Poésie
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Re: Poésie
Par la fenêtre je la vois penchée sur les roses
qu'elle saisit près de la fleur de manière à ne pas
se piquer les doigts. De l'autre main elle coupe, s'interrompt et
coupe, plus seule en ce monde
que je n'en ai eu conscience. Elle ne va pas
lever les yeux, pas maintenant. Elle est seule
avec les roses et avec autre chose que je peux penser, mais pas
dire. Je connais le nom de ces rosiers
offerts lors de notre récent mariage : Love, Honor, Cherish –
ce dernier étant le nom de la rose qu'elle me tend soudain, étant
rentrée à la maison entre deux de mes regards. J'y appuie
mon nez, aspire la douce senteur, la laisse s'attarder –
parfum de promesse, de trésor. Ma main sur son poignet pour l'attirer
tout près,
ses yeux verts comme la mousse des rivières. Je le dis alors, contre
ce qui vient : épouse, tant que je peux, tant que mon souffle, dans
la hâte
de chaque pétale peut encore la trouver.
qu'elle saisit près de la fleur de manière à ne pas
se piquer les doigts. De l'autre main elle coupe, s'interrompt et
coupe, plus seule en ce monde
que je n'en ai eu conscience. Elle ne va pas
lever les yeux, pas maintenant. Elle est seule
avec les roses et avec autre chose que je peux penser, mais pas
dire. Je connais le nom de ces rosiers
offerts lors de notre récent mariage : Love, Honor, Cherish –
ce dernier étant le nom de la rose qu'elle me tend soudain, étant
rentrée à la maison entre deux de mes regards. J'y appuie
mon nez, aspire la douce senteur, la laisse s'attarder –
parfum de promesse, de trésor. Ma main sur son poignet pour l'attirer
tout près,
ses yeux verts comme la mousse des rivières. Je le dis alors, contre
ce qui vient : épouse, tant que je peux, tant que mon souffle, dans
la hâte
de chaque pétale peut encore la trouver.
Raymond Carver
bix_229- Messages : 15439
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Localisation : Lauragais
Re: Poésie
À AKHMATOVA
O muse des pleurs, la plus belle des muses !
Complice égarée de la nuit blanche où tu nais !
Tu fais passer sur la Russie ta sombre tourmente
Et ta plainte aiguë nous perce comme un trait.
Nous nous écartons en gémissant et ce Ah!
Par mille bouches te prête serment, Anna
Akhmatova ! Ton nom qui n'est qu'un long soupir
Tombe en cet immense abîme que rien ne nomme.
A fouler la terre que tu foules, à marcher
sous le même ciel, nous portons une couronne !
Et celui que tu blesses à mort dans ta course
Se couche immortel sur son lit de mort.
Ma ville résonne, les coupoles scintillent,
Un aveugle errant passe en louant le Sauveur...
Et moi je t'offre ma ville où les cloches sonnent,
Akhmatova, et je te donne aussi mon coeur.
Moscou, 19 juin 1916
Poème de Marina Tsvétaïeva traduit par Sophie Técoutoff in La Nouvelle Revue française, n° 268, avril 1975 et cité in Véronique Lossky, Marina Tsvéatéva, Seghers 1990, collection Poètes d'Aujourd'hui, p. 123.
Poésie Marina Tsvetaeva Musique et chant Elena Frolova Une absolue merveille (Un auditeur sur Youtube)
O muse des pleurs, la plus belle des muses !
Complice égarée de la nuit blanche où tu nais !
Tu fais passer sur la Russie ta sombre tourmente
Et ta plainte aiguë nous perce comme un trait.
Nous nous écartons en gémissant et ce Ah!
Par mille bouches te prête serment, Anna
Akhmatova ! Ton nom qui n'est qu'un long soupir
Tombe en cet immense abîme que rien ne nomme.
A fouler la terre que tu foules, à marcher
sous le même ciel, nous portons une couronne !
Et celui que tu blesses à mort dans ta course
Se couche immortel sur son lit de mort.
