Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Sam 27 Avr - 11:11

22 résultats trouvés pour merlacriviere

Joseph Conrad

Typhon et autres récits


Typhon
Le capitaine MacWhirr, « avec son esprit littéral et son indomptable tempérament » (entendre prosaïque, "premier degré", et pragmatique, imperturbable), commande le Nan-Shan, qui transporte 200 coolies chinois sur les « étroites » mers de Chine. Le jeune Jukes est son second, et Salomon Rout le mécanicien en chef. Un typhon s’annonce, que le capitaine n’envisage pas d’éviter.
« La noirceur lointaine du ciel, à l’avant du navire, semblait une seconde nuit vue à travers la nuit étoilée de la terre, une nuit sans étoiles, gouffre d’obscurité par-delà l’univers créé, et dont la déconcertante tranquillité apparaîtrait dans une échancrure de l’étincelante sphère dont notre terre forme le noyau. »

La description du cyclone est un chef-d’œuvre du genre.
« Un faible éclair tremblota tout autour comme sur les parois d’une caverne, d’une chambre de la mer secrète et noire, au pavement d’écume et de flots.
Sa palpitation sinistre découvrit un instant la masse basse et déchiquetée des nuages, le profil allongé du Nan-Shan, et sur le pont, les sombres silhouettes des matelots à la tête baissée, surpris dans quelque élan, butés et comme pétrifiés. »

Dans l’entrepont, les « Célestes » s’entre-déchirent pour leur magot éparpillé par la tempête.

Falk : un souvenir
Histoire retorse d’un jeune capitaine aux prises avec le patron d’un remorqueur qui a le monopole de son activité. Une fois encore, la description de personnages souvent hauts en couleur fait l’essentiel du récit, sans qu’on puisse parler de psychologie (appliquée ou applicable). La novella se termine sur le compte rendu d’une affaire d’anthropophagie en mer.

Amy Foster
J’ai déjà commenté ce texte ICI. Le personnage de la jeune femme m’a aussi ramentu Un cœur simple, de Flaubert (il y a même une allusion à un perroquet). Au début du récit, le médecin qui raconte l’histoire au narrateur déclare notamment (et c’est fort conradien) :
« D’autres tragédies, moins scandaleuses, et d’une violence plus subtile, prennent naissance dans d’inconciliables différences et dans cette peur de l’incompréhensible qui est suspendue au-dessus de toutes nos têtes – au-dessus de toutes nos têtes… »

J’ai aussi été frappé du fait qu’Amy et Yanko, réciproquement tombés amoureux à leur rencontre, vivent heureux en ménage jusqu’à la naissance de leur enfant : il semble que le père, qui veut transmettre à son fils sa langue slave, déclenche la peur et le rejet chez sa mère, jusque-là pleine d’empathie pour tous les êtres vivants.

Pour demain
« Tous les états d’esprit, même la folie, trouvent un équilibre dans l’estime de soi. La laisser troubler rend malheureux ; et le capitaine Hagberd vivait dans un cadre de notions établies qu’il lui était intolérable de sentir ébranlées par les ricanements des gens. Oui, les ricanements des gens étaient terribles. »

Le capitaine Hagberd, ancien caboteur, s’est installé dans le village de Colebrook où on aurait vu son fils, dans l’attente du retour de ce dernier, qui comme tout est « pour demain ». Il porte un costume de toile à voile cousu par ses soins, « pour le moment », comme tout ce qu’il fait.
« Tout était ainsi remis et tout était également préparé pour le lendemain. »

Il a pour voisin Carvil, un vieux charpentier de navires devenu aveugle et irascible, avec sa fille Bessie, à qui il s’est promis de donner son fils.
Lorsque celui-ci est de passage, son père ne le reconnaît pas, et Bessie ne saura pas le retenir.

\Mots-clés : #merlacriviere #nouvelle
par Tristram
le Sam 20 Avr - 17:43
 
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Sujet: Joseph Conrad
Réponses: 95
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Joseph Conrad

Jeunesse, Cœur des ténèbres, Au bout du rouleau

Tag merlacriviere sur Des Choses à lire Quarto10

Jeunesse
Marlow (dont c’est la première apparition dans l’œuvre de Conrad) raconte à ses compagnons marins (dont le narrateur) son premier voyage de lieutenant de la marine marchande, à bord de la « “Judée, Londres, Marche ou meurs.” », « vieille baille » sur laquelle il embarqua avec l’enthousiasme de ses vingt ans à destination de Bangkok. Le rafiot, qu’il chérit, est en si mauvais état qu’il doit revenir trois fois en Angleterre, changeant autant de fois d’équipage. Après avoir failli couler tant il faisait eau, c’est la combustion de sa cargaison de charbon qui l’enverra par le fond. Récit épique et aussi plein d’humour, avec de frappantes descriptions qui en font un chef-d’œuvre des aventures maritimes.

Cœur des ténèbres
C’est encore Charlie Marlow (et l’auteur) qui parle(nt), sensiblement dans les mêmes conditions que le texte précédent – en fait un monologue, d’abord méditatif sur les ténèbres et la lumière sur la Tamise au cours du temps, puis la narration de son expérience de marin d’eau douce sur un autre fleuve, cette fois au cœur du continent africain. L’idée lui en est venue de sa fascination pour les blancs des cartes de géographie ; Conrad a rapporté dans Du goût des voyages ce même enthousiasme cartographique à l’origine de ses voyages.
Marlow décrit son embauche par « la Compagnie » à Paris, « la ville sépulcrale », dans une atmosphère de malaise assez sinistre et inquiétante (des secrétaires-Parques tricotent une « laine noire », mise en abyme de ce récit sur le destin).
L’absurde et l’irréalité s’additionnent à la situation pratique tandis qu’il se rapproche de son commandement, un vapeur coulé qu’il remet en état près d’un comptoir d’ivoire. Cette histoire est le lieu de considérations sur la colonisation et le progrès civilisateur (depuis la conquête de l’Angleterre par les Romains ; dans le prolongement d’Un avant-poste du progrès), qui sont pour le moins remis en question (versus la « nature sauvage »).
Marlow entend beaucoup parler de Mr. Kurtz, le chef de la station de l’intérieur, le meilleur agent de la Société, et pour le rencontrer remonte le fleuve (façon L’odyssée de l’African Queen de Cecil Scott Forester) avec un équipage de coupeurs de bois pour la chaudière (noirs) et les « pèlerins » (blancs) avec à leur tête le directeur, homme ambitieux, mesquin et désagréable. Marlow rencontre un jeune Russe, en admiration devant Kurtz comme la tribu qui les assaille d’abord. Apparaît aussi la « femme barbare et magnifique », la « Promise » de Kurtz. Celui-ci est malade, mais son éloquence convainc toujours.
« Quelle voix ! Quelle voix ! Elle conserva sa profonde sonorité jusqu’à la fin. Elle survivait à sa force pour continuer de dissimuler sous les draperies magnifiques de l’éloquence les arides ténèbres de son cœur. »

Angoissé par « l’horreur », l’homme a encore de vastes projets, il fascine toujours, avec une puissance obscure, avide et parfois violente, explorant la contrée, accumulant l’ivoire ; sa tête a le teint de ce dernier (cf. Marlon Brando dans Apocalypse Now, film de Coppola tiré de cette novella). Il a toujours de l’ascendant, même devenu une « ombre ».
« Il était d’une noirceur impénétrable. »

Et cette cargaison est emportée par le vapeur lors d’un retour au cours duquel Kurtz meurt. Marlow, « fiévreux », demeure fidèle à la mémoire de « l’homme remarquable » qu’il a si peu connu, et devient le dépositaire de ses papiers personnels (mais apparemment pas de ceux qui traitent de ses découvertes).
Une fois encore je suis incapable de définir la nature exacte du personnage, et du cauchemar ; il me semble maintenant que cette ambiguïté fut peut-être plus sciemment voulue par Conrad que je ne le pensais jusqu’alors. Ce qui ne fait qu’ajouter à la profondeur de ce questionnement métaphysique, existentiel.

Au bout du rouleau
Le capitaine Whalley, soixante-sept ans, ne court plus l’aventure, mais cabote en Extrême-Orient. Ruiné, il n’a plus de bateau, mais a mis l’argent qu’il lui restait dans le Sofala, vieux vapeur du chef mécanicien-armateur Massy dont il devint ainsi le capitaine. Massy déborde de ressentiment, le second, Sterne, de malveillance au service de son ambition. Un petit Malais, le serang (pilote), semble inséparable du capitaine.
Mr. Van Wyk, un Hollandais qui vit retiré dans sa plantation sur une île, a sympathisé avec Whalley, qui lui apporte son courrier tous les mois. Ce dernier lui avoue qu’il devient aveugle, et qu’il en est réduit à cacher sa cécité grandissante pour préserver ce qui lui restera d’argent au terme d’un contrat de trois ans, au profit de sa fille dans le besoin. Massy a compris la situation, mais Van Wyk le circonvient ; Massy naufrage le navire.
L’intérêt de cette novella (où les évènements sont parfois à la limite de la plausibilité) réside essentiellement dans la psychologie des personnages (elle aussi assez tortue), et surtout l’imposante figure qu’est cet intègre et pathétique capitaine Whalley.
« Il n’avait plus rien à lui ; même son propre passé d’honneur, de vérité, de juste fierté, avait disparu. Toute son existence sans tache s’était effondrée dans l’abîme ; il lui avait dit son dernier adieu. Mais ce qui appartenait à sa fille, cela il voulait le sauver. Rien qu’un peu d’argent. Il le lui porterait lui-même, ce dernier don d’un homme qui avait trop duré. Et une immense et farouche impulsion, la passion même de la paternité, déchaîna dans toute la vigueur inextinguible de sa misérable vie, le désir de voir son visage. »

Trois délectables relectures, telles que rassemblées par l’auteur et publiées dans le Quarto Gallimard.

