Re: Louis-Ferdinand Céline

par **Tristram** Lun 15 Mai - 9:28

Oui, ce livre constitue une étape importante de Céline dans l'approfondissement de son "système d'écriture", après Mort à crédit.

par **Bédoulène** Lun 15 Mai - 11:13

@Dreep ; Voyage au bout de la nuit ? ou ?

par **Dreep** Mar 16 Mai - 0:25

Oui, Voyage au bout de la nuit.

par **Bédoulène** Mar 16 Mai - 18:15

ok merci Dreep

par **Plume** Jeu 18 Mai - 20:45

J'avais énormément aimé Voyage au bout de la nuit...
Le style surtout m'avait époustoufflée!
Je prévois de le relire...

par **ArenSor** Sam 20 Mai - 20:11

J'ai préféré "Mort à crédit" au "Voyage", trouvant le style plus abouti. Pour moi, le meilleur de Céline est dans la trilogie allemande : "D'un château l'autre", "Nord" et "Rigodon", mais je pense qu'il faut mieux commencer par "Le Voyage" ou "Mort à crédit".
Dans l'actualité célinienne : nouvelle publication de l'oeuvre dans la collection de la Pléiade avec prise en compte des manuscrits récemment retrouvés, c'est à dire, "Guerre", "Londres" et "La Volonté du roi Krogold" intégrés au volume 1 avec "Le Voyage" et les fragments de "Casse-pipe" intégrés au volume 2 avec "Mort à crédit". On dit également beaucoup de bien de l'album qui accompagne ces publications, Frédéric Vitoux n'occultant pas les zones d'ombre du personnage.

par **Bédoulène** Dim 21 Mai - 10:06

sent-on son antisémitisme dans tous ces livres ? plus dans la trilogie Allemande ?

je vais lire dans 3/4 jours, à mon rythme très lent en ce moment, le voyage

par **ArenSor** Lun 22 Mai - 14:23

Bédoulène a écrit:sent-on son antisémitisme dans tous ces livres ? plus dans la trilogie Allemande ?

En filigrane, mais franchement rien à voir avec les pamphlets. Lors de la parution du "Voyage" Céline a été considéré par beaucoup comme "de gauche" par ses côtés libertaires et antimilitaristes. Ce n'est qu'avec la sortie de "Mort à crédit" que certaines opinions vont changer. Simone de Beauvoir écrira : "Mort à crédit nous ouvrit les yeux. Il y a un certain mépris haineux des petites gens qui est une attitude préfasciste.". L'antisémitisme de Céline ne se dévoilera avec violence qu'en 1937 avec "Bagatelles pour un massacre". La trilogie allemande est publiée après-guerre et le climat concernant l'antisémitisme a radicalement changé, forcément.

par **Bédoulène** Lun 22 Mai - 19:57

merci Aren de tes explications

par **Albert** Lun 22 Mai - 22:06

Je me suis souvent interrogé sur la nature de l'antisémitisme de Céline. Il y a dans ses livres, et je pense à Mort à crédit, une telle haine de l'Autre, de tous les autres, que son antisémitisme semble faire partie de cette haine totale.

Quelle était la part maîtrisée de ses diatribes, et quelle était la part d'une forme de maladie mentale? Il fallait qu'il hurle, et l'objet contre qui il hurlait ne me semble finalement pas clairement choisi. Le contexte historique a focalisé sa colère sur la population juive, à une autre époque elle aurait pu avoir d'autres objets. J'ai lu quelques extraits des pamphlets, leur violence et le ton ordurier me semblent surtout incohérents.
Pour moi, cet homme est un mystère, mais le Voyage est magnifique.

par **Tristram** Lun 22 Mai - 23:55

Oui Albert, je crois que tu mets le doigt sur un élément clé avec cette polarisation antisémite (et raciste en général), avec cet exigeant besoin de vociférer. Une amertume virée à l'aigre, fondement de la malveillance, "préfasciste" comme disait Beauvoir ainsi que me l'apprend ArenSor. Acrimonie orientée dans l'air du temps, même s'il embrasse large parfois dans sa haine, effectivement poussée jusque l'irrationnel. Son cas ne me semble pas relever de la maladie mentale ou du calcul, même s'il est peut-être symptomatique. Tout en n'étant d'ailleurs pas exceptionnel, sauf peut-être avec un tel porte-voix.

par **ArenSor** Mar 23 Mai - 15:36

Je partage assez vos opinions. Sur l'antisémitisme célinien, il y a une fine analyse (je trouve) de Michel Winock : "Le Scandale Céline". En voici la conclusion :

