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Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Jeu 9 Mai - 0:07

28 résultats trouvés pour relationdecouple

Roger Vercel

Remorques

Tag relationdecouple sur Des Choses à lire Remorq10

Le capitaine Renaud, commandant le remorqueur de sauvetage Cyclone, en station d’assistance à Brest, part en « mer énorme » avec son équipage sur cet ancien brise-glace russe.
« Toute l’année, nuit et jour, sans en excepter un seul jour, le Cyclone était prêt à prendre la mer, dix minutes après qu’un S.O.S. lui parvenait du large. Pour garder sa pression, il brûlait à quai, immobile, des tonnes et des tonnes de charbon, dans les foyers de ses trois chaudières, devant lesquelles veillaient toujours trois chauffeurs. L’équipage ne quittait pas le bord. »

Renaud est un ancien des voiliers, la « marine en bois », comme ses proches assistants. L’aspect financier de leur travail n’est pas éludé, et ils sont même rapprochés de leurs ancêtres naufrageurs et « pilleurs d’épaves », mais ces hommes sont surtout peints comme des braves, aussi par opposition aux marins qu’ils secourent, des Grecs assez lourdement présentés comme lâches et incompétents.
La description du Cyclone dans l’ouragan est impressionnante et fort documentée (cet ouvrage se place proche du Typhon de Conrad).
Remorques au pluriel, car ce terme désigne aussi le câble qui relie le remorqueur au bateau en détresse, et qui cède par trois fois (la dernière du fait du cargo secouru, l’Alexandros, « vapeur sauveté » qui veut éviter les frais de sauvetage).
Le métier est dangereux, et le Cyclone manque même d’aller au plein (aller à la côte, s’y jeter ; le livre est riche de vocabulaire maritime) sur les étocs (têtes de rocher voisines des côtes et dangereuses pour la navigation) de la chaussée de Sein, la remorque rompue ayant immobilisé son hélice pendant qu’il secourait un canot avec à son bord la femme du capitaine de l’Alexandros.
Dans le même temps, l’épouse de Renaud, malade et vieillissante alors qu’elle suivit son mari sur les trois- et quatre-mâts, bouleverse leur relation de couple.
« Elle avait engagé, avec l’étrangère surgie dans sa glace, un matin, le cruel dialogue : « Tu es vieille, tu es laide, tu as perdu ton attrait : il ne te reste plus que des droits… »
Car il n’est permis qu’aux hommes de vieillir sans préjudice majeur, de conserver grâce à leur nom, à leur situation, à leur passé, la place qu’ils se sont faite et qui, dans un monde où le vieillard commande, s’élargit, le plus souvent, au seuil de la soixantaine, sous la pression des succès accumulés. »

Le paragraphe suivant semble démentir l’intrigue d’Au Rendez-Vous des Terre-Neuvas de Simenon, paru peu avant Remorques (Vercel se serait lui-même inspiré des témoignages de Terre-neuvas pour ses livres de mer) :
« À propos de bouquins, va le raconter à un type qui en fait, qu’une femme vivait à bord, avec trente bonshommes, des dix-huit mois, sans mettre pied à terre. Tu verras ce qu’il te fabriquera avec ça : un équipage de chevreuils… bâbordais et tribordais à baver, à renifler sous le vent de la poule. Une bonne petite mutinerie, pour que le capitaine la prête aux copains. Des saloperies, quoi, et des conneries !… »


\Mots-clés : #aventure #conditionfeminine #merlacriviere #relationdecouple #solidarite
par Tristram
le Mar 7 Mai - 12:28
 
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Sujet: Roger Vercel
Réponses: 3
Vues: 88

Nicolas Mathieu

Leurs enfants après eux

Tag relationdecouple sur Des Choses à lire Leurs_10

Lecture d'abord assez ennuyeuse, congrue à son sujet (donc c’est plutôt positif comme constat). C’est minable, les gens, les choses, l’époque : industrialisation puis désindustrialisation, et ce que ça donne socialement ; l’enfance, l’adolescence : c’est pas Bosco, pas celle dont curieusement les adultes disent se souvenir, mais la vraie, ce vaste ennui des jeunes tordus par les hormones de croissance, et leurs parents avant eux. « Le plus beau cul d’Heillange », qui mène Hélène à son fils Anthony, le personnage principal (suivi de quatorze à vingt ans). Et c’est finalement un panorama français (daté d’un quart de siècle), qui ne peut être réjouissant.
« Il sentit s’abattre sur lui ce malaise flou, encore une fois, l’envie de rien, le sentiment que ça ne finirait jamais, la sujétion, l’enfance, les comptes à rendre. Par moments, il se sentait tellement mal qu’il lui venait des idées expéditives. Dans les films, les gens avaient des têtes symétriques, des fringues à leur taille, des moyens de locomotion bien souvent. Lui se contentait de vivre par défaut, nul au bahut, piéton, infoutu de se sortir une meuf, même pas capable d’aller bien. »

(J’ai conservé des extraits qu’ArenSor avait déjà cités.)
« Il n’y a pas si longtemps, il lui suffisait de se taper des popcorn devant un bon film pour être content. La vie se justifiait toute seule alors, dans son recommencement même. Il se levait le matin, allait au bahut, il y avait le rythme des cours, les copains, tout s’enchaînait avec une déconcertante facilité, la détresse maximale advenant quand tombait une interro surprise. Et puis maintenant, ça, ce sentiment de boue, cette prison des jours. »

Patrick est le père d’Anthony, et ici occasion d’analyse sociétale du changement des valeurs :
« Depuis, Patrick entretenait avec ce couvre-chef des relations d’opérette. Il le portait, se croyait observé, le piétinait, l’oubliait dans son C15, le perdait régulièrement. Au volant, sur un site, au bistrot, au bureau, au garage, il se posait cette question : devait-il porter sa casquette ? Autrefois, les mecs n’avaient pas besoin de se déguiser. Ou alors les liftiers, les portiers, les domestiques. Voilà que tout le monde se retrouvait plus ou moins larbin, à présent. La silicose et le coup de grisou ne faisaient plus partie des risques du métier. On mourait maintenant à feu doux, d’humiliation, de servitudes minuscules, d’être mesquinement surveillé à chaque stade de sa journée ; et de l’amiante aussi. Depuis que les usines avaient mis la clef sous la porte, les travailleurs n’étaient plus que du confetti. Foin des masses et des collectifs. L’heure, désormais, était à l’individu, à l’intérimaire, à l’isolat. Et toutes ces miettes d’emplois satellitaient sans fin dans le grand vide du travail où se multipliaient une ribambelle d’espaces divisés, plastiques et transparents : bulles, box, cloisons, vitrophanies.
Là-dedans, la climatisation tempérait les humeurs. Bippers et téléphones éloignaient les comparses, réfrigéraient les liens. Des solidarités centenaires se dissolvaient dans le grand bain des forces concurrentielles. Partout, de nouveaux petits jobs ingrats, mal payés, de courbettes et d’acquiescement, se substituaient aux éreintements partagés d’autrefois. Les productions ne faisaient plus sens. On parlait de relationnel, de qualité de service, de stratégie de com, de satisfaction client. Tout était devenu petit, isolé, nébuleux, pédé dans l’âme. Patrick ne comprenait pas ce monde sans copain, ni cette discipline qui s’était étendue des gestes aux mots, des corps aux âmes. On n’attendait plus seulement de vous une disponibilité ponctuelle, une force de travail monnayable. Il fallait désormais y croire, répercuter partout un esprit, employer un vocabulaire estampillé, venu d’en haut, tournant à vide, et qui avait cet effet stupéfiant de rendre les résistances illégales et vos intérêts indéfendables. Il fallait porter une casquette. »

Les personnages féminins sont de même approfondis :
« Depuis le temps qu’elle trompait son attente, se préparait. Ainsi, ces derniers jours, elle avait pris soin d’ingurgiter ses deux bouteilles de Contrex quotidiennes. Elle s’était mise au soleil, mais pas trop, une heure maxi, se nappant avec patience, couche après couche, jusqu’à obtenir le rendu parfait, un hâle savant, onctueux, une peau en or et de jolies marques claires qui dessinaient sur sa nudité le souvenir de son maillot deux pièces. Au saut du lit, elle montait sur la balance avec une inquiétude sourde. Elle était gourmande, fêtarde. Elle aimait se coucher tard et avait tendance à picoler pas mal. Alors elle s’était surveillée au gramme près, mesurant son sommeil, ce qu’elle mangeait, faisant mais alors extrêmement gaffe à ce corps qui selon les moments, la lumière, les fatigues et les rations de nourriture connaissait d’extraordinaires mues. Elle avait poli ses ongles, maquillé ses yeux, prodigué à ses cheveux un shampoing aux algues, un autre aux œufs. Elle avait fait un peeling et s’était frottée sous la douche avec du marc de café. Elle avait confié ses jambes et son sexe à l’esthéticienne. Elle était ravie, appétissante, millimétrée. Elle portait un débardeur tout neuf, un truc Petit Bateau à rayures. »

Les clés de la réussite sociale n’ont finalement guère changé de mains…
« Les décideurs authentiques passaient par des classes préparatoires et des écoles réservées. La société tamisait ainsi ses enfants dès l’école primaire pour choisir ses meilleurs sujets, les mieux capables de faire renfort à l’état des choses. De cet orpaillage systématique, il résultait un prodigieux étayage des puissances en place. Chaque génération apportait son lot de bonnes têtes, vite convaincues, dûment récompensées, qui venaient conforter les héritages, vivifier les dynasties, consolider l’architecture monstre de la pyramide hexagonale. Le “mérite” ne s’opposait finalement pas aux lois de la naissance et du sang, comme l’avaient rêvé des juristes, des penseurs, les diables de 89, ou les hussards noirs de la République. Il recouvrait en fait une immense opération de tri, une extraordinaire puissance d’agglomération, un projet de replâtrage continuel des hiérarchies en place. C’était bien fichu. »

… même si certains parviennent à prendre l’ascenseur social.
« Car ces pères restaient suspendus, entre deux langues, deux rives, mal payés, peu considérés, déracinés, sans héritage à transmettre. Leurs fils en concevaient un incurable dépit. Dès lors, pour eux, bien bosser à l’école, réussir, faire carrière, jouer le jeu, devenait presque impossible. Dans ce pays qui traitait leur famille comme un fait de société, le moindre mouvement de bonne volonté ressemblait à un fait de collaboration.
Cela dit, Hacine avait aussi plein d’anciens copains de classe qui se trouvaient en BTS, faisaient une fac de socio, de la mécanique, Tech de co ou même médecine. Finalement, il était difficile de faire la part des circonstances, des paresses personnelles et de l’oppression générale. Pour sa part, il était tenté de privilégier les explications qui le dédouanaient et justifiaient les libertés qu’il prenait avec la loi. »

Les classes moyennes, pourtant financièrement précaires, alimentent allègrement la société de consommation :
« Avec Coralie, ils s’étaient d’ailleurs rendus chez Mr Bricolage et Leroy Merlin, mais ils étaient chaque fois rentrés bredouilles. Hacine n’y connaissait rien en bricolage, et il avait peur de se faire arnaquer, ça le rendait méfiant, il refusait de parler aux vendeurs. Heureusement, il y avait juste à côté d’autres enseignes pour acheter de la déco, des vêtements, des jeux vidéo, du matos hi-fi, du mobilier exotique et puis manger un morceau. C’était la beauté de ces zones commerciales du pourtour, qui permettaient de dériver des journées entières, sans se poser de question, en claquant du blé qu’on n’avait pas, pour s’égayer la vie. À la fin, ils étaient même allés chez King Jouet et avaient parcouru les allées, un sourire aux lèvres, en pensant à tout le plaisir qu’ils auraient eu étant gosses, s’ils avaient pu s’offrir tout ça. Résultat, l’appart était rempli de bougies, de loupiotes en plastique, de plaids en laine polaire, de bibelots d’inspiration bouddhique. Coralie avait également craqué pour deux fauteuils en rotin garnis de coussins blancs. Avec le yucca et les plantes vertes dans les coins, c’est vrai que l’ensemble avait pris un certain cachet. Ce serait encore mieux quand Hacine se serait décidé à planter un clou pour accrocher la photo du Brooklyn Bridge qui attendait au pied du mur. »