Ma ville résonne, les coupoles scintillent,
Un aveugle errant passe en louant le Sauveur...
Et moi je t'offre ma ville où les cloches sonnent,
Akhmatova, et je te donne aussi mon coeur.
Moscou, 19 juin 1916
Poème de Marina Tsvétaïeva traduit par Sophie Técoutoff in La Nouvelle Revue française, n° 268, avril 1975 et cité in Véronique Lossky, Marina Tsvéatéva, Seghers 1990, collection Poètes d'Aujourd'hui, p. 123.
Poésie Marina Tsvetaeva Musique et chant Elena Frolova Une absolue merveille (Un auditeur sur Youtube)
bix_229- Messages : 15439
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Localisation : Lauragais
Re: Poésie
merci Bix !
_________________
“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
[/i]
"Il n'y a pas de mauvais livres. Ce qui est mauvais c'est de les craindre." L'homme de Kiev Malamud
Bédoulène- Messages : 21098
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Re: Poésie
Emily Dickinson – Je suis Personne ! Qui êtes-vous ? (I’m Nobody! Who are you?)
Je suis Personne ! Qui êtes-vous ?Êtes-vous – Personne – aussi ?
Ainsi nous faisons la paire !
Ne le dites-pas ! Ils le feraient savoir – c’est sûr !
Comme c’est ennuyeux – d’être – Quelqu’un !
Public – comme une Grenouille –
Qui crie son nom – tout le long de Juin –
A un Marécage béat !
*
I’m Nobody! Who are you?
Are you–Nobody–too?
Then there’s a pair of us!
Don’t tell! they’d advertise–you know!
How dreary–to be–Somebody!
How public–like a Frog–
To tell one’s name–the livelong June–
To an admiring Bog!
bix_229- Messages : 15439
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Localisation : Lauragais
Re: Poésie
merci Bix !
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Bédoulène- Messages : 21098
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Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Poésie
Premier rendez-vous
Étoile du souvenir, surgis ;
Années revécues.
Poème : premier rendez-vous,
Poème : premier amour.
Je vois des appels venteux.
je vois des ténèbres soufflantes :
Le courant cramoisi de la guerre,
Où nous nous sommes noyés…
Mais point d’« hier» ni d’« aujourd’hui » :
Le passé tout entier s’éclaire,
Et seul un chant, hirondelle divine,
Lance son cri brûlant par la fenêtre…
Brille, mon étoile, au lointain !
Sur le chemin, les ans dressés comme des bornes :
Je les longe tel un pèlerin,
Cheminant au-devant de moi-même…
Frissons d’eau par les vents épandus,
Faites courir, journées d’un printemps qui n’est plus,
Vos mètres rayonnants,
Vos rêves vibrants de baisers.
Mille neuf cent, année pleine d’aurores !..
Questions jetées vers le levant…
…..
Mais l’hiver au hurlement de rue…
Silhouette au pied rapide,
S’arrachant aux semelles, l’obscurité
Grandit et chagrine enténèbre
Les immeubles aux flancs blancs ;
Il semblerait que des lémures,
Que les mimes muets de l’hiver
Élaborent des tours, mirés
En paroles écloses :
Toi et nous !
Je vais, docile et déprimé,
Tel un sosie à quatre pieds :
L’esprit biptère se fige en étoile ;
Et l’amas encroûté gèle ;
Givrant et scintillant,
jouant en essaims cristallins,
je verserai du miroir de ma face
Des lys de reflets croisés,
Et sous le masque, criblé de péchés,
je hérisserai ma honte sans issue,
Pour que surgisse de la vie, obscur,
Un temple fou et dépourvu de sens…
……
Entourez-moi, humains :
Pour me sauver de moi-même ;
Resserrez vos poitrines de foudre,
Vos cœurs emplis de feu.
Mon moi visible est miroir des pulsions,
Diamant taillé par un fantôme
En réfractions entrecroisées :
Scintillant, je me reflète en vous
Comme, inondé d’un trop-plein de destin,
Un couronnement qui vous incombe :
Je mûrirai, me livrant au battement
De cœurs chers et chaleureux.
