Des Choses à lire
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Après tout une communauté en ligne est faite de vraies personnes, avec peut-être un peu plus de liberté dans les manières. Et plus on est de fous...


Je te prie de trouver entre mes mots le meilleur de mon âme.

Georges Brassens, Lettre à Toussenot

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La date/heure actuelle est Sam 27 Avr - 10:32

89 résultats trouvés pour viequotidienne

Donald Ray Pollock

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Knockemstiff

Knockemstiff  dans l’Ohio, c’est la ville où l’auteur a grandi et travaillé (dans l’usine à papier) avant de rejoindre l’Université.

La dénomination de cette ville est expliquée par l’un de ses habitants à un visiteur de passage :

Dispute entre deux femmes qui se seraient crêpé le chignon pour un homme, juste devant l’église. Légende ou pas ce nom image la ville.

Knockemstiff est une ville de pauvres dans une Amérique riche. Alors tous ont des rêves d’avenir meilleur mais curieusement peu souhaitent quitter ce lieu et surtout ceux vivant dans le Val.

Combien de violence, physique et/ou verbale ; de tentatives de se sortir de cette vie, par le vol, la drogue, la sexualité. La voiture apparaît souvent comme l’élément de richesse et même si l’on n’arrive pas à payer le loyer, à se nourrir correctement, on emprunte pour se pavaner avec une Mustang, par exemple.

Les enfants voient, subissent et même si dans leur jeunesse ils espèrent, ils se retrouvent adultes dans une désespérante situation, le malheur semble générationnel.
Au fil des années la ville se délabre, comme leur vie, les quelques magasins sont fermés comme l’est leur avenir.

L’écriture sensitive reflète le parler des gens - de la grossièreté, insultes, menaces -  ; s'y ajoutent  les drogues et l’alcool pour oublier.

Il semble que la « mortadelle » soit très prisée ; à cause du prix accessible ?

Donc tout est sombre, désespérant et malgré le dégout qu'inspirent certains personnages ou situations leur sort est pitoyable.

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Des extraits significatifs :
Daniel

le vieux a surpris son monde en sortant le long couteau tout en poussant son fils sur une chaise.
– Tu bouges d’un chouïa, putain, je te scalpe comme un Indien, il lui a dit en saisissant une longue mèche brune dans son poing, avant de se mettre à la scier au ras du crâne
Tout l’été, Daniel avait rêvé de descendre du car de ramassage scolaire après Labor Day 1 avec les cheveux aux épaules. La scène était aussi claire et frappante qu’un film dans sa tête, et maintenant le vieux lui avait pris tout ça.

Chez Théo – Teddy –
À part les capsules noires qu’elle obtenait des fois de sa sœur Wanda, la peur semblait la seule chose qui pouvait réveiller ma mère, la rendre à la vie. Et parce que je voulais tellement la rendre heureuse, j’étais devenu maître dans l’art de lui foutre les foies. Albert DeSalvo était son cinglé préféré, et elle avait sa photo collée au scotch dans son placard de chambre. Des fois, si elle avait eu une vraiment sale journée, j’allais dehors et je fendais un des écrans moustiquaires avec un couteau, ensuite j’entrais chez elle et je lui nouais un nœud savant autour du cou avec un de ses collants, tout en avouant que c’était moi le vrai Boston Strangler.

Frankie le balafré vole l’argent – héritage de sa grand-mère – de Toddy

Sa dernière pensée avant de tourner de l’œil c’était qu’il allait retrouver sa grand-mère. Mais au bout d’un moment il est revenu à lui, couché sur le ventre par terre dans une mare de sang, son jean baissé jusqu’aux chevilles. Il s’est remis sur le dos pour cracher sa dent. Frankie était debout au-dessus de lui, en train de s’essuyer la pine avec un chiffon. En soulevant les hanches pour remonter son pantalon, Todd s’est mis à sourire.
– Qu’est-ce qui te fait sourire comme ça, sale tantouze ? a fait Frankie.
Et il a frappé Todd en plein visage avec le talon de sa chaussure.

Géraldine la fille qui se promène avec dans son sac des poissons panés qu’elle offre.

Del a placé Veena doucement sur le canapé et sorti la dernière couche d’une boîte de Pampers. Là, au fond du carton, se trouvait une petite réserve de poissons panés enveloppés dans une serviette en papier graisseuse. Il regardait les miettes brunes sans y croire. Geraldine n’avait pas touché à un poisson pané depuis qu’il était devenu son tuteur légal ; ça faisait partie de leur arrangement. Il a torché Veena, lui a saupoudré du talc sur les plaques d’irritation qu’elle avait entre ses cuisses dodues. En regardant sa fille, Del a soudain ressenti une grande peine l’assaillir. Il était à genoux, sur le point de demander pardon au bébé, quand il a entendu sa femme débouler dans le couloir et claquer la porte de la chambre. Le boucan a fait sursauter père et fille, l’une encore rose d’innocence, l’autre coupable de mille transgressions.

Bernie

Je ne réponds pas. Les gars dans la Camaro m’ont vu mater la fille, et l’un d’eux se met à imiter Jerry, faisant la grimace et laissant tomber la tête contre sa poitrine. La fille rigole toujours, mais maintenant elle rabaisse son haut. Et j’ai beau savoir qu’il y a deux ans Jerry aurait été avec eux à se moquer du demeuré, je tire le frein à main et j’extirpe mon gros cul de la voiture. Je reste là debout un moment à rabaisser ma chemise par-dessus mon ventre blanc, et à me demander ce que je suis supposé faire maintenant ; mais juste comme je vais me dégonfler, un des gars crie « Porky », et un autre se met à grouiner « Oink, oink ». Je respire un grand coup, marche jusqu’à leur voiture et commence à coller des coups de lattes dans la portière. Croyez-moi, j’ai beau être un gros lard, quand le chauffeur saute de la voiture – un grand serin avec des grandes dents et du fil barbelé tatoué autour de ses bras fluets –, je l’étends d’un seul punch. Je n’ai jamais frappé personne aussi fort de ma vie, même pas Delbert Anderson

Le voleur marié à Dee

Ma tête était en vacances permanentes, mes nerfs, des petits grumeaux de lait moussant. L’Oxy remplissait des trous en moi que j’avais jamais soupçonnés vides. C’était, du moins pour les premiers mois, une façon épatante d’être invalide. Je me sentais béni des dieux.
En réalité, pourtant, ma vie était maintenant sur la pente. Sous l’influence de l’Oxy, j’ai perdu jusqu’à l’ambition de voler le bien des autres. Tex s’est trouvé un autre partenaire, et la banque a repris la Monte Carlo. Heureusement, on avait gardé la Pinto en secours. Une fois ma lune de miel aux opiacés terminée, on s’est retrouvés à louer une caravane qui prenait l’eau et sentait le moisi en bordure de Knockemstiff, le val où j’ai grandi. J’avais beau m’être juré un million de fois de ne jamais y retourner, je n’ai pas tenu ma promesse, comme pour tous les autres serments que j’ai faits avant mon accident.



\Mots-clés : #addiction #misere #nouvelle #social #viequotidienne #violence
par Bédoulène
le Mer 27 Mar - 10:09
 
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Sujet: Donald Ray Pollock
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Akiyuki Nosaka

Nosaka aime les chats

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Nosaka, devenu vieux, parle des chats et du husky qu’il héberge. Ce qui m’a le plus étonné, c’est que lui et les siens lavent les chats dans la baignoire (alors que Nosaka reconnaît ne guère se laver). Entre les cloisons mises en lambeaux et le matou qui marque de son urine tout objet nouveau, cette confession ne pas vraiment enthousiasmé.
« Il se peut qu’en face, on se dise que sans les humains on ne pourrait pas vivre, mais pour ce qui nous concerne nous autres humains, je suis d’avis qu’il vaut mieux vivre en compagnie des souris, des cafards, des mouches, des moustiques, des puces, des poux et autres acariens. Je sais bien que le typhus exanthématique que nous avons connu à la sortie de la guerre était transmis par les poux ; j’ai aussi entendu dire que les tiques sont une des causes de l’atopie. Mais le typhus exanthématique, autrement dit, la prolifération brutale des poux, a sa source dans la guerre ; l’atopie, elle, est signe que le corps humain actuel manque de résistance. Une alimentation saine doit y remédier. Même chose pour les parasites. Pour quelle raison l’homme est-il le seul à rouler des mécaniques en se prétendant roi de la Création ? Je vis dans une maison dévastée par un chien et des chats. Eh bien, je crois que c’est encore du luxe. Elle est envahie de puces, sans parler des poux. Pour autant, personne ici n’est malade. »

Cette chronique est plus un carnet de notes erratiques qu’un essai ; autobiographique également, elle a cependant un tout autre ton que ses romans précédents.
« Les chats qui vivent en compagnie d’amoureux des chats ont chacun leur personnalité, leur distinction, leur allure. La façon dont ils vivent est tantôt empreinte de noblesse, tantôt enfantine, et qu’on veuille bien me pardonner si je dis qu’ils sont plus intelligents que leurs maîtres, car ils me paraissent davantage connaître le monde ; dans mon idée, ils s’en tiennent continûment, et inébranlablement, à l’existence qu’ils se sont choisie, en marge des humains. »


\Mots-clés : #autobiographie #intimiste #journal #viequotidienne
par Tristram
le Lun 25 Mar - 11:33
 
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Sujet: Akiyuki Nosaka
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Pierre Bergounioux

Carnet de notes 1980-1990

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Journal commencé à la trentaine, où Bergounioux note pour s’en souvenir les faits saillants de sa vie quotidienne (y compris la météo, à laquelle il est très sensible, étant plus rural qu’urbain) entre la Corrèze et la région parisienne, minéralogie, entomologie, pêche (à la truite), peinture, modelage, travail du bois puis de la ferraille, piano, archéologie préhistorique, descriptions (paysages, oiseaux), rêves nocturnes, ennuis de santé (lui et ses proches), famille et amis, son travail d’enseignant, et surtout ses copieuses lectures (et sa bibliophilie !), ses études qu’il prolonge ainsi, et ses souvenirs d’enfance (sa « vie antérieure », jusque dix-sept ans).
« Sur les zinnias voletaient Flambés et Machaons, ainsi que l’insaisissable Morosphinx. Jamais il ne se posait. Il oscillait dans l’air au-dessus du calice des fleurs, dans lequel il plongeait sa longue et fine trompe noire. Je n’ai jamais réussi, alors, à m’en emparer. J’en étais venu à le regarder comme une créature des rêves. Je percevais avec perplexité, avec dépit, l’existence de deux ordres, l’un que nos désirs édifient spontanément, l’autre, décevant, des choses effectivement accessibles, et l’impossibilité de franchir sans dommage ni perte la frontière. Est-ce que je m’en suis ouvert à quelqu’un ? Ai-je demandé des éclaircissements à ce sujet ? Peut-être. Papa aime à répéter, sardoniquement, que je fatiguais déjà tout le monde de questions. Mais je ne garde pas souvenir d’avoir obtenu la réponse. »