\Mots-clés : #aventure #colonisation #culpabilité #merlacriviere #portrait #psychologique #voyage
par Tristram
le Ven 22 Mar - 11:45
 
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Sujet: Joseph Conrad
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David James Duncan

La Rivière Pourquoi

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Henning Hale-Orviston, illustre pêcheur à la mouche, est H2O pour son fils, Gus, le narrateur ; et Ma, sa mère, pêche à l’appât… L’intello et la péquenaude, voilà le socle de la famille, à laquelle il faut ajouter Bill Bob, le petit frère (qui s’intéresse à beaucoup de choses, mais absolument pas à la pêche). La première partie constitue une sorte de satire de cette institution de la pêche à la mouche aux États-Unis (cf. Brautigan et nombre d’autres auteurs), dans une verve humoristique qui rappelle John Irving (de même que l’attention aux enfants), et avec comme point d’orgue la guerre du Parfait Pêcheur à la ligne d’Izaak Walton, Bible paternelle (la raillerie de la religion est aussi fort marquée).
Dans la seconde partie, Gus part vivre seul sa monomanie (auprès de la rivière Tamanawis, qui fait un ?). Comblé en pêchant sans cesse, il ne vit cependant pas le rêve escompté, qui tourne au cauchemar quand il récupère un pêcheur noyé. Profondément déprimé, il remue des considérations métaphysiques, inspirées des « nourêves » (dont le « Monde Jardin ») de la cosmo-mythologie de son frère et des souvenirs d’un Indien respectueux de la nature, Thomas Bigeater ; il renonce à la pêche (où il a détruit des quantités de poissons) et décide de frayer avec ses semblables afin de se réconcilier avec le monde. Puis il rencontre une superbe pêcheuse, Eddy, qui disparaît. Titus, un philosophe, l’initie à la connaissance, en commençant par les mystiques et sages, surtout orientaux. Puis Gus vit de ses mouches montées, et y travaille avec Nick, qui porte sur la paume la cicatrice laissée par l’hameçon qui permit de le sortir de l’eau en mer nordique. Comme il a remonté le ruisseau mort de son enfance jusqu’à sa source cloaquale, Gus remonte la Tamanawis tel un Indien Tillamook lors de son initiation.
« Les troncs s’élevaient comme des piliers pour former tout en haut une mosaïque de vert, de noir et de ciel. Seule une lumière de vitrail filtrait. Au centre, il y avait un creux, entouré de fougères et d’arbres abattus. Au fond du creux, il y avait un large bassin rocheux étrangement tapissé de pierres de la taille de têtes humaines et aux cheveux de mousse. Et au milieu de ces pierres sourdait une paisible source d’où, coulait, inlassable, une eau ancienne et pure. »

« Je me suis remémoré les paroles des anciens Tillamooks : la source est partout. Je commençais à appréhender leur signification, peut-être pas à un degré très profond, mais au moins sur un plan météorologique et géographique, ce qui, somme toute, était suffisamment profond pour un cas désespéré de pêcheur affamé assis dans la forêt la pipe à la bouche. J’ai compris qu’une mecque n’avait de valeur que s’il s’agissait d’un endroit en soi plutôt que d’un endroit dans le monde. J’ai compris que cette mecque-source, ici, dans la maison d’épicéas, était à la Tamanawis ce qu’était pour moi mon lieu de naissance : un point de départ tangible et non une source ultime. J’ai compris que la vraie Tamanawis était la Tamanawis tout entière et que la source de cette rivière-là était la pluie, les nappes phréatiques, la rosée, la fonte des neiges, le brouillard, la brume, la pisse des animaux, les ruisselets anonymes, les marécages perdus, les sources souterraines, et la source de toutes ces sources était les nuages, et la source des nuages était la mer, si bien que la rivière qui coulait devant ma cabane prenait réellement sa source « partout », du moins partout où cette eau était passée, ce qui inclut tout l’espace et le temps de la terre… »

C’est le sens du mythe des filles aveugles de la mer et du soleil qui, dispersées par le vent, regagnent leur mère. Puis c’est le retour :
« Cette nuit-là, j’ai fait quelques découvertes. D’abord, j’ai découvert qu’outre le « deuxième souffle » bien connu, il en existe un troisième, un quatrième et un cinquième, chacun plus faible et plus bref que le précédent. Puis, alors que l’aube ne se lèverait pas avant des heures, j’ai découvert qu’il y a un dernier souffle essoufflé qui dure jusqu’au moment où tu t’écroules. Celui-là, tu le sens davantage dans le ventre que dans le cœur ou les poumons. Tu sais qu’il est là quand tu t’aperçois que des parties essentielles de ton être commencent à mâcher et à dévorer les parties moins essentielles. Tu marches en te digérant toi-même, désormais incapable de faire semblant de comprendre, d’aimer, de désirer ou de rechercher quoi que ce soit. Tu oublies tout ce qui a pu t’arriver et tu en viens à croire que rien d’autre n’arrivera que cette marche interminable dans la nuit détrempée. Tu cesses de réfléchir, de percevoir, de te donner du mal, d’effectuer le moindre geste conscient. Tu ne sens plus tes pieds et tu te laisses emporter par la route telle une feuille morte par le courant. »

« Si le corbeau continue vers la mer, il survolera bientôt le ? Il regardera en bas et verra les mêmes méandres que ceux que tu as vus, mais tu sais à présent que le corbeau n’y lira rien, ni question, ni mot, ni ordre, parce qu’il n’est nul besoin de mot ou de question, parce qu’il n’y a pas de désordre. Le corbeau verra le ? comme la rivière l’a écrit, une simple affirmation. La complexité de l’univers de la rivière depuis sa source jusqu’à l’océan, la vie et les vies que l’eau nourrit et contient, l’infinité de facettes qu’elle soude en une seule, tout cela ne doit pas être questionné, mais affirmé. Affirmé ainsi que cela a été créé, dans un langage si simple, si pur, si primordial qu’il échappe à notre examen et à notre compréhension, de même qu’à notre esprit et à notre langue. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il existe… et, grâce au corbeau, tu en as eu un aperçu. »

Eddy réapparaît – et le défie d’accompagner un saumon remontant le courant, à peine lié par un bas de ligne trop fin, dans une anabase taoïste et amoureuse.
Une approche originale, assez bizarre, mais Augustin, le pêcheur qui ne parle qu’à sa canne Rodney (fishing rod) ne m’a pas totalement convaincu.

\Mots-clés : #amérindiens #amour #initiatique #merlacriviere #nature #solitude
par Tristram
le Lun 27 Nov - 20:30
 
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Sujet: David James Duncan
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Jean Giono

Le Chant du monde

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Antonio, du fleuve (c’est un pêcheur qui vit sur l’île des geais), dit « bouche d’or », et Matelot, de la forêt (un ancien marin devenu bûcheron), partent à la recherche du besson, le dernier fils de ce dernier, parti dans le nord former un radeau de bois. Parvenus en pays Rebeillard, ils secourent une jeune aveugle, Clara « aux yeux de menthe », qui met au monde son fils seule dans la nuit, et la confient à « la mère de la route ». C’est le pays de Maudru, et ses bouviers traquent le besson.
Giono est toujours attentif à la nature.
« L’odeur des mousses se leva de son nid et élargit ses belles ailes d’anis. Une pie craqua en dormant comme une pomme de pin qu’on écrase. Une chouette de coton passa en silence, elle se posa dans le pin, elle alluma ses yeux. »

Ils cheminent vers Villevieille et ses tanneries, avec les malades d’une mystérieuse maladie (on pense à Le hussard sur le toit), et Médéric, le fils de la sœur de Maudru, que le « cheveu-rouge » (le besson) a blessé à mort. Ils retrouvent ce dernier chez monsieur Toussaint, le marchand d’almanachs (le guérisseur), qui est Jérôme, frère bossu de Junie, la femme de Matelot. Le dernier de deux jumeaux s'y est réfugié avec Gina, la fille de Maudru, qu’il a enlevée (et qui est déçue).
Médéric, donc Gina était la promise, meurt ; les Maudru les surveillent. Antonio rêve de Clara, Matelot de la mort qu’il voit comme un grand voilier blanc sur la montagne. Ce dernier meurt poignardé par les bouviers. Le besson et Antonio incendient Puberclaire, résidence de Maudru avec ses étables à taureaux.
Clara retrouvée par Antonio, les deux couples redescendent vers le sud pour y construire une nouvelle vie.
Le personnage du fleuve est sensible lorsqu’Antonio s’y baigne, et aussi lors de la débâcle printanière du renouveau de l’amour.
Ce roman est baigné d’une atmosphère légendaire, accentuée par certains vocables des lieux, et une faune fantastique, comme le congre d’eau douce et les houldres, mais aussi par des obscurités dans les dialogues et les péripéties.
« Il y avait une espèce d’oiseau qu’au pays Rebeillard on appelait les houldres. Ils étaient en jaquette couleur de fer avec une cravate d’or. »

C’est un univers apparemment symbolique, où j’ai reconnu des allusions mythologiques, mais sans qu’il semblât décryptable à la façon d’une parabole : c’est un fusionnement syncrétiste des humains avec les éléments et animaux et vice-versa, de l’homme-fleuve aux oiseaux qui parlent, tous participant d’une source de vie commune.

