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La date/heure actuelle est Mar 19 Mar - 3:23

41 résultats trouvés pour segregation

Nathan Wachtel

Paradis du Nouveau Monde

Tag segregation sur Des Choses à lire Paradi10

Essais répartis entre Fables d’Occident (deux chapitres) et Messianismes indiens (trois chapitres).
I : Le Paradis terrestre est situé en Amérique méridionale par l’érudit vieux-chrétien espagnol Antonio de León Pinelo dans son encyclopédique El Paraíso en el Nuevo Mundo, rédigé entre 1640 et 1650, et le jésuite portugais Simão de Vasconcelos dans ses Noticias Curiosas e Necessarias das Cousas do Brasil, parues en 1663.

II : La « théorie de l’Indien juif », soit celle des Dix Tribus perdues d’Israël exilées en Amérique, est développée dans les synthèses de deux Espagnols, le dominicain Gregorio García dans L’origine des Indiens du Nouveau Monde, publié en 1607, et Diego Andrés Rocha dans Tratado Unico y Singular del Origen de los Indios, publié en 1681, et réfutée par le Hollandais d’origine portugaise Menasseh ben Israël dans Espérance d’Israël, publié en 1650.
« N’oublions pas cependant que des auteurs tels que Gregorio García, Diego Andrés Rocha ou Menasseh ben Israël développaient une argumentation extrêmement rigoureuse, que leurs démonstrations s’enchaînaient de manière très rationnelle ; et si elles ne peuvent plus convaincre, c’est parce qu’elles sont faussées au départ par leurs prémisses bibliques. »

III : La « Terre sans Mal » des Tupi-Guarani est le premier aspect du point de vue des Amérindiens. L’ethnologue autodidacte Curt Unkel Nimuendajú estime au début du XXe que « le moteur des migrations tupis-guaranis n’a pas été leur force d’expansion guerrière, et que leur motivation était d’un autre ordre, probablement religieux », outre la pression des colons, les guerres entre tribus indiennes, les conflits internes à certains villages, les épidémies et la politique gouvernementale de sédentarisation et de « réduction » des Indiens. Ces derniers vont vers l’est, en direction du soleil et de la mer à la recherche d’une sorte de paradis, dans un mouvement messianique dirigé par les « hommes-dieux » (Alfred Métraux) qui inclut bientôt la révolte contre la domination coloniale tout en intégrant des éléments de la catéchèse chrétienne.
IV : Le retour de l’Inca, « "messianisme" ou "millénarisme" » « obstinément réinventé » dans les Andes.

« …] la représentation indigène de la fin d’un monde est régie tant par les catégories de l’organisation dualiste que par la conception cyclique du temps. »

« L’on estime que, pendant le premier demi-siècle de la domination coloniale, la chute démographique dans le monde andin atteint en moyenne quelque 80 % de la population : d’où l’ampleur de la désintégration sociale, et du traumatisme. »

Les huacas (divinités) reviennent, possèdent des fidèles dans la « maladie de la danse », reprennent et retournent des éléments de l’institution coloniale contre elle dans un « mouvement de revitalisation religieuse ».
« Soit le renversement cataclysmique de l’ordre du monde, dès lors remis à l’endroit. »

« Ce n’est donc pas nécessairement par rejet du christianisme que les Indiens rebelles exterminent les Espagnols et pourchassent les prêtres. Bien au contraire ! On peut soutenir en effet, sans paradoxe, que si les rebelles massacrent les oppresseurs espagnols, c’est parce que ces derniers, cupides et corrompus, sont de mauvais chrétiens, instruments du diable, et qu’eux-mêmes, Indiens, incarnent les véritables et authentiques chrétiens. »

V : La Danse des Esprits dans le prophétisme nord-amérindien, issu des « catastrophe démographique » due aux épidémies (disparition de plus de 80% de la population la aussi), guerres, spoliations notamment territoriales et déportations forcées de la colonisation anglo-américaine (ainsi que de la disparition du gibier).
« Pendant quelque trois cents ans, les Indiens d’Amérique du Nord ont ainsi éprouvé des traumatismes de tous ordres, indéfiniment répétés, accumulés, toujours recommencés : ils ont vécu de multiples et tragiques fins du monde, en abyme. »

La région des Grands Lacs est le siège d’une « revitalisation religieuse et guerrière » chez les rescapés regroupés dans une pan-indianité intertribale, d’abord « nativiste » et tournée contre les influences européennes.
Lorsque les Indiens ont tous été « transformés en clients, puis en assistés » dans des « réserves », les visions du Paiute Wodziwob annoncent « le retour des morts » au cours de Ghost Dances (d’origine ancestrale). Puis Wovoka, un autre Paiute, donne une inflexion pacifiste à son message de « Messie » : la transe traditionnelle doit dorénavant coexister avec les usages importés (travail salarié, école, église, etc.).
« Il s’agit en fait de combiner et concilier la fidèle perpétuation des rituels anciens (danses, prières, chants, transes) avec l’inévitable intégration dans le monde moderne : soit un processus double, où se consolide et s’affirme une identité de plus en plus manifeste, par-delà les particularités tribales : l’identité indienne. »

Les Sioux font ensuite face à l’extermination des bisons et à une très importante réduction de leurs réserves ; les traités avec cette « nation » sont régulièrement violés. Puis vient le massacre de Wounded Knee, basé sur un malentendu à propos de la Ghost Dance (qui perdurera). Wachtel relate le meurtre de Sitting Bull, le rôle ambivalent de Buffalo Bill et de son Wild West Show – le contexte de la fin d’un monde.

\Mots-clés : #amérindiens #colonisation #contemythe #essai #historique #identite #minoriteethnique #religion #segregation #spiritualité #traditions
par Tristram
le Dim 11 Fév - 11:29
 
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Sujet: Nathan Wachtel
Réponses: 2
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Ernest Gaines

Colère en Louisiane

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Beau Boutan, un Cajun (les Cajuns ou Cadiens sont à l’origine les descendants des Acadiens déportés du Canada, des créoles francophones, certains étant devenus des planteurs esclavagistes), vient d’être abattu par Mathu, un vieux Noir, parce qu’il poursuivait chez lui Charlie (dont il est le Parrain) avec un fusil.
Candy Marshall, la propriétaire de la plantation, qui a été élevée par Miss Merle (une Blanche) et Mathu à la mort de ses parents, fait venir tous les vieux nègres et sang-mêlés des environs pour se déclarer coupables avec elle (A Gathering of Old Men, le titre originel). Le shérif Mapes a compris la situation, mais ne sait que faire : ce qu’il craint, comme tous les autres d’ailleurs, c’est que Fix, le père de Beau, ne rallie ses proches pour venir lyncher Mathu. Fix, déjà âgé, dépassé par le progrès social qui donne une place aux personnes de couleur dans une Louisiane conservatrice, rejette toute forme de justice officielle au nom de l’intérêt de sa famille, mais renonce finalement à aller dans les quartiers de la plantation.
« Protéger le nom et la terre. »

Mais les extrémistes du Klan se regroupent pour rendre leur justice par la violence…
Dans ce roman, Gaines fait parler quelques-uns des témoins et participants pour narrer le déroulement des faits. La prise directe sur l’action au présent, en plus du suspense intense, constitue une inspiration évidente pour le cinéma. Au-delà d’un certain hiératisme dramatique (et très beau), ce récit relativement bref expose une palette fort riche de personnages et de situations divers : c’est magistralement composé, du chœur polyphonique aux "héros" tragiques.
Le nœud est bien sûr le racisme, décliné tous azimuts, dans toutes les nuances du blanc au noir (mulâtre, créole, etc.), et la ségrégation conséquente, et la spoliation des descendants d’esclaves, mais aussi la solidarité de vieillards qui courageusement, dignement, relèvent la tête pour la première fois.

\Mots-clés : #discrimination #esclavage #justice #racisme #romanchoral #segregation #vengeance #violence #xxesiecle
par Tristram
le Jeu 26 Oct - 17:10
 
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Sujet: Ernest Gaines
Réponses: 18
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Kent Nerburn

Ni loup ni chien

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Grâce à ses précédents ouvrages sur les Indiens, Kent Nerburn est pressenti par Dan, un vieux Lakota, pour devenir son porte-parole.
« …] Indiens. Je n’avais jamais autant apprécié un peuple ni trouvé ailleurs un tel sens de l’humour et une telle modestie. En outre, j’avais ressenti chez eux une paix et une simplicité qui dépassaient les stéréotypes de sagesse et d’alcoolisme. Ils étaient tout simplement les personnes les plus terre à terre que j’avais rencontrées, dans le bon et le mauvais sens de la chose. Ils étaient différents des Blancs, des Noirs, différents de l’image qu’on m’en avait inculquée, différents de tout ce que j’avais croisé. Je me sentais heureux en leur compagnie, et honoré d’être à leur côté. »

Il le rejoint dans sa réserve des Grandes Plaines. Ils feront une « virée » en Buick avec Grover, l’ami de Dan, tandis qu’il enregistre les « petits discours » de ce dernier.
« Voilà ce qu’il y avait derrière cette idée d’Amérique comme nouveau pays de l’autre côté de l’océan : devenir propriétaire. […] Nous ne savions pas cela. Nous ne savions même pas ce que cela signifiait. Nous appartenions à la terre. Eux voulaient la posséder. »

« Un point important selon moi : votre religion ne venait pas de la terre, elle pouvait être transportée avec vous. Vous ne pouviez pas comprendre ce que ça signifiait pour nous que d’avoir notre religion ancrée dans la terre. Votre religion existait dans une coupelle et un morceau de pain, et elle pouvait être trimballée dans une boîte. Vos prêtres pouvaient sacraliser n’importe où. Vous ne pouviez pas comprendre que, pour nous, ce qui était sacré se trouvait là où nous vivions, parce que c’est là que les choses saintes s’étaient produites et que les esprits nous parlaient. »

« Pendant de nombreuses années, l’Amérique voulait simplement nous détruire. Aujourd’hui, tout d’un coup, on est le seul groupe que les gens essaient d’intégrer. Et pourquoi d’après toi ? […]
– Je pense, reprit-il, que c’est parce que les Blancs savent qu’on avait quelque chose de véritable, qu’on vivait de la manière dont le Créateur voulait que les humains vivent sur cette terre. Ils désirent ça. Ils savent que les Blancs font n’importe quoi. S’ils disent qu’ils sont en partie indiens, c’est pour faire partie de ce que nous avons. »

« Nos aînés nous ont appris que c’était la meilleure façon de faire avec les Blancs : sois silencieux jusqu’à ce qu’ils deviennent nerveux, et ils commenceront à parler. Ils continueront de parler, et si tu restes silencieux, ils en diront trop. Alors tu seras capable de voir dans leur cœur et de savoir ce qu’ils veulent vraiment. Et tu sauras quoi faire. »