Vous, approchez : je suis enfoudré ;
Vous, reculez :je suis un autre,
Je suis disloqué, débordant
De vides qui fuient débâcle,
Tel l’envol de l’ombre en cône creux,
Tel un nuage au firmament,
Tel le tonus éternel et sans cœur
De faîtes inexistants.
Des formes s’édifient dans les nuées :
Et moi, visage confisqué,
Assombri, fragmenté, morose,
je cours le long des congères,
Des pieds d’un fêtard de passage
je m’étire, sans poids, sans qualités :
Les démons me font pousser.
D’une angoisse inexprimable…
Nous sommes sans vie et distants,
Spirales de regards étrangers,
Miroirs en vagues déferlants,
Nous jouons à danser pour rien,
Comme des taches claires sur les murs d’été,
Dans un verre, un remous de lumière,
Tout est bizarrement inconcevable ;
Et tout ressemble à un labyrinthe…
Yeux dans les yeux ! Tout s’enturquoise…
Entre les yeux et nous, je suis ressuscité ;
Un souffle annoncera la première nouvelle :
Pas toi, ni moi !.. Mais nous : mais Lui !
L’esprit, moqueur comme un faune,
Nous mène sur un autre plan :
Nous grattons nos calvities roses
Sous les turquoises du printemps ;
Nous voulons être trop malins,
Nous renonçons, nous ne comprenons rien,
Abandonnant un rêve trop précoce,
Nous errons encombrés par la vie ;
Et lassés, nous honnissons
La fumée des brillances passées :
En taureaux plaintifs nous jouons des cornes,
En vieux hongres nous ruons aux brancards.
Notre bon sens, comique au groin de truie,
Parfois énonce à l’appel des aubes :
Mieux vaut une maisonnette de bois
Que ces pierres si maladives;
Il cache sa tête comme une autruche,
S’écarte en sursaut comme un chien,
Casant le chaos sans issue
Dans les cahots d’un méchant quotidien.
Digérant les dons de la nature
Dans nos ventres obtus,
Nous foulons aux pieds les années;
Nous piétinons vers l’obscurité.
Andrei Biely
…..
Traduction Christine Zeytounian-Beloüs, copyright édition Anatolia
Extraits du poème
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Quand j'écoute et n'entends pas,
quand je regarde sans voir,
quand je marche sans un pas,
quand mon soleil devient noir,
je disparais sans mourir,
je vis sans un mouvement.
Nul espoir nul souvenir
dans les forges du moment.
Fondre ? Soit, mais pour renaître !
Finir pour recommencer !
Le monde est à reconnaître
sur les chemins effacés.
quand je regarde sans voir,
quand je marche sans un pas,
quand mon soleil devient noir,
je disparais sans mourir,
je vis sans un mouvement.
Nul espoir nul souvenir
dans les forges du moment.
Fondre ? Soit, mais pour renaître !
Finir pour recommencer !
Le monde est à reconnaître
sur les chemins effacés.
Jean Tardieu
(extrait de "Suite mineure"
(extrait de "Suite mineure"
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
bel extrait !
_________________
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Bédoulène- Messages : 21098
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Poésie
un Haïku pour le retour d'Ana
"Rien qui m'appartienne
Sinon la paix du cœur
Et la fraîcheur de l'air."
Kobayashi Issa ( 1763-1828 )
"Rien qui m'appartienne
Sinon la paix du cœur
Et la fraîcheur de l'air."
Kobayashi Issa ( 1763-1828 )
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Bédoulène- Messages : 21098
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Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Poésie
Ah, merci Bédoulène
Grande envie d'avoir un recueil de Natsume Sôseki. En voici un exemple, pour celle qui arrive :
Lune solitaire
Abandonnée à la nuit
Qui donc vous regarde
Elle était gibbeuse, regardait en l'air hier soir.
Grande envie d'avoir un recueil de Natsume Sôseki. En voici un exemple, pour celle qui arrive :
Lune solitaire
Abandonnée à la nuit
Qui donc vous regarde
Elle était gibbeuse, regardait en l'air hier soir.