\Mots-clés : #amitié #amour #famille #jeunesse #merlacriviere #mort #nature #relationenfantparent #ruralité #violence
par Tristram
le Dim 19 Nov - 13:02
 
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Cecil Scott Forester

Aspirant de marine

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Premier volume du cycle Horatio Hornblower selon la chronologie du héros, et non la date de publication.
Horatio, âgé de dix-sept ans, embarque un temps sur le Justinian (juste le temps de montrer son courage de timide qui est bon en mathématiques et a le mal de mer), puis sur l’Indefatigable, une frégate qui donne la chasse aux navires français dans le golfe de Gascogne. L’action se situe peu après la Révolution française : l’Angleterre est en guerre avec la France. Assez vite aussi, il quitte la frégate pour prendre le commandement de l’équipage de prise de la Marie-Galante, brick français qui coule peu après. Ayant quitté le bord sur le canot, ils sont pris par le Pique, un corsaire français, auquel Horatio met le feu comme apparaît l’Indefatigable, qu’il regagne. Il participe activement à la prise du Papillon, corvette mouillée dans l’estuaire de la Gironde. Ils passent à l’abordage d’un autre navire français, tandis qu’Horatio sert un pierrier sur la hune du mat d’artimon, qui est fauché par des boulets. À bord de la Sophia, au départ de Plymouth, il est interprète dans le convoi d’une armée française royaliste partant en expédition en Bretagne, dont la tentative échoue. Dans une escarmouche avec des galères espagnoles (l’Espagne s’est ralliée aux Républicains français), Horatio en capture une en l’assaillant avec le canot qu’il commande. Puis il parvient à échouer un brûlot espagnol qui menaçait la rade de Gibraltar. Ensuite, il ramène d’Oran surprise par la peste une cargaison d’orge et de cheptel sur le brick-transport la Caroline, afin de ravitailler la flotte rationnée à cause du blocus européen – non sans capturer un lougre, garde-côte espagnol. Il ramène à Gibraltar le Rêve, un sloop capturé, dont il doit assurer le commandement pour le ramener en Angleterre – avec la duchesse de Wharfedale ; celle-ci est en fait une actrice, mais lui est fait prisonnier des Espagnols – et promu lieutenant pendant sa captivité (il a dix-huit ans) ; plus fort, il sauve des marins espagnols, ce qui lui vaudra sa libération. Ces dernières péripéties constituent le point d’orgue de ce palpitant roman d’aventures.
Succession rapide d’épisodes d’action, qui n’empêche pas un aperçu de la vie sur les bâtiments de ligne au XVIIIe siècle (avec le vocabulaire de la marine à voile). Le personnage d’Horatio est attachant, jeune homme s’efforçant sans cesse de se maîtriser et d’apprendre en respectant ses propres valeurs de courage et de rigueur.
« Il était de ce type d’homme qui eût continué à observer et à s’instruire sur son lit de mort. »


\Mots-clés : #aventure #guerre #historique #merlacriviere
par Tristram
le Mar 3 Oct - 12:28
 
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Thomas McGuane

Le long silence– Une vie à la pêche

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Recueil de textes autobiographiques, portant essentiellement sur la pêche (et la nature), souvent en solitaire. Truite à la mouche dans le Montana, mais aussi « permit » sur les flats des Keys de Floride, et encore à l’étranger. Il y a également de la technique (montage des mouches, etc.) et des aperçus plus ou moins critiques sur certains pêcheurs.
« C’est ce genre d’exaltation que l’on cherche à la pêche. Regarder la rivière défiler, les insectes atterrir et éclore, les endroits où sont postées les truites, et imprimer un mouvement souple et ferme à la soie fuselée jusqu’à ce que, si la combinaison est bonne, elle se tende et que ses tressaillements soient insufflés par l’autre extrémité, celle qui est dans l’eau. Cette phase se poursuit pendant un temps dicté par la taille de la truite et le talent du pêcheur. Quand l’initiative change de main, la truite se retrouve vite dans l’épuisette, complètement déboussolée jusqu’à ce que vous la relâchiez. Puis vous la voyez partir, chercher un poste, et réfléchir. »

« Au cours de mes randonnées, je surprends souvent des hardes de cerfs mulets en train de se nourrir, comme si j’étais un formidable traqueur, mais les cerfs sont en fait si proches de leurs limites physiques à ce croisement entre hiver et printemps qu’ils ne sont pas très alertes. Quand l’ombre d’un busard Saint-Martin tremble parmi eux, ils ne bondissent pas comme ils le feraient plus tard dans la saison, et les oreilles de certains d’entre eux s’affaissent telles celles d’un veau malade. Quand ils prennent la fuite, le mouvement chaloupé de leurs pattes synchronisées n’envoie pas dans leur corps la même décharge de puissance qu’à un autre moment de l’année. »

« Toutes les informations sur le monde n’ont pas produit le sentiment d’appartenir à un village global ; elles n’ont fait qu’exacerber celui d’isolement. »

« Il n’empêche, il [Roderick Haig-Brown] trouva des signes d’immortalité dans la pêche et le long des rivières où des instincts humains ancestraux rencontrent la nature au paroxysme du cyclique et du mystérieux, où le comportement humain fait si clairement partie de la nature, où notre détachement, même de la brièveté de nos propres vies, est réconfortant. »


\Mots-clés : #autobiographie #merlacriviere
par Tristram
le Dim 1 Oct - 11:41
 
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Cecil Scott Forester

L’odyssée de l’African Queen

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En pleine Afrique Centrale Allemande, pendant la Première Guerre mondiale, le Révérent Samuel Sayer meurt dans sa mission vidée de ses âmes par von Hanneken, qui organise la résistance de son armée. Sa jeune sœur, Rose, fuit avec le Cockney Allnut, mécanicien de la vieille chaloupe à vapeur African Queen sur la rivière Ulanga. Celle-ci se jette via des rapides infranchissables dans le Lac tenu par la canonnière Königin Luise, qui protège ainsi la région contre toute intervention venue du Congo belge. Fervente Britannique, Rosa décide de combattre les Allemands en attaquant ce bateau, le leur transportant une cargaison d’explosifs, et pour cela exerce son pouvoir tout neuf sur Allnut, peu enclin à se battre, et affronter les rapides.
« Rose était réellement vivante pour la première fois de son existence. Son esprit n’en avait pas conscience, bien que son corps le lui répétât quand elle prenait la peine de l’écouter. »

« Un homme doué de plus de volonté qu’Allnut, ou de plus d’intelligence, aurait pu sortit vainqueur de ce duel avec Rose. »

Rosa s’émancipe de l’influence de son frère, de son éducation. Elle tient la barre, et Allnut s’affaire pour servir la chaudière ; chargée de vivres et utilisant comme carburant le bois récolté en chemin, l’embarcation, comme le couple à bord, se trouve pratiquement autonome. Ils passent sans encombre le poste de Shona, et s’engouffrent dans les rapides. Dans cette expérience de vie intense, ils deviennent amants. Suite à des avaries, ils doivent redresser l’arbre de couche et remplacer une pale de l’hélice. Ils parviennent à la Bora, nom de l’Ulanga après la rupture du Rift, devenu une zone plane où ils progressent difficultueusement à travers roseaux et papyrus, puis nénuphars. La description de la rivière qui change, avec ses dangers, a retenu mon attention, tandis que le sens de l’eau s’affûte chez Rose.
« Ils continuèrent à longer la bordure de roseaux. Et Rose, dont l’œil s’était exercé pendant de longs jours à observer la surface liquide, y perçu un changement d’aspect. Bien que celle-ci fût toujours aussi noire, elle n’était plus tout à fait la même. C’était une eau morte, comme solide, aux reflets de laque. De longues ondulations la parcouraient, indiquant quelques remous infiniment lents dans ses profondeurs. Sa surface était encombrée de beaucoup plus de détritus que d’habitude. En fait, tout semblait indiquer, contre toutes les lois de la nature, qu’ils avaient atteint une ultime impasse de la rivière. »

Ils sont bloqués un temps dans une sorte de lagune stagnante derrière le delta, avant d’atteindre le dédale d’une mangrove marécageuse, où ils souffrent de la malaria. Puis ils débouchent enfin sur le lac où ils escomptent torpiller le navire de l’ennemi qu’ils abhorrent.
J’ai bien sûr eu en mémoire le célèbre film de John Huston avec Katharine Hepburn et Humphrey Bogart, qui suit assez fidèlement les péripéties du roman (à part la fin).

\Mots-clés : #aventure #merlacriviere #voyage
par Tristram
le Sam 29 Juil - 12:55
 
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Taylor Brown

Le fleuve des rois

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Un an après le décès de leur père, vétéran du Vietnam et pêcheur de crevettes qui aurait été tué par le saut d’un esturgeon, ses deux fils Lawton et Hunter descendent en cinq jours de kayak l’Altamaha River pour disperser ses cendres dans l’estuaire, où se situe la ville de Darien, fondée au XVIIIe par les Écossais. Lawton, l’aîné, un commando de marine, décide d’enquêter sur la mort de leur père.
En parallèle de ce périple est rapporté ceux de Jacques Le Moyne de Morgues, illustrateur et cartographe luthérien du XVIe (des gravures tirées de son œuvre sont insérées dans le livre) et de l’interprète La Caille dans les expéditions de Laudonnière, qui fonde Fort Caroline en Nouvelle-France. Les Français sont « en porte-à-faux avec deux tribus en guerre », commandées par les chefs Saturiwa et Utina ; ils sont aussi en conflit avec les Espagnols (catholiques), et souffrent de la faim en attendant le ravitaillement devant venir d’Europe ; des désertions et une mutinerie les affaiblissent encore : ils rêvent de l’or des Appalaches, et de celui obtenu par les pirates dans les îles Caraïbes.
« Fais attention, Le Moyne. Un jour, tes dessins seront peut-être la seule chose qui restera de nous. Après tout, le Christ Lui-même continue à vivre dans un livre. »

Hiram Loggins, dont les tatouages le brûlent en cas de danger, récupère avec son chalutier les « mérous carrés », colis de marijuana colombienne, jusqu’à ce que son bateau soit saisi. Il se réfugie sur le fleuve, et a une liaison charnelle avec Annabelle Mackintosh, descendante des premiers immigrants écossais. Il s’avère que c’est le père de Lawton et Hunter ; et on le suit, perdant son nouveau chalutier dans un ouragan, et pensant trouver enfin un retour de fortune.
Le fleuve géorgien, resté sauvage, constitue le thème central des trois récits entrecroisés, d’autant qu’il serait le refuge d’un cryptide, l’Altamaha-ha, une sorte de dragon, grand serpent d’eau ou dinosaure déjà aperçu par les Indiens et Le Moyne. Un vieil homme illuminé, le révérend Uncle King, guette ce monstre avec un harpon. Il s’avèrera qu’il était ami d’enfance et frère de sang de Hiram.
Ce qui m’a retenu, c’est l’étonnante nature marécageuse, avec ses tupélos, gommiers et surtout les cyprès chauves, parfois multicentenaires, dont les pneumatophores émergent autour de la base du tronc comme des genoux ou des stalagmites, mais aussi ses poissons-chats, têtes-plates, brochets-crocodiles ou alligators et ses esturgeons, encore les bûcherons, radeliers et maisons flottantes du passé récent.
Mais je n’ai pas trop apprécié le ton du récit, un peu maladroit, didactique et compassé (aussi sensationnel thriller), à moins que ce ne soit dû à la traduction (qui n’évite pas mains « caleuses » pour calleuses et « chevrotine » pour grenaille).

