mais au moins une tonne.
  je m'étonnai. "Ils sont au moins une cinquantaine là-dedans", me dit mon compagnon. "Une cinquantaine de quoi ? De lézards ? - Non, fit-il, d'hommes et je voudrais bien savoir lesquels", et vite il courut chez les voisins s'enquérir des absents. Qui ? Cela seul l'intriguait et jamais je n'en pus savoir davantage. Par quelle magie et dans quel but invraisemblable des gens se fourraient-ils ainsi à l'étroit dans ce tout petit corps de lézard, voilà quel était le sujet de mon étonnement et ne lui parut pas mériter une question, ni une réponse.

Un ours, et c'est la paix.
  Voilà qui est vite dit. Ils en sont en tous cas persuadés, prétendant que les enfants s'élèvent plus facilement, dès qu'il y a un ours dans la maison.

______________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

Ici, Poddema
(1946 - 15 pages environ)

Le plus glaçant et le plus sobre d'entre les trois matériaux composites ajustés par Michaux.

Y sont brossées l'insatisfaction permanente, l'appétence pour la métamorphose à mesure que se développe la possibilité née des travaux scientifiques, au point que l'être n'est plus que la résultante du pas-à-pas et des désidératas du combo pouvoir/technique (tiens, ça ne vous rappelle rien, en problématique contemporaine ?).  

Comme pour Au pays de la Magie, trois extraits qui se suivent immédiatement dans le texte, histoire de ne pas rompre l'agencement, le coq-à-l'âne est moins net ici:
Il n'est pas rare, à Kalafa, qu'un homme hérite de plus de quatre-vingts Poddemaïs au pot, à domicile, presque tous humains et plusieurs sachant travailler.
  Les grands centres d'élevage, l'État a la main dessus. Il maintient une grande pression sur tous les Poddemaïs, et une énorme sur les Poddemaïs au pot, l'État, c'est-à-dire les membres du Conseil du pot, ou Pères du pot, à qui par leur police peu de chose échappe, encore qu'il y ait dans beaucoup de maisons des élevages secrets, maintenus malgré les risques, soit pour le profit, soit par curiosité, ou par tradition familiale.
  Les déclarations des sujets âgés de six ans et de nette apparence humaine sont exigées.

Il règne à certains moments une extrême inquiétude dans le pays, quand siègent les Pères du pot en assemblée générale. Chacun se sent visé. Personne, il ne me semble, ne se sentant tout à fait sûr de sa naissance cent pour cent naturelle. Plus encore, personne ne se sent à l'abri de nouvelles expériences collectives et quoiqu'ils aiment beaucoup les particulières, ils aiment moins celles que la police ordonne et, notamment, sont terrorisés par une sorte de grand magma au pot dont les corps de Poddemaïs naturels ou à peu près naturels seraient les ingrédients habituels et obligés.
  Le Conseil du pot, quelle que soit son idée derrière la tête, prend dès maintenant les mesures pour l'assouplissement des volontés.
  Ses décisions reviennent toujours à ceci: tuer les dernières fiertés.

Ceux qui appartiennent, sans intermédiaire, aux Pères du pot, on leur enfonce (tandis qu'ils sont encore jeunes) un clou dans le crâne.
  Un grand clou à deux têtes, une dedans (plus petite), qui se soude au crâne, une grande dehors, dépassant carrément, et qui permettra au Conseil, en tout temps, de reconnaître les siens et de s'en saisir.



Mots-clés : #absurde #philosophique #xxesiecle
par Aventin
le Sam 6 Juin - 8:58
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Henri Michaux
Réponses: 60
Vues: 5902

Gilbert-Keith Chesterton

Le Poète et les fous

Tag absurde sur Des Choses à lire Le_poz11

Titre original: The Poet and The Lunatics. Huit nouvelles, parues en 1929, qui peuvent être lues ici en langue originale. 255 pages environ.

Il s'agit d'un énième personnage de détective chestertonnien, nommé cette fois-ci Gabriel Gale, grand jeune homme blond, peintre et poète. Il n'y a pas vraiment de nouveaux codes, toujours le parti-pris de l'apparente irréalité, de l'intuition prenant le pas sur la méthode, le scientifique. On trouve un peu moins de burlesque, un peu moins de ce fameux humour britannique dont il est un champion (ou est-ce moi qui est passé au travers ?).