Culmination avec la fresque du 14 juillet :
« Ils étaient donc là, peut-être pas tous, mais nombreux, les Français.
Des vieux, des chômeurs, des huiles, des jeunes en mob, et les Arabes de la ZUP, les électeurs déçus et les familles monoparentales, les poussettes et les propriétaires de Renault Espace, les commerçants et les cadres en Lacoste, les derniers ouvriers, les vendeurs de frites, les bombasses en short, les gominés, et venus de plus loin, les rustiques, les grosses têtes, et bien sûr quelques bidasses pour faire bonne mesure. »

C’est la ruralité, alors il faut deux ou quatre roues pour se déplacer, pas seulement pour la frime.
Il y a plusieurs incohérences ou erreurs, qu’une relecture sérieuse aurait corrigé.
Le suspense est habilement entretenu dans le déroulement de ces quelques vies caractéristiques, avec pour ressort les rapports tendus d’Anthony et Hacine.
Après une première partie plutôt rebutante, je me félicite d’avoir poursuivi l’effort de lecture de ce roman en fait très consistant, qui traite de la jeunesse, de la désindustrialisation, de l’immigration, des « cassos », des drogues et de la délinquance en notre pays (principalement les années 1990). Plus proche de l’observation sociologique (avec effectivement les pertinentes « analyses récapitulatives » évoquées par Topocl ; j’ai aussi pensé à Daewoo, de François Bon) que de l’"ouvrage d'imagination", il a quand même obtenu le prix Goncourt. Ce dernier peut se révéler décevant, mais a permis cette fois de faire valoir un romancier contemporain qui mérite d’être lu.

\Mots-clés : #immigration #lieu #mondedutravail #relationdecouple #relationenfantparent #ruralité #sexualité #xxesiecle
par Tristram
le Jeu 4 Avr - 12:23
 
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Sujet: Nicolas Mathieu
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Philip Roth

Tromperie

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C’est le film du même titre, d’Arnaud Desplechin avec Léa Seydoux et Denis Podalydès, qui m’a amené à cette lecture. Il s’agit de dialogues (qu’on retrouve dans le film) entre « Philip » et sa maîtresse, mais aussi son épouse et quelques autres femmes (notamment de Mitteleuropa). Lors des rencontres entre les deux amants dans son studio d’écrivain à Londres, confidences, questionnements, conversations (portant notamment sur leurs couples respectifs, leur sexualité, les juifs, l’Angleterre), placent cette liaison qui semble être inscrite dans la durée au centre du roman.
Réponse à un biographe après sa mort :
« – “Il n'a pas écrit un seul de ses livres. Ils ont été écrits par toute une série de maîtresses. J'ai écrit les deux derniers et demi. Et même ces notes qu'il a ajoutées de sa main l'ont été sous ma dictée.” »

Le regard de l'amante (anglaise) sur le narrateur est prépondérant :
« – Certains hommes écoutent patiemment, cela fait partie de la séduction qui mène à la baise. C'est pourquoi en général les hommes parlent aux femmes – pour les fourrer dans leur lit. Toi tu les fourres au lit pour leur parler. Certains hommes les laissent commencer leur histoire, puis quand ils pensent leur avoir prêté suffisamment d'attention, ils plaquent doucement la bouche en mouvement sur l'érection. Olina m'a tout raconté sur toi. Elle me l'a répété une ou deux fois. Elle a dit : “Pourquoi s'obstine-t-il à poser toutes ces questions irritantes ? Du point de vue affectif, il est déplacé de poser tant de questions ? Tous les Américains font-ils ainsi ?” »

« Tu ne participes à la vie que pour entretenir la conversation. Même le sexe est en réalité marginal. Tu n'es pas poussé par ta libido – tu n'es poussé par rien. Sinon par cette curiosité puérile. Sinon par cette désarmante naïveté. Voici des gens – des femmes – qui ne vivent pas la vie comme quelque chose de matériel, mais la vivent sur le plan de l'émotion. Et pour toi, plus c'est émotif mieux ça vaut. Ce qui te plaît le plus, c'est quand, encore dans un état de choc post-traumatique, elles s'efforcent de récupérer leurs vies, comme Olina à son arrivée de Prague. Ce qui te plaît le plus, c'est quand ces femmes émotives ne parviennent pas réellement à se raconter mais luttent pour intégrer leur histoire. C'est ça que toi, tu trouves érotique. Exotique aussi. Chaque femme est une baiseuse, chaque baiseuse une Schéhérazade. Elles n'ont pas été capables d'intégrer leur histoire et, dans le fait de raconter leur histoire, il y a comme une incitation à parfaire la vie – ce qui implique beaucoup de pathétique. Bien sûr c'est émouvant : le simple flux et reflux de leur voix, ce timbre de conversation intime, pour toi c'est émouvant. Ce qui est émouvant n'est pas nécessairement dans les histoires, mais dans leur désir ardent de fabriquer les histoires. L'inachevé, le spontané, ce qui est simplement latent, voilà la réalité, tu as raison. La vie avant que le récit ne prenne le relais est la vie. Elles essaient de combler par leurs mots l'énorme gouffre entre l'acte lui-même et la “narrativisation” de l'acte. Et toi tu écoutes et te précipites pour tout mettre par écrit, puis tu le détruis par ta maudite “fictionalisation”. »

À propos du personnage et alter ego de Roth, Nathan Zuckerman, lui aussi avec son biographe :
« Ce qui l'intéresse, c'est l'affreuse ambiguïté du “je”, la façon dont un écrivain fait un mythe de sa propre personne et, notamment, pourquoi. »

Vient cette fameuse scène où il répond devant la justice de cette accusation : « Pouvez-vous expliquer à la cour pourquoi vous haïssez les femmes ? » Dans un livre paru en 1990, c’est assez prémonitoire :
« Vous êtes accusé de sexisme, de misogynie, d'insultes aux femmes, de calomnie à l'encontre des femmes, de dénigrement des femmes, de diffamation des femmes, et de séduction cruelle, délits qui tous font l'objet de peines extrêmement sévères. »

Il est notamment accusé d’avoir, professeur d'université, eu des rapports sexuels avec trois étudiantes (dont celle qu’il retrouve à l’asile, atteinte d’un cancer).
À propos de Kafka :
« Le temps qu'un romancier de talent atteigne trente-six ans, il a renoncé à traduire l'expérience en fiction – il impose sa fiction à l'expérience. »

Bribes de dialogues notées dans un carnet de notes – qui tomberait sous les yeux de sa femme, à laquelle il mentirait.
« L'une est une silhouette esquissée dans un carnet au fil de conversations, l'autre est un personnage très important empêtré dans l'intrigue d'un livre complexe. Je me suis imaginé, extérieur à mon roman, en train de vivre une aventure avec un personnage à l'intérieur de mon roman. »

« J'écris de la fiction, on me dit que c'est de l'autobiographie, j'écris de l'autobiographie, on me dit que c'est de la fiction, aussi puisque je suis tellement crétin et qu'ils sont tellement intelligents, qu'ils décident donc eux ce que c'est ou n'est pas. »

« – Écoute, je ne peux pas vivre et je ne vis pas dans un monde de retenue, pas en tant qu'écrivain, en tout cas. Je préférerais, je t'assure – la vie en serait plus facile. Mais la retenue, malheureusement, n'est pas faite pour les romanciers. Pas plus que la honte. Éprouver de la honte est automatique en moi, inéluctable, peut-être est-ce bon ; le crime grave, c'est de céder à la honte. »

« J'écris ce que j'écris de la façon dont je l'écris, et si cela devait jamais arriver, je publierais ce que je publie comme j'entends le publier, et il n'est pas question qu'à ce stade avancé je commence à me demander ce que les gens comprennent de travers ou ne comprennent pas.
– Ou comprennent bien.
– Nous parlons d'un carnet, d'une épure, d'un diagramme, et non d'êtres humains !
– Mais tu es un être humain, que cela te plaise ou non ! Et moi aussi ! Et elle aussi !
– Pas elle, non, elle n'est que des mots – j'ai beau essayer, je ne suis pas capable de baiser des mots ! »

« – Mais tu ne peux pas... Tu ne peux pas avoir ainsi simultanément une vie imaginaire et une vie réelle. Et c'était probablement la vie imaginaire que tu avais avec moi et la vie réelle que tu avais avec elle. Écoute, il est impossible de noter de cette façon tout ce que dit quelqu'un.
– Mais je le faisais. Je le fais. »

J'ai trouvé fort intéressant ce roman (et film) retors, qui ramentoit L’Homme qui aimait les femmes de François Truffaut. Provocant, malicieux, jouant avec le politiquement correct et la morale, cette sorte d’antiroman brouille un peu plus encore les rapports entre confidence autobiographique et fiction dans un éblouissant, fallacieux jeu de miroirs.

\Mots-clés : #autobiographie #autofiction #ecriture #entretiens #intimiste #relationdecouple #sexualité
par Tristram
le Mer 28 Fév - 10:22
 
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Pete Fromm

Lucy in the Sky

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Chuck, le père de Lucy, est bûcheron et repart de nouveau.
« S’il existait un État plus pauvre que le Montana, j’imagine qu’on y habiterait. Il suit les arbres, c’est tout. »

Lucy, "garçon manqué" de quatorze ans, découvre peu à peu l’amour avec son ami Kenny, et s’aperçoit que le couple fusionnel et plein d’humour de ses parents n’est pas si heureux et stable : sa mère, Mame, travaille à l’insu de son mari, et découche. Lorsque ce dernier est là, c’est un jaloux, qui devient vite violent ; lorsqu’il s’en va, une certaine entente s’établit entre mère et fille (surtout lorsque Tim vient s’ajouter à Kenny, rapprochant le scénario de leurs vies). L’éveil de Lucy à l’amour commence par l’ambivalence du dégoût et de l’irrésistible, d’ailleurs caractéristique de son ressenti tout au long des deux années où on la suivra : contradictions dans son passage de l’enfance à l’âge adulte, alors que ses parents n’y sont pas vraiment parvenus.
« — Waouh. Toi, tu sais parler aux filles. L’amour, c’est comme une envie de pisser, on n’y peut rien. Ça t’a empêché de dormir de formuler ça ? Tu t’es arrêté de penser et après t’as oublié de recommencer ? »

« — Tu sais, à ton âge, je pensais que je traverserais cette période difficile (elle prit une voix grave, digne d’un film d’horreur), l’adolescence, et qu’après je serais de l’autre côté, à la lumière, et qu’à partir de là tout irait comme sur des roulettes. Jusqu’à ce que je sois vieille, en tout cas. Croulante. Jusqu’à ce que le cancer ou autre chose vienne gâcher une journée assez correcte par ailleurs.
— Le cancer, dis-je. Quelle saleté.
— Mais tu sais quoi, Luce ? Ça ne devient pas plus facile après. On avance d’une étape à une autre, et chaque fois ça complique encore ce qu’il y avait avant, ce qui vient après. »

« — Merde, Luce. Ils nous plaquent tous. Je pensais que tu aurais au moins appris ça. Mais là tout de suite, c’est lui qui attend. Il m’attend, Luce. C’est moi qu’il attend. »

Attachante histoire d’une adolescence assez paumée, excellemment dépeinte par Pete Fromm, notamment par les dialogues.