\Mots-clés : #amérindiens #historique #merlacriviere #nature #violence
par Tristram
le Mer 3 Mai - 11:19
 
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Sujet: Taylor Brown
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Jean-Paul Kauffmann

Remonter la Marne

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Voyage pédestre solitaire, d’abord dans la région parisienne au départ de Charenton, puis en suivant le chemin de halage.
Outre celles à l’Histoire (et tout particulièrement les guerres), les évocations littéraires sont fréquentes, notamment de Francis Ponge, et Bachelard.
« Bossuet fait preuve d’une efficacité sans égale, mais il aimait aussi bousculer les mots. Le bousculé, c’est peut-être cela, l’idéal. Une certaine imperfection, en tout cas de négligé – pas de négligence – que Jacques Rivière a parfaitement défini : « Je ne sais quoi de dédaigneux de ses aises, d’à moitié campé, de précaire et de profond, l’incommodité des situations extrêmes. Un esprit toujours en avant et au danger. » Un modèle comme Saint-Simon commet lui aussi nombre d’incorrections et n’hésite pas à malmener la langue. Ce côté risqué, inconfortable, est ce qui convient le mieux au français. Quelque chose d’expéditif, de dégagé dans la tenue. Une forme de desserrement, venu sans peine. Pour moi, le comble de l’élégance. La grâce. Cependant, il ne faut pas que cela se voie. »

« Dans cette progression, l’imprévu se voit de loin. Une barque, un promeneur, une chapelle, on a le temps de s’y habituer. La marche annonce longtemps à l’avance le moindre changement. La vie du promeneur fluvial ne connaît pas de hauts ni de bas, elle suit la platitude moelleuse et l’uniformité du cours d’eau, sa pondération un peu ennuyeuse. Ce dispositif assure le pilotage automatique du marcheur. Le long de la berge, pas besoin de réfléchir, il suffit d’accompagner le flux. Pas de carte à consulter, pas d’inscriptions à déchiffrer, casse-tête de la randonnée. Cette déambulation quasi somnambulique est reposante, elle permet de s’absorber spacieusement dans ses pensées sans perdre de vue la rivière.
L’eau exhale un parfum de feuilles mortes, d’infusion à froid, cette empreinte entêtante d’eau verte et terreuse, bouffées mouillées que ramène inlassablement le vent dans mes narines. Cette haleine de liquide bourbeux rappelle la canalisation d’eau suintante, une sensation de rouillé, de renfermé, paradoxalement rafraîchissante. Si c’était un son, ce serait une basse continue. Sentiment de bien-être légèrement litanique, perception de déjà-senti. Dans ce déroulé monotone, l’olfaction est le sens le plus sollicité. »

Les impressions olfactives sont effectivement prépondérantes dans tout le récit.
Un temps, Kauffmann chemine avec son ami Milan (en qui il faut vraisemblablement reconnaître le photographe Gérard Rondeau, auteur de La Grande Rivière Marne), en Champagne (champagne et jansénisme).
« La voiture, qui permet d’accéder promptement au cœur d’un village, ne met en mouvement que le cerveau ; manqueront toujours le toucher, le contact physique, cette friction de la plante des pieds et du talon avec le sol, sans lesquels l’expérience de la vie immédiate est incomplète. Les orteils palpant la surface de la croûte terrestre nous renseignent mieux que la tête sur la consistance des choses.
Le sac à dos modifie le regard d’autrui. Autrefois, le chemineau était perçu comme un vagabond. Aujourd’hui, le randonneur est considéré comme appartenant à une espèce à part, impossible à classer. Il cache une autre vie. Que fait-il quand il ne marche pas ? Il n’est pas socialement identifiable. L’anorak, le bâton, l’équipement, qui tiennent lieu d’uniforme, font l’effet d’un camouflage. »

Kauffmann tourne autour de la notion de décadence, qu’il réfute ; il préfère celle de changement d’époque dans « l’angoisse générale » de la mondialisation et de déclin rural, tout en étant accablé de cette désolation, à laquelle résistent quelques « conjurateurs ».
« Chaque époque a la vanité de croire que ses interrogations sont absolument inédites et capitales. Ainsi, nous pensons actuellement que nous avons atteint un point de non-retour. Rien ne sera plus comme avant, nous assistons à des bouleversements comparables, paraît-il, à l’imprimerie, à la révolution copernicienne, alors que tout est conforme, rétréci, joué. Cette fin est consommée depuis longtemps. Il n’y a pas de quoi en faire un drame. Ce n’est ni un dépérissement ni une décadence, encore moins une agonie ou un épuisement. Simplement un accomplissement. Une saison se termine, une autre commence. »

« Plus que les signes de déliquescence dont on nous rebat les oreilles – Braudel, en 1981, s’élevait déjà contre le concept de décadence –, c’est l’état de vacance, un abandon mal camouflé, un renoncement qui se manifestent ce soir dans ce restaurant. »

Kauffmann s’intéresse d’ailleurs beaucoup au vocabulaire, usant de « patapharesque » et s’attardant sur un terme comme « rambleur » (lueur nocturne reflétant dans le ciel un incendie ou l'éclairage d'une ville ; Kauffmann semble en avoir une définition légèrement différente)…
Et bien sûr la rivière, ses méandres, ses noues, surtout observée lors d’une descente, embarqué avec le Maître des Eaux, de la Compagnie des rivières et des surfaces fluviatiles.
« Avant Cloyes, arrêt près de l’entrée d’une noue, monde mystérieux aux eaux calmes contrastant avec le bras vif sur lequel nous descendons à toute allure. Fraîcheur, troncs tordus, végétation luxuriante, vol d’insectes. Royaume du silence, mais cette intimité grouille d’une vie qui rumine, nichée dans les souches et les arbres morts, enfouie dans la vase et l’eau dormante. Des plantes rares comme l’utriculaire, fleur carnivore, se sont acclimatées à ce milieu.
Percées du soleil dans la caverne végétale, jeux de lumière sur l’eau immobile et épaisse, projection crue, acérée comme une perforation. Les taches étincelantes au contour net deviennent blanches par opposition au noir de la galerie et de l’eau. Odeur intense de champignonnière, règne du spongieux et du croupi. La décomposition embaume violemment. Un parfum sombre de souterrain, d’humus trempé. »


\Mots-clés : #historique #merlacriviere #mondialisation #nature #ruralité #voyage
par Tristram
le Ven 28 Avr - 12:55
 
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Herman Melville

Vareuse-blanche

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« Ma vareuse n’était pas plus imperméable qu’une éponge. Sans mentir, je l’avais capitonnée avec tant d’insouciance qu’au cours d’un grain j’absorbais l’eau comme un buvard, asséchant jusqu’à l’os les bastingages sur lesquels je m’appuyais. Lorsque le temps était à l’humidité, mes compagnons sans cœur avaient même pris l’habitude de venir se frotter contre moi, tant ma veste de malheur exerçait une attraction capillaire sur les moindres gouttelettes. Je ruisselais comme une dinde à la broche, et bien longtemps encore après une forte pluie, alors que le soleil avait reparu, je continuais à avancer à travers un brouillard d’Écosse. Ainsi, lorsqu’il faisait beau pour les autres, le mauvais temps, hélas, persistait pour moi. »

Melville rend compte avec humour de la vie à bord d'un navire de guerre (le sous-titre) dans un témoignage présenté comme personnel, et sa fameuse vareuse revient épisodiquement. Mais il n’y a guère d’intrigue en dehors des anecdotes, ou dans des scènes ahurissantes, comme celle de l’amputation d’un marin par le vieux chirurgien du bord. Le thème de la guerre-boucherie est aussi récurrent.
« La façon précipitée, inconsidérée, imprudente, insouciante et désinvolte avec laquelle les marins et les soldats combattent de nos jours attriste tout homme bien né, d’un certain âge, doué d’un esprit sérieux et méthodique, surtout s’il a la tête bien faite d’un comptable. Ni l’adresse, ou si peu, ni la bravoure n’entrent en ligne de compte. Deux troupes, armées de plomb et de ferraille, s’enrobent dans un nuage de fumée et lancent ledit plomb et ladite ferraille au hasard, dans toutes les directions. Si vous vous trouvez en face, vous pouvez être blessé, et même tué ; sinon, vous êtes sauf. Pendant un combat naval, si, par chance ou malchance, selon le cas, une salve tirée à l’aveuglette à travers la fumée réussit à jeter par-dessus bord votre mât de misaine, et qu’un autre coup emporte le gouvernail, vous voilà paralysé, presque à la merci de votre adversaire qui, en conséquence, se déclare vainqueur, bien que cet honneur revienne entièrement à la loi de la gravitation qui agit sur les boulets de l’ennemi malgré la fumée. Au lieu de projeter à la ronde ce vieux plomb et toute cette ferraille, il vaudrait beaucoup mieux, par conséquent, s’entendre pour lancer en l’air une pièce de monnaie et tirer le vainqueur à pile ou face. »

Le cap Horn :
« Avant que les « gourdins » aient pu être démarrés des cabillots, la tornade s’est engouffrée jusqu’au fond des points de drisse. Les mâts plient comme des saules, les voiles ne sont plus que des rubans et les cordages de vulgaires brins de laine ; le ferment de la tempête brasse dans son bouillonnement le navire tout entier. »