« Si tu commences à parler, je ne t’interromps pas. Je t’écoute. Peut-être que j’arrête d’écouter si je n’aime pas ce que tu dis. Mais je ne t’interromps pas. Quand t’as fini, je prends ma décision sur ce que tu as dit, mais je ne t’expose pas mon désaccord, à moins que ça soit important. Autrement, je me tais et je m’en vais simplement. Tu m’as dit ce que j’avais besoin de savoir. Il n’y a rien de plus à ajouter. »

Des épaves de voiture jonchent la réserve :
« J’avais toujours été interloqué par l’acceptation des gens à vivre dans la saleté, quand un simple petit effort aurait suffi à rendre les choses propres. À la longue, j’en étais venu à accepter le vieux bobard sociologique qui racontait que cela reflétait un manque d’estime de soi et un certain accablement.
Mais, au fond de moi, je savais que c’était trop facile, une supposition trop médiocre. C’était cependant certainement préférable aux explications précédentes, selon lesquelles les gens qui vivaient comme cela étaient simplement paresseux ou apathiques. »

« Pour nous, chaque chose avait son utilité, puis retournait à la terre. On avait des bols et des coupelles en bois, ou des objets fabriqués en argile. On montait à cheval ou on marchait. On fabriquait des choses à partir de choses de la terre. Puis quand on n’en avait plus besoin, on les laissait y retourner.
Aujourd’hui, les choses ne retournent pas à la terre. Nos enfants jettent des canettes. On abandonne des vieilles voitures. Avant, ça aurait été des cuillères en os ou des tasses en corne, et les vieilles voitures auraient été des squelettes de chevaux ou de bisons. On aurait pu les brûler ou les laisser là, et elles seraient retournées à la terre. Maintenant, on ne peut plus.
On vit de la même manière, mais avec des choses différentes. On apprend vos manières, mais, tu vois, vous n’apprenez rien. Tout ce dont vous vous souciez vraiment, c’est de garder les choses propres. Vous ne vous souciez pas de ce qu’elles sont réellement, tant qu’elles sont propres. Quand vous voyez une canette au bord d’un chemin, vous trouvez ça pire qu’une énorme autoroute goudronnée qui est maintenue propre. Vous vous énervez davantage devant un sac-poubelle dans une forêt que devant un gros centre commercial tout impeccable et balayé. »

Une autre vision sociale :
« On n’évaluait pas les gens par la richesse ou la pauvreté. On ne savait pas faire cela. Quand les temps étaient bons, tout le monde était riche. Quand les temps étaient durs, tout le monde était pauvre. On évaluait les gens sur leur capacité à partager. »

Les wannabes, qui croient avoir une grand-mère cherokee, portent queue de cheval et bijoux indiens en turquoise et argent, sont particulièrement insupportables ; au cinéma :
« Peuvent plus mettre de sauvages, maintenant. Aujourd’hui, c’est l’Indien sage – tu sais, celui qui ne fait qu’un avec la terre et tout, et qui rend le Blanc meilleur en lui apprenant à vivre à l’indienne, pour qu’il ajoute des valeurs indiennes à sa blanchitude. »

« Nous savons que les Blancs ont une faim infinie. Ils veulent tout consommer et tout englober. Quand ils ne possèdent pas physiquement, ils veulent posséder spirituellement. C’est ce qui est en train de se passer avec les Indiens, aujourd’hui. Les Blancs veulent nous posséder spirituellement. Vous voulez nous avaler pour pouvoir dire que vous êtes nous. C’est quelque chose de nouveau. Avant, vous vouliez qu’on soit comme vous. Mais aujourd’hui, vous êtes malheureux avec vous-mêmes, donc vous voulez vous transformer en nous. Vous voulez nos cérémonies et nos façons de faire pour pouvoir dire que vous êtes spirituels. Vous essayez de devenir des Indiens blancs. »

La leçon tirée des traités non honorés :
« Écoute-moi. Nous, les Indiens, parlons peu au peuple blanc. Il en a toujours été ainsi. Il y a une raison. Les Blancs ne nous ont jamais écoutés quand nous avons pris la parole. Ils ont seulement entendu ce qu’ils voulaient entendre. Parfois ils prétendaient avoir entendu et faisaient des promesses. Puis ils les brisaient. Il n’y avait plus pour nous de raison de parler. Donc nous avons arrêté. Même aujourd’hui, nous disons à nos enfants : “Fais gaffe quand tu parles aux wasichus [hommes blancs en lakota]. Ils utiliseront tes mots contre toi.” »

Le regard de Dan est particulièrement aigu en ce qui concerne la société occidentale.
« Le monde blanc met tout le pouvoir au sommet, Nerburn. Lorsqu’une personne arrive au sommet, elle a le pouvoir de prendre ta liberté. Au début, quand les Blancs sont arrivés ici, c’était pour fuir ces personnes au sommet. Mais ils ont continué de raisonner de cette façon et très vite, il y a eu de nouvelles personnes au sommet dans ce nouveau pays. Parce que c’est comme ça qu’on vous a appris à penser.
Dans vos églises, il y a quelqu’un au sommet. Dans vos écoles aussi. Dans votre gouvernement. Dans vos métiers. Il y a toujours quelqu’un au sommet, et cette personne a le droit de dire si tu es bon ou mauvais.
Elle te possède.
Pas étonnant que les Américains se soucient autant de la liberté. Vous en avez quasiment aucune. Si vous la protégez pas, quelqu’un vous la prendra. Vous devez la surveiller à chaque seconde, comme un chien garde un os. »

« Quand vous êtes arrivés parmi nous, vous ne pouviez pas comprendre notre façon d’être. Vous vouliez trouver la personne au sommet. Vous vouliez trouver les barrières qui nous entouraient – jusqu’où notre terre allait, jusqu’où notre gouvernement allait. Votre monde était fait de cages et vous pensiez que le nôtre aussi. Quand bien même vous détestiez vos cages, vous croyiez en elles. Elles définissaient votre monde et vous aviez besoin d’elles pour définir le nôtre.
Nos anciens ont remarqué ça dès le début. Ils disaient que l’homme blanc vivait dans un monde de cages et que si nous ne nous méfiions pas, ils nous feraient aussi vivre dans un monde de cages.
Donc nous avons commencé à y prêter attention. Tout chez vous ressemblait à des cages. Vos habits se portaient comme des cages. Vos maisons ressemblaient à des cages. Vous mettiez des clôtures autour de vos jardins pour qu’ils ressemblent à des cages. Tout était une cage. Vous avez transformé la terre en cages. En petits carrés.
Puis, une fois que vous avez eu toutes ces cages, vous avez fait un gouvernement pour les protéger. Et ce gouvernement n’était que cages. Uniquement des lois sur ce qu’on ne pouvait pas faire. La seule liberté que vous aviez se trouvait dans votre cage. Puis vous vous êtes demandé pourquoi vous n’étiez pas heureux et pourquoi vous ne vous sentiez pas libres. Vous aviez créé toutes ces cages, puis vous vous êtes demandé pourquoi vous ne vous sentiez pas libres.
Nous les Indiens n’avons jamais pensé de cette façon. Tout le monde était libre. Nous ne faisions pas de cages, de lois, ni de pays. Nous croyions en l’honneur. Pour nous, l’homme blanc ressemblait à un homme aveugle en train de marcher, qui ne comprenait qu’il était sur le mauvais chemin que quand il butait contre les barreaux d’une des cages. Notre guide à nous était à l’intérieur, pas à l’extérieur. C’était l’honneur. Il était plus important pour nous de savoir ce qui était bien que de savoir ce qui était mauvais.
Nous regardions les animaux et voyions ce qui était bien. Nous voyions comment le cerf trompait les animaux les plus puissants et comment l’ours rendait ses enfants forts en les élevant sans pitié. Nous voyions comment le bison se tenait et observait jusqu’à ce qu’il comprenne. Nous voyions comment chaque animal était sage et nous essayions d’apprendre cette sagesse. Nous les regardions pour comprendre comment ils cohabitaient et comment ils élevaient leurs petits. Puis nous faisions comme eux. Nous ne cherchions pas ce qui était mauvais. Non, nous tendions toujours vers ce qui était bien. »

Dan livre ses convictions sur les meneurs « à l’indienne », comment Jésus fut imposé aux Indiens, puis comme l’espoir du messie leur fut refusé ; il développe les différences d’appréciation de l’histoire entre eux et les Blancs…
« Avant, je pensais que vous agissiez comme ça parce que vous étiez avides. Plus maintenant. Maintenant, je pense que ça fait juste partie de qui vous êtes et de ce que vous faites, tout comme écouter la terre fait partie de qui nous sommes et de ce que nous faisons. »

Les femmes, au travers de Dannie, petite-fille de Dan :
« C’est ce que je veux dire quand je dis que c’est notre tour à nous, les femmes indiennes. On a toujours été au centre. La famille indienne était comme un cercle, et la femme était au centre. […] On n’a pas besoin de se libérer. On a besoin de libérer nos hommes. »

Les métis :
« Tout ce qui comptait pour nous, c’était la façon dont ils étaient élevés et les personnes qu’ils devenaient. Vous, vous examiniez la couleur de leur peau et la couleur de leurs cheveux, et essayiez de calculer le pourcentage de blancheur qu’ils avaient à l’intérieur d’eux. Vous les appeliez des métis. Vous ne les laissiez être ni blancs ni indiens. »

Puis ils arrivent à Wounded Knee, là où, comme dans nombre d’autres lieux, enfants et vieillards furent massacrés – tout un peuple.
Outre des faits connus des familiers de lectures sur les Amérindiens, ce livre-témoignage développe une pensée originale (il s’agit de réflexions de Dan, plus que de révélations), qui permet aussi d’approfondir l’appréhension de la conception du monde chez les « Américains natifs ». Et c’est encore (et surtout ?) un récit profondément sensible, plein de colère et de douleur, également d’humour malicieux – humain.
J'ai beaucoup cité, mais il y a bien d'autres choses à retenir de ce livre qui sort de l'ordinaire sur le sujet.