« Laver, nourrir, habiller les petits nous prend un temps infini. Comme la génération qui se forme pèse sur l’âge intermédiaire où nous sommes entrés, entre la dépendance à laquelle on est réduit, quand on commence, et celle où l’on va retomber avant de finir. »

« Ensuite, je peins – approches de la ville, avec, au premier plan, un canal, puis, sans l’avoir voulu, la façade de quelque château, flanqué de masures. À l’origine, c’était un pont sur l’eau à quoi j’ai fait faire un quart de tour. Quelque chose est apparu. Je ne parviens jamais de façon concertée à un résultat. Ce qui résulte d’un dessein arrêté est d’une banalité sans remède. C’est dans un angle mort, une dimension négligée, d’abord, d’un geste involontaire, que naissent la demeure des songes, la rive inconnue, la fête mystérieuse. »

« Toujours des soulèvements d’inquiétude, des éclairs d’angoisse, la crainte soudaine, panique, que le sursis qui me tient lieu de vie va prendre fin, que l’heure a sonné. Et ma réaction immédiate, indignée : qu’il est bien tôt, que j’ai beaucoup à faire, encore, qu’il me reste à connaître, à expérimenter, à aimer. »

« Tenté, au retour, de faire des essais de drapé avec du plâtre coulé dans un sac poubelle. J’avais été frappé, en avril, lors de la construction de la terrasse, des plis et volutes du ciment tombé, frais, dans la toile plastique froissée. Le résultat est décevant. Comment pourrait-il en aller autrement, au premier essai ? Et puis il faut que je revienne à ma lecture. Si j’excepte cette occupation dévorante, infinie, j’aurais bâclé ma vie, désireux que j’étais de répondre à l’appel de mille choses et conscient, tragiquement, qu’elle est trop brève pour pouvoir m’attarder plus qu’un court instant auprès de chacune d’elles. Comment étudier, pêcher, traquer les bêtes, chercher les pierres, les fossiles, peindre, modeler, menuiser, fondre, forger, rêver, respirer, regarder de tous ses yeux, être époux et père, professeur, fils et camarade, apprendre, avancer, ne pas oublier, ne jamais céder quand je suis sous la menace chronique d’être pris à la gorge sans rémission ? »

Début 1983, Bergounioux commence à écrire de la littérature.
« Malgré la fatigue, je reprends mon récit au commencement. J’essaie de le purger des approximations, des gaucheries. Je fais des phrases trop longues. C’est un de mes vices. Je me crois tenu, par mimétisme, d’envelopper une chose dans une seule et unique coulée syntaxique alors que, justement, le registre symbolique est autonome, relativement. »

Sa vie est partagée entre deux pôles, le travail dans l’Île-de-France, la nature pendant les vacances scolaires dans le Midi – et aussi le travail professionnel versus son « bureau » où il s’échine.
Ses phares sont Flaubert, Faulkner, Beckett, mais pas les seuls auteurs appréciés.
« Je lis les Chroniques italiennes de Stendhal avec un grand bonheur. Mais il a un âcre revers. Tout ce que je pourrais écrire s’en trouve terni. »

« Ensuite, j’extrais mes dernières lectures. Mais j’ai peu de preuves à présenter au tribunal qui siège en moi et me somme, le soir, d’expliquer, si je peux, ce que j’ai fait de ma journée. »

« Dans la même nuit, nous avons brisé le sortilège qui nous condamne à l’exil aux portes de Paris, traversé quatre cents kilomètres de ténèbres et de pluie, atteint le seuil de la seule existence que je sache, du seul monde qui lui fasse écho. »

« Je ne saurais lire puisque je suis parmi les choses. »

« Je regarde une émission de la série Histoires naturelles consacrée à la pêche au sandre. Les images du bord de l’eau, la lente marche du fleuve m’exaltent et m’accablent. J’aurais pu, moi aussi, passer des jours sur la rivière, dans l’oubli miséricordieux de tout. J’ai connu ce bonheur sans soupçonner qu’il me serait retiré bientôt. J’ai eu de ces heures, sur la Dordogne, et puis j’ai découvert, à dix-sept ans, qu’il semblait permis de comprendre ce qui nous arrivait, que cela se pouvait, et j’ai cessé de vivre. »

« J’esquisse un plan, jette, dirait-on, des grains de sable dans le vide, autour desquels pourraient se former des concrétions. Il me manque toujours l’arête. Je m’en remets sur l’avancée d’apporter ses propres rails, d’engendrer sa substance. Les mots, en revanche, tombent d’eux-mêmes, épousent la vision. »

« Je n’ai toujours pas pris mon parti de ne plus m’appartenir. »

« Paris excède la mesure de l’homme, la mienne, du moins. »

« La question est de savoir s’il est préférable de vivre ou de se retirer de la vie pour tenter d’y comprendre quelque chose, qui est encore une façon de vivre, mais combien désolée, amère, celle-ci. »

« Et comme je travaille de mes mains, et que je suis ici [les Bordes, en Corrèze], mes vieux compagnons, le noir souci, la contrariété, le désespoir chronique m’ont oublié. »

« Je songe aux profonds échos que la disparition de Mamie a soulevés, aux grandes profondeurs cachées sous la chatoyante et fragile surface des jours. J’y pensais, hier matin, dans la nuit noire, quand tout dormait, et j’y pense encore. Et c’est cela, peut-être, qu’il faudrait essayer de porter au jour. C’est le moment. Les figures tutélaires de mon enfance s’en vont, sans avoir seulement soupçonné, je suppose, ce qui s’est passé et les concernait, pourtant, au suprême degré. J’ai atteint l’âge où l’on peut tenter de comprendre, de porter dans l’ordre second, distinct, de l’écrit ce qu’on a confusément senti : la vie saisie à des moments successifs qui s’éclairent l’un l’autre, à l’occasion de ces subites et brutales retrouvailles que les naissances, les décès, surtout les décès, provoquent de loin en loin, les grandes permanences et le changement, l’œuvre fatidique, effrayante du temps. »

« Je reste un très long moment à me demander si j’ai bien de quoi remplir six autres chapitres, songe à croiser les voix, donc à modifier le poids, l’importance, le sens des choses qui commandent, à leur insu, parfois, mais parfois en conscience, les agissements des générations successives, la destinée unique, reprise par trois fois, de l’individu générique, supra-individuel auquel, sous le rapport de la longue durée, s’apparente celui, périssable, en qui nous consistons. »

« C’est à la faveur de ces instants limitrophes que m’apparaissent la hâte folle, la fureur concentrée qui m’emportent depuis ma dix-septième année et m’arrachent aux instants, aux lieux, aux êtres parmi lesquels nous aurons vécu, respiré. Toujours hors de moi, la tête ailleurs, l’esprit occupé de choses qui ne sont que dans les livres, ou alors du passé ou encore des éventualités redoutables, sans doute insurmontables, qui peuplent l’avenir. Et le seul bien véritable, le présent, ses authentiques et charmants habitants, je n’en aurai pas connu le goût, la douceur, la simple réalité. »

Bergounioux s’acharne, se force à écrire chaque jour – quand il en a le loisir.
« Je lance lessive sur lessive, range tout ce qui traîne partout, descends faire quelques achats, conduis Jean à sa dernière leçon de piano de l’année. Comment travailler ? Il ne me semble pas tant faire ce qu’il paraît, les courses, de la cuisine, prendre soin des petits, enseigner, etc. que combattre l’envahissement chronique de la vie, du métier, du chagrin, de tout, afin d’avoir un peu de temps pour la table de travail, méditer, endurer les affres sans nom de la réflexion, de l’explicitation. C’est un souci de chaque instant, une hantise vieille de vingt-deux ans et qui me ronge comme au premier jour. »

« Enfoncé dans la tâche d’écrire dont j’ai retrouvé, reconnu la rudesse, l’âpreté, le tempo – la facilité toute relative du matin, les lenteurs et les pesanteurs de l’après-midi, l’hébétude où je finis. C’est d’entrée de jeu qu’il faut emporter le morceau, arracher au vide rebelle, à l’opposition de la vie au retour réflexif, le sens de ce qui a eu lieu, le chiffre des heures passées. La violence du geste inaugural, et en vérité de cette occupation contre nature, dépasse de beaucoup celle que je mobilise, à l’atelier, contre les bois durs, l’acier. Que je relâche si peu que ce soit la pression à laquelle il faut soumettre la vapeur du souvenir, l’impalpable matière de la pensée, et la plume cesse de courir, le fil rompt. Je réussis à couvrir la deuxième page vers trois heures de l’après-midi après avoir douté, à chaque mot, d’extorquer le suivant, et un autre, encore, à l’inexpiable ennemi. C’est pur hasard, me semble-t-il, s’il a cédé. L’espoir s’est évanoui. On recommence, pourtant, puisque là est le chemin, et c’est ainsi qu’un autre terme vient, qu’on s’empresse, incrédule, d’ajouter au précédent. Et c’est à ce régime que je vais me trouver réduit pour des mois. »

« Je ne suis pas encore sorti de la voiture qu’un type à l’air malheureux, misérable, vient me demander une pièce. Il se passe des choses graves, que les rues soient pleines de gens qui mendient, qu’on soit partout et continuellement sollicité. »

« Les petits qui tournicotent sans rien faire m’irritent beaucoup. Mais c’est – j’essaie de me le rappeler – le privilège de l’âge où ils sont encore de n’avoir pas à compter, de dilapider les heures, les jours en petit nombre qui nous sont alloués. J’en ai usé, moi aussi, à leur âge, en très grand seigneur avant de me faire épicier. »

« Je me lève à six heures. Il s’agit de mordre sur le nouveau chapitre. Les premières lignes me coûtent mille maux. Je passe par toutes les couleurs de la désespérance. Partout, la muraille ou le puits, comme dans le conte d’Edgar Poe. Il doit être neuf heures lorsque les premiers mots apparaissent sur la page. Les mots d’Helvétius sur le malheur d’être et la fatigue de penser me reviennent. Dans l’intervalle, un jour clair et tiède s’est levé. C’est l’été de la Saint-Martin. Je m’acharne, gagne deux mots, trois autres un peu plus tard. À midi, j’aurai progressé d’une page. »

« La difficulté d’écrire se dresse, intacte, malgré les années. Je devine le grouillement obscur des possibles, l’enchevêtrement des thèmes, la confusion première, foncière, peut-être définitive de l’esprit aussi longtemps qu’il n’a pas fait retour sur lui-même, passé outre à l’interdit qui lui défend de se connaître, de porter en lui-même ordre et clarté. »

« Je lis La Psychologie des sentiments de Th. Ribot. Ce qu’il dit du sentiment esthétique est étrangement conforme à ce que j’ai toujours éprouvé, sous ce chef : un besoin aussi impérieux que la soif et la faim, plus impérieux, en vérité, plus violent, ab origine. »

« Je reprendrai plus tard la fin, qui est très insatisfaisante. Je reviens au début pour la première passe de rabotage. Il est deux heures et demie de l’après-midi lorsque j’ai grossièrement élagué le premier chapitre. La dialectique abstruse du deuxième m’arrête net et j’ai un accès de détresse. Jamais je ne serai content. Toujours mon esprit revient buter sur son insuffisance essentielle, son incurable infirmité. »

C’est une figure opiniâtre qui se dégage de ce journal, avec en filigrane un grand élan vers l’authenticité.
J’ai lu avec plaisir ces carnets, comme une histoire, tant le propos est bien énoncé, l’écriture agréable, la syntaxe soignée et riche le vocabulaire. Bien sûr cette lecture est laborieuse, puisqu’il s’agit d’un journal, donc non structuré, où abondent les récurrences des évocations de peines diverses ; mais les préoccupations de Bergounioux, les soucis qu’il consigne plus volontiers que les satisfactions, recoupent souvent les nôtres.