Le froid :
« Lorsque nous recevions l’ordre de brasser les vergues – ce qui exigeait l’effectif de toute la bordée, soit environ deux cents hommes –, un spectateur aurait pu croire que l’ensemble de l’équipage venait d’être frappé de paralysie. Tirés de leur sommeil enchanté, les hommes avançaient en trébuchant et en boitillant le long des ponts, tombant les uns sur les autres, et, pendant quelques instants, ils étaient presque dans l’impossibilité de manier les manœuvres. Le moindre effort paraissait intolérable ; et il arrivait fréquemment qu’une troupe d’une centaine d’hommes, à qui l’on avait commandé d’orienter la grand-vergue, demeurât penchée au-dessus du filin durant plusieurs minutes, jusqu’à ce qu’un gaillard alerte vînt le ramasser et le placer dans leurs mains. Et même alors, il se passait encore un certain temps avant qu’ils fussent capables d’une action quelconque. Ils faisaient tous les mouvements habituels pour lever un cordage, mais il fallait attendre un bon moment avant que l’on voie la vergue bouger d’un pouce. »

Melville présente nombre de suggestions revendicatives sur les conditions de vie à bord, et qui plus est de révolte contre toute forme de tyrannie.
« Vous est-il permis de battre de verges un citoyen romain ? demande l’apôtre intrépide, qui savait bien, en tant que citoyen romain, que ce ne l’était pas. Et maintenant, dix-huit cents ans plus tard, vous est-il permis, ô mes concitoyens, de fouetter un homme qui est un Américain ? De lui faire faire le tour du monde en le fouettant à bord de vos frégates ?
Il est inutile que vous vous excusiez en mettant en avant la dépravation générale des marins. La dépravation de l’opprimé n’est pas une excuse pour celui qui opprime ; mais elle est plutôt une honte supplémentaire pour lui, car la mauvaise conduite est, dans une large mesure, un effet, plutôt que la cause et la justification de l’oppression. »

« Par ce règlement, le capitaine devient législateur, en même temps que juge et agent d’exécution. Il peut, à sa guise, décider des actes qui seront considérés comme des délits, ainsi que du choix de la punition ; de l’innocence ou de la culpabilité de l’accusé au regard de délits que lui seul aura déclarés tels, et enfin du mode, du temps et du lieu d’exécution. »

« En tant que marin, il n’a droit à aucune de nos immunités civiles ; la loi faite pour notre sol ne s’applique plus aux arbres qui y ont poussé et dont on a fait des coques de navire, et que cet homme considère comme sa patrie. Pour lui, notre Révolution fut vaine ; pour lui, notre Déclaration d’indépendance est un mensonge. »

Comme souvent dans les collectifs qui concentrent des individus (équipages militaires notamment), une certaine psychologie appliquée est à l’œuvre.
« En face du danger, l’obéissance s’oriente vers celui qui est le mieux adapté au commandement, exactement comme l’aiguille subit l’attraction de l’aimant. »

L’alcool :
« Emmuré comme il l’est, servant trois dures années dans une sorte de Newgate marin, d’où il lui est impossible de s’évader par les toits ou en creusant un tunnel, ce matelot va trop souvent chercher dans la bouteille un remède à l’insupportable ennui [en français dans le texte] de n’avoir rien à faire et de ne savoir où aller. Sa ration officielle normale, qui est d’un canon per diem, ne suffit pas à fouetter ses sens engourdis ; il affirme que son grog est honteusement « baptisé » ; il repousse avec mépris cette « tisane d’enfant de chœur » ; il a un grand besoin de « rafraîchir son câble », et de « mouiller ses voiles » ; et s’ils pouvaient se procurer de l’opium, j’en connais beaucoup qui se laisseraient couler à mille brasses de profondeur dans les lourdes fumées de cette drogue de l’oubli. Si vous le prévenez que le delirium tremens et la mania a potu guettent les ivrognes, il vous répondra : « Eh bien, laissez-les donc venir sur moi vent arrière ! Tout ce qui a une saveur de vie vaut mieux que de sentir son nez toucher le bord de la grande tasse. » Il est insouciant comme une avalanche ; et bien qu’il en entraîne d’autres dans sa chute, il préfère courir à sa perte plutôt que de se laisser glacer jusqu’à la moelle dans ces solitudes insupportables. Il ne faut donc pas s’étonner s’il prend tous les risques pour se procurer l’objet de son désir ; ni s’il paye les prix les plus exorbitants, enfreint toutes les lois et brave jusqu’au fouet ignominieux plutôt que d’être privé de son stimulant. »

Melville se livre ensuite à un long réquisitoire contre la guerre (et d’autres injustices comme la presse – enrôlement forcé des matelots). Le livre vaut aussi pour les savoureux lexique et parler marins, et pour les personnages comme Erse-en-bitord, Jack l’Enragé, ou Jack Chase, le chef des gabiers de hune qui cite Camoëns…
« En plus de ce voile noir qui m’aveuglait, j’entendais dans ma tête un bourdonnement plus étrange encore, comme celui d’un frelon ; et je pensais confusément : « Grand Dieu, c’est la mort ! » Pourtant ces réflexions étaient dépourvues de crainte. Comme luisent et chatoient timidement au soleil les délicates broderies que dessine le givre, toutes mes émotions, formant une tresse variée, se figeaient et se prenaient en glace.
Ma chute parut se prolonger si longuement que, aujourd’hui encore, j’ai le souvenir de m’être demandé combien de temps celle-ci durerait avant que tout fût fini et que le choc se produisît. Le temps semblait s’être arrêté, et les mondes suspendus en équilibre sur leur axe, tandis que je tombais, l’âme sereine, à travers les tourbillons et les remous d’un maelström aérien. »

« J’aime les lointains indéfinis, les horizons infinis – un arrière-plan mystérieux, immense, qui s’abaisse et se soulève comme une respiration ! »


\Mots-clés : #merlacriviere #social
par Tristram
le Mar 25 Avr - 17:02
 
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Henri Bosco

Le Récif

Tag merlacriviere sur Des Choses à lire Le_rzo12

Le petit-fils de Didier-Markos de Moneval-Yssel, qui a hérité de sa demeure « aux confins de Camargue », publie le cahier où son aïeul raconte son aventure dans l’île grecque de Paros. Selon l’arrangement de son ami Manoulakis, il réside chez les Kariatidès, face au Récif. Une chapelle dédiée à Saint-Élie s’y élève, objet d’une malédiction qu’on attend de Markos de l’élucider en y rallumant les trois lampes ancestrales.
Nuit et mer, leurs profondeurs ; aussi les étoiles, et les phosphorescences sous-marines. Attente, songes, ombres inquiétantes, mystère ésotérique de la Bête, d’un demi-dieu « inavouable » de l’Antiquité en sommeil. Énigmatique coexistence des fois chrétienne et païenne.
Dans le prolongement des précédentes œuvres de Bosco :
« Office singulier qui me rappelait cette bizarre liturgie familiale célébrée jadis par les Balesta, mes parents, pour apaiser l’Anonyme Puissance qui exerçait pour eux et malgré eux une aveugle et cruelle justice contre les moindres ennemis de leur Maison, même s’ils avaient été pardonnés. On l’appelait le « don ». »

Un fantôme/ créature sort de la mer pour lui parler.
« "Gardez le silence !…" Sur quoi ?…
Je n’ai pas obéi.
Les vivants parlent. Je suis sorti vivant de ce drame, et je parle. »

Mais il ne garde aucun souvenir de sa descente aux abîmes, dans ses songes et les sortilèges, et c’est Manoulakis qui racontera son retour.
« Car, sous le mouvement des illusions qui s’élèvent des songes, ces songes que vous aviez faits, vos paroles nous envoûtaient, comme vous aviez été envoûté vous-même par ces dieux qui voulaient remonter sur la terre parce qu’ils étaient encore à demi vivants, mais qui peut-être, depuis lors ont fini par mourir au fond des mers. Et vous seul pouviez les sauver. Ils vous l’ont dit. »

Puis son descendant, Jérôme, part à Paros enquêter sur la noyade de son aïeul, et témoigne.
« Mettez-vous bien dans l’esprit cependant, qu’on ne trouve la sûreté, qu’on n’arrive au salut qu’au-dessus des abîmes. Notre vie, la vraie vie de l’homme — se vit en tragédie. Nous n’y sommes pour rien, nous avons une âme. Il suffit de savoir prier. »

Étrange famille Kariatidès, notamment « le petit Dïakos et l’étrange Eudoxie », de même la branche Mavromichalis sur Naxos : personnages de tragédie grecque !
Ressouvenir du même thème traité par Jean Ray dans Malpertuis, par Lovecraft dans une large partie de son œuvre, et incidemment évoqué par Giono.
Aussi appris ce que sont les claparèdes : de l'occitan clapareda, plaine caillouteuse, dérivé de clap/clapa (masculin et féminin) désignant l'éclat de roche, le caillou, le bloc rocheux. Il s'agit de terrains pierreux, difficiles à travailler, très souvent arides (Wikipédia).

