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Julian Barnes

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Message par Tristram Dim 23 Avr 2023 - 8:15

L'Homme en rouge

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En juin 1885, trois Français font du « shopping intellectuel et décoratif » à Londres, capitale des préraphaélites et de la décadence en cette Belle Époque : le comte Robert de Montesquiou, qui inspira le Des Esseintes de Huysmans (À rebours est fréquemment mentionné dans ce récit) et le baron de Charlus à Proust, le prince Edmond de Polignac, musicien lui aussi « dandy-esthète » pour qui tout est affaire de goût, et Samuel Pozzi, célèbre médecin qui lui n’est pas homosexuel, ni aristocrate (c’est L'Homme en rouge). Oscar Wilde est tôt évoqué, et Le Portrait de Dorian Gray revient aussi maintes fois. Quant à lui, Pozzi fut (entr’autres) l’amant, puis l’ami de Sarah Bernhardt.
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Dr. Pozzi at Home (1881), de John Singer Sargent

D’autres personnalités apparaîtront (tous les personnages sont historiques), souvent littéraires tels Baudelaire, Flaubert, Barbey d’Aurevilly, Mallarmé, Maupassant, Henry James, Edmond de Goncourt, Jean Lorrain (un excessif et fielleux potinier), les Daudet, mais aussi des peintres (Degas, Whistler) et photographes (Nadar) ; l’ouvrage est illustré de certaines de leurs œuvres parmi d’autres, comme les vignettes de célébrités Félix Potin.
Très beau tableau de la société française au tournant des XIX et XXe siècles, entremêlant histoire petite et grande dans un style éblouissant :
« Et puis il y eut un incident insolite, mineur et amusant, à des milliers de kilomètres de là, qui illustre bien la loi historique des conséquences non voulues. En 1896, pendant la ruée coloniale sur l’Afrique, l’expédition militaire Marchand, comprenant une dizaine de Français et plus de cent vingt tirailleurs sénégalais, entreprit de traverser le continent d’ouest en est ; leur objectif était un fort en ruine sur le Nil supérieur. D’une manière bien française, ils partirent avec treize cents litres de bordeaux, cinquante bouteilles de Pernod, et un piano mécanique. La rude traversée dura deux ans ; ils arrivèrent en juillet 1898, deux mois après le J’accuse ! de Zola. Ils hissèrent le drapeau tricolore sur le fort de Fachoda, sans paraître avoir d’autre but géopolitique que d’embêter les Britanniques. Ce qu’ils firent, un peu, jusqu’au moment où Kitchener, qui commandait alors l’armée d’Égypte (et qui était, contrairement à sa réputation, un francophile parlant couramment français), arriva à son tour et leur conseilla de décamper. Il leur donna aussi des journaux français récents, où ils lurent des articles sur l’affaire Dreyfus, et pleurèrent. Les deux camps fraternisèrent, et la fanfare britannique joua La Marseillaise quand les Français se retirèrent. Personne ne fut blessé ou violenté ; encore moins tué. »

« Tous les cent ans environ, une nouvelle vague d’exilés arrivait dans les ports du côté anglais de la Manche : huguenots, fugitifs après la Révolution, communards, anarchistes… Quatre souverains successifs (Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe et Napoléon III) trouvèrent refuge en Grande-Bretagne ; ainsi que Voltaire, l’abbé Prévost, Chateaubriand, Guizot et Victor Hugo. Monet, Pissarro, Rimbaud, Verlaine, Zola, tous prirent la direction de l’Angleterre quand des soupçons (de différentes sortes) les visèrent de manière trop inquiétante. […]
La raison principale d’un exil en France, pour un Britannique, était le désir d’échapper au scandale (et de pouvoir continuer dans la même voie scandaleuse) : c’était l’endroit où aller pour l’aristocrate ruiné, le bigame, le tricheur professionnel, l’homosexuel. « Ils » nous envoyaient leurs souverains déchus et leurs dangereux révolutionnaires, nous leur envoyions nos mauvais sujets plus ou moins huppés. Une autre raison d’un exil continental fut exprimée par le peintre Walter Sickert dans une lettre postée de Dieppe en 1900 : « C’est bougrement sain ici & foutrement bon marché » (sans allusion sexuelle cryptée). »
Britannique, Barnes a un regard plein d’humour sur les deux pays, France et Angleterre :
« Les Britanniques sont censés être pragmatiques, les Français plus sentimentaux. En réalité, dans les affaires du cœur, c’était souvent le contraire. Les Britanniques croyaient à l’amour et au mariage – croyaient que l’amour menait et survivait au mariage, que la sentimentalité était une expression d’amour vrai, et que la tendre union et le fidèle veuvage de leur reine Victoria étaient un exemple national. C’étaient les Français qui avaient l’approche la plus pragmatique : on se mariait pour la position sociale, pour l’argent ou pour les biens, pour la perpétuation de la famille, mais non pour l’amour. L’amour survivait rarement au mariage, et il était sottement hypocrite de faire comme s’il le pouvait. Le mariage n’était qu’un camp de base d’où le cœur aventureux s’élançait vers telle ou telle cime.
Ces règles, bien entendu, étaient fixées par les hommes, et ne figuraient nulle part dans le contrat de mariage. »
Le portrait des principaux concernés est étonnant, tel le snob et vaniteux Montesquiou qui s’entremet dans le mariage du prince de Polignac, ruiné, avec la richissime Winnaretta Singer (des machines à coudre), lesbienne.
« La Belle Époque fut une période de grande richesse pour les plus fortunés, de pouvoir social pour l’aristocratie, de snobisme débridé et complexe, d’impétueuse ambition coloniale, de patronage artistique, et de duels dont le degré de violence reflétait souvent une irascibilité personnelle plus qu’un honneur bafoué. Il n’y a pas grand-chose à dire en faveur de la Grande Guerre, mais au moins elle balaya une bonne partie de tout cela. »
Nombreuses observations sur la survivance de la coutume du duel pour l’honneur en France (et la facilité à détenir une arme), qui m’a aussi toujours étonné.
Pozzi est particulièrement rendu, éminent représentant de la chirurgie française, titulaire de la première chaire de gynécologie en France, assisté de Robert Proust, le frère de Marcel. On découvre aussi Catherine, sa fille. On le suit aux États-Unis, comme Wilde et Bernhardt, qui créent Salomé.
La mort de Pozzi est difficilement perçue comme « non-fiction », et je me garde de la divulgâcher. Reste au moins de lui cette phrase :
« Le chauvinisme est une des formes de l’ignorance. »
Ce récit, très documenté, est assez décousu, et le fil directeur, la vie de Pozzi, lâchement bâti, mais l’ensemble magistralement agencé, car la lecture reste éveillée d’une anecdote à un autre témoignage tandis que se compose le tableau de la société de l’époque. Le narrateur (en fait l’auteur apparemment) commente directement :
« L’art survit au caprice individuel, à l’orgueil familial, aux conventions sociales ; l’art a toujours le temps de son côté. »

« Les livres changent avec le temps ; ou du moins, la façon dont nous les lisons change. »

« Rien ne date autant que l’excès.
Daté : comme le passé doit haïr parfois autant le présent que le présent peut haïr l’avenir – cet avenir inconnaissable, insouciant, cruel, offensant, dédaigneux et qui ne sait l’apprécier –, un avenir indigne d’être l’avenir du présent. Ce que j’ai dit au début – que l’art a toujours le temps de son côté – n’était que de l’optimisme, une illusion sentimentale. L’art peut avoir le temps de son côté ; mais lequel ? Le temps impose un tri brutal. Moreau, Redon, Puvis de Chavannes : chacun d’eux parut être autrefois l’avenir de la peinture française. Puvis semble maintenant – pour la période en cours en tout cas – bien seul et pâle loin derrière. Redon et Moreau parlèrent à leur époque avec des métaphores très différentes, et le siècle suivant a préféré Redon. »

« « On ne peut savoir. » Modérément employée, c’est une des plus fortes phrases dans le langage du biographe : elle nous rappelle que la suave histoire-d’une-vie qu’on lit, malgré tous ses détails, sa longueur et ses notes en bas de page, malgré toutes ses certitudes factuelles et ses solides hypothèses, ne peut être qu’une version publique d’une vie publique, et une version subjective d’une vie privée. La biographie est une série de lacunes reliées par de la ficelle, et cela nulle part autant que dans la vie sexuelle et amoureuse. »

« « On ne peut savoir », mais « c’est ce qu’on dit, en tout cas ». La rumeur est « vraie » dans le sens qu’elle répète ce que croit quelqu’un, ou ce que croit quelqu’un qu’il ou elle connaît ; ou, si cette personne l’a inventée elle-même, ce qu’elle aimerait croire. Donc la rumeur est au moins vraie dans son mensonge, et révélatrice du caractère et de la mentalité de ceux qui la répandent. »

« Qu’y a-t-il dans le présent qui le rende si impatient de juger le passé ? Il y a toujours une tendance à la névrose dans le présent, qui se croit supérieur au passé mais ne peut tout à fait surmonter une anxiété persistante à l’idée qu’il pourrait ne pas l’être. Et derrière cela il y a une autre question : qu’est-ce qui nous permet de juger ? Nous sommes le présent, c’est le passé : cela suffit généralement pour la plupart d’entre nous. Et plus le passé s’éloigne, plus il devient tentant de le simplifier. Si grossière que soit notre accusation, il ne répond jamais, il reste silencieux. »

\Mots-clés : #biographie #historique #peinture

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« Nous causâmes aussi de l’univers, de sa création et de sa future destruction ; de la grande idée du siècle, c’est-à-dire du progrès et de la perfectibilité, et, en général, de toutes les formes de l’infatuation humaine. »
Tristram
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