Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

Des Choses à lire
Visiteur occasionnel, épisodique ou régulier pourquoi ne pas pousser la porte et nous rejoindre ou seulement nous laisser un mot ?

Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

La date/heure actuelle est Mar 19 Mar - 8:37

42 résultats trouvés pour esclavage

Ernest Gaines

Colère en Louisiane

Tag esclavage sur Des Choses à lire Colzor10

Beau Boutan, un Cajun (les Cajuns ou Cadiens sont à l’origine les descendants des Acadiens déportés du Canada, des créoles francophones, certains étant devenus des planteurs esclavagistes), vient d’être abattu par Mathu, un vieux Noir, parce qu’il poursuivait chez lui Charlie (dont il est le Parrain) avec un fusil.
Candy Marshall, la propriétaire de la plantation, qui a été élevée par Miss Merle (une Blanche) et Mathu à la mort de ses parents, fait venir tous les vieux nègres et sang-mêlés des environs pour se déclarer coupables avec elle (A Gathering of Old Men, le titre originel). Le shérif Mapes a compris la situation, mais ne sait que faire : ce qu’il craint, comme tous les autres d’ailleurs, c’est que Fix, le père de Beau, ne rallie ses proches pour venir lyncher Mathu. Fix, déjà âgé, dépassé par le progrès social qui donne une place aux personnes de couleur dans une Louisiane conservatrice, rejette toute forme de justice officielle au nom de l’intérêt de sa famille, mais renonce finalement à aller dans les quartiers de la plantation.
« Protéger le nom et la terre. »

Mais les extrémistes du Klan se regroupent pour rendre leur justice par la violence…
Dans ce roman, Gaines fait parler quelques-uns des témoins et participants pour narrer le déroulement des faits. La prise directe sur l’action au présent, en plus du suspense intense, constitue une inspiration évidente pour le cinéma. Au-delà d’un certain hiératisme dramatique (et très beau), ce récit relativement bref expose une palette fort riche de personnages et de situations divers : c’est magistralement composé, du chœur polyphonique aux "héros" tragiques.
Le nœud est bien sûr le racisme, décliné tous azimuts, dans toutes les nuances du blanc au noir (mulâtre, créole, etc.), et la ségrégation conséquente, et la spoliation des descendants d’esclaves, mais aussi la solidarité de vieillards qui courageusement, dignement, relèvent la tête pour la première fois.

\Mots-clés : #discrimination #esclavage #justice #racisme #romanchoral #segregation #vengeance #violence #xxesiecle
par Tristram
le Jeu 26 Oct - 17:10
 
Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
Sujet: Ernest Gaines
Réponses: 18
Vues: 1612

Tzvetan Todorov

La conquête de l'Amérique - La question de l'autre

Tag esclavage sur Des Choses à lire La_con11

Exergue :
« Le capitaine Alonso Lopez de Avila s'était emparé pendant la guerre d'une jeune Indienne, une femme belle et gracieuse. Elle avait promis à son mari craignant qu'on ne le tuât à la guerre de n'appartenir à aucun autre que lui, et ainsi nulle persuasion ne put l'empêcher de quitter la vie plutôt que de se laisser flétrir par un autre homme ; c'est pourquoi on la livra aux chiens.
Diego de Landa, Relation des choses de Yucatan, 32
Je dédie ce livre à la mémoire
d'une femme maya
dévorée par les chiens
. »

I Découvrir :
« Je veux parler de la découverte que le je fait de l'autre. »

Et tout particulièrement de la (non-)rencontre de Colon et des Indiens. Le premier est essentiellement finaliste, et découvre surtout ce qu’il s’attendait à découvrir.
« Les arbres sont les vraies sirènes de Colon. Devant eux, il oublie ses interprétations et sa recherche du profit, pour réitérer inlassablement ce qui ne sert à rien, ne conduit à rien, et qui donc ne peut être que répété : la beauté. « Il s'arrêtait plus qu'il ne voulait par le désir qu'il avait de voir et la délectation qu'il goûtait à regarder la beauté et la fraîcheur de ces terres n'importe où il entrait » (27.11.1492). Peut-être retrouve-t-il par là un mobile qui a animé tous les grands voyageurs, que ce soit à leur insu ou non.
L'observation attentive de la nature conduit donc dans trois directions différentes : à l'interprétation purement pragmatique et efficace, lorsqu'il s'agit d'affaires de navigation ; à l'interprétation finaliste, où les signes confirment les croyances et espoirs qu'on a, pour toute autre matière ; enfin à ce refus de l'interprétation qu'est l'admiration intransitive, la soumission absolue à la beauté, où l'on aime un arbre parce qu'il est beau, parce qu'il est, non parce qu'on pourrait s'en servir comme mât d'un bateau ou parce que sa présence promet des richesses. »

« L'attitude de Colon à l'égard des Indiens repose sur la perception qu'il en a. On pourrait en distinguer deux composantes, qu'on retrouvera au siècle suivant et, pratiquement, jusqu'à nos jours chez tout colonisateur dans son rapport au colonisé ; ces deux attitudes, on les avait déjà observées en germe dans le rapport de Colon à la langue de l'autre. Ou bien il pense les Indiens (sans pour autant se servir de ces termes) comme des êtres humains à part entière, ayant les mêmes droits que lui ; mais alors il les voit non seulement égaux mais aussi identiques, et ce comportement aboutit à l'assimilationnisme, à la projection de ses propres valeurs sur les autres. Ou bien il part de la différence ; mais celle-ci est immédiatement traduite en termes de supériorité et d'infériorité (dans son cas, évidemment, ce sont les Indiens qui sont inférieurs) : on refuse l'existence d'une substance humaine réellement autre, qui puisse ne pas être un simple état imparfait de soi. Ces deux figures élémentaires de l'expérience de l'altérité reposent toutes deux sur l'égocentrisme, sur l'identification de ses valeurs propres avec les valeurs en général, de son je avec l'univers ; sur la conviction que le monde est un. »

« C'est ainsi que par des glissements progressifs, Colon passera de l'assimilationnisme, qui impliquait une égalité de principe, à l'idéologie esclavagiste, et donc à l'affirmation de l'infériorité des Indiens. »

(Et Colon organisa effectivement une traite des Indiens, d’abord vus comme « bons sauvages », avec l’Espagne.)
« L'année 1492 symbolise déjà, dans l'histoire d'Espagne, ce double mouvement : en cette même année le pays répudie son Autre intérieur en remportant la victoire sur les Maures dans l'ultime bataille de Grenade et en forçant les juifs à quitter son territoire ; et il découvre l'Autre extérieur, toute cette Amérique qui deviendra latine. »

II Conquérir :
C’est celle du Mexique par Cortés, malgré un rapport numérique très déséquilibré des troupes. Todorov rappelle que les Aztèques étaient eux-mêmes de cruels conquérants, installés depuis relativement peu de temps.
Les Aztèques interprétaient les signes (prophéties des prêtres-devins) d’un monde surdéterminé dans une société fortement hiérarchisée, régie par l’ordre, avec « prééminence du social sur l'individuel ».
« Pris ensemble, ces récits, issus de populations fort éloignées les unes des autres, frappent par leur uniformité : l'arrivée des Espagnols est toujours précédée de présages, leur victoire est toujours annoncée comme certaine. »

« La première réaction, spontanée, à l'égard de l'étranger est de l'imaginer inférieur, puisque différent de nous : ce n'est même pas un homme, ou s'il l'est, c'est un barbare inférieur ; s'il ne parle pas notre langue, c'est qu'il n'en parle aucune, il ne sait pas parler, comme le pensait encore Colon. »

« Le chef de l'État lui-même est appelé tlatoani, ce qui veut dire, littéralement, « celui qui possède la parole » (un peu à la manière de notre « dictateur »), et la périphrase qui désigne le sage est « le possesseur de l'encre rouge et de l'encre noire », c'est-à-dire celui qui sait peindre et interpréter les manuscrits pictographiques. »

Les tergiversations de Moctezuma reflètent son désarroi devant une situation inédite, inattendue dans une société régie par le passé au sein d’un « temps cyclique, répétitif ».
Cortès, en vrai Machiavel, sait s’adapter et improviser, et manipule les Aztèques selon leurs croyances (mythe de Quetzalcoalt, etc.)
« …] l'intransigeance a toujours vaincu la tolérance. »

III Aimer :
« Si le mot génocide s'est jamais appliqué avec précision à un cas, c'est bien à celui-là. C'est un record, me semble-t-il, non seulement en termes relatifs (une destruction de l'ordre de 90 % et plus), mais aussi absolus, puisqu'on parle d'une diminution de la population estimée à 70 millions d'êtres humains. »

Pour s’enrichir rapidement, les conquistadors se laissent aller à toutes les cruautés ; ils massacrent sans compter, là où les Aztèques sacrifiaient.
« Le massacre, en revanche, révèle la faiblesse de ce même tissu social, la désuétude des principes moraux qui assuraient la cohésion du groupe ; du coup, il est accompli de préférence au loin, là où la loi a du mal à se faire respecter : pour les Espagnols, en Amérique, ou à la rigueur en Italie. Le massacre est donc intimement lié aux guerres coloniales, menées loin de la métropole. Plus les massacrés sont lointains et étrangers, mieux cela vaut : on les extermine sans remords, en les assimilant plus ou moins aux bêtes. L'identité individuelle du massacré est, par définition, non pertinente (sinon ce serait un meurtre) : on n'a ni le temps ni la curiosité de savoir qui on tue à ce moment. »

Des justifications de la guerre et de l’esclavage sont progressivement élaborées, les premières confinant au ridicule (comme le Requerimiento), jusqu’à la conférence de Valladolid, qui oppose la conception hiérarchique de Sepulveda et la conception égalitariste de Las Casas (Aristote versus le Christ). Mais le principe d’égalité chez Las Casas nie la différence :
« Le postulat d'égalité entraîne l'affirmation d'identité, et la seconde grande figure de l'altérité, même si elle est incontestablement plus aimable, nous conduit vers une connaissance de l'autre encore moindre que la première. »

Et le but reste la conversion à la « vraie foi » – et la soumission à la couronne espagnole : attitude colonialiste.

IV Connaître :
Cabeza de Vaca (ses « relations » forment un témoignage extraordinaire) constitue un bel exemple d’identification (relative). Le dominicain Diego Duran, farouche adversaire du syncrétisme religieux, étudie la religion aztèque, et forme involontairement un métissage culturel. Le franciscain Bernardino de Sahagun, enseignant et écrivain, outre son travail de prosélyte, a « le désir de connaître et de préserver la culture nahuatl ».

Épilogue :
Pour Todorov, « la connaissance de soi passe par celle de l'autre » (ethnologie) ; égalité et respect des différences doivent s’équilibrer.
« Le langage n'existe que par l'autre, non pas seulement parce qu'on s'adresse toujours à quelqu'un, mais aussi dans la mesure où il permet d'évoquer le tiers absent ; à la différence des animaux, les hommes connaissent la citation. »


\Mots-clés : #amérindiens #colonisation #esclavage #essai #genocide #historique #religion #spiritualité #traditions #violence #voyage
par Tristram
le Ven 29 Sep - 11:25
 
Rechercher dans: Sciences humaines
Sujet: Tzvetan Todorov
Réponses: 2
Vues: 277

John Barth

Le Courtier en tabac

Tag esclavage sur Des Choses à lire Le_cou11

J'ai enfin lu ces 770 pages, mais en sors un peu déçu.
Dans l’Angleterre de la fin du XVIIe, Burlingame, le précepteur des jumeaux Ebenezer et Anna Cooke, fut très jeune marin au long cours et ambulant avec les bohémiens, puis fréquenta Henry More et Newton. Il donne une éducation hétéroclite à Ebenezer, qui est surtout indécis et indolent (et idéaliste et vaniteux), et se présente comme « vierge et poète ». Ebenezer, nommé lauréat par Lord Baltimore et amoureux de la putain Joan Toast, retourne au Maryland où il est né, à Malden, terre de son père pionnier. Il devait être accompagné par Burlingame, qui s’entremet dans les intrigues et rivalités de cette possession anglaise, à la recherche de ses origines dans cette contrée où il fut abandonné très jeune. C’est en fait Bertrand, le valet d’Ebenezer, qui accompagne ce dernier dans la traversée, se faisant passer pour lui dans une cascade de quiproquos et rebondissements. C’est fort rocambolesque, et l’écart est grand entre la réalité prosaïque et les aspirations d’Ebenezer, entre le vieux monde et la nouvelle terre, mais moins entre innocence et ignorance.
John Barth se réclame de la littérature du XVIIIe et tout particulièrement de Fielding dans cette « fantaisie », et celle-ci renvoie surtout à Butler (l’hudibrastique »).
La longueur du récit elle-même, ses « circuits » (détours), « écarts » (déviations, digressions, tels les commentaires) et ramifications embrouillées (tout particulièrement juridiques), la restitution détaillée de l’Histoire (notamment l’affrontement catholiques et protestants) et de l’époque jusque dans le langage et même la vêture (apparemment très bien rendus par le traducteur, Claro, quoiqu’il employât « ramenteva » pour « ramentut »), caractérisent les intérêts de cet « à la manière de », roman à tiroirs, picaresque, d'aventures et d'apprentissage XVIIIe, qui autrement s’avère assez vain. Outre ses fastidieuses circonlocutions de pensum, l’humour scabreux et scatologique m’a semblé sordide et complaisant, malgré la référence à Rabelais, qui ne me l’a jamais paru. Et le pastiche n’atteint pas au Nom de la rose d’Eco, entr'autres réactualisations de ces beau style et tour de pensée.
« Mais dans son cœur, la mort et toutes ses semblables anticipations étaient pour Ebenezer comme la vie, l’histoire et la géographie, lesquelles, de par son éducation et ses dispositions naturelles, il regardait toujours du point de vue du narrateur ; il en connaissait abstraitement la finalité ; il en goûtait indirectement l’horreur ; mais il ne pouvait jamais en éprouver les deux ensemble. Ces vies sont des histoires, admettait-il ; ces histoires ont une fin, reconnaissait-il – comment sinon en pourrait-on débuter une autre ? Mais que le conteur lui-même puisse vivre un conte propre et mourir… Inconcevable ! Inconcevable ! »

Je pense qu'il y a un rapprochement possible avec le Pynchon de Mason & Dixon, mais assez distant.