\Mots-clés : #fantastique #initiatique #merlacriviere
par Tristram
le Dim 18 Déc - 11:46
 
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Jean-Pierre Abraham

Armen

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Le narrateur/auteur note ses impressions tandis qu’il patiente, gardien du phare d’Ar-Men, « la pierre », à l’extrémité occidentale de la chaussée de Sein, au sud de la mer d’Iroise.
Croisant le collègue de vacation au gré des quarts, il semble être au bord de la folie, de la peur, ainsi assailli par la mer, qu’à force on ne peut plus regarder.
« Il y a quelqu’un en moi qui ne doit pas sortir vivant d’ici. »

Dans cette longue veille attentive, apprentissage de la patience, il dénote un grand soin de la lumière : la lanterne bien sûr, mais aussi sa lampe à pétrole, les perles de Vermeer, les reflets, les cuivres qu’il astique.
« Alors les personnages semblaient secréter leur propre lumière. Femmes-lampes exactement, qui brillaient un peu plus dans les passages du vent. »

« Veiller à la lueur vacillante d’une bougie, ce serait moins dur. C’est la fixité de la flamme, dans ma lampe, qui m’étreint, qui fait naître, familier désormais, inépuisable, ce halètement. »

Cette rude existence monacale est surtout consacrée à l’entretien du phare.
« Le pain moisit vite, cette dizaine. »

« Plus jamais il ne serait possible de revenir à une existence normale. »

Il lui faut se défier des souvenirs (il a vingt-six ans, donc l’enfance, sa vie de marin également) ; il est aussi en compagnie des poèmes de Reverdy.
« Je voudrais être un bon outil, savoir attendre, savoir préparer… »

Son affaire, c’est encore de s’efforcer à écrire.
« Il y a des mots qui se mettent à flamber dans la nuit. Au matin souvent je les retrouve en cendres. Quels mots faut-il inventer, qui flambent à chaque fois qu’on les regarde ? »

« Et cependant je crois qu’au bout de la monotonie chaque instant doit retrouver sa fraîcheur, révéler à nouveau son pouvoir d’immense surprise. »

Voilà un beau livre, variante fort différente de Le phare, voyage immobile, de Rumiz.

\Mots-clés : #autobiographie #lieu #merlacriviere
par Tristram
le Ven 26 Aoû - 12:59
 
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Sujet: Jean-Pierre Abraham
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Valerio Varesi

La Maison du commandant

Tag merlacriviere sur Des Choses à lire La_mai14

De nouveau la brume, celle du Pô, à Sacca, petit port à la hauteur de Parme, plus généralement dans la bassa, écosystème ici aussi, ici encore, mis à mal par l’activité humaine incontrôlée, pollutions diverses, extraction du sable, et ces pêcheurs des pays de l’Est qui ratissent ce qu’il reste de poisson.
« La bassa est un territoire d’eau. »

« Ils sont comme la peste : ils salissent, ils bivouaquent, ils réduisent les berges en bouillie, et en plus, ils sont arrogants. Ils pillent le peu qui reste au fond du fleuve. Ils prennent de tout avec leurs chaluts : des silures évidemment, mais aussi des carpes, des ablettes, des poissons-chats, des brochets… Ils ne laissent rien. Personne ne les emmerde. Aucun carabinier, alors qu’ils n’ont même pas un semblant de permis. »

On retrouve l’inspecteur Soneri, avec entr’autres « l’ami », Nocio, Nanetti le chef de la Scientifique, le vieux Lumén avec son Ukrainienne muette, et cette aventure renoue avec l’atmosphère du premier livre de la série, Le Fleuve des brumes − et bien sûr grana, culaccia et anolini au bouillon… et la sempiternelle rivalité d’extrême droite et gauche, fascistes et communistes, qui remonte à la guerre.
« Sans doute était-ce en de pareils moments que naissaient les histoires du Pô, quand le brouillard exalte l’imagination. Parce qu’il faut bien rêver lorsque l’on n’y voit rien. »

« La réalité changeait en permanence, il ne servait à rien d’essayer de l’expliquer à ceux qui ne la connaissaient pas. »

« Était-ce pour cette raison qu’il aimait le brouillard ? La nébulosité, la surprise d’un chemin, le dévoilement inattendu et l’intériorité comme unique horizon rappelaient les trajectoires de vie d’où surgissaient sans cesse de nouvelles perspectives. »

« Certaines générations grandissent dans l’espoir, d’autres, dans la désillusion. Les changements balancent toujours entre les deux. Vous, par exemple, vous avez grandi dans l’espoir. Ceux d’aujourd’hui ont perdu toutes leurs illusions. La destruction est porteuse d’espoir, et la désillusion nous rend conservateurs. Vous et vos contemporains aviez envie d’abattre tout ce que vos pères avaient construit, mais les jeunes d’aujourd’hui n’ont pas de père. Ils ne connaissent pas l’autorité, ils ne peuvent pas la contester. Ils n’ont aucun repère, ils cherchent désespérément quelqu’un qui leur ressemble. Voilà pourquoi ils rêvent d’un chef de meute, du discours unique. »

« Ici, la terre n’appartient pas aux hommes, elle appartient au fleuve. »

« La bassa est une terre de visions et de monstres [… »

« Vous n’imaginez pas tout ce qu’on trouve sur les arbres, après une crue. Il faut venir sous les peupliers pour s’en rendre compte : culottes, soutanes, casquettes, pots de chambre, enseignes, tables de nuit, des jouets, des vélos, des poêles à bois… Comme si le Pô se faufilait dans les maisons des gens pour voler tout ce qu’il peut… »

« Je voudrais retenir le passé, et fuir la nostalgie qui pue toujours la mort. »

« C’est une erreur de penser que la peur, la colère ou l’envie, les passions, sont le mal absolu. Le vrai mal, c’est la raison. Rien n’est plus inhumain que de l’appliquer à notre monde au service d’un objectif. Car malgré nous, le monde continue de pourrir en suivant de sombres instincts. Il vaut mieux le laisser aller comme on le fait avec le fleuve, chercher à contenir sa fureur, le seconder plutôt que d’en dévier le cours… »

« Rien ne l’agaçait davantage que le dogmatisme. La chose la plus stupide qu’on pût imaginer dans le bouillonnement chaotique de l’existence. »

Je suis au moins d’accord avec Varesi, outre sur le goût des fleuves et des brumes, avec l’exécration de ce qui peut être résumé par l’adage "la fin justifie les moyens".

\Mots-clés : #lieu #merlacriviere #polar
par Tristram
le Ven 12 Aoû - 11:34
 
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Sujet: Valerio Varesi
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Pedro Cesarino

L’attrapeur d’oiseaux

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Un anthropologue brésilien retourne une fois de plus dans sa famille adoptive amérindienne qu’il étudie, haut sur un fleuve amazonien de Colombie, mais cette fois il est las et mélancolique, quoique toujours torturé par le désir sexuel et obsédé par le mythe de l’attrapeur d’oiseaux, qu’il n’a jamais pu appréhender.
« …] je vais enfin pouvoir de nouveau m’empêtrer dans les trames des rivières et des histoires, en premier lieu celle qui me manque, celle de l’attrapeur d’oiseaux, ce récit étrange dont, pour une raison ou une autre, les racines d’un arbre obscur et inaccessible m’enveloppent. »

Avec la remontée du fleuve, je retrouve une fois encore cet univers fascinant, ces images rares qui ont demandé heures et journées de navigation pour devenir de justes métaphores.
« À ce stade du voyage, le fleuve n’est plus l’immense miroir du début, il est désormais mesurable. Nous apercevons ses deux rives qui forment peu à peu un couloir sinueux et interminable, un couloir-estomac qui nous aspire dans son tempo. »

« Des berges à n’en plus finir, des marigots et des lignes droites qui commencent à altérer la vue et l’ouïe. Le fleuve semble pénétrer comme un ver dans les concavités du cerveau et en modifier les axes. »

Cesarino cite « le vieux Français », Lévi-Strauss, dont la pensée et Tristes tropiques (ainsi que Saudades do Brasil) hantent le texte.
« En vérité, le mythe de référence n’est rien d’autre, comme nous essaierons de le montrer, qu’une transformation d’autres mythes provenant soit de la même société, soit de sociétés proches ou éloignées. »

Il commente :
« La variation des récits constitue pourtant une gymnastique mentale. Elle n’aurait de sens que si elle était motivée par quelque chose de plus – l’expérience de raconter une histoire, peut-être, ou d’être traversé par elle –, par autre chose se trouvant derrière les mots, par un monde singulier. »

Avec la fatigue, le paludisme, les rêves nocturnes, quelques substances absorbées, l’atmosphère est onirique, divinatrice (on peut penser Au cœur des ténèbres de Conrad) ; ainsi le rêve de Pasho, le nain :
« Il a rêvé des chairs et des os de sa mère éparpillés partout dans le ciel. La voûte bleue avait été envahie des os et des chairs de sa défunte mère, qu’il n’a pourtant pas connue, comme s’il s’agissait d’une couverture en patchwork ensanglantée. L’image m’impressionne, un ciel constellé d’os et de chairs, une mère-monde à l’envers. »

Un vague mal-être ronge l’anthropologue parvenu aux malocas de ses amis, dont il partage le quotidien et parle la langue, tandis que des prédictions apocalyptiques annoncent de proches perturbations. S’interrogeant sur le monde extérieur, « Manaus, Europe, Jérusalem », les caciques se réunissent pour choisir un nouveau « président » (et demandent au narrateur de leur ramener une fusée pour voyager plus vite qu’en pirogue), tandis que meurt le vieux pajé (chaman), le « grand épervier » :
« Quand une personne de la valeur d’Apiboréu meurt, il est interdit de faire le moindre effort. On s’allonge.
Les arbres semblent grandir derrière nous, tandis que nous passons devant d’autres villages et sommes suivis par toutes les pirogues qui descendent sans pagaies ni moteur, juste portées par le courant. Au-dessus de nos têtes, un phénomène inhabituel : des oiseaux de proie, qui d’ordinaire volent seuls, nous accompagnent en bande, comme si c’étaient des urubus. Harpies féroces, faucons aplomado, caracas huppés, ils assombrissent le ciel grisâtre de cette étrange journée. »

La cosmologie, c'est-à-dire le mythe en tant que façon de penser l’Autre, est bien sûr au centre du livre.
Le nom du benjamin des quatre frères fondateurs du monde, Amatseratu, le jeune « décepteur » mythique, le gâcheur, d’ailleurs entouré d’allusions au Japon, ne serait-il pas une référence facétieuse à la déesse solaire japonaise ?
L’anthropologue se sent seul, malmené entre ses incompréhensions et ses maladresses en passant par les malentendus, partagé entre la poursuite de son travail et le retour aux siens – enfin, ses autres proches. Cette autre civilisation se résumera aux aventuriers malfaiteurs rencontrés au départ et à la grotesque visite des missionnaires fondamentalistes nord-américains.