\Mots-clés : #autobiographie #creationartistique #ecriture #education #enfance #famille #journal #mort #nature #relationenfantparent #ruralité #urbanité #viequotidienne #xxesiecle
par Tristram
le Jeu 14 Mar - 11:20
 
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Sujet: Pierre Bergounioux
Réponses: 40
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Fabio Andina

Jours à Leontica

Tag viequotidienne sur Des Choses à lire 51mjqi10

« Nous avions parlé un moment puis je lui avais demandé s’il serait d’accord que je le suive dans ses journées. Histoire de vivre un peu comme lui. »

Le narrateur accompagne donc le Felice, ancien maçon de « nonante ans », à la « gouille » (point d’eau) où il se baigne chaque petit matin (on est fin novembre, à mille quatre cents mètres d’altitude).
« Le plus souvent, Felice ne marche pas pour se déplacer mais pour passer le temps. »

« Le Felice n’a pas la télévision, ni la radio, ou le téléphone. Il n’a même pas de boîte aux lettres. Le peu de courrier qu’il reçoit, la factrice Alfonsa le lui remet en mains propres, ou alors elle le laisse sur le banc avec une pierre par-dessus, et s’il pleut elle le pose sur la table de la cuisine, de toute façon la porte est toujours ouverte. »

« C’était nous, les enfants, qui allions dans les bois les ramasser avec nos paniers, parce qu’à l’époque c’était ou patates ou châtaignes, ou châtaignes ou patates, si tu veux savoir. Ou grillées ou cuites. Ou cuites ou grillées, les châtaignes. C’était soit l’un soit l’autre. C’était pas comme les patates, qu’elle savait préparer de mille et une façons, alors on pouvait pas dire qu’on mangeait tout le temps la même chose. Non, on mangeait des gnocchis, de la purée, des patates cuites au four avec du romarin ou dans les braises. On mangeait la soupe de patates, les patates avec des oignons, ou juste cuites à l’eau avec un peu de sel, et j’en passe. »

À Leontica, village des Alpes tessinoises avec ses baite (chalets) couvertes de piole (lauzes, pierres plates), il y a aussi le Floro dit le Ramoneur, le Sosto et le Brenno, la Vittorina, la Sabina, la Candida, la Muette, le Pep, l’Emilio…
« À ses bestioles il donne un fourrage fait d’herbes triées sur le volet qu’il ramasse en se promenant à travers champs. Un jour je lui avais apporté un plein sac d’herbe de mon jardin, mais il m’avait dit que ses lapins n’y toucheraient pas, parce que je l’avais coupée à la débroussailleuse et qu’ils le sentent quand ça pue les gaz d’échappement. »

Et les chiens, les chats, et la nature.
« Des lames de lumière froide percent la pinède. Les rayons obliques illuminent les plumes bleues des ailes de deux geais qui se pourchassent en jasant entre les sapins. Hors de la pinède, au bord de l’étroit chemin de terre, sur le tronçon qui relie les deux ponts, un écureuil fourrage dans les taillis. Il nous aperçoit, bondit sur un grand tronc et disparaît dans une cavité, une châtaigne entre les dents. Ses dernières provisions avant l’hiver. »

« L’Adula, avec son glacier en lutte contre le réchauffement climatique, contraint jour après jour de laisser dévaler des pans entiers de notre histoire. Ses souvenirs toujours plus étriqués, comme un vieillard devenant sénile. »

Il y a aussi quelques points mystérieux : le Felice semble lire les pensées, à été en Russie, prépare l’arrivée de quelqu’un.
« Puis j’entends encore ses mots, ses histoires, celle de sa mère qui cuisinait des gnocchis le dimanche, celle de la gouille en Russie et de la vache tuée pendant son service militaire et que le monde est rempli de crétins qui se font plumer comme des pigeons, que le monde est aux mains des plus grands margoulins de cette terre. Et au fait qu’il ne croyait qu’au respect réciproque et rien d’autre. »

Sorte de chronique testimoniale, à valeur quasiment historique voire ethnologique (avec notamment le recours judicieux au vocabulaire local), sur un terroir, et une personne sensible à son environnement. La paisible routine du hameau, élevage de la volaille à la vache, potager, troc, entraide (et pourtant indépendance respectée), une certaine sobriété (mais pas toujours en ce qui concerne l’alcool et le tabac), une qualité de silence, de lenteur (pas toujours non plus), et beaucoup de routine, parties de scopa au bar et l’essentielle Sarina (fourneau à bois). Une communauté avec aussi ses drames, dans un passé prégnant.
Merci @Topocl, j'ai aimé !

\Mots-clés : #amitié #lieu #nature #nostalgie #ruralité #solidarite #vieillesse #viequotidienne
par Tristram
le Jeu 1 Fév - 11:30
 
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Sujet: Fabio Andina
Réponses: 16
Vues: 614

Eugène Dabit

L'Hôtel du Nord

Tag viequotidienne sur Des Choses à lire L_hzte10

Juste après-guerre, les Lecouvreur, Émile et Louise, un couple d’ouvriers avec un fils, Maurice, reprennent L'Hôtel du Nord, près du quai de Jemmapes sur le canal Saint-Martin.
« Au fil du canal, des péniches glissaient, lentes et gonflées comme du bétail. »

C’est un hôtel populaire, assez pauvre, où les « locataires » vivent presque en famille. La bonne, c’est Renée, qui vit là avec son amant, plutôt brutal.
« Elle l’avait rendu exigeant et difficile. La vie à deux use le cœur d’un homme. Pierre ne lui parlait plus jamais d’amour. »

Enceinte, Pierre la quitte ; les Lecouvreur la gardent, son fils en nourrice à la campagne meurt, des hommes la fréquentent, elle doit s’en aller.
Beaucoup d’histoires de couples, parfois drôles souvent tristes, ou sordides, comme autant d’épisodes en courts chapitres sur la clientèle : les anciens, les familles, les jeunes ouvriers, les gens de passage, et la « boutique » avec les joueurs de manille, les ivrognes, les « camionneurs » des écuries voisines, les pêcheurs…
Une autre évocation douce-amère de ce Paris populaire disparu.

\Mots-clés : #enfance #nostalgie #urbanité #viequotidienne #xxesiecle
par Tristram
le Dim 28 Jan - 11:09
 
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Sujet: Eugène Dabit
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Vues: 304

Joe Wilkins

La Montagne et les Pères

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Souvenirs d’enfance à la ferme retirée dans le Big Dry, dans l’est du Montana, du côté de Melstone dans le comté de Musselshell, une contrée où la vie est dure.
« Les serpents compliquent et présagent, ils se déplacent comme un vent rampant, ils se cachent à découvert. »

Élevage ou chasse, « Dans le Big Dry, il fallait tuer pour vivre »…
Le grand-père maternel et ses histoires (qui auront un rôle déterminant dans son existence : les « fragments du corps de mon grand-père ») ; sa mère, indépendante et engagée, démocrate (on est principalement républicain dans la région, et profondément croyant).
« Chaque année, songe-t-elle, un peu plus vieille, un peu plus moi-même. »

Et son père, ce roc mourant d’un cancer quand il a neuf ans.
Les amis paternels, pêcheurs et chasseurs, puis sa grand-tante, lithographe à Billings, ensuite le professeur qui un temps comble son besoin de père. Un autre enseignant marquant, et les livres ; et les rêves d’ailleurs.
Sécheresse, inondation, incendie, sauterelles… Alcool, armes à feu… Le ranch du grand-père, que seul son père aurait su gérer, est vendu. Beaucoup de fermiers perdent leurs terres.
« La terre du Big Dry était mauvaise, mais nous faisions de notre mieux pour la rendre fertile.
Nous canalisions la rivière pour irriguer, nous abattions les peupliers et labourions jusqu’au lit de la rivière, nous disposions des bidons usagés d’huile à moteur pour piéger les sauterelles. Nous aspergions les champs pour éliminer les centaurées et les graminées, nous fertilisions et irriguions et arrosions de désherbant le chiendent. Nous passions des nuits entières dans la bergerie à extraire des agneaux en siège, nous vermifugions et vaccinions et écornions, nous donnions à manger des tonnes et des tonnes de maïs. Et quand rien de tout cela ne fonctionnait, quand les foins brûlaient toujours au soleil et que les sauterelles s’abattaient sur les cultures tel le septième sceau de l’Apocalypse, et que les moutons n’avaient plus que la peau sur les os sous le ciel brûlant, quand ces mauvaises terres prenaient malgré tout le dessus sur nous, alors nous priions. Et quand les prières étaient inefficaces, nous blasphémions. Puis nous jetions les cadavres dans la fosse à ossements et retentions notre chance – plus sérieusement encore, cette fois, nos rouages graissés par une nouvelle dose de bile.
Même si c’était bien fait, on ne pouvait pas appeler ça gagner sa vie ; ce n’était qu’une série d’agonies ritualisées. Et ce n’est pas pour dénigrer un mode d’existence. C’est simplement pour dire les choses telles qu’elles sont. Vivre de la terre, n’importe quelle terre, est difficile. Vivre de ces mauvaises terres, cette partie de plaines d’altitude le long des contreforts orientaux des Rocheuses qu’on appelait jadis le Grand Désert Américain, était presque impossible. Surtout quand les lois agricoles ont changé sous Nixon et Reagan, quand nous sommes passés d’un élevage de moutons, de vaches et de poules, d’une culture de blé, de froment et d’avoine et d’un peu tout, à l’élevage de vaches et la culture de maïs, point final. C’est environ à cette époque aussi que les étés se sont faits plus longs et les hivers plus courts, que les torrents printaniers qui alimentaient autrefois les ravines se sont asséchés. Et même à ce moment-là, nous n’avons rien cherché à changer. Nous ne nous sommes pas défendus ni instruits. Nous nous sommes contentés de plier et de nous endurcir, de travailler davantage – davantage d’emprunts à la banque, davantage d’hectares pâturés jusqu’à la terre nue, davantage de produits chimiques dispersés à travers la région. »