\Mots-clés : #amérindiens #colonisation #culpabilité #discrimination #documentaire #identite #initiatique #racisme #segregation #spiritualité #temoignage #traditions
par Tristram
le Lun 28 Aoû - 14:39
 
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Sujet: Kent Nerburn
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Hubert Haddad

Palestine

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Par un concours de circonstances imprévues, un soldat israélien est capturé par un commando palestinien à l’insu de Tsahal et survit (et en prime il a perdu la mémoire). Il est recueilli par Asmahane, une aveugle, et sa fille Falastìn ; il ressemble au fils et frère disparu, et elles le font passer pour lui.
Devenu Nessim, il erre dans Hébron et alentour, vivant l’abjecte oppression israélienne, ce qui donne un panorama assez approfondi de la condition palestinienne, avec des points de vue arabes mais aussi juifs (et un rejet assez consensuel des « internationaux »). Une étrange attirance mutuelle lie Nessim et Falastìn. Recueilli dans une faction combattante, grâce à un passeport israélien (le sien !) Nessim-Cham se rend à Jérusalem, où il est muni d’une ceinture explosive.
« Tu détisses chaque nuit le temps passé pour garder l’âge de ton amour, tu es comme la reine qui défait son métier. Personne ne reviendra, mais tu restes pareille à ton souvenir. Tes yeux usés de larmes ne voient plus que l’image ancienne… »

« Dans la lumière verticale, les champs d’oliviers ont un tremblement argenté évoquant une source répandue à l’infini. L’ombre manque à midi, sauf sous les arbres séculaires aux petites feuilles d’émeraude et d’argent, innombrables clochettes de lumière au vent soudain et qui tamisent le soleil mieux qu’une ombrelle de lin. À l’est d’Hébron, du côté des colonies et au sommet des collines, ils ont presque tous été arrachés, par milliers, mis en pièces ou confisqués, sous prétexte d’expropriation, de travaux, de châtiment. »

« C’est écrit, ma fille. L’occupant se retirera dans un proche avenir pour ne pas être occupé à son tour. Simple question de démographie. »

Ayant un peu fréquenté Israël, Cisjordanie et bande de Gaza, j’ai retrouvé dans ce livre cette Histoire en marche de nos jours, une colonisation qui ne cache même pas son nom. Et le destin de Nessim-Cham souligne peut-être le déchirement de peuples pourtant si proches, où la répression humiliante mène à la haine qui conduit aux pires extrémités.

\Mots-clés : #actualité #colonisation #conflitisraelopalestinien #contemporain #guerre #politique #segregation #terrorisme #violence #xxesiecle
par Tristram
le Ven 26 Mai - 12:48
 
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Sujet: Hubert Haddad
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Jean-Marie Blas de Roblès

Dans l'épaisseur de la chair

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Le roman commence par un passage qui développe heureusement la superstition des marins, ici des pêcheurs à la palangrotte sur un pointu méditerranéen, Manuel Cortès, plus de quatre-vingt-dix ans, et son fils, le narrateur. Ce dernier veut recueillir les souvenirs paternels pour en faire un livre. Et c’est accroché au plat-bord de l’embarcation dont il est tombé, seul en mer, qu’il commence le récit de la famille, des Espagnols ayant immigré au XIXe en Algérie pour fuir sécheresse et misère : des pieds-noirs :
« Le problème est d’autant plus complexe que pas un seul des Européens qui ont peuplé l’Algérie ne s’est jamais nommé ainsi. Il faut attendre les derniers mois de la guerre d’indépendance pour que le terme apparaisse, d’abord en France pour stigmatiser l’attitude des colons face aux indigènes, puis comme étendard de détresse pour les rapatriés. Il en va des pieds-noirs comme des Byzantins, ils n’ont existé en tant que tels qu’une fois leur monde disparu. »

À Bel-Abbès, ou « Biscuit-ville », Juan est le père de Manuel, antisémite comme en Espagne après la Reconquista, et « n’ayant que des amis juifs »… Ce sont bientôt les premiers pogroms, et la montée du fascisme à l’époque de Franco, Mussolini et Hitler.
« En Algérie, comme ailleurs, le fascisme avait réussi à scinder la population en deux camps farouchement opposés. »

« Le Petit Oranais, journal destiné "à tous les aryens de l’Europe et de l’univers", venait d’être condamné par les tribunaux à retirer sa manchette permanente depuis 1930, un appel au meurtre inspiré de Martin Luther : "Il faut mettre le soufre, la poix, et s’il se peut le feu de l’enfer aux synagogues et aux écoles juives, détruire les maisons des Juifs, s’emparer de leurs capitaux et les chasser en pleine campagne comme des chiens enragés." On remplaça sans problème cette diatribe par une simple croix gammée, et le journal augmenta ses ventes. »

Est évoquée toute l’Histoire depuis la conquête française, qui suit le modèle romain.
« Bugeaud l’a clamé sur tous les tons sans être entendu : "Il n’est pas dans la nature d’un peuple guerrier, fanatique et constitué comme le sont les Arabes, de se résigner en peu de temps à la domination chrétienne. Les indigènes chercheront souvent à secouer le joug, comme ils l’ont fait sous tous les conquérants qui nous ont précédés. Leur antipathie pour nous et notre religion durera des siècles." »

« Cela peut sembler incroyable aujourd’hui, et pourtant c’est ainsi que les choses sont advenues : les militaires français ont conquis l’Algérie dans une nébulosité romaine, oubliant que le songe où ils se coulaient finirait, comme toujours, et comme c’était écrit noir sur blanc dans les livres qui les guidaient, par se transformer en épouvante. D’emblée, et par admiration pour ceux-là mêmes qui avaient conquis la Gaule et gommé si âprement la singularité de ses innombrables tribus, les Français ont effacé celle de leurs adversaires : ils n’ont pas combattu des Ouled Brahim, des Ouled N’har, des Beni Ameur, des Beni Menasser, des Beni Raten, des Beni Snassen, des Bou’aïch, des Flissa, des Gharaba, des Hachem, des Hadjoutes, des El Ouffia, des Ouled Nail, des Ouled Riah, des Zaouaoua, des Ouled Kosseir, des Awrigh, mais des fantômes de Numides, de Gétules, de Maures et de Carthaginois. Des indigènes, des autochtones, des sauvages. »

« Impossible d’en sortir, tant que ne seront pas détruites les machines infernales qui entretiennent ces répétitions. »

Dans l’Histoire plus récente, le régime de Vichy « réserva les emplois de la fonction publique aux seuls Français "nés de père français" », et fit « réexaminer toutes les naturalisations d’étrangers, avec menace d’invalider celles qui ne seraient pas conformes aux intérêts de la France. Ces dispositions, qui visaient surtout les Juifs sans les nommer, impliquaient l’interdiction de poursuivre des études universitaires. »
« Exclu du lycée Lamoricière, André Bénichou, le professeur de philo de Manuel, en fut réduit à créer un cours privé dans son appartement. C’est à cette occasion qu’il recruta Albert Camus, lui-même écarté de l’enseignement public à cause de sa tuberculose. Et je comprends mieux, tout à coup, pourquoi l’enfant de Mondovi, coincé à Oran, s’y était mis à écrire La Peste. »

Manuel se tourne vers la pharmacie, puis la médecine, s’engage pendant la Seconde Guerre, et devient chirurgien dans un tabor de goumiers du corps expéditionnaire français en Campanie.
« Sur le moment, j’aurais préféré l’entendre dire qu’il avait choisi la guerre « pour délivrer la France » ou « combattre le nazisme ». Mais non. Il s’était presque fâché de mon insistance : Je n’ai jamais songé à délivrer qui que ce soit, ni ressenti d’animosité particulière contre les Allemands ou les Italiens. Pour moi, c’était l’aventure et la haine des pétainistes, point final. »

« Quand le tabor se déplaçait d’un lieu de bataille à un autre, les goumiers transportaient en convoi ce qu’ils avaient volé dans les fermes environnantes, moutons et chèvres surtout, et à dos de mulet la quincaillerie de chandeliers et de ciboires qu’ils pensaient pouvoir ramener chez eux. Ils n’avançaient que chargés de leurs trophées, dans un désordre brinquebalant et coloré d’armée antique. […]
Les autorités militaires offrant cinq cents francs par prisonnier capturé, les goumiers s’en firent une spécialité. Et comme certains GI ne rechignaient pas à les leur racheter au prix fort pour s’attribuer l’honneur d’un fait d’armes, il y eut même une bourse clandestine avec valeurs et cotations selon le grade des captifs : un capitaine ou un Oberstleutnant rapportait près de deux mille francs à son heureux tuteur ! »

« Officiellement, la circulaire d’avril 1943 du général Bradley était très explicite sur ce point : pour maintenir le moral de l’armée il ne fallait plus parler de troubles psychologiques, ni même de shell shock, la mystérieuse « obusite » des tranchées, mais d’« épuisement ». Dans l’armée française, c’était beaucoup plus simple : faute de service psychiatrique – le premier n’apparaîtrait que durant la bataille des Vosges – il n’y avait aucun cas recensé de traumatisme neurologique. Des suicidés, des mutilations volontaires, oui, bien sûr, des désertions, des simulateurs, des bons à rien de tirailleurs ou de goumiers paralysés par les djnouns, incapables de courage physique et moral, ça arrivait régulièrement, des couards qu’il fallait bien passer par les armes lorsqu’ils refusaient de retourner au combat, mais des cinglés, jamais. Pas chez nous. Pas chez des Français qui avaient à reconquérir l’honneur perdu lors de la débâcle.
Mon père m’a raconté l’histoire d’un sous-officier qu’il avait vu se mettre à courir vers l’arrière au début d’une attaque et ne s’était plus arrêté durant des kilomètres, jusqu’à se réfugier à Naples où on l’avait retrouvé deux semaines plus tard. Et de ceux-là, aussi, faisant les morts comme des cafards au premier coup d’obus. J’ai pour ces derniers une grande compassion, tant je retrouve l’attitude qui m’est la plus naturelle dans mes cauchemars de fin du monde. Faire le mort, quitte à se barbouiller le visage du sang d’un autre, et attendre, attendre que ça passe et ce moment où l’on se relèvera vivant, quels que soient les comptes à rendre par la suite.
Sommes-nous si peu à détester la guerre, au lieu de secrètement la désirer ? »

S’accrochant toujours à sa barque, le narrateur médite.
« Dès qu’on se mêle de raconter, le réel se plie aux exigences de la langue : il n’est qu’une pure fiction que l’écriture invente et recompose. »

Heidegger, le perroquet que le narrateur a laissé au Brésil et devenu « une sorte de conscience extérieure qui me dirait des choses tout en dedans », renvoie à Là où les tigres sont chez eux.
« Heidegger a beau dire qu’il s’agit d’une coïncidence dénuée d’intérêt, je ne peux m’empêcher d’en éprouver un vertige désagréable, celui d’un temps circulaire, itératif, où reviendraient à intervalles fixes les mêmes fulgurances, les mêmes conjonctures énigmatiques. »

Ayant suivi des cours de philosophie (tout comme Manuel qui « s’inscrivit en philosophie à la fac d’Alger »), Blas de Roblès cite Wole Soyinka (sans le nommer) :
« Le tigre ne proclame pas sa tigritude, soupire Heidegger, il fonce sur sa proie et la dévore. »