\Mots-clés : #identite #initiatique #jeunesse #relationdecouple #relationenfantparent #ruralité
par Tristram
le Jeu 8 Fév - 11:08
 
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Ian McEwan

L'Enfant volé

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Angleterre, juste avant 1987 (date de parution du livre) : Kate, la fille de trois ans de Stephen Lewis, auteur à succès de livres pour enfants, est mystérieusement enlevée comme ils faisaient des courses. La dévastation du couple qu’il formait avec Julie est excellemment rendue.
« Il était père d’un enfant invisible. »

Charles Darke, son éditeur devenu un ami, s’est lancé dans la politique après une brillante carrière dans les affaires, choisissant cyniquement la droite au pouvoir.
Stephen rêvasse pendant les séances d’un comité gouvernemental en charge de la préparation d’un manuel de pédagogie (qui s’avèrera avoir écrit d’avance par les services du Premier ministre). Il voit en hallucination ses parents venus à bicyclette dans un pub avant sa naissance. Il leur rend visite, réchappe d’un accident de la circulation, répond à l’invitation de Charles et Thelma, son épouse enseignante en physique quantique, qui ont quitté la vie publique pour se retirer à la campagne (lui semble retombé en enfance). Puis Stephen retourne au whisky et aux émissions télévisées. Enfin il sort de sa catatonie et reprend des activités. Le Premier ministre l’invite, l’interroge sur Charles.
Charles, qui a rédigé le manuel pour ce dernier qui le désire, se laisse mourir de froid, déchiré entre son désir d’enfance et son existence sociale ambitieuse.
Stephen retrouve Julie qui, trois ans après la disparition de Kate, donne vie à un nouvel enfant.
« Tout l’art d’un mauvais gouvernement consistait à rompre le lien entre la politique adoptée dans le domaine public et le sens profond et instinctif de bonté et d’équité de l’individu. »

« Tous ces esprits prometteurs, cultivés, brûlants d’enthousiasme, après des études de littérature anglaise qui avaient inspiré leurs brefs slogans – L’énergie est une joie perpétuelle, à bas les contraintes, vive les étreintes –, tous avaient déferlé des bibliothèques au tournant des années soixante-dix, fermement résolus à entreprendre des voyages intérieurs, ou des voyages vers l’Orient dans des cars bariolés. Une fois le monde devenu moins vaste et plus sérieux, ils étaient rentrés au pays afin de se mettre au service de l’Éducation, carrière qui avait à présent perdu son envergure et son attrait ; les écoles étaient mises en vente sur le marché de l’investissement privé, et l’âge de scolarité obligatoire allait bientôt être abaissé. »

« Il donnait l’impression d’être raisonnable et tout à fait concerné, tout en préconisant la nécessité de laisser les pauvres se débrouiller tout seuls et d’encourager les riches. »

« Une minorité perturbatrice de l’humanité considérait tout voyage, aussi bref soit-il, comme l’occasion de faire de plaisantes rencontres. Il se trouvait des gens prêts à infliger des détails intimes à de parfaits inconnus. Des gens à éviter si vous faisiez partie de la majorité de ceux pour qui un voyage offre une opportunité de silence, de réflexion, de rêve. »

« Ils faisaient face à deux possibilités, de poids égal, en équilibre sur un pivot affilé. Dès l’instant où ils pencheraient en faveur de l’une, l’autre, tout en continuant à exister, disparaîtrait à tout jamais. Il pourrait se lever maintenant, et passer devant elle pour se rendre à la salle de bains en lui adressant un sourire plein d’affection. Il s’y enfermerait, sauvegardant son indépendance et sa fierté. Elle l’attendrait en bas, et ils reprendraient le fil de leur conversation prudente jusqu’à ce qu’il fût temps qu’il traverse le champ pour reprendre le train. Ou alors, il fallait risquer quelque chose, il voyait se déployer devant lui une vie différente dans laquelle son propre malheur pouvait redoubler ou disparaître. »

« Et il n’y avait pas de terrain plus propice aux spéculations péremptoirement maquillées en véritables faits que celui de l’éducation des enfants. »

Ce roman brillamment écrit part un peu dans tous les sens, mais vaut pour son regard sur la société (celle aussi des mendiants badgés), la politique (notamment thatchérienne) et même la science (surtout par rapport au temps), aussi par la psychologie des personnages (et l’humour de l’auteur).

\Mots-clés : #culpabilité #education #politique #psychologique #relationdecouple #social #xxesiecle
par Tristram
le Mer 17 Jan - 11:23
 
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Jonathan Coe

Le Cercle fermé

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(En complément au commentaire approfondi de Pinky.)
1999 (livre paru en 2004), Claire revient d’Italie en Angleterre après cinq ans d’absence, et se confie par écrit à sa sœur Miriam, disparue (c’est la suite de Bienvenue au club, où les mêmes personnages vivaient dans les années soixante-dix). Le portable est devenu inévitable :  
« …] quantité de gens qui ne travaillent plus, qui ne fabriquent rien, ne vendent rien. Comme si c’était démodé. Les gens se contentent de se voir et de parler. Et quand ils ne se voient pas pour parler directement, ils sont généralement occupés à parler au téléphone. Et de quoi ils parlent ? Ils prennent rendez-vous pour se voir. Mais je me pose la question : quand enfin ils se voient, de quoi ils parlent ? »

Nous savons depuis que lorsque les gens se voient, ils parlent à d’autres, sur leur portable.

Intéressante mise en parallèle des vies de couple de Benjamin et Doug, qui parviennent à se ménager une vie privée digne d’un célibataire – non sans une autre présence féminine, à laquelle ils ne savent guère faire face, incapables de prendre une décision.
« C’est là un défaut pathologique du sexe masculin. Nous n’avons aucune loyauté, aucun sens du foyer, aucun instinct qui nous pousserait à protéger le nid : tous ces réflexes naturels et sains qui sont inhérents aux femmes. On est des ratés. Un homme, c’est une femme ratée. C’est aussi simple que ça. »

Les profonds changements dans la communication sont particulièrement approfondis :
« Donc, d’après vous, si je comprends bien, disait Paul, le discours politique est devenu un genre de champ de bataille où politiciens et journalistes s’affrontent jour après jour sur le sens des mots.
— Oui, parce que les politiciens font tellement attention à ce qu’ils disent, les déclarations politiques sont devenues tellement neutres que c’est aux journalistes qu’il incombe de créer du sens à partir des mots qu’on leur donne. Ce qui compte aujourd’hui, ce n’est plus ce que vous dites, vous autres, c’est la manière dont c’est interprété. »

« C’est très moderne, l’ironie, assura-t-elle. Très in. Vous voyez, vous n’avez plus besoin d’expliciter ce que vous voulez dire. En fait, vous n’avez même pas besoin de penser ce que vous dites. C’est toute la beauté de la chose. »

« Il y a quelques mois, par exemple, ils ont pris des photos d’un top model particulièrement rachitique pour un article de mode du supplément dominical, mais elle avait l’air tellement squelettique et mal en point qu’ils ont renoncé à les utiliser. Et puis la semaine dernière ils ont fini par les déterrer pour illustrer un article sur l’anorexie psychosomatique. Visiblement, ça ne leur posait aucun problème. »

« Oh, de nos jours, tout dépend de la manière dont c’est présenté par les médias, pas vrai ? À croire que tout dépend de ça. »

Le Cercle fermé est créé au sein de la Commission travailliste réfléchissant au financement privé du secteur public (on est sous Tony Blair) ; l’extrême droite commence à monter.
Benjamin est un personnage central ; écrivain et musicien (assez raté), il reflète peut-être un aspect (ironique) du projet romanesque de Coe.
« Ce serait satisfaisant, d’une certaine façon ; il y aurait là un peu de la symétrie qu’il passait tant de temps à traquer en vain dans la vie, le sentiment d’un cercle qui se referme... »

« Je suis un homme, blanc, d’âge moyen, de classe moyenne, un pur produit des écoles privées et de Cambridge. Le monde n’en a pas marre des gens comme moi ? Est-ce que je n’appartiens pas à un groupe qui a fait son temps ? Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux fermer notre gueule et laisser la place aux autres ? Est-ce que je me fais des illusions en croyant que ce que j’écris est important ? Est-ce que je me contente de remuer les cendres de ma petite vie et d’en gonfler artificiellement la portée en plaquant dessus des bouts de politique ? »

Puis c’est le 11 septembre 2001, et l’approche de la « guerre à l’Irak ».
« La guerre n’avait pas encore commencé, mais tout le monde en parlait comme si elle était inévitable, et on était forcément pour ou contre. À vrai dire, presque tout le monde était contre, semblait-il, à part les Américains, Tony Blair, la plupart de ses ministres, la plupart de ses députés et les conservateurs. Sinon, tout le monde trouvait que c’était une très mauvaise idée, et on ne comprenait pas pourquoi on en parlait soudain comme si c’était inévitable. »

Le compte à rebours des chapitres souligne le suspense des drames personnels de la petite communauté quadragénaire immergée dans cette fresque historique.

\Mots-clés : #actualité #famille #historique #medias #politique #psychologique #relationdecouple #romanchoral #social #xxesiecle
par Tristram
le Lun 21 Aoû - 13:08
 
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Sujet: Jonathan Coe
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Javier Marías

Comme les amours

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La narratrice apprécie ses petits déjeuners dans une cafétéria à cause de la présence d’un couple heureux et jovial qui la met de bonne humeur pour sa journée de travail à Madrid, dans une maison d’édition. Il s’agit de Miguel Desvern ou Deverne et Luisa Alday ; lui est poignardé à mort le jour de ses cinquante ans, par erreur, pratiquement par hasard, pour tout dire stupidement, par un indigent.
Habituel décri cocasse des auteurs, si prétentieux, exigeants, exaspérants :
« Il voulait passer pour anticonventionnel et transcontemporain, mais dans le fond il était comme Zola et quelques autres : il faisait l'impossible pour vivre ce qu'il imaginait, voilà pourquoi tout paraissait artificiel et travaillé dans ses livres. »

Le drame est inattendu, presque improbable.
« Toutes ces informations étaient réparties sur deux jours, les deux qui suivaient l'assassinat. Ensuite la nouvelle avait complètement disparu des journaux, comme c'est le cas pour toutes actuellement : les gens ne veulent pas savoir pourquoi les choses se passent, seulement ce qui se passe, et que le monde est plein d'imprudences, de dangers, de menaces et d'infortunes qui nous frôlent, mais en revanche atteignent et tuent nos semblables négligents, ou peut-être non choisis par le sort. Nous vivons ensemble sans problème avec mille mystères irrésolus qui nous occupent dix minutes le matin et que nous oublions ensuite sans qu'ils nous laissent d'irritation ni de trace. Nous avons besoin de ne rien approfondir, de ne pas nous attarder sur un fait ou sur une histoire quelle qu'elle soit, que notre attention passe d'une chose à l'autre et que les malheurs des autres se renouvellent, comme si après chacun d'eux nous pensions : "Eh bien, quelle horreur. Et qu'est-ce qu'il y a d'autre. À quelles autres horreurs avons-nous échappé. Chaque jour, par contraste, nous avons besoin de nous sentir survivants et immortels, alors racontez-nous d'autres atrocités, parce que celles d'hier nous les avons déjà épuisées." »