« C’était une violence lente et psychologique. Et la plupart d’entre eux retournèrent cette violence contre eux-mêmes. »

« À la télévision, les politiciens évoquaient ce projet-ci ou celui-là, afin de venir en aide à l’Amérique rurale, mais quelqu’un avait parfaitement compris de quoi il retournait : on mit en service une permanence téléphonique contre le suicide dédiée spécifiquement aux fermiers et aux exploitants ruinés, obligés de vendre, qui se trouvaient soudain piégés dans un monde qu’ils ne reconnaissaient pas. »

« Reprenons donc : comment tout débute avec les caprices du vent et de la nécessité, ou peut-être juste dans un bref instant de stupidité ; comment l’échec et la honte, en l’espace d’une seconde, deviennent si impossiblement lourds, un sac de pierres qu’il faut hisser sur son épaule ; comme ils se muent en peur ; et comme la peur éclate un jour en vous – une lente implosion, une détonation à vous briser la nuque.
Ce n’est pourtant pas ainsi que doivent forcément se passer les choses. Nous échouerons, nous continuerons à agir parfois sans raison valable, nous porterons à jamais le fardeau de l’échec et de la honte – mais c’est là, me semble-t-il, que tout peut changer : il existe une sorte de fascination terrible et facile, proche de la peur mais qui n’est pas de la peur. C’est le fait de comprendre le sang qui sèche sur nos mains, le paquet de viande emballée par nos soins qu’on sort du congélateur. C’est accepter la beauté habituelle de nos journées, c’est respecter le labeur de subsistance. C’est comprendre qu’il n’est pas nécessaire de posséder la terre pour être issus de la terre, c’est admettre que nous vivons tous sur ces terres et que nous assumons la responsabilité de cette violence infligée au sol par nos simples existences. C’est reconnaître combien les histoires nous trompent, combien les histoires nous sauvent. C’est d’avoir entendu les deux versions et, dans nos instants d’intenses difficultés, c’est de conter l’histoire qui nous sauvera. »

« Loin dans la prairie, la malchance et les mauvais choix ne faisaient qu’un, l’échec était l’unique péché impardonnable, car nous devions avoir une foi inébranlable en notre capacité à vivre de ces terres ingrates. Nous devions croire que c’était possible, que ce n’était pas de la folie. […]
Nous tournions donc le dos à toute forme d’échec, nous n’accusions ni le projet, ni le vent, ni les nécessités, mais la personnalité des participants. »

D’où le refus de toute forme d’assistance gouvernementale.
À mi-chemin de l’autobiographie et du témoignage, Joe Wilkins rapporte une à une, grosso modo chronologiquement, des scènes qui lui restent, parfois de brefs instantanés. Vers la fin du livre, il développe ses réflexions sur ses difficultés d’intégration et surtout celles de la région.

\Mots-clés : #autobiographie #enfance #famille #lieu #nature #ruralité #viequotidienne #xxesiecle
par Tristram
le Dim 28 Mai - 13:49
 
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Sujet: Joe Wilkins
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Joe Wilkins

Tag viequotidienne sur Des Choses à lire 97823510

La vie dans le Montana, et particulièrement dans les Bulls Mountains. A travers le "journal" de l'assassin d'un garde Forestier nous découvrons le drame qui s'est déroulé il y a plusieurs années et qui a des répercussions sur les descendants des deux familles impliquées dans ce drame. D'autant que l'homme qui s'est enfuit, caché et a disparu dans les montagnes devient pour les séparatistes un héros.
La vie est dure dans ce territoire de sècheresse et de montagnes, les terres données aux aIeux, les pionniers, ne nourissent pas, les gens sont pauvres, pas instruits, les fermes sont perdues (pour diverses causes sociales) et les gens pour laplupart vivent dans des mobil-home, c'est le cas de Wendell le fils de l'assassin, qui travaille dur chez un éleveur. Il va recueillir son petit cousin, le fils de sa cousine Lacy emprisonnée pour drogue et négligence parentale ; le gamin est autiste et difficile à élever mais Wendell le fera de tout son coeur, il s'attache rapidement à Rowdy et le considère comme son fils. Il donnera d'ailleurs sa vie pour le sauver.

Evidemment les circonstances font que la femme du forestier tué et sa fille Maddy rencontreront Wendell et par delà le temps, la souffrance ces deux femmes s'occuperont de Rowdy à la disparition de Wendell que Maddy a eu le temps d'apprécier.

Les milices  ignorent les lois et notamment celles de l'agence de protection de l'environnement : ils veulent tuer le loup et tout ce qui se trouve sur "leur terre", dans "leurs montagnes".

Wendell
"Il  comprit à cet instant ce qui le séparait des autres – ils croyaient qu’on leur devait quelque chose. Freddie, Toby, Daniel. Betts. Son paternel. Quelqu’un leur avait dit qu’on leur devait quelque chose. Il ne savait pas qui, exactement, il n’avait pas eu le temps d’y réfléchir davantage, mais c’était ce qu’ils pensaient, que c’était injuste. Wendell écrasa la peau de serpent dans son poing. On ne nous doit que dalle, rien du tout. Il l’avait toujours su, il l’avait su si profondément dans ses os qu’il n’y avait jamais vraiment pensé avant, et maintenant qu’il y réfléchissait, il comprit que Maddy avait eu raison. "

"Ce n’était pas l’Agence de Protection de l’Environnement ni le BLM qui avaient soudain compliqué les choses. Ç’avait toujours été difficile. C’est pour ça que les loups revenaient. Ils étaient bâtis pour ces contrées. Ils ne se préoccupaient pas de ce qui leur était dû. Ils vivaient selon les exigences de la terre. Wendell le comprenait désormais. La terre elle-même avait pris son père, l’avait laissé avec cette pauvre histoire en forme de devinette, une histoire que ces types lisaient complètement à l’envers."


Une excellente lecture, pour moi,  de superbes descriptions, une atmosphère prégnante et des personnages qui ne laissent pas indifférents.

autres extraits

"Betts renifla et croisa les bras devant son torse.
— Mon père s’est tiré une balle, continua-t-il. C’est ce qu’a fait mon paternel après avoir été viré, puis réembauché, puis viré à nouveau, après qu’on lui a confisqué son camion, et qu’on lui a globalement volé toute sa putain de vie. Qu’on lui a volée, au nom de cette putain de chouette tachetée. Mais ton paternel a pas courbé le dos. Non, il a refusé d’être une victime. Il s’est pas collé le canon sous le menton. Il a épaulé et il a riposté, il a tiré sur ce putain de garde-chasse qui aurait dû savoir qu’il fallait se méfier. Ton père est un héros, voilà ce qu’il est. On l’admire franchement pour tout ce qu’il a fait, et on espère que le fils de Verl Newman saura à son tour prendre le chemin vers le bon droit. Qu’il nous rejoindra."

"Un délégué de comté intentait un procès au gouvernement Obama, à propos de régulations écologiques"

" Écoute-moi fiston. Je disais une chose avec ma bouche et une autre avec mes deux mains. J’encaissais les chèques d’incapacité de travail de ta mère et j’achetais du fourrage et de l’essence et je sais pas quoi d’autre encore. Je touchais l’argent du Programme de conservation écologique sur le vieux pâturage en bordure de rivière. Je prenais de l’herbe qui n’était pas à moi. Je me mentais à moi-même. C’est si facile à faire. Un conseil fiston. Quand les choses sont faciles c’est souvent qu’elles sont mauvaises. Souvent malhonnêtes et lâches. C’est pour ça que je suis ici dehors. Parce que j’ai refusé de mentir davantage. J’ai refusé d’être un lâche. J’ai refusé de respecter les règles des lâches et des enculés quelle bande d’enculés"



\Mots-clés : #criminalite #ecologie #famille #social #viequotidienne
par Bédoulène
le Dim 14 Mai - 19:05
 
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Sujet: Joe Wilkins
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Lilian Thuram

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La pensée blanche

quatrième de couverture a écrit:Ce livre revisite certains pans de l’histoire : les conquêtes coloniales, l’esclavage, les empires, le Code Noir, l’instrumentalisation de la science et de la religion, la post-décolonisation et le pillage des ressources naturelles, le vol du patrimoine africain… Il examine les mécanismes intellectuels invisibles qui assoient la domination des Blancs. Il désigne le racisme ordinaire de nos sociétés, tissé d’une succession de petits faits parfois connus, parfois pas du tout : joueurs de football noirs accueillis par des cris de singe, discriminations à l’embauche, contrôles policiers au faciès, politique de « quotas » des minorités…


Petits ou grands les faits renvoient à leurs références et leur dérouler s'appuient sur l'histoire documentée de la colonisation et de l'esclavage bien sûr mais aussi sur une histoire plus récente. Les sciences sociales sont de la partie aussi et la part d'expérience personnelle complète le tableau.

C'est intéressant, ça essaye de questionner les biais que l'on peut avoir si on ne questionne pas notre "environnement de pensée", nos biais les plus communs. Le lien est fait avec d'autres causes du moment comme le féminisme et l'exploitation de beaucoup au profit de quelques-uns. Forcément on est un peu heurté parfois (ou souvent) à la lecture. Mais heurté ne veut pas dire agressé et j'ai vu dans ce livre une belle invitation à remettre en jeu les points de vue du quotidien, mieux les réflexes que je peux avoir au quotidien en tant que "blanc".

En plus ce n'est pas mal écrit (côté conjugaison ça dépasse des succès actuels de librairie divers et variés.

Ca se lit aussi facilement que c'est constructif et c'est bien dommage qu'on entende pas plus ce genre de voix !