On relève une jolie petite délicatesse dans le procédé littéraire, consistant à donner la chute de la première nouvelle...dans la dernière !

Ici, notre Gilbert-Keith raisonne ainsi:
Les fous, les aliénés, Lunatics en anglais, pour comprendre leurs actes lorsque ceux-ci apparaissent hors-normes ou inouïs au commun des mortels, il faut soit l'être un peu soi-même, soit emprunter des voies imaginatives quasi jamais fréquentées.

D'où le façonnage d'un type de héros comme Gabriel Gale, encore une variation de Chesterton sur le thème du détective qui n'en est pas (et ne paye pas de mine) mais parvient in fine à résoudre.  

On retrouve aussi ces bonnes vieilles déclinaisons de l'auteur sur des thèmes qu'il court si volontiers, le déguisement, l'amitié, les auberges ("pubs"), l'apparence trompeuse, le détail, et ces constructions littéraires si fluides, si adaptées au format nouvelles, qui embarquent bien le lecteur, vraiment sans coup férir.

Le goût de la marge, les comptes réglés avec la pensée scientiste, ça et là (mais plus parcimonieusement ici) la formule qui fait que Chesterton reste à jamais cette mine à citations à ciel ouvert - même si là on est dans une veine moins abondante.
Un peu moins prophétique qu'il ne fut peut-être (voir L'auberge Volante, La sphère et la croix, Le Napoléon de Notting Hill...), même si, dans ce domaine-là aussi, il y a un ou deux joyaux à glaner...

Autre goût, celui de la couleur, le sens du pictural (dans son autobio, L'homme à la clef d'or, il s'en explique, disant que depuis le temps des boîtes à jouer il avait toujours conservé l'émotion d'échafauder des décors peints).
Un exemple de ce côté pictural et coloriste, et de l'embarquement garanti du lecteur, cet extrait proche de l'entame de la 2ème nouvelle:
L'oiseau jaune a écrit:C'était comme s'ils avaient atteint un bout du monde paisible; ce coin de terre semblait avoir sur eux un effet bizarre, différent selon chacune de leurs personnalités, mais agissant sur eux tous comme quelque chose de saisissant et de vaguement définitif.
Et cependant il était d'une qualité aussi indéfinissable qu'unique; il n'était en rien sensiblement différent d'une vingtaine d'autres vallées boisées de ces comtés occidentaux en bordure du Pays de Galles.
Des pentes vertes plongeaient dans une pente de forêts sombres qui par comparaison paraissaient noires mais dont les fûts gris se reflétaient dans un méandre de la rivière comme une longue colonnade sinueuse. À quelques pas de là, d'un côté de la rivière, la forêt cédait la place à de vieux jardins et vergers, au milieu desquels se dressait une maison haute, en briques d'un brun intense, avec des volets bleus, des plantes grimpantes plutôt négligées s'accrochant aux murs, davantage à la manière de la mousse sur une pierre que de fleurs dans un parterre.
Le toit était plat, avec une cheminée presque en son milieu, d'où un mince filet de fumée s'étirait dans le ciel, seul signe de ce que la maison n'était pas complètement abandonnée.
Des cinq hommes qui, du haut de la colline, regardaient le paysage, un seul avait une raison particulière de le regarder.  



Enfin, le quichottisme de Gabriel Gale n'est pas sans rappeler bien d'autres héros -ou caractères principaux- de la prose du gentleman de Beaconsfield (je vous épargne la liste maison !).

Bref, on peut juger que ce n'est peut-être pas un Chesterton majeur, mais...qu'est-ce qu'il se dévore bien, tout de même !

Mots-clés : #absurde #criminalite #humour #nouvelle #satirique #xxesiecle
par Aventin
le Mar 26 Mai - 19:47
 
Rechercher dans: Écrivains européens de langues anglaise et gaéliques
Sujet: Gilbert-Keith Chesterton
Réponses: 50
Vues: 5155

Gilbert-Keith Chesterton

Le club des métiers bizarres

Tag absurde sur Des Choses à lire Le_clu10

Titre original: The Club of Queer Trades. Nouvelles, 1905, 190 pages environ.
Peut se lire en langue originale ici.
Six nouvelles reliées entre elles par les thèmes et les protagonistes principaux.