\Mots-clés : #aventure #colonisation #esclavage #historique #initiatique #prostitution #relationenfantparent #religion #voyage
par Tristram
le Jeu 3 Aoû - 13:17
 
Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
Sujet: John Barth
Réponses: 15
Vues: 870

William Faulkner

Descends, Moïse

Tag esclavage sur Des Choses à lire Descen10

Sept récits paraissant indépendants de prime abord, qui mettent en scène des personnages du Sud des USA, blancs, nègres (et Indiens ; je respecte, comme j’ai coutume de le faire, l’orthographe de mon édition, exactitude encore permise je pense). Plus précisément, c’est la lignée des Mac Caslin, qui mêle blancs et noirs sur la terre qu’elle a conquise (les premiers émancipant les seconds). Oppositions raciale, mais aussi genrée sur un siècle, plus de quatre générations dans le Mississipi.
Le titre fait référence à des injonctions du Seigneur à Moïse sur le Sinaï, notamment dans l’Exode. Ce roman est dédicacé à la mammy de Faulkner enfant, née esclave.
Autre temps : apparition de Isaac Mac Caslin, « oncle Ike », et la poursuite burlesque d’un nègre enfui.

Le Feu et le Foyer : affrontement de Lucas Beauchamp et Edmonds, fils de Mac Caslin, qui a pris la femme du premier :
« – Ramasse ton rasoir, dit Edmonds.
– Quel rasoir ? » fit Lucas. Il leva la main, regarda le rasoir comme s’il ne savait pas qu’il l’avait, comme s’il ne l’avait encore jamais vu, et, d’un seul geste, il le jeta vers la fenêtre ouverte, la lame nue tournoyant avant de disparaître, presque couleur de sang dans le premier rayon cuivré du soleil. « J’ai point besoin de rasoir. Mes mains toutes seules suffiront. Maintenant, prenez le revolver sous votre oreiller. » »

« Alors Lucas fut près du lit. Il ne se rappela pas s’être déplacé. II était à genoux, leurs mains enlacées, se regardant face à face par-dessus le lit et le revolver : l’homme qu’il connaissait depuis sa petite enfance, avec lequel il avait vécu jusqu’à ce qu’ils fussent devenus grands, presque comme vivent deux frères. Ils avaient péché et chassé ensemble, appris à nager dans la même eau, mangé à la même table dans la cuisine du petit blanc et dans la case de la mère du petit nègre ; ils avaient dormi sous la même couverture devant le feu dans les bois. »

Péripéties autour d’alambics de whisky de contrebande, et de la recherche d’un trésor. Lucas, bien que noir, a plus de sang de la famille que Roth Edmonds, le blanc, que sa mère a élevé avec lui dès sa naissance. Le même schéma se reproduit de père en fils, si bien qu’on s’y perd, et qu’un arbre généalogique de la famille avec tous les protagonistes serait utile au lecteur (quoique ce flou entre générations soit vraisemblablement prémédité par Faulkner, de même que le doute sur la "couleur" de certains personnages, sans parler des phrases contorsionnées).
« Lucas n’était pas seulement le plus ancien des habitants du domaine, plus âgé même que ne l’aurait été le père d’Edmonds, il y avait ce quart de parenté, non seulement de sang blanc ni même du sang d’Edmonds, mais du vieux Carothers Mac Caslin lui-même de qui Lucas descendait non seulement en ligne masculine, mais aussi à la seconde génération, tandis qu’Edmonds descendait en ligne féminine et remontait à cinq générations ; même tout gamin, il remarquait que Lucas appelait toujours son père M. Edmonds, jamais Mister Zack comme le faisaient les autres nègres, et qu’il évitait avec une froide et délibérée préméditation de donner à un blanc quelque titre que ce fût en s’adressant à lui. »

« Ce n’était pas toutefois que Lucas tirât parti de son sang blanc ou même de son sang Mac Caslin, tout au contraire. On l’eût dit non seulement imperméable à ce sang, mais indifférent. Il n’avait pas même besoin de lutter contre lui. Il ne lui fallait pas même se donner le mal de le braver. Il lui résistait par le simple fait d’être le mélange des deux races qui l’avaient engendré, par le seul fait qu’il possédait ce sang. Au lieu d’être à la fois le champ de bataille et la victime de deux lignées, il était l’éprouvette permanente, anonyme, aseptique, dans laquelle toxines et antitoxines s’annulaient mutuellement, à froid et sans bruit, à l’air libre. Ils avaient été trois autrefois : James, puis une sœur nommée Fonsiba, puis Lucas, enfants de Tomey’ Turl, fils du vieux Carothers Mac Caslin et de Tennie Beauchamp, que le grand-oncle d’Edmonds, Amédée Mac Caslin, avait gagnée au poker à un voisin en 1859. »

« Il ressemble plus au vieux Carothers que nous tous réunis, y compris le vieux Carothers. Il est à la fois l’héritier et le prototype de toute la géographie, le climat, la biologie, qui ont engendré le vieux Carothers, nous tous et notre race, infinie, innombrable, sans visage, sans nom même, sauf lui qui s’est engendré lui-même, entier, parfait, dédaigneux, comme le vieux Carothers a dû l’être, de toute race, noire, blanche, jaune ou rouge, y compris la sienne propre. »

Bouffonnerie noire : Rider, un colosse noir, enterre sa femme et tue un blanc.

Gens de jadis : Sam Fathers, fils d’un chef indien et d’une esclave quarteronne, vendu avec sa mère par son père à Carothers Mac Caslin ; septuagénaire, il enseigne d’année en année la chasse à un jeune garçon, Isaac (Ike).
« L’enfant ne le questionnait jamais ; Sam ne répondait pas aux questions. Il se contentait d’attendre et d’écouter, et Sam se mettait à parler. Il parlait des anciens jours et de la famille qu’il n’avait jamais eu le temps de connaître et dont, par conséquent, il ne pouvait se souvenir (il ne se rappelait pas avoir jamais aperçu le visage de son père), et à la place de qui l’autre race à laquelle s’était heurtée la sienne pourvoyait à ses besoins sans se faire remplacer.
Et, lorsqu’il lui parlait de cet ancien temps et de ces gens, morts et disparus, d’une race différente des deux seules que connaissait l’enfant, peu à peu, pour celui-ci, cet autrefois cessait d’être l’autrefois et faisait partie de son présent à lui, non seulement comme si c’était arrivé hier, mais comme si cela n’avait jamais cessé d’arriver, les hommes qui l’avaient traversé continuaient, en vérité, de marcher, de respirer dans l’air, de projeter une ombre réelle sur la terre qu’ils n’avaient pas quittée. Et, qui plus est, comme si certains de ces événements ne s’étaient pas encore produits mais devaient se produire demain, au point que l’enfant finissait par avoir lui-même l’impression qu’il n’avait pas encore commencé d’exister, que personne de sa race ni de l’autre race sujette, qu’avaient introduite avec eux sur ces terres les gens de sa famille, n’y était encore arrivé, que, bien qu’elles eussent appartenu à son grand-père, puis à son père et à son oncle, qu’elles appartinssent à présent à son cousin et qu’elles dussent être un jour ses terres à lui, sur lesquelles ils chasseraient, Sam et lui, leur possession actuelle était pour ainsi dire anonyme et sans réalité, comme l’inscription ancienne et décolorée, dans le registre du cadastre de Jefferson, qui les leur avaient concédées, et que c’était lui, l’enfant, qui était en ces lieux l’invité, et la voix de Sam Fathers l’interprète de l’hôte qui l’y accueillait.
Jusqu’à il y avait trois ans de cela, ils avaient été deux, l’autre, un Chickasaw pur sang, encore plus incroyablement isolé dans un sens que Sam Fathers. Il se nommait Jobaker, comme si c’eût été un seul mot. Personne ne connaissait son histoire. C’était un ermite, il vivait dans une sordide petite cabane au tournant de la rivière, à cinq milles de la plantation et presque aussi loin de toute autre habitation. C’était un chasseur et un pêcheur consommé ; il ne fréquentait personne, blanc ou noir ; aucun nègre ne traversait même le sentier qui menait à sa demeure, et personne, excepté Sam, n’osait approcher de sa hutte. »

Jobaker décédé, Sam se retire au Grand Fond, et prépare l’enfant à son premier cerf :
« …] l’inoubliable impression qu’avaient faite sur lui les grands bois – non point le sentiment d’un danger, d’une hostilité particulière, mais de quelque chose de profond, de sensible, de gigantesque et de rêveur, au milieu de quoi il lui avait été permis de circuler en tous sens à son gré, impunément, sans qu’il sache pourquoi, mais comme un nain, et, jusqu’à ce qu’il eût versé honorablement un sang qui fût digne d’être versé, un étranger. »

« …] la brousse […] semblait se pencher, se baisser légèrement, les regarder, les écouter, non pas véritablement hostile, parce qu’ils étaient trop petits, même ceux comme Walter, le major de Spain et le vieux général Compson, qui avaient tué beaucoup de daims et d’ours, leur séjour trop bref et trop inoffensif pour l’y inciter, mais simplement pensive, secrète, énorme, presque indifférente. »

L’ours :
« Cette fois, il y avait un homme et aussi un chien. Deux bêtes, en comptant le vieux Ben, l’ours, et deux hommes, en comptant Boon Hogganbeck, dans les veines de qui coulait un peu du même sang que dans celles de Sam Fathers, bien que celui de Boon en fût une déviation plébéienne et que seul celui du vieux Ben et de Lion, le chien bâtard, fût sans tache et sans souillure. »

Cet incipit railleur de Faulkner dénote les conceptions de l’époque sur les races et la pureté du sang.
Ce récit et le précédent, dont il constitue une variante, une reprise et/ou une extension, sont un peu dans la même veine que London. Ils m’ont impressionné par la façon fort juste dont sont évoqués le wild, la wilderness, la forêt sauvage (la « brousse »), « la masse compacte quoique fluide qui les entourait, somnolente, sourde, presque obscure ». Ben, le vieil ours qui « s’était fait un nom » et qui est traqué, Sam et « le grand chien bleu » laisseront la vie dans l’ultime scène dramatique.
Puis Ike, devenu un chasseur et un homme, refuse la terre héritée de ses ancêtres, achetée comme les esclaves (depuis affranchis) ; se basant sur les registres familiaux, il discourt sur la malédiction divine marquant le pays.

Automne dans le Delta : Ike participe une fois encore à la traditionnelle partie de chasse de novembre dans la « brousse », qui a reculé avec le progrès états-unien, et il se confirme que Faulkner est, aussi, un grand auteur de nature writing.
« …] rivières Tallahatchie ou Sunflower, dont la réunion formait le Yazoo, la Rivière du Mort des anciens Choctaws – les eaux épaisses, lentes, noires, sans soleil, presque sans courant, qui, une fois l’an, cessaient complètement de couler, remontaient alors leur cours, s’étalant, noyant la terre fertile, puis se retiraient la laissant plus fertile encore. »

« Car c’était sa terre, bien qu’il n’en eût jamais possédé un pied carré. Il ne l’avait jamais désiré, pas même après avoir vu clairement son suprême destin, la regardant reculer d’année en année devant l’attaque de la hache, de la scie, des chemins de fer forestiers, de la dynamite et des charrues à tracteur, car elle n’appartenait à personne. Elle appartenait à tous : on devait seulement en user avec sagesse, humblement, fièrement. »

La chasse est centrale, avec son ancrage ancestral, son initiation, son folklore, son narratif, et son éthique (c’est le vieil Ike qui parle) :
« Le seul combat, en quelque lieu que ce soit, qui ait jamais eu quelque bénédiction divine, ça a été quand les hommes ont combattu pour protéger les biches et les faons. »

Descends, Moïse : mort d’un des derniers Beauchamp.

Les personnages fort typés mis en scène dans ce recueil se rattachent à la formidable galerie des figures faulknériennes ; ainsi apparaissent des Sartoris, des Compson, et même Sutpen d’Absalon ! Absalon !.
Ces épisodes d’apparence indépendants me semblent former, plus qu’un puzzle, un archipel des évènements émergents d’un sang dans la durée.

\Mots-clés : #colonisation #discrimination #esclavage #famille #identite #initiatique #lieu #nature #portrait #racisme #religion #ruralité #social #violence
par Tristram
le Mer 2 Aoû - 13:36
 
Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
Sujet: William Faulkner
Réponses: 101
Vues: 11589

Véronique Olmi

Tag esclavage sur Des Choses à lire CVT_Bakhita_7023



Elle a été enlevée à sept ans dans son village du Darfour et a connu toutes les horreurs et les souffrances de l’esclavage. Rachetée à l’adolescence par le consul d’Italie, elle découvre un pays d’inégalités, de pauvreté et d’exclusion.

Affranchie à la suite d’un procès retentissant à Venise, elle entre dans les ordres et traverse le tumulte des deux guerres mondiales et du fascisme en vouant sa vie aux enfants pauvres.