María Dolz, la narratrice, rencontre Luisa, puis Javier Díaz-Varela, ami du défunt qui lui a demandé de s’occuper de sa femme s’il décédait, et ce sont de longues considérations sur la mort et le deuil. Javier couche avec María, temporairement, en succédané de Luisa, tandis qu’elle garde son autre amant, Leopoldo, au cas où.
« Oui, nous sommes tous des succédanés de gens que nous n'avons presque jamais connus, des gens qui ne s'approchèrent pas ou qui passèrent sans s'arrêter dans la vie de ceux que nous aimons à présent, ou qui s'y arrêtèrent mais se lassèrent finalement et qui disparurent sans laisser de trace ou seulement la poussière que soulèvent leurs pieds dans la fuite, ou qui moururent causant à ceux que nous aimons une mortelle blessure qui presque toujours finit par se refermer. Nous ne pouvons prétendre être les premiers, ou les préférés, nous sommes tout simplement ce qui est disponible, les laissés-pour-compte, les survivants, ce qui désormais reste, les soldes, et c'est sur des bases si peu nobles que s'érigent les amours les plus grandes et que se fondent les meilleures familles, nous provenons tous de là, de ce produit du hasard et du conformisme, des rejets, des timidités et des échecs d'autrui, et même dans ces conditions nous donnerions parfois n'importe quoi pour continuer auprès de celui que nous avons un jour récupéré dans un grenier ou une brocante, que par chance nous avons gagné aux cartes ou qui nous ramassa parmi les déchets ; contre toute vraisemblance nous parvenons à nous convaincre de nos engouements hasardeux, et nombreux sont ceux qui croient voir la main du destin dans ce qui n'est autre qu'une tombola de village quand l'été agonise... »

« Bien entendu on pleure l'ami, comme j'ai moi-même pleuré Miguel, mais il y a là aussi une agréable sensation de survie et de meilleure perspective, d'être celui qui assiste à la mort de l'autre et non l'inverse, de pouvoir contempler le tableau achevé et de raconter son histoire à la fin, de prendre en charge les personnes qu'il laisse désemparées et de les consoler. À mesure que les amis meurent on se sent rapetissé et plus seul, et parallèlement on commence le compte à rebours. "Un de moins, un de moins, je sais ce qu'il en fut d'eux jusqu'au dernier instant, et je suis celui qui reste pour le relater. Moi, en revanche, personne parmi ceux pour qui je compte vraiment ne me verra mourir ni ne sera capable de me raconter totalement, ainsi dans un certain sens je serai toujours inachevé parce qu'ils n'auront pas la certitude que je ne continue pas à être éternellement vivant, s'ils ne m'ont pas vu tomber." »

Javier analyse Le Colonel Chabert de Balzac (Shakespeare est aussi beaucoup cité).
« --- Ce qui lui arrive est secondaire. C'est un roman, et ce qui se passe dans les romans n'a pas d'importance et on l'oublie, une fois qu'ils sont finis. Ce sont les possibilités et les idées qu'ils nous inoculent et nous apportent à travers leurs cas imaginaires qui sont intéressantes, on s'en souvient plus nettement que des événements réels et on en tient compte. »

Précises observations psychologiques et sociales.
« Admettons, peut-être son interlocuteur était-il l'un de ces hommes, ils sont légion, à qui l'on ne peut s'adresser qu'avec un vocabulaire déterminé, le leur, pas celui que l'on emploie normalement, à qui il vaut mieux toujours s'adapter pour qu'ils ne se défient pas de vous, ne se sentent pas mal à l'aise ou diminués. Je n'en fus pas du tout vexée, pour la plupart des types de la planète je ne serais qu'"une gonzesse". »

María surprend une conversation de Javier avec un certain Ruibérriz, d’où il ressort qu’ils sont complices dans l’assassinat de Miguel.
Elle évoque Athos et Milady dans Les Trois Mousquetaires d'Alexandre Dumas.
« Nous ne sommes plus dans ces temps reculés où tout devait être jugé ou du moins être su ; aujourd'hui les crimes jamais élucidés ni punis sont incalculables parce qu'on ignore qui peut les commettre --- il y en a tant qu'il n'y a pas assez d'yeux pour regarder à l'entour --- et l'on trouve rarement quelqu'un à mettre sur la sellette avec un peu de vraisemblance : attentats terroristes, assassinats de femmes au Guatemala ou à Ciudad Juárez, règlements de comptes entre trafiquants, massacres sans discrimination en Afrique, bombardements de civils par ces avions sans pilote et par conséquent sans visage... Encore plus nombreux sont ceux dont personne ne s'occupe et qui ne donnent même pas lieu à enquête, c'est considéré comme peine perdue et on les classe sitôt qu'ils ont eu lieu ; et plus encore ceux qui ne laissent pas de trace, qui ne sont pas enregistrés, qui ne sont jamais découverts, ceux qui sont inconnus. »

Javier explique à María comme, bien que commanditaire, il laissa une grande part d’incertitude dans l’enchaînement meurtrier, dégageant ainsi sa responsabilité personnelle.
« --- Oui, Luisa sortira de l'abîme, n'aie aucun doute là-dessus. En fait elle en sort déjà, un peu plus chaque jour qui passe, je le vois bien et il n'est pas de retour en arrière possible une fois commencé le processus d'adieu, le second et définitif, celui qui n'est que mental et qui nous donne mauvaise conscience parce qu'il nous semble que nous nous déchargeons du mort --- c'est ce qu'il nous semble et c'est bien le cas. Un recul ponctuel peut se produire, selon le cours de la vie de chacun ou en fonction d'un hasard quelconque, mais rien de plus. Les morts n'ont que la force que leur accordent les vivants, et si on la leur retire... Luisa se libérera de Miguel, dans une bien plus large mesure qu'elle ne pourrait se l'imaginer à cet instant, et cela il le savait parfaitement. Qui plus est, il décida de lui faciliter la tâche selon ses possibilités, ce fut en partie pour cette raison qu'il me fit sa demande. En partie seulement. Bien entendu il y avait une raison qui pesait davantage. »

Miguel aurait été condamné à court terme par un cancer généralisé, avec des étapes atroces à brève échéance.
« Les gens croient qu'ils ont droit à la vie. De plus, cela figure presque partout dans les religions et les lois, quand ce n'est pas dans les Constitutions, et cependant lui ne le voyait pas ainsi. Comment avoir droit à ce que l'on n'a ni construit ni mérité ? disait-il. Personne ne peut se plaindre de ne pas être né, ou de ne pas avoir été avant dans le monde, ou de ne pas y avoir toujours été, alors pourquoi faudrait-il se plaindre de mourir, ou de ne pas être après dans le monde, ou de ne pas toujours y rester ? L'une comme l'autre de ces assertions lui semblaient absurdes. Personne ne fait d'objection sur sa date de naissance, donc on ne devrait pas non plus en faire sur celle de sa mort, également due à un hasard. Même les morts violentes, même les suicides, sont dus à un hasard. Et si on a déjà été dans le néant, ou dans la non-existence, il n'est pas si étonnant ou si grave d'y retourner bien que nous ayons maintenant un point de comparaison et que nous connaissions la faculté de regretter. »

María est draguée par Ruibérriz, l’ami voyou de Javier, et obtient ainsi d’autres informations sur leur « homicide compassionnel ».
Le récit s’autocite et ratiocine, et vaut essentiellement pour les réflexions sur la place des morts, l’amour, ou encore l’impunité, qu’il explore dans un style précis.

\Mots-clés : #amitié #amour #contemporain #criminalite #mort #psychologique #relationdecouple #xxesiecle
par Tristram
le Dim 19 Fév - 11:42
 
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Sujet: Javier Marías
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Yi Sang

Les Ailes

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Figure de l'avant-garde littéraire coréenne dans les années 30, et figure tragique : Yi Sang se fait connaître vers 23 ans, meurt à 26 (du fait de la maladie et de son emprisonnement par les japonais pour "délit d'opinion"). Yi Sang est quasiment inconnu en France. Pour les coréens, non seulement son œuvre mais sa personne sont emblématiques. Mais on voit à quel point les deux sont liés en lisant sa poésie et sa prose : Yi Sang met en scène sa propre image, de façon constante ; c'est ce qui lie les trois nouvelles du triptyque Les Ailes, au point qu'on a l'impression de lire qu'une seule histoire.

Yi Sang se regarde dans un miroir, il fume, il marche en ville ou se réfugie dans sa chambre. Ces images structurent vaille que vaille ces tribulations indécises, ces rencontres et ces séparations incessantes d'un homme suicidaire, tour à tour amant des femmes de plaisir (gisaengs) ou jouet d'une épouse légère. Plus on avance dans le recueil, plus le malaise est diffus, plus le contexte est flou. Le texte devient fumée ― insaisissable ― obscur ― le concret se raréfie sauf pour exprimer l'effet qu'il produit sur Yi Sang (dégoût, haine) les interactions deviennent irréelles (on ne sait plus qui parle et pourquoi) comme intériorisées, en un écho persistant et inintelligible, par le narrateur dans un état second. Les Ailes est un livre déconcertant, éprouvant aussi, de par sa nature profondément solipsiste et surtout les deux dernières nouvelles n'apportent finalement rien de spécial à la première (éponyme) où tout est déjà si bien dit.


\Mots-clés : #nouvelle #relationdecouple
par Dreep
le Jeu 6 Jan - 11:38
 
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Sujet: Yi Sang
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Mario Vargas Llosa

Conversation à La Catedral

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Titre original: Conversación en la Catedral, 1969, 610 pages environ.
Lu dans la seconde traduction, d'Albert Bensoussan et Anne-Marie Casès, Gallimard collection Du monde entier, 2015.


Au début un journaliste rentre chez lui, voit sa femme éplorée, on a subtilisé de force leur chien; le chroniqueur, Santiago Zavala, se rend à la fourrière canine afin de le récupérer (amener les chiens divagants à la fourrière rapporte quelques soles, et, quand ils ne divaguent pas...).

Là, après quelques saynètes et propos crus, Zavala tombe sur Ambrosio, ex-chauffeur de son père, et, sur proposition du premier et indication du dernier, ils vont se jeter quelques bières dans un boui-boui nommé La Catedral.
Les 600 pages sont la teneur de cette conversation, par séquences voire chapitres entiers très embrouillée, mâtinée de flashes-back, de réminiscences, d'évocations, de soliloques, de dialogues entremêlés, de bâtons rompus, bien que plus l'on avance, plus le propos soit formellement clarifié.

J'avais lâché cet embrouillamini indigeste et long il y a une quinzaine d'années, dans l'ancienne traduction.
Aujourd'hui c'est passé crème, le style narratif (parlé mais pas nécessairement ordonné) nécessite un peu d'accoutumance et le nombre des caractères ou personnages fait qu'on peut conseiller de le lire avec une relative célérité, du moins une linéarité.

In fine j'ai beaucoup apprécié cet apparent magma d'écriture faussement désinvolte, comme des micros qui captent toutes les bribes de conversations éparses, fissent-elles sens ou non, doublés de micros plus sophistiqués qui saisissent ce qui traverse les esprits, ce qui passe par les têtes:
N'est-ce pas plus proche de ce qui se passe dans la vie ?

Rendu on ne peut plus original donc, qui "classe" l'ouvrage dans un courant littéraire exploratoire. Techniquement, le rendu de ces interférences permanentes, de ces coqs-à-l'âne, couplé à la narration de style parlé permet beaucoup de choses: La légèreté sur un sujet et une époque qui réunissent pourtant tous les ingrédients pour que ce soit bien pesant, l'attention pseudo-détournée du lecteur, qui du coup en redemande à la lecture d'une saynète, sans trop savoir à quel moment du bouquin il va trouver la suite (ou ce qui précédait, via les flashes-back en nombre !).  