Autant les premiers romans de Chesterton comptent parmi ce qu'il a fait de meilleur, autant ces nouvelles-ci, ses premières, laissent un peu l'exigeant lecteur sur sa faim, j'eus souhaité qu'il sophistiquât quelque peu davantage, qu'il enjolivât encore.

En 1905, en fait de polars britanniques, existait Sir Arthur Conan Doyle et son Sherlock Holmes, et c'est à peu près tout: l'historien du genre, pointilleux, me rétorquera sans doute qu'untel ou untel (dont R-L Stevenson en personne) s'était aussi aventuré dans ce domaine littéraire-là, qui allait faire florès au XXème et toujours de nos jours, mais on parle bien d'auteurs à la fois spécialisés et grand-public, en matière de polars britanniques.

Comment prendre le pendant de l'écrivain-médecin et de sa logique clinique ?
Bien sûr, si vous avez déjà lu quelques pages de Chesterton c'est évident, le projet va de soi: face à la déduction scientifique l'auteur oppose le paradoxal intuitif, la conviction dût-elle paraître d'un absurde consommé.
Aussi ceci: on ne meurt pas dans les enquêtes narrées par Chesterton, d'ailleurs, à ma connaissance, on ne meurt pas non plus dans ses romans ou son théâtre: ainsi les enquêtes, comme les histoires narrées au sens large, ne sont pas alourdies du fardeau de la gravité, ni de la délectation voyeuriste de la violence morbide.

Peut-être, sans trop s'avancer, peut-on suggérer que Chesterton tente d'ébaucher son personnage de détective, qui sera, bien des années plus tard, le Père Brown, Basil Grant étant un prototype abandonné d'emblée, trop typé, trop limité ?

Le détective est Rupert Grant, toujours en chasse, tandis que l'enquêteur qui démêle, le héros principal, est son frère, Basil Grant, un excentrique juge démissionnaire: dans chacune des nouvelles, à la fin, Basil démontre à Rupert qu'il n'y a eu ni crime, ni intention malfaisante de la part de ceux contre qui sont les apparences trompeuses.
Ou presque:
La dernière nouvelle (mais ne dévoilons pas !) montre un cas de justice pour des faits non répréhensibles par les lois des tribunaux, en sus de quelques baffes, mêlées, horions et autres coups de poing.

L'auteur (c'est narré au "je") dit s'appeler Swinburne (oui, comme le grand poète, encore vivant et londonien à l'époque de parution), et fait office de témoin tout en complétant le trio, basculant dans l'erreur (c'est-à-dire du côté Rupert de l'analyse):
Procédé commode pour permettre d'embarquer le lecteur vers la mystification et donner du poids aux chutes des nouvelles.
Quelques unes des marques de fabrique du gentleman de Beaconsfield sont bien là, comme l'habituelle mine à citations (bien que réduite à sa portion congrue, cette fois-ci - une ci-dessous), les descriptions très picturales et savoureuses, l'humour.

La curieuse affaire de l'agent de location a écrit:
- La vérité doit forcément être plus étrange que la fiction, dit Basil avec calme. Car la fiction n'est qu'une création de l'esprit humain et, par conséquent, est à sa mesure.



La singulière conduite du professeur Chadd (entame) a écrit:

  En dehors de moi, Basil Grant avait relativement peu d'amis et cependant, il était le contraire d'un homme insociable. Il parlait à n'importe qui n'importe où et il parlait non seulement bien mais avec un intérêt et un enthousiasme parfaitement sincères pour les affaires de son interlocuteur. Il parcourait le monde, pour ainsi dire, comme s'il se trouvait toujours sur l'impériale d'un omnibus ou sur le quai d'une gare. Naturellement, la plupart de ses connaissances de hasard disparaissaient après avoir traversé sa vie. Quelques-uns, ici ou là, restaient en quelque sorte accrochés à lui et devenaient ses intimes pour toujours, mais ils avaient tous un même air d'être là accidentellement, comme des fruits abattus par le vent, des échantillons pris au petit bonheur, des ballots tombés d'un train de marchandises ou des paquets-surprises pêchés à la foire.  