\Mots-clés : #amérindiens #autofiction #contemythe #merlacriviere #minoriteethnique #ruralité #temoignage #traditions
par Tristram
le Dim 31 Juil - 12:48
 
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Sujet: Pedro Cesarino
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Paolo Rumiz

Le phare, voyage immobile

Tag merlacriviere sur Des Choses à lire Le_pha10

Ce livre aussi superbe que concis évoque la mer (surtout la Méditerranée), ses vents, des personnes/ personnages, y compris mythiques (la culture de l’auteur est remarquable – grecque, italienne, etc.).
Le titre original est Il ciclope, et c’est comme un cyclope qu’apparaît souvent le phare mystérieux (au moins quant à sa localisation exacte) situé au centre du monde, où Rumiz séjourne pendant trois semaines, seul avec les gardiens, la nature, l’histoire, la mer. Il trouve donc le temps d’observer minutieusement, campé dans le présent/ bonheur, ainsi une fabuleuse recette de soupe de rascasse :
« Et chaque bouchée est une eucharistie. »

Il trouve aussi, au gré de son journal, celui de frappantes métaphores, de réflexions sur le passé et le présent.
« Le voyage immobile est le plus difficile de tous, parce qu'on n'a pas d'échappatoire, on est seul avec soi-même, en proie aux visions, et il est donc facile, pour ne pas dire naturel, de se laisser aller. »

« J’apprends d’emblée à tenir compte du fait que les ressources sont épuisables. »

« Avoir la vision d’ensemble : voilà ce que signifie pour moi la perception pélagique du monde. À Berlin, on ne peut pas le comprendre, ni même à Rome ou à Paris, parce que la culture est une culture de terre ferme. On n’y a pas de visionnaires, on n’y a que des analystes dans leurs fichus bureaux d’étude. »

« La Méditerranée a toujours été une mer de batailles. Mais la guerre y a toujours cohabité avec le commerce et la culture. […] Donc ce qui a changé aujourd’hui, ce n’est pas une augmentation des conflits, mais un crépuscule des échanges commerciaux et culturels. »

« Oui, ça bouge dans le ciel, cette nuit-là. Et ma métamorphose, elle aussi, s’achève. Le vent, le martèlement des vagues, la solitude, l’absence des problèmes, tout cela y a contribué. Mais ce qui m’a par-dessus tout rendu le temps de vivre, c’est le magnifique silence du Web, dont je me suis délecté au cours de ces semaines sans Internet. Mes journées durent deux fois plus longtemps. Elles sont la preuve du vol monstrueux perpétré par le Web. L’absence de navigation dans le cyberespace m’a dévoilé les horizons infinis de la navigation en mer, et aussi de celle qui existe au-dedans de moi. »

Même si le thème n’est pas neuf, qu’il s’agisse de la mer ou du voyage immobile (du Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre à Dans les forêts de Sibérie de Tesson, quasi contemporain), c’est donc aussi une prise conscience écologique, celle d’un passéisme d’homme dépassé, et/ou du fourvoiement de l’humanité.

\Mots-clés : #autobiographie #merlacriviere #voyage
par Tristram
le Dim 24 Juil - 11:11
 
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Sujet: Paolo Rumiz
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Michel Rio

Le Vazaha sans terre

Tag merlacriviere sur Des Choses à lire Le_vaz10

Michel Rio renoue avec l’histoire et le style, certains personnages aussi, de ses premiers romans. Celui-ci commence avec la fantastique (et macbéthienne) scène finale de « l’armée de morts » dans Merlin, matérialisée dans son comté de Cumbria par Alan Stewart, duc de Camlan, l’ami du narrateur-auteur. Ce dernier est également l’amant de lady Laura Savile, comtesse de Badon, cousine germaine du précédent, et assimilée à Morgane.
L’art de la conversation est plus que jamais aristocratique, à la limite de la préciosité.
« Je ne pus trouver qu’un moyen détourné, une citation, façon de créer une distance vis-à-vis de moi-même en raison du procédé et de dire à Laura la vérité à travers les mots émouvants et insondables d’un poète inégalé. »

C’est que notre héros souffre d’une mélancolie métaphysique, crise d’angoisse existentielle au sujet de la vacuité, « de la finalité ou de l’absurdité de la vie » le portant à partir en solitaire à la voile jusque Madagascar.
De l’écriture :
« C’est à la fois une terre d’élucidation, ou plus justement de tentative d’élucidation, et un moyen de rendre intéressant le voyage, de conjurer un peu l’absurdité ou l’ennui, d’introduire un parcours linéaire à travers des cycles sans queue ni tête. »

« Quand j’écris, je m’adresse à moi-même et à personne d’autre. C’est un mélange d’enquête et de création, en aucun cas une communication. »

C’est donc une traversée en mer, au cours de laquelle le narrateur sauve Virginia Fox, une navigatrice solitaire anglaise, occasion de nouveaux dialogues philosophico-érotiques.
« Je pense qu’il n’y a que le mouvement. Pas de but. Un voyage sans destination, sur un océan sans limite. Ce qui fait qu’on meurt toujours en pleine mer. »

Puis le Vahaza (en malgache : Blanc, étranger) retrouve l’île qu’il a quittée à cinq ans, ainsi qu’un crocodile et un ami d’enfance.
« Il me reste le temps. Il ne vient de nulle part, ne va nulle part. Il s’écoule. Il est simplement ce qui est nécessaire aux choses pour changer. Et quand on se met à le compter, il devient la mort. »

Complaisant, demande une certaine indulgence de la part du lecteur pour se prêter à cette dialectique mélancolieuse dans le goût de Diderot.

\Mots-clés : #autofiction #ecriture #erotisme #merlacriviere
par Tristram
le Sam 28 Mai - 12:38
 
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Sujet: Michel Rio
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Robert Erskine Childers

L'Énigme des sables − Un rapport des services secrets

Tag merlacriviere sur Des Choses à lire Zonigm10

Carruthers, le narrateur, a une vision fort snob du yachting, et il est fort surpris en rejoignant son ancien condisciple Davies pour une croisière dans la Baltique sur un petit voilier.
« La Dulcibella me parut très petite (de fait 7 tonneaux [environ 1 tonne ou deux m3] ; sa longueur était de trente pieds [environ 30 cm] environ, et sa largeur de neuf. »

C’est un bateau à fond plat, avec un très faible tirant d’eau, une dérive mobile et de petites quilles de roulis, permettant ainsi les échouages.
Davies lui paraît fort simple, puis fort expérimenté et courageux comme ils naviguent assez précairement de fjord en fjord, jusqu’à ce qu’il lui raconte sa rencontre avec Dollmann, capitaine de la Médusa qui essaya de le perdre dans un raccourci au travers des bancs de sables près de l’embouchure de l’Elbe. Davies croit que c’est un Anglais travaillant pour les Allemands, jaloux de préserver le secret stratégique de ces chenaux que parcourent seules des galiotes locales, et convainc son compagnon de retourner le surveiller en explorant cette côte masquée par les îles de la Frise orientale, zone inconnue des marins anglais, dans le but d’assurer la suprématie maritime de la Grande-Bretagne.
« C’étaient des barques à voiles, assez semblables à celles qu’on voit sur la Tamise, renflées à l’avant, élevées à l’arrière, d’un tonnage de cinquante tonneaux à peu près, gréées en galiotes avec des ailes de dérive, de très légers espars et un long beaupré retroussé. À l’avenir, je les appellerai galiotes. »

Ils explorent, observent, relèvent donc cette étrange hydrographie, dans l’optique tactique de petits torpilleurs amarinés à ces parages.
La description des bancs de sable et des chenaux en fonction des marées derrière le cordon côtier de ce qui est dorénavant appelé la mer de Wadden (Watten en allemand, les battures) restitue un paysage exotique, marqué par les « booms », pieux ou perches plantés dans le sable pour indiquer les passages parfois disparus dans l’évolution de l’ensablement.
Trois cartes sont jointes à l’ouvrage, ce qui ne m’a pas empêché de devoir recourir à plusieurs autres pour tenter de suivre leur périple.
La Dulcibella semble être surveillée par la galiote le Kormoran, avec Grimm (« sinistre »), supposément à la recherche d’un trésor englouti, et ils rencontrent également le capitaine von Brüning, commandant la canonnière Blitz de la marine allemande. Dollmann a une fille, Clara, qui ne laissa pas indifférent Davies lors de leur première rencontre…
C’est un roman d’aventures maritimes (cf. l’allusion à Stevenson au début), et un roman d’espionnage (surtout dans la seconde moitié).
La lecture est cependant moins celle d’un roman que de faits réels romancés, avec des incidents inutiles à l’intrigue (comme le personnage de Bartels, capitaine de la Johannes, qui a rescapé la Dulce), des composantes incohérentes dans un imbroglio caractéristique de l’existence authentique.
Bref, une belle surprise !