Le Pérou, époque dictature d'Odría, il y avait tout pour faire du livre un mélo, ce qu'il n'est pas. Vargas Llosa réalise un petit coup de maître en réussissant une fresque où rien ne semble manquer excepté la vie rurale. Mais nous avons des destins, certains humbles, d'autres de premier plan, la violence, la corruption, la répression, les "arrangements", les oligarques, les révoltés, l'intérieur des familles, les maîtres et les servants, la prostitution - de luxe ou de caniveau.
Et même une certaine chronologie de ces temps particulièrement troublés. Les mondes des casseurs, des petites frappes, des indics, du journalisme, de la nuit sont particulièrement gratinés, le tout servi dans un bouillonnement où mijotent les entrelacs des histoires.  

Certains personnages évoqués sont réels, Odría, Bustamante par ex. (mais la parole ne leur ait jamais laissée directement), la toponymie aussi, et les évènements narrés coïncident avec exactitude à l'histoire péruvienne de ces années-là.  

Le personnage de Santiago Zavala a du Mario Vargas Llosa en lui, on dira qu'il colle avec sa bio (quant au personnage d'Amalia, il est remarquablement troussé, à mon humble avis).

Ce curieux kaléidoscope est sans aucun doute un vrai grand livre, à placer -à mon humble avis, toujours- parmi les ouvrages incontournables de la littérature latino-américaine de la seconde moitié du XXème siècle.


Un exemple de superposition de plusieurs situations, plusieurs dialogues (deux, en l'occurence); on note le simple "dit" pour informer le lecteur de l'auteur de la prise de parole.
Jamais ce "dit", comme un invariable, n'est remplacé par un des équivalents habituels lorsqu'on écrit des dialogues, du type annonça, interféra, trancha, cria, coupa, affirma, etc.

Chapitre VII, Partie 1 a écrit:
- Fondamentalement, deux choses, dit maître Ferro. Primo, préserver l'unité de l'équipe qui a pris le pouvoir. Deuxio, poursuivre le nettoyage d'une main de fer. Universités, syndicats, administration.
Ensuite élections, et au travail pour le pays.
- Ce que j'aurais aimé être dans la vie, petit ? dit Ambrosio. Riche, pour sûr.
- Alors tu pars pour Lima demain, dit Trifulcio. Et pour faire quoi ?
- Et vous c'est être heureux, petit ? dit Ambrosio. Évidemment que moi aussi, sauf que riche et heureux, c'est la même chose.
- C'est une question d'emprunts et de crédits, dit Don Fermín. Les États-Unis sont disposés à aider un gouvernement d'ordre, c'est pour cela qu'ils ont soutenu la révolution. Maintenant ils veulent des élections et il faut leur faire plaisir.  
- Pour chercher du travail là-bas, dit Ambrosio. Dans la capitale on gagne plus.
- Les gringos sont formalistes, il faut les comprendre, dit Emilio Arévalo. Ils sont ravis d'avoir le général et demandent seulement qu'on observe les formes démocratiques. Qu'Odría soit élu, ils nous ouvriront les bras et nous donneront tous les crédits nécessaires.
- Et tu fais chauffeur depuis longtemps ? dit Trifulcio.
- Mais avant tout il faut impulser le Front patriotique national, ou Mouvement restaurateur, ou comme on voudra l'appeler, dit maître Ferro. Pour se faire, le programme est fondamental et c'est pourquoi j'insiste tant.
- Deux ans comme professionnel, dit Ambrosio. J'ai commencé comme assistant, en conduisant de temps en temps. Après j'ai été camionneur et jusqu'à maintenant chauffeur de bus, par ici, dans les districts.
- Un programme nationaliste et patriotique, qui regroupe toutes les forces vivves, dit Emilio Arévalo. Industrie, commerce, employés, agriculteurs. S'inspirant d'idées simples mais efficaces.
- Alors comme ça t'es un gars sérieux, un travailleur, dit Trifulcio. Elle avait raison Tomasa de pas vouloir qu'on te voie avec moi. Tu crois que tu vas trouver du travail à Lima ?
- Il nous faut quelque chose qui rappelle l'excellente formule du maréchal Benavides, dit maître Ferro. Ordre, Paix et Travail. J'ai pensé à Santé, Éducation, Travail. Qu'en pensez-vous ?  
- Vous vous rappelez Túmula la laitière, la fille qu'elle avait ? dit Ambrosio. Elle s'est mariée avec le fils du Vautour. Vous vous rappelez le Vautour ? C'est moi qui avait aidé son fils à enlever la petite.
- Naturellement, la candidature du général doit être lancée en grandes pompes, dit Emilio Arévalo. Tous les secteurs doivent s'y rallier de façon spontanée.
- Le Vautour, le prêteur sur gages, celui qu'a été maire ? dit Trifulcio. Je me le rappelle, oui.
- Ils s'y rallieront, don Emilio, dit le colonel Espina. Le général est de jour en jour plus populaire. Il n'a fallu que quelques mois aux gens pour constater la tranquillité qu'il y a maintenant et le chaos qu'était le pays avec les apristes et les communistes lâchés dans l'arène.
- Le fils du vautour est au gouvernement, il est devenu important, dit Ambrosio. Peut-être bien qu'il m'aidera à trouver du travail à Lima.


\Mots-clés : #corruption #criminalite #famille #insurrection #medias #misere #politique #prostitution #regimeautoritaire #relationdecouple #temoignage #violence #xxesiecle
par Aventin
le Lun 1 Nov - 10:28
 
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Sujet: Mario Vargas Llosa
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Thomas McGuane

Rien que du ciel bleu

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Frank Copenhaver est quitté par sa femme Gracie. Ancien hippie, comme ses amis de l’époque il est devenu un homme d’affaires qui a réussi (comme son père…). Le roman narre les conséquences de cette séparation : sa lente dégringolade, ses (tentatives de) reprises en main et « renouvellement de ses valeurs fondamentales ».
« Peu désireux de façonner le monde, il préférait la quête de la chatte et des états modifiés de la conscience, car c’était un digne membre d’une génération désœuvrée, vouée à la fuite des responsabilités et à la fornication inconséquente, vouée à l’idéal du Rapport Humain Complet et aux chaussures tout-terrain qui ne mentent pas à vos pieds. »

Quelques rencontres féminines et aventures sexuelles douteuses...
« Et puis je vais te dire une bonne chose : dans ton cas, l’absence ne nourrit pas l’amour. Dès qu’une femme s’éloigne de toi, même pour un temps très bref, cette femme se pose une excellente question : mais comment, comment ai-je pu faire une bêtise pareille ? »

« Elle remonta sa robe au-dessus de ses hanches et pointa le doigt vers le triangle en soie blanche de sa culotte. Ça aussi, c’est fini ! s’écria-t-elle avant de sortir en claquant la porte. »

… une cascade d’hilarantes péripéties, et une certaine animadversion réciproque des cow-boys :
« Je me demande si leur mère leur attache des poids au coin de la bouche, dit Phil. Tu sais, comme font les Watusis à leurs oreilles et à leurs lèvres. Je parie que c’est le cas : la maman rancher accroche des poids à la commissure des lèvres du bébé. Ensuite, le petit gamin porte un petit chapeau de cow-boy, des petites bottes avec des petits éperons, et des poids au coin de la bouche. Ensuite, on offre un petit lasso au petit merdaillon et on colle une paire de cornes sur une botte de foin. Le plus souvent, ce petit merdeux s’appelle Boyd ; dix ou vingt ans plus tard, Boyd se bourre la gueule, il tabasse les vaches à coups de fouet, sa copine à coups de poing, et il fume ses clopes devant la téloche. »

Son malaise existentiel, l’absence de sens de sa vie absurde, est généralement rendu par petites touches indirectes.
« Il comprit soudain que son désir compulsif de regarder les gens vaquer à leurs occupations, de les observer derrière leurs fenêtres comme s’ils se trouvaient dans un laboratoire, s’expliquait par l’inconsistance de sa propre vie. S’il fallait qualifier son existence, elle lui semblait mince. Elle avait un air de faux-semblant. Il devina que tout le monde vivait dans une atmosphère de perpétuels ajournements. »

Tout au long du roman, une attention particulière est apportée au ciel et aux nuages.
La devise de Frank est :
« La Terre était plate, chacun à son heure passait par-dessus bord. »

Il y a une aimable critique de l’american way of life (y compris de la « bouffe répugnante » du McDonald) :
« Merveilleux quartiers résidentiels ! Splendides rues tracées au cordeau, délicieuse rivalité des pelouses ! Ils étaient aussi parfaits que ces organismes agglutinés pour former un récif corallien. Frank déambulait à travers les rectangles réjouissants d’Antelope Heights, savourant les mariages de couleurs, l’ordre impeccable des voitures en stationnement, la forte personnalité des boîtes à lettres − certaines juchées sur des roues de chariot, d’autres en fibre de verre, avec des faisans multicolores moulés dans les parois (un chasseur vit sans doute ici !), certaines n’attendant que des lettres, d’autres conçues pour accueillir d’énormes paquets. »

On est dans le Montana, et bien sûr il y a pas mal de pêche à la truite :
« À la courbe de la rivière, on aurait dit que les iris sauvages allaient basculer dans l’eau. L’étroite bande de boue où poussaient les laîches portait de nombreuses traces de rats musqués et sur cette même bande se dressait un héron bleu parfaitement immobile, la tête renversée comme un chien de fusil. Ses pattes fléchirent légèrement, il croassa et s’envola avec une lenteur merveilleuse et un faible sifflement des rémiges, disparaissant enfin au-dessus du mur des herbes, comme aspiré dans leur masse verte. »

De nouveau donc ce mélange de rire et de mélancolie, si caractéristique de McGuane − qui peine à trouver son lectorat sur le forum ?

\Mots-clés : #contemporain #relationdecouple #relationenfantparent #xxesiecle
par Tristram
le Lun 2 Aoû - 15:21
 
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Honoré de Balzac

La maison du chat qui pelote

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Cette maison d'un autre siècle abrite en son rez-de-chaussée le magasin du drapier : Monsieur Guillaume, digne successeur de Mr Chevrel dont il a épousé la fille.

Or depuis plusieurs jours un passant s'arrête pour regarder attentivement la vieille maison, son regard est le plus souvent dirigé vers une fenêtre du 3ème étage ; celle de la chambre de mademoiselle Augustine. Tentant d'apercevoir l'objet de son désir.

Mais dans la vitrine du magasin un objet a toute son attention, un tableau dont la vue l'amuse mais aussi le navre. Sentiments que l'on comprend car ce passant est un jeune peintre qui a été primé ; il revient d'un long séjour en Italie.

"Au milieu de cette large poutre mignardement sculptée se trouvait un antique tableau représentant un chat qui pelotait. Cette toile causait la gaieté du jeune homme. Mais il faut dire que le plus spirituel des peintres modernes n’inventerait pas de charge si comique. L’animal tenait dans une de ses pattes de devant une raquette aussi grande que lui, et se dressait sur ses pattes de derrière pour mirer une énorme balle que lui renvoyait un gentilhomme en habit brodé. Dessin, couleurs, accessoires, tout était traité de manière à faire croire que l’artiste avait voulu se moquer du marchand et des passants. En altérant cette peinture naïve, le temps l’avait rendue encore plus grotesque par quelques incertitudes qui devaient inquiéter de consciencieux flâneurs. Ainsi la queue mouchetée du chat était découpée de telle sorte qu’on pouvait la prendre pour un spectateur, tant la queue des chats de nos ancêtres était grosse, haute et fournie. "

Augustine et Théodore se rencontrent lors de l'exposition de ce dernier, ils correspondent et se retrouvent en rusant. Après des concessions,  (bien évidemment les règles et valeurs de la famille Guillaume doivent être respectées et diffèrent totalement de la société dont Théodore fait partie) et grâce à l'intervention d'une cousine des Guillaume le mariage entre Augustine et le peintre - Théodore de Sommervieux - a lieu.