Mots-clés : #colonisation #esclavage #racisme #social #viequotidienne
par animal
le Dim 12 Fév - 19:28
 
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Sujet: Lilian Thuram
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Ihara Saïkaku

Histoires de marchands

Tag viequotidienne sur Des Choses à lire Histoires_de_marchands
L’Époque d’Edo (1603 – 1868) a vu trois écrivains se distinguer, chacun dans leur genre : Bashô dans le haïku, Chikamatsu dans le théâtre et Ihara Saïkaku dans des textes en prose qui dépeignent la vie urbaine d’alors, à Edo, donc, ou à Ōsaka, sa ville natale. On est frappé par ce réalisme des petites choses, cette recherche du détail, qui dans Vie d’une amie de la volupté, pouvait être assez étourdissante. Avec ces Histoires de marchands, la vue d’ensemble est peut-être moins négligée par le conteur, au détour d’une généralité ou d’une fabuleuse description.

Ihara Saïkaku a écrit:À l’ouest du pont de Naniwa s’alignent à perte de vue les maisons de milliers de courtiers, et les murs blanchis des magasins le disputent en éclat à la neige au point du jour. Les sacs de riz s’entassent en pyramides comme autant de montagnes qui se seraient déplacées, et quand partent les files d’hommes et de chevaux, l’on dirait d’un tonnerre souterrain qui ébranle les grands chemins. Chalands et barques à l’infini voguent sur les flots des rivières, comme feuilles de saule au vent d’automne, et les piques à riz que des jeunes gens manient avec vigueur semblent une forêt de bambou où gîte le tigre; les feuilles de registres tourbillonnent et les boules des abaques crépitent comme grêle; sur les trébuchets, le maillet sonne plus haut que la cloche qui annonce deux fois six heures, et le vent qui de la fortune agite les tentures des portes.



Histoires de marchands contient cinquante textes de trois ou quatre pages, au cours desquels on passe souvent d’un personnage à un autre ; cent personnages qui rencontrent l’infortune ou la fortune en espèce sonnantes et trébuchantes (à propos, le traducteur fait là un choix vraiment très discutable qui est de remplacer la monnaie japonaise de l’époque par doublons, écus et deniers). Saïkaku décrit diverses façons d’ordonner sa vie, des tempéraments : vivre au jour le jour ou voir à longs termes n’ont pas les mêmes conséquences. La galerie des caractères s’étend, pingres, roublards, sages ou ingénieux, ayant des ambitions plus ou moins grande sinon excessive. Il est si difficile de gagner de l’argent, si facile de le perdre, clame les personnages à plusieurs endroits, et pourtant nombre d’entre eux de découvrir des moyens d’en acquérir rapidement : les japonais de l’époque tenaient Histoires de marchands pour « un traité sur l’art et la manière de faire fortune » bien qu’il n’y ait pas d’accord parfait entre les différents discours du livre ; épargne, crédit, abstinence, chance ou talent sont tour à tour fin mot de l’histoire. Mais pour nous ces Histoires de marchands constituent des témoignages plutôt vivants (bien qu’assez répétitifs) d’une minuscule comédie humaine en quelques sortes, d’une société partagée entre les riches et les pauvres, mais où les rôles changent souvent.

Lu le 17 septembre 2022

Vie d'une amie de la volupté

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On trouvera dans ce livre d’innombrables détails sur Yoshiwara, où la narratrice, cette « amie de la volupté », passa sa vie, y exerça le métier de « marchande d’amour ». Sachant quelle importance eut ce quartier, qu’il se peut qu’il fut dans une certaine mesure le reflet de la société nippone du dix-septième siècle ; on peut presque se dire que le roman de Saikaku va, à la manière d’un guide, nous faire pénétrer dans les arcanes de cette culture ancestrale. On fait fausse route. Au lieu de réalisme, parlons plutôt d’une minutie qui nous perd dans une multitude d’usages minuscules, dans les vêtements ou les oreillers « de bois ». On reprend quelquefois son souffle en profitant du talent de l’haïkiste pour tracer fugacement un paysage.

Ihara Saïkaku a écrit:Les bonzesses, pour la plupart, portaient un vêtement ouaté en coton, couleur bleu clair. De largeur moyenne, leur ceinture, en étoffe de soie ryûmon, était nouée par-devant. Un voile noir, en soie habutae, leur enveloppait la tête. Pour coiffure elles avaient un chapeau en forme de champignon conique, faits de carex tressé, fabriqué originellement par O-Shichi de Fukae. Elles portaient toutes sans exception des chaussettes de coton renforcées de festons ondulés faits de fils de même matière. Leur pagne de soie était court. Leur tenue, uniforme. La boîte dont elles étaient munies contenaient des amulettes du temple de Kumano, des coquillages sugai et une paire des assourdissantes claquettes yotsu-take.


En fait de reflet, nous en avons un aux contours indiscernables, et c’est peut-être cela qu’on appelle le « monde flottant », c’est-à-dire un monde fait d’autant d’impermanence que d’apparences, de tromperies, de jeux et de mensonges, en somme, d’irréalité. On s’y perd à plus forte raison s’il on est un lecteur occidental et néophyte en culture japonaise (et même si on ne l’est pas, j’imagine). Les intrigues, fourberies et vicissitudes racontées sont peu dissemblables mais sont assez souvent dotées de vérités psychologiques.

Lu le 3 Novembre 2019


\Mots-clés : #erotisme #nouvelle #viequotidienne
par Dreep
le Dim 18 Sep - 22:17
 
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Sujet: Ihara Saïkaku
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Andrea Camilleri

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Le roi Zosimo

Je pensais que c’était pure fiction avant d’avoir lu le propos de l’auteur en fin de livre ; il s’avère que Zosimo a bien existé, mais cette « biographie » elle,  est imagination de l’auteur.

Une première partie raconte l’aventure de son père avec un Prince par lui sauvé, et la naissance dans la paille de l’enfant Michele ( que tous appelleront Zosimo) entouré des animaux, non pas un bœuf et l’âne mais une chèvre, des gélines et un chien.

« Tout d’un train, à une poussée plus forte, elle se benouilla entre les jambes, c’étaient les eaux qu’aidaient la tête du bébé à sortir. La douleur était grande et Filònia prit à quincher, de toute façon elle était seule. À ce moment-là, tous leurs animaux approchèrent : un chien errant désormais amaisonné chez eux et que tout le monde appelait, sans trop se tarabuster, « l’chien », une cabre d’Agrigente, une belle bête au long pelage marron, avec deux cornes de licorne et de plantureuses mamelles sombres, et quatre gélines. »

Dès son plus jeune âge Zo se révèle exceptionnel, buvant et mangeant comme un homme à 7 mois, puis à 7 ans, instruit par le Père Uhu, ermite, il sait écrire, lire et connait même le latin, ce qui est rare au 18ème siècle pour un « pagan » un paysan.
Instruit, intelligent, aimable, il sera toute sa vie l’ami, le chef, « le roi » même des paysans qui réclament son couronnement. Ce couronnement sera fait devant toute la foule des paysans, à la barbe des nobles auxquels Zosimo appliquera « ses lois », lesquelles donneront aux paysans exploités ce qui leur est dû.
Malgré son courage, sa volonté, Zosimo sera trahi par les Nobles, arrêté et condamné au gibet.

Sur les marches du gibet se présenteront à lui, les animaux de sa naissance, le Père Uhu et un magicien.

« Et quand ils arrivèrent au point où il fallait gravir le premier des cinq degrés, le capitaine dit en basset :

« Je m’arrête ici. »
Et il le dit en parfait italien, rapport que le moment était ce qu’il était et que quand le moment est ce qu’il est, c’est nécessité de japiller en italien, sinon on dit que vous avez fait votre éducation autour du collège, que vous n’êtes qu’un pauvre riclaire et pas un marquant.
Zosimo s’arrêta et se retourna pour apincher le capitaine.
« Vous ne me tenez pas compagnie jusqu’au bout ?
— Non, il vaut mieux que vous montiez tout seul, comme ça le monde qu’est agrobé sur les toits vous voit mieux.
— Et comment savez-vous qu’il y a du monde sur les toits ?
— Parce que cette nuit mes soldats les ont aidés à y grimper. »
Il tendit la main à Zosimo, Zosimo la lui serra vigoureusement.
« Merci, dit-il. »

« Il remira vers le ciel, ébaffé, et vit son cerf-volant. Le cerf-volant était revenu et se maintenait immobile en hauteur, pile au-dessus de son coqueluchon. Comment avait-il pu revenir ? Et pourquoi était-il revenu ? Puis il comprit et sentit sa poitrine s’élargir : il avait cru perdre son imagination en lâchant la corde du cerf-volant et, en fait, les choses allaient tout autrement. Au moment précis où le capitaine laissait retomber son bras, Zosimo agrappa la corde des deux mains en percevant un arrachement violent, manquablement provoqué par le cerf-volant qui reprenait de la vitesse et de la hauteur Il se mit à grimper lestement à la corde, sans éprouver de fatigue, et il se sentait à chaque mouvement de bras plus léger et plus libre.
Arrivé un moment, il s’arrêta et remira en bas. Il vit la place, les maisons avec le monde qui redescendait des toits et au mitan de la place, il vit aussi une potence avec une chose, une sorte de sac, qui pendait du gibet en dodinant.
Il éclata de rire. Et reprit à grimper »

Ainsi commença et finit la vie de Zosimo dans un éclat de rire.

***********

Une intéressante lecture qui se déroule pendant le règne de Victor-Amédée II de Savoie alors que les Espagnols veulent reprendre la Sicile.
Evocation de la période de la « controverse de Lipari » affrontement entre les Royaume de Sicile et le Saint-Siège, qui a commencé en 1711 d'un petit conflit local entre Évêque de Lipari et deux agents fiscaux dans la même ville  (une histoire de taxes sur des poischiches)
Zosimo convainc les paysans, qui n’ont rien à gagner de ce conflit de se garder
« ni le Pape, ni le Roi »
Sage mesure.
Avec l’incarcération du Père Uhu est évoqué aussi « l’inquisition »
Evocation également de la « peste » qui décima la région, de la situation sociale des « pagans ».
L’écriture « buissonnière » j’ai bien aimé.

Cette lecture vaut d’être faite, même si par moment j’ai pensé que c’était un peu trop de mascarades mais il faut se rappeler dans quel siècle se déroule l’histoire.

Merci à ZeBebelo d'avoir conseillé cette lecture.