"De ce fait, on peut tirer toutes les pensées que l'on veut, et aussi toutes les interprétations. Que Céline était paranoïaque ; qu'il ne s'était jamais remis de ses blessures de la Grande Guerre (il n'écrivait qu'entre deux migraines) ; qu'il n'était qu'un sensitif, un imaginatif, incapable de raisonner politiquement ; qu'il était un homme seul, un autodidacte, n'ayant jamais été entouré, encadré, influencé par un milieu quelconque, rejeté qu'il était aussi bien de "l'establishment" médical que de l'élite littéraire ; qu'il n'avait cessé de développer une vision du monde poussée au plus noir, hantée par des hallucinations apocalyptiques, désespérant de la nature humaine ; qu'il était aussi, dans la lignée de ses parents, le produit d'une couche sociale en passe de mourir, secrétant un pré-poujadisme mortifère... Que sais-je ? Rien de tout cela n'est faux. Mais rien de tout cela ne peut atténuer l'éclat du scandale : qu'un artiste de cette taille ait participé avec ses hurlements et ses trois petits points légendaires au génocide.
Cette perpléxité, sans doute, est elle-même naïve. Elle repose en effet sur un postulat des plus contestables : que les meilleurs écrivains seraient politiquement les plus clairvoyants. Le cas Céline, une fois pour toutes, devrait nous tirer de cette illusion."

par **Tristram** Mar 23 Mai - 16:11

J'apprécie notamment la moralité finale de cette conclusion. On peut être un génie de la forme (en musique, etc.) et dans le même temps un individu lamentable. Ça devrait faire réfléchir avant que d'écouter sans sourciller les avis politiques de personnes en vue sous le seul prétexte qu'elles sont des vedettes de l'audimat. D'où un des intérêts aussi de garder en mémoire la distinction datée entre le fond et la forme.

par **Bédoulène** Mar 23 Mai - 20:14

merci à tous de votre partage qui m'éclaire un peu plu sur Céline.

par **Albert** Mar 23 Mai - 23:57

J'avais lu , mais le diable si je me rappelle où! que les blessures à la tête de Céline n'étaient que des mensonges inventées pour construire son personnage. La blessure reçue pendant la première guerre aurait été à l'épaule ou au bras????
Avez-vous des informations fiables à ce sujet?

par **Tristram** Mer 24 Mai - 0:18

J'ai effectivement lu des commentaires dans le même sens. Quelles que soient la gravité et les séquelles des atteintes physiques subies, les effets psychiques ou moraux sont autre chose et ne seront jamais vraiment établis dans son cas je pense, de même que les migraines et sifflements prétendus ou pas. Que le Ferdinand des romans ne soit pas le Louis-Ferdinand qui a vécu ne devrait pas surprendre ; et je crois qu'on peut comprendre que l'épreuve de la guerre ne rende pas forcément philanthrope. La seule chose qu'on sache, c'est que sa réaction fut détestable, et éventuellement qu'il est un écrivain bouleversant (ça peut être discuté). Mais effectivement, plus on en sait et mieux on peut envisager de comprendre ce qui se passe dans les têtes, à lui comme à d'autres.

par **Bédoulène** Mer 12 Juil - 20:21

enfin fini de lire "le voyage" mais ressenti plus tard, trop chaud avec l'ordi dans le placard !

par **Bédoulène** Jeu 13 Juil - 8:35

Voyage au bout de la nuit

céline - Louis-Ferdinand Céline - Page 8 Cel10

Combien j'ai apprécié son écriture, son langage si expressif. Mais que c'est sombre ; la vie serait donc un voyage dans la nuit avec quelques arrêts pour se renforcer pour pouvoir continuer ce voyage vers le terminus qu'on a pas choisi mais qui est inéluctable ?

Oui ça fait peur et il faut du courage pour continuer. A chacun son voyage.

Oui c'est sombre, sombre la guerre, la colonisation, la maladie, la souffrance, les morts, mais combien les mots de l'auteur sont justes, précis pour le dire, les nommer.

Et quels personnages ; Bardamu, Robinson (pile et face ?) les plus gentils comme les plus moches.

J'ai longtemps hésité à lire Céline, peut-être le relirais-je ? ou pas, mais je ne regrette pas de vous avoir suivi dans cette lecture.

quelques extraits, mais j'aurais pu en poser tant d'autres............

"On ne monte pas dans la vie, on descend"

"J’avais renoncé d’ailleurs, depuis belle lurette à toute espèce d’amour-propre. Ce sentiment m’avait semblé toujours très au-dessus de ma condition, mille fois trop dispendieux pour mes ressources. Je me trouvais tout à fait bien d’en avoir fait le sacrifice une fois pour toutes."

"Les riches n’ont pas besoin de tuer eux-mêmes pour bouffer. Ils les font travailler les gens comme ils disent. Ils ne font pas le mal eux-mêmes, les riches. Ils payent. On fait tout pour leur plaire et tout le monde est bien content. Pendant que leurs femmes sont belles, celles des pauvres sont vaines. C’est un résultat qui vient des siècles, toilettes mises à part. Belles mignonnes, bien nourries, bien lavées. Depuis qu’elle dure la vie n’est arrivée qu’à ça.
Quant au reste, on a beau se donner du mal, on glisse, on dérape, on retombe dans l’alcool qui conserve les vivants et les morts, on n’arrive à rien. C’est bien prouvé. Et depuis tant de siècles qu’on peut regarder nos animaux naître, peiner et crever devant nous sans qu’il leur soit arrivé à eux non plus jamais rien d’extraordinaire que de reprendre sans cesse la même insipide faillite où tant d’autres animaux l’avaient laissée. Nous aurions pourtant dû comprendre ce qui se passait. Des vagues incessantes d’êtres inutiles viennent du fond des âges mourir tout le temps devant nous, et cependant on reste là, à espérer des choses… Même pas bon à penser la mort qu’on est."