\Mots-clés : #aventure #merlacriviere #nature
par Tristram
le Ven 11 Mar - 13:08
 
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Sujet: Robert Erskine Childers
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Umberto Eco

L’île du jour d’avant

Tag merlacriviere sur Des Choses à lire L_zule11

1643, Roberto de la Grive, naufragé lucifuge et noctivague, aborde la Daphne, vaisseau désert mouillé entre une île et un continent tropical.
Le « chroniqueur » qui narre ses aventures dans un pastiche de vieux français-italien d’ailleurs cosmopolite, tout en évoquant les lettres de Roberto à sa dame, feint à la première personne du singulier d’organiser sa restitution digressive, qui rend en miroir la démarche de l’écrivain.
« Il écrivait alors pour lui, ce n’était pas de la littérature, il était vraiment là à écrire comme un adolescent qui poursuit un rêve impossible, sillonnant la page de pleurs, non point pour l’absence de l’autre, déjà pure image même quand elle était présente, mais par tendresse de soi, énamouré de l’amour… »

« Ou mieux, il n’y va pas tout de suite. Je demande grâce, mais c’est Roberto qui, dans son récit à sa Dame, se contredit, signe qu’il ne raconte pas de point en point ce qui lui est arrivé mais cherche à construire la lettre comme un récit, mieux, comme salmigondis de ce qui pourrait devenir lettre et récit, et il écrit sans décider de ce qu’il choisira, dessine pour ainsi dire les pions de son échiquier sans aussitôt arrêter lesquels déplacer et comment les disposer. »

Il raconte du point de vue de Roberto le siège de la forteresse de Casal avec son vaillant père le vieux Pozzo (c’est aussi un roman historique), et en parallèle son exploration de la Daphne avec sa cargaison-cathédrale, jardin-verger et sonore oisellerie, aussi horloges. De plus, Roberto a un frère imaginaire, Ferrare – l’Autre, et un « Intrus » semble être présent sur le navire… Eco rapproche sa situation dans la Daphne (comparée à l’arche du Déluge) à celle qui fut la sienne dans Casal assiégée. Roberto se remémore ses amis, le pyrrhonien Saint-Savin (qui rappelle Cyrano de Bergerac et son L’Autre Monde ou les États & Empires de la Lune) et le savant père jésuite Emanuele, avec « sa Machine Aristotélienne » (c’est également un roman de formation).
L’amour chevaleresque et platonique de Roberto, la Novarese, virtuelle comme un portulan :
« Si c’est une erreur des amants que d’écrire le nom aimé sur l’arène de la plage, que les ondes ensuite ont tôt fait de raviner, quel amant prudent il se sentait, lui qui avait confié le corps aimé aux arrondis des échancrures et des anses, les cheveux au flux des courants par les méandres des archipels, la moiteur estivale du visage au reflet des eaux, le mystère des yeux à l’azur d’une étendue déserte, si bien que la carte répétait plusieurs fois les traits du corps aimé, en différents abandons de baies et promontoires. Plein de désir, il faisait naufrage la bouche sur la carte, suçait cet océan de volupté, titillait un cap, n’osait pénétrer une passe, la joue écrasée sur la feuille il respirait le souffle des vents, aurait voulu boire à petits coups les veines d’eau et les sources, s’abandonner assoiffé à assécher les estuaires, se faire soleil pour baiser les rivages, marée pour adoucir le secret des embouchures… »

Puis son amour se portera, dans le salon d’Arthénice-Catherine de Rambouillet, sur « la Dame », Lilia (c’est aussi un roman d’amour, et même épistolaire – quoiqu’à sens unique).
D’avoir péroré sur la poudre d’attraction, « la sympathie universelle qui gouverne les actions à distance », lui valut d’être envoyé par le Cardinal Mazarin (Richelieu étant mourant) vers la Terra Incognita Australe du Pacifique pour résoudre le mystère des longitudes, en espionnant le savant anglais Byrd sur l’Amaryllis, également une flûte (navire hollandais), en quête du Punto Fijo (point fixe du monde terrestre). Sur celle-ci est expérimentée la comparaison de l’heure locale à celle de Londres, convenue d’avance, en notant les réactions d’un chien emmené à bord tandis qu’on agit sur l’arme qui le blessa en Angleterre…
l’Amaryllis naufragea, et c’est sur la Daphne que Roberto découvre le père jésuite Caspar Wanderdrossel (« la grive errante » ?), rescapé de l’équipage dévoré par les cannibales, et savant qui lui explique qu’ils sont aux Îles de Salomon, sur le « méridien cent et quatre-vingts qui est exactement celui qui la Terre en deux sépare, et de l’autre part est le premier méridien » : il y a toujours un jour de différence entre un côté et l’autre. L’histoire se poursuit, entre machineries abracadabrantes et autres technasmes (artifices) de Casper, apprentissage de la natation pour Roberto, et conversations philosophico-scientifiques entre les deux. Ce n’est pas tant l’étalage plaisant de la superstition du XVIIe que les balbutiements de la connaissance basée sur la réflexion, et plus récemment sur l’expérience. Ensuite la Cloche Aquatique doit permettre d’atteindre l'Île en marchant sur le fond de la mer :
« Pendant quelques minutes Roberto assista au spectacle d’un énorme escargot, mais non, d’une vesse-de-loup, un agaric migratoire, qui évoluait à pas lents et patauds, souvent s’arrêtant et accomplissant un demi-tour sur lui-même quand le père voulait regarder à droite ou à gauche. »

Grand moment du livre :
« Et puis, tout à coup, il eut une intuition radieuse. Mais qu’allait-il bougonnant dans sa tête ? Bien sûr, le père Caspar le lui avait parfaitement dit, l’Île qu’il voyait devant lui n’était pas l’Île d’aujourd’hui, mais celle d’hier. Au-delà du méridien, il y avait encore le jour d’avant ! Pouvait-il s’attendre à voir à présent sur cette plage, qui était encore hier, une personne qui était descendue dans l’eau aujourd’hui ? Certainement pas. Le vieux s’était immergé de grand matin ce lundi, mais si sur le navire c’était lundi sur cette Île c’était encore dimanche, et donc il aurait pu voir le vieux n’y aborder que vers le matin de son demain, quand sur l’Île il serait, tout juste alors, lundi… »

Avec la Colombe Couleur Orange, Emblème et/ou Devise, le narrateur-auteur évoque le goût du temps pour les symboles et signes :
« Rappelons que c’était là un temps où l’on inventait ou réinventait des images de tout type pour y découvrir des sens cachés et révélateurs. »

Roberto souffre toujours du mal d’amour, jaloux de Ferrante (c’est aussi un roman moral, psychologique).
« Roberto savait que la jalousie se forme sans nul respect pour ce qui est, ou qui n’est pas, ou qui peut-être ne sera jamais ; que c’est un transport qui d’un mal imaginé tire une douleur réelle ; que le jaloux est comme un hypocondriaque qui devient malade par peur de l’être. Donc gare, se disait-il, à se laisser prendre par ces sornettes chagrines qui vous obligent à vous représenter l’Autre avec un Autre, et rien comme la solitude ne sollicite le doute, rien comme l’imagination errante ne change le doute en certitude. Pourtant, ajouta-t-il, ne pouvant éviter d’aimer je ne peux éviter de devenir jaloux et ne pouvant éviter la jalousie je ne peux éviter d’imaginer. »

Il disserte sur le Pays des Romans (de nouveau le roman dans le roman), puis élabore le personnage maléfique de Ferrante, perfide « sycophante double » (et c’est encore un roman de cape et d’épée). S’ensuivent de (très) longues considérations philosophico-métaphysiques.
Il y a beaucoup d’autres choses dans ce roman, comme de magnifiques descriptions (notamment de nuages, de coraux à la Arcimboldo), une immersion dans la mentalité du Moyen Âge tardif (sciences navale, cartographique, obsidionale, astronomique, imaginaire des monstres exotiques, etc.), et bien d’autres.
Le livre est bourré d’allusions dont la plupart m’a échappé, mais j’ai quand même relevé, par exemple, Tusitala, surnom donné en fait à Stevenson en Polynésie. C’est un peu un prolongement de Le Nom de la rose (confer le renvoi avec « l’histoire de personnes qui étaient mortes en se mouillant le doigt de salive pour feuilleter des ouvrages dont les pages avaient été précisément enduites de poison ») et presque un aussi grand plaisir de lecture (avec recours fréquent aux dictionnaires et encyclopédies idoines).

\Mots-clés : #aventure #historique #insularite #lieu #merlacriviere #renaissance #science #solitude #voyage
par Tristram
le Lun 28 Fév - 10:43
 
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Sujet: Umberto Eco
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Le One-shot des paresseux

Robert Le Serrec, Autour du monde – 5 ans à la voile en thonier

Tag merlacriviere sur Des Choses à lire Autour11

Remise en état du Saint-Yves-d’Armor de 1958 à 1960, date de départ en voyage d’Afrique du Nord à travers l’Atlantique puis le Pacifique, jusqu’au naufrage sur la Grande Barrière de corail, et la découverte d’un… serpent de mer.

\Mots-clés : #merlacriviere #voyage
par Tristram
le Jeu 3 Fév - 11:35
 
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Sujet: Le One-shot des paresseux
Réponses: 287
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Élisée Reclus

Histoire d'un ruisseau

Tag merlacriviere sur Des Choses à lire 97827411

En omettant quelques digressions, tout le texte d’Élisée Reclus se concentre sur le seul mouvement de l’eau : ruisseau, rivière, cascade, fleuve etc… descriptions minutieuses mais dynamiques de chaque rides, courbures et éclaboussures… cette prose nécessite du lecteur une attention constante, intense, puisque Élisée Reclus tente en définitive d’aller aussi vite que l’eau !

Élisée Reclus a écrit:Irrésistible, implacable, comme si elle était elle-même poussée par le destin, l’eau qui s’écoule est animée d’une telle vitesse que la pensée ne peut la suivre : on croirait avoir sous les yeux la moitié visible d’une large roue tournant incessamment autour du rocher : à regarder cette nappe, toujours la même et toujours renouvelée, on perd graduellement la notion des choses réelles.


S’il évoque au besoin les grands fleuves, les molécules, le géographe raconte sans carte, ni microscope, sans survol ni exigence très scientifique : j’apprécie la gageure poétique qu’implique cette Histoire d’un ruisseau. La représentation des cours d’eau chez Élisée Reclus prend parfois une dimension spirituelle (presque panthéiste) le poussant à transformer le récit en essai dans d’autres matières, socio-politiques par exemple, avec l’intrusion d’arguments non-étayé : on s’écarte quelque peu du sujet. Du reste, plus on s’approche de la ville plus Reclus construit un raisonnement de façon plus convaincante et résolument optimiste.


\Mots-clés : #merlacriviere #science
par Dreep
le Jeu 6 Jan - 11:48
 
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Sujet: Élisée Reclus
Réponses: 12
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