\Mots-clés : #famille #misere #viequotidienne XVIIIe s
par Bédoulène
le Ven 29 Juil - 9:15
 
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Sujet: Andrea Camilleri
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Kenneth White

La Maison des marées

Tag viequotidienne sur Des Choses à lire La_mai13

Écossais devenu Français, Kenneth White s’est installé à Trébeurden près de Lannion, Côtes-du-Nord devenues Côtes-d’Armor, après dix-sept années passées dans le Sud-Ouest.
Lu après Le phare, voyage immobile, de Paolo Rumiz, dans un esprit proche – la mer, son « esprit pélagien » − (et de même origine – bouquinerie Emmaüs, avec peut-être, qui sait, le même ancien propriétaire), ce livre est aussi un « voyage immobile », évoque également le goût du « mauvais temps », et porte le même message, celui du gâchis par l’espèce humaine de notre environnement. Avec sa composante « celte » et son appétit de jouissance de l’existence, White rapporte son quotidien de bibliophile en « l’atelier océanique », sans omettre les visites intempestives d’éclopés, manuscrits en mal d’éditeur et autres indésirables qui abondent.

« C'est surtout quand la pluie tourbillonne autour de la maison que j'aime lire de vieux livres et consulter d'anciennes cartes. »

« Il y a une musique du paysage. On l’a rarement écoutée. Avant la civilisation, oui, peut-être – et encore. Peut-être les hommes primitifs guettaient-ils uniquement les bruits, les sons qui concernaient leur survie : le craquement d’une branche signalant l’approche d’un animal, le vent qui annonce la tempête… Loin d’entrer dans le grand rapport, ils rapportaient tout à eux. Il est possible que j’exagère. Peut-être qu’ici et là il y avait des oreilles pour écouter la musique pure du paysage qui n’annonce rien. Ce qui est sûr, c’est qu’avec l’arrivée de la civilisation et surtout son développement, on n’écoute plus rien de tel. Le civilisé écoute les harangues politiques, il écoute les homélies religieuses, il écoute toutes sortes de musiques préfabriquées, il s’écoute. Ce n’est que maintenant (la fin de la civilisation ?) que certains, ces solitaires, des isolés, se remettent à écouter le paysage. »

« Quand je ne peux pas me concentrer sur autre chose, je note tout ce que je vois, tout ce que j’entends. C’est fou la quantité de détails que l’on remarque de cette manière-là, et le sens aigu de la réalité que cela procure. »

L'étalage béat de son bonheur de privilégié, la moquerie des indésirables qui le dérangent m'ont cependant un peu indisposé.

\Mots-clés : #autobiographie #contemporain #nature #ruralité #viequotidienne
par Tristram
le Lun 25 Juil - 12:01
 
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Sujet: Kenneth White
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Thomas McGuane

La fête des Corbeaux


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Recueil de dix-sept nouvelles :

Un problème de poids
La maison au bord de Sand Creek
Ma grand-mère et moi
Les enjoliveurs
Sur une route en terre
Une vue dégagée vers l’ouest
Le ragoût
Un bon filon
Un vieil homme qui aimait pêcher
Une fille de la prairie
Le bon Samaritain
Les étoiles
Le shaman
Partie de pêche à Canyon Ferry
Camping sauvage
Une histoire lacustre
La fête des Corbeaux


Tranches de vie dans des ranches du Montana, mais aussi à la ville (et bien sûr pêche à la truite), qui tournent autour de rapports humains toxiques ou empreints de faiblesse, de l’enfance à la vieillesse. Perce aussi, souvent, une satire de la culture états-unienne contemporaine (l’argent, les banques), mais également des références à la nature.
J’ai particulièrement apprécié la première nouvelle, Un problème de poids (où le fils d’une « famille dysfonctionnelle » rejette l’idée d’une vie de couple), Les enjoliveurs (ou l’enfance morose d’Owen), Les étoiles (démêlés de Jessica avec les humains), Camping sauvage (deux vieux amis s’affrontent sourdement à propos d’une infidélité conjugale tandis qu’ils campent avec un guide assez instable) et la dernière, l’éponyme (deux frères ont placé leur mère veuve atteinte de démence sénile en maison de retraite, et elle évoque un amant Crow…)
« Il avait sombré dans la dépression, découvrant qu’il n’est pas de maladie plus brutale, plus profonde, plus implacable, et qui fait une ennemie de la conscience elle-même. »
Le bon Samaritain

« De même que les géologues s’émancipent dans le temps, pensa-t-elle, les astronomes s’affranchissent grâce à l’espace. »
Les étoiles

« La chienne, qui avait mordu son maître la première fois qu’elle l’avait vu soûl, le regardait désormais avec un détachement similaire à celui d’Owen. »
Les enjoliveurs

« Je ne vois pas bien ce que les écolos trouvent à tous ces arbres, dit Jack.
− La nature nous hait. On sera sacrément vernis de quitter ce trou et de retrouver la civilisation. »

« Mon père était boucher et moi, je suis chirurgien, dit Tony. Je suis sûr que tu as entendu pas mal de plaisanteries là-dessus en ville.
− Oui, en effet.
− Le plus bizarre, c’est que je ne voulais pas être chirurgien, mais boucher. L’accession classique de la seconde génération à un genre de stratosphère où on ne se sentira jamais à sa place. Où on ne sait jamais vraiment où l’on en est. »

« Il lui apparaissait que la nature et la vie étaient exactement pareilles, mais il n’arrivait à formuler la chose. »
Camping sauvage


\Mots-clés : #humour #Nouvelle #viequotidienne #xxesiecle
par Tristram
le Ven 3 Juin - 17:21
 
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Sujet: Thomas McGuane
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Etgar Keret

Sept années de bonheur

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Ces chroniques intimes, parues en 2013 en Israël, réunissent des ressentis et réflexions d’un habitant d’un pays menacé en permanence, et sa condition particulière, notamment lors de ses nombreux voyages à l’étranger. Significativement, la première évoque comme, ayant amené sa femme pour accoucher dans un hôpital, y affluent les victimes d’un attentat terroriste de plus. Mais c’est aussi un regard plus vaste sur cette société ; ainsi sa sœur est convertie à l’orthodoxie.
« En France, un réceptionniste nous dit, à moi et à l’écrivain arabe israélien Sayed Kashua, que si ça ne tenait qu’à lui, l’hôtel ne recevrait pas les juifs. Après quoi il me fallut passer le reste de la soirée à entendre Sayed râler : comme si ça ne suffisait pas d’avoir subi l’occupation sioniste pendant quarante-deux ans, il lui fallait maintenant supporter l’insulte d’être pris pour un juif. »

Beaucoup de choses sur les taxis, son fils, son père, et aussi La maison étroite, « une maison qui aurait les proportions de mes nouvelles : aussi minimaliste et petite que possible », qu’un architecte lui construit à Varsovie. Sur trois niveaux, elle est prévue dans une « faille » entre deux immeubles :
« Ma mère regarda l’image simulée pendant une fraction de seconde. À ma grande surprise, elle reconnut immédiatement la rue ; l’étroite maison serait construite, par le plus grand des hasards, à l’endroit précis où un pont reliait le petit ghetto au grand. Quand ma mère rapportait en fraude de quoi nourrir ses parents, elle devait franchir une barrière à cet endroit, gardée par un peloton de nazis. Elle savait qu’en se faisant surprendre avec une miche de pain elle serait exécutée sur-le-champ. »

Seule rescapée de sa famille, son père lui avait demandé de vivre pour faire survivre leur nom.
Voici l’extrait qui m’a conduit à lire ce livre (et constitue une bonne réponse possible dans le dossier La littérature c’est koi, notée par Bix en son temps) :
« L’écrivain n’est ni un saint ni un tsadik [(homme) juste, en hébreu] ni un prophète montant la garde ; il n’est rien qu'un pécheur comme un autre doté d’une conscience à peine plus aiguisée et d’un langage un peu plus précis dont il sert pour décrire l’inconcevable réalité de notre monde. Il n’invente pas un seul sentiment, pas une seule pensée ‒ tout cela existait longtemps avant lui. Il ne vaut pas mieux que ses lecteurs, pas du tout ‒ il est parfois bien pire ‒, et c'est ce qu’il faut. Si l'écrivain était un ange, l'abîme qui le séparerait de nous serait si vaste que ses écrits ne nous seraient pas assez proches pour nous toucher. Mais parce qu'il est ici, à nos côtés, enfoui jusqu'au cou dans la boue et l'ordure, il est celui qui plus que quiconque peut nous faire partager tout ce qui se passe dans son esprit, dans les zones éclairées et, plus encore, dans les recoins sombres. »


\Mots-clés : #antisémitisme #autobiographie #communautejuive #conflitisraelopalestinien #contemporain #ecriture #terrorisme #viequotidienne
par Tristram
le Jeu 19 Mai - 12:45
 
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Sujet: Etgar Keret
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Lyonel Trouillot

Kannjawou

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Le narrateur tient son journal, lit des romans (et veut en écrire) dans la rue de l’Enterrement, qui tient son nom du cimetière proche. Il raconte le quartier miséreux, et surtout le pire fléau, les forces d’Occupation des marines (1915-1934, puis l’actuelle, la « molle »). Il parle de ses proches, de Popol son jeune frère (ils sont orphelins depuis l’enfance), de Sophonie et Joëlle, les deux sœurs filles d’Anselme, paysan dépossédé de ses terres devenu tireur de cartes − « les deux femmes que j’aime » sans se déclarer ; la première est serveuse dans un bar dansant :
« Le “Kannjawou”. C’est un beau nom qui veut dire une grosse fête. »

Regard acerbe sur les expatriés qui y forment un clan, dont « la petite brune », « oie et autruche ».
Il rapporte aussi les conversations de man Jeanne qui évoque le passé, Wodné le militant qui se prépare sempiternellement à ce que les conditions soient réunies, le petit professeur qui promeut la lecture chez les jeunes laissés à eux-mêmes, Halefort le voleur de cercueils.
Un beau matériau, de l’amertume, de la rancœur, des bons sentiments, le ton est peut-être un peu maladroit malgré d'attachants personnages.
« Des promesses de kannjawou, en veux-tu, en voilà. Car chacun a droit à sa fête. Il suffit de prendre à la vie seulement la part qui te revient. Et d’inviter l’autre à la fête. Il suffirait. »


\Mots-clés : #contemporain #misere #viequotidienne
par Tristram
le Dim 27 Mar - 12:25
 
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Sujet: Lyonel Trouillot
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Bernard Malamud