Le Pape Jean-Paul II la déclare sainte le 1er octobre 2000.

sources Babelio

Quel choc ce roman ! Merveilleusement écrit, sans pathos, très émouvant....basé sur la vie réelle de cette femme.


Les esclaves domestiques et paysans dorment dans deux bâtisses séparées, une pour les hommes, l'autre pour les femmes, des bâtisses délabrées qui puent la paille humide et l'urine, où pullulent les rats, se transmettent les maladies, mais où règne surtout la peur. Les esclaves ont peur tout le temps. Peur de dormir alors qu'il est peut-être l'heure de se lever. Peur de ne pas dormir et d'être trop épuisé pour travailler au matin. Peur des coups qui réveillent les coups de la veille. Peur des coups qui ne viennent pas et vont tomber par surprise. Peur des anciens esclaves et des nouveaux esclaves, ceux qui savent trop de choses et ceux qui arrivent dans une innocence dangereuse. Peur le jour et peur la nuit, car l'épouse du général vient chaque matin avant le chant du coq pour les battre. Et ceux qui ont travaillé dans la nuit et viennent à peine de s'allonger sur leur natte sont battus pareil. Et celles qui sont grosses d'un enfant, et ceux qui sortent de leurs songes, et ceux dont l'esprit est encore uni à la nuit, et ceux qui ont la fièvre, et ceux qui sont si vieux qu'on les jettera bientôt sur le tas de fumier, et les petits enfants encore au sein, tous, encore couchés, sont battus pareil. Chaque matin avant le chant du coq, la femme du général crie dans une jouissance furieuse : « Abid ! Esclaves ! Race animale ! » Après cela, elle va mieux


Depuis Taweisha, elle sait que cette ville n'est en rien un endroit paisible. Ici tous sont marchands et gardiens d'esclaves, esclaves, femmes ou enfants d'esclaves, esclaves d'esclaves, une vie hiérarchisée, sous le haut commandement du prêtre, lui-même aux ordres des gros négociants. Le respect, c'est à eux qu'il va, les riches et les religieux. Ici les hommes ne sont pas seulement chargés de ce qu'ils ont pris aux villages razziés, ils sont aussi chargés de ce qu'ils ont arraché aux éléphants et aux bêtes sauvages, leurs mulets et leurs chameaux aux dents jaunes portent les trésors de pierres et d'or, ils ont gratté et éventré la terre et les arbres, ils vont vendre les hommes, les cornes et les peaux, le sel, la gomme et le cuivre, par eux le monde a été saccagé, et Bakhita entend le bruit des masses qui cognent le bois pour faire des enclos, celui des bêtes et celui des hommes, prisonniers et innocents pareils.




Elle ne sait pas comment elle s'appelle. Elle ne sait pas en quelle langue sont ses rêves. Elle se souvient de mots en arabe, en turc, en italien, et elle parle quelques dialectes. Plusieurs viennent du Soudan et un autre, de Vénétie. Les gens disent " un mélange" . Elle parle un mélange et on la comprend mal. On doit tout redire avec d'autres mots. Qu'elle ne connaît pas. Elle lit avec une lenteur passionnée l'italien, et elle signe d'une écriture tremblante, presque enfantine. Elle connaît trois prières en latin. Des chants religieux qu'elle chante d'une voix basse et forte.


Poignant et en même temps très intéressant, Véronique Olmi met en évidence le rôle qu'ont joué les africains eux-mêmes dans la razzia et le trafic des esclaves..Karthoum le plus grand centre de castration d'Afrique....le lieu de tous les trafics d'esclaves, ravalés au rang d'animaux... vraiment, j'avais déjà lu "Les négriers en terre d'Islam"...de Jacques Heers, que je recommande pour ceux que le sujet intéresse, mais là, le destin de tous ces pauvres gens vus de près est particulièrement émouvant....

J'ai adoré, Véronique Olmi a écrit un de ses meilleurs romans....impossible de ne pas être touchée par ce récit et la personnalité si touchante de Bakhita.


\Mots-clés : #biographie #esclavage
par simla
le Mer 19 Juil - 7:40
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Véronique Olmi
Réponses: 24
Vues: 1700

Lilian Thuram

Tag esclavage sur Des Choses à lire Image47

La pensée blanche

quatrième de couverture a écrit:Ce livre revisite certains pans de l’histoire : les conquêtes coloniales, l’esclavage, les empires, le Code Noir, l’instrumentalisation de la science et de la religion, la post-décolonisation et le pillage des ressources naturelles, le vol du patrimoine africain… Il examine les mécanismes intellectuels invisibles qui assoient la domination des Blancs. Il désigne le racisme ordinaire de nos sociétés, tissé d’une succession de petits faits parfois connus, parfois pas du tout : joueurs de football noirs accueillis par des cris de singe, discriminations à l’embauche, contrôles policiers au faciès, politique de « quotas » des minorités…


Petits ou grands les faits renvoient à leurs références et leur dérouler s'appuient sur l'histoire documentée de la colonisation et de l'esclavage bien sûr mais aussi sur une histoire plus récente. Les sciences sociales sont de la partie aussi et la part d'expérience personnelle complète le tableau.

C'est intéressant, ça essaye de questionner les biais que l'on peut avoir si on ne questionne pas notre "environnement de pensée", nos biais les plus communs. Le lien est fait avec d'autres causes du moment comme le féminisme et l'exploitation de beaucoup au profit de quelques-uns. Forcément on est un peu heurté parfois (ou souvent) à la lecture. Mais heurté ne veut pas dire agressé et j'ai vu dans ce livre une belle invitation à remettre en jeu les points de vue du quotidien, mieux les réflexes que je peux avoir au quotidien en tant que "blanc".

En plus ce n'est pas mal écrit (côté conjugaison ça dépasse des succès actuels de librairie divers et variés.

Ca se lit aussi facilement que c'est constructif et c'est bien dommage qu'on entende pas plus ce genre de voix !


Mots-clés : #colonisation #esclavage #racisme #social #viequotidienne
par animal
le Dim 12 Fév - 19:28
 
Rechercher dans: Sciences humaines
Sujet: Lilian Thuram
Réponses: 3
Vues: 392

Abdulrazak Gurnah

Paradis

Tag esclavage sur Des Choses à lire Paradi10

Yusuf, douze ans, est rehani, c'est-à-dire mis en gage par son père pour payer ses dettes au seyyid ("seigneur", titre honorifique des notables musulmans) Aziz, un important marchand (et trafiquant). Le jeune Mswahili de l’hinterland tanzanien est emmené par son « Oncle » sur la côte, où il travaille avec Khalil, son aîné dans la même situation ; il est attiré par le jardin clos de son maître.
Emmené dans une expédition commerciale chez les « sauvages », Yusuf, qui est beau et a dorénavant seize ans, échappe à Mohammed Abdalla, le mnyapara wa safari, guide « sodomite », en étant laissé chez le marchand Hamid, qui l’emmène dans la montagne (apparemment chez les Masaïs). L’année suivante, Yusuf est de l’expédition qui traverse le lac Tanganyika jusqu’aux Manyema (des Bantous du Congo), une sorte d’enfer aux « portes de flammes », et l’éprouvant voyage (initiatique) tourne au désastre ; il se révèle courageux, quoique hanté par des cauchemars.
De retour, il rencontre la Maîtresse, marquée par une tache sur le visage dont elle croit Yusuf, « béni », capable de l’en débarrasser ; elle est mentalement dérangée, et entreprenante ; il tombe amoureux de sa jeune servante, Amina, la sœur de Khalil (en fait une enfant raptée recueillie par son père et la seconde épouse d’Aziz, une rehani elle aussi). Il suivra finalement les askaris allemands comme la guerre éclate contre l’Angleterre.

L’esclavage existe depuis les premières incursions arabes, et même avant ; il est subi partout. Mzi Hamdani, le vieux jardinier taciturne plongé dans ses prières, est un esclave libéré par la Maîtresse lorsque la loi interdit l’esclavage, mais qui resta à son service ; il considère que personne n’a le pouvoir de prendre la liberté de quelqu’un d’autre, et donc de la lui rendre.
Le colonialisme européen constitue une toile de fond omniprésente, et croissante.
« Nous sommes des animaux pour eux, et il nous faudra longtemps pour les faire changer d’avis. Vous savez pourquoi ils sont si forts ? Parce que, depuis des siècles, ils exploitent le monde entier. »

« Nous allons tout perdre, et aussi notre manière de vivre. Les jeunes seront les grands perdants : il viendra un jour où les Européens les feront cracher sur tout ce que nous savons, et les obligeront à réciter leurs lois et leur histoire du monde comme si c’était la Parole sacrée. Quand, un jour, ils écriront sur nous, que diront-ils ? Que nous avions des esclaves… »

Ce qui m’a frappé, c’est le melting pot, Indiens, Arabes, Européens, sans compter les gens du cru, et les différentes ethnies de l’intérieur ; de même le pot-pourri des croyances. Syncrétisme ou opportunisme, l’islam est mêlé dans les affaires et les salamalecs, les rapports à l’alcool et l’herbe, derrière les plaisanteries scabreuses et les cruautés ; par contre, Hussein « l’ermite de Zanzibar » et même Aziz (personnage difficile à cerner) apparaissent comme des musulmans sincères, humains – et sagaces. La Bible semble constituer un socle commun (sur un fond de superstitions antérieures toujours vives) ; l’islam est abrahamique, et même un Sikh (pourquoi la majuscule ?) évoque (un) Noé. Gog et Magog reviennent souvent (désignant apparemment les païens, infidèles et autres chiens poilus), et Yusuf renvoie au Joseph tant hébraïque que coranique, vendu en esclavage. L’évocation du jardin d’Éden se présente fréquemment.
Le style est simple et rend la lecture fort aisée ; par ailleurs les péripéties de l’existence de Yusuf sont passionnantes.
N’étant pas familier de l’Afrique de l’Est et en l’absence de notes explicatives j’ai eu des difficultés à me retrouver entre les termes non traduits et l’histoire-géographie (présence coloniale omanaise, allemande, anglaise) ; c’est dommage, d’autant que les renseignements sont peu accessibles en ligne tant sur le livre que sur la région ; ainsi, l’aigle allemande, mais encore ? :
« À la gare, Yusuf vit qu’en plus du drapeau jaune orné du redoutable oiseau noir, il y en avait un autre où figurait une croix noire bordée d’argent. »

Abandon, exil, servitude, toute une misère humaine, intriquée en situations sociales inextricables, selon les lois du commerce.

\Mots-clés : #aventure #colonisation #discrimination #esclavage #exil #famille #initiatique #misere #religion #segregation #voyage
par Tristram
le Ven 18 Nov - 13:40
 
Rechercher dans: Écrivains d'Afrique et de l'Océan Indien
Sujet: Abdulrazak Gurnah
Réponses: 11
Vues: 638

Alejo Carpentier

Le Royaume de ce monde

Tag esclavage sur Des Choses à lire Le_roy10

Bref roman très dense, chronique menée tambour battant de la sanglante révolte des esclaves de Saint-Domingue, suivie de l'exil des colons à Santiago de Cuba. Suivant Ti Noël, victime de l’époque, Carpentier nous relate le quotidien des plantations, la mutinerie des Noirs menés par le Mandingue Mackandal, manchot rebelle qui marronne et qui, devenu puissance vaudou, empoisonne bétail et gens ; à ces croyances africaines (inspirant le « réalisme magique » de l’auteur) s’opposent celles des propriétaires, chrétiens qui refusent les idées nouvelles d’égalité humaine. Puis c’est Pauline Bonaparte, épouse du général Leclerc, beau-frère de Napoléon, ensuite le règne du roi Henri Christophe dans son palais de Sans-Souci, dans sa forteresse au mortier lié de sang de taureaux sacrifiés, indépendance haïtienne aussi dure pour les petits que la servitude précédente, avant que les mulâtres ne prennent le pouvoir et que la servitude ne se renouvelle. Une page d’histoire, brillamment étudiée et rendue : l’influence de la révolution française dans la région (que Carpentier reprendra dans Le Siècle des lumières) − un éblouissant raccourci du cours de la misère humaine dans les Caraïbes. Avec un vocabulaire fort riche, et des scènes anthologiques (comme l’épidémie, l’ambiance de fin du monde chez les colons, la mort d’Henri Christophe).
« Les pluies obéissaient aux conjurations des sages et lors des fêtes de la circoncision, quand les adolescentes dansaient, les cuisses laquées de sang, on frappait des pierres sonores qui faisaient une musique comme de grandes cascades assagies. »

« Mais avec l'âge M. Lenormand de Mézy était devenu maniaque et buvait. Une érotomanie perpétuelle lui faisait guetter à toute heure les jeunes esclaves, dont l'odeur l'excitait. »

« Soudain, Pauline se mit à marcher par la maison de façon étrange, évitant de mettre les pieds sur l'intersection des dalles qui, c'était notoire, ne formaient des carrés que sur l'instigation impie des francs-maçons désireux de voir les hommes fouler la croix à toute heure du jour. »

« Il fallait épuiser le vin, exténuer la chair, être de retour du plaisir avant qu'une catastrophe eût enlevé toute possibilité de jouissance. »

« Çà et là se dressaient des pans de murs, telles de grosses lettres brisées. »