En contrepartie de leur courage de combattants, les troupes coloniales commettent de nombreuses exactions, du pillage aux violences sur les civils.
« Plus qu’une sordide décompensation de soldats épargnés par la mort, le viol a toujours été une véritable arme de guerre. »

Le roman est fort digressif (d’ailleurs la citation liminaire est de Sterne). Le narrateur qui marine et s’épuise évoque des jeux d’échecs, fait de curieux projets, met en cause Vasarely…
Après la bataille du monastère de Monte Cassino, la troupe suit le « bellâtre de Marigny » (Jean de Lattre de Tassigny) dans le débarquement en Provence, puis c’est la bataille des Vosges, et l’Ardenne.
À propos du film Indigènes, différent sur l’interprétation des faits.
À peine l’Allemagne a-t-elle capitulé, Manuel est envoyé avec la Légion et les spahis qui répriment une insurrection à Sétif, « un vrai massacre » qui tourne vite à l’expédition punitive (une centaine de morts chez les Européens, plusieurs milliers chez les indigènes). Blessé, il part suivre ses études de médecine à Paris, puis se marie par amour avec une Espagnole pauvre, mésalliance à l’encontre de l’entre-soi de mise dans les différentes communautés.
« Les « indigènes », au vrai, c’était comme les oiseaux dans le film d’Alfred Hitchcock, ils faisaient partie du paysage. »

« Après Sétif, la tragédie n’a plus qu’à débiter les strophes et antistrophes du malheur. Une mécanique fatale, avec ses assassinats, ses trahisons, ses dilemmes insensés, sa longue chaîne de souffrances et de ressentiment. »

Les attentats du FLN commencent comme naît Thomas, le narrateur, qui aborde ses souvenirs d’enfance.
« …] le portrait que je trace de mon père en me fiant au seul recours de ma mémoire est moins fidèle, je m’en aperçois, moins réel que les fictions inventées ou reconstruites pour rendre compte de sa vie avant ma naissance. »

OAS et fellaghas divisent irréconciliablement Arabes et colons. De Gaulle parvient au pouvoir, et tout le monde croit encore que la situation va s’arranger, jusqu’à l’évacuation, l’exode, l’exil. Mauvais accueil en métropole, et reconstruction d’une vie brisée, Manuel devant renoncer à la chirurgie pour être médecin généraliste.
Histoire étonnante des cartes d’Opicino de Canistris :
« À la question « qui suis-je ? », qui sum ego, il répond tu es egoceros, la bête à corne, le bouc libidineux, le rhinocéros de toi-même.
Il n’est pas fou, il me ressemble comme deux gouttes d’eau ; il nous ressemble à tous, encombrés que nous sommes de nos frayeurs intimes et du combat que nous menons contre l’absurdité de vivre. »

Regret d’une colonisation ratée…
« Ce qu’il veut dire, je crois, c’est qu’il y aurait eu là-bas une chance de réussir quelque chose comme la romanisation de la Gaule, ou l’européanisation de l’Amérique du Nord, et que les gouvernements français l’avaient ratée. Par manque d’humanisme, de démocratie, de vision égalitaire, par manque d’intelligence, surtout, et parce qu’ils étaient l’émanation constante des « vrais colons » – douze mille en 1957, parmi lesquels trois cents riches et une dizaine plus riches à eux dix que tous les autres ensemble – dont la rapacité n’avait d’égal que le mépris absolu des indigènes et des petits Blancs qu’ils utilisaient comme main-d’œuvre pour leurs profits. »

… mais :
« Si les indigènes musulmans ont été les Indiens de la France, ce sont des Indiens qui auraient finalement, heureusement, et contre toute attente, repoussé à la mer leurs agresseurs.
Un western inversé, en somme, bien difficile à regarder jusqu’à la fin pour des Européens habitués à contempler en Technicolor la mythologie de leur seule domination. »

« La France s’est dédouanée de l’Algérie française en fustigeant ceux-là mêmes qui ont essayé tant bien que mal de faire exister cette chimère. Les pieds-noirs sont les boucs émissaires du forfait colonialiste.
Manuel ne voit pas, si profonde est la blessure, que ce poison terrasse à la fois ceux qui l’absorbent et ceux qui l’administrent. La meule a tourné d’un cran, l’écrasant au passage, sans même s’apercevoir de sa présence.
Il y aura un dernier pied-noir, comme il y a eu un dernier des Mohicans. »

Clairement narré, et regroupé en petits chapitres, ce qui rend la lecture fort agréable. Par exemple, le 240ème in extenso :
« Rejoindre le front des Vosges dans un camion de bauxite, sauter sur une mine à Mulhouse, et se retrouver médecin des gueules rouges à Brignoles, en compagnie d’un confrère alsacien ! Qu’est-ce qui est à l’œuvre dans ce genre de conjonction ? Quels sont les dieux fourbes qui manipulent ainsi nos destinées ? Projet : S’occuper de ce que Charles Fort appelait des « coïncidences exagérées ». Montrer ce qu’elles révèlent de terreur archaïque devant l’inintelligibilité du monde, de poésie latente aussi, et quasi biologique, dans notre obstination à préférer n’importe quel déterminisme au sentiment d’avoir été jetés à l’existence comme on jette, dit-on, un prisonnier aux chiens. »

Les parties du roman sont titrées d’après les cartes italiennes de la crapette, « bâtons, épées, coupes et deniers ».
Il y a une grande part d’autobiographie dans ce roman dense, qui aborde nombre de sujets.
Beaucoup d’aspects sont abordés, comme le savoureux parler nord-africain en voie de disparition (ainsi que son humour), et pendant qu’on y est la cuisine, soubressade, longanisse, morcilla
Et le dénouement est inattendu !

\Mots-clés : #antisémitisme #biographie #colonisation #deuxiemeguerre #enfance #exil #guerredalgérie #historique #identite #immigration #insurrection #politique #racisme #relationenfantparent #segregation #social #terrorisme #traditions #xxesiecle
par Tristram
le Ven 31 Mar - 12:56
 
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Sujet: Jean-Marie Blas de Roblès
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Abdulrazak Gurnah

Paradis

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Yusuf, douze ans, est rehani, c'est-à-dire mis en gage par son père pour payer ses dettes au seyyid ("seigneur", titre honorifique des notables musulmans) Aziz, un important marchand (et trafiquant). Le jeune Mswahili de l’hinterland tanzanien est emmené par son « Oncle » sur la côte, où il travaille avec Khalil, son aîné dans la même situation ; il est attiré par le jardin clos de son maître.
Emmené dans une expédition commerciale chez les « sauvages », Yusuf, qui est beau et a dorénavant seize ans, échappe à Mohammed Abdalla, le mnyapara wa safari, guide « sodomite », en étant laissé chez le marchand Hamid, qui l’emmène dans la montagne (apparemment chez les Masaïs). L’année suivante, Yusuf est de l’expédition qui traverse le lac Tanganyika jusqu’aux Manyema (des Bantous du Congo), une sorte d’enfer aux « portes de flammes », et l’éprouvant voyage (initiatique) tourne au désastre ; il se révèle courageux, quoique hanté par des cauchemars.
De retour, il rencontre la Maîtresse, marquée par une tache sur le visage dont elle croit Yusuf, « béni », capable de l’en débarrasser ; elle est mentalement dérangée, et entreprenante ; il tombe amoureux de sa jeune servante, Amina, la sœur de Khalil (en fait une enfant raptée recueillie par son père et la seconde épouse d’Aziz, une rehani elle aussi). Il suivra finalement les askaris allemands comme la guerre éclate contre l’Angleterre.

L’esclavage existe depuis les premières incursions arabes, et même avant ; il est subi partout. Mzi Hamdani, le vieux jardinier taciturne plongé dans ses prières, est un esclave libéré par la Maîtresse lorsque la loi interdit l’esclavage, mais qui resta à son service ; il considère que personne n’a le pouvoir de prendre la liberté de quelqu’un d’autre, et donc de la lui rendre.
Le colonialisme européen constitue une toile de fond omniprésente, et croissante.
« Nous sommes des animaux pour eux, et il nous faudra longtemps pour les faire changer d’avis. Vous savez pourquoi ils sont si forts ? Parce que, depuis des siècles, ils exploitent le monde entier. »

« Nous allons tout perdre, et aussi notre manière de vivre. Les jeunes seront les grands perdants : il viendra un jour où les Européens les feront cracher sur tout ce que nous savons, et les obligeront à réciter leurs lois et leur histoire du monde comme si c’était la Parole sacrée. Quand, un jour, ils écriront sur nous, que diront-ils ? Que nous avions des esclaves… »

Ce qui m’a frappé, c’est le melting pot, Indiens, Arabes, Européens, sans compter les gens du cru, et les différentes ethnies de l’intérieur ; de même le pot-pourri des croyances. Syncrétisme ou opportunisme, l’islam est mêlé dans les affaires et les salamalecs, les rapports à l’alcool et l’herbe, derrière les plaisanteries scabreuses et les cruautés ; par contre, Hussein « l’ermite de Zanzibar » et même Aziz (personnage difficile à cerner) apparaissent comme des musulmans sincères, humains – et sagaces. La Bible semble constituer un socle commun (sur un fond de superstitions antérieures toujours vives) ; l’islam est abrahamique, et même un Sikh (pourquoi la majuscule ?) évoque (un) Noé. Gog et Magog reviennent souvent (désignant apparemment les païens, infidèles et autres chiens poilus), et Yusuf renvoie au Joseph tant hébraïque que coranique, vendu en esclavage. L’évocation du jardin d’Éden se présente fréquemment.
Le style est simple et rend la lecture fort aisée ; par ailleurs les péripéties de l’existence de Yusuf sont passionnantes.
N’étant pas familier de l’Afrique de l’Est et en l’absence de notes explicatives j’ai eu des difficultés à me retrouver entre les termes non traduits et l’histoire-géographie (présence coloniale omanaise, allemande, anglaise) ; c’est dommage, d’autant que les renseignements sont peu accessibles en ligne tant sur le livre que sur la région ; ainsi, l’aigle allemande, mais encore ? :
« À la gare, Yusuf vit qu’en plus du drapeau jaune orné du redoutable oiseau noir, il y en avait un autre où figurait une croix noire bordée d’argent. »

Abandon, exil, servitude, toute une misère humaine, intriquée en situations sociales inextricables, selon les lois du commerce.