Le Tonneau magique

Tag viequotidienne sur Des Choses à lire Le_ton10

Treize nouvelles sur les déboires de petits juifs, généralement à New York (ou en Italie), souvent réfugiés polonais après la Seconde Guerre mondiale, et qui cherchent un peu de bonheur.
Les Sept Premières Années : Sobel est amoureux de la fille du cordonnier Feld pour qui il travaille, mais ce dernier rêve d’un beau-fils plus prospère.
Les Pleureurs : Kessler, un ancien mireur d’œufs, est expulsé par son "marchand de sommeil" ; il pleure sur son existence (il a abandonné femme et enfants), et son propriétaire se joint à lui.
La Fille de mes rêves : auto-autodafé de manuscrits…
L’Ange Levine : Manischevitz, un infortuné tailleur, hésite à croire en un ange gardien, juif noir de Harlem.
Attention à la clé : un pauvre étudiant aves femme et enfant cherche un logement à Rome.
Prenez pitié : Rosen, un ancien représentant malade, s’efforce de donner de l’aide à une jeune veuve dans le besoin avec deux enfants, jusqu’à sacrifier sa vie.
La Prison : piégé, un ancien délinquant tente de prévenir une délinquante en herbe.
La Dame du lac : Levin, un ancien chef de rayon juif américain, profite d’un petit héritage pour visiter l’Italie, où il rencontre Isabella del Dongo sur son île du lac de Streza – croit-il −, et ment pour rehausser sa condition.
Lectures d’été : George a abandonné l’école, et reprend les livres pour se conformer à ce qu’il prétend faire.
La Facture : Willy Schlegel, concierge, achète à crédit dans la petite boutique d’en face, et ne peut pas rembourser.
Le Dernier Mohican : Arthur Fidelman, un étudiant du Bronx, arrive à Rome pour écrire une étude critique sur Giotto, et d’emblée Shimon Susskind, un réfugié, juif comme lui, le sollicite en quémandant son vieux costume. Le premier chapitre que Fidelman a écrit lui est dérobé, et il suspecte Susskind, qu’il cherche longuement, ne parvenant plus à poursuivre son ouvrage.
Le Prêt : Kobotsky réapparaît chez Lieb le boulanger. Amis lorsqu’ils étaient jeunes immigrants, une question d’argent les sépare jusque dans leurs misères.
Le Tonneau magique : Léo Finkle, un étudiant rabbinique de l’Université de Yeshivah de New York, passe par un marieur pour rencontrer une future épouse.
« Il lui fit remarquer en passant que la fonction du marieur était antique et honorable, hautement approuvée par la communauté juive, car elle rendait le nécessaire pratique sans entraver la joie. »


\Mots-clés : #communautejuive #misere #nouvelle #viequotidienne
par Tristram
le Mer 15 Déc - 12:31
 
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Sujet: Bernard Malamud
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Jean Giono

Triomphe de la vie

Tag viequotidienne sur Des Choses à lire Triomp10

Dans ce supplément aux Vraies Richesses, c’est toujours l’engagement de Giono pour les « réalités essentielles ».
Une défense et illustration de valeurs telles que le respect de l’individu, le travail manuel, la vie près des saisons :
« La paysannerie et l’artisanat sont seuls capables de donner aux hommes une vie paisible, logique, naturelle »

Intéressant à (re)lire en ces temps d’épuisement des extractions, d’essoufflement capitaliste ; daté par certains aspects factuels, une réflexion qui cependant dénonce la fuite en avant, et annonce une fin de cycle :
« On a tellement poussé de hourras que tous les chevaux de l’esprit emballés, sans rênes ni freins, on s’est enivré d’une vitesse de route sans s’apercevoir que c’était une vitesse de chute, qu’on roulait en avalanche sur des pentes de plus en plus raides, qu’on tombait (alors, oui, ça va vite) [… »

« Le seul mot d’ordre depuis l’ivresse de la fin du XIXe siècle, c’est aller de l’avant. Tout cela est bel et bon quand on sait en premier lieu qu’aller de l’avant c’est retourner en arrière. »

« Si le progrès est une marche en avant, le progrès est le triomphe de la mort. […]
Car l’opération qui s’appelle vivre est au contraire un obligatoire retour en arrière de chaque instant. En effet, vivre c’est connaître le monde, c’est-à-dire se souvenir. »

Giono fait référence au Triomphe de la mort de Breughel, puis allègue une sorte de mémoire de la vie chez le nouveau-né :
« Car, à peine déposée aux confins où notre connaissance des choses commence, cette chair est déjà pleine de souvenirs ; déjà elle peut aller en arrière d’elle-même, se souvenir de la réalité essentielle qui lui permet, dès que je mets mon doigt dans cette petite main neuve, de serrer mon doigt [… »

On retrouve sans surprise une récusation des cités artificielles vis-à-vis de « la petite ville artisanale », des décisions venues de haut et de loin versus « les lois naturelles ».
Magnifique description du travail du cordonnier, avec une précision ethnographique, mais non sans le comparer à un « oiseau magique, le rock de quelque conte arabe » qui bat des ailes… C’est bien sûr la figure paternelle. Puis c’est l’évocation du début de la journée d’humble labeur paisible des autres métiers, lyrique, splendide, presque gourmande (dans les années trente).
« La matière qui se transforme en objet appelle furieusement en l’homme la beauté et l’harmonie. »

Critique du travail à la chaîne, réduit à un seul geste « machinal », sans « goût », et du « squelette automobile » qui remplace la marche.
« Le souci des temps d’autrefois s’est souvent préoccupé de cette disparition des valeurs premières. Il se la représentait sous la forme d’une danse macabre. C’étaient des temps où l’on avait tellement confiance dans l’appareil passionnel qu’on s’efforçait de recouvrir de chair tous les symboles, tous les dieux. L’inquiétude, au contraire, décharnait et le symbole de la chute des hommes rebelles, c’était le squelette. Ils voyaient des squelettes envahir les jardins, marchant avec de raides génuflexions à la pavane ; ils claquaient des condyles, oscillaient de l’iliaque, basculaient de l’épine, balançaient les humérus, saluaient du frontal, arrivaient pas à pas, secs, les uns après les autres un peu comme des machines qu’un esprit conduirait ; ils se mêlaient à la vie et le somptueux déroulement des champs, des fleurs et des collines s’éloignait de l’autre côté du grillage blanc de leurs os. Le même rire éperdu qu’aucune lèvre ne contenait plus éclairait toutes ces têtes aux grandes orbites d’ombre. »

Giono revient à son éloge de « l’amour d’être », abordant la réalité paysanne :
« …] agneler la brebis, frotter l’agneau, soigner l’agneau qui a la clavelée, le raide, le ver, la fièvre, faire téter l’agneau dans le seau avec le pouce comme tétine, lâcher les agneaux dans l’étable, aller les reprendre sous chaque ventre, les enfermer dans leurs claies, porter l’agneau dans ses bras le long des grands devers de fougères qui descendent vers les bergeries, tuer l’agneau, le gonfler, l’écorcher, le vider, lui couper la tête, abattre les gigots et les épaules, scier l’échine par le milieu, détacher les côtelettes, racler la peau, la sécher, la tanner, s’en faire une veste [… »

Il réaffirme ses valeurs :
« Je n’ai pas intérêt à être malin ou riche d’argent ou puissant sur les autres ; vivre, personne ne peut le faire à ma place. »

Puis il narre en conteur éblouissant la livraison de commandes artisanales à la ferme écartée de Silence, où leur arrivée suscite une « fête paysanne » impromptue. Bonheur d’expression dans ce chant des beaux chevaux, de l’odeur de l’huile d’olive, de la joie champêtre… sans compter les « vraies nourritures terrestres ».
Giono médite tout ce texte dans un triste café de Marseille.
« Une grande partie de ce pauvre million d’andouilles passe sa vie à des besognes parfaitement inutiles. Il y en a qui, toute leur vie, donneront des tickets de tramway, d’autres qui troueront ces billets à l’emporte-pièce, puis on jettera ces billets et inlassablement on continuera à en donner, à les trouer, à les jeter ; il en faudra qui impriment ces billets, d’autres qui passeront leur temps à coller ces billets en petits carnets ; quand ils seront bien imprimés, bien collés, bien reliés, celui-là vient qui passe toute sa vie à les déchirer du carnet, à les donner, puis un qui les troue, puis un qui les jette. »

Giono se fait une « machine à cinéma », et reparaît Pan tandis qu’il panoramique sur un regain de village, où on a besoin d’un forgeron pour faire un soc de charrue adapté à la terre – un ouvrier pour qui la passion coïncide avec le métier.
Grand nocturne de la scène XII, les forêts dans le vent :  
« Chaque fois que la traînée d’étoiles tombe sur la terre avec un claquement de tout le ciel, les forêts apparaissent tassées arbre contre arbre, comme des troupeaux de cerfs : ramures emmêlées, hêtres allongeant le museau sur l’encolure des chênes ; bouleaux serrant leurs flancs tachetés contre les érables ; alisiers secouant leurs crinières encore rouges. Les arbres piétinent leur litière de feuilles mortes ; ils se balancent sur place, emmêlant leurs cous et leurs cornes ; ils crient, serrés en troupeau. Arrive le hurlement de détresse d’une forêt perdue loin dans le nord ; on l’entend s’engloutir ; elle a dû se débattre et encore émerger ; elle appelle de nouveau. C’est dans ce côté du ciel où même il n’y a pas d’étoiles ; les gouffres sont luisants comme de la soie à force de frottement de vent. Des montagnes étrangères passent au grand large, en fuite devant le temps, couchées en des gîtes de détresse, embarquant jusqu’à moitié pont ; la fièvre soudaine d’une constellation que le vent attise éclaire leurs agrès épars dans les bouillonnements de la nuit. »

Je pense n’avoir pas lu auparavant ce texte présenté comme un essai, en tout cas il vaut d’être lu pour l’actualité des propos en cette époque où l’on parle d'authenticité, de retour à la campagne et de décroissance, et surtout pour la superbe verve de Giono, ses métaphores filées, son écriture comparable à celle de ses romans.