« Il comprenait à présent que l'homme ne sait jamais pour qui il souffre ou espère. Il souffre, et il espère et il travaille pour des gens qu'il ne connaîtra jamais, qui à leur tour souffriront, espéreront, travailleront pour d'autres qui ne seront pas heureux non plus, car l'homme poursuit toujours un bonheur situé au-delà de ce qui lui est donné en partage. Mais la grandeur de l'homme consiste précisément à vouloir améliorer le monde, à s'imposer des tâches. Dans le royaume des cieux il n'y a pas de grandeur à conquérir, car tout y est hiérarchie établie, existence sans terme, impossibilité de sacrifice, repos, délices. Voilà pourquoi, écrasé par la douleur et les tâches, beau dans sa misère, capable d'amour au milieu des malheurs, l'homme ne peut trouver sa grandeur, sa plus haute mesure que dans le Royaume de ce Monde. »

Avec une pensée pour la terrible histoire d’Haïti, sempiternellement recommencée…

\Mots-clés : #ancienregime #colonisation #esclavage #historique #insurrection #misere #regimeautoritaire
par Tristram
le Mar 26 Juil - 13:31
 
Rechercher dans: Écrivains d'Amérique Centrale, du Sud et des Caraïbes
Sujet: Alejo Carpentier
Réponses: 16
Vues: 1690

John Maxwell Coetzee

Foe

Tag esclavage sur Des Choses à lire Foe10

Susan Barton naufrage sur l’île où Cruso et Vendredi, son jeune esclave noir sans langue, subsistent depuis quinze ans. Secourus par un bateau qui les ramène en Angleterre (Cruso meurt pendant le voyage), elle décide de confier par écrit leur histoire à M. Foe (c’est le livre que nous tenons, soit un mémoire – première partie − et des lettres – deuxième partie −), afin qu’il la mette en forme (et qu’elle en tire fortune). Mais l’écrivain a fui devant ses créanciers, et bientôt Susan et Vendredi vivent chez lui.
Un autre fil de la trame est la fille perdue de Susan, qu’elle était partie chercher à Bahia ; en Angleterre, une jeune fille portant son nom se présentera à elle comme sa fille, qu’elle ne reconnaît pas.
Le texte de la narratrice constitue une réflexion sur son année passée dans l’île, et sur Vendredi, sauvage avec lequel il est impossible de communiquer, mais aussi sur l’écriture romanesque, l’écart entre la vérité et la fiction intéressante pour le lecteur : la tâche de l’écrivain serait « d’accueillir les histoires des autres et de les renvoyer dans le monde mieux habillées. »
« …] (les conteurs sont-ils les comptables d’un trésor de souvenirs ? Qu’en pensez-vous ?). »

« Il y avait trop peu de désir chez Cruso et chez Vendredi : trop peu de désir de s’échapper, trop peu de désir d’une vie nouvelle. Sans désir, comment est-il possible d’élaborer une histoire ? C’était une île d’indolence, en dépit du terrassement. Je me demande ce qu’ont fait, dans le passé, les historiens de l’état de naufragé – si, dans leur désespoir, ils ne se sont pas mis à inventer des mensonges. »

« C’est comme si votre encre était pleine de mots, comme des animalcules en suspension, que je pêche dans l’encrier, qui coulent de ma plume et prennent forme sur le papier. Du rez-de-chaussée à l’étage, de la maison à l’île, de la jeune fille à Vendredi : il semble qu’il suffise d’établir les pôles, “ici” et “là-bas”, “maintenant” et “alors” ; après quoi les mots font les allées et venues d’eux-mêmes. Je ne me doutais pas qu’il était si facile d’être un auteur. »

« De cela nous pouvons déduire qu’un dessein dirige après tout nos vies, et qu’en attendant assez longtemps nous devons nécessairement voir ce dessein se révéler ; de même qu’en observant un tapissier à l’œuvre nous pouvons ne voir au premier coup d’œil qu’un enchevêtrement de fils ; mais, pour peu que nous soyons patients, des fleurs s’offriront peu à peu à nos regards, et aussi des licornes bondissantes et des tourelles. »

Dans la troisième partie, Susan retrouve Foe (vrai nom de Defoe) ; le personnage et son auteur discutent de la narration de l’histoire avec des points de vue divergents ; lui veut recentrer l’histoire sur la fille perdue, elle veut demeurer maîtresse de son histoire, c'est-à-dire son expérience sur l’île.
« Comment pourriez-vous renfermer Bahia entre les couvertures d’un livre ? Ce sont les lieux de petite taille, à la population clairsemée, que l’on peut subjuguer et soumettre au moyen de mots – ainsi, les îles désertes et les maisons solitaires. »

« J’ai encore le pouvoir de diriger et de corriger. Et par-dessus tout, de taire. C’est par de tels moyens que je m’efforce encore d’être le père de mon histoire. »

« Connaissez-vous l’histoire de la Muse, M. Foe ? La Muse est une femme, une déesse, qui vient la nuit rendre visite aux poètes et leur fait engendrer des histoires. Dans leurs récits ultérieurs, les poètes disent qu’elle vient à l’heure où leur désespoir est le plus profond et leur insuffle le feu sacré, après quoi leur plume auparavant sèche se met à couler. Lorsque j’ai écrit mon mémoire pour vous, et que j’ai vu à quel point il ressemblait à l’île sous ma plume, morne, vide, sans vie, j’ai souhaité qu’il existât un homme-Muse, un dieu juvénile qui vînt la nuit rendre visite aux femmes-auteurs et qui fît couler leur plume. Mais désormais, je sais ce qu’il en est. La Muse est à la fois déesse et fécondateur. Je n’étais pas destinée à être la mère de mon histoire, mais à l’engendrer. Ce n’est pas moi la promise : c’est vous. »

« Je ne suis pas une histoire, M. Foe. Il se peut que je passe à vos yeux pour une histoire parce que j’ai commencé sans préambule le récit que j’ai donné de moi-même, où je me suis dépeinte glissant par-dessus bord dans l’eau et nageant jusqu’au rivage. Mais ma vie n’a pas commencé au milieu des vagues. Il y a eu avant les eaux de la mer une vie dont on peut remonter le cours, jusqu’à ma quête désolée au Brésil, et de là jusqu’aux années où ma fille était encore avec moi, et ainsi de suite jusqu’au jour de ma naissance. Tout cela constitue une histoire que je ne souhaite pas raconter. Je choisis de ne pas la raconter parce qu’il n’est personne, pas même vous, à qui je doive fournir la preuve que je suis un être substantiel doté dans le monde d’un passé historique substantiel. Je préfère raconter l’île, parler de moi-même, de Cruso, de Vendredi et de ce que nous avons fait là-bas : car je suis une femme libre qui affirme sa liberté en racontant son histoire conformément à son propre désir. »

Le fil de la langue perdue de Vendredi, toujours présent comme l’ombre de Susan, est une parabole du Nègre victime du négrier en Afrique, et constitue une sorte d’incarnation de l’histoire impossible à raconter.
« L’histoire véritable ne sera pas connue tant que nous n’aurons pas trouvé un moyen ingénieux de donner une voix à Vendredi. »

Une brève quatrième partie évoque de façon onirique les intervenants du livre après leur mort.
Plutôt qu’une reprise du thème de Defoe, puis Tournier et Chamoiseau, et moins encore de celui du cannibale (crainte de Cruso et attrait littéraire pour Foe) comme par Aira et Darcy Ribeiro, c’est la narration elle-même qui est interrogée. Mais aucune ligne directrice ne se dégage nettement de ce roman, qui me paraît davantage retracer la recherche de l’écrivain, sans objectif préconçu de type allégorique ou "morale" à en tirer : une réflexion hasardeuse, qui n’aboutit pas à une solution nette, un "travail en cours" sans conclusion, tout comme si Coetzee avait réuni quelques éléments dans une expérimentation n’aboutissant pas à un résultat tranché, ou mené une enquête impossible à terminer, bref, tenté de raconter une histoire irracontable : celle-là même de Vendredi.

\Mots-clés : #ecriture #esclavage #voyage
par Tristram
le Lun 25 Oct - 13:33
 
Rechercher dans: Écrivains d'Afrique et de l'Océan Indien
Sujet: John Maxwell Coetzee
Réponses: 42
Vues: 6178

William Faulkner

L’invaincu

Tag esclavage sur Des Choses à lire 51llv611

Il s’agit de sept chroniques qui s’enchaînent, se lisant à la suite l’une de l’autre comme un roman.
Bayard, fils du colonel Sartoris, raconte son enfance avec son ami Ringo (Marengo), lorsqu’ils avaient dix ans dans le Sud lors de la guerre de Sécession ; lui est blanc, Ringo noir.
Embuscade
Les deux compères tirent un coup de fusil sur un Yanqui (et abattent son cheval), et Granny, forte femme d’une détermination sans faille, leur lave la bouche au savon pour l’avoir traité de « salaud ».
Retraite
Éblouissant rendu d’une échauffourée avec les Yanquis, cavalcades et humour.
Razzia
Exode des nègres vers un mythique Jourdain, vols d’argenterie et maisons incendiées, épique péripétie du chemin de fer, et la cousine Drusilla aux cheveux sommairement taillés qui se conduit comme un homme, à l’instar des autres Confédérés ne voulant plus que durer, déjà conscients de leur défaite.
Riposte en tierce
Dans le texte précédent, Granny et les deux enfants étaient revenus du côté des Fédérés avec une compensation de dix malles d’argenterie, plus de cents mulets et autant de nègres ! Elle continue par un trafic de mulets pris et revendus à l’armée de l’Union, et la cocasserie débonnaire a décidément pris le pas sur une quelconque dénonciation des horreurs de la guerre. Le ton est aux antipodes de celui du roman précédant, Absalon, Absalon ! tout en étant plus abordable, avec cependant un style excellant dans la narration des péripéties et scènes d’action. À noter aussi que la situation des Noirs est présentée d’une manière complexe, certains se réjouissant d’une libération proche, d’autres s’égarant lorsqu’ils ont perdu leurs maîtres ; à noter que les blancs dont les maisons ont été incendiées, comme Granny, logent dans les cases de leurs nègres, séparés de ceux-ci par un rideau ! Le narrateur précise plusieurs fois dans le livre que Ringo est plus intelligent que lui. On devine une familiarité ambigüe que le terme d’esclavage (pas prononcé) ne rend pas.
Vendée
L’armée fédérée est partie, remplacée par les pillards, dont un certain Grumby qui tue Granny ; Ab Snopes, l’homme de main de cette dernière, est soupçonné de trahison, et oncle Buck, autre personnage haut en couleur, se lance à la poursuite de la bande avec les deux garçons, qui ont maintenant quinze ans : avec cette longue expédition vengeresse, on est franchement dans le western.
Escarmouche à Sartoris
Ce que dit Faulkner n’est cependant jamais univoque et clair.
« J’imagine que c’était parce que les cavaliers de mon père (comme tous les autres soldats du Sud), bien qu’ils se fussent rendus et avoués vaincus, étaient toujours des soldats. Peut-être en vertu de l’habitude invétérée de tout faire comme un seul homme ; peut-être, quand on a vécu pendant quatre années dans un monde conditionné par des actes humains, même lorsqu’il s’agit de danger et de bataille, n’éprouve-t-on pas le besoin de quitter ce monde-là ; peut-être le danger et la bataille en sont-ils la raison, puisque tous les hommes ont été pacifistes pour toutes les raisons possibles sauf pour éviter le danger et la bataille. Ainsi le régiment de mon père et tous les autres hommes de Jefferson, d’une part, et Mme Habersham et toutes les autres femmes, d’autre part, étaient-ils positivement ennemis, puisque les hommes avaient concédé et reconnu qu’ils appartenaient aux États-Unis, mais que les femmes ne s’étaient jamais rendues. »

Faulkner déclare cela avant de raconter comme Drusilla est soupçonnée par la société féminine d’avoir été séduite par le colonel Sartoris lors de leur année de guerre en commun, et convaincue de retrouver ses robes puis, « vaincue », d’épouser John (discrètement, pour éviter le qu'en-dira-t-on) – mais ce dernier y sursoit en organisant le vote qui rejette les tenants de la participation politique des Noirs : les femmes sont présentées comme ne comprenant pas les élections… Quelques pages plus loin, au début du dernier texte, le narrateur déclare : « parce qu’elle était femme et, par conséquent, plus avisée qu’un homme »…
Une odeur de verveine
Bayard a vingt-quatre ans lorsqu’il apprend que son père a été tué. L’odeur de verveine, c’est celle que Drusilla met dans ses cheveux, « car elle disait que la verveine était la seule odeur que l’on pût sentir au-dessus des chevaux et du courage et qu’ainsi c’était la seule qui valût qu’on la portât. »
« Je songeai alors à la femme de trente ans, symbole de l’antique et éternel Serpent et aux hommes qui avaient écrit sur elle, et je me rendis compte à ce moment de l'infranchissable abîme qui sépare tout ce qui est vécu de tout ce qui est imprimé : que ceux qui le peuvent agissent, et que ce sont ceux qui ne peuvent pas et souffrent assez de ne pas pouvoir qui écrivent là-dessus. »

Déprimante conception de la littérature…
J’ai été enthousiasmé par ce roman relativement accessible et cependant fort riche, qui confirme le génie de l’auteur.