\Mots-clés : #aventure #colonisation #discrimination #esclavage #exil #famille #initiatique #misere #religion #segregation #voyage
par Tristram
le Ven 18 Nov - 13:40
 
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Sujet: Abdulrazak Gurnah
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John Maxwell Coetzee

L'Âge de fer

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La narratrice, une femme de la région du Cap qui meurt d’un cancer, écrit pour sa fille, mariée en Amérique − qui a fui l’Afrique du Sud.
« La première tâche qui m’incombe, dès aujourd’hui : résister au désir de partager ma mort. Moi qui t’aime, moi qui aime la vie, pardonner aux vivants et prendre congé sans amertume. Accueillir la mort comme mienne, à moi seule. »

« Nous tombons malades avant de mourir afin d’être sevrés de nos corps. Le lait qui nous nourrissait devient pauvre et aigre ; nous détournant du sein, nous commençons à aspirer à une vie distincte. Pourtant cette première vie, cette vie sur terre, sur le corps de la terre – est-il vraisemblable, est-il possible qu’il en existe une meilleure ? Malgré les tristesses, les désespoirs, les rages, je n’ai pas perdu mon amour pour elle. »

« Plus j’allais vite, plus je me sentais vivante. Je tremblais de vie, comme si j’allais exploser, crever d’un seul coup ma peau. L’impression qu’un papillon doit avoir au moment de naître, au moment de s’accoucher de lui-même. »

Un vagabond s’est installé dans son jardin ; il a un chien, elle des chats. D’aucun des personnages, la narratrice, le mendiant, Florence la femme de ménage et ses enfants, n’est spécifiée la couleur de peau ; le lecteur discerne ce qu’il en est, mais cette façon de ne pas ramener les personnes à leur couleur est significative.
La narratrice est pleine de rancœur contre les hommes politiques qu’elle voit à la télévision dans l’immobilisme de leur pouvoir ; elle se lance dans une vive diatribe contre la « horde de sauterelles » qui règne sur l’Afrique du Sud, pays « qui coule ».
« La parade des politiciens tous les matins : je n’ai qu’à voir les visages pesants et vides qui me sont si familiers depuis l’enfance pour éprouver une sensation d’accablement et de nausée. […]
Nous regardons comme les oiseaux regardent les serpents, fascinés par ce qui va nous dévorer. »

Elle n’aime pas l’ami du fils de Florence, est confrontée en lui à la jeune génération dans l’apartheid :
« Il n’a pas de charme. Il y a quelque chose de stupide en lui, de délibérément stupide, de borné, d’intraitable. C’est un de ces garçons dont la voix devient grave trop tôt, qui dès l’âge de douze ans ont tourné le dos à leur enfance pour devenir brutaux, affranchis. Un être simplifié, et cela à tous points de vue : plus rapide, plus agile, plus infatigable que les personnes réelles, dépourvu de doutes ou de scrupules, dépourvu d’humour, sans pitié, innocent. »

(On est en 1986, un nouvel état d’urgence illimité a été décrété et de violentes émeutes éclatent.)
Elle raconte ses rapports avec ces quelques personnes, souffre et se confie ; culpabilité des blancs envers les noirs.
« Est-ce que c’est ma faute si j’ai vécu en un temps d’infamie ? »

Un beau roman de J. M. Coetzee qui nous immerge dans la ségrégation sud-africaine et la souffrance d’une femme.
« L’homme, pensai-je : le seul être pour qui une partie de son existence est plongée dans l’inconnu, dans le futur, comme une ombre portée devant lui. Il essaie constamment de rattraper cette ombre mouvante, d’habiter la figure de son espérance. »

« On doit aimer ce qui est le plus proche. On doit aimer ce qu’on a à portée de la main, à la façon dont les chiens aiment. »


\Mots-clés : #mort #segregation
par Tristram
le Dim 28 Nov - 11:25
 
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Sujet: John Maxwell Coetzee
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Judith Perrignon

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Là où nous dansions

Autant Judith Perrignon m’a séduite quand elle donnait la parole intime à des personnalités attachantes et tourmentées (Gérard Garouste, Marceline Loridan-Ivens ), autant elle m’impressionne quand elle décide de décrire, rien que ça, le destin d'une ville, en l'occurrence Detroit : grandeur et décadence. Et à travers cette ville, le destin du capitalisme et  son arrogance comme le destin des individus, en particulier des Noir·es alternativement discriminé·es, amadoué·es, spolié·es, au final toujours bafoué·es…

De l'apogée du fordisme à l'effondrement, de l'abandon à la résurgence financière, elle nous parle la vie des immeubles  détruits par les promoteurs, des autoroutes, prenant la place des logements. Et à travers eux, des vies touchantes et vibrantes des habitant.es, écrasé·es par la grosse machine, de celles et ceux qui s'en sortent, petits et grands destins de chanteurs.ses, de flics, d’artistes comme de ceux et celles qui subissent,  plongent dans la détresse, la drogue, la délinquance.

Là où nous dansions est un ambitieux emporté haut la main par Judith Perrignon, grâce à son style lyrique, sa vision inclusive, son attachement à l'intime des êtres, sa détestation du libéralisme.


\Mots-clés : #economie #lieu #segregation #social
par topocl
le Mer 23 Juin - 14:51
 
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Sujet: Judith Perrignon
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Elizabeth Hartley Winthrop

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Le châtiment de Willie Jones.

De la tombée du jour au lever du soleil, la nuit de l'exécution capitale de Willie, un jeune noir accusé d'avoir violé une Blanche, Elizabeth Winthrop suit, de minute en minute, une poignée de personnages, telle une ribambelle se passant le relais, dans cette petite ville de Louisiane en 1943. Tous, de près ou de loin, sont concernés par ce châtiment et ses implications (peine de mort, racisme) que ce soit Willie, ses proches, des membres de la justice ou de la police, le prêtre qui l’assiste, des blancs qui doutent ou d’autres sûrs de leur droit. Tous ont un étroite relation avec la mort qui les a déjà marqués, et la guerre qui se déroule au loin marque les faits de son empreinte .

Très maîtrisé, très attentif à chacun.e, plein de compassion dans cette ambiance électrique du Sud : ce roman progresse sûrement pour laisser entendre toutes les voix. C’est réellement touchant et intéressant.


Mots-clés : #justice #racisme #segregation
par topocl
le Mer 24 Fév - 11:19
 
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André Brink

Une saison blanche et sèche

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il y a le Ben d’avant : bon père, bon mari, bon paroissien et bon prof, un rien terne et décevant. Tellement commode pour son entourage. Et puis il y a le Ben d’après les morts de Gordon et son fils, Gordon le balayeur noir du collège, Jonathan, l’enfant brillant dont Ben finançait la scolarité, devenu activiste dans Soweto en flammes. Tous deux arrêtes et torturés à mort, des mort niées et camouflées.

Cherchant la vérité, Ben s’expose à l’opprobre publique et familiale, à la traque et l’inquisition sans limites de la Section Spéciale. Qu’importe, porter la vérité est devenu son seul chemin, c’est devenir vrai lui-même. Sa trahison est sa loyauté.

Interdit de publication à sa parution, Une saison blanche et sèche est un roman-massue extrêmement condensé, concentré, minéral, qui, comme son héros,  va droit au but de la dénonciation, n’omet aucun détail, chemine assidûment et sans détour. Tout est là, tout est utile.

Bien plus que l’histoire d’un autre homme, Gordon, domestique devenu frère par sa mort,  Ben, quelque soit son chemin de croix, veut dénoncer le mal de toute une nation bien-pensante, derrière son Dieu, ses certitudes et sa vertu. Ben est un homme ordinaire, lanceur d’alerte étonné de lui-même, qui se perd pour sauver le monde, car pour lui nul autre choix n’est devenu possible.

Le roman est d’un grand classicisme, mais échappe aux lourdeurs et clichés qu’on redoute par moment. Dans une belle économie de moyens, André Brink ne retient que ce qui est utile à  son propos, mais il laisse aussi la part belle aux doutes, aux interrogations de son héros anti-héros, profondément humain dans son sacrifice. Le déchaînement de violence et de terreur auquel il est confronté n’a d’égal que la sauvagerie des paysages tant urbains que désertiques.


Le fait que le papa de Quasimodo soit de bon conseil n’était plus à démontrer. Reste juste au fiston à entendre ce beau conseil.


Mots-clés : #historique #polar #racisme #segregation #social #xxesiecle
par topocl
le Lun 18 Mai - 11:06
 
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Isabel Allende

Zorro

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Roman, 525 pages environ, 2005. Titre original: El Zorro: Comienza la leyenda.

Parti pour voir si c'était compatible pour une lecture par mes garçons (ça l'est, juste une petite interrogation sur la distance, qui passe les 500 pages), et puis je me suis laissé prendre à ce bouquin, somme toute pas mal déconfinant; puis, parti pour poster un petit message sur le fil one-shot, je me retrouve à ouvrir un fil d'auteur dont je n'avais jamais rien lu...

Roman de cape et d'épée, donc genre littéraire regardé comme plutôt mineur, mais casse-figure tout de même:
Tout le monde n'est pas Dumas père ou encore Théophile Gautier (Le Capitaine Fracasse), ni même Roger Nimier (D'Artagnan amoureux).

Le sujet (voir le titre en langue originale) est l'enfance et la jeunesse de Don Diego/Zorro, en d'autres termes la genèse de Zorro.

Mme Allende s'en sort fort bien, portée par une documentation qu'on pressent solide (sur Barcelone aux temps de l'occupation française -napoléonienne-, les amérindiens, la Californie colonie de la couronne espagnole au XIXème naissant, les mœurs des gitans en Espagne, ceux des Gentilshommes de fortune du démocratique "royaume de Barataria" de Jean Lafitte, le vaudou à cette époque, l'administration royale et coloniale, etc, etc.).

Portée aussi par un sens narratif, ou peut-être un talent éprouvé de conteuse (?) ainsi que sa biblio incite à le supposer.

Peut-être une plume qui possède déjà, en 2005, beaucoup d'expérience, est-ce de l'ordre du flair, je ne sais pas, je découvre l'écriture d'Isabel Allende (mon impression est que l'excellence dans le domaine du sens narratif, il arrive qu'elle procède d'une articulation constructive sans faille - style Flaubert dans Salammbô si vous voulez - ou bien d'un flair, d'une intuition -à la Stevenson, même s'il y a sûrement beaucoup de boulot derrière l'apparente facilité, et sans doute le plus souvent d'un alliage intuition/colossale charge de travail).

Je lui sais gré que son Zorro soit un héros et non un super-héros, avec ses vulnérabilités, son romantisme, ses à-côtés, la sympathie qui va avec le personnage, antithétique du justicier froid.
Toisième Partie, Barcelone 1812-1814 a écrit:Il n'avait pas eu clairement conscience jusqu'à cet instant de sa double personnalité: d'un côté Diego de La Vega, élégant, minaudier, hypocondriaque, de l'autre Zorro, audacieux, insolent, joueur. Il supposait que son véritable caractère se situait quelque part entre ces deux extrêmes [...].