En langue originale c'est encore plus savoureux (et fluide, surtout !):

The Noticeable Conduct of Professor Chadd (beginning) a écrit:

Basil Grant had comparatively few friends besides myself; yet he was the reverse of an unsociable man. He would talk to any one anywhere, and talk not only well but with perfectly genuine concern and enthusiasm for that person's affairs. He went through the world, as it were, as if he were always on the top of an omnibus or waiting for a train. Most of these chance acquaintances, of course, vanished into darkness out of his life. A few here and there got hooked on to him, so to speak, and became his lifelong intimates, but there was an accidental look about all of them as if they were windfalls, samples taken at random, goods fallen from a goods train or presents fished out of a bran-pie.


Mots-clés : #absurde #humour #justice #nouvelle
par Aventin
le Sam 28 Déc - 17:38
 
Rechercher dans: Écrivains européens de langues anglaise et gaéliques
Sujet: Gilbert-Keith Chesterton
Réponses: 50
Vues: 5155

César Aira

La robe rose ‒ Les brebis

Tag absurde sur Des Choses à lire La_rob10

Éditions Maurice Nadeau a écrit:César Aira considère la Robe comme son premier conte et Les Brebis comme son premier roman.


La robe rose
Conte où l’on découvre le monde mental d’Acis, un idiot ; la vieille de la famille qui l’a recueilli l’envoie porter la minuscule robe rose qu’elle a cousue pour une nouveau-née, et il est capturé par les Indiens de la pampa après que le fils de la famille lui eut subtilisé la robe.
« Il découvrit, émerveillé, que penser était une autre manière de ne pas penser. »

Les Indiens lancent un raid mythique à la recherche de la robe rose, les personnages errent sans but (le voyage est du temps élaboré à partir de répétition), et le récit (au fil de la plume, tel pure digression) prend une dimension picaresque en revisitant l’histoire argentine, entre dans la légende en suivant les aventures de la petite robe qui passe alors d’un gaucho à deux enfants fugitifs, pour parvenir finalement à La Pensée (un hameau faisant apparemment partie de la jeunesse d’Aira).
Les Indiens, et leur « roi » :
« Ils couraient beaucoup, ou s’abandonnaient à la mollesse. Et ils s’égaraient tous les jours, au coucher du soleil. Tant et si bien que le voyage commença par durer des jours, puis des semaines, et enfin des mois. Les saisons, heureusement, changèrent. On perdait le fil du temps, et le sens de l’orientation. Les directions se superposaient, s’accumulaient. La vie était éminemment inutile. »

« Son pouvoir avait beau être purement abstrait, il s’appuyait tout de même sur lui pour vivre, sans l’exercer. Anarchisants, les Indiens nourrissaient la substance d’un individu qui remplissait en quelque sorte les fonctions d’une musique, un intercesseur du temps, un politicien de l’agencement des heures. »


Les brebis
Sur les terres de La Pensée, le bétail abandonné souffre de la sécheresse, et les brebis sont l’objet d’une étude écologico-éthologique (et d’une facétie évolutionniste), le sujet d’une analyse socialo-psychologique et d’une anthropomorphisation fantaisiste, la matière d’un drame eschatologique, d’une divagation poético-onirico-surréaliste, d'une pseudo-allégorie (quoique...), d’une quête hallucinée et d’une méditation philosophico-métaphysique. Les innocentes brebis assoiffées sont devenues nocturnes pour fuir la chaleur solaire, et elles observent la mystérieuse, la fascinante constellation du Bélier…
Cela tient du réalisme magique et de Raymond Roussel et Cortázar, tout en étant sans pareil.
« De toute façon, la survie s’annonçait difficile, puisqu’il n’y avait plus rien à quoi l’on pût s’adapter. »

« À cette heure-là, le ciel avait perdu tout vestige de couleur. Il irradiait l’épouvante, une blancheur antique. »

« L’une des brebis, jeune, très corpulente, Rosie, ressemblait à un piano immobile : elle n’attendait rien, tout en ne cessant d’attendre. Elle avait été jadis une enfant très heureuse, lorsque la campagne était en fleurs. À présent, son esprit régressait graduellement vers le blanc. »

« Les pans du ciel se transformaient. Un crépuscule d’abord véloce, puis lent, caractéristique du sud de la province, s’abattait comme une hyène albinos sur l’étendue sans forme de La Pensée. L’espace ne retenait que la rotation de la lumière, sans objets. Soudain, apparut l’étoile du Berger ; les yeux qui peuplaient la plaine se fixèrent sur elle, comme sur un grand citron vert. Une brise imperceptible soufflait en cercles, faisant jaillir de l’ombre du sol des tours immatérielles qui se dissolvaient. Au centre se lovait une femme-serpent, la lumière, se dressant vers un ciel très fin, immobile. »