\Mots-clés : #identite #nature #ruralité #solidarite #traditions #viequotidienne #xxesiecle
par Tristram
le Dim 12 Déc - 19:38
 
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Sujet: Jean Giono
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Carlo Emilio Gadda

L'Adalgisa - Croquis milanais

Tag viequotidienne sur Des Choses à lire L_adal10

Dans la continuation de La Connaissance de la douleur, huit textes situés dans la Milan de l’entre-deux-guerres (et traduits par Jean-Paul Manganaro).
Nuit de lune
Brève description du crépuscule.
Quand le Girolamo a fini…
Ça commence avec les employés de la Confiance, cireurs de parquets, puis voilà Bruno le bellâtre en triporteur…
« Cette cassure, ce cracking des nénies et de la plainte procédurale, exerce une fascination incroyable sur le cœur des femmes : cric-crac sublime, giclement subit de la lame et de la pointe hors de sa coquille : du couteau à cran d’arrêt. »

Claudio désapprend à vivre
S’effondre le pont de l’oncle, ingénieur et professeur à Polytechnique…
Il eut quatre filles et chacune fut reine
Dans le nouveau logement du Nobilis Homo Cipriano de’ Marpioni, l’ample donna Giulia et leur turbulente progéniture, appartement amélioré de tomettes branlantes et de traîtresses marches pour rattraper les dénivelés dans le couloir-boyau, un régal de caricature farfelue.
Les moments perdus
Lectures d’un ingénieur encore, entre journal humoristique et ressources bibliothécaires.
Dans ce texte comme pour les autres, des notes de l’auteur, de bas de page ou renvoyées à la fin, explicitent didactiquement le projet littéraire, une métaphore, un point d’architecture locale ou d’histoire, l’étymologie d’un terme de dialecte, une notion scientifique…
« Les locutions et vocables empruntés à une langue étrangère (1928) sont destinés à reprendre le ton (autant dire à le singer) de certaine conversation cultivée − ou cultivée moyennement − du milieu et de l’époque : qu’on veuille bien ne pas les attribuer à une défaillance des possibilités lexicales de la part de l’auteur ou à une diminution de sa déférence pour la langue maternelle. »

Un « concert » de cent vingt professeurs
Valerio emmène sa jeune tante Elsa à l’opéra, où se presse la société mélomane (superbe scène du prélude de l’orchestre qui s’accorde !).
« Voilà, déjà tous, toutes, les regardaient. Certaines avec de longs regards de travers, plus forts que toute interdiction de décence, de ceux que les femmes dédient aux femmes, longs sillages d’éternelle envie. D’autres, debout, leurs grosses pattes dans les poches, balançant une gambette guillerette sous le globe du ventre, et savourant leur propre langue comme couenne bien grasse : enfermé, le globe, en un gilet de paon fat, "qui s’y connaît". »

« Un pot de brillantine avait été absorbé par leurs cheveux doucement ondulés : et qui distillaient la pureté du nard, comme, des broches du temps, un rôti ruisselant. »

« Ils semblaient farcis de petites pommes de terre rôties jusqu’au cou et aux amygdales comme le vide-ordures quand il est engorgé. »

Au Parc, un soir de mai
Donna Eleonora la mauvaise langue y est halée par son haridelle, et on retrouve Elsa, et on rencontre Adalgisa.
L’Adalgisa
L’ex-cantatrice est veuve avec deux enfants de Carlo, comptable entomologiste amateur.
« En douze ou quinze boîtes de bois, chacune pavée de son double fond de liège, et ce dernier, enfin, recouvert d’une feuille de papier blanc à coordonnées rectilignes, sur des épingles en nombre infini, devant les yeux écarquillés des deux enfants, le pauvre Carlo avait méticuleusement transpercé les scarabées et les dytiques en nombre infini de la nature, les cébrionidés, les curculionidés, les cérambyx, les buprestes, les élatéridés : les fuyantes cicindèles à l’odeur de rose et de mousse, luisantes comme Jeanne d’Arc dans leur cuirasse d’acier fermé, bruni : puis les infatigables ateuchus et les silphes, et toute l’engeance si salubre des croque-morts agrestes et sylvains. »

Puis l’auteur passe au « je », évoquant l’époque où il était énamouré de la belle tétonnière avant son mariage (hilarante séance photo).

Le riche enchevêtrement lexicographique de Gadda, qu’un italianisant érudit goûterait davantage ! En effet, cela déborde d’allusions et sous-entendus plus ou moins abscons…
Il y a du Federico Fellini, de l’Albert Dubout dans ces croquis, un impérieux besoin de rapporter le moindre détail, même accessoire, de saturer, densifier la description, et d’utiliser toute la palette lexicale.

\Mots-clés : #humour #viequotidienne
par Tristram
le Mer 10 Nov - 12:07
 
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Raymond Queneau

Le Dimanche de la vie

Tag viequotidienne sur Des Choses à lire Le_dim10

L’incipit tiré d’Hegel incite à suspecter un niveau philosophique à ce livre :
« …c’est le dimanche de la vie, qui nivelle tout et éloigne tout ce qui est mauvais ; des hommes doués d’une aussi bonne humeur ne peuvent être foncièrement mauvais ou vils. »

Dans les années trente à Bordeaux : des deux sœurs Ségovie, seule Chantal est mariée, et son aînée, Julie (ou Julia), mercière, décide d’épouser Valentin Brû, seconde classe depuis cinq ans, bien qu’il soit nettement plus jeune qu’elle. Valentin, curieusement absent des registres de l’armée, n’est pas trop futé, et accepte le mariage avec cette femme de caractère (mari obéissant, il partira seul en voyage de noces à Bruges-la-Morte, parce que c’est la haute saison en mercerie...). Puis il se met avec enthousiasme au commerce de l'encadrement dans la boutique parisienne que lui cède sa belle-mère avant de mourir ; il s’émancipe progressivement dans son oisiveté relative, s’instruisant grâce à Marie-Claire, « son magazine (féminin) ». Ses clients et autres familiers se confient à lui, alors qu’il ne sait pas encore que son épouse est devenue Madame Saphir, la diseuse de bonne aventure du quartier ; lorsque son commerce périclite et que Julie tombe paralysée, il la remplace…
« − T’en fais pas, dit Julia, quand les gens ont décidé de marcher y a plus moyen de les arrêter. C’est plus de la connerie, c’est de la rage. »

Valentin essaie de suivre la grande aiguille de l’horloge sans s’égarer dans une rêverie.
« Valentin suit toujours la marche de la grande aiguille, mais il sent bien qu’il n’ira pas loin, écrasé par le poids des mots et des images. »

« Le temps qui passe, lui, n’est ni beau ni laid, toujours pareil. Peut-être quelquefois pleut-il des secondes, ou bien le soleil de quatre heures retient-il quelques minutes comme des chevaux cabrées. Le passé ne conserve peut-être pas toujours la belle ordonnance que donnent au présent les horloges, et l’avenir accourt peut-être en pagaye, chaque moment se bousculant pour se faire, le premier, débiter en tranches. Et peut-être y a-t-il du charme ou de l’horreur, de la grâce ou de l’abjection, dans les mouvements convulsifs de ce qui va être et de ce qui a été. »

Valentin suit (toujours sans sa femme) un circuit touristique en Allemagne sur le thème des victoires napoléoniennes (dont Iéna). Son antienne a toujours été que la future guerre va arriver, et il est remobilisé, comme bien d'autres qui n'y croyaient pas...
Le langage populaire et les personnages remarquablement rendus, de la bêtise benoîte de Paul le beau-frère fonctionnaire pingre à grandes oreilles qui se pique le nez (il faut reconnaître qu’il doit pourvoir à l’avenir de sa fille Marinette, qui a une réputation de garce − mais n’apparaît jamais −, et qu'il se reconvertira comme cadre dans l'industrie des crosses de fusil) dont le nom de famille varie comiquement (de Butugra à Batugra en passant par Babagras, etc.), à un petit peuple plus vrai que nature (voir notamment le personnage de Jean-sans-Tête le simple d’esprit), donnent à ce roman une atmosphère franco-française (le bistro est incontournable, on est un peu médisant et/ou xénophobe) bourrée d’humour affectueux. Centrée sur le quartette des deux sœurs et de leur mari respectif, plus particulièrement Valentin, la vie est rapportée simplement, avec autant de bonhomie que d’esprit.
C’est drôle, du bon Queneau, gouleyant à souhait ! Tu devrais essayer, Bédoulène, ça se lit aisément, un pur plaisir !

\Mots-clés : #humour #viequotidienne #xxesiecle
par Tristram
le Mar 26 Oct - 14:17
 
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Sujet: Raymond Queneau
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Isaac Babel

Récits d’Odessa et autres récits

Tag viequotidienne sur Des Choses à lire Rzocit10

Évocation d’habitants d’Odessa au début du XXe, surtout des bandits, des soldats, mais aussi des prostituées, des commerçants, des ivrognes, juifs, musulmans, Russes, Polonais, Cosaques, Tsiganes, honnêtes ou pas mais hauts en couleur. Certains personnages reviennent d’une histoire à l’autre, notamment Bénia Krik, dit le roi, et Froïm Gratch, le borgne, truands célèbres.
« … J’étais devenu courtier. M’étant fait courtier à Odessa, je me suis couvert de verdure et j’ai déployé mes rameaux. Encombré de branchages, je me sentais malheureux. La raison ? La raison est dans la concurrence. Sans ça, je ne me serais pas mouché dessus, sur la justice. Mes mains ne renferment aucun métier. L’air se tient droit devant moi. Il brille comme la mer au soleil, ce bel air vide. Les rameaux veulent manger. Ces rameaux, j’en ai sept, ma femme est le huitième. Je ne me suis pas mouché sur la justice. Non. C’est la justice qui s’est mouchée sur moi. La raison ? La raison est dans la concurrence. »

(« La justice » est, aussi, une coopérative.)
Ces contes truculents valent beaucoup pour leur style, inspiré de leur origine traditionnelle.
« − Il n’est pas encore temps, répondit Bentchik, mais le temps passe. Écoute ses pas et laisse-le passer. Mets-toi de côté, Liovka. Et Liovka se mit de côté pour laisser passer le temps. »

C’est Nathan Zuckerman, rencontré il y a peu, qui m’a ramentu Babel ; pas de ségrégation positive chez eux !

\Mots-clés : #humour #viequotidienne
par Tristram
le Jeu 22 Juil - 16:33
 
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Sujet: Isaac Babel
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NATSUME Sōseki

Petits contes de printemps

Tag viequotidienne sur Des Choses à lire Petits16

Réunion baroque de 25 petits textes disparates extraits d’un journal où Sôseki a recueilli des impressions proches de l’impondérable, des souvenirs (du Japon comme du Royaume-Uni), des scènes de la vie quotidienne, des instantanés finement observés, des images à la concision de haïku, un rêve, aussi des fragments de fiction − pochades dont se dégage une émotion teintée de délicatesse et d’intimité.
« Comme le fruit vert hier encore est aujourd’hui doux comme le miel, la vallée tout entière est en train de mûrir. »

« J’ai posé la petite serviette de bain humide sur la rambarde de la fenêtre du premier étage et j’ai regardé la rue en bas pleine de rayons du soleil printanier. La tête couverte d’un capuchon, une barbe blanche peu fournie, un raccommodeur de socques franchissait justement la haie. Il a attaché un vieux tambourin à une palanche et il frappe dessus à l’aide d’une palette en bambou, mais le bruit, pourtant sonore, manque de vigueur, comme un souvenir affleurant soudain à la mémoire. »


\Mots-clés : #nouvelle #viequotidienne
par Tristram
le Mar 6 Juil - 13:01
 
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Sujet: NATSUME Sōseki
Réponses: 58
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