La dualité entre le personnage un peu gandin, frivole et peu signifiant de Diego et le héros Zorro est d'autant mieux exploitée qu'elle se double d'une dualité quasi gémellaire entre Bernardo et Diego, frères de lait, communiquant par gestes et télépathie, avec la part indienne de Zorro révélée (Bernardo est indien, dans ce Zorro-là).

Il m'est difficile pourtant, en lisant, de ne pas imaginer Zorro Le Renard sous les traits de Guy Williams, or j'ai toujours détesté cette intrusion dans mon imaginaire des aspects physiques de personnages que le cinéma ou les séries parviennent à imposer: je le prends toujours pour faiblesse, ou méforme, de ma part.

Il y a du burlesque, du gymnique, du fer croisé, des méchants, des veules, des passages secrets, des exploits et toutes sortes de prouesses, des coups du sort, des traîtrises, des torts à redresser, de l'imprévu, le camp du bien, celui du mal, etc...(vous n'en doutez évidemment pas !).

Un tout léger petit regret ?  
Dommage toutefois que Mme Allende ait escamoté toutes les possibilités de littérature équestre qu'offre un sujet aussi en or que Zorro: mais enfin l'opus pèse son pavé, on peut lui fournir une excuse...

Extrait:
Première Partie, Californie 1790-1810 a écrit:Bientôt il se trouva perdu dans l'immensité des montagnes. Il tomba sur une source et en profita pour boire et se laver, puis il s'alimenta de fruits inconnus cueillis aux arbres.
Trois corbeaux, oiseaux vénérés par la tribu de sa mère, passèrent en volant plusieurs fois au-dessus de sa tête; il y vit un signe de bon augure et cela lui donna le courage de continuer.  
À la tombée de la nuit, il découvrit un trou protégé par deux rochers, alluma un feu, s'enveloppa dans sa couverture et s'endormit à l'instant, priant sa bonne étoile de ne pas l'abandonner - cette étoile qui, d'après Bernardo, l'éclairait toujours -, car ce ne serait vraiment pas drôle d'être arrivé si loin pour mourir entre les griffes d'un puma.
Il se réveilla en pleine nuit avec le reflux acide des fruits qu'il avait mangés et le hurlement des coyotes tout proches. Du feu il ne restait que de timides braises, qu'il alimenta avec quelques branches, songeant que cette ridicule flambée ne suffirait pas à tenir les fauves à distance.
Il se souvint que les jours précédents il avait vu plusieurs sortes d'animaux, qui les entouraient sans les attaquer, et il fit une prière pour qu'ils ne le fassent pas maintenant qu'il se trouvait seul. À ce moment il vit clairement, à la lueur des flammes, des yeux rouges qui l'observaient avec une fixité spectrale. Il empoigna son couteau, croyant que c'était un loup, mais en se redressant il le vit mieux et s'aperçut qu'il s'agissait d'un renard. Il lui parut curieux qu'il reste immobile, on aurait dit un chat se réchauffant aux braises du feu.
Il l'appela, mais l'animal ne s'approcha pas, et lorsque lui-même voulut le faire, il recula avec prudence, maintenant toujours la même distance entre eux. Pendant un moment Diego s'occupa du feu, puis il se rendormit, malgré les hurlements insistants des lointains coyotes.
À chaque instant il se réveillait en sursaut, ne sachant où il se trouvait, et il voyait l'étrange renard toujours à la même place, comme un esprit vigilant. La nuit lui parut interminable, jusqu'à ce que les premières lueurs du jour révèlent enfin le profil des montagnes. Le renard n'était plus là.
Au cours de jours suivants, il ne se passa rien que Diego puisse interpréter comme une vision, excepté la présence du renard, qui arrivait à la tombée de la nuit et restait avec lui jusqu'au petit matin, toujours calme et attentif.
Le troisième jour, las et défaillant de faim, il essaya de trouver le chemin du retour, mais fut incapable de se situer.    



Mots-clés : #amérindiens #corruption #discrimination #esclavage #initiatique #litteraturejeunesse #segregation #social
par Aventin
le Lun 20 Avr - 18:34
 
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Sujet: Isabel Allende
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C.E. Morgan

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Le sport des rois

Difficile de trouver les mots pour évoquer ce roman de fièvre et de fureur, qui suit les pas d'un riche propriétaire terrien du Kentucky qui a investi toute sa vie dans l'élevage des chevaux de course, incarnation pour lui d'une forme de transcendance et de transmission d'une toute-puissance.
Cette passion des courses de chevaux s'est construite en opposition à son père, qui lui a laissé une terre ayant créé une fortune familiale mais l'a renié dans ces choix. Et ce déchirement, cette haine enfouie et intérieure d'une figure paternelle est à la source de tous les tourments, reflets des contradictions, des souffrances d'un monde clos du Sud des Etats-Unis, où le mépris de soi s'engloutit dans la perpétuation d'une ségrégation raciale quotidienne.
L'évocation des femmes, des noirs n'est que violence et amertume aux yeux d'hommes blancs déjà à moitié brisés...et la colère d'Henry Forge, qui voit sa propre fille se rebeller, puis un garçon d'écurie de sang-mêlé le supplanter dans son ambition hippique, ne peut que s'achever dans le drame.

L'écriture de C.E. Morgan est marquante, souvent flamboyante par ses accents romanesques, et peut rappeler l'intensité abrupte d'un Faulkner tant elle fascine et déroute à la fois. Paradoxalement, Le sport des rois semble parfois manquer de personnalité ou de sincérité, en privilégiant jusqu'à l'excès une dimension spectaculaire dans les rebondissements narratifs. Mais malgré ces regrets, il s'agit pour moi d'une oeuvre qui constitue un temps fort de mon année littéraire, et ne laissera pas indifférent.


Mots-clés : #famille #racisme #relationenfantparent #segregation
par Avadoro
le Mar 24 Sep - 23:28
 
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Sujet: C.E. Morgan
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Luca Di Fulvio

Le gang des rêves

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Titre original: La gang dei sogni. Paru en italien en 2008, roman, 920 pages environ.

Le roman débute à Aspromonte, Calabre, au début du XXème siècle.
Une petite fille (Cetta) grandit sous le regard de sa mère mais aussi celui, concupiscent, du patron de celle-ci, qui visiblement possède êtres, terres et choses et en dispose à son gré.
Cetta, devenue adolescente, se fait estropier par surprise par sa mère, afin de lui éviter les griffes du patron ou de l'entourage de celui-ci.
Ce sera sans succès et elle accouchera, "à presque quatorze ans", d'un garçon prénommé Natale, c'est-à-dire Noël.
Peu désireuse d'appartenir au patron comme l'une de ses terres, elle s'embarque à Naples pour l'Amérique avec son bébé. La traversée se passe en viols continus par le capitaine, contre un quignon de pain et un peu d'eau. Une fois débarqués à Ellis Island et sur recommandation du capitaine, la petite fille, flanquée de son bébé, va connaître des années durant la prostitution en maison close.
Son maquereau, Sal Tropea, sous des allures brutales est doté d'un cœur ainsi qu'on s'en aperçoit petit à petit au fil des pages, pour un premier élément un peu positif dans ce livre, ce qu'on n'osait plus espérer. Ce personnage de souteneur-gangster impuissant fait un petit peu songer à Sanctuaire, de Faulkner, est-ce là une référence que Di Fulvio est allé glaner ?
Une référence certaine est l'emprunt de Diamond Dogs, de David Bowie, revendiqué en-tête du reste, comme nom de gang (tiré de l'album et de l'excellent tube éponymes).

Natale Luminata devient Christmas Luminata, grandit dans le New-York du Lower East Side dans la pauvreté, la violence et hors système scolaire: il ne veut plus retourner à l'école depuis que des gamins lui ont tracé un P à la pointe du couteau sur la poitrine, qui lui laissera une cicatrice à vie, P signifiant Putain en rapport au métier exercé par sa mère.
Son bagout, une ou deux rencontres (Santo le copain docile et effacé, Pep le boucher à la chienne galeuse), et l'observation active de la rue, ses mœurs, ses codes et son spectacle lui tiennent lieu d'apprentissage de la vie.
Son destin commence à basculer le jour où il recueille, dans les immondices d'un terrain en chantier, une adolescente de son âge, presque moribonde, frappée, violée et amputée d'un doigt. Elle se trouve être Ruth Isaacson, petite-fille d'un millionnaire en vue...
mais je ne vais pas vous résumer les 700 pages restantes !

Comme je le disais sur le fil Nos lectures en Août 2019, Di Fulvio pratique un matraquage à la violence, au sordide et à l'abjection durant les premiers chapitres, sans doute pour aguicher le voyeur-lecteur, ça doit marcher sans doute (est-ce assez "grand public" ?), mais, franchement, à mon goût là il en fait trop: a-t-on besoin de ce pilonnage systématique alors qu'on vient à peine de quitter l'embarcadère pour une traversée de plus de 900 pages ?
Retors, il ajoute alors des retours chronologiques permanents afin de bien laisser la tête lourde  à l'heure de reposer le livre sur votre chevet, comme si le contenu ne suffisait pas (le lecteur n'auto-intitulera pas ce bouquin "Le gang des bonnes nuits et des beaux rêves").

Heureusement Di Fulvio rentre à temps dans une espèce de linéarité chronologique, et l'ouvrage se suit, au fil des pages comme si c'était au gré d'un courant non tumultueux. Homme de théâtre, Di Fulvio fait de chaque chapitre une entrée en scène: on suit le ou les personnages avant de passer à une autre scène, un autre lieu souvent, au chapitre suivant.

Reste à décerner beaucoup de points positifs, comme le style, alerte, vif, Luca Di Fulvio s'avère être une plume rompue au tournemain du savoir-camper, tout en restant percutante, sans encombrer.
De plus l'ensemble du roman est bien découpé/calibré, et c'est remarquable sur la très longue distance de cet ouvrage (exercice très casse-figure, tout le monde n'est pas Tolstoï !), et le final, parti de loin, amené sur 150 pages environ, assez travaillé et pas nécessairement prévisible, m'a ravi, m'arrache quelques applaudissements spontanés (encore la patte de l'homme de théâtre, peut-être ?).






Mots-clés : #conditionfeminine #criminalite #enfance #esclavage #immigration #prostitution #segregation #violence #xxesiecle
par Aventin
le Sam 10 Aoû - 6:05
 
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Sujet: Luca Di Fulvio
Réponses: 5
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William Faulkner

Trois nouvelles (Une rose pour Emily - Soleil couchant - Septembre ardent)

Tag segregation sur Des Choses à lire A_rose10
Titres originaux: A Rose for Emily - That evening sun - Dry September.

Lu en version Folio bilingue (ci-dessus).
Dates de premières publications: 1930 pour A Rose for Emily, 1931 pour That evening sun et pour Dry September.


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A Rose for Emily (Une rose pour Emily):

Le narrateur écrit au "je", plus exactement au "nous", "nous" englobant ainsi tous les habitants de la ville (Jefferson, bien connue des lecteurs de Faulkner).
Emily et sa maison sont, en quelque sorte, deux monuments, deux exceptions à Jefferson. L'histoire débute par l'évocation de la date du décès d'Emily. Ce décès donne enfin l'occasion à la communauté villageoise de pousser la porte de la maison d'Emily, où elle vivait recluse en compagnie d'un vieux serviteur, qui disparaît dès le décès officialisé:

V a écrit:Le Noir vint à la porte recevoir la première des dames. Il les fit entrer avec leurs voix assourdies et chuchotantes, leurs coups d'œil rapides et furtifs, puis il disparut. Il traversa toute la maison, sortit par-derrière et on ne le revit plus jamais.
Les deux cousines arrivèrent tout de suite. Elles firent procéder à l'enterrement le second jour. Toute la ville vint regarder Miss Emily sous une masse de fleurs achetées. Le portrait au crayon de son père rêvait d'un air profond au-dessus de la bière, les dames chuchotaient, macabres, et, sur la galerie et la pelouse, les très vieux messieurs - quelques-uns dans leurs uniformes bien brossés de Confédérés - parlaient de Miss Emily comme si elle avait été leur contemporaine, se figurant qu'ils avaient dansé avec elle, qu'ils l'avaient courtisée peut-être, confondant le temps et sa progression mathématique, comme font les vieillards pour qui le passé n'est pas une route qui diminue mais, bien plutôt, une vaste prairie que l'hiver n'atteint jamais, séparé d'eux maintenant par l'étroit goulot de bouteille des dix dernières années.


V a écrit:The Negro met the first of the ladies at the front door and let them in, with their hushed, sibilant voices and their quick, curious glances, and then he disappeared. He walked right through the house and out the back and was not seen again.The two female cousins came at once. They held the funeral on the second day, with the town coming to look at Miss Emily beneath a mass of bought flowers, with the crayon face of her father musing profoundly above the bier and the ladies sibilant and macabre; and the very old men --some in their brushed Confederate uniforms--on the porch and the lawn, talking of Miss Emily as if she had been a contemporary of theirs, believing that they had danced with her and courted her perhaps, confusing time with its mathematical progression, as the old do, to whom all the past is not a diminishing road but, instead, a huge meadow which no winter ever quite touches, divided from them now by the narrow bottle-neck of the most recent decade of years.


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That evening sun  (Soleil couchant):

Le thème de la peur, traité très en finesse. Quelle virtuosité dans l'inexprimé, quelle économie de mots, aussi. Beaucoup de dialogues, mettant en avant le langage des enfants:
En effet le narrateur au "je" de la nouvelle est un enfant de neuf ans, Quentin:
Autant Christian Bobin m'avait exaspéré avec ce procédé-là dans La folle allure, autant William Faulkner m'enchante dans That evening sun !

IV a écrit:
Alors, Nancy se remit à faire le bruit, pas fort. Assise, penchée au-dessus du feu, elle laissait pendre ses longues mains entre ses genoux. Soudain, l'eau se mit à couler sur sa figure, en grosses gouttes. Et, dans chaque goutte, tournait une petite boule de feu, comme une étincelle, jusqu'au moment où elle lui tombait du menton/ "Elle ne pleure pas, dis-je".
- "Je ne pleure pas" dit Nancy. Elle avait les yeux fermés. ""Je ne pleure pas. Qui est-ce ?
- Je ne sais pas, dit Caddy qui se dirigea vers la porte et regarda au-dehors. Il va falloir que nous partions, dit-elle. Voilà Papa.
- Je vais le dire, dit Jason. C'est vous qui m'avez forcé à venir."


IV a écrit:Then Nancy began to make that sound again, not loud, sitting there above the fire, her long hands dangling between her knees; all of a sudden water began to come out on her face in big drops, running down her face, carrying in each one a little turning ball of firelight like a spark until it dropped off her chin. "She's not crying," I said.
"I ain't crying," Nancy said. Her eyes were closed. "I ain't crying. Who is it?"
"I don't know," Caddy said. She went to the door and looked out. "We've got to go now," she said. "Here comes father."
"I'm going to tell," Jason said. "Yawl made me come."




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Dry September (Septembre ardent):

Un salon de coiffure pour hommes [blancs] dans une petite ville du Sud Faulknérien. Une rumeur de viol d'une femme blanche célibataire par un noir enflamme la conversation. Seul le coiffeur s'interpose et est persuadé de l'innocence du noir.

Nouvelle où action et suggestion sont étroitement imbriquées, avec finesse: la non-description du lynchage est remarquable, dans ce registre-là (il fut, paraît-il, reproché à Faulkner de ne pas avoir couché ce lynchage sur papier). Très sobre dans son écriture, Faulkner nous gratifie d'une nouvelle dense, paroystique: du grand art.

III a écrit:
La vitesse précipita Hawk parmi les ronces poussiéreuses jusque dans le fossé. Un nuage de poussière s'éleva autour de lui, et il resta étendu, haletant, secoué de nausées, parmi les craquements ténus, agressifs de tiges sans sève, jusqu'à ce que la seconde voiture soit passée et ors de vue. Alors, il se leva et s'éloigna, traînant la jambe. Arrivé sur la grand-route, il prit la direction de la ville en brossant de ses mains son vêtement. La lune avait monté, elle glissait très haut, sortie enfin du nuage de poussière sous lequel, au bout d'un moment, la lueur de la ville apparut.

 

III a écrit:The impetus hurled him crashing through dust-sheathed weeds, into the ditch. Dust puffed about him, and in a thin, vicious crackling of sapless stems he lay choking and retching until the second car passed and died away. Then he rose and limped on until he reached the highroad and turned toward town, brushing at his clothes with his hands. The moon was higher, riding high and clear of the dust at last, and after a while the town began to glare beneath the dust.



Mots-clés : #criminalite #justice #mort #psychologique #racisme #segregation #vieillesse #violence
par Aventin
le Dim 9 Juin - 13:35
 
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Sujet: William Faulkner
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Jesus Carrasco

Tag segregation sur Des Choses à lire 51dodf10

La terre que nous foulons

Originale : La tierra que pisamos (Espagnol, 2016)

Quatrième de couverture : a écrit:Quand l'Espagne est annexée au plus grand empire que l'Europe ait jamais connu, Iosif et Eva Holman se voient attribuer une propriété en Estrémadure. Sur cette terre âpre vivent des hommes et des femmes qu'ils considèrent à peine mieux que des bêtes. Jusqu'au jour où un vagabond hagard, à moitié fou, s'installe dans leur jardin. Contre toute attente, Eva le cache et le nourrit. Elle écoute ses divagations sur le massacre de sa famille, sur ses années d'esclavage dans un camp de travail. Au fi l du temps, les cauchemars de cet homme se mêlent à ses propres souvenirs, aux révoltes qu'elle a toujours tues, aux colères qui la hantent. Peu à peu, leurs deux voix se confondent, élevant un terrible lamento en mémoire des victimes d'une idéologie de mort et de destruction.

" Jesús Carrasco trouve une nouvelle et sensible façon d'évoquer les cicatrices indélébiles infligées par les régimes totalitaires. "



REMARQUES :
Après son roman début « L’intempérie », que j’ai énormément apprécié, je ne pouvais que retourner vers cet auteur. Et confirmation par ce deuxième roman ! Oui, une histoire en quelque sorte horrible, liée avec des dictatures et l’oppression, mais néanmoins avec une étincelle d’espoir, de résistance.

En 87 chapitres courts, de 1-5 pages de longueur, nous sommes face à une narratrice, Eva. Elle décrit, raconte, pas tellement de dialogues. Son époux, Iosip est un ancien militaire craint et influent, mais maintenant dans la dépendance, malade. Il faisait partie de « l’Empire », si vaste et vainqueur, occupant pratiquement l’Europe, une partie d’Asie, d’Afrique. Situation de fiction, mais néanmoins reprenant la série des « grandes » dictatures militaires, militaristes du XXème siècle, et des éléments de l’oppression, du travail forcé jusqu’à l’indicible. Les peuples soumis – ici donc cela joue en Espagne – sont soumis à une forme d’esclavage très dure.

Eva quant à elle a « donné » son fils sur le champ de la bataille… Mais comment se révolter dans ces extrêmes ? Faisant partie des privilégiés de l’Empire, ils ont reçu comme « cadeau » à la retraite de Iosip une propriété. Et quant alors apparaît et s’installe dans le jardin, d’une façon non-aggressive, Leva, elle serait presque capable de le dénoncer (pour cette situation non-permise), voire même de le tuer (sans encourir aucun danger, tant ces gens-bêtes sont en-dessous de ce qui compte). Mais à son propre étonnement elle va doucement s’approcher, voir solidariser. Le réfugié, fuyant, deviendra un caché, voir un accueilli qu’elle nourrira.

La narratrice trouvera de plus en plus refuge dans l’écriture et s’approprie l’histoire de Leva à peine racontable, l’exprime. Déjà cela fait d’elle un « ennemi » de son propre camp. A-t-elle à choisir ? Quoi faire ?

Au milieu de cette ténèbre, aussi dans sa fin,il y a une minuscule étincelle d’espoir et de lumière dans la résilience possible et la décision folle pour une solidarisation et le courage civil. Malgré tout !

Le livre a déjà gagné le prix de littérature de la Communauté européenne. Pas un miracle là ! La dictature et le populisme, la ségrégation toujours possible sont thématisés d’une façon très forte, une langue dépouillée qu’on compte dans le genre du « néoruralisme » espagnole. Des parties me rappellent un Philippe Claudel sombre ou un Gonçalo Tavares, voir de la littérature des camps.

Cet auteur est à suivre !


Mots-clés : #esclavage #regimeautoritaire #segregation
par tom léo
le Sam 8 Juin - 15:18
 
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Sujet: Jesus Carrasco
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Sylvain Pattieu

Nadine a écrit:Ouais, j'ai hâte de te lire sur le suivant. Et de tomber sur cet auteur par bon hasard.


Y' a qu'à demander, mais je vais faire court, car ça ne m'a pas emballée.

Nous avons arpenté un chemin caillouteux.