Dans la première année, la beauté et l'amour d'Augustine suffisent à Théodore, mais intellectuellement et socialement la jeune femme ne s'adapte pas à la société de son époux et cela lassera le jeune peintre.
Malgré ses efforts, son envie de plaire à son mari, elle ne sera jamais à ses yeux à la hauteur de sa classe ; le mariage n'apparait plus à Augustine que comme difficilement vivable. Une ultime tentative de sa part auprès  la Duchesse de Carigliano, adulée par son mari, et malgré ses judicieux conseils, ne fera que précipiter la fin.


Je pense que cet échec peut s'illustrer dans les deux tableaux dont le style et la technique s'opposent : celui représentant "le chat qui pelote" et le portait couronné d'Augustine fait par Théodore.

C'est un drame de la différence de classes.

L'ambiance feutrée et restreinte de la maison Guillaume, son éducation ne pouvaient permettre à Augustine d'évoluer vers une autre société et notamment celle de Théodore et son monde qui ne lui pardonnait pas son extraction.




Extraits :

" les deux toiles furent exposées. La scène d’intérieur fit une révolution dans la peinture. Elle donna naissance à ces tableaux de genre dont la prodigieuse quantité importée à toutes nos expositions, pourrait faire croire qu’ils s’obtiennent par des procédés purement mécaniques. Quant au portrait, il est peu d’artistes qui ne gardent le souvenir de cette toile vivante à laquelle le public, quelquefois juste en masse, laissa la couronne que Girodet y plaça lui-même. Les deux tableaux furent entourés d’une foule immense. On s’y tua, comme disent les femmes. Des spéculateurs, des grands seigneurs couvrirent ces deux toiles de doubles napoléons, l’artiste refusa obstinément de les vendre, et refusa d’en faire des copies."

"Un soir, elle fut frappée d’une pensée qui vint illuminer ses ténébreux chagrins comme un rayon céleste. Cette idée ne pouvait sourire qu’à un cœur aussi pur, aussi vertueux que l’était le sien. Elle résolut d’aller chez la duchesse de Carigliano, non pas pour lui redemander le cœur de son mari, mais pour s’y instruire des artifices qui le lui avaient enlevé ; mais pour intéresser à la mère des enfants de son ami cette orgueilleuse femme du monde ; mais pour la fléchir et la rendre complice de son bonheur à venir comme elle était l’instrument de son malheur présent"



Mots-clés : #amour #famille #relationdecouple #xixesiecle
par Bédoulène
le Ven 28 Mai - 13:43
 
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Sujet: Honoré de Balzac
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William Faulkner

Requiem pour une nonne

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Titre original: Requiem for a Nun, a paru en 1951, genre: théâtre enchâssé dans un roman (??).

Où l'on retrouve, huit années après Sanctuaire, les caractères de Temple Drake, Gavin Stevens l'avocat, Gowan Stevens son neveu, ex-lâche de bonne famille devenu, depuis, le mari de Temple.
Alors bien sûr, Sanctuaire est un tel chef d'œuvre qu'on ne peut que se réjouir a priori de retrouver ces personnages, mais, il y a un mais.

Si la distance dans le temps entre les deux fictions est de huit ans en ce qui concerne les protagonistes et l'action, elle est de vingt ans entre les dates d'écriture.
Ce qui nous amène après le Nobel de littérature de 1949, et concomitamment à la réception du second National Book Award jamais décerné: entretemps Faulkner est devenu une étoile [en provenance du Dixie Flag], un incontournable de la littérature mondiale.

L'ensemble laisse un drôle de goût.
Brouillon, décousu, bavard tendant vers la logorrhée, laissant le lecteur sonné de ces infinissables ensembles massifs.
Je crois (et j'aimerai échanger sur le sujet !), par hypothèse, que Faulkner s'est permis.
À présent installé, l'âge légèrement mûrissant, ayant prouvé, détenant la notoriété, n'a-t-il pas eu envie de se permettre ?
De lâcher du narratif épais comme une lave et brodant sur un thème, avec le côté brouillon, distendu du premier jet -celui, d'ordinaire, de la garniture de corbeille à papiers- intact, restitué dans toute sa force. 
Et de donner une profondeur bien dans l'air du temps de ces années 1950: une dimension existentialiste (au reste, c'est Albert Camus qui montera la pièce pour le théâtre, ça ne doit pas être un hasard, si ?).

La longue préparation (dite Acte premier, intitulé: Le Tribunal, sous-titré: Un nom pour la ville) nous donne son lot de causerie narrative interminable, à la sudiste US, tenant en haleine en dépit d'un style plutôt décousu, composite: exposé à tiroirs, paragraphes non aérés, bribes de retours et de redites, bouts dialogués, phrases d'une demi-page voire d'une page, etc...  

Mais l'ensemble reste imprégnant, et l'on finit par mordre à l'hameçon.
Merci.
La scène 2 nous fait entrer de plain-pied dans la partie théâtre proprement dite, bien plus vive et concise.
Le même procédé de nappage préalable avec de denses descriptions inénarrables avant la partie théâtre est repris à l'acte Deux, puis à l'acte Trois.

L'idée directrice (pour aller vite) est que Temple Drake, devenue depuis Mrs Stevens, qui fut mise au bordel par Popeye l'impuissant gangster psychopathe de Sanctuaire (enfin, je ne vais pas vous raconter Sanctuaire !) est devenue la haute-bourgeoise comme-il-sied à son mari, Gowan Stevens, lequel est responsable de l'infamie perpétrée sur Temple et donne l'impression de racheter en quelque sorte sa faute en épousant Temple.
Le couple a deux enfants en bas âge.

Le frère de l'homme de main que Popeye choisissait pour honorer Temple à sa place et en sa présence (celui-là est décédé) a retrouvé un paquet de lettres et menace de chantage Temple, notamment en ce qui concerne la paternité de l'aîné du couple, dont le père aurait toutes les chances de ne pas être Gowan.

Temple, de son côté, a recruté en nounou et personnel de maison une jeune noire, Nancy, sortie du bordel et du ruisseau, qui est aussi sa confidente et, quelque part, sa consœur dans la confrérie de l'infamie, des maisons closes et de la fréquentation des truands.

Nancy, alors que Temple est quasi-prête à suivre le maître-chanteur et à tout plaquer, fortune et situation, afin de retourner à une vie marginale, aventureuse, violente, illégale et risquée, assassine l'un des deux enfants du couple, afin de sauver la situation, se sacrifiant du coup.
L'Acte premier scène 2 s'ouvre, justement, sur son jugement au tribunal, elle est défendue (bien sûr !) par Gavin Stevens, oncle de Gowan et protagoniste de Sanctuaire...

Extrait, comprenant une des plus fameuses citations de Faulkner:
The past is never dead. It's not even past.


Stevens

L'immunité est une chose qui n'existe pa.

Gowan

Contre le passé...ma folie...mon alcoolisme. Ma lâcheté, si vous préférez.

Stevens

Le passé n'existe pas non plus.

Gowan

Là encore il y a matière à rire. Mais pas si fort, n'est-ce pas ? Ça pourrait troubler les dames - déranger Miss Drake - Miss Temple Drake - Bien sûr, pourquoi pas la lâcheté ? L'excès d'entraînement plutôt, ça sonne mieux: Gowan Stevens, entraîné à l'Université de Virginie, à boire comme un gentleman, emmène une étudiante d'un petit collège, une jeune fille vierge, peut-être - sait-on jamais ? - en automobile à un match de base-ball dans un autre petit collège à la campagne. Il se saoule comme dix gentlemen, se trompe de route, continue à boire comme quarante gentlemen, fout sa voiture dans le fossé, dépasse à présent les quatre-vingts gentlemen, tombe ivre-mort, et la jeune fille, la jeune fille vierge, est enlevée et emmenée dans un bordel de Memphis...
(il murmure des mots incompréhensibles)
 

Stevens

Quoi ?

Gowan

Mais parfaitement, de la lâcheté. Appelez ça de la lâcheté. Qu'importe l'euphonie entre de vieux époux ?

Stevens

En tous cas, tu ne pourras pas dire ça du mariage qui a suivi. Qu'est-ce que...

Gowan

Mais si. Ce mariage était dans la plus pure des vieilles traditions virginiennes. Les cent soixante gentlemen, sans l'ombre d'un doute.

Stevens

L'intention était pure, et d'après tous les codes. Prisonnière dans un bordel; je n'ai pas très bien entendu...

Gowan (rapidement: en avançant la main)

Où est votre verre ? Jetez-moi cette cochonnerie - ici.

Stevens (son verre à la main)

Celui-ci me suffit. Qu'est-ce que tu as voulu dire quand tu as parlé de prisonnière dans un bordel ?

Gowan (rudement)

Tout simplement cela. Vous avez entendu.

Stevens

Tu as dit: "et y a trouvé le plus grand plaisir" (Ils se dévisagent) C'est donc cela que tu n'as jamais pu lui pardonner ? - non qu'elle ait été l'instrument créateur de ce moment de ta vie que tu ne peux jamais évoquer, ni oublier, ni expliquer, ni condamner, auquel tu ne peux même pas t'empêcher de penser, mais le fait que non seulement elle n'en a pas souffert mais qu'elle y a trouvé du plaisir - ce mois, ces quelques semaines qui rappellent l'épisode du vieux film où la femme blanche est gardée prisonnière dans la caverne du prince arabe - le fait que tuas été contraint de perdre non seulement ton indépendance de célibataire, mais ton amour-propre d'homme attaché à la chasteté de sa femme, et ton enfant par surcroît, comme prix de quelque chose que ta femme n'avait même pas perdu, ne regrettait même pas, dont elle ignorait même l'absence. C'est donc pour cela que cette pauvre négresse perdue, condamnée, folle, doit mourir ?






\Mots-clés : #addiction #conditionfeminine #criminalite #culpabilité #justice #relationdecouple #théâtre #xxesiecle
par Aventin
le Mer 19 Mai - 22:05
 
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Sujet: William Faulkner
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Chiyo Uno

Ohan

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Le narrateur de ce bref récit, Kanô, vit entretenu par une geisha, Okayo, dans la maison de thé de celle-ci. Il a abandonné pour elle son épouse Ohan il y a sept ans, et il a un fils du même âge, Satoru, qu’il découvre comme il revoit sa femme. Cette dernière et l’enfant souffrent de la situation comme il projette de reformer leur famille, tout en ne parvenant pas à l’annoncer à Okayo.
Kanô, bourrelé de remords quant à sa faiblesse et les souffrances qu’il occasionne, nous parle tel que si nous étions des connaissances du voisinage, jusqu’au drame.
« Ce temps aussi bref que la journée d’un éphémère, ce temps vécu par moi comme dans un rêve, resurgit à présent dans tout son éclat devant mes yeux. »

Cette histoire simple, presque simpliste, m’a pourtant ému. En tout cas une saisissante incarnation de l’irrésolution, de l’irresponsabilité et de leurs conséquences.
L’auteure est louée pour ses personnages de l’autre sexe, mais je me demande si elle ne se projetait pas dans ces figures masculines.

\Mots-clés : #culpabilité #relationdecouple #relationenfantparent
par Tristram
le Dim 9 Mai - 22:23
 
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Sujet: Chiyo Uno
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Pierre Bergounioux

Miette

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Le narrateur, sculpteur en « ferrailles » comme l’auteur, a repris la propriété d’une famille paysanne du plateau limousin (quasiment de nos jours), qu’il nous présente au travers de ses membres, Baptiste l’opiniâtre, massif et impétueux maître-esclave de la terre, négociant voyageur et paysan planteur d’arbres, sa femme Jeanne, la douce institutrice sans dot « que la possession ne possédait pas » et que sa belle-famille déteste, les trois autres membres de la fratrie, Adrien le benjamin, Octavie la chipie à « l’air d’ajonc » et Lucie, enfin Miette (diminutif de Marie) la parcimonieuse, la mère si présente bien qu’il l’eut à peine croisée.
Au travers des photos de famille et des suppositions avouées par le « je » qui narre, mais aussi ses rencontres avec les survivants, se reconstitue le destin de chacun, « jouet de la nécessité sans faille du temps immobile et des lieux clos. »
Ce que Pierre Bergounioux relate, ce sont les règles de la vie dans cette région âpre, où le granit semble être aussi trait de caractère : l’abnégation, la dureté, le silence impassible et la maîtrise de soi des individus régis par la primogéniture et le statut de bru (autrement dit d’origine "allogène" dans un mariage de raison), dans le cadre traditionnel de l’usage.
Bergounioux développe une dialectique « du non et du oui », de l’acceptation et du refus de son sort désigné.
Il revient fréquemment sur « les choses, de la terre d’abord et ensuite des outils pour la travailler », « les choses, la maison, les terres », celles que Baptiste s’est fait devoir de perpétuer, celles qui brisèrent Octavie promise à une carrière de mathématicienne en Amérique :
« Elle avait bûché avec l’énergie qui apparentait l’effort, la peine, le vouloir à des propriétés matérielles, ce qu’à la limite ils étaient en un lieu qui ne souffrait la présence humaine qu’asservie à son despotique vouloir. »

« Ce que je veux dire, c’est que dans le même temps qu’elle se faisait l’interprète du temps d’avant, des choses éternelles, elle devinait la suite, c’est-à-dire la fin des temps, si le temps n’existe pas en soi mais toujours en un lieu qu’il baigne, et que ce lieu allait sortir du temps ou le temps – c’est tout un – le déserter. »

De l’importance d’être « gens du haut » :
« Ça paraît compliqué alors que c’est très simple, d’une évidence tangible : c’est l’endroit. Dès lors qu’on s’établissait à demeure au-dessus du grand pré, face à la chaîne des puys, à sept cents mètres d’altitude, avec le granit sous les pieds, la brande et les bois autour et le silence posé là-dessus comme une chape, on avait tout le reste, l’inflexible volonté qu’ils dictaient aux hommes, l’oppression que, par leur truchement, ils exerçaient sur les femmes, le calcul d’utilités infimes, le non, le oui, le désespoir, l’inutile fidélité. »

On apprend qu’on enrésinait déjà en Douglas dans cette région dès les années 10 ; Baptiste aurait planté un million de résineux, prévoyant, ayant compris qu’au bout de « trois mille ans » leur mode d’existence devait changer.
« Mais quoiqu’on ait fait en prévision de l’éternité d’absence où l’on va entrer, comment ne pas s’attrister, secrètement, de la venue du temps où l’on sera sorti du temps. »

Le narrateur, venu de la plaine, explicite son approche de ces « trois millénaires » incarnés :
« J’ai vu ce qui, de prime abord, avait été pour moi un mystère et le resta longtemps, la filiation profonde, l’identité secrète entre cet homme [Baptiste] né de la terre, pareil à elle, à la lande, aux bois et la grâce farouche, singulière, des filles qu’il avait engendrées après que, femmes, elles l’eurent porté.
Ce qui serait bien, c’est que nos jours, d’eux-mêmes, se rangent derrière nous, s’assagissent, s’estompent ainsi qu’un paysage traversé. On serait à l’heure toujours neuve qu’il est. On vivrait indéfiniment. Mais ce n’est pas pour ça que nous sommes faits. La preuve, c’est que l’avancée se complique des heures, des jours en nombre croissant qui nous restent présents, pesants, mémorables à proportion de ce qu’ils nous ont enlevé. Ils doivent finir, j’imagine, par nous accaparer. Quand cela se produit, qu’on est devenu tout entier du passé, notre terme est venu. On va s’en aller. »

Le récit s’achève comme cette génération disparaît.
Il m’a semblé que les circonlocutions de la langue châtiée de Bergounioux le distanciaient un peu de ses considérations sur la parentèle, en contrepoint de ce témoignage à la valeur ethnographique sans en avoir le ton.
Je ne suis pas le seul à avoir pointé cette curieuse convergence thématique contemporaine que certaines œuvres de Bergounioux partagent avec d’autres de Michon, Millet, Marie-Hélène Lafon, Jourde, qui gravite autour des petites gens dans un proche passé du centre de la France – notre centre de gravité national ?
Sinon, Quasimodo, tu peux te lancer sans crainte dans ce livre : m’étonnerait qu’il te déçoive !

\Mots-clés : #famille #fratrie #lieu #relationdecouple #relationenfantparent #ruralité #temoignage #traditions #xxesiecle
par Tristram
le Lun 26 Avr - 12:45
 
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Sujet: Pierre Bergounioux
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Paul Gadenne

La Plage de Scheveningen

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Roman, 1952, 330 pages environ.


Difficile d'ajouter aux commentaires d'Églantine, Tristram et Bédoulène !


Ouvrage tout en atmosphères et déplacements (Paris intra-muros déglingué, pauvre et rationné en 1944, un trajet clair-obscur en vieille voiture très usée, une chambre d'hôtel proche de la côte flamande pour une nuit interminable qui forme le corpus du roman, la dernière vallée française (?) des Alpes (du Nord ?), un train bondé et piteux, une belle villa de Biarritz semi-abandonnée ...).

Écriture empreinte d'une certaine lenteur rythmique, laquelle ajoute à l'épaisseur, à la densité du propos, lequel est assez singulier.

Style souple, avec beaucoup de ferveur et de fragilité, épatant, comme incantatoire par instants, semblant toujours quêter l'absolu - comme les deux personnages principaux du reste - marquant beaucoup les dialogues et les monologues (ceux-ci en italiques), mais sans réellement faire surgir des temps forts par rapport à des temps plus faibles, afin d'obtenir un effet de relief et de mise en valeur lors de la narration (à d'autres, ces vieilles ficelles ?!).
On n'est vraiment pas dans du convenu, du conventionnel, et c'est heureux.
Imagination, signification...le contexte (1944, donc) ajoute encore au souffle du roman.

Dialogues et pensées, autour de deux êtres, Irène et Guillaume, tandis que plane l'ombre d'un troisième, le brillant Hersent, dont Irène et Guillaume apprennent incidemment la condamnation à mort et, du côté de Guillaume, l'épisode biblique de Caïn et Abel (Genèse 4.1-15). Tuer son amour (au sens figuré de tuer, s'entend !) est bien occire son frère et en porter le poids (Caïn dit à l'Eternel: «Ma peine est trop grande pour être supportée (...)").

Beaucoup d'introspection analytique (pas au sens freudien ou lacanien du terme) - vraiment un ouvrage qui apporte beaucoup, laisse de la matière à ruminer, une fois les pages refermées.

Vous pouvez sans peine vous figurer la joie que c'est de tomber sur un roman de cette qualité, de haute et originale tenue littéraire !

   

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La plage de Scheveningen, tableau de Jacob van Ruisdael, peint entre 1665 et 1670.

\Mots-clés : #deuxiemeguerre #relationdecouple #xxesiecle
par Aventin
le Mer 14 Avr - 20:58
 
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Sujet: Paul Gadenne
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Colum McCann

Le Chant du coyote

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Conor, 23 ans, parti depuis cinq années bourlinguer en Amérique sur les traces de ses parents (son père a rencontré sa mère au Mexique), est revenu de passage pour une semaine chez « le vieux », en Irlande ; il est toujours à la recherche de Mam, disparue alors qu’il avait 12 ans. Nostalgique de son pays, elle en était aussi venue à souffrir de la passion de son mari pour la photographie.
Le roman retrace ces difficiles retrouvailles sur sept jours, aussi occasion d’évoquer leurs destinées, qui passent par le voyage-errance de la guerre d’Espagne à une tour de surveillance des incendies dans le Wyoming et au San Francisco de la beat generation (avec le personnage de Cici, leur amie).
C’est également une sorte de nature writing vu par un Irlandais (mais beaucoup d’États-Uniens sont d’origine irlandaise), et surtout après les grands auteurs qui ont écrit à propos d’une wilderness intacte, avec laquelle on pouvait encore communier : la pêche à la mouche dans une rivière polluée est devenue caricaturale (elle m’a ramentu la rivière-égout où vit et pêche le Suttree de Cormac McCarthy).
« C’était la loi de la rivière, me disait-il. Elle était vouée à tout emporter sur son passage. »

« Si tu veux être heureux une heure, enivre-toi ; si tu veux être heureux une journée, tue un cochon ; si tu veux être heureux une semaine, marie-toi ; si tu veux être heureux toute une vie, va pêcher. »

« Son corps est une effigie qu’il trimbale partout et sa carcasse efflanquée lui sert de hampe. »

« Les gares routières sont parmi les endroits les plus tristes d’Amérique. Tout le monde cherche une sortie, on passe furtivement, on recherche des enfants perdus dans la foule, on reste les yeux rivés dans le vague, on attend de la vie un changement. »


\Mots-clés : #relationdecouple #relationenfantparent #voyage
par Tristram
le Ven 22 Jan - 14:31
 
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Sujet: Colum McCann
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Paule du Bouchet

Emportée

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Parution augmentée mars 2020 (1ère édition Actes Sud 2011), édition des femmes - Antoinette Fouque, 120 pages environ, suivies de 80 pages environ de correspondances entre Tina Jolas et Carmen Meyer.


Cet Emportée est poignant, en ce sens que Paule du Bouchet nous fait toucher du doigt, sans fard ni emphase, toute la souffrance et la détresse de la vie des du Bouchet, en premier lieu la sienne.
Résumons:
Août 1949, André du Bouchet et Tina Jolas s'épousent, fraîchement débarqués de New-York.
Naissent Paule et 1951 et Gilles en 1954.
En 1956, c'est le début pour Tina Jolas-du Bouchet d'une liaison passionnée avec René Char, ami d'André du Bouchet.
Tout en devenant une ethnologue relativement en vue, Tina Jolas est aux côtés de René Char, un appui sans faille, pas vraiment un rôle de muse, René Char finira pourtant, octogénaire, à un an de son décès, par en épouser une autre, Marie-Claude Le Gouz de Saint-Seine, éditrice, aujourd'hui Mme veuve Char.

Tina Jolas survivra à Char une dizaine d'années à Faucon (Vaucluse) avant de s'éteindre en septembre 1999, soit un peu moins de deux ans avant le décès d'André du Bouchet.        

Paule du Bouchet a énormément souffert. André du Bouchet aussi, pour Gilles du Bouchet on ne sait pas: peut-être dans un prochain opus de sa sœur (ce serait le continuum des deux que je commente sur ce fil), à moins, bien sûr, que l'intéressé...

J'ai toujours su qu'il faudrait la mort. Enfant, je pensais que celle de Char me rendrait ma mère. Il y avait dans leur amour quelque chose d'irrémédiable comme la mort. [...] Petite fille, j'ai souhaité ardemment, de façon constante, qu'il disparaisse, prié tous les dieux du ciel et de la terre, fabriqué et piqué d'aiguilles des poupées de chiffon pour qu'il meure. "Mon Dieu, faites qu'il meure". Il ne mourait pas, et il était le Dieu de ma mère.


Ma mère a été l'incarnation de ma détresse et l'incarnation de la lumière.


Un jour, mon père m'a rapporté une formule qui lui était venue autrefois, au temps de la grande souffrance. Une pensée avait surgi, qui l'avait frappé et soulagé, comme l'évidence, parfois, a ce pouvoir de cautériser. Énoncée ainsi: "la souffrance n'est pas un argument". Surtout, il m'avait dit cela, à moi. Sur le moment, je n'ai pas compris. Je l('ai entendu alors, mais compris des années plus tard. Ma souffrance, je l'ai certainement utilisée comme un "argument", un levier qui a justifié tous mes errements, tout le poids que j'ai fait peser à ceux qui m'aimaient, elle en particulier, ma mère.   