Ana- Messages : 236
Date d'inscription : 29/03/2018
Re: Poésie
Et pour le plaisir de nos oreilles : https://www.youtube.com/watch?v=zRaSGLkdX1A
Ana- Messages : 236
Date d'inscription : 29/03/2018
Re: Poésie
@bix : Jean Tardieu touchait-il d'un instrument ?
Ana- Messages : 236
Date d'inscription : 29/03/2018
Re: Poésie
J'ai glané ça :Ana a écrit:@bix : Jean Tardieu touchait-il d'un instrument ?
Jean Tardieu est mondialement connu aujourd'hui surtout comme auteur dramatique,^ sa poesie ayant suscite moins d'interet que son theatre. Pourtant, Tardieu est avant tout poete. Tous ses Merits, y compris sa prose et son theatre, baignent dans une atmosphere poetique, comme I'a bien remarque Mme Noulet dans son excellente etude^ sur la vie et I'oeuvre de cet ecrivain. II n'est pas exagere meme de dire que Tardieu est un des plus grands poetes modernes. II Test avant tout par I'originalite de sa « passion musicale », sa vision tout a fait unique de l'union de la poésie et de la musique.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
Ah... il ne jouait sans doute pas lui-même alors... mais je viens de voir que ses jeunes années ont été bercées par la harpe.
Le poème que tu as partagé m'a beaucoup touchée. Se laisser aller, même dans le malheur, se laisser fondre, "soit, mais pour renaître !" Merci beaucoup.
Le poème que tu as partagé m'a beaucoup touchée. Se laisser aller, même dans le malheur, se laisser fondre, "soit, mais pour renaître !" Merci beaucoup.
Ana- Messages : 236
Date d'inscription : 29/03/2018
Re: Poésie
merci Ana !
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Bédoulène- Messages : 21098
Date d'inscription : 02/12/2016
Age : 79
Localisation : En Provence
Re: Poésie
Clown
Un jour.
Un jour, bientôt peut-être.
Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers.
Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui paraissait m’être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D’un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînement « de fil en aiguille ».
Vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier.
A coup de ridicules, de déchéances (qu’est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j’expulserai de moi la forme qu’on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes, mes semblables.
Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m’avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l’estime.
Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.
Clown, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l’esclaffement, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance.
Je plongerai.
Sans bourse dans l’infini-esprit sous-jacent ouvert
à tous
ouvert à moi-même à une nouvelle et incroyable rosée
à force d’être nul
et ras…
et risible…
Henri Michaux, « Peintures » (1939,) in L’espace du dedans, Pages choisies, Poésie / Gallimard, 1966, p.249
Un jour.
Un jour, bientôt peut-être.
Un jour j’arracherai l’ancre qui tient mon navire loin des mers.
Avec la sorte de courage qu’il faut pour être rien et rien que rien, je lâcherai ce qui paraissait m’être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D’un coup dégorgeant ma misérable pudeur, mes misérables combinaisons et enchaînement « de fil en aiguille ».
Vidé de l’abcès d’être quelqu’un, je boirai à nouveau l’espace nourricier.
A coup de ridicules, de déchéances (qu’est-ce que la déchéance ?), par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation, j’expulserai de moi la forme qu’on croyait si bien attachée, composée, coordonnée, assortie à mon entourage et à mes semblables, si dignes, si dignes, mes semblables.
Réduit à une humilité de catastrophe, à un nivellement parfait comme après une intense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel, au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m’avait fait déserter.
Anéanti quant à la hauteur, quant à l’estime.
Perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.
Clown, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l’esclaffement, le sens que contre toute lumière je m’étais fait de mon importance.
Je plongerai.
Sans bourse dans l’infini-esprit sous-jacent ouvert
à tous
ouvert à moi-même à une nouvelle et incroyable rosée
à force d’être nul
et ras…
et risible…
Henri Michaux, « Peintures » (1939,) in L’espace du dedans, Pages choisies, Poésie / Gallimard, 1966, p.249
Ana- Messages : 236
Date d'inscription : 29/03/2018
Re: Poésie
Si un matin à l'aube, avec d'infinies précautions,
tu tentes de mesurer l'air entre deux arbres immobiles,
tu aperçois un arc de fraîcheur presque invisible, tel un chant.
Tu vois que l'été est en chemin, et peut-être peux-tu, si ton coeur,
même en pensées, est proche du coeur lumineux de quelqu'un d'autre,
être empli de la consolation heureuse venue d'une source inattendue,
invisible.
bix_229- Messages : 15439
Date d'inscription : 06/12/2016
Localisation : Lauragais
Re: Poésie
avec les choses qui ne vont pas
il y a tellement de choses qui ne vont pas
---------------- loin
----------ni près
de qui que ce soit.
il y a une chose qui est venue près de moi je lui ai marché dessus
une autre est arrivée par derrière je lui ai donné un coup de pied
encore une autre je me suis interdit de ruer je me suis habitué à sa présence j'ai fini par la caresser
elle a pas trop aimé
c'est pas parce que je me colle que tu dois me coller elle a dit
c'était pas cohérent je l'ai renvoyée d'où elle venait
puis les choses ne plus venues
j'étais pas verni
elles passaient au loin elles y allaient de plus en plus si bien qu'elles disparaissaient
même si j'avais voulu les attraper j'aurais pas pu ma main les aurait pas atteintes
j'ai essayé qu'une fois avec une chose qui revenait de loin
la chose disait c'était beau là-bas je lui ai demandé beau comment ? elle a répondu plus qu'ici
j'ai répondu c'est pas dur elle a ajouté plus que partout ailleurs
avec l'air mystérieux qu'ont les choses parfois quand elles savent s'y prendre pour nous attraper.
j'ai tendu la main vers elle elle était déjà plus là
tant pis j'ai pas réitéré
après j'avoue j'étais blessé j'ai pas trop fait gaffe aux distances j'ai laissé filer des choses qui allaient
loin en pensant que ce serait trop dépaysant pour moi
je rêvais d'un mi-chemin je voyais pas s'éloigner
les horizons j'entendais pas se rapprocher la fin
pourtant les choses ne sont plus allées du tout
ni près de moi ni loin non plus
les choses n'allaient plus
ni frotteuses ni filantes
rien n'allait
alors les choses qui ne vont nulle part
se sont mises à s'accumuler autour de moi
autour puis au-dessus une fois que le tour était
fait or le tour est vite fait
c'était comme une pluie d'abord une pluie légère
une bruine de choses qui ne vont pas me tombait
dessus
puis ça a fait tout un tas avec moi dessous
j'ai sorti les bras je les ai agités j'ai crié aidez-moi
ça résonnait
les choses qui ne vont pas restaient à distance
raisonnable de moi
pas assez lointaines pour que je cherche à les
retenir pas assez proches pour que je veuille m'en
débarrasser
des fois je sens une chose qui me touche
ça me fait pleurer mais là rien ne m'atteignait
je voyais que les choses s'en allaient d'elles-mêmes
ça me donnait à relativiser
il y aurait bien quelques trouées, quelques
absences où exister
car les choses qui ne vont pas s'en allaient
elles m'étaient tombées dessus mais elles
s'éloignaient de moi
ça ne veut pas dire que les choses qui vont
venaient, non.
les choses qui ne vont pas s'éloignaient de moi un
point c'est tout
puis soudain j'ai pensé :
alors de qui se rapprochent-elles ?
j'ai fait le périple de ma curiosité j'ai emprunté les
chemins qu'on voulait bien me prêter les choses
n'allaient pas mais moi j'allais avec elles
c'est là que je me suis trouvé
j'étais précisément à l'endroit où les choses qui ne
vont pas allaient
maintenant ça ne va pas mais ça me va
ce qui ne me va pas je lui dis va voir ailleurs
j'espère que j'y suis pas
ce qui ne me va pas n'est peut-être qu'une chose
qui va vers quelqu'un d'autre
j'ai tenté d'enfreindre les limites de ma personnalité
mais je me suis toujours retrouvé de l'autre côté car en fait je suis vachement défini
comme si j'avais une police personnelle
autour de moi pour que je reste moi
même quand je suis hors de moi à cause de toutes
les choses qui ne vont pas, c'est encore moi
c'est bien dommage on aurait pu se mélanger si
on n'était pas tout à fait tout faits
j'aurais bien fait communauté pour voler des
choses qui vont loin à ceux qui sont restés
mais pour ça faut souffrir en deux et se vider de
toute substance, j'ai pas encore trop essayé.
Antoine MOUTON, Poser problème
il y a tellement de choses qui ne vont pas
---------------- loin
----------ni près
de qui que ce soit.
il y a une chose qui est venue près de moi je lui ai marché dessus
une autre est arrivée par derrière je lui ai donné un coup de pied
encore une autre je me suis interdit de ruer je me suis habitué à sa présence j'ai fini par la caresser
elle a pas trop aimé
c'est pas parce que je me colle que tu dois me coller elle a dit
c'était pas cohérent je l'ai renvoyée d'où elle venait
puis les choses ne plus venues
j'étais pas verni
elles passaient au loin elles y allaient de plus en plus si bien qu'elles disparaissaient
même si j'avais voulu les attraper j'aurais pas pu ma main les aurait pas atteintes
j'ai essayé qu'une fois avec une chose qui revenait de loin
la chose disait c'était beau là-bas je lui ai demandé beau comment ? elle a répondu plus qu'ici
j'ai répondu c'est pas dur elle a ajouté plus que partout ailleurs
avec l'air mystérieux qu'ont les choses parfois quand elles savent s'y prendre pour nous attraper.
j'ai tendu la main vers elle elle était déjà plus là
tant pis j'ai pas réitéré
après j'avoue j'étais blessé j'ai pas trop fait gaffe aux distances j'ai laissé filer des choses qui allaient
loin en pensant que ce serait trop dépaysant pour moi
je rêvais d'un mi-chemin je voyais pas s'éloigner
les horizons j'entendais pas se rapprocher la fin
pourtant les choses ne sont plus allées du tout
ni près de moi ni loin non plus
les choses n'allaient plus
ni frotteuses ni filantes
rien n'allait
alors les choses qui ne vont nulle part
se sont mises à s'accumuler autour de moi
autour puis au-dessus une fois que le tour était
fait or le tour est vite fait
c'était comme une pluie d'abord une pluie légère
une bruine de choses qui ne vont pas me tombait
dessus
puis ça a fait tout un tas avec moi dessous
j'ai sorti les bras je les ai agités j'ai crié aidez-moi
ça résonnait
les choses qui ne vont pas restaient à distance
raisonnable de moi
pas assez lointaines pour que je cherche à les
retenir pas assez proches pour que je veuille m'en
débarrasser
des fois je sens une chose qui me touche
ça me fait pleurer mais là rien ne m'atteignait
je voyais que les choses s'en allaient d'elles-mêmes
ça me donnait à relativiser
il y aurait bien quelques trouées, quelques
absences où exister
car les choses qui ne vont pas s'en allaient
elles m'étaient tombées dessus mais elles
s'éloignaient de moi
ça ne veut pas dire que les choses qui vont
venaient, non.
les choses qui ne vont pas s'éloignaient de moi un
point c'est tout
puis soudain j'ai pensé :
alors de qui se rapprochent-elles ?
j'ai fait le périple de ma curiosité j'ai emprunté les
chemins qu'on voulait bien me prêter les choses
n'allaient pas mais moi j'allais avec elles
c'est là que je me suis trouvé
j'étais précisément à l'endroit où les choses qui ne
vont pas allaient
maintenant ça ne va pas mais ça me va
ce qui ne me va pas je lui dis va voir ailleurs
j'espère que j'y suis pas
ce qui ne me va pas n'est peut-être qu'une chose
qui va vers quelqu'un d'autre
j'ai tenté d'enfreindre les limites de ma personnalité
mais je me suis toujours retrouvé de l'autre côté car en fait je suis vachement défini
comme si j'avais une police personnelle
autour de moi pour que je reste moi
même quand je suis hors de moi à cause de toutes
les choses qui ne vont pas, c'est encore moi
c'est bien dommage on aurait pu se mélanger si
on n'était pas tout à fait tout faits
j'aurais bien fait communauté pour voler des
choses qui vont loin à ceux qui sont restés
mais pour ça faut souffrir en deux et se vider de
toute substance, j'ai pas encore trop essayé.
Antoine MOUTON, Poser problème
Dreep- Messages : 1539
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Re: Poésie
merci Dreep, ça me parle
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“Lire et aimer le roman d'un salaud n'est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c'est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal.”
― Le club des incorrigibles optimistes de Jean-Michel Guenassia
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Bédoulène- Messages : 21098
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Re: Poésie
En tombant sur l'hommage que Jacques Réda lui a écrit, je suis tombé sur ce poème en prose de Jean-Philippe de Salabreuil :
Jean-Philippe Salabreuil, « Vers un autre dieu clair » in L’Inespéré, poèmes, Éditions Gallimard, Collection Le Chemin dirigée par Georges Lambrichs*, 1969, pp. 41-42.
IL A NEIGÉ SUR DE L’AURORE
Il a neigé sur de l’aurore. Éclat poudreux de l’ossuaire d’en haut qui s’écroule. Et tourbillonne en chute lente au-devant des bouillons rouges du jour nouveau. Là-dessus j’ai porté ma lourde tête au long des murs glacés de l’être. Il y a le ravin de l’âme devers et pas une brèche où se jeter. Rien à contempler ni rejoindre pour moi dans l’esprit. Mais écouter encore. Entendre toujours ceci. Le nœud d’oiseaux misérables d’abord qui se tend et qui glisse (je l’entends) par-dessus les flots roides là-dedans du silence. Un temps d’angoisse floue (puis écoute) ô la fronde profonde a tendu sa lanière d’ortie droite volute de cuir obscur la rocaille crépite. Autre instant de folie sur la face étroite de la vie. Alors claque la charge et dénoué le ciel s’allume où ce n’est plus que pierraille qui retombe sans aile et plus que n’y monta ! Visage. Énoncement d’amour en la mémoire aux longues fâcheries muettes. Parfois dans le sillage d’un sanglot désert. Belle embellie d’hier au matin des îles de la joie. Levé dans un désir de larmes et d’oiseaux sur mon épaule. Visage. Un jour il se rompit un lien d’étoiles dans ma gorge et je chantai. Mais seul dès lors et désolé car sitôt gagnas-tu l’altitude aplanie de lumière dorée. Voici l’oubli me dérobant ta lévitation blanche. Et toi sans doute tu regardes au fond du gouffre de mon âme et n’y découvres-tu que gravats de l’aigreur où grouillent les sangsues de la haine de toi ? Non. Dans la vérité moite et souveraine de la tombe aux voûtes de remords encore il faut que ce soit ton nom d’aube qui par ma bouche sourdement résonne. On a privé de la vue claire notre rapport d’amour dans le soleil. On a frappé de cécité notre approche d’ombres nues dans la nuit. Qui a privé du jour et frappé de ténèbres les enfants revêtus d’innocence devant le rêve de l’envol ensemble aux rayons de la vie ? Mais celui-là je le retrouve chaque soir au plafond de ma chambre illuminée des lueurs pourpres et folles du vin dans la montagne. Après un jour entier d’errance dans l’automne et par des neiges compliquées de rêveries immaculées je me couche perclus d’ivresse rouge. Et je dors mollement balancé dans la toile d’argent de sa bave abondante. Et je descends loin de toi vers l’abysse du feu dans cette barque blanche.
Jean-Philippe Salabreuil, « Vers un autre dieu clair » in L’Inespéré, poèmes, Éditions Gallimard, Collection Le Chemin dirigée par Georges Lambrichs*, 1969, pp. 41-42.
Jack-Hubert Bukowski- Messages : 2490
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