« Vingt minutes plus tard, elle ajouta, devançant les objections :
‒ Cependant, dira-t-on, rien n’est plus facile que d’imaginer des arbres dans un pré ou des livres dans une bibliothèque, sans que nul auprès d’eux ne les perçoive. Rien de plus facile, en effet. Mais, je vous le demande, qu’avez-vous fait, sinon former en esprit quelques idées que vous appelez livres ou arbres, omettant dans le même temps l’idée d’un être qui les perçoit ? Vous-mêmes, pendant ce temps, ne les pensiez-vous pas ? Je ne nie point que l’esprit soit capable de concevoir des idées, ce que je nie, c’est que les objets puissent exister hors de l’esprit.
[…]  
J’ai accumulé des transcriptions de l’idéalisme ovin, j’ai prodigué leurs paysages canoniques, je me suis montré itératif ou explicite, j’ai censuré Cathy (non sans ingratitude), afin que mon lecteur pénètre peu à peu dans cet univers mental vacillant ; un univers d’impressions évanescentes ; un univers sans esprit ni matière, ni objectif ni subjectif, un monde privé de l’architecture idéale de l’espace ; un monde fait de temps, de ce temps absolu, uniforme de La Pensée, un monde que l’on aurait amputé de ses géométries parfaites ; un labyrinthe inépuisable, un chaos, un rêve. Proche de la désagrégation parfaite, comme à la fin les brebis. »


Superbe cadeau de Noël que cet auteur original !

Mots-clés : #absurde #aventure #contemythe
par Tristram
le Jeu 26 Déc - 15:26
 
Rechercher dans: Écrivains d'Amérique Centrale, du Sud et des Caraïbes
Sujet: César Aira
Réponses: 32
Vues: 2569

Éric Chevillard

L'Explosion de la tortue

Tag absurde sur Des Choses à lire L_expl10


C’est d’abord l’histoire de la piètre fin de Phoebe la tortue de Floride, « cette vie en dedans, cette vie de dos » ; puis la non-postérité de Louis-Constantin Novat, obscur écrivain mineur, s’entremêle à cette trame.
Métaphore filée jusqu’à l’absurde, c’est ensuite l’exercice de la pure digression (par exemple l’irrésistible épisode du bouchon)
« Or un bouchon qui bouche imparfaitement est un bouchon qui ne bouche pas du tout. »

C’est surtout une inventivité prodigieuse, qui fuse sans trêve, paraît inépuisable, à la limite du délire dans l’emphase burlesque ; mais dans cet humour se révèle un léger grincement qui raille bientôt l’expression convenue à la mode. Il y a quelque chose d’extrêmement actuel dans cette dérision, rappelant un peu la sourde culpabilité contemporaine (qui sera prouvé ultimement responsable, fut-ce par inadvertance ?)
Servie par une parfaite maîtrise de la langue, tout à fait contrôlée, idéalement au service du pince-sans-rire, c’est au final une mauvaise foi loufoque, aux frontières du cynisme et de la cruauté (des flashes dévoilent, comme dans un cauchemar, des aperçus inacceptables, tel petit Bab), qui éclate.
La tendance affichée par l’auteur de se substituer à Novat, typique plagiat, est bien dans l’air du temps littéraire ‒ tandis que le thème de l’écrivain méconnu est récurrent chez lui.
« Ne mangera plus jamais de betterave l'orphelin dont la mère s'étouffa avec la plante potagère et sous ses yeux mourut.
(Un jour pourtant, mais c'est une autre histoire encore, les dames de la cantine découvriront que cette maman se porte tout à fait bien et que l'enfant est un malin qui n'aime pas la betterave.)
(On peut le comprendre : à qui appartient cette main sanglante qui lâche dans notre assiette les dés du pire avenir ?) »

Eric Chevillard fait partie, avec Régis Jauffrey, un autre écrivain du succinct à profusion passé maître en humour noir, de ce qui compte dans ce qui s’écrit aujourd’hui d’original. (Et quelle est la part due par ces œuvres à l’esprit des bandes dessinées de notre adolescence ?)