(avec sa mère, les avant-bras tailladés après une tentative de suicide)
- Tu aurais préféré que je meure plutôt que de t'appeler quand tu es chez lui.
- oui.


Reste la fin, très belle, poétique, je me retiens -parce que c'est la fin- de reproduire ici un extrait, j'ai vraiment été étonné de trouver ça là, et l'ai beaucoup apprécié.

Les missives de la correspondance Tina Jolas -Carmen Meyer viennent faire contrepoint. Tina Jolas nous échappe, d'ailleurs, n'a-t-elle pas échappé à tous, sauf à René Char ? Mais, l'espèce de vivacité solaire de sa plume, sa liberté, son ton - du moins avec son amie, cela illustre un caractère, une personnalité hors normes.

Et puis je vais peut-être redonner une chance aux écrits de René Char - à commencer par ceux que Tina Jolas indique, qui n'étaient pas ceux sur lesquels mes tentatives avant permis personnel d'inhumer m'avaient conduit...  





Mots-clés : #famille #portrait #relationdecouple #relationenfantparent #temoignage
par Aventin
le Mar 5 Jan - 20:45
 
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Sujet: Paule du Bouchet
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Irène Nemirovsky

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CHALEUR DU SANG

Quatrième de couverture :

Dans un hameau du centre de la France, au début des années 1930, un vieil homme se souvient. Après avoir beaucoup voyagé dans sa jeunesse, Silvio se tient à l'écart, observant la comédie humaine des campagnes, le cours tranquille des vies paysannes brusquement secoué par la mort et les passions amoureuses.

Devant lui, François et Hélène Érard racontent leur première et fugitive rencontre, le mariage d'Hélène avec un vieux et riche propriétaire, son veuvage, son attente, leurs retrouvailles. Lorsque leur fille Colette épouse Jean Dorin, la voie d'un bonheur tranquille semble tracée. Mais quelques mois plus tard, c'est le drame.

L'un après l'autre, les lourds secrets qui unissent malgré eux les protagonistes de cette intrigue vont resurgir dans le récit de Silvio, jusqu'à une ultime et troublante révélation."

"Situé dans le village même où Irène Némirovsky écrira Suite française, mais entrepris dès 1937, ce drame familial conduit comme une enquête policière raconte la tempête des pulsions dans le vase clos d'une société trop lisse. Complet et totalement inédit, ce nouveau roman d'Irène Némirovsky refait surface près de soixante-dix ans après sa composition."

Une fois de plus, je suis bluffée par le talent, les capacités d'analyse de l'âme humaine de cette auteure, quelle finesse !

L'intrigue est bien menée et jusqu'à la fin, on ne soupçonne rien...j'aime beaucoup ce titre et sa réflexion... "Chaleur du sang"  en fait, l'impulsivité de la jeunesse, folie des hormones, le monde n'est pas trop grand pour nous lorsqu'on est jeune..on est capable de tout...et de nombreuses années plus tard, il est vrai qu'on se dit : c'est bien moi qui ai fait tout ça ? Comme cela a-t-il été possible ? La chaleur du sang, l'ardeur de la jeunesse, la folie qui nous prend...notamment amoureuse...quels moments merveilleux...si bien décrits. Je comprends d'autant mieux que je suis partie sac à dos courir le vaste monde et que ma mère s'étonnait de mes envies de voyage....."jamais contente là où tu es..tu crois que c'est mieux ailleurs ? ".... Wink

Silvio  :

Voici, je voudrais la décrire. Je ne peux pas. Sans doute, dès le début, je l’ai regardée de trop près comme tout ce que l’on convoite ; connaissez-vous la forme et la couleur du fruit que vous portez à vos dents ? Les femmes que l’on a aimées, comme je l’ai aimée, il semble que dès le premier jour on les ait vues à la distance d’un baiser.

La nuit vient… alors ? on ne peut appeler cela la nuit : l’azur du jour se trouble, et verdit, et toutes les couleurs graduellement se retirent du monde visible, ne laissant qu’une nuance intermédiaire entre le gris de perle et le gris de fer. Mais tous les contours sont d’une parfaite netteté ; le puits, les cerisiers, le petit mur bas, la forêt et la tête du chat qui joue à mes pieds et mord mon sabot. C’est l’heure où la bonne rentre chez elle ; elle allume la lampe dans la cuisine, et cette lumière fait entrer instantanément toutes choses dans une nuit profonde.

Je n'avais plus de père, et ma mère n'a pas pu me retenir. "C'est comme une maladie" disait-elle épouvantée, quand je la suppliais de me donner de l'argent et de me laisser partir, "attends un peu, ça passera".*

Elle disait encore :

" En somme, tu fais comme le fils Gonin, et le fils Charles qui veulent être ouvriers en ville, qui savent qu'ils seront moins heureux qu'ici, qui me répondent, quand je les raisonne : "Ca fera du changement".
Et, en effet, c'était bien ce que je voulais : le changement ! Mon sang s'allumait en pensant à tout ce vaste monde qui vivait tandis que je demeurais ici. Je suis parti, et maintenant je ne peux pas comprendre quel démon me poussait de ma maison, moi sauvage et sédentaire. Colette Dorin m'a dit une fois, je me souviens, que je ressemble à un faune : un vieux faune vraiment, qui ne court plus les nymphes, qui se cache au coin de son feu. Et comment décrire les plaisirs que j'y trouve ? Je jouis de choses simples et qui sont à ma portée : un bon repas, un bon vin, ce carnet où je me procure, en y griffonnant, une joie sarcastique et secrète ; par-dessus tout la divine solitude. Que me faut-il de plus ? Mais à vingt ans, comme je brûlais !.....Comment s'allume en nous ce feu ? il dévore tout, en quelques mois, quelques années, en quelques heures parfois, puis s'éteint. Après, vous pouvez dénombrer ses ravages. Vous vous trouvez lié à une femme que vous n'aimez plus, ou, comme moi, vous êtes ruiné, ou, né pour être épicier, vous avez voulu vous faire peintre et vous finissez vos jours à l'hôpital. Qui n'a pas eu sa vie étrangement déformée et courbée par ce feu dans un sens contraire à sa nature profonde? Si bien que nous sommes tous plus ou moins semblables à ces branches qui brûlent dans ma cheminée et que les flammes tordent comme elles veulent ; j'ai sans doute tort de généraliser ; il y a des gens qui sont à vingt ans parfaitement sages, mais je préfère ma folie passée à leur sagesse."  .




Bon, encore un roman qui se lit d'une traite, 161 pages...heureusement récupéré par sa fille....quel bonheur !Smile

Mots-clés : #amour #relationdecouple #ruralité
par simla
le Dim 6 Déc - 7:50
 
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Sujet: Irène Nemirovsky
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Junichiro TANIZAKI

Le goût des orties

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Le titre s’explique par le proverbe mis en exergue :
« À chacun selon ses goûts,
Certains insectes aiment les orties. »

Kaname est un indécis, « faible de caractère », procrastinateur, mais de mœurs libérales, et il laisse complaisamment son épouse, Misako, vaquer à son nouvel amour en attendant le divorce : c’est « un ménage où l’amour est mort. » Kaname est un personnage hésitant qui pourrait être archétypal, entre négligence et délicatesse, type d’un égoïsme soucieux de sa tranquillité. (Et la situation triangulaire, avec Aso, l'amant de Misako, serait d'inspiration autobiographique.)
« Le triste, c’est que dès le début de leur mariage, il avait perdu très vite toute attirance pour elle. Cette fraîcheur, cette jeunesse conservées aujourd’hui venaient justement de ce qu’il l’avait condamnée à mener pendant plusieurs années une existence de veuve ; à cette pensée, il éprouva un frisson de tristesse. »

« Il désirait liquider cette question avec élégance sans salir son visage de larmes et souhaitait que la séparation s’accomplisse en plein accord avec sa femme, comme si leurs sentiments à tous deux coulaient d’un même cœur. »

« Si je ne bouge plus, se disait Kaname, mon destin se réglera de lui-même. Il ne faisait aucun effort de volonté, tâchant de rester inerte, passif, pour flotter au gré du courant, jusqu’au dénouement où le mènerait le jeu des circonstances. »

Dans le même temps, il découvre auprès de son beau-père, esthète attaché aux valeurs du passé japonais, et de sa jeune maîtresse " pygmalionisée" O-Hisa, le charme désuet du bunraku, théâtre de marionnettes traditionnel, et du shamisen (luth classique), selon les mérites comparés de Tôkyô et d’Ôsaka.
« Tout le monde devient comme cela en vieillissant. À propos, j’ai remarqué le sac de son dans la salle de bains. Je vois que vous vous en servez toujours.
‒ Oui. Il emploie du savon, lui, mais il me l’interdit, sous prétexte que cela gâte l’épiderme des femmes.
‒ Et la fiente de rossignol ?
‒ Bien sûr, mais je n’en suis pas plus blanche. »

Ce qui ne l’empêche pas de lire avec intérêt Les Mille et Une Nuits, version « pour les grandes personnes », traduite en anglais par Richard Barton, ni d’aller au bordel de Mrs. Brent, où il a ses habitudes avec une prostituée blanche…
« Ce n’était qu’une prostituée, et il avait pris la ferme résolution de ne plus y retourner – mais quelle idiotie pourtant, pensait-il, de se sentir lié par de pareils serments… Il décidait donc toujours de se parjurer. »

Ce roman à l'humour subtil se termine abruptement, après de longs atermoiements pour informer leur fils Hiroshi et des tergiversations avec le cousin Takanatsu, sur fond d’hésitations entre cultures moderne occidentale et traditionnelle japonaise (publié en 1928).
Et ce livre donne l’impression que Tanizaki musardait sans bien savoir où il voulait aller : je lui ai trouvé beaucoup de charme, peut-être à cause de cela…

Mots-clés : #relationdecouple #traditions
par Tristram
le Dim 11 Oct - 23:58
 
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Sujet: Junichiro TANIZAKI
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Ludwig Lewisohn

Le Destin de Mr. Crump

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Bien sûr, il y a Anne. Anne Bronson Farrel Vilas Crump, femme qui inspire à la fois l’horreur et la fascination. Parce que son incroyable — mais tout à fait plausible — férocité contient plus d’une révélation sur ce que l’être humain est capable de faire, et comment non seulement la société le permet, mais laisse impuni. On est tenté d’analyser ce personnage, et sur ce plan, Ludwig Lewisohn laisse travailler le lecteur, lui faisant confiance. L’écrivain américain nous laisse pour se faire de nombreuses phrases, de nombreuses paroles très significatives, et parfois inouïes. Le Destin de Mr. Crump a été interdit aux États-Unis, et en lisant la fausse postface (elle fait réellement partie du récit, attention au spoil) on peut se figurer pourquoi.

Oui, il y a cette femme, mais il y a aussi son mari, le musicien Herbert Crump. Victime ? Son rôle est à vrai dire plus complexe que cela. Herbert Crump est au moins aussi intéressant que sa femme, sinon plus (et puis, il est émouvant, ce garçon) ; comment est-il entré dans ce jeu diabolique ? Le plus beau chapitre du roman décrit ce moment où tout a basculé, où tout son monde intérieur fait de musique et de regrets délicats vacille dans un gâchis insupportable, de chantages et de mesquineries, dont il se demande sans cesse s’il s’en sortira en étant autre chose qu’un vieil homme fini.

L'un des meilleurs romans que j'ai pu lire cette année.


Mots-clés : #relationdecouple
par Dreep
le Mer 12 Aoû - 16:25
 
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Sujet: Ludwig Lewisohn
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