\Mots-clés : #enfance #esclavage #guerre #racisme
par Tristram
le Mar 21 Sep - 19:34
 
Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
Sujet: William Faulkner
Réponses: 101
Vues: 11589

Marguerite Yourcenar

Fleuve profond, sombre rivière. Les Negro Spirituals, commentaires et traductions

Tag esclavage sur Des Choses à lire Fleuve10


La première partie de cet ouvrage paru en 1966 retrace brièvement l’histoire de l’esclavage, surtout nord-américain, avec une vision pessimiste et juste de l’avenir.
« Note de 1974 – A l'époque où j'écrivais ces lignes, il y a déjà plus de dix ans, ces prévisions semblaient presque excessivement sombres. Elles n'ont été que trop justifiées au cours des années qui ont suivi. L'assassinat de Martin Luther King, les révoltes des ghettos, l'apathie du gouvernement fédéral et de l'opinion publique en ce qui concerne la mise à exécution des lois scolaires et la résistance obstinée du Sud à celles-ci, l'accroissement du racisme et du chauvinisme noirs, inévitables certes, mais néfastes comme tous les chauvinismes et comme tous les racismes, ont rendu la réconciliation des deux races plus ardue, sinon impossible, dans le prochain avenir. L'avenir éloigné ne promet peut-être pas mieux. »

Puis il s'agit plus particulièrement des Negro Spirituals, « ces poèmes spirituels, qui sont la dernière en date et l'une des plus hautes réussites de la poésie sacrée. » Leurs origines sont dans la Bible, le catholicisme et le protestantisme (voire l’islamisme), mais aussi une « négritude » d'où ressurgissent les « vieilles réminiscences des initiations indigènes », « les sacrifices sanglants », « les épreuves rituelles et les précautions apotropaïques des primitifs de tout temps » avec un « sens du sacré et du mythique encore intact ».
« À les regarder en gros, les textes du Negro Spiritual semblent en effet sortis du vieux magasin de métaphores et de formules du cantique protestant. Mais le miracle est justement que la poésie ornée et oratoire des hymnes wesleyens et méthodistes du XVIIIe siècle, ou au contraire le piétisme emphatique et plat de tel cantique de date plus récente, aient abouti dans la bouche du Noir à ces merveilles lyriques et dramatiques, à ces poèmes dont la piété enjouée ou pathétique retrouve, à des siècles de distance, quelque chose de l'émotion nue de Villon ou de la tendresse de la poésie franciscaine. Paradoxalement, c'est le primitivisme du nègre nouvellement converti, son instinct du rythme, son sens profond du sacré apporté de l'Afrique noire, qui l'a mis à même de retraduire le drame chrétien avec une ferveur de pieux paysan du Moyen Age ou de catéchumène du temps des catacombes. »

Marguerite Yourcenar utilise le terme d’aframéricain pour afro-américain, néologisme qui n’a guère survécu, ce que je trouve dommage.
La seconde partie est constituée de traductions de Negro Spirituals.
« C'est l' train d' l'Évangile qu'entre en gare,
La terre tremble à chaque tour d'essieu,
L' même prix pour tous, pas d' place à part,
V'là l'engin qui conduit aux cieux !

Montez tous, pas d'hésitation !
Dans c' train-là, plus d' ségrégation !
Le ciel à la prochaine station ! »

« Ya-t-il ici quéqu'un qu'aime mon Jésus ?
Ya-t-il ici quéqu'un qu'aime le Bon Dieu ?
J' veux savoir, j' veux savoir !
Est-ce que t'aimes mon Dieu ?

J' suis heureux quand j'aime mon Jésus,
J' suis heureux quand j'aime le Bon Dieu !

J' veux chanter quand j'aime mon Jésus,
J' veux chanter quand j'aime le Bon Dieu.
J'aime autrui quand j'aime mon Jésus,
J'aime mes frères quand j'aime le Bon Dieu...

Dit' z-aux montagnes qu' vous aimez Jésus,
Dit' z-aux montagnes qu' vous aimez l' Bon Dieu !
Dit' z-aux vallées qu' vous aimez Jésus,
Dit' z-aux vallées qu' vous aimez l' Bon Dieu !

J' veux savoir, j' veux savoir,
Est-ce que t'aimes mon Dieu ? »

« Oh, c'tte vieille arche, elle prend la mer,
Et j' m'en vais d'ssus dans mon pays !
Oh, mon pays !

R'gardez c'tte sœur si bien vêtue,
Elle ne pense pas au bon Jésus !
Oh, mon pays !

Regardez ce frère qu'a l'air si gai,
Il ne pense pas qu' la Mort fait l' guet !
Oh, mon pays !

R'gardez c'tte sœur qui traîne le pied,
Elle va se faire laisser su' l' quai !
Oh, mon pays !

C'tte vieille arche, elle tangue, elle prend l'eau,
Elle arrivera quand même là-haut...
Oh, mon pays ! »

« J' m'en vas grimper à l'échelle de Jacob,

Et ma p'tite âme va s' mettre à briller,
Ma p'tite âme va s' mettre à briller... »

« J' m'en vais à moi tout seul traverser l'océan,
A moi tout seul,
A moi tout seul,
Avec l'amour pour barque et pour voile un linceul.

Quand mon Maît' m'appelle, il faut qu' j'aille... »

« Oh, flanquez-moi
Dans l' champ d' navets...
Ça m'est égal,
Dans l' champ d' navets,
Hors d' la maison,
Dans l' champ d' navets,
Avec Papa,
Dans l' champ d' navets,
Avec Maman,
Dans l' champ d' navets,
Tous on y va,
Dans l' champ d' navets,
Mais mon esprit,
Dans l' champ d' navets,
N'y restera pas,
Dans l' champ d' navets,
J'irai chez Dieu,
Dans l' champ d' navets,
Je n'ai pas peur,
D' vot' champ d' navets,
Oh, flanquez-moi
Dans l' champ d' navets. »

« Dans la vallée, l'Esprit de Dieu
Cria : "Zéchiel, écoute un peu !"
Zéchiel vit le val plein d'ossements,
Plein d'ossements tout secs et tout blancs.

Ossements tout secs, au point du jour,
J' vous recueillerai avec amour,
J' vous ramasserai, j' vous rejoindrai,
Et tout debout vous vous tiendrez !
Vieux os qui sont mes propres os,
Vous r'luirez tout neufs et tout beaux !
[…]
Quéqu' z-uns d' ces os sont à mon père ;
I' se lèveront d' dessous la terre.
Quéqu' z-uns d' ces os sont à ma mère,
I' sortiront d' dedans l' cimetière,
Et quéqu' z-uns de ces pauv' vieux os
Sont ceux d' mes jambes et ceux d' mon dos.
[…]
Ya d' ces os qui m'ont fait bien rire,
Sitôt qu'i' s' mettent à tressaillir,
Sitôt qu'i' s' mettent à gambader !
Mais yen a qui m'ont fait pleurer,
Car quéqu' z-uns de ces pauv' vieux os
Sont ceux d' mes jambes et ceux d' mon dos. »


« L' bébé r'monte au ciel
D'où qu'il était venu...
L' bébé r'monte au ciel
D'où qu'il était venu...
P'tits pieds sur l'échelle de Jacob !
J' voudrais bien y grimper aussi...
Ah, Seigneur, l'échelle de Jacob...
Ah, Seigneur, l'échelle de Jacob... »


\Mots-clés : #esclavage #poésie
par Tristram
le Sam 26 Juin - 13:32
 
Rechercher dans: Écrivains européens francophones
Sujet: Marguerite Yourcenar
Réponses: 97
Vues: 9254

Daniel Defoe

The Life and Strange Surprizing Adventures of Robinson Crusoe

Tag esclavage sur Des Choses à lire Robins10
Publié en 1719, 230 pages envion. Succès mondial depuis trois siècles.

Il m'a semblé une bonne idée (en était-ce une ?) de revenir au texte anglais initial. On y découvre des éléments questionnants, que bien des versions édulcorées ou "Jeunesse" ont passé à profits et pertes.

En 1719 Defoe était un homme politique, plusieurs fois jeté en prison pour dettes et pour positions politiques, il avait été aventurier, commerçant, agent secret, infiltrait les jacobites, trempait dans mainte opération et basses œuvres au nom de sa foi presbytérienne.

Toute cette dimension-là transparaît dans Robinson; ainsi, lorsqu'il prie (et il prie souvent, dans l'édition originale) avec ce côté très accentué des presbytériens s'accusant de celles d'entre leurs propres fautes qui leur paraissent les pires, aux fins d'espérer le pardon, la rémission, la rédemption, sommes-nous surpris de constater qu'au nombre de celles-ci ne figure pas la traite négrière, alors que désobéir à ses parents est une erreur de jeunesse sur laquelle il revient sans cesse.
La dimension Providence (très XVIIIème il est vrai) est particulièrement à l'honneur, c'est je crois -enfin du moins est-ce mon analyse, le sentiment vécu, éprouvé de celle-ci qui maintient Robinson à flot, la tête à peu près claire:
Le personnage de Tom Ayrton, dans L'Île Mystérieuse de Jules Verne, donne certainement une meilleure idée de l'état psychologique ravagé de ceux qui ont été marronés, largués solitaire sur une île déserte.

L'île de Robinson est déserte, humainement parlant, mais se révèle très prodigue.
C'est la solitude extrême qui lui pèse, mais avec vue sur une autre terre ou île: or il ne s'y aventure pas, c'est singulier.
De même il met des années avant de reconnaître complètement l'autre côté de l'île ou le naufrage l'a jeté seul survivant, ce qui est à tout le moins étrange, "on ne peut attendre d'un prisonnier qu'il ne fasse pas le tour de sa propre geôle" comme dit Marguerite Yourcenar (dans l'Œuvre au noir).

L'argent, la position sociale ne sont pas le mal mais le juste fruit de l'ingéniosité et du travail, notion à peu près impossible à comprendre pour la quasi-totalité des autres courants chrétiens (le terrain est très déblayé pour L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, le fameux ouvrage de Max Weber, presque deux siècles plus tard).  

Également la façon de se comporter en roi ou roitelet, avec ses assujettis, avec une prise de possession de l'île très "seul maître à bord après Dieu" que ce soit avec Vendredi puis son père ou avec les naufragés, est certainement époque, mais à rapprocher des convictions, des engagements politiques de Defoe.

Le seul livre que J-J Rousseau conseillait à Émile d'avoir en bibliothèque, au strict détriment de tous les autres, étonne aussi par la maladresse chronique de Robinson, maladresse que les versions expurgées ont transformé en ingéniosité.
Et la juste compensation de la maladresse est le travail, énorme, celui-ci à mi-chemin entre le rachat et le signe de la Providence.

Enfin, car j'arrête là - je m'en voudrais de trop lire et surtout de commenter sans recul cet énorme succès avec des yeux occidentaux du XXIème siècle - travers plus difficile à éviter encore que les fameux écueils de l'île de Robinson...  

Livre vivant, alerte, tenant bien son lecteur en haleine, même dans sa prime version: celà ça fait trois siècles que des millions de lecteurs en sont convaincus...
J'ai bien apprécié le souci de Defoe de brouiller les cartes, avec utilisation démiurgique de la notion de tempête destructrice: sommes-nous bien dans les Caraïbes, avec des traits d'îles qui font davantage penser aux côtes brésiliennes ou chiliennes ?
Là est une d'entre les petites touches d'un romancier talentueux...

He was a comely handsome Fellow, perfectly well made; with straight strong Limbs, not too large; tall and well shap’d, and as I reckon, about twenty six Years of Age. He had a very good Countenance, not a fierce and surly Aspect; but
seem’d to have something very manly in his Face, and yet he had all the Sweetness and Softness of an European in his Countenance too, especially when he smil’d.
His Hair was long and black, not curl’d like Wool; his Forehead very high, and large, and a great Vivacity and sparkling Sharpness in his Eyes. The Colour of his Skin was not quite black, but very tawny; and yet not of an ugly yellow nauseous
tawny, as the Brasilians, and Virginians, and other Natives of America are; but of a bright kind of a dun olive Colour, that had in it something very agreeable; tho’ not very easy to describe. His Face was round, and plump; his Nose small, not flat
like the Negroes, a very good Mouth, thin Lips, and his fine Teeth well set, and white as Ivory. After he had slumber’d, rather than slept, about half an Hour, he wak’d again, and comes out of the Cave to me; for I had been milking my Goats, which I had in the Enclosure just by: When he espy’d me, he came running to me, laying himself down again upon the Ground, with all the possible Signs of an humble thankful Disposition, making a many antick Gestures to show it: At last he lays his Head flat upon the Ground, close to my Foot, and sets my other Foot upon his Head, as he had done before; and after this, made all the Signs to me of Subjection, Servitude, and Submission imaginable, to let me know, how he would serve me as long as he liv’d; I understood him in many Things, and let him know, I was very well pleas’d with him; in a little Time I began to speak to him, and teach him to speak to me; and first, I made him know his Name should be Friday, which was the Day I sav’d his Life; I call’d him so for the Memory of the Time;
I likewise taught him to say Master, and then let him know, that was to be my Name; I likewise taught him to say, YES, and NO, and to know the Meaning of them; I gave him some Milk, in an earthen Pot, and let him see me Drink it before him, and sop my Bread in it; and I gave him a Cake of Bread, to do the like, which he quickly comply’d with, and made Signs that it was very good for him.


\Mots-clés : #aventure #colonisation #esclavage #insularite #lieu #nature #solitude
par Aventin
le Dim 6 Juin - 18:00
 
Rechercher dans: Écrivains européens de langues anglaise et gaéliques
Sujet: Daniel Defoe
Réponses: 32
Vues: 5139

Mark Twain

Tag esclavage sur Des Choses à lire Buck10

Les Aventures de Huckleberry Finn


Un adolescent qui ne veut pas être "civilisé" entendez par là, qui veut faire à sa guise, malgré l'affection que lui prodigue l'aimable et Vve madame Douglas qui l'a adopté car sa mère n'est plus et son père est une brute, buveur que Huck ne souhaite plus revoir.