Mots-clés : #absurde #humour
par Tristram
le Jeu 5 Déc - 23:11
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Éric Chevillard
Réponses: 114
Vues: 7762

Gilbert-Keith Chesterton

Petites choses formidables

Tag absurde sur Des Choses à lire Cheste10

Un de moins, parmi les ouvrages non traduits en français de Chesterton, dont je regrettais un peu plus haut sur ce fil qu'ils soient si nombreux; certes celui-ci n'atteint pas aux apothéoses de L'Auberge Volante, ni même à celles du Napoléon de Notting Hill ou de La sphère et la croix, Un nommé Jeudi, etc... mais tout de même, c'est appréciable cette série d'article précédés d'une préface pour le Daily News, choix de textes, traduction, notes d'André Darbon, éditions Desclée de Bouwer 2018.
Très chroniques libres ou billets d'humeur à tendance essayiste, ces 240 pages (environ), soit 39 articles ou courtes nouvelles, pas uniquement destinées aux inconditionnels.

Quel art que celui consistant à partir de petits riens du quotidien (un morceau de craie, du lierre, une gare en campagne, un sosie d'un homme célèbre, etc...) pour aboutir à une petite démo édifiante, dont l'humour et le contrepied ne sont jamais absents, et de le faire avec une telle légèreté et une telle liberté de ton !

Nous promenant en sa chère Angleterre bien sûr, mais aussi en France, en Belgique, en Allemagne avec sa désinvolture émerveilleuse, l'on passe un bien agréable moment, trop court, cependant: en effet le livre se dévore...


Un extrait, les risques du tabac ne sont pas toujours ceux que l'on croit !

La tragédie des deux pence a écrit:En tous cas, je ne parlais pas un mot d'allemand, en ce jour noir où je commis mon crime - ce qui ne m'empêchait pas de déambuler dans une ville allemande; [...].
Je connaissais cependant deux ou trois de ces excellents mots, pleins de solennité, qui donnent sa cohérence à la civilisation européenne (notamment le mot "cigare"). Le jour était onirique et chaud: je m'assis donc à la table d'un café,  et commandai un cigare et un pichet de bière blonde.

Je bus la bière et la payai. Je fumai le cigare, oubliai de le payer, et partis le regard euphorique posé sur les montagnes du Taunus. Après quelques dix minutes, il me revint à l'esprit que j'avais oublié de payer le cigare. Je retournai à la buvette et y déposai l'argent.
Mais le propriétaire avait lui aussi oublié, et il me posa une question dans sa langue gutturale - sans doute me demandait-il ce que je voulais. Je lui répondis "cigare" et il me donna un cigare. Je m'efforçai de lui expliquer par gestes que je refusais son cigare, et lui crut que je condamnais ce cigare-là, et m'en apporta un autre. J'agitai les bras comme un moulin, par un balayage plus universel, à lui expliquer que c'était un rejet des cigares en général, et non d'un article en particulier.
Il prit cela pour l'impatience caractéristique des hommes communs, et revint, les mains pleines de divers cigares qu'il me colla au nez. De désespoir, j'essayai toutes sortes de pantomimes, et je refusai tous ceux, de plus en plus rares et précieux, qu'il sortit des caves de son établissement. Je tâchai sans succès de lui faire comprendre que j'avais déjà eu mon cigare. Je mimai un honnête citoyen qui en fume un puis l'éteint et le jette. Le vigilant restaurateur crut que, dans la joie de l'expectative, j'étais seulement en train de répéter à l'avance les gestes bienheureux que je ferais une fois en possession du cigare.

Finalement j'abandonnai, découragé: il ne voulait pas prendre mon argent et laisser ses cigares tranquilles. C'est ainsi que ce restaurateur, sur le visage duquel brillait l'amour de l'argent comme un soleil de midi, refusa fermement les deux pence que je savais lui devoir. Je lui ai repris, et les dépensai sans compter durant les mois qui suivirent. J'espère qu'au dernier jour des anges apprendront très doucement la vérité à ce malheureux.         




Mots-clés : #absurde #humour #nouvelle #xxesiecle
par Aventin
le Jeu 5 Sep - 23:07
 
Rechercher dans: Écrivains européens de langues anglaise et gaéliques
Sujet: Gilbert-Keith Chesterton
Réponses: 50
Vues: 5155

Revenir en haut

Page 1 sur 2 1, 2  Suivant

Sauter vers: