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La date/heure actuelle est Sam 27 Avr 2024 - 13:06

141 résultats trouvés pour biographie

Saul Bellow

Ravelstein

Tag biographie sur Des Choses à lire Ravels10

Chick, le narrateur, parle d’Abe Ravelstein à la requête de ce dernier. Son proche ami, qui devint riche en suivant son conseil de consigner dans un livre grand public sa philosophie politique (entre Moïse et Socrate en passant par Thucydide, Machiavel et Rousseau), est depuis détesté par les autres professeurs d’université. Ravelstein, élégant, intelligent, lucide, franc, polémique et passionné par autrui, est adulé par son cercle d’étudiants favoris ; ses anciens élèves sont parvenus à des postes importants, le consultent toujours et le tiennent averti des décisions politiques en temps réel (il est aussi amateur de commérages). Pour lui, « chaque âme était en quête de son autre singulier, désireuse de son complément », et il vit avec son compagnon Nikki, puis s’avère atteint du sida.
Après son divorce d’avec Vera, une physicienne d’origine slave, Chick vit avec Rosamund, une des jeunes étudiantes en « Grande Politique » de Ravelstein (qui est aussi une sorte d’entremetteur, mais fut là mis devant le fait accompli) ; ce dernier lui a demandé de dresser son portrait.
Entre Paris, Chicago et le Midwest, les deux hommes discutent et philosophent avec humour sur la judaïté, la marche du monde, et Chick relate leur relation non sans redites et allers-retours dans le temps, comme dans un premier jet ou une conversation.
« Mais, heureusement — ou peut-être pas trop heureusement —, nous sommes à l’ère de l’abondance, du trop-plein parmi toutes les nations civilisées. Jamais, du côté matériel, d’immenses populations n’ont mieux été protégées de la faim et la maladie. Et cette délivrance partielle de la lutte pour la survie rend les gens ingénus. Par là, je veux dire que leurs fantasmes s’expriment sans retenue. On se met, selon un accord implicite, à accepter les termes, invariablement falsifiés, sous lesquels les autres se présentent. On anéantit sa puissance critique. On étouffe son astuce. Avant même de s’en rendre compte, on paie une pension alimentaire colossale à une femme qui a plus d’une fois déclaré qu’elle était une innocente qui n’entendait rien aux questions d’argent. »

« Nous étions parfaitement francs l’un avec l’autre. Nous pouvions nous parler ouvertement sans nous offenser. D’un autre côté, rien n’était trop personnel, trop honteux pour être dit, rien n’était trop méchant ou trop criminel. Il me semblait parfois qu’il m’épargnait ses jugements les plus sévères si je n’étais pas encore prêt à les assumer. Je le ménageais, moi aussi. Mais c’était pour moi un immense soulagement d’être aussi net et carré avec lui que je l’aurais été avec moi-même devant les faiblesses ou les vices. Il me dépassait de très loin dans la compréhension de soi-même. Mais toute discussion personnelle virait finalement à la bonne vieille rigolade nihiliste. »

« Il exposait les défaillances du système dans lequel ils avaient été formés, la superficialité de leur historicisme, leur susceptibilité au nihilisme européen. Un résumé de sa thèse était que, si on pouvait acquérir une excellente formation technique aux USA, la formation générale s’était réduite au point de disparaître. Nous étions les esclaves de la technologie, qui avait métamorphosé le monde moderne. »

« Tout cela vous remettait en mémoire les manifestations de masse organisées et mises en scène par l’imprésario de Hitler, Albert Speer : rencontres sportives et grands rassemblements fascistes empruntaient les uns aux autres. »

« Ses élèves étaient devenus historiens, professeurs, journalistes, experts, hauts fonctionnaires, membres de cellules de réflexion. Ravelstein avait produit (endoctriné) trois ou quatre générations de diplômés. Qui plus est, ses jeunes gens devenaient fous de lui. Ils ne se limitaient pas à ses doctrines, ses interprétations, mais imitaient ses manières et essayaient de marcher et de parler comme lui — librement, furieusement, acerbement, avec un brio aussi proche du sien qu’il leur était possible. »

« J’avais découvert que, si l’on plaçait les gens sous un éclairage comique, ils devenaient plus sympathiques — si vous parliez de quelqu’un comme d’un brochet humain frustre, pétomane et strabique, vous vous entendiez d’autant mieux avec lui par la suite, en partie parce que vous aviez conscience d’être le sadique qui l’avait dépouillé de ses attributs humains. En outre, lui ayant infligé quelques violences métaphoriques, vous lui deviez une considération particulière. »

« Mais les Juifs pensent que le monde a été créé pour chacun d’entre nous, autant que nous sommes, et que détruire une vie humaine, c’est détruire un univers entier — l’univers tel qu’il existait pour cette personne. »

« — Bien sûr que c’est autour de ça que tourne la conversation — ce que cela signifie pour les Juifs que tant d’autres, des millions d’autres, aient voulu leur mort. Le reste de l’humanité les expulsait. Hitler aurait dit qu’une fois au pouvoir il ferait dresser des échafauds, des rangées entières, sur la Marienplatz à Munich et que tous les Juifs, jusqu’au dernier, y seraient pendus. Ce sont les Juifs qui ont été le marchepied de Hitler vers le pouvoir. Il n’avait pas d’autre programme, et n’en avait aucun besoin. Il est devenu chancelier en rassemblant l’Allemagne et une bonne part du reste de l’Europe contre les Juifs. »

« Il fallait penser ces centaines de milliers de millions détruits pour des motifs idéologiques — c’est-à-dire sous quelque prétexte habillé de rationalité. Un raisonnement présente une valeur considérable comme manifestation d’ordre ou de fermeté de propos. Mais les formes de nihilisme les plus folles sont les plus strictement allemandes et militarisées. »

Ravelstein décédé, c’est le narrateur (plus âgé que ce dernier) qui manque succomber à une ciguatera contractée à Saint-Martin.
« Je disais souvent à Rosamund que l’un des problèmes du vieillissement était l’accélération du temps. Les jours passaient « comme des stations de métro traversées par un express ». Je me référais souvent à La Mort d’Ivan Ilitch afin d’illustrer cela pour Rosamund. Les jours des enfants sont très longs, mais, dans le vieil âge, ils filent « plus vite que la navette du tisserand », comme dit Job. Et Ivan Ilitch mentionne aussi la lente ascension d’une pierre jetée en l’air. « Quand elle retourne à la terre, elle est accélérée de dix mètres par seconde. » Nous sommes régis par le magnétisme gravitationnel et l’univers tout entier est impliqué dans cette accélération de votre fin. Si seulement nous pouvions retrouver les journées pleines que nous connaissions étant enfants. Mais nous sommes devenus trop familiers avec les données de l’expérience, me semble-t-il. Notre manière d’organiser les données qui affluent sous forme de Gestalt — c’est-à-dire de manière de plus en plus abstraite — accélère les expériences en une dangereuse dégringolade de comédie. Notre précipitation élimine les détails qui enchantent, retiennent ou retardent les enfants. L’art est un moyen d’échapper à cette accélération chaotique. Le mètre en poésie, le tempo en musique, la forme et la couleur en peinture. Mais nous sentons bien que nous filons vers la terre, vers l’enfouissement de la tombe. "Si ce n’étaient que des mots, dis-je à Rosamund. Mais je le ressens tous les jours. Une méditation impuissante dévore elle-même ce qui reste de la vie..." »

« — Il me citait à moi-même. » Il avait déterré une déclaration que j’avais faite sur le désenchantement moderne. Sous les débris des idées modernes, le monde était toujours là, prêt à être redécouvert. Et sa manière de le présenter était que le filet gris de l’abstraction jeté sur le monde dans le but de le simplifier et de l’expliquer d’une manière adéquate à nos objectifs culturels était devenu le monde à nos yeux. Nous avions besoin de visions alternatives, d’une diversité de regards — et il parlait de regards qui ne soient pas régentés par des idées. Il y voyait une question de mots : « valeurs », « modes de vie », « relativisme ». J’étais d’accord, dans une certaine mesure. Nous avions besoin de savoir — mais notre besoin humain profond ne peut être comblé par ces termes. Nous ne pouvons nous échapper du fossé de la « culture » et des « idées » qui sont censées l’exprimer. Les mots justes seraient d’un grand secours. Mais, plus encore, un don pour lire la réalité — l’élan de tourner son visage aimant vers elle et de presser ses mains contre elle. »

Il s’agit d’un roman à clef (Ravelstein est le philosophe Allan Bloom, ami de l’auteur), en partie autobiographique (on y trouve des portraits de femmes de Saul Bellow), mais cette face cachée de l’œuvre m’échappe largement dans cette publication en français sans appareil critique (il semble y avoir de nombreuses allusions, comme avec le Bloomsbury Group). Sinon, c’est un roman du cercle universitaire (comme L'hiver du doyen), et de celui du passé plombé des juifs (qui augure de Philip Roth notamment), mais qui ne vaut pas Herzog à mes yeux.

\Mots-clés : #amitié #antisémitisme #autobiographie #biographie #communautejuive #mort #pathologie #portrait #vieillesse #xxesiecle
par Tristram
le Dim 3 Mar 2024 - 11:21
 
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W.G. Sebald

Amère patrie − À propos de la littérature autrichienne

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Ces essais constituent une sorte de suite, ou plutôt un pendant, à La Description du malheur, d’ailleurs aussi sous-titré À propos de la littérature autrichienne. Cette fois, il s’agit dans cette « tradition d’écriture » de ce qui tourne autour du concept de Heimat, la « (petite) patrie », « qui s’était imposée dans l’Autriche des années 1930 ».
« Ce qu’on essayait d’accomplir à l’époque, c’était de gommer la moindre différence, d’ériger l’étroitesse de vue en programme et la délation en morale publique. »

Il s’agit des auteurs du XIXe (et début XXe), et sont notamment évoqués les Juifs, l’exil, les migrations, la disparition culturelle, la perte et le passé.
Intéressante découverte de Peter Altenberg, le poète bohème et flâneur viennois (rapproché de Baudelaire).
Comme pour le précédent essai, une connaissance approfondie de l’histoire et de la littérature autrichiennes serait fortement souhaitable. De même, je n’ai pas été en mesure d’apprécier vraiment la validité de la « dimension messianique » juive attribuée au Château de Kafka.
Concernant Joseph Roth, sa conscience de la destruction à venir d’un monde où les Juifs avaient leur place est significative de l’élaboration fasciste qu’il dénonce dès 1927.
« Dans le domaine de l’esthétique, il en va toujours en dernier ressort de problèmes éthiques. »

Suit un article (fort) critique sur Hermann Broch.
« Le kitsch est le pendant concret de la désensibilisation esthétique ; ce qui se manifeste en lui est le résultat d’une erreur de programmation de l’utopie, une erreur de programmation qui mène à une nouvelle ère où les substituts et les succédanés prennent la place de ce qui a été un jour le réel, y compris dans le domaine de la nature et de l’évolution naturelle. »

Je ne connaissais pas Jean Améry :
« …] le jour de l’Anschluss ne sonnait pas seulement le glas de sa patrie, de son enfance et de sa jeunesse, mais aussi, de jure, celui de sa personne [… »

« Améry endossa ce qu’on a un jour appelé le vice du peuple juif, l’être ailleurs [en français dans le texte], et devint un “apatride de métier”. »

L’essai s’achève en évoquant Peter Handle :
« Si l’idée de Heimat s’est développée au XIXe siècle à l’épreuve de plus en plus inévitable de l’étranger, l’idéologisation de la Heimat, inspirée de la même façon par l’angoisse de la perte, conduit au XXe siècle à vouloir l’expansion la plus grande possible de cette Heimat, si nécessaire par la violence et aux dépens des autres patries. »

Et si je suis loin d’avoir tout saisi, certains passages trouvent une résonance…
« À partir des mythes indiens, Lévi-Strauss a montré que leurs inventeurs ne craignaient rien tant que l’infection de la nature par l’homme. La compréhension du monde qui en résulte a pour précepte central que rien n’est plus important que d’effacer les traces de notre présence. C’est une leçon de modestie diamétralement opposée à celle que notre culture s’est proposé d’appliquer. »


\Mots-clés : #biographie #communautejuive #ecriture #essai #exil #historique #nostalgie
par Tristram
le Ven 22 Déc 2023 - 11:06
 
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Sujet: W.G. Sebald
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David Grann

La Cité perdue de Z – Une expédition légendaire au cœur de l’Amazonie

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Le colonel Percy Harrison Fawcett est disparu en 1925 lors d’une expédition amazonienne, parti à la recherche d’une cité perdue. Il avait déjà, en 1906-1907, établi une cartographie de la frontière entre le Brésil et la Bolivie pour la Société royale de géographie. Intrépide et apparemment invincible, il multiplie les explorations du proverbial « enfer vert » – finalement l’image ne me paraît pas totalement erronée, surtout vécue dans les conditions de l’époque. Quoique empêtré dans ses convictions victoriennes élitistes et racistes, il ne se borne pas à suivre les principaux cours d’eau mais s’enfonce à pied en forêt, et approche ainsi des tribus indiennes inconnues, dont il reconnaît la culture et le savoir-faire (en bref des civilisés) dans une approche qui annonce l’anthropologie moderne.
Mais c’est le mythique El Dorado des conquistadors qui obsède surtout Fawcett, qu’il appelle la cité perdue de Z.
En 1911, Hiram Bingham découvre les ruines incas de Machu Picchu. En 1913/1914, l’ex-président Théodore Roosevelt et Cândido Rondon, orphelin d’origine indienne devenu le colonel brésilien qui fondera le Service de protection des Indiens, explorent la rivière du Doute.
Pour son ultime expédition, Fawcett a été approché par le colonel T. E. Lawrence, mais préfère emmener son fils Jack et l’ami de ce dernier, Raleigh ; il manque de fonds, est devenu adepte du spiritisme et craint d’être devancé, cependant ils parviennent à partir dans le Mato Grosso. Fawcett emporte une idole de pierre, cadeau de Henry Rider Haggard (auteur de Les Mines du roi Salomon et She)…
David Grann, journaliste néophyte en la matière, raconte comment il suit ses traces en 2004 pour enquêter sur le terrain (comme tant d’autres, dont des dizaines ne revinrent jamais) ; il expose comme les dernières recherches archéologiques rendent compte d’une société qui a su se développer dans ce milieu avant d’être éradiquée par les maladies importées.
Brian, le fils cadet de Fawcett, présente les carnets de route et journaux intimes de son père dans Le continent perdu. Sir Arthur Conan Doyle, ami de Fawcett, fait de son histoire le cadre de son roman Le Monde perdu. J’ai eu une pensée pour Les Maufrais (père et fils). Autant de livres qui alimentèrent mon imaginaire depuis l’adolescence...

\Mots-clés : #amérindiens #aventure #biographie #contemythe #historique #lieu #nature #portrait #voyage
par Tristram
le Mar 5 Déc 2023 - 11:36
 
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Sujet: David Grann
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Javier Cercas

L'imposteur

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Cercas détaille comme, troublé par l'histoire d’Enric Marco, « le grand imposteur et le grand maudit » qui s'est fait passer pour un survivant des camps de concentration et est devenu une célébrité espagnole de la mémoire historique des horreurs nazies, il s’est finalement résolu à écrire ce roman non fictionnel. « Comprendre, est-ce justifier ? » N’est-il pas lui-même un imposteur ?
« La pensée et l’art, me disais-je, essaient d’explorer ce que nous sommes, ils révèlent notre infinie variété, ambiguë et contradictoire, ils cartographient ainsi notre nature : Shakespeare et Dostoïevski, me disais-je, éclairent les labyrinthes de la morale jusque dans leurs derniers recoins, ils démontrent que l’amour est capable de conduire à l’assassinat ou au suicide et ils réussissent à nous faire ressentir de la compassion pour les psychopathes et les scélérats ; c’est leur devoir, me disais-je, parce que le devoir de l’art (ou de la pensée) consiste à nous montrer la complexité de l’existence, afin de nous rendre plus complexes, à analyser les ressorts du mal pour pouvoir s’en éloigner, et même du bien, pour pouvoir peut-être l’apprendre. »

« Un génie ou presque. Car il est bien sûr difficile de se départir de l’idée que certaines faiblesses collectives ont rendu possible le triomphe de la bouffonnerie de Marco. Celui-ci, tout d’abord, a été le produit de deux prestiges parallèles et indépassables : le prestige de la victime et le prestige du témoin ; personne n’ose mettre en doute l’autorité de la victime, personne n’ose mettre en doute l’autorité du témoin : le retrait pusillanime devant cette double subornation – la première d’ordre moral, la seconde d’ordre intellectuel – a fait le lit de l’escroquerie de Marco. »

« Depuis un certain temps, la psychologie insiste sur le fait qu’on peut à peine vivre sans mentir, que l’homme est un animal qui ment : la vie en société exige cette dose de mensonge qu’on appelle éducation (et que seuls les hypocrites confondent avec l’hypocrisie) ; Marco a amplifié et a perverti monstrueusement cette nécessité humaine. En ce sens, il ressemble à Don Quichotte ou à Emma Bovary, deux autres grands menteurs qui, comme Marco, ne se sont pas résignés à la grisaille de leur vie réelle et qui se sont inventés et qui ont vécu une vie héroïque fictive ; en ce sens, il y a quelque chose dans le destin de Marco, comme dans celui de Don Quichotte et d’Emma Bovary, qui nous concerne profondément tous : nous jouons tous un rôle ; nous sommes tous qui nous ne sommes pas ; d’une certaine façon, nous sommes tous Enric Marco. »

Simultanément s’entrelace l’histoire de Marco depuis l’enfance, retiré nourrisson à sa mère enfermée à l’asile psychiatrique ; il aurait été maltraité par sa marâtre et ignoré par son père ouvrier libertaire, puis ballotté d’un foyer à l’autre, marqué par les évènements de la tentative d’indépendance catalane d’octobre 1934, juste avant que le putsch et la guerre civile éclatent. Cercas a longuement interviewé Marco, un vieillard fort dynamique, bavard et imbu de lui-même, criant à l’injustice parce qu’il aurait combattu pour une juste cause.
D’après Tzvetan Todorov :
« [Les victimes] n’ont pas à essayer de comprendre leurs bourreaux, disait Todorov, parce que la compréhension implique une identification avec eux, si partielle et provisoire qu’elle soit, et cela peut entraîner l’anéantissement de soi-même. Mais nous, les autres, nous ne pouvons pas faire l’économie de l’effort consistant à comprendre le mal, surtout le mal extrême, parce que, et c’était la conclusion de Todorov, “comprendre le mal ne signifie pas le justifier mais se doter des moyens pour empêcher son retour”. »

Militant anarcho-syndicaliste, Marco aurait combattu dans les rangs de la République, et Cercas analyse le « processus d’invention rétrospective de sa biographie glorieuse » chez ce dernier.
« Et je me suis dit, encore une fois, que tout grand mensonge se fabrique avec de petites vérités, en est pétri. Mais j’ai aussi pensé que, malgré la vérité documentée et imprévue qui venait de surgir, la plus grande partie de l’aventure guerrière de Marco était un mensonge, une invention de plus de son égocentrisme et de son insatiable désir de notoriété. »

Cercas ne ménage pas les redites, procédé (didactique ?) un peu lassant.
« Parce que le passé ne passe jamais, il n’est même pas le passé – c’est Faulkner qui l’a dit ; le passé n’est qu’une dimension du présent. »

« Mais nous savons déjà qu’on n’arrive pas à dépasser le passé ou qu’il est très difficile de le faire, que le passé ne passe jamais, qu’il n’est même pas le passé – c’est Faulkner qui l’a dit –, qu’il n’est qu’une dimension du présent. »

« La raison essentielle a été sa découverte du pouvoir du passé : il a découvert que le passé ne passe jamais ou que, du moins, son passé à lui et celui de son pays n’étaient pas passés, et il a découvert que celui qui a la maîtrise du passé a celle du présent et celle de l’avenir ; ainsi, en plus de changer de nouveau et radicalement tout ce qu’il avait changé pendant sa première grande réinvention (son métier, sa ville, sa femme, sa famille, jusqu’à son nom), il a également décidé de changer son passé. »

Cercas évoque De sang-froid de Truman Capote et L’Adversaire d’Emmanuel Carrère, deux « chefs-d’œuvre » du « roman sans fiction » dont il juge le premier auteur atteint de « turpitude » pour avoir laissé espérer tout en souhaitant leur exécution les deux meurtriers condamnés à mort, et doute du procédé du second, présent à la première personne dans son récit peut-être pour se donner une légitimité morale fallacieuse.
Intéressantes questions du kitch du narcissique, et du mensonge (peut-il être légitime ? un roman est-il mensonge ?)
« Il y a deux mille quatre cents ans, Gorgias, cité par Plutarque, l’a dit de façon indépassable : “La poésie [c’est-à-dire, la fiction] est une tromperie où celui qui trompe est plus honnête que celui qui ne trompe pas et où celui qui se laisse tromper est plus sage que celui qui ne se laisse pas tromper.” »

En fait de déportation, Marco a été travailleur volontaire en Allemagne fin 1941, et emprisonné au bout de trois mois comme « volontaire communiste ». Revenu en Espagne, il a effectivement connu « les prisons franquistes, non comme prisonnier politique mais comme détenu de droit commun. » Il abandonne ses premiers femme et enfants, change de nom pour refaire sa vie (grand lecteur autodidacte, il suit des cours universitaires d’histoire) – et devenir le secrétaire général de la CNT, le syndicat anarchiste, puis président de l’Amicale de Mauthausen, l’association des anciens déportés espagnols. Il a toujours été un séducteur, un amuseur, un bouffon qui veut plus que tout qu’on l’aime et qu’on l’admire.
« …] de même, certaines qualités personnelles l’ont beaucoup aidé : ses dons exceptionnels d’orateur, son activisme frénétique, ses talents extraordinaires de comédien et son manque de convictions politiques sérieuses – en réalité, l’objectif principal de Marco était de faire la une et satisfaire ainsi sa médiapathie, son besoin d’être aimé et admiré et son désir d’être en toute occasion la vedette – de sorte qu’un jour il pouvait dire une chose et le lendemain son contraire, et surtout il pouvait dire aux uns et aux autres ce qu’ils voulaient entendre. »

« Le résultat du mélange d’une vérité et d’un mensonge est toujours un mensonge, sauf dans les romans où c’est une vérité. »

« Marco a fait un roman de sa vie. C’est pourquoi il nous paraît horrible : parce qu’il n’a pas accepté d’être ce qu’il était et qu’il a eu l’audace et l’insolence de s’inventer à coups de mensonges ; parce que les mensonges ne conviennent pas du tout à la vie, même s’ils conviennent très bien aux romans. Dans tous les romans, bien entendu, sauf dans un roman sans fiction ou dans un récit réel. Dans tous les livres, sauf dans celui-ci. »

Après la Transition de la dictature franquiste à la démocratie, la génération qui n’avait pas connu la guerre civile a plébiscité le concept de “mémoire historique”, qui devait reconnaître le statut des victimes.
« La démocratie espagnole s’est construite sur un grand mensonge, ou plutôt sur une longue série de petits mensonges individuels, parce que, et Marco le savait mieux que quiconque, dans la transition de la dictature à la démocratie, énormément de gens se sont construit un passé fictif, mentant sur le passé véritable ou le maquillant ou l’embellissant [… »

Cercas raconte ensuite comment l’historien Benito Bermejo a découvert l’imposture de Marco, alors devenu un héros national, et s’est résolu à la rendre publique (c’est loin d’être la seule du même genre). Marco tente depuis de se justifier par son réel travail de défense de la cause mémorielle. Cercas décrit ses rapports avec Marco partagé entre le désir d’être le personnage de son livre, et le dépit de ne pas pouvoir contrôler ce dernier.
« — S’il te plaît, laisse-moi quelque chose. »

Opiniâtre quant à la recherche de la vérité, outre ses pensées Cercas détaille son ressenti, qui va du dégoût initial à une certaine sympathie ; "donquichottesque", il pense même un temps à sauver Marco non pas en le réhabilitant, mais en le plaçant devant la vérité…
Manifestement basée sur une abondante documentation, cette étude approfondie, fouillée dans toutes ses ramifications tant historiques que psychologiques ou morales, évoque aussi le rôle de la fiction comme expression de la vérité.

\Mots-clés : #biographie #campsconcentration #devoirdememoire #ecriture #guerredespagne #historique #politique #psychologique #xxesiecle
par Tristram
le Mar 17 Oct 2023 - 12:34
 
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Véronique Olmi

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Elle a été enlevée à sept ans dans son village du Darfour et a connu toutes les horreurs et les souffrances de l’esclavage. Rachetée à l’adolescence par le consul d’Italie, elle découvre un pays d’inégalités, de pauvreté et d’exclusion.

Affranchie à la suite d’un procès retentissant à Venise, elle entre dans les ordres et traverse le tumulte des deux guerres mondiales et du fascisme en vouant sa vie aux enfants pauvres.

Le Pape Jean-Paul II la déclare sainte le 1er octobre 2000.

sources Babelio

Quel choc ce roman ! Merveilleusement écrit, sans pathos, très émouvant....basé sur la vie réelle de cette femme.


Les esclaves domestiques et paysans dorment dans deux bâtisses séparées, une pour les hommes, l'autre pour les femmes, des bâtisses délabrées qui puent la paille humide et l'urine, où pullulent les rats, se transmettent les maladies, mais où règne surtout la peur. Les esclaves ont peur tout le temps. Peur de dormir alors qu'il est peut-être l'heure de se lever. Peur de ne pas dormir et d'être trop épuisé pour travailler au matin. Peur des coups qui réveillent les coups de la veille. Peur des coups qui ne viennent pas et vont tomber par surprise. Peur des anciens esclaves et des nouveaux esclaves, ceux qui savent trop de choses et ceux qui arrivent dans une innocence dangereuse. Peur le jour et peur la nuit, car l'épouse du général vient chaque matin avant le chant du coq pour les battre. Et ceux qui ont travaillé dans la nuit et viennent à peine de s'allonger sur leur natte sont battus pareil. Et celles qui sont grosses d'un enfant, et ceux qui sortent de leurs songes, et ceux dont l'esprit est encore uni à la nuit, et ceux qui ont la fièvre, et ceux qui sont si vieux qu'on les jettera bientôt sur le tas de fumier, et les petits enfants encore au sein, tous, encore couchés, sont battus pareil. Chaque matin avant le chant du coq, la femme du général crie dans une jouissance furieuse : « Abid ! Esclaves ! Race animale ! » Après cela, elle va mieux


Depuis Taweisha, elle sait que cette ville n'est en rien un endroit paisible. Ici tous sont marchands et gardiens d'esclaves, esclaves, femmes ou enfants d'esclaves, esclaves d'esclaves, une vie hiérarchisée, sous le haut commandement du prêtre, lui-même aux ordres des gros négociants. Le respect, c'est à eux qu'il va, les riches et les religieux. Ici les hommes ne sont pas seulement chargés de ce qu'ils ont pris aux villages razziés, ils sont aussi chargés de ce qu'ils ont arraché aux éléphants et aux bêtes sauvages, leurs mulets et leurs chameaux aux dents jaunes portent les trésors de pierres et d'or, ils ont gratté et éventré la terre et les arbres, ils vont vendre les hommes, les cornes et les peaux, le sel, la gomme et le cuivre, par eux le monde a été saccagé, et Bakhita entend le bruit des masses qui cognent le bois pour faire des enclos, celui des bêtes et celui des hommes, prisonniers et innocents pareils.




Elle ne sait pas comment elle s'appelle. Elle ne sait pas en quelle langue sont ses rêves. Elle se souvient de mots en arabe, en turc, en italien, et elle parle quelques dialectes. Plusieurs viennent du Soudan et un autre, de Vénétie. Les gens disent " un mélange" . Elle parle un mélange et on la comprend mal. On doit tout redire avec d'autres mots. Qu'elle ne connaît pas. Elle lit avec une lenteur passionnée l'italien, et elle signe d'une écriture tremblante, presque enfantine. Elle connaît trois prières en latin. Des chants religieux qu'elle chante d'une voix basse et forte.


Poignant et en même temps très intéressant, Véronique Olmi met en évidence le rôle qu'ont joué les africains eux-mêmes dans la razzia et le trafic des esclaves..Karthoum le plus grand centre de castration d'Afrique....le lieu de tous les trafics d'esclaves, ravalés au rang d'animaux... vraiment, j'avais déjà lu "Les négriers en terre d'Islam"...de Jacques Heers, que je recommande pour ceux que le sujet intéresse, mais là, le destin de tous ces pauvres gens vus de près est particulièrement émouvant....

J'ai adoré, Véronique Olmi a écrit un de ses meilleurs romans....impossible de ne pas être touchée par ce récit et la personnalité si touchante de Bakhita.


\Mots-clés : #biographie #esclavage
par simla
le Mer 19 Juil 2023 - 7:40
 
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Sujet: Véronique Olmi
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Leonardo Sciascia

Les Paroisses de Regalpetra

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Dans son Avertissement, Sciascia donne la chronique de cette petite ville fictive qui ressemble à celle de ses origines, Racalmuto, comme à nombre d’autres en Sicile : pressurisation des paysans et les mineurs (soufre, sel), les braccianti, depuis les comtes du XVIIe jusqu’au fascisme, excluant uniquement les fonctionnaires des Bourbons.
Dans Brève chronique d’un régime, c’est l’enfance du narrateur (Sciascia) sous le fascisme.
« À l’exception de quelques petites invectives, je n’entendais dire que du bien de Mussolini et du fascisme. »

En grandissant, s’épuise l’évidence du fascisme et de son embrigadement, de ses guerres en Éthiopie et en Espagne.
« C’est ça, la dictature : un soupçon venimeux, un réseau de trahisons et de tromperies humaines. »

Compte rendu édifiant instructif du Cercle de la Concorde, celui des galantuomini (mais malheureusement il faudrait bien connaître l’histoire et la politique italiennes pour le savourer en détail). Puis Sciascia est instituteur au bourg, avec des élèves affamés, sans autre perspective que la faim ou l’émigration, dont il désigne chaque jour les heureux bénéficiaires de la cantine.
« Si je m’habitue à cette anatomie quotidienne de misère, d’instincts, à ce cruel rapport humain, si je commence à la voir dans sa nécessité et sa fatalité, comme d’un corps qui est ainsi fait et qui ne peut pas être différent, j’aurai perdu ce sentiment, d’espoir et d’autre chose, qui est, je crois, ce que j’ai de meilleur en moi. »

Les ouvriers sauniers : passage qui vaut document sur leur misérable condition.

Journal d’une campagne électorale : celle de 1955, avec une multitude de partis dans une curieuse démocratie, très « pirandellienne ».

La neige, Noël : le froid ajoute à la pauvreté.
« Moi, le jour de Noël, j’ai joué avec mes cousins et mes camarades. J’avais gagné deux cents lires et quand je suis rentré, mon père me les a prises et c’est lui qui s’en est allé s’amuser. »

Sont marquants les ascendants des prêtres et de la mafia ; j'ai été surpris du renoncement impuissant de Sciascia instituteur.

\Mots-clés : #biographie #corruption #historique #misere #politique #ruralité #xxesiecle
par Tristram
le Mer 17 Mai 2023 - 12:40
 
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Sujet: Leonardo Sciascia
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Jon Krakauer

Into the Wild (Voyage au bout de la solitude)

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Ce récit, au départ un article de Krakauer, relate la tentative du jeune Christopher McCandless de vivre seul dans l’Alaska sauvage (Sean Penn en a tiré un film dont j’ai gardé le souvenir à cause du bus abandonné dans lequel on retrouvera son corps).
« Au cours de l’été 1990, tout de suite après l’obtention de son diplôme de fin d’études, avec mention, à l’université Emory, son entourage le perdit de vue. Il changea de nom, fit don de ses 24 000 dollars d’économies à une œuvre humanitaire, abandonna sa voiture et presque tout ce qu’il possédait et brûla les billets de banque qu’il avait dans son portefeuille. Puis il vécut une nouvelle vie, logeant chez des marginaux dépenaillés et parcourant l’Amérique du Nord à la recherche de l’expérience pure, transcendante. Sa famille ignorait complètement ce qu’il était devenu, jusqu’à ce qu’on retrouve ses restes en Alaska. »

Inspiré par Léon Tolstoï, Ralph Waldo Emerson, Henry David Thoreau (« la Désobéissance civile »), Boris Pasternak, Mark Twain et surtout Jack London, Chris quitte les siens et, épris de liberté, prend la route. Il se surnomme lui-même Alexander Supertramp et écrit son journal à la troisième personne du singulier ; il mène la vie errante des vagabonds à travers les États-Unis (y compris une descente du Colorado en canoë jusqu’au Mexique) pendant deux ans, subsistant de petits boulots et de plantes sauvages, faisant de belles rencontres.
Krakauer expose son enquête débutée dès que le corps de Chris est découvert, ses rencontres avec des amis de McCandless, les antécédents similaires en Alaska, comme Everett Ruess (apparemment déjà présenté par Wallace Stegner). Nombre d’autres écrivains de la wilderness sont évoqués, comme John Muir, Edward Abbey. Mais ce qu’on peut savoir de Chris forme un portrait qui me paraît confus. Il me semble qu’on peut retenir qu’il était intrépide (ou téméraire), soucieux de se prouver son autonomie, attiré par l’aventure, et aussi idéaliste antisocial, « romantique », en quête de vérité.
Puis Krakauer raconte en comparaison son cas personnel, et son ascension du Devils Thumb (le Pouce du Diable), en Alaska.
« Et puis brusquement, il n’y eut plus d’endroit où grimper. »

En avril 1992, Chris part seul sur la piste Stampede, avec pour tout bagage cinq kilos de riz, une carabine 22 Long Rifle et quelques livres. Après deux mois de vie dans la taïga aux abords de l’autobus, seul vestige d’un projet abandonné de route minière, il veut revenir, mais la rivière qu’il a passé à gué est devenue infranchissable.
« Il tenta de vivre entièrement sur le pays, et il le fit sans se soucier d’apprendre auparavant à maîtriser tout le répertoire des techniques indispensables. »

Krakauer relate comme il découvrit l’autobus avec tout ce qu’y a laissé Chris, cite le journal où sont énumérés les gibiers et baies consommés par celui qui va mourir de faim (et possiblement d’un empoisonnement par un alcaloïde végétal).
Dans cette revue des "appels de la forêt" contemporains, j’ai été frappé par l’importance marquante de la beauté de la nature (simultanément avec la soif de liberté, d'aventure et de vérité).

\Mots-clés : #aventure #biographie #jeunesse #nature #solitude #temoignage #voyage
par Tristram
le Mer 10 Mai 2023 - 13:03
 
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Sujet: Jon Krakauer
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Julian Barnes

L'Homme en rouge

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En juin 1885, trois Français font du « shopping intellectuel et décoratif » à Londres, capitale des préraphaélites et de la décadence en cette Belle Époque : le comte Robert de Montesquiou, qui inspira le Des Esseintes de Huysmans (À rebours est fréquemment mentionné dans ce récit) et le baron de Charlus à Proust, le prince Edmond de Polignac, musicien lui aussi « dandy-esthète » pour qui tout est affaire de goût, et Samuel Pozzi, célèbre médecin qui lui n’est pas homosexuel, ni aristocrate (c’est L'Homme en rouge). Oscar Wilde est tôt évoqué, et Le Portrait de Dorian Gray revient aussi maintes fois. Quant à lui, Pozzi fut (entr’autres) l’amant, puis l’ami de Sarah Bernhardt.
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Dr. Pozzi at Home (1881), de John Singer Sargent

D’autres personnalités apparaîtront (tous les personnages sont historiques), souvent littéraires tels Baudelaire, Flaubert, Barbey d’Aurevilly, Mallarmé, Maupassant, Henry James, Edmond de Goncourt, Jean Lorrain (un excessif et fielleux potinier), les Daudet, mais aussi des peintres (Degas, Whistler) et photographes (Nadar) ; l’ouvrage est illustré de certaines de leurs œuvres parmi d’autres, comme les vignettes de célébrités Félix Potin.
Très beau tableau de la société française au tournant des XIX et XXe siècles, entremêlant histoire petite et grande dans un style éblouissant :
« Et puis il y eut un incident insolite, mineur et amusant, à des milliers de kilomètres de là, qui illustre bien la loi historique des conséquences non voulues. En 1896, pendant la ruée coloniale sur l’Afrique, l’expédition militaire Marchand, comprenant une dizaine de Français et plus de cent vingt tirailleurs sénégalais, entreprit de traverser le continent d’ouest en est ; leur objectif était un fort en ruine sur le Nil supérieur. D’une manière bien française, ils partirent avec treize cents litres de bordeaux, cinquante bouteilles de Pernod, et un piano mécanique. La rude traversée dura deux ans ; ils arrivèrent en juillet 1898, deux mois après le J’accuse ! de Zola. Ils hissèrent le drapeau tricolore sur le fort de Fachoda, sans paraître avoir d’autre but géopolitique que d’embêter les Britanniques. Ce qu’ils firent, un peu, jusqu’au moment où Kitchener, qui commandait alors l’armée d’Égypte (et qui était, contrairement à sa réputation, un francophile parlant couramment français), arriva à son tour et leur conseilla de décamper. Il leur donna aussi des journaux français récents, où ils lurent des articles sur l’affaire Dreyfus, et pleurèrent. Les deux camps fraternisèrent, et la fanfare britannique joua La Marseillaise quand les Français se retirèrent. Personne ne fut blessé ou violenté ; encore moins tué. »

« Tous les cent ans environ, une nouvelle vague d’exilés arrivait dans les ports du côté anglais de la Manche : huguenots, fugitifs après la Révolution, communards, anarchistes… Quatre souverains successifs (Louis XVIII, Charles X, Louis-Philippe et Napoléon III) trouvèrent refuge en Grande-Bretagne ; ainsi que Voltaire, l’abbé Prévost, Chateaubriand, Guizot et Victor Hugo. Monet, Pissarro, Rimbaud, Verlaine, Zola, tous prirent la direction de l’Angleterre quand des soupçons (de différentes sortes) les visèrent de manière trop inquiétante. […]
La raison principale d’un exil en France, pour un Britannique, était le désir d’échapper au scandale (et de pouvoir continuer dans la même voie scandaleuse) : c’était l’endroit où aller pour l’aristocrate ruiné, le bigame, le tricheur professionnel, l’homosexuel. « Ils » nous envoyaient leurs souverains déchus et leurs dangereux révolutionnaires, nous leur envoyions nos mauvais sujets plus ou moins huppés. Une autre raison d’un exil continental fut exprimée par le peintre Walter Sickert dans une lettre postée de Dieppe en 1900 : « C’est bougrement sain ici & foutrement bon marché » (sans allusion sexuelle cryptée). »

Britannique, Barnes a un regard plein d’humour sur les deux pays, France et Angleterre :
« Les Britanniques sont censés être pragmatiques, les Français plus sentimentaux. En réalité, dans les affaires du cœur, c’était souvent le contraire. Les Britanniques croyaient à l’amour et au mariage – croyaient que l’amour menait et survivait au mariage, que la sentimentalité était une expression d’amour vrai, et que la tendre union et le fidèle veuvage de leur reine Victoria étaient un exemple national. C’étaient les Français qui avaient l’approche la plus pragmatique : on se mariait pour la position sociale, pour l’argent ou pour les biens, pour la perpétuation de la famille, mais non pour l’amour. L’amour survivait rarement au mariage, et il était sottement hypocrite de faire comme s’il le pouvait. Le mariage n’était qu’un camp de base d’où le cœur aventureux s’élançait vers telle ou telle cime.
Ces règles, bien entendu, étaient fixées par les hommes, et ne figuraient nulle part dans le contrat de mariage. »

Le portrait des principaux concernés est étonnant, tel le snob et vaniteux Montesquiou qui s’entremet dans le mariage du prince de Polignac, ruiné, avec la richissime Winnaretta Singer (des machines à coudre), lesbienne.
« La Belle Époque fut une période de grande richesse pour les plus fortunés, de pouvoir social pour l’aristocratie, de snobisme débridé et complexe, d’impétueuse ambition coloniale, de patronage artistique, et de duels dont le degré de violence reflétait souvent une irascibilité personnelle plus qu’un honneur bafoué. Il n’y a pas grand-chose à dire en faveur de la Grande Guerre, mais au moins elle balaya une bonne partie de tout cela. »

Nombreuses observations sur la survivance de la coutume du duel pour l’honneur en France (et la facilité à détenir une arme), qui m’a aussi toujours étonné.
Pozzi est particulièrement rendu, éminent représentant de la chirurgie française, titulaire de la première chaire de gynécologie en France, assisté de Robert Proust, le frère de Marcel. On découvre aussi Catherine, sa fille. On le suit aux États-Unis, comme Wilde et Bernhardt, qui créent Salomé.
La mort de Pozzi est difficilement perçue comme « non-fiction », et je me garde de la divulgâcher. Reste au moins de lui cette phrase :
« Le chauvinisme est une des formes de l’ignorance. »

Ce récit, très documenté, est assez décousu, et le fil directeur, la vie de Pozzi, lâchement bâti, mais l’ensemble magistralement agencé, car la lecture reste éveillée d’une anecdote à un autre témoignage tandis que se compose le tableau de la société de l’époque. Le narrateur (en fait l’auteur apparemment) commente directement :
« L’art survit au caprice individuel, à l’orgueil familial, aux conventions sociales ; l’art a toujours le temps de son côté. »

« Les livres changent avec le temps ; ou du moins, la façon dont nous les lisons change. »

« Rien ne date autant que l’excès.
Daté : comme le passé doit haïr parfois autant le présent que le présent peut haïr l’avenir – cet avenir inconnaissable, insouciant, cruel, offensant, dédaigneux et qui ne sait l’apprécier –, un avenir indigne d’être l’avenir du présent. Ce que j’ai dit au début – que l’art a toujours le temps de son côté – n’était que de l’optimisme, une illusion sentimentale. L’art peut avoir le temps de son côté ; mais lequel ? Le temps impose un tri brutal. Moreau, Redon, Puvis de Chavannes : chacun d’eux parut être autrefois l’avenir de la peinture française. Puvis semble maintenant – pour la période en cours en tout cas – bien seul et pâle loin derrière. Redon et Moreau parlèrent à leur époque avec des métaphores très différentes, et le siècle suivant a préféré Redon. »

« « On ne peut savoir. » Modérément employée, c’est une des plus fortes phrases dans le langage du biographe : elle nous rappelle que la suave histoire-d’une-vie qu’on lit, malgré tous ses détails, sa longueur et ses notes en bas de page, malgré toutes ses certitudes factuelles et ses solides hypothèses, ne peut être qu’une version publique d’une vie publique, et une version subjective d’une vie privée. La biographie est une série de lacunes reliées par de la ficelle, et cela nulle part autant que dans la vie sexuelle et amoureuse. »

« « On ne peut savoir », mais « c’est ce qu’on dit, en tout cas ». La rumeur est « vraie » dans le sens qu’elle répète ce que croit quelqu’un, ou ce que croit quelqu’un qu’il ou elle connaît ; ou, si cette personne l’a inventée elle-même, ce qu’elle aimerait croire. Donc la rumeur est au moins vraie dans son mensonge, et révélatrice du caractère et de la mentalité de ceux qui la répandent. »

« Qu’y a-t-il dans le présent qui le rende si impatient de juger le passé ? Il y a toujours une tendance à la névrose dans le présent, qui se croit supérieur au passé mais ne peut tout à fait surmonter une anxiété persistante à l’idée qu’il pourrait ne pas l’être. Et derrière cela il y a une autre question : qu’est-ce qui nous permet de juger ? Nous sommes le présent, c’est le passé : cela suffit généralement pour la plupart d’entre nous. Et plus le passé s’éloigne, plus il devient tentant de le simplifier. Si grossière que soit notre accusation, il ne répond jamais, il reste silencieux. »


\Mots-clés : #biographie #historique #peinture
par Tristram
le Dim 23 Avr 2023 - 13:15
 
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Jean-Marie Blas de Roblès

Dans l'épaisseur de la chair

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Le roman commence par un passage qui développe heureusement la superstition des marins, ici des pêcheurs à la palangrotte sur un pointu méditerranéen, Manuel Cortès, plus de quatre-vingt-dix ans, et son fils, le narrateur. Ce dernier veut recueillir les souvenirs paternels pour en faire un livre. Et c’est accroché au plat-bord de l’embarcation dont il est tombé, seul en mer, qu’il commence le récit de la famille, des Espagnols ayant immigré au XIXe en Algérie pour fuir sécheresse et misère : des pieds-noirs :
« Le problème est d’autant plus complexe que pas un seul des Européens qui ont peuplé l’Algérie ne s’est jamais nommé ainsi. Il faut attendre les derniers mois de la guerre d’indépendance pour que le terme apparaisse, d’abord en France pour stigmatiser l’attitude des colons face aux indigènes, puis comme étendard de détresse pour les rapatriés. Il en va des pieds-noirs comme des Byzantins, ils n’ont existé en tant que tels qu’une fois leur monde disparu. »

À Bel-Abbès, ou « Biscuit-ville », Juan est le père de Manuel, antisémite comme en Espagne après la Reconquista, et « n’ayant que des amis juifs »… Ce sont bientôt les premiers pogroms, et la montée du fascisme à l’époque de Franco, Mussolini et Hitler.
« En Algérie, comme ailleurs, le fascisme avait réussi à scinder la population en deux camps farouchement opposés. »

« Le Petit Oranais, journal destiné "à tous les aryens de l’Europe et de l’univers", venait d’être condamné par les tribunaux à retirer sa manchette permanente depuis 1930, un appel au meurtre inspiré de Martin Luther : "Il faut mettre le soufre, la poix, et s’il se peut le feu de l’enfer aux synagogues et aux écoles juives, détruire les maisons des Juifs, s’emparer de leurs capitaux et les chasser en pleine campagne comme des chiens enragés." On remplaça sans problème cette diatribe par une simple croix gammée, et le journal augmenta ses ventes. »

Est évoquée toute l’Histoire depuis la conquête française, qui suit le modèle romain.
« Bugeaud l’a clamé sur tous les tons sans être entendu : "Il n’est pas dans la nature d’un peuple guerrier, fanatique et constitué comme le sont les Arabes, de se résigner en peu de temps à la domination chrétienne. Les indigènes chercheront souvent à secouer le joug, comme ils l’ont fait sous tous les conquérants qui nous ont précédés. Leur antipathie pour nous et notre religion durera des siècles." »

« Cela peut sembler incroyable aujourd’hui, et pourtant c’est ainsi que les choses sont advenues : les militaires français ont conquis l’Algérie dans une nébulosité romaine, oubliant que le songe où ils se coulaient finirait, comme toujours, et comme c’était écrit noir sur blanc dans les livres qui les guidaient, par se transformer en épouvante. D’emblée, et par admiration pour ceux-là mêmes qui avaient conquis la Gaule et gommé si âprement la singularité de ses innombrables tribus, les Français ont effacé celle de leurs adversaires : ils n’ont pas combattu des Ouled Brahim, des Ouled N’har, des Beni Ameur, des Beni Menasser, des Beni Raten, des Beni Snassen, des Bou’aïch, des Flissa, des Gharaba, des Hachem, des Hadjoutes, des El Ouffia, des Ouled Nail, des Ouled Riah, des Zaouaoua, des Ouled Kosseir, des Awrigh, mais des fantômes de Numides, de Gétules, de Maures et de Carthaginois. Des indigènes, des autochtones, des sauvages. »

« Impossible d’en sortir, tant que ne seront pas détruites les machines infernales qui entretiennent ces répétitions. »

Dans l’Histoire plus récente, le régime de Vichy « réserva les emplois de la fonction publique aux seuls Français "nés de père français" », et fit « réexaminer toutes les naturalisations d’étrangers, avec menace d’invalider celles qui ne seraient pas conformes aux intérêts de la France. Ces dispositions, qui visaient surtout les Juifs sans les nommer, impliquaient l’interdiction de poursuivre des études universitaires. »
« Exclu du lycée Lamoricière, André Bénichou, le professeur de philo de Manuel, en fut réduit à créer un cours privé dans son appartement. C’est à cette occasion qu’il recruta Albert Camus, lui-même écarté de l’enseignement public à cause de sa tuberculose. Et je comprends mieux, tout à coup, pourquoi l’enfant de Mondovi, coincé à Oran, s’y était mis à écrire La Peste. »

Manuel se tourne vers la pharmacie, puis la médecine, s’engage pendant la Seconde Guerre, et devient chirurgien dans un tabor de goumiers du corps expéditionnaire français en Campanie.
« Sur le moment, j’aurais préféré l’entendre dire qu’il avait choisi la guerre « pour délivrer la France » ou « combattre le nazisme ». Mais non. Il s’était presque fâché de mon insistance : Je n’ai jamais songé à délivrer qui que ce soit, ni ressenti d’animosité particulière contre les Allemands ou les Italiens. Pour moi, c’était l’aventure et la haine des pétainistes, point final. »

« Quand le tabor se déplaçait d’un lieu de bataille à un autre, les goumiers transportaient en convoi ce qu’ils avaient volé dans les fermes environnantes, moutons et chèvres surtout, et à dos de mulet la quincaillerie de chandeliers et de ciboires qu’ils pensaient pouvoir ramener chez eux. Ils n’avançaient que chargés de leurs trophées, dans un désordre brinquebalant et coloré d’armée antique. […]
Les autorités militaires offrant cinq cents francs par prisonnier capturé, les goumiers s’en firent une spécialité. Et comme certains GI ne rechignaient pas à les leur racheter au prix fort pour s’attribuer l’honneur d’un fait d’armes, il y eut même une bourse clandestine avec valeurs et cotations selon le grade des captifs : un capitaine ou un Oberstleutnant rapportait près de deux mille francs à son heureux tuteur ! »

« Officiellement, la circulaire d’avril 1943 du général Bradley était très explicite sur ce point : pour maintenir le moral de l’armée il ne fallait plus parler de troubles psychologiques, ni même de shell shock, la mystérieuse « obusite » des tranchées, mais d’« épuisement ». Dans l’armée française, c’était beaucoup plus simple : faute de service psychiatrique – le premier n’apparaîtrait que durant la bataille des Vosges – il n’y avait aucun cas recensé de traumatisme neurologique. Des suicidés, des mutilations volontaires, oui, bien sûr, des désertions, des simulateurs, des bons à rien de tirailleurs ou de goumiers paralysés par les djnouns, incapables de courage physique et moral, ça arrivait régulièrement, des couards qu’il fallait bien passer par les armes lorsqu’ils refusaient de retourner au combat, mais des cinglés, jamais. Pas chez nous. Pas chez des Français qui avaient à reconquérir l’honneur perdu lors de la débâcle.
Mon père m’a raconté l’histoire d’un sous-officier qu’il avait vu se mettre à courir vers l’arrière au début d’une attaque et ne s’était plus arrêté durant des kilomètres, jusqu’à se réfugier à Naples où on l’avait retrouvé deux semaines plus tard. Et de ceux-là, aussi, faisant les morts comme des cafards au premier coup d’obus. J’ai pour ces derniers une grande compassion, tant je retrouve l’attitude qui m’est la plus naturelle dans mes cauchemars de fin du monde. Faire le mort, quitte à se barbouiller le visage du sang d’un autre, et attendre, attendre que ça passe et ce moment où l’on se relèvera vivant, quels que soient les comptes à rendre par la suite.
Sommes-nous si peu à détester la guerre, au lieu de secrètement la désirer ? »

S’accrochant toujours à sa barque, le narrateur médite.
« Dès qu’on se mêle de raconter, le réel se plie aux exigences de la langue : il n’est qu’une pure fiction que l’écriture invente et recompose. »

Heidegger, le perroquet que le narrateur a laissé au Brésil et devenu « une sorte de conscience extérieure qui me dirait des choses tout en dedans », renvoie à Là où les tigres sont chez eux.
« Heidegger a beau dire qu’il s’agit d’une coïncidence dénuée d’intérêt, je ne peux m’empêcher d’en éprouver un vertige désagréable, celui d’un temps circulaire, itératif, où reviendraient à intervalles fixes les mêmes fulgurances, les mêmes conjonctures énigmatiques. »

Ayant suivi des cours de philosophie (tout comme Manuel qui « s’inscrivit en philosophie à la fac d’Alger »), Blas de Roblès cite Wole Soyinka (sans le nommer) :
« Le tigre ne proclame pas sa tigritude, soupire Heidegger, il fonce sur sa proie et la dévore. »

En contrepartie de leur courage de combattants, les troupes coloniales commettent de nombreuses exactions, du pillage aux violences sur les civils.
« Plus qu’une sordide décompensation de soldats épargnés par la mort, le viol a toujours été une véritable arme de guerre. »

Le roman est fort digressif (d’ailleurs la citation liminaire est de Sterne). Le narrateur qui marine et s’épuise évoque des jeux d’échecs, fait de curieux projets, met en cause Vasarely…
Après la bataille du monastère de Monte Cassino, la troupe suit le « bellâtre de Marigny » (Jean de Lattre de Tassigny) dans le débarquement en Provence, puis c’est la bataille des Vosges, et l’Ardenne.
À propos du film Indigènes, différent sur l’interprétation des faits.
À peine l’Allemagne a-t-elle capitulé, Manuel est envoyé avec la Légion et les spahis qui répriment une insurrection à Sétif, « un vrai massacre » qui tourne vite à l’expédition punitive (une centaine de morts chez les Européens, plusieurs milliers chez les indigènes). Blessé, il part suivre ses études de médecine à Paris, puis se marie par amour avec une Espagnole pauvre, mésalliance à l’encontre de l’entre-soi de mise dans les différentes communautés.
« Les « indigènes », au vrai, c’était comme les oiseaux dans le film d’Alfred Hitchcock, ils faisaient partie du paysage. »

« Après Sétif, la tragédie n’a plus qu’à débiter les strophes et antistrophes du malheur. Une mécanique fatale, avec ses assassinats, ses trahisons, ses dilemmes insensés, sa longue chaîne de souffrances et de ressentiment. »

Les attentats du FLN commencent comme naît Thomas, le narrateur, qui aborde ses souvenirs d’enfance.
« …] le portrait que je trace de mon père en me fiant au seul recours de ma mémoire est moins fidèle, je m’en aperçois, moins réel que les fictions inventées ou reconstruites pour rendre compte de sa vie avant ma naissance. »

OAS et fellaghas divisent irréconciliablement Arabes et colons. De Gaulle parvient au pouvoir, et tout le monde croit encore que la situation va s’arranger, jusqu’à l’évacuation, l’exode, l’exil. Mauvais accueil en métropole, et reconstruction d’une vie brisée, Manuel devant renoncer à la chirurgie pour être médecin généraliste.
Histoire étonnante des cartes d’Opicino de Canistris :
« À la question « qui suis-je ? », qui sum ego, il répond tu es egoceros, la bête à corne, le bouc libidineux, le rhinocéros de toi-même.
Il n’est pas fou, il me ressemble comme deux gouttes d’eau ; il nous ressemble à tous, encombrés que nous sommes de nos frayeurs intimes et du combat que nous menons contre l’absurdité de vivre. »

Regret d’une colonisation ratée…
« Ce qu’il veut dire, je crois, c’est qu’il y aurait eu là-bas une chance de réussir quelque chose comme la romanisation de la Gaule, ou l’européanisation de l’Amérique du Nord, et que les gouvernements français l’avaient ratée. Par manque d’humanisme, de démocratie, de vision égalitaire, par manque d’intelligence, surtout, et parce qu’ils étaient l’émanation constante des « vrais colons » – douze mille en 1957, parmi lesquels trois cents riches et une dizaine plus riches à eux dix que tous les autres ensemble – dont la rapacité n’avait d’égal que le mépris absolu des indigènes et des petits Blancs qu’ils utilisaient comme main-d’œuvre pour leurs profits. »

… mais :
« Si les indigènes musulmans ont été les Indiens de la France, ce sont des Indiens qui auraient finalement, heureusement, et contre toute attente, repoussé à la mer leurs agresseurs.
Un western inversé, en somme, bien difficile à regarder jusqu’à la fin pour des Européens habitués à contempler en Technicolor la mythologie de leur seule domination. »

« La France s’est dédouanée de l’Algérie française en fustigeant ceux-là mêmes qui ont essayé tant bien que mal de faire exister cette chimère. Les pieds-noirs sont les boucs émissaires du forfait colonialiste.
Manuel ne voit pas, si profonde est la blessure, que ce poison terrasse à la fois ceux qui l’absorbent et ceux qui l’administrent. La meule a tourné d’un cran, l’écrasant au passage, sans même s’apercevoir de sa présence.
Il y aura un dernier pied-noir, comme il y a eu un dernier des Mohicans. »

Clairement narré, et regroupé en petits chapitres, ce qui rend la lecture fort agréable. Par exemple, le 240ème in extenso :
« Rejoindre le front des Vosges dans un camion de bauxite, sauter sur une mine à Mulhouse, et se retrouver médecin des gueules rouges à Brignoles, en compagnie d’un confrère alsacien ! Qu’est-ce qui est à l’œuvre dans ce genre de conjonction ? Quels sont les dieux fourbes qui manipulent ainsi nos destinées ? Projet : S’occuper de ce que Charles Fort appelait des « coïncidences exagérées ». Montrer ce qu’elles révèlent de terreur archaïque devant l’inintelligibilité du monde, de poésie latente aussi, et quasi biologique, dans notre obstination à préférer n’importe quel déterminisme au sentiment d’avoir été jetés à l’existence comme on jette, dit-on, un prisonnier aux chiens. »

Les parties du roman sont titrées d’après les cartes italiennes de la crapette, « bâtons, épées, coupes et deniers ».
Il y a une grande part d’autobiographie dans ce roman dense, qui aborde nombre de sujets.
Beaucoup d’aspects sont abordés, comme le savoureux parler nord-africain en voie de disparition (ainsi que son humour), et pendant qu’on y est la cuisine, soubressade, longanisse, morcilla
Et le dénouement est inattendu !

\Mots-clés : #antisémitisme #biographie #colonisation #deuxiemeguerre #enfance #exil #guerredalgérie #historique #identite #immigration #insurrection #politique #racisme #relationenfantparent #segregation #social #terrorisme #traditions #xxesiecle
par Tristram
le Ven 31 Mar 2023 - 12:56
 
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François Sureau

Un an dans la forêt

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Le narrateur, militaire après la Seconde Guerre dans « l’Ardenne, derrière Sedan », évoque de nombreuses références littéraires, et surtout Blaise Cendrars. Aussi saint Benoît Labre, moine manqué et pèlerin mendiant qui fascine ce dernier.
« Si insaisissables que soient à cette époque les sentiments religieux de Cendrars, on voit bien qu’il aime dans le christianisme la pauvreté, l’errance, et la subversion permanente, sourde, absolue, de toutes les grandeurs sociales – en quoi en effet il est incomparable. »

C’est encore un texte assez bref, d’un style rigoureux, aux renvois parfois obscurs.
Puis apparaît Élisabeth Prévost, grande voyageuse et cuniculicultrice qui accueille Cendrars pour une retraite forestière (et deviendra Diane de La Panne dans L’homme foudroyé) : son « copain ».
« Que mêler la vérité au mensonge, et en écrire, soit la seule manière de traverser les apparences pour ceux qui n’ont pas reçu la grâce d’être des saints, ou n’ont pas voulu entendre l’appel qui leur était adressé, reste à mes yeux le signe du tragique, au moins dans le domaine mental. J’y suis d’autant plus sensible s’agissant de Cendrars qu’il s’est approché très près de ce qui est, pour moi comme pour tant d’autres, l’essentiel, dans son errance de Pâques, ou devant la statue de Benoît Labre, ou essayant de reconstituer la vie de Marie l’Égyptienne. Lui aussi bien sûr, comme nous, a voulu « vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire », comme l’écrit Pascal. Mais il semble, la vérité et le mensonge y concourant étrangement à parts égales, n’avoir jamais perdu de vue cet « être véritable » et qui se dérobait. »

Là, Cendrars se remet à écrire, et traduit Forêt vierge, de Ferreira de Castro ; puis éclate la Seconde Guerre, qui marque la fin du recueillement dans la chartreuse sylvestre.
« La défaite se laissait pressentir dans l’incurie. »


\Mots-clés : #biographie
par Tristram
le Lun 27 Mar 2023 - 13:24
 
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Laure Murat

La Maison du docteur Blanche : histoire d’un asile et de ses pensionnaires, de Nerval à Maupassant.

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C’est l’histoire d’une maison de santé privée pour déficients mentaux au 19e siècle.
A la suite de la dénonciation par Philippe Pinel des conditions lamentables infligées aux aliénés, le docteur Esprit Blanche (au prénom prédestiné !) va fonder au début du siècle sur les hauteurs de Montmartre une clinique privée. Son œuvre sera poursuivie par son fils Emile qui lui, va s’établir à Passy.
«  Les Blanche, père et fils logent dans cet écart qui sépare « le moment 1800 », invention de la psychiatrie institutionnelle, du « moment 1900 », avènement de la psychanalyse. Comme si nés une génération trop tard, une génération trop tôt, ils étaient tombés dans la pliure de la page, le point aveugle qui est aussi l’axe fédérateur autour duquel s’ordonnent les feuillets d’un livre ».

Tout au long du 19e siècle, les débats font rage sur la nature organique ou psychique des troubles mentaux, mais la thérapeutique reste sommaire : bains prolongés, saignées, purges... Dans les moments de crise, on recourt sans problème aux douches froides et à la camisole. La particularité de l’établissement du docteur Blanche est d’introduire le patient dans la vie familiale du médecin : prise des repas ensemble, appartements privés, promenades dans le parc, rôle important de la parole. Bref, créer un cadre social apaisant pour le malade. Toutefois, ce côté paternaliste, même si on ne peut douter des qualités de compassion et d’écoute des Blanche père et fils,  va de pair avec une image du médecin s’imposant auprès des patients comme une sorte de maître absolu. Par ailleurs, être soigné dans ce type d’établissement a un coût… très élevé, les séjours à la clinique du docteur Blanche sont donc réservés à une clientèle fortunée. Ainsi, la mère de Baudelaire renoncera à y placer son fils de retour de Belgique. Outre la qualité des soins, la compétence du docteur Blanche, le caractère agréable du cadre de vie, les familles apprécient particulièrement un autre avantage essentiel, celui de la discrétion. A une époque où de nombreux spécialistes insistent sur le caractère héréditaire de l’aliénation, les familles bourgeoises n’ont nulle envie que faire savoir que l’un de leurs membres est soigné pour cette affection.
Principalement par le bouche à oreille, ce qui nous concerne au premier chef, la clinique Blanche devient rapidement un lieu réputé dans le milieu littéraire et artistique parisien. Parmi les patients les plus célèbres figure Gérard de Nerval qui fit deux longs séjours à la clinique, le dernier se terminant quelques mois avant sa mort. Très lucide sur son état lors des périodes de rémission, Nerval noue des relations complexes et ambigües avec son médecin. Moins lourd est le cas de Marie d’Agoult qui souffre de crises de neurasthénie avec tendances suicidaires, elle retrouvera une vie pratiquement normale après un séjour en clinique. En revanche, Charles Gounod devra faire appel à Emile Blanche à plusieurs reprises. Comme le souligne l’auteur, Marie d’Agoult et Charles Gounod seraient traités aujourd’hui par la parole et Nerval dans le cadre de l’hôpital de jour.
Une dernière catégorie de malades, peut-être la plus terrible, a aujourd’hui pratiquement disparue vaincue par la pénicilline. Il s’agit de la « paralysie générale » ou méningo-encéphalite provoquée par la syphilis et entraînant un état de démence jusqu’à la mort. Au moins deux célèbres patients du docteur Blanche étaient atteints par cette terrible maladie : Théo Van Gogh, le frère du peintre, et Guy de Maupassant. Nous suivons les derniers mois pénibles de ce dernier avec ce constat glaçant d’Emile Blanche dans son registre : Maupassant est en train de s’animaliser.
Jacques Blanche, fils d’Emile, ne suivra pas la vocation de son père et grand-père. Né avec une cuiller d’argent dans la bouche, il a appris à lire avec Marie d’Agoult, appris le piano avec Charles Gounod et la peinture avec Edouard Manet ! il va suivre une carrière artistique. Peintre dit « mondain », il est l’auteur du plus célèbre portait de Marcel Proust.

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A travers les destins d’écrivains et artistes ayant eu affaire aux Blanche père et fils, Laure Murat dresse un tableau vivant de la psychiatrie au 19e siècle. Cette période montre de vrais progrès dans le traitement des troubles mentaux mais des remèdes encore rudimentaires et des préjugés tenaces. Les femmes en particulier sont vite enfermées si elles font trop preuve d’indépendance par rapport à leur père ou leur époux. « La Maison du docteur Blanche » est un livre très intéressant, faisant preuve d’une approche fine du sujet de l'aliénation et servi par une écriture à la fois précise, claire et fluide.


\Mots-clés : #biographie
par ArenSor
le Ven 16 Déc 2022 - 14:43
 
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Sujet: Laure Murat
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Pascal Quignard

Dans ce jardin qu'on aimait

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Avertissement de l’auteur :
« Cette double histoire – celle d’un vieux musicien passionné par la musique qu’adresse spontanément la nature sans se soucier des hommes, le destin d’une femme célibataire désirant à tout prix faire reconnaître l’œuvre méconnue de son père – prit en moi la forme non pas d’un essai ni d’un roman mais d’une suite de scènes amples, tristes, lentes à se mouvoir, polies, tranquilles, cérémonieuses, très proches des spectacles de nô du monde japonais d’autrefois. »

Dans l’obscurité de l’hiver, Quignard imagine, à partir du peu qu’on en sait, la vie du révérend Simeon Pease Cheney, au XIXe dans l’État de New York. Son épouse, Eva Rosalba Vance, étant morte jeune en donnant le jour à leur fille Rosemund, il chasse celle-ci, devenue plus âgée et peut-être plus belle que sa mère, afin de demeurer dans le souvenir qu’il a de cette dernière, dans le jardin dont elle était passionnée. Il note tous les sons qui l’entourent.
« Il est possible que l’audition humaine perçoive des airs derrière la succession des sons de la même façon que l’âme humaine perçoit des narrations au fond des rêves les plus chaotiques. »

« Les songes sont surtout des retours,
d’étranges récurrences où ce qui est devenu invisible réapparaît comme visible sans qu’il atteigne pourtant le réel ni le jour. »

Les années ont passé, Rosemund, demeurée célibataire, est revenue ; elle qui enseignait le piano ne l’entend plus, ce piano qui est toute la vie de son père. Wood Notes Wild (Notes de la forêt sauvage), le livre de transcriptions de ce dernier, est refusé par les éditeurs ; il sera publié par sa fille après sa mort.
« Il y a quelque chose du paradis dans le chant des oiseaux. Dieu n’a pas damné les oiseaux dans l’Éden. »

« Je sens que quelque chose est sortie de moi et cela me rend heureuse.
Les rivières changent curieusement de nom au cours de leur parcours.
L’amour que ma mère portait à ce jardin, mon père l’a relayé. Il en a assumé la charge durant toute sa vie, c’est moi qui en ai le soin, dorénavant,
et aussi l’émotion, désormais. »

Une méditation originale, dans une forme qui ne l'est pas moins : belle adéquation du style à la pensée, devenus indissociables.
Ça m'a plu, Topocl !

\Mots-clés : #Biographie #musique #poésie #théâtre
par Tristram
le Ven 4 Nov 2022 - 11:17
 
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Sujet: Pascal Quignard
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Claudio Magris

Une autre mer

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Enrico est un jeune étudiant en philologie de Gorizia en Autriche-Hongrie qui s’embarque à Trieste pour l’Argentine fin 1909, renonçant au bonheur avec son frère Nino et son ami Carlo, avec qui il pratiquait les philosophes grecs (notamment Platon), Schopenhauer, Ibsen, Tolstoï, Bouddha, Beethoven.
« Ce mélange de peuples et son agonie sont une grande leçon de civilisation et de mort ; une grande leçon de linguistique générale aussi, car la mort est spécialiste en matière de plus-que-parfait et de futur antérieur. »

« Sur ce bateau qui à présent file à travers l’Atlantique, Enrico est-il en train de courir pour courir ou bien pour arriver, pour avoir déjà couru et vécu ? À vrai dire, il reste immobile ; déjà les quelques pas qu’il fait entre sa cabine, le pont et la salle à manger lui semblent inconvenants dans la grande immobilité de la mer, égale et toujours à sa place autour du bateau qui prétend la labourer, alors que l’eau se retire un instant et se referme aussitôt. La terre supporte, maternelle, le soc de charrue qui la fend, mais la mer est un grand rire inaccessible ; rien n’y laisse de trace, les bras qui y nagent ne l’étreignent pas, ils l’éloignent et la perdent, elle ne se donne pas. »

Enrico devient éleveur en Patagonie, toujours en selle ; il est patient, détaché, libre, éprouvant dans l’instant la vie à laquelle il ne demande rien, refusant tout engagement professionnel, politique, sentimental ou familial.
« Une fois il se trouve face à un puma, son cheval s’emballe, il le fouette rageusement et même le mord, l’animal le désarçonne et le piétine ; pendant des mois il pisse du sang, jusqu’à ce que des Indiens lui fassent boire certaines décoctions d’écorces et que ça lui passe. »

« Il y a toujours du vent mais au bout d’un certain temps on apprend à distinguer ses tonalités diverses selon les heures et les saisons, un sifflement qui s’effiloche ou un coup sec comme une toux. Parfois il semble que le vent a des couleurs, il y a le vent jaune d’or entre les haies, le vent noir sur le plateau nu. »

« Enrico tire, le canard sauvage s’abat sur le sol, en un instant le vol héraldique est un déchet jeté par la fenêtre. La loi de la pesanteur est décidément un facteur de gaucherie dans la nature ; il n’y a que les mots qui en soient préservés, entre autres ceux imprimés dans les classiques grecs et latins de la collection Teubner de Leipzig. »

Venu de la mansarde de Nino dans Gorizia à une cabane de l’altiplano, fuyant le vacarme des villes (et la guerre), il correspond avec Carlo (qui est le philosophe Carlo Michelstaedter), jusqu’à ce que celui-ci se suicide après avoir rédigé La persuasion et la rhétorique. Cet essai théorise la persuasion comme « plénitude de l’être en accord avec la vie et l’instant », la rhétorique en tant que « tout ce qui nous fait désirer d’être ailleurs, plus tard, plus fort, tandis qu’irrévocablement s’écoule et s’enfuit notre vie véritable » (Gallimard). Enrico est l’incarnation du « persuadé ».
« Carlo est la conscience sensible du siècle et la mort n’a aucun pouvoir sur la conjugaison du verbe être, seulement sur l’avoir. Enrico a ses troupeaux, son cheval, quelques livres. »

« Carlo parlait de toi, il regardait ta vie comme la seule chose qui mérite de l’estime… ce que Carlo nous a donné tu le fais et le démontres dans chacun des actes de ta vie actuelle et tu ne le sais même pas… »

« Dans ces pages ultimes Carlo le représente comme l’homme libre à qui les choses disent « tu es » et qui jouit uniquement parce que sans rien demander ni craindre, ni la vie ni la mort, il est pleinement vivant toujours et à chaque instant, même au dernier. »

« Les hommes ne sont pas tristes parce qu’ils meurent, a dit Carlo, ils meurent parce qu’ils sont tristes. »

« Dans ces pages il y a la parole définitive, le diagnostic de la maladie qui ronge la civilisation. La persuasion, dit Carlo, c’est la possession au présent de sa propre vie et de sa propre personne, la capacité de vivre pleinement l’instant, sans le sacrifier à quelque chose qui est à venir ou dont on espère la venue prochaine, détruisant ainsi sa vie dans l’attente qu’elle passe le plus vite possible. Mais la civilisation est l’histoire des hommes incapables de vivre dans la persuasion, qui édifient l’énorme muraille de la rhétorique, l’organisation sociale du savoir et de l’agir, pour se cacher à eux-mêmes la vue et la conscience de leur propre vacuité. »

Enrico revient à Gorizia après la Grande Guerre ; l’empire austro-hongrois a éclaté. Il vit à Punta Salvore en Istrie, alors italienne, se marie, est quitté, demeure avec une autre femme. L’Istrie passe du régime fasciste au communisme (puis au titisme) en devenant part de la Yougoslavie après la Seconde Guerre mondiale. Il contemple toujours la mer, songeant à Carlo, de plus en plus hors du temps, à l’écart de la vie ; il montre peu à peu des signes de mesquinerie égoïste, puis meurt.
« Mais il ne peut en être autrement, les mots ne peuvent faire écho qu’à d’autres mots, pas à la vie. »

« …] le plaisir c’est de ne pas dépendre des choses qui ne sont pas absolument nécessaires, et même celles qui le sont doivent être accueillies avec indifférence. »

« Ce sont les esclaves qui ont toujours le mot droit à la bouche, ceux qui sont libres ont des devoirs. »

Magris a mis beaucoup de choses dans ce beau livre, qui m’a ramentu… Yourcenar !

\Mots-clés : #biographie #historique #philosophique #portrait #xxesiecle
par Tristram
le Ven 7 Oct 2022 - 12:33
 
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Sujet: Claudio Magris
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Simon Stranger

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N’oubliez pas leurs noms – Encyclopédie de la lumière et des ténèbres.

Ceux dont il ne faut pas oublier le nom, ce sont toutes les victimes assassinées par les nazis. Et parmi eux Hirsch Komissar, l’arrière grand-père de la compagne de l’auteur.
Et il s’avère aussi que les grands-parents de cette femme ont vécu plusieurs années à Trondheim dans une maison, ancien repère de nazis, dont la cave a servi de lieu d’incarcération, de torture et d’assassinat, sous les ordres d’un jeune collaborateur très serviable et sanguinaire : Henry Oliver Rinnan.

Le récit alterne : l’histoire de ce bourreau, celle de l’arrière grand-père qui survécut 10 mois en camp de concentration et celle de cette famille dont le quotidien est diversement marqué par l’histoire de la maison.

La forme est plutôt originale, avec 26 chapitres constituant un ingénieux abécédaire,  et si cet aspect est séduisant (bravo le traducteur Jean-Baptiste Coursaud), il entraîne un éclatement du récit qui fait que j ‘ai souvent été un peu perdue dans le temps de ces trois histoires.

J’ai été un peu déçue de la place prise par le bourreau - j’attendais quelque chose de plus tourné vers la recherche des ancêtres -, et gênée par  la façon de romancer ces histoires vraie.
Une impression mitigée, donc.


\Mots-clés : #biographie #campsconcentration
par topocl
le Lun 12 Sep 2022 - 20:37
 
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Claude Gauvard

Jeanne d'Arc
Héroïne diffamée et martyre

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Un bon livre d’histoire qui ne raconte pas comme si on pouvait tout savoir du passé mais qui confronte les sources et n’hésite pas à évoquer les zones d’ombre.  Le personnage choisi, bel emblème de l’histoire de France, invoqué par tous les courants politiques mais en ce moment par les plus traditionalistes pour ne pas dire plus, n’est en aucun cas l’occasion d’une nostalgie de l’histoire d’antan, celle qui était indispensable pour un être un bon Français. Ce n’est pas non plus une nouvelle bondieuserie.
Claude Gauvard, spécialiste de la justice médiévale et de ses archives, cite la source qui l’a incitée à entreprendre ce nouvel ouvrage consacré à Jeanne d’Arc.

« Il [ce livre] ne reprend pas non plus les avatars historiographiques de son personnage. Le retour aux sources sur lequel il s’appuie ne prétend pas dire qui elle fut réellement, mais comment ses contemporains ont pu la juger. Un document de 1461, conservé aux Archives Nationales dans la série des registres criminels du parlement de Paris, m’y a incitée. Il état jusqu’alors inconnu des historiens. Au moment où François Villon chantait pour la postérité « Jeanne la bonne Lorraine », un noble nivernais, Jean II des Ulmes, né à peu près en même temps que la Pucelle, la traitait de « putain, ribaude », l’injure préférée des Anglais et des Bourguignons qu’on voyait ainsi resurgir, intacte, trente ans après sa mort. Dans la bouche de certains, peut-être n’avait-elle jamais disparu quand ils parlaient d’elle. »


Le livre, assez court 180 pages, passe au crible les éléments qui questionne cette fama, la renommée qui caractérise chacun au Moyen Age.
Le supplice : pourquoi brûler Jeanne d’Arc ? Il s’agissait, pour les Anglais, de faire disparaître le corps de cette femme qui avait permis à Charles VII de reprendre des villes et de se dresser contre la nouvelle double monarchie d’Henri VI, associant depuis 1431, la France et l’Angleterre.
Le procès associe politiques et religieux et nous plonge dans les relations compliquées qui lient les intérêts politiques des Anglais, les convictions bourguignonnes de l’Université, les rouages du procès religieux : hérétique, sorcière ….
Le roi et le royaume évoque le rôle de Jeanne qui a vécu sur la frontière lorraine du royaume dans son odyssée pour faire sacrer Charles VII et ce que l’on sait de la confiance que les politiques lui ont accordée.
Prophétesse ou sorcière  nous permet de saisir les croyances aux prophéties des hommes de cette fin du Moyen Age alors que la chasse aux sorcières n’a pas vraiment commencé.
L’opinion revient sur la réhabilitation nécessaire à Charles VII pour asseoir son pouvoir qui ne pouvait lui venir d’une « putain, ribaude » tandis que les Anglais qui avaient perdu la partie continuaient à y voir les actions maléfiques d’une « sorcière ».

Claude Gauvard conclut ainsi son livre
«  Au terme de ce livre, je reste convaincue qu’il est difficile d’écrire sur Jeanne d’Arc. Je me suis modestement contentée de décrire ce que les louanges ou les accusations dont elle fut l’objet révèlent des croyances et des peurs de la société de son temps. Les stéréotypes réducteurs dans lesquels on l’enferma, en particulier les chefs d’accusation de son procès en hérésie et sorcellerie ou les injures comprises de tous et véhiculées facilement partout répondaient aux attentes et aux pratiques de ses contemporains. Au sommet du pouvoir, à la cour du roi, elle suscita des jugements divers, et dans l’opinion, crainte, amour et haine à la fois, tout en étant sans doute ignorée du plus grand nombre. Il en ressort une image finalement contrastée et ambigüe dans le devenir d’un royaume où se mêlaient étroitement le religieux, le magique et le politique.
Il fallut donc attendre longtemps, à la fin du XIXe siècle, pour que la nation s’empare de Jeanne d’Arc et croie qu’elle avait fait la France. »



\Mots-clés : #biographie #historique
par Pinky
le Dim 29 Mai 2022 - 10:29
 
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Sujet: Claude Gauvard
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Léonor De Récondo

PIETRA VIVA


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" Michelangelo, en ce printemps 1505, quitte Rome bouleversé.

Il vient de découvrir sans vie le corps d'Andrea, le jeune moine dont la beauté lumineuse le fascinait.

Il part choisir à Carrare les marbres du tombeau que le pape Jules II lui a commandé.

Pendant six mois, cet artiste de trente ans déjà, à qui sa pietà a valu gloire et renommée, va vivre au rythme de la carrière, sélectionnant les meilleurs blocs, les négociant, organisant leur transport. Sa capacité à discerner la moindre veine dans la montagne a tôt fait de lui gagner la confiance des tailleurs de pierre. Lors de ses soirées solitaires à l'auberge, avec pour seule compagnie le petit livre de Pétrarque que lui a offert Lorenzo de Medici et la bible d'Andrea, il ne cesse d'interroger le mystère de la mort du moine, tout à son désir impétueux de capturer dans la pierre sa beauté terrestre.

Au fil des jours, le sculpteur arrogant et tourmenté, que rien ne doit détourner de son œuvre, se laisse pourtant approcher : par ses compagnons les carriers, par la folie douce de Cavallino, mais aussi par Michele, un enfant de six ans dont la mère vient de mourir.

La naïveté et l'affection du petit garçon feront resurgir les souvenirs les plus enfouis de Michelangelo. Parce qu'enfin il s'abandonne à ses émotions, son séjour à Carrare, au cœur d'une nature exubérante, va marquer une transformation profonde dans son ouvre. Il retrouvera désormais ceux qu'il a aimés dans la matière vive du marbre."

Quelle bonne surprise ce roman sur un épisode de la vie de Michel-Ange.....

J'ai beaucoup aimé le style, la sensibilité, la poésie qui se dégagent du texte.


Les tailleurs de pierre riaient de voir cet enfant de la ville, si prompt à les suivre dans la poussière, s'y frotter avec autant de plaisir. Voyant que les adultes ne lui prêtaient pas volontiers leurs ciseaux, il commença à dessiner tout ce qu'il voyait. Et les tailleurs cessèrent de rire tant le talent de l'enfant dépassait l'entendement. Certains prétendirent même que le diable y était pour quelque chose. Mais Michelangelo ne les écoutait déjà plus. Un chemin lumineux et sanguin s'était ouvert en lui et il s'était promis de le suivre toute sa vie.

Dialogue entre Michele, enfant de six ans et Michelangelo :

- Quelques jours après la mort de maman, je me suis retrouvé seul avec papa dans la maison. Il était assis près de la cheminée, la tête entre ses mains. Je croyais qu'il s'était endormi. Je me suis approché et je lui ai tapoté l'épaule. Quand il m'a regardé, j'ai vu qu'en fait il pleurait. Il s'est alors mis à genoux et a éclaté en sanglots dans mes bras. Comme un enfant. Tu vois, l'enfant, c'est lui maintenant ! Tu comprends ?

- Je comprends bien.
- Comment te dire exactement ? C'était comme si j'enlevais ma petite veste en peau de moutons pour ne plus jamais la remettre. Tu comprends ?
- Je comprends bien.
- Tu dis que tu détestes les enfants, mais moi je n'en suis plus un !
Michelangelo caresse la chevelure de Michele et lui répond :
- J'ai une veste comme la tienne et je peux te dire qu'une fois qu'on l'a perdue, on ne la remet plus jamais.


Un petit bijou de moins de 200 pages  Smile


\Mots-clés : #biographie #creationartistique #mort #renaissance
par simla
le Dim 15 Mai 2022 - 5:50
 
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Sujet: Léonor De Récondo
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Marc Giraud

Darwin, c’est tout bête - Mille et une histoires d’animaux pour comprendre l’évolution

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« En tant que naturaliste de terrain (ce qui veut dire "amateur d’observations in situ"), je vous propose une approche de l’illustre Darwin qui n’est ni celle de la génétique, ni celle de la philosophie, ni celle de l’histoire, mais plutôt le point de vue du zoologiste ou de l’éthologiste, voire de l’écologiste. »

Tout l’intérêt de ce livre est dans la vulgarisation claire, voire plaisante, de la fameuse « transmutation des espèces » élaborée par ce biologiste majeur – rien moins que l’histoire de la vie. En effet, cette théorie est aussi délicate à manipuler que sujette à mésinterprétation ; les œuvres écrites de Darwin sont difficiles à apprécier par le néophyte, en dehors du plaisir littéraire : on accède malaisément à son exégèse, qui par ailleurs n’est pas achevée, ou au moins ne fait pas entièrement consensus.
De plus l’ouvrage est très bien structuré :
Sommaire a écrit:Avant-propos de l’auteur

I La vie originale d'un naturaliste
Darwin, un drôle d'oiseau
- Quelques dates clés
- La nature est son école
- Darwin part en bateau
- Le Darwin nouveau est arrivé
- Des vers de terre chez les Darwin

II La théorie de l'évolution
Et les animaux apparurent
- La vérité vint des asticots
- Les idées bougent, les animaux s'animent
- Les fossiles, archives de l'évolution
Les animaux évoluent
- Rendez-vous manqué avec les pinsons
- Sélection artificielle chez les pigeons
- La " lutte " pour la vie
- Publication de L'Origine des espèces
- Un oiseau surgi du sol
Les animaux succèdent aux animaux
- L'évolution des organes
- Les ancêtres du cheval et de la baleine
- Au fait, qu'est-ce qu'une espèce ?
- Les vacheries de la classification
L'évolution en marche
- L'apparition des espèces en direct
- L'énigme ornithorynque
- Les animaux évoluent ensemble

III L'évolution de la théorie
Les animaux d'adaptent, la théorie aussi
- Des petits pois et des petites mouches
- Du nouveau dans la théorie
- Le sexe des crocodiles
Bêtes de sexe
- La sélection sexuelle
- Quand il y a des gènes, il y a du plaisir
- La loi « du plus fort » n’est pas toujours la meilleure
Les animaux s'entraident
- La sélection familiale
- Associations de bienfaiteurs
Les animaux s'expriment
- L'évolution des comportements
- Les primates nous épatent
Les animaux nous posent question
- Les mammifères marrants
- Les animaux vont nous manquer

IV – Conclusion
Y a-t-il un naturaliste dans la salle ? (Coupés de la nature)

Postface de Claude Sastre (Paroles de botaniste)
Annexes
- Le divin scarabée péteur
- Interro surprise
Bonnes adresses (Des sites à citer)
Bibliographie
Remerciements
Index des noms propres
Index des noms d’espèces

(Merci aux éditions Laffont de penser à mon petit cadeau pour avoir corrigé et complété le sommaire disponible sur leur site internet.)
D’abord, l’homme est admirable : doué d’empathie comme de curiosité pour tout ce qui est vivant, Darwin est aussi d’une ouverture d’esprit et d’une rigueur exemplaires.
« Dans ses écrits, il ne prétend pas expliquer tout, il ne dissimule pas ses questions, et c’est là sa force. Il fonde sa démarche sur d’innombrables exemples, mais, quand il repère une faille dans sa théorie, il l’expose, désireux de stricte vérité. »

(Il est frappant de constater que Darwin part, dans sa progression scientifique, de la découverte du "temps long" de la géologie, et de l’évolution géologique de la planète, apport peut-être plus déterminant que l’existence des fossiles.)
D’abord, la notion principale (et on notera que notre espèce ne tient toujours pas compte du fait que notre planète est un espace limité) :
« La limitation des ressources, et le partage de l’espace entre les espèces a toujours existé dans la nature. Cette notion de limite fut l’épine dorsale de la théorie de Darwin. […]
Les éléphants nous montrent que seuls les individus les mieux adaptés aux contraintes du milieu survivent. »

« Pour Charles Darwin, l’évolution est une lente succession de petites variations progressives. »

Mais des bonds à ces gradations progressives il semble bien que soient également retenus par la sélection naturelle de grands sauts évolutifs par mutation.
« L’hypothèse de la Reine Rouge », qui explique comme il faut toujours avancer pour garder un équilibre dans la concurrence des espèces (notamment entre prédateurs et proies) en une sorte de « course aux armements » perpétuelle, est particulièrement bien présentée.
De même est rendu de manière captivante le handicap séducteur des caractères sexuels secondaires (bois des cerfs, queue des paons, etc.) – et quelle diversité dans les stratégies pour assurer sa descendance individuelle !
À propos de l’éthologie et de nos rapports aux animaux qui ont parfois une intelligente plus différente qu’inférieure à la nôtre :
« Par un effet de miroir étonnant, considérer l’intelligence animale nous rend plus intelligents. Nous sommes en train de redécouvrir la mètis, une forme de pensée oubliée des Grecs anciens. Mélange de flair, d’inventivité, de souplesse d’esprit, d’attente vigilante, de sens de la prévision, de ruse et d’intelligence, la mètis s’apprend au contact intime des animaux. Utile au chasseur qui doit deviner le comportement de sa proie, elle consiste à se mettre dans la peau de l’autre et à adopter sa vision du monde. Cette stratégie de rapport à l’altérité et à la nature, s’applique aussi bien aux hommes qu’aux bêtes. »

Les perspectives de l’espèce humaine (livre publié en 2009) sont à peine esquissées, mais…
« Selon Robert Barbault, la sélection économique a en partie pris la place de la sélection naturelle en suivant des mécanismes semblables. Sous cet angle, on peut considérer l’humain de demain comme une créature destinée à multiplier des euros ou des dollars, manipulé non pas par un gène égoïste, mais par un "argent égoïste" amoral et inhumain. Nous en constatons déjà les effets, notamment avec la politique froidement commerçante des multinationales. Quels que soient les progrès espérés des manipulations génétiques, nous pouvons aussi en craindre les dérives mercantiles. L’expansion imposée des cultures OGM dans le monde, la traque des cultivateurs canadiens, les suicides en masse des paysans indiens face à cette dictature économique n’indiquent pas une évolution vers un mieux-être de l’humanité.
L’être humain est à ce point dominant sur la planète que le seul animal capable de lui nuire, c’est lui-même ! D’où cette deuxième réversibilité de l’évolution, ou plutôt cet effet boomerang : les sélections culturelle et économique, dégagées des contraintes naturelles, se heurtent désormais aux conséquences mêmes de leur action sur l’environnement. »

J’ai aussi beaucoup apprécié l’attention attirée sur de mauvaises interprétations, trop littérales, des termes comme « la lutte pour la vie » :
« Le mot "adaptation" implique à tort une idée de réponse à l’environnement, comme si un animal donné se transformait spontanément selon ses besoins. "Exaptation" est plus exact, car il montre que c’est ce que possède déjà l’animal qui peut être sélectionné. L’hérédité n’est pas modifiée par l’usage ou le non-usage mais seulement triée. »

Une excellente introduction à cette découverte essentielle, et un complément approprié aux lectures des biologistes, éthologistes et écologistes, notamment Stephen Jay Gould, Richard Dawkins et Pascal Picq.

\Mots-clés : #biographie #ecologie #nature #science
par Tristram
le Jeu 5 Mai 2022 - 12:50
 
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Sujet: Marc Giraud
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Olivier Rolin

Le Météorologue

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Biographie du Russe/Ukrainien d’origine hollandaise Alexeï Féodossiévitch Vangengheim (1881 - 1937), « directeur du Service hydro-météorologique unifié de l’URSS, président du Comité hydro-météorologique près du Soviet des commissaires du peuple, chef du Bureau du temps, président du Comité soviétique d’organisation de la seconde année polaire, et des tas de titres encore », et victime de Staline parmi tant d’autres en cette époque d’arbitraire où on passait subitement de héros du travail à saboteur.
« Il semble que la torture, qui sera courante dans les années de la "Grande Terreur", en 1937-1938, ne soit pas d’un usage systématique en 1933-1934 : nous n’en sommes encore qu’à la Terreur ordinaire. »

Sont évoqués Édouard Herriot, qui visite l’Ukraine en pleine famine sans la voir, Louis Aragon (auteur du vibrant et apparemment inconditionnel poème Liberté) louant la Guépéou et le goulag…
« Conjuguant l’élimination des paysans riches ou supposés tels (il suffit parfois de posséder une vache pour être décrété "koulak" et déporté ou fusillé), la collectivisation à marche forcée et les réquisitions de grain, la politique démente de Staline entraîne en Ukraine une famine atroce. Des millions de gens, trois millions sans doute, meurent pendant les années 1932-1933 sur les terres où Alexeï Féodossiévitch a passé son enfance et sa jeunesse. Quand on a fini de manger les chats, les chiens, les insectes, de ronger les os des animaux morts, de sucer les herbes, les racines et les cuirs, il arrive qu’on mange les morts, il arrive même qu’on les aide à mourir. »

Comme quoi l’Histoire, qui paraît-il ne se répète pas, parfois nous rattrape.
Vangengheim est envoyé au camp des îles Solovki, un des premiers du Goulag, où là déjà le travail bien exploité rééduque avant de libérer…
Ce qui est le plus terrible pour ce véritable précurseur (énergies éolienne et solaire, etc.), qui ne perd jamais sa « foi dans le Parti », c’est le non-sens, l’absurdité de son sort. Il y eut peut-être du calcul dans l’attitude de ce zek toujours partisan du pouvoir qui le prive de sa vie (espoir d’un revirement à son avantage, protection de sa femme et sa fille), ou de l’aveuglement, mais il semble qu’au fond il n’ose admettre la terrible dérive du bolchévisme.
« J’espère toujours que la raison triomphera, c’est beaucoup plus important que mon destin personnel. »

« Je crains en mon âme que personne ne se soucie de la vérité. »

Le fait est que l’aberration totale et durable du communisme soviétique me paraît toujours assez incompréhensible, voire sidérante, et peut-être aussi irrationnelle que celle d’une secte.
La plupart des bourreaux seront eux-mêmes fusillés.
« Cette autodestruction des bourreaux montre la folie de l’époque. »

Reste que Vangengheim fut au nombre des millions de personnes sacrifiées à une terrifiante mécanique d’une grotesque injustice, une course en avant de la bêtise.
« Ça ne change d’ailleurs pas grand-chose, mais c’est assez caractéristique : il faut attendre trois ans pour apprendre pourquoi on est condamné… »

(Apparemment c’est Vangengheim qui parle, ce n’est pas toujours très clair.)
« …] il fallait trouver des boucs émissaires pour les désastres de l’agriculture collectivisée, et les responsables des prévisions météorologiques étaient des candidats tout désignés à ce rôle. »


\Mots-clés : #biographie #captivite #regimeautoritaire
par Tristram
le Sam 23 Avr 2022 - 13:01
 
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W.G. Sebald

Les Anneaux de Saturne

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Sebald regroupe ses notes du temps où il fut hospitalisé pour être opéré, puis pendant ses pérégrinations dans le Suffolk, face à « l’océan allemand » (la mer du Nord) ; l’ouvrage est sous-titré en allemand : Eine englische Wallfahrt, le pèlerinage anglais. Après Michael Parkinson, fasciné par Ramuz, il évoque Janine Dakyns, spécialiste de Flaubert. Voici le début d’une belle description du bureau de cette dernière :
« Il m’est souvent arrivé de m’entretenir avec Janine de la conception flaubertienne du monde ; cela se passait en fin de journée, dans sa chambre où les notes, lettres et écrits de toute sorte s’entassaient en si grand nombre que l’on était pour ainsi dire immergé dans un flot de papier. Sur le bureau, point d’ancrage et foyer initial de cette merveilleuse multiplication du papier, il s’était formé au fil du temps un véritable paysage de papier, un paysage de montagnes et de vallées qui s’effritait progressivement sur les bords, à la manière d’un glacier ayant atteint la mer, donnant lieu sur le plancher, tout autour, à des entassements toujours nouveaux qui se déplaçaient eux-mêmes, imperceptiblement, vers le milieu de la pièce. »

Ensuite il parle de Thomas Browne et de La Leçon d’anatomie du Dr Nicolaas Tulp, de Rembrandt, dont il donne une brillante analyse (partiale et discutable). Il raconte son périple à pied dans le nord-est de l’Angleterre, une étrange société de pêcheurs « dos tourné à la terre, avec rien que le vide devant soi », les mœurs du hareng – et il vaut sans doute mieux présenter la table (Actes Sud la servait encore en ce temps-là) pour donner un aperçu des flâneries tant géographiques qu’intellectuelles d’un Sebald éclectique et curieux de tout :
Chapitre I
À l’hôpital – In memoriam – Errances du crâne de Thomas Browne – Leçon d’anatomie – Lévitation – Quinconce – Créatures fabuleuses – Incinération

Chapitre II
L’autorail diesel – Le palais de Morton Peto – En visite à Somerleyton – Les villes allemandes en flammes – Le déclin de Lowestoft – Station balnéaire d’autrefois – Frederick Farrar et la petite cour de Jacques II

Chapitre III
Pêcheurs sur la grève – Contribution à l’histoire naturelle du hareng – George Wyndham Le Strange – Un grand troupeau de porcs – La reduplication de l’homme – Orbis Tertius

Chapitre IV
La bataille navale de Sole Bay – Irruption de la nuit – Rue de la Gare à La Haye – Mauritshuis – Scheveningen – Tombeau de saint Sebald – Aéroport de Schiphol – Invisibilité de l’homme – Sailor’s Reading Room – Images de la Première Guerre mondiale – Le camp de Jasenovac

Chapitre V
Conrad et Casement – Le petit Teodor – Exil à Vologda – Novofastov – Mort et funérailles d’Apollo Korzeniowski – La mer et l’amour – Retour hivernal – Le cœur des ténèbres – Panorama de Waterloo – Casement, l’économie esclavagiste et la question irlandaise – Procès pour haute trahison et exécution

Chapitre VI
Le pont sur la Blyth – Le cortège impérial chinois – Soulèvement des Taiping et ouverture de l’empire du Milieu – Destruction du jardin Yuanmingyuan – Fin de l’empereur Xianfeng – L’impératrice Cixi – Secrets du pouvoir – La ville engloutie – Le pauvre Algernon

Chapitre VII
La lande de Dunwich – Marsh Acres, Middleton – Enfance berlinoise – Exil anglais – Rêves, affinités électives, correspondances – Deux histoires singulières – À travers la forêt de pluie

Chapitre VIII
Conversation sur le sucre – Boulge Park – Les FitzGerald – Chambre d’enfant à Bredfield – Les passe-temps littéraires d’Edward FitzGerald – A Magic shadow show – Perte d’un ami – Dernier voyage, paysage d’été, larmes de bonheur – Une partie de domino – Souvenirs irlandais – Sur l’histoire de la guerre civile – Incendies, appauvrissement et chute – Catherine de Sienne – Culte des faisans et esprit d’entreprise – À travers le désert – Armes secrètes – Dans un autre pays

Chapitre IX
Le temple de Jérusalem – Charlotte Ives et le vicomte de Chateaubriand – Mémoires d’outre-tombe – Au cimetière de Ditchingham – Ditchingham Park – L’ouragan du 16 octobre 1987

Chapitre X
Le Musæum clausum de Thomas Browne – L’oiseau à soie Bombyx mori – Origine et développement de la sériciculture – Les soyeux de Norwich – Maladies psychiques des tisserands – Échantillons de tissu : nature et art – La sériciculture en Allemagne – La mise à mort – Soieries de deuil

Méditations diverses,
« Qu’est-ce donc que ce théâtre dans lequel nous sommes tout à la fois dramaturge, acteur, machiniste, décorateur et public ? Faut-il, pour franchir les parvis du rêve, une somme plus ou moins grande d’entendement que celle dont on disposait au moment de se mettre au lit ? »

… souvent historiques et/ou littéraires, mais aussi géographiques, comme la description frappante du marécage hivernal de Vologda où le jeune Konrad est exilé avec ses parents, la désillusion et prise de conscience du même dans les ténèbres du Congo, une vue baudelairienne de la Belgique, le rapport du consul britannique Casement sur les méfaits du colonialisme en Afrique ; guerres de colonisation également en Chine, dont voici l’impératrice douairière Cixi :
« Les silhouettes minuscules des jardiniers dans les champs de lys au loin, ou celles des courtisans patinant en hiver sur le miroir de glace bleutée, loin de lui rappeler le mouvement naturel de l’homme, la faisaient plutôt penser à des mouches dans un bocal de verre, déjà subjuguées par l’arbitraire de la mort. Le fait est que des voyageurs, s’étant déplacés en Chine entre 1876 et 1879, rapportent que durant la sécheresse qui régna plusieurs années de suite, des provinces entières leur avaient fait l’effet de prisons ceintes de parois de verre. Entre sept et vingt millions de personnes – il n’existe aucun décompte précis à ce sujet – seraient mortes de faim et d’épuisement, principalement dans les provinces du Shaanxi, du Shanxi et du Shandong. Entre autres témoins, le pasteur baptiste Timothy Richards nous rapporte que la catastrophe s’accomplit progressivement, au fil des semaines, sous la forme d’un ralentissement de plus en plus prononcé de tout mouvement. Isolément, en groupes ou en cortèges clairsemés, les gens avançaient en vacillant dans la campagne, et il n’était pas rare que le plus faible souffle d’air les renversât et les laissât couchés à jamais au bord du chemin. Il semblait parfois qu’un demi-siècle se fût écoulé alors qu’on avait tout juste eu le temps de lever la main ou de baisser les paupières ou de respirer profondément. Et la dissolution du temps entraînait celle de tous les liens. Parce qu’ils n’en pouvaient plus de voir souffrir et mourir leurs propres enfants, nombre de parents les échangeaient contre ceux de leurs voisins. »

Il est difficile de limiter les extraits à citer, Sebald approfondissant ses réflexions digressives, et décidément rien ne vaut la lecture intégrale du livre.
Il décrit Dunwich comme un port jadis illustre qui sombre peu à peu dans la mer. Il montre cette partie de l’Angleterre, tout particulièrement les anciennes zones industrielles, comme une contrée ruinée, has been, dont les changements sont dus à l’épuisement des ressources naturelles, et abandonnée dans une sorte de décrépitude généralisée.
« Notre propagation sur terre passe par la carbonisation des espèces végétales supérieures et, d’une manière plus générale, par l’incessante combustion de toutes substances combustibles. De la première lampe-tempête jusqu’aux réverbères du XVIIIe siècle, et de la lueur des réverbères jusqu’au blême éclat des lampadaires qui éclairent les autoroutes belges, tout est combustion, et la combustion est le principe intime de tout objet fabriqué par nous. La confection d’un hameçon, la fabrication d’une tasse de porcelaine et la production d’une émission de télévision reposent au bout du compte sur le même processus de combustion. Les machines conçues par nous ont, comme nos corps et comme notre nostalgie, un cœur qui se consume lentement. Toute la civilisation humaine n’a jamais été rien d’autre qu’un phénomène d’ignition plus intense d’une heure à l’autre et dont personne ne sait jusqu’où il peut croître ni à partir de quand il commencera à décliner. »

À ce propos, l’abandon de l’énergie éolienne (moulins, voiles) au profit de la vapeur (charbon) me laisse pensif.
Mais voici la seule allusion au titre :
« – Ce soir-là, à Southwold, comme j’étais assis à ma place surplombant l’océan allemand, j’eus soudain l’impression de sentir très nettement la lente immersion du monde basculant dans les ténèbres. En Amérique, nous dit Thomas Browne dans son traité sur l’enfouissement des urnes, les chasseurs se lèvent à l’heure où les Persans s’enfoncent dans le plus profond sommeil. L’ombre de la nuit se déplace telle une traîne hâlée par-dessus terre, et comme presque tout, après le coucher du soleil, s’étend cercle après cercle – ainsi poursuit-il – on pourrait, en suivant toujours le soleil couchant, voir continuellement la sphère habitée par nous pleine de corps allongés, comme coupés et moissonnés par la faux de Saturne – un cimetière interminablement long pour une humanité atteinte du haut mal. »

L’évocation de la vie de l’excentrique Edward FitzGerald me fait considérer ce livre aussi comme un recueil de biographies, certes romancées.
« Je ne me suis endormi que vers le matin, le cri d’un merle résonnant à mon oreille, pour me réveiller peu après, tiré d’un rêve dans lequel FitzGerald, mon compagnon de la veille, m’était apparu en bras de chemise et jabot de soie noire, coiffé de son haut-de-forme, assis dans son jardin, à une petite table bleue en tôle. Tout autour de lui fleurissaient des mauves plus hautes que la taille d’un homme, dans une dépression sablonneuse, sous un sureau buissonnant, des poules grattaient le sol et dans l’ombre était couché le chien noir Bletsoe. Pour ma part, j’étais assis, sans me voir moi-même, donc comme un fantôme dans mon propre rêve, en face de FitzGerald, jouant avec lui une partie de dominos. Au-delà du jardin de fleurs, s’étendait jusqu’au bout du monde, où se dressaient les minarets de Khoranan, un parc uniformément vert et totalement vide. »

Voilà une transition typique, ici vers l’Irlande, dans une riche propriété en pleine déchéance.
« Peut-être était-ce pour cette raison que ce qu’elles avaient cousu un jour, elles le décousaient en règle générale le lendemain ou le surlendemain. Peut-être aussi rêvaient-elles de quelque chose de si extraordinairement beau que les ouvrages réalisés les décevaient immanquablement, en vins-je à penser le jour où, à l’occasion de l’une de mes visites à leur atelier, elles me montrèrent quelques pièces qui n’avaient pas été décousues ; car l’une d’entre elles, au moins, à savoir une robe de mariée suspendue à un mannequin de tailleur sans tête, faite de centaines de morceaux de soie assemblés et brodée ou, plutôt, brochée comme d’une toile d’araignée de fils de soie, était une véritable œuvre d’art, si haute en couleur qu’elle en devenait presque vivante, un ouvrage d’une splendeur et d’une perfection telles que j’eus à l’époque, en le découvrant, autant de mal à en croire mes yeux que j’en ai aujourd’hui à en croire ma mémoire. »

Après une évocation de Chateaubriand, via les arbres (dont la disparition des ormes), Sebald en arrive à témoigner des ravages de la tempête de 1987.
Dans le dernier comme le premier chapitre, il revient sur Thomas Browne et son « musée brownien », sorte de cabinet des merveilles bibliophile.
« Dans un recueil d’écrits variés posthumes de Thomas Browne où il est question du jardin potager et d’agrément, du champ d’urnes aux environs de Brampton, de l’aménagement de collines et de montagnes artificielles, des plantes citées par les prophètes et les évangélistes, de l’île d’Islande, du vieux saxon, des réponses de l’oracle de Delphes, des poissons consommés par notre Seigneur, des habitudes des insectes, de la fauconnerie, d’un cas de boulimie sénile et de bien d’autres choses, il se trouve aussi, sous le titre de Musæum clausum or Bibliotheca Abscondita un catalogue de livres remarquables, tableaux, antiquités et autres objets singuliers dont l’un ou l’autre a dû effectivement figurer dans une collection de curiosités constituée par Browne en personne, tandis que la plupart ont manifestement fait partie d’un trésor purement imaginaire n’existant qu’au fond de sa tête et uniquement accessible sous forme de lettres sur le papier. »

La démarche éclectique de Browne (et de Borges, fréquemment convoqué) est fortement rapprochable de celle de Sebald, qui passe à la sériciculture, venue de Chine en Europe et qui, selon lui, introduit une forme de dégénérescence de la population asservie par l’industrie textile débutante (soit une nouvelle variante sur la notion de décadence qui parcourt tout le livre comme un fil directeur).
L’écriture est belle ; j’ai pensé aux textes de Magris et d’autres écrivains voyageurs. Et j’ai beaucoup plus apprécié ces flâneries (une sorte de "rurex", comme il y a l’urbex, dans la lignée des promenades rudérales des Romantiques) que Les émigrants, ma seule autre lecture de Sebald à ce jour ; je comprends maintenant l’admiration que plusieurs Chosiens portent à son œuvre.

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par Tristram
le Dim 10 Avr 2022 - 12:18
 
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Sujet: W.G. Sebald
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Patrick Besson

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Voici donc la vie romancée d'Alexandre Pouchkine, illustre poète russe, nouvelliste....romancier,  né le 6 juin 1799 à Moscou....et décédé à Saint Pétersbourg, le 10 février 1837, mortellement blessé au cours d'un duel avec Charles d'Anthès, rival supposé (?) en tout cas qui n'aurait pas concrétisé ses désirs malgré une cour assidue à la très belle Natalia Gontchavora, épouse de Pouchkine.

"Georges d’Anthès, jeune officier français de 25 ans de l’armée russe, et Alexandre Pouchkine se sont provoqués en duel à deux reprises. La première fois, Pouchkine envoya un cartel à Georges d’Anthès qui, selon les rumeurs circulant dans la haute société de Saint-Pétersbourg, n’était pas insensible aux charmes de la femme du grand poète, Natalia Gontcharova. "

"Arrière petit-fils (côté maternel) de : Abraham Hannibal, ou simplement appelé Hanibal (en russe : Абра́м Петро́вич Ганниба́л, Abram Pétrovitch Gannibal), né en 1696 et mort le 14 mai 1781, est un esclave, militaire et commandant afro-russe, peut-être originaire de Logone, près du lac Tchad. Capturé en 1703 par des esclavagistes musulmans et amené à Constantinople, il y est acheté clandestinement pour le compte de Pierre le Grand. Devenu le secrétaire de l'empereur, il se fait remarquer par ses aptitudes intellectuelles et termine sa carrière comme général en chef dans l'Armée impériale russe."

Ca, c'est assez hallucinant ! J'ignorais ceci. Pierre le Grand aurait dit à son entourage une phrase du genre : je vais vous prouver que par l'éducation, tout homme peut se hisser à un haut niveau, quelle que soit son origine. Le résultat a dû dépasser ses espérances.

Bon, revenons à Alexandre Pouchkine, provocateur, coureur (de femmes) , assidu auprès des maisons closes et des tripots....joueur (invétéré et malchanceux la plupart du temps, d'où ses nombreuses dettes) buveur sans modération....  mais un homme d'une profonde intelligence : à dix ans, il lit Voltaire et La Fontaine dans le texte !

Ah...ces Russes !!!

Gogol fit partie de ses intimes, et il lui fit cadeau du thème d'un roman célèbre de celui-ci "Les âmes mortes".

Bref, une vie très mouvementée, exilé durant 6 années. En 1820, ses poèmes étant jugés séditieux ,Pouchkine est condamné à l'exil par l'empereur Alexandre Ier.

" C'était donc à la fois pour faire rire Kaverine et par une sorte de respect ennuyé pour Tchaadev que Pouchkine s'était lancé dans l'action politique. Bien sûr, il était sincère quand il protestait contre le tsar. Il était également peiné par les conditions affreuses dans lesquelles vivaient les Russes qui n'avaient pas la chance d'appartenir à l'aristocratie ou à la classe des marchands, c'est-à-dire plus de quatre vingt dix pour cent de la population. Mais, lui, Pouchkine, était un aristocrate et s'en trouvait fort aise. Quand il perdait aux cartes en une nuit ce qu'un moujik aurait gagné en dix vies, il pestait simplement contre sa mauvaise chance. Sortant d'un restaurant où il s 'était gavé d'huîtres et de champagne, il jetait un regard attendri sur les cochers immobiles dans la nuit glacée et improvisait quelques vers sur la beauté de l'hiver pétersbourgeois. Il n'en était pas moins, à mesure que les années passaient, de plus en plus attaché aux idées de justice, de liberté et de progrès dont les hussards avaient su lui donner le goût."



J'ai bien aimé, le roman date de 1988,  mais au final, je trouve que Pouchkine, bien que très brillant, est peu sympathique. Dommage qu'il soit mort aussi jeune pour une question d'honneur ,lui qui n'était pas non plus un homme très fidèle...d'après la biographie romancée de Patrick Besson  ....c'est ça aussi les hommes  Wink Néanmoins rappelons ses romans les plus célèbres : La fille du capitaine, La dame de Pique, Boris Godounov....

Je n'avais jamais rien lu de Patrick Besson. C'est regrettable. Je connaissais surtout ses écrits journalistiques....


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par simla
le Mer 6 Avr 2022 - 2:01
 
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