Huck et son ami Tom, orphelin aussi, ont découvert un trésor, ils sont riches de 6000 dollars, dont le père de Huck veut le "soulager" et il l'oblige à le suivre, le séquestre dans sa cabane dont Huck parvient à s'échapper. Il se cache  dans une petite île du fleuve Missouri et se propose de descendre le fleuve  avec son canot dès que les habitants de la ville, la police et son père arrêteront de rechercher le "noyé" ;  car c'est évident  il a été jeté dans le fleuve après qu'il fut assassiné puisque des traces, savamment abandonnées par Huck convainquent du drame.

Mais l'île cache un autre personnage ; Jim l'esclave de la soeur de la Vve. Huck est bien content de partager la solitude avec Jim.

"– Jim... je ne me serais pas attendu à ça de ta part.
– Oui ; mais vous avez promis de ne pas me dénoncer.
Si l’on apprend que je t’ai gardé le secret, on me traitera de canaille d’abolitionniste et on me montrera au doigt. N’importe, j’ai promis, je tiendrai...
– Vous vous êtes sauvé aussi, massa Huck.  
– Oh ! ce n’est pas la même chose ; je n’appartiens à personne ; on ne m’a pas acheté"


Jim aime bien conter des histoires, réelles ou à peu près et comme Huck est superstitieux il est intéressé.

"Il me parla ensuite d’une foule d’autres choses qu’on doit éviter de faire, sous peine de s’attirer une mésaventure plus ou moins sérieuse. Il ne faut jamais secouer une nappe après le coucher du soleil. Quand on prépare un plat, il ne faut jamais compter ce qu’on met dedans – les œufs d’une omelette, par exemple. Si le propriétaire d’une ruche vient à trépasser, il faut avertir les abeilles dès l’aube, sans quoi elles cesseraient de travailler et crèveraient.
Les nègres sont très forts pour reconnaître les mauvais présages. Une fois lancé sur ce terrainlà, Jim eut l’air de ne plus pouvoir s’arrêter et la plupart de ses histoires n’avaient rien de neuf pour moi."


Huck lui raconte l'histoire de Salomon et du bébé qu'il menace de couper en deux, Jim ne comprend pas l'action proposée par le roi

"Je vis que ce serait perdre mon temps que de vouloir discuter avec Jim. On ne peut pas apprendre à un nègre à raisonner."

Jim et Huck récupère un radeau qui les conduira dans les Etats libres, ce qu'évidemment souhaite vivement Jim, il pense pouvoir ensuite racheter femme et enfant. Huck profite de l'endormissement de Jim pour lui faire une blague.

"Lorsque je vous ai revu là, sans une égratignure, les larmes me sont montées aux yeux. J’étais si content que j’avais envie de me jeter à vos pieds et de les embrasser. Vous, vous n’avez pensé qu’à vous moquer du vieux Jim et à lui faire honte de sa bêtise avec vos menteries. Oui, il y a un tas de saletés sur le radeau, et ces saletés, ce sont les gens qui font des avanies à leurs amis. Là-dessus Jim me tourna le dos et se glissa dans le wigwam sans dire un mot de plus. Il en avait dit assez. Je me sentais si honteux que j’aurais presque pu me jeter à ses pieds pour lui demander pardon.Ce ne fut qu’au bout d’un quart d’heure que je me décidai à m’humilier devant le nègre ; mais je le fis. Je ne le regrette pas et je n’en ai jamais rougi depuis. Je ne lui aurais certes pas joué ce tour-là si je m’étais douté qu’il prendrait la chose à cœur."

Bien des aventures vont retarder Huck et Jim, notamment deux escrocs dont ils auront du mal à se séparer.

"Il va sans dire que, pour ma part, je ne les plaignais ni l’un ni l’autre ; sans la frayeur qu’ils m’inspiraient, je les aurais dénoncés"


Tom fait preuve aussi d'amitié et n'hésite pas à mentir pour éviter à Jim d'être découvert sur leur radeau. Jim recherché comme esclave évadé se retrouvera enfermé dans une cabane en bois. Huck ayant été pris par erreur par la tante de Tom est traité comme neveu, mais Tom arrive lui aussi au domicile de sa tante. Imbroglio sur les prénoms des deux jeunes gens. Qui est qui ?

Mis au courant de la situation de Jim Tom décide qu'il participera à l'évasion de Jim avec Huck, mais il faut que se soit spectaculaire ! Donc se référant à ses lectures d'aventures, de prisonniers célèbres, il prend le déroulememnt de l'évasion en mains. Ce déroulement étonnera beaucoup Jim qui trouve bien compliqué de suivre les directives de Tom, en tant que prisonnier.

Il faut dire que Huck de son côté fait remarquer à son ami Tom qu'il complique les tâches, mais Tom est intransigeant, Jim est prisonnier il doit être dans les mêmes conditions que tous les prisonniers de ses lectures, voire rester 37 ans emprisonné (sic) et son évasion doit l'être également.

" À la bonne heure, Tom ! Nous voilà d’accord. Nous supposerons tout ce que tu voudras. Pour peu que tu y tiennes, je supposerai qu’il y est resté cent ans. Maintenant, tu peux compter sur moi pour escamoter les deux couteaux"


Les deux amis feront bien évader Jim mais ce dernier ayant alerter, pour plus de vraisemblance, la famille et les poursuivants, Tom sera blessé.
Son état nécessitant des soins Jim n'hésite pas à ramener Tom au domicile de sa famille, quitte à se faire reprendre. Qu'importe Huck est son ami et Tom l'est devenu.

"– Quelle chance, hein ? dit-il, tandis que nous détachions le mouchoir qu’il avait roulé autour de sa jambe. Une évasion sans coups de fusil ne vaudrait pas deux cents. Je n’avais plus envie de chanter victoire et Jim n’était plus disposé à danser. Il courut chercher de l’eau pour laver la blessure et déchira une des chemises du duc pour faire un bandage."

Huck : "Je savais bien que mon vieux Jim était blanc en dedans"




Une histoire mais qui illustre bien la situation des esclaves noirs, les relations avec certains de leurs "maîtres". D'ailleurs Huck sait qu'il ne devrait pas, en tant que blanc, partager une amitié avec un noir et de plus un esclave évadé. Mais malgré l'héritage de haine, d'idées fausses, de supériorité inique,  Huck appréciera l'amitié de Jim, même si, oui si il emploie le terme de  "nègre" . Suffit de vouloir connaître "l'autre". De plus Huck lui-même n'aspire qu'à la liberté.

Du côté de Tom, il s'agit aussi de montrer ce qu'il est capable de faire ; son imagination n'est jamais prise en défaut et puisque Huck est son ami et que celui-ci désire aider Jim, il s'y associera aussi, dans une évasion qu'il veut rocambolesque.

Donc un rappel nécessaire de l'esclavage aux USA puisqu'il n'a été aboli qu'en 1863 par proclamation de Lincol, mais nous savons qu'aujourd'hui encore les  exactions ont continué et les relents sont présents. (James Meredith, né le 25 juin 1933 à Kosciusko dans l'État du Mississippi (États-Unis), a été le premier étudiant noir-américain de l'université du Mississippi, jusqu'alors réservée aux étudiants blancs.)

merci à toi Animal de ta proposition


Mots-clés : #amitié #aventure #esclavage #racisme
par Bédoulène
le Mer 3 Mar - 17:43
 
Rechercher dans: Écrivains des États-Unis d'Amérique
Sujet: Mark Twain
Réponses: 34
Vues: 3022

Aphra Behn

Oroonoko

Tag esclavage sur Des Choses à lire 97820810

Parce qu’il est beau, parce qu’il est fort et intelligent, parce qu’il a eu une vie extraordinaire, Aphra Behn souhaite écrire l’histoire d’Oroonoko, originaire de Cormantine (extrême-ouest du Ghana actuel). Il y a sûrement aussi l’envie de renouveler le genre picaresque, de la part de cette dramaturge britannique du XVIIe siècle. Beaucoup de péripéties en l’espace de quelques lignes et les réactions émotionnelles qu’elles suscitent : colère, tristesse, joie, amour. Des rencontres où ce que dégage un personnage, ses intentions cachées ou sincères sont en relief. Pendant une bonne partie du livre, le récit d’aventures supplante l’ancrage historique et politique. On pourrait alors dire que si on parle de l’esclavage, pas un des personnages ne s’oppose à l’idée de l’esclavage (pas même Oroonoko, qui ne veut simplement pas être esclave lui-même). Seulement, la fin et seulement la fin, contredit ce que je viens de dire  clown . L’écriture reste quelquefois un peu aride toutefois, mais c’est très court.


Mots-clés : #ancienregime #esclavage
par Dreep
le Mar 11 Aoû - 19:06
 
Rechercher dans: Écrivains européens de langues anglaise et gaéliques
Sujet: Aphra Behn
Réponses: 6
Vues: 489

Joseph Conrad

Un paria des îles
Titre original: An Outcast of the Islands, roman, 310 pages environ, 1896.

Tag esclavage sur Des Choses à lire -190110
Gunung Batur et le fleuve Berau (Sambir et Pantaï dans les romans), où se déroulent les actions de La folie Almayer et d'Un paria des îles, photo de 1901.

Il peut être lu en version originale ici.
___________________________________________________________________________________________________________________________________________________

Quelques personnages de La folie Almayer sont utilisés à nouveau dans cette tragédie, qui se situe dans l'antériorité par rapport à La folie....

En premier lieu Almayer lui-même, et sa fille Nina, mais qui n'a alors que cinq ans. Mme Almayer est extrêmement effacée dans ce roman-là, tandis que le Rajah Laut, le Seigneur des Mers, le capitaine Lingard, a en revanche un rôle tout à fait prépondérant. Idem le petit gouvernement de Sambir, l'intrigant mini-homme d'état Babalatchi et son Rajah de pacotille, Lakamba, Abdulla, le commerçant-armateur arabe, Jim-Eng, le voisin chinois opiomane, Ali, serviteur-contremaître d'Almayer, Hudig, le grand négociant et son bras droit Vink, etc...

______________________________________________________________________________________________________________________________________________________

Peter Willems est un jeune homme brillant en affaires, devenu le bras droit du négociant Hudig, qui l'avait recruté chez Lingard, où, de mousse, il s'était hissé à la position de second. Il épouse (un peu à main forcée) la fille naturelle de Hudig sans connaître ce lien filial, et ont un garçon.

Crâneur, m'as-tu-vu avec ses pairs et la populace, égotique, plus que désagréable envers sa femme mais généreux -quoique méprisant- envers la large famille de celle-ci, il commet un jour un impair en piquant dans la caisse de Hudig afin de renflouer des affaires personnelles ayant mal tourné.
Alors qu'il est en train de finir de rembourser discrètement les sommes, ni vu ni connu, cette blâmable incartade est découverte par Hudig et Vink, et il se fait congédier illico.
Puis son épouse le flanque dehors, et, à la rue, il est rattrapé de justesse par Lingard au bout de la jetée d'un port. S'ensuit une explication musclée, virant au pugilat, entre l'ex-protégé de Lingard et ce dernier.  

Lingard lui offre une issue, le débarquer quelques semaines dans un port inconnu, pour ainsi dire sa chasse gardée commerciale, nul autre négociant ou trafiquant que lui ne s'y aventurant jamais, bien que nombreux (dont Abdulla) soient ceux qui pistent le navire de Lingard afin de découvrir ce havre dans lequel Lingard a tout monopole.

Il s'agit bien sûr de Sambir, sur le fleuve Pantaï, dont le Rajah (Patalolo) est sous la coupe réglée de Lingard.
Logé chez l'autre protégé de Lingard, Almayer (qui, lui, a épousé par intérêt la fille adoptive de Lingard, voir La folie Almayer ), les deux hommes ne s'entendent pas du tout, atteignent même des sommets d'exécration.  

Las d'inaction, Willems se promène aux alentours, et tombe ainsi éperdument amoureux d'une beauté, Aïssa, fille d'Omar, ancien chef pirate (de Babalatchi en particulier), devenu aveugle.

Le roué Babalatchi utilise alors Willems pour mettre en route un vieux plan qu'il caressait, jusqu'alors irréalisable: faire venir Abdulla à Sambir, afin qu'un autre négociant d'envergure coupe l'herbe sous le pied de Lingard, déposer le vieux Rajah Patalolo en place et faire reconnaître son propre petit maître Lakamba comme seigneur des lieux, lequel en rêve depuis qu'il a pour ainsi dire échoué sur cette terre-là.
Comme seul Willems connaît les passes et les traquenards de la navigation sur le fleuve à bord d'un navire de fort tonnage, c'est sur lui que compte Babalatchi, qui a averti discrètement Abdulla, mais pour cela il faut l'affaiblir, le rendre dépendant, en faire son pantin et être capable de s'en défaire définitivement ensuite...

________________________________________________________________________________________________________________________________________________________

Opus bien plus charpenté que La folie Almayer, ce Paria...atteint parfois aux grandeurs tragiques antiques.

Judicieusement bâti donc, d'une scénographie exceptionnelle (si l'on peut parler, du moins je le crois, de scénographie pour un roman ?), servi par des descriptions toujours fortes, d'une poésie lourde, touffue, suante et prégnante -magnifique-, et des caractères, des psychologies fouillées...

Toutefois, à l'instar de Conrad lui-même dont ce n'était pas le roman préféré de sa production, peut-être parce que celui-ci lui a beaucoup coûté d'efforts, d'affres et de difficulté à mener à bon port (un comble pour un tel marin) cette histoire-là, je le range dans les totalement indispensables, entendez remarquable à plus d'un titre et à vivement conseiller, mais pas forcément parmi ceux d'entre les écrits de Conrad qui m'ont le plus transporté, sans que ce soit mon dernier mot: peut-être, en y repensant, quand je l'aurai bien digéré....