"C’est le culot qui me manquait au fond pour exercer la médecine sérieusement. Quand on me reconduisait à la porte, après que j’avais donné à la famille les conseils et remis mon ordonnance je me lançais dans des tas de commentaires rien que pour éluder l’instant du paiement quelques minutes de plus. Je ne savais pas faire ma putain. Ils avaient l’air si misérables, si puants, la plupart de mes clients, si torves aussi, que je me demandais toujours où ils allaient les trouver les vingt francs qu’il fallait me donner, et s’ils allaient pas me tuer en revanche. J’en avais tout de même bien besoin moi des vingt francs. Quelle honte ! J’aurai jamais fini d’en rougir.
« Honoraires !… » qu’ils continuaient à intituler ça les confrères. Pas dégoûtés ! "

"Cent ivrognes mâles et femelles peuplent ces briques et farcissent l’écho de leurs querelles vantardes, de leurs jurons incertains et débordants, après les déjeuners du samedi surtout. C’est le moment intense dans la vie des familles. Avec la gueule on se défie et des verres plein le nez, papa manie la chaise, faut voir, comme une cognée, et maman le tison comme un sabre ! Gare aux faibles alors ! C’est le petit qui prend. Les torgnoles aplatissent au mur tout ce qui ne peut pas se défendre et riposter : enfants, chiens ou chats. Dès le troisième verre de vin, le noir, le plus mauvais, c’est le chien qui commence à souffrir, on lui écrase la patte d’un grand coup de talon. Ça lui apprendra à avoir faim en même temps que les hommes. On rigole bien à le voir disparaître en piaulant sous le lit comme un éventré. C’est le signal. Rien ne stimule les femmes éméchées comme la douleur des bêtes, on n’a pas toujours des taureaux sous la main. La discussion en repart vindicative, impérieuse comme un délire, c’est l’épouse qui mène, lançant au mâle une série d’appels aigus à la lutte. Et après ça c’est la mêlée, les objets cassés se morcellent. La cour recueille le fracas, l’écho tourne autour de l’ombre. Les enfants dans l’horreur glapissent. Ils découvrent tout ce qu’il y a dans papa et maman ! Ils attirent sur eux la foudre en gueulant.
l y a un bout à tout. Ce n’est pas toujours la mort, c’est souvent quelque chose d’autre et d’assez pire, sur tout avec les enfants."

"C’est l’âge aussi qui vient peut-être, le traître, et nous menace du pire. On n’a plus beaucoup de musique en soi pour faire danser la vie, voilà. Toute la jeunesse est allée mourir déjà au bout du monde dans le silence de vérité. Et où aller dehors, je vous le demande, dès qu’on a plus en soi la somme suffisante de délire ? La vérité, c’est une agonie qui n’en finit pas. La vérité de ce monde c’est la mort. Il faut choisir, mourir ou mentir. Je n’ai jamais pu me tuer moi.
Le mieux était donc de sortir dans la rue, ce petit suicide. Chacun possède ses petits dons, sa méthode pour conquérir le sommeil et bouffer. Il fallait bien que j’arrive à dormir pour retrouver assez de forces pour gagner ma croûte le lendemain. Retrouver de l’entrain, juste ce qu’il fallait pour trouver un boulot demain et franchir tout de suite, en attendant, l’inconnu du sommeil. Faut pas croire que c’est facile de s’endormir une fois qu’on s’est mis à douter de tout, à cause surtout de tant de peurs qu’on vous a faites."

par **Tristram** Jeu 13 Juil - 8:54

Merci pour cette évocation qui permet de se ramentevoir cette dramatique vision de la condition humaine !

par **Albert** Jeu 13 Juil - 11:50

C'est toujours bien de se remémorer un bon livre. Céline était probablement peu recommandable, mais ce livre est un chef d’œuvre. Je comprends qu'on hésite à le lire, mais ,si on est honnête, quel auteur, peintre, artiste... résisterait si on ne lisait que les créateurs moralement irréprochables. Même mon cher Victor (Hugo!) qui a dit tant de belles paroles courait la gueuse sans vergogne et était pédophile à la fin de ses jours: les petites bonnes devaient filer vite pour lui échapper.

Dans ces extraits, je ne le trouve pas pessimiste, mais hélas bien réaliste. Une anecdote récente: j'ai dû aller deux fois en consultation à l'hôpital (tout va bien merci!) et j'ai découvert que même avec une mutuelle à jour, il fallait régler la part mutuelle. J'ai vu un jeune homme repartir sans ses résultats parce qu'il n'avait pas les moyens de payer les 10 euros qu'on lui demandait.

Quant à l'alcool ou la drogue dans les familles, ce n'est pas seulement chez les plus pauvres, mais la description que Céline en fait me semble très juste, hélas.

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