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Un tout petit bouquin assez didactique sur un couple de pirates de l'air, en 1972, qui ont voulu attirer l'attention sur la cause des noirs aux US, et on fini tranquillement leur vie - commencée de façon, on dira, un peu brutale -  dans un coin de Normandie à faire le bien dans leur quartier.
A priori séduisant, mais en fait assez anecdotique et un peu fouillis;.


mots-clés : #racisme #segregation #social
par topocl
le Lun 30 Juil - 20:56
 
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Sujet: Sylvain Pattieu
Réponses: 38
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John Maxwell Coetzee

Vers l'âge d'homme

Tag segregation sur Des Choses à lire Coetze12
Bon je m'attendais vraiment à mieux ! L'homme ralenti fut une belle découverte et je partais confiante .
Ouvrage autobiographique d'un écrivain descendant d'afrikaners  hanté par l'histoire de son pays , et toutes les blessures de l'humanité  .Et pourtant ,là on nage dans le mou mou de questionnements vaguement existentiels , philosophiques embrumés .L'écriture n'a rien de dynamisant ,ça manque de nerfs tout ça , ce n''est même pas dépressif , ni mélancolique .... Apathique mais pas tout à fait , en quête d'exaltation mais avec tiédeur , lunaire et décalé , dans l'autodérision tristounette, caustique fatigué , Coetzee a un intérêt indéniablement soporifique : Mais même là ça reste du léger Atarax 25 .
.  Le positif , c'est que  j'y ai puisé plein de références , et donc je l'ai lu avec un certain intérêt .Indirect .

Il tue le temps, il s’efforce de tuer le dimanche pour que le lundi vienne plus vite, et avec le lundi le soulagement du travail. Mais vu de plus loin, le travail est aussi une manière de tuer le temps.


En fait , pour rien au monde il n'entreprendrait une psychothérapie .L'objectif de la psychothérapie est de rendre heure heureux .A quoi bon? Les gens heureux ne sont pas intéressants .Mieux vaut porter le  fardeau du malheur et essayer d'en faire quelque chose de valable , de la poésie , de la musique ou de la peinture : c'est là sa conviction.



mots-clés : #autobiographie #segregation
par églantine
le Jeu 23 Nov - 20:53
 
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Sujet: John Maxwell Coetzee
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William Faulkner

"l'intrus"

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Sujet : Un vieux Noir est accusé du meurtre d'un Blanc par balle, dans le dos. Tous les Blancs de la ville voulant le pendre et le brûler le shériff l'arrête et le met en prison. Un jeune Adolescent Blanc qui a une dette envers cet homme (dette de honte) va à sa demande, avec l'aide de son serviteur Noir adolescent lui aussi et d'une vieille Dame Blanche âgée, commettre un acte impensable. Acte qui conduira à sauver la vie de l'accusé.

A travers cette histoire de meurtre l'auteur évoque bien au-delà du racisme, l'individu, la foule(la Face monstrueuse), la haine de celui qui est différent, la division Nord/Sud. Le droit à chacun de pouvoir vivre sa vie dans la sérénité.


Extraits

Tag segregation sur Des Choses à lire I110

Tag segregation sur Des Choses à lire I210
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(commentaire rapatrié, lecture ancienne)


mots-clés : #initiatique #racisme #segregation
par Bédoulène
le Dim 5 Nov - 8:54
 
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Sujet: William Faulkner
Réponses: 101
Vues: 11587

Doris Lessing

Nouvelles africaines

Tag segregation sur Des Choses à lire Nouvel10

J’ai lu ces nouvelles dans une édition de 1980, c'est-à-dire qu’elles ne représentent pas toute la production de Doris Lessing, mais treize nouvelles (les premières sans doute), dont Le vieux chef Mshlanga et Le soleil se lève sur le veld. (Avec évidemment les doutes usuels sur la traduction, et la mise en page ‒ sauts à la ligne escamotés ?) Ces textes offrent une description approfondie de l’intérieur de l’ex-Rhodésie, où l’auteure a vécu. Le veld, mais aussi les fermiers anglais ou afrikaners (plus ou moins en confrontation, plus ou moins aisés), en rapport distant avec les indigènes, entre paternalisme et incompréhension, ou plutôt non-questionnement :

Le vieux chef Mshlanga : une jeune fille blanche, élevée dans l’évidence de faire partie des maîtres, commence à s’interroger, partagée entre la fascination et la crainte, mais l’incommunicabilité est profondément installée.

« …] c'est mon héritage aussi ; j'ai été élevée ici ; c'est mon pays aussi bien que celui de l'homme noir ; et il y a suffisamment d'espace pour nous tous, sans que nous ayons à nous bousculer les uns les autres pour nous contraindre à céder le passage. »

« …] j’avais appris que, si l’on ne peut pas siffler son pays comme un chien, on ne peut pas non plus rejeter le passé avec un sourire en se disant paisiblement : je n’y pouvais rien, je suis victime aussi. »


Le petit Tembi est un bébé cafre sauvé par une infirmière blanche, épouse du patron de ses parents ; choyé lors de sa petite enfance, mais bouleversé par le fossé qui les sépare, il devient voleur dans la plus complète incompréhension mutuelle.

Pas de sorcellerie à vendre : de part et d’autre, il est impossible d’échanger : le cuisinier qui chérit son petit maître sauve sa vue lorsqu’il est aveuglé par un serpent cracheur, mais ne peut se résoudre à transmettre son savoir ancestral de guérisseur aux Blancs.

Rien de tranché dans ces aperçus d’un monde complexe : les petits Blancs paupérisés sont à mi-chemin des deux pôles sociaux, les colons et leurs domestiques, comme invisibles pour les premiers :
La seconde hutte : un Anglais s’acharne à faire subsister sa ferme tandis que sa nostalgique épouse languit, malade des conditions pénibles de leur existence ; il embauche comme assistant un Afrikaner qui fait des enfants à sa femme dans une volonté aveugle de survie dans la misère, et rudoie les employés cafres : ce sera un désastre pour tous.

La ferme du Vieux John : nouvelle assez longue pour déployer toute la finesse d’observation psychosociale de l’auteure, via une jeune fille entre deux générations, lors des soirées entre voisins fermiers dans le veld.  

« "Ce que je ne supporte pas, c’est cette monotonie inexorable. On presse un bouton ‒ il suffit de les abreuver suffisamment ‒ et la machine se met en route. Les mêmes choses se répètent, avec les mêmes gens, et pas un seul mot qui… C’est atroce." »


George le léopard : ou les rapports dramatiques hommes blancs - femmes noires dans un milieu britannique (i.e. puritain).

« Mais non seulement l’homme blanc prend à l’Afrique ce qu’il y trouve, mais il lui impose sa propre vision rapportée d’autres pays. »


L’hiver en juillet : un ménage à trois ‒ qui ne suffit pas même à combler la déréliction d’une femme à la ferme dans le veld.

Un toit pour le bétail des Hautes Terres : la femme d'un couple d’émigrés anglais déchante en arrivant en Rhodésie du Sud ; déçue et irritée par une existence étriquée, celle-ci découvre la condition des Africains avec un sentiment d’injustice, une empathie maladroite, toutes les facettes de cette confrontation vécue par tous les expatriés occidentaux dans des (anciennes) colonies (typiquement dans le rapport à l’argent).

L’Eldorado : un fermier s’est consacré aux cultures vivrières, faisant fi des de plus rentables ‒ mais la fièvre de l’or l’enflamme, au grand dam de son épouse : appât de l’aventure, de la chance, de la fortune "facile", passion qui le fait déchoir.

La fourmilière : le fils de l’ingénieur d’une mine d’or découvre en jouant avec son ami de la « réserve » (le village cafre) ‒ lui-même fils méconnu du propriétaire de la fourmilière humaine ‒, leur injuste différence de condition ; il partage avec lui son éducation scolaire, ils enragent dans une révolte confuse (magnifiquement transcrite), et enfin un avenir est devant eux.

Un autre beau texte, à part dans cette permanente thématique de l’impossibilité à se comprendre et partager dans les rapports Noirs - Blancs : Le soleil se lève sur le veld. Un garçon blanc de quinze ans jouit de sa liberté de chasseur dans le veld magnifique, mais est bouleversé par l’agonie d’une antilope (chevreuil » dans mon édition…) dévorée par les fourmis parce qu’elle avait une patte cassée : c’est la loi de la nature, mais peut-être a-t-il lui-même blessé cet animal ?

Dans ces nouvelles constituant un ensemble d’approches du même questionnement, j’ai particulièrement apprécié la manière approfondie d’étudier le confrontement de mondes qui ne peuvent se comprendre, séparés entre riches et pauvres, employeurs et employés, hommes et femmes, étrangers et indigènes ‒ univers mesquins, soigneusement cloisonnés, qui cohabitent à grand peine de façon artificielle. L’expérience vécue de Doris Lessing est évidente. Son œuvre a sa place parmi celles de Blixen et Coetzee notamment, pour essayer d’appréhender cette problématique complexe, où l’usage du terme "racisme", commode mais en définitive vide de sens, empêcherait toute analyse fouillée.

mots-clés : #nouvelle #racisme #segregation
par Tristram
le Dim 15 Oct - 16:14
 
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Sujet: Doris Lessing
Réponses: 15
Vues: 1614

Maya Angelou

Je sais pourquoi chante l'oiseau en cage.

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Bailey parlait si vite qu'il en oubliait de bégayer, de se gratter la tête et de se nettoyer les ongles avec les dents. Il était emporté loin dans un mystère, enfermé dans l'énigme que les jeunes Noirs du Sud commencent à démêler - à partir de l'âge de 7 ans et jusqu'à leur mort. Le casse-tête sans humour de l'inégalité et de la haine.


Par petites touches s'unissant dans une belle linéarité, Maya Angelou raconte son enfance de petite fille noire de milieu modeste, dans une Amérique ravagée par la ségrégation. Après le divorce de ses parents, elle est ballottée entre grand-mère, mère, père, avec son frère adoré Bailey comme point d'ancrage.
De l'Arkansas à Saint-Louis et Los Angeles, elle observe différentes façons d'être traitée par les blancs. Elle analyse aussi différentes façons d'être aimée et éduquée : l'austère religiosité de sa grand-mère, la négligence affectueuse de son père, la joie lumineuse, tournée vers les plaisirs de sa mère.

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Elle observe, décortique, essaie de comprendre les nombreuses choses que les non-dits ne lui expliquent pas. Elle découvre peu à peu comment chacun entretient une flamme pour survivre à la chape de la ségrégation, et comment la religion, en entretenant l'espoir d'un avenir meilleur, est un frein pour l'émancipation.

Le récit à hauteur d'enfant ne souffre jamais de son aspect rétrospectif, Maya Angelou relate avec aisance les croyances et les incertitudes de l'enfance, ce qui offre un récit tout à la fois fort et plein de charme.


mots-clés : #autobiographie #enfance #segregation
par topocl
le Mar 10 Oct - 19:31
 
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Sujet: Maya Angelou
Réponses: 7
Vues: 797

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