Mots-clés : #aventure #colonisation #conditionfeminine #culpabilité #discrimination #esclavage #insularite #minoriteethnique #solitude #trahison #vengeance #xixesiecle
par Aventin
le Dim 24 Mai - 18:33
 
Rechercher dans: Écrivains européens de langues anglaise et gaéliques
Sujet: Joseph Conrad
Réponses: 90
Vues: 12668

Joseph Conrad

La folie Almayer
Titre original: Almayer's folly, sous-titré A Story of an Eastern River.

Tag esclavage sur Des Choses à lire Rivizo10
Le fleuve Berau (Bornéo).

Peut se lire ici en version originale ici.

Je disais il y a quelque jours:
fil nos lectures de mai a écrit:
Disons qu'à ce jour La folie Almayer (son tout premier roman) reste, de toute son œuvre, celui que j'ai le moins apprécié (souvenir d'un truc hétéroclite, décousu, verbeux, mal bâti): on verra bien, la lecture précédente est lointaine...

Cette fois-ci j'ai mieux appréhendé ce roman, lu avec une lenteur extrême, et, sans doute histoire de ralentir encore, en sondant profond dans la biographie de Conrad, du coup la présentation de l'auteur du message initial, en provenance d'Encyclopædia Universalis, me hérisse - mais c'est une autre histoire !

Ne nous égarons pas dans d'autres méandres que ceux de la rivière Berau, identifiée seulement en 1952 de façon certaine par les biographes - Conrard a entretenu le mystère de son vivant: elle s'appelle Pantaï dans le roman, permettant de localiser le village du roman, Sambir, il s'agit de Gunung Tabur: la preuve se trouvait dans le cimetière abandonné et que la jungle s'était réapproprié, une dalle portant les noms de deux des onze enfants et de l'épouse de Charles Olmeyer, qu'avait rencontré Conrad et dont il s'était inspiré pour le personnage principal, Kaspar Almeyer.

Conrad a baladé ce roman, l'échafaudant, sur un bon paquet de mers et trois océans, sur trois continents et on perd le compte du nombre de ports, avant de se décider à le poster à un éditeur, sous le pseudonyme de Kamoudi (gouvernail, en Malais), puis finissant par demander de le lui retourner, après un délai assez long sans aucune réponse: encore longtemps après, alors que Conrad avait perdu tout espoir, arrive un courrier d'avis favorable assorti d'une proposition d'émoluments (plus que très maigres, 20 £ !).  

______________________________________________________________________________________________________________________________________________________________


Drame touffu, et de touffeur.

Roman compliqué d'intrigues imbriquées, de caractères singuliers brossés avec vivacité, et cette patte littéraire naissante, comme s'il elle était de l'intérieur (poussant à la thèse d'une sorte de Kipling Malais, d'un insider comme on devrait ne pas dire, Conrad choisit un pseudo ad hoc), dans ce drame exotique, lointain géographiquement mais aussi dans le temps -à présent-.

Conrad, comme on le voit dans ses romans africains, mais aussi dans Nostromo et Lord Jim, a beaucoup d'avance sur la réflexion occidentale en matière de colonialisme, mais aussi de jugement sur la ségrégation raciale:
Voir Le Nègre du Narcisse aussi, l'extranéité et Conrad, voilà qui pourrait faire un beau sujet universitaire.

Le côté rébarbatif vient peut-être de ces temps de caniculaires langueurs moites que Conrad utilise pour rendre encore plus l'atmosphère générale, mais aussi la torpeur d'Almayer, sa faiblesse, son inadaptation létale. Il y a aussi sûrement un parallèle à faire entre l'amour filial (et la projection personnelle) du capitaine Whalley d'Au bout du rouleau et celui d'Almayer pour sa fille Nina.

Conrad, débutant romancier, s'il pêche un peu dans le bâti, nous servant par instants un roboratif poudingue, nous assène -et c'est ce qu'au bout du compte je retiendrai- de magnifiques descriptions, outre qu'il campe déjà à merveille ses personnages.    
Parti avec beaucoup de circonspection dans cette relecture, j'en ressors comblé.

Tag esclavage sur Des Choses à lire Jetzoe10
Jetée sur le fleuve, Berau.

Sur le fleuve est le village. Dans ce village, qui se donne des airs d'indépendance sous drapeau néerlandais, un Rajah, et son conseiller, borgne, le visage cinglé de petite vérole.
Il y a des commerçants, grossistes ou demi-grossistes, un Chinois qui a jeté le gant et s'adonne à la pipe d'opium, des arabes, qui tiennent le commerce, et Almayer, le Blanc, réduit à quelques misérables bribes.

Almayer, qui travaillait pour le compte d'Hudig, gros négociant de Malaisie, avait été recruté par Rajah Laut, le Maître de la Mer, le capitaine Tom Lingard (qui a vraiment existé, était une légende de ces mers-là, Conrad, qui l'a rencontré, a gardé le nom et changé le prénom, qui était William).
Lingard avait fait épouser à Almayer sa fille adoptive, jeune fille d'un bateau de pirates à qui il a laissé la vie en massacrant navire et occupants. Bien que Mme Almayer déteste et invective son mari Kaspar, ils ont une fille, Nina.

Elle fut envoyée, par les soins de Rajah Laut, à Singapour chez l'austère Mme Vink, Vink étant un adjoint d'Hudig, afin de recevoir une éducation occidentale, et finit par s'en faire chasser bien des années plus tard -à cause des effets de sa beauté sur les courtisans potentiels des filles Vink- pour retourner au Kampong (ou compound) d'Almayer à Sambir.

Cette jeune et jolie fille est à peu près tout ce qui reste à Almayer, dont les affaires périclitent.
Il ne vit pas dans mais à côté de sa demeure, bâtie pour les splendeurs futures, le retour en gloire d'un commerce qui soit florissant pour Almayer, maison plutôt neuve et déjà délabrée (la demeure est qualifiée, ironiquement, de "Folie Almayer" par les visiteurs orang-blanda -néerlandais- de passage, d'où le titre).
Il rêve de l'installer, riche, en Europe, cette Europe que lui-même n'a jamais connue et de faire de Nina, en Europe, une jeune femme oisive, nantie, haut-du-pavé et en vue. 

Tout l'espoir d'Almayer repose sur un gros coup, on pense que Lingard a les moyens de monter une grosse expédition commerciale pour aller chercher de l'or dans la jungle, pour cela il a besoin de pas mal d'argent, il s'en va, à Singapour, puis en Europe et puis...ne donne plus de ses nouvelles.

Concrètement, à Sambir, Almayer ne doit la vie sauve qu'au fait qu'il n'est pas gênant en affaires et que l'on pense qu'il connaît quelques secrets de Lingard.

La déchéance d'Almayer se cristallise sur sa fille, c'est son seul espoir, la seule perspective qui le maintienne en vie.
Survient un jeune, célibataire, riche et beau, fils et héritier du Rajah de Bali, Dain Maroola, qui devient l'ami d'Almayer, mais pour courtiser sa fille.  
Mme Almayer, sur fond d'espionnage des gens qui comptent dans le village et de l'amour transi d'une esclave, tente de pousser sa fille dans les bras de Dain, Almayer n'y voit que du feu.

Mais Dain finit par être fort recherché par les autorités néerlandaises, suite à l'attaque d'un navire - Almayer est mouillé dans le coup, il avait vendu la poudre, commerce prohibé...

Mots-clés : #colonisation #esclavage #insularite #minoriteethnique #trahison #violence #xixesiecle
par Aventin
le Mar 12 Mai - 18:08
 
Rechercher dans: Écrivains européens de langues anglaise et gaéliques
Sujet: Joseph Conrad
Réponses: 90
Vues: 12668

Isabel Allende

Zorro

Tag esclavage sur Des Choses à lire Zorro11
Roman, 525 pages environ, 2005. Titre original: El Zorro: Comienza la leyenda.

Parti pour voir si c'était compatible pour une lecture par mes garçons (ça l'est, juste une petite interrogation sur la distance, qui passe les 500 pages), et puis je me suis laissé prendre à ce bouquin, somme toute pas mal déconfinant; puis, parti pour poster un petit message sur le fil one-shot, je me retrouve à ouvrir un fil d'auteur dont je n'avais jamais rien lu...

Roman de cape et d'épée, donc genre littéraire regardé comme plutôt mineur, mais casse-figure tout de même:
Tout le monde n'est pas Dumas père ou encore Théophile Gautier (Le Capitaine Fracasse), ni même Roger Nimier (D'Artagnan amoureux).

Le sujet (voir le titre en langue originale) est l'enfance et la jeunesse de Don Diego/Zorro, en d'autres termes la genèse de Zorro.

Mme Allende s'en sort fort bien, portée par une documentation qu'on pressent solide (sur Barcelone aux temps de l'occupation française -napoléonienne-, les amérindiens, la Californie colonie de la couronne espagnole au XIXème naissant, les mœurs des gitans en Espagne, ceux des Gentilshommes de fortune du démocratique "royaume de Barataria" de Jean Lafitte, le vaudou à cette époque, l'administration royale et coloniale, etc, etc.).

Portée aussi par un sens narratif, ou peut-être un talent éprouvé de conteuse (?) ainsi que sa biblio incite à le supposer.

Peut-être une plume qui possède déjà, en 2005, beaucoup d'expérience, est-ce de l'ordre du flair, je ne sais pas, je découvre l'écriture d'Isabel Allende (mon impression est que l'excellence dans le domaine du sens narratif, il arrive qu'elle procède d'une articulation constructive sans faille - style Flaubert dans Salammbô si vous voulez - ou bien d'un flair, d'une intuition -à la Stevenson, même s'il y a sûrement beaucoup de boulot derrière l'apparente facilité, et sans doute le plus souvent d'un alliage intuition/colossale charge de travail).

Je lui sais gré que son Zorro soit un héros et non un super-héros, avec ses vulnérabilités, son romantisme, ses à-côtés, la sympathie qui va avec le personnage, antithétique du justicier froid.
Toisième Partie, Barcelone 1812-1814 a écrit:Il n'avait pas eu clairement conscience jusqu'à cet instant de sa double personnalité: d'un côté Diego de La Vega, élégant, minaudier, hypocondriaque, de l'autre Zorro, audacieux, insolent, joueur. Il supposait que son véritable caractère se situait quelque part entre ces deux extrêmes [...].

La dualité entre le personnage un peu gandin, frivole et peu signifiant de Diego et le héros Zorro est d'autant mieux exploitée qu'elle se double d'une dualité quasi gémellaire entre Bernardo et Diego, frères de lait, communiquant par gestes et télépathie, avec la part indienne de Zorro révélée (Bernardo est indien, dans ce Zorro-là).

Il m'est difficile pourtant, en lisant, de ne pas imaginer Zorro Le Renard sous les traits de Guy Williams, or j'ai toujours détesté cette intrusion dans mon imaginaire des aspects physiques de personnages que le cinéma ou les séries parviennent à imposer: je le prends toujours pour faiblesse, ou méforme, de ma part.

Il y a du burlesque, du gymnique, du fer croisé, des méchants, des veules, des passages secrets, des exploits et toutes sortes de prouesses, des coups du sort, des traîtrises, des torts à redresser, de l'imprévu, le camp du bien, celui du mal, etc...(vous n'en doutez évidemment pas !).

Un tout léger petit regret ?  
Dommage toutefois que Mme Allende ait escamoté toutes les possibilités de littérature équestre qu'offre un sujet aussi en or que Zorro: mais enfin l'opus pèse son pavé, on peut lui fournir une excuse...

Extrait:
Première Partie, Californie 1790-1810 a écrit:Bientôt il se trouva perdu dans l'immensité des montagnes. Il tomba sur une source et en profita pour boire et se laver, puis il s'alimenta de fruits inconnus cueillis aux arbres.
Trois corbeaux, oiseaux vénérés par la tribu de sa mère, passèrent en volant plusieurs fois au-dessus de sa tête; il y vit un signe de bon augure et cela lui donna le courage de continuer.  
À la tombée de la nuit, il découvrit un trou protégé par deux rochers, alluma un feu, s'enveloppa dans sa couverture et s'endormit à l'instant, priant sa bonne étoile de ne pas l'abandonner - cette étoile qui, d'après Bernardo, l'éclairait toujours -, car ce ne serait vraiment pas drôle d'être arrivé si loin pour mourir entre les griffes d'un puma.
Il se réveilla en pleine nuit avec le reflux acide des fruits qu'il avait mangés et le hurlement des coyotes tout proches. Du feu il ne restait que de timides braises, qu'il alimenta avec quelques branches, songeant que cette ridicule flambée ne suffirait pas à tenir les fauves à distance.
Il se souvint que les jours précédents il avait vu plusieurs sortes d'animaux, qui les entouraient sans les attaquer, et il fit une prière pour qu'ils ne le fassent pas maintenant qu'il se trouvait seul. À ce moment il vit clairement, à la lueur des flammes, des yeux rouges qui l'observaient avec une fixité spectrale. Il empoigna son couteau, croyant que c'était un loup, mais en se redressant il le vit mieux et s'aperçut qu'il s'agissait d'un renard. Il lui parut curieux qu'il reste immobile, on aurait dit un chat se réchauffant aux braises du feu.
Il l'appela, mais l'animal ne s'approcha pas, et lorsque lui-même voulut le faire, il recula avec prudence, maintenant toujours la même distance entre eux. Pendant un moment Diego s'occupa du feu, puis il se rendormit, malgré les hurlements insistants des lointains coyotes.
À chaque instant il se réveillait en sursaut, ne sachant où il se trouvait, et il voyait l'étrange renard toujours à la même place, comme un esprit vigilant. La nuit lui parut interminable, jusqu'à ce que les premières lueurs du jour révèlent enfin le profil des montagnes. Le renard n'était plus là.
Au cours de jours suivants, il ne se passa rien que Diego puisse interpréter comme une vision, excepté la présence du renard, qui arrivait à la tombée de la nuit et restait avec lui jusqu'au petit matin, toujours calme et attentif.
Le troisième jour, las et défaillant de faim, il essaya de trouver le chemin du retour, mais fut incapable de se situer.    



Mots-clés : #amérindiens #corruption #discrimination #esclavage #initiatique #litteraturejeunesse #segregation #social
par Aventin
le Lun 20 Avr - 18:34
 
Rechercher dans: Écrivains d'Amérique Centrale, du Sud et des Caraïbes
Sujet: Isabel Allende
Réponses: 4
Vues: 649

Simone Schwarz-Bart

Pluie et vent sur Télumée Miracle

Tag esclavage sur Des Choses à lire Pluie_10

Ce roman semble contenir toutes les Antilles françaises, du moins les thèmes qui les particularisent dans la littérature qui va suivre.
On retrouve le typique caractère antillais dépeint par les écrivains autochtones, tempérament teinté de cette ombre amère, la défiance, un fond rancunier, voire haineux ‒ l’héritage de l’inoubliable, l’irrémissible esclavage (on peut être raciste à moins). Et tout le livre qui parle des Afro-Caribéens pauvres le fait toujours en opposition aux Blancs quand ces derniers sont évoqués.
« Il ne sut jamais dire ce qui se passa en lui et comment il en vint, sur la fin de son séjour, à considérer les Blancs comme des bouches qui se gavent de malheur, des vessies crevées qui se sont érigées en lanternes pour éclairer le monde. » (II, 13)

Pays aussi et surtout de conte, d’oralité, d’invention verbale, où l’important semble être d’avoir à dire :
« …] ils surent qu’ils auraient une belle chose à raconter, au moins une fois dans leur vie. » (I, 1)

« L’Ange Médard sourit et je lui tins la main jusqu’à l’aube, agenouillée près de lui, cependant que les gens s’amassaient en silence, devant ma case, contemplant la scène qui se déroulait devant leurs yeux et s’efforçant d’en tirer une histoire, déjà, une histoire qui ait un sens, avec un commencement et une fin, comme il est nécessaire, ici-bas, si l’on veut s’y retrouver dans le décousu des destinées. » (II, 14)

Au travers de la vie de Télumée, qui connaît plusieurs fois l’amour et sa perte, ce roman expose la précarité du bonheur, et témoigne de la dignité humaine jusque dans la misère.
« Toutes les rivières, même les plus éclatantes, celles qui prennent le soleil dans leur courant, toutes les rivières descendent dans la mer et se noient. Et la vie attend l’homme comme la mer attend la rivière. On peut prendre méandre sur méandre, tourner, contourner, s’insinuer dans la terre, vos méandres vous appartiennent mais la vie est là, patiente, sans commencement et sans fin, à vous attendre, pareille à l’océan. » (II, 4)

Quant au style, cet extrait devrait assez donner le ton :
« Cette année-là, la disgrâce de Fond-Zombi commença par un hivernage qui surprit tout le monde. Des trombes d’eau s’étaient abattues sur le village, transformant les chemins en torrents boueux qui charriaient vers la mer toute la graisse de la terre. Les fruits coulaient avant de mûrir et les négrillons avaient une petite toux sèche qui faisait mal. Attendons le calme, disait-on, oubliant que mauvais hivernage vaut mieux que bon carême. Et le carême survint, torride, stupéfiant, étouffant porcs et dévastant poulaillers, cependant que les feuilles de bananiers devenaient hachures du vent, oripeaux défraîchis qui striaient l’espace en signe de débandade. Fond-Zombi avait un aspect désertique, et le mal semblait dans l’air la seule chose palpable, que les gens fixaient hébétés des après-midi durant. Les femmes allaient par la rue avec une célérité déconcertante, et à peine pouvait-on deviner leur maigreur, la tristesse de leurs yeux. Elles glissaient comme des ombres et se croisant, elles s’adressaient un salut évasif qui signifiait, de l’une à l’autre… il faut stopper le mal par notre silence et d’ailleurs, depuis quand la misère est-elle un conte ?... » (II, 8 )

Un classique : à lire !

Mots-clés : #esclavage #identite #racisme
par Tristram
le Dim 22 Sep - 11:55
 
Rechercher dans: Écrivains d'Amérique Centrale, du Sud et des Caraïbes
Sujet: Simone Schwarz-Bart
Réponses: 7
Vues: 1477

Luca Di Fulvio

Le gang des rêves

Tag esclavage sur Des Choses à lire Le_gan10

Titre original: La gang dei sogni. Paru en italien en 2008, roman, 920 pages environ.

Le roman débute à Aspromonte, Calabre, au début du XXème siècle.
Une petite fille (Cetta) grandit sous le regard de sa mère mais aussi celui, concupiscent, du patron de celle-ci, qui visiblement possède êtres, terres et choses et en dispose à son gré.
Cetta, devenue adolescente, se fait estropier par surprise par sa mère, afin de lui éviter les griffes du patron ou de l'entourage de celui-ci.
Ce sera sans succès et elle accouchera, "à presque quatorze ans", d'un garçon prénommé Natale, c'est-à-dire Noël.
Peu désireuse d'appartenir au patron comme l'une de ses terres, elle s'embarque à Naples pour l'Amérique avec son bébé. La traversée se passe en viols continus par le capitaine, contre un quignon de pain et un peu d'eau. Une fois débarqués à Ellis Island et sur recommandation du capitaine, la petite fille, flanquée de son bébé, va connaître des années durant la prostitution en maison close.
Son maquereau, Sal Tropea, sous des allures brutales est doté d'un cœur ainsi qu'on s'en aperçoit petit à petit au fil des pages, pour un premier élément un peu positif dans ce livre, ce qu'on n'osait plus espérer. Ce personnage de souteneur-gangster impuissant fait un petit peu songer à Sanctuaire, de Faulkner, est-ce là une référence que Di Fulvio est allé glaner ?
Une référence certaine est l'emprunt de Diamond Dogs, de David Bowie, revendiqué en-tête du reste, comme nom de gang (tiré de l'album et de l'excellent tube éponymes).

Natale Luminata devient Christmas Luminata, grandit dans le New-York du Lower East Side dans la pauvreté, la violence et hors système scolaire: il ne veut plus retourner à l'école depuis que des gamins lui ont tracé un P à la pointe du couteau sur la poitrine, qui lui laissera une cicatrice à vie, P signifiant Putain en rapport au métier exercé par sa mère.
Son bagout, une ou deux rencontres (Santo le copain docile et effacé, Pep le boucher à la chienne galeuse), et l'observation active de la rue, ses mœurs, ses codes et son spectacle lui tiennent lieu d'apprentissage de la vie.
Son destin commence à basculer le jour où il recueille, dans les immondices d'un terrain en chantier, une adolescente de son âge, presque moribonde, frappée, violée et amputée d'un doigt. Elle se trouve être Ruth Isaacson, petite-fille d'un millionnaire en vue...
mais je ne vais pas vous résumer les 700 pages restantes !

Comme je le disais sur le fil Nos lectures en Août 2019, Di Fulvio pratique un matraquage à la violence, au sordide et à l'abjection durant les premiers chapitres, sans doute pour aguicher le voyeur-lecteur, ça doit marcher sans doute (est-ce assez "grand public" ?), mais, franchement, à mon goût là il en fait trop: a-t-on besoin de ce pilonnage systématique alors qu'on vient à peine de quitter l'embarcadère pour une traversée de plus de 900 pages ?
Retors, il ajoute alors des retours chronologiques permanents afin de bien laisser la tête lourde  à l'heure de reposer le livre sur votre chevet, comme si le contenu ne suffisait pas (le lecteur n'auto-intitulera pas ce bouquin "Le gang des bonnes nuits et des beaux rêves").

Heureusement Di Fulvio rentre à temps dans une espèce de linéarité chronologique, et l'ouvrage se suit, au fil des pages comme si c'était au gré d'un courant non tumultueux. Homme de théâtre, Di Fulvio fait de chaque chapitre une entrée en scène: on suit le ou les personnages avant de passer à une autre scène, un autre lieu souvent, au chapitre suivant.

Reste à décerner beaucoup de points positifs, comme le style, alerte, vif, Luca Di Fulvio s'avère être une plume rompue au tournemain du savoir-camper, tout en restant percutante, sans encombrer.
De plus l'ensemble du roman est bien découpé/calibré, et c'est remarquable sur la très longue distance de cet ouvrage (exercice très casse-figure, tout le monde n'est pas Tolstoï !), et le final, parti de loin, amené sur 150 pages environ, assez travaillé et pas nécessairement prévisible, m'a ravi, m'arrache quelques applaudissements spontanés (encore la patte de l'homme de théâtre, peut-être ?).






Mots-clés : #conditionfeminine #criminalite #enfance #esclavage #immigration #prostitution #segregation #violence #xxesiecle
par Aventin
le Sam 10 Aoû - 6:05
 
Rechercher dans: Écrivains Italiens et Grecs
Sujet: Luca Di Fulvio
Réponses: 5
Vues: 1136

Jesus Carrasco

Tag esclavage sur Des Choses à lire 51dodf10

La terre que nous foulons

Originale : La tierra que pisamos (Espagnol, 2016)

Quatrième de couverture : a écrit:Quand l'Espagne est annexée au plus grand empire que l'Europe ait jamais connu, Iosif et Eva Holman se voient attribuer une propriété en Estrémadure. Sur cette terre âpre vivent des hommes et des femmes qu'ils considèrent à peine mieux que des bêtes. Jusqu'au jour où un vagabond hagard, à moitié fou, s'installe dans leur jardin. Contre toute attente, Eva le cache et le nourrit. Elle écoute ses divagations sur le massacre de sa famille, sur ses années d'esclavage dans un camp de travail. Au fi l du temps, les cauchemars de cet homme se mêlent à ses propres souvenirs, aux révoltes qu'elle a toujours tues, aux colères qui la hantent. Peu à peu, leurs deux voix se confondent, élevant un terrible lamento en mémoire des victimes d'une idéologie de mort et de destruction.

" Jesús Carrasco trouve une nouvelle et sensible façon d'évoquer les cicatrices indélébiles infligées par les régimes totalitaires. "



REMARQUES :
Après son roman début « L’intempérie », que j’ai énormément apprécié, je ne pouvais que retourner vers cet auteur. Et confirmation par ce deuxième roman ! Oui, une histoire en quelque sorte horrible, liée avec des dictatures et l’oppression, mais néanmoins avec une étincelle d’espoir, de résistance.

En 87 chapitres courts, de 1-5 pages de longueur, nous sommes face à une narratrice, Eva. Elle décrit, raconte, pas tellement de dialogues. Son époux, Iosip est un ancien militaire craint et influent, mais maintenant dans la dépendance, malade. Il faisait partie de « l’Empire », si vaste et vainqueur, occupant pratiquement l’Europe, une partie d’Asie, d’Afrique. Situation de fiction, mais néanmoins reprenant la série des « grandes » dictatures militaires, militaristes du XXème siècle, et des éléments de l’oppression, du travail forcé jusqu’à l’indicible. Les peuples soumis – ici donc cela joue en Espagne – sont soumis à une forme d’esclavage très dure.

Eva quant à elle a « donné » son fils sur le champ de la bataille… Mais comment se révolter dans ces extrêmes ? Faisant partie des privilégiés de l’Empire, ils ont reçu comme « cadeau » à la retraite de Iosip une propriété. Et quant alors apparaît et s’installe dans le jardin, d’une façon non-aggressive, Leva, elle serait presque capable de le dénoncer (pour cette situation non-permise), voire même de le tuer (sans encourir aucun danger, tant ces gens-bêtes sont en-dessous de ce qui compte). Mais à son propre étonnement elle va doucement s’approcher, voir solidariser. Le réfugié, fuyant, deviendra un caché, voir un accueilli qu’elle nourrira.

La narratrice trouvera de plus en plus refuge dans l’écriture et s’approprie l’histoire de Leva à peine racontable, l’exprime. Déjà cela fait d’elle un « ennemi » de son propre camp. A-t-elle à choisir ? Quoi faire ?

Au milieu de cette ténèbre, aussi dans sa fin,il y a une minuscule étincelle d’espoir et de lumière dans la résilience possible et la décision folle pour une solidarisation et le courage civil. Malgré tout !

Le livre a déjà gagné le prix de littérature de la Communauté européenne. Pas un miracle là ! La dictature et le populisme, la ségrégation toujours possible sont thématisés d’une façon très forte, une langue dépouillée qu’on compte dans le genre du « néoruralisme » espagnole. Des parties me rappellent un Philippe Claudel sombre ou un Gonçalo Tavares, voir de la littérature des camps.

Cet auteur est à suivre !


Mots-clés : #esclavage #regimeautoritaire #segregation
par tom léo
le Sam 8 Juin - 15:18
 
Rechercher dans: Écrivains de la péninsule Ibérique
Sujet: Jesus Carrasco
Réponses: 9
Vues: 1200

Revenir en haut

Page 1 sur 3 1, 2, 3  Suivant

